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Le Havre des Reines


Loup Noir

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Bonsoir. Cela fait longtemps que je n'ai rien publié sur ce forum (et rien sur le WarFo en général d'ailleurs). J'ai tenté ces derniers mois de reprendre l'écriture de "Sur les terres des parjures", que j'avais commencé il y a deux ans et abandonné par manque (cruel) d'inspiration. J'ai donc décidé de me lancer dans l'écriture d'un récit d'assez grande envergure pour lequel mon inspiration était beaucoup plus forte. Voilà longtemps que je voulais créer un monde de [i]Fantasy[/i] personnel, des peuples, des nations, etc. Je garde un schéma assez classique, en ceci que j'ai créé des elfes, des nains, des orcs, etc, en plus des humains, mais je tente de réduire les caractères prédéterminés au maximum et de fonder plusieurs peuples et états au sein de chaque espèces.

Voilà pour cette petite mise en bouche. Le continent s'appelle [i]Sierma[/i] et je compte raconter les aventures d'une reine déchue dans son combat pour survivre. Je vous propose maintenant le prologue, dans lequel j'évoque beaucoup de choses que je compte détailler par la suite. Vos critiques sont évidement les bienvenues. J'ai pris un peu d'avance dans l'écriture, ce qui me permettra, j'espère, de publier régulièrement. Bonne lecture !


Voici un glossaire détaillant les liens entre les personnages ainsi que la société elfe où une grande partie de l'histoire se déroule : [url="http://files.clementdelaunay.fr/Glossaire_le_Havre_des_Reines.pdf"]Glossaire : Le Havre des Reines[/url]


[u][center][b]Prologue[/b][/center][/u]

[b]
An 1375 du Quatrième Âge, Royaume Alizé[/b]

Énaria rêvait. Au milieu de son sommeil agité elle revivait une bataille de sa jeunesse. Des cris, des morts, le métal contre le métal. Elle-même combattait, armée de deux sabres à lame incurvées qui brillaient comme de l'argent. Elle tallait devant elle et ses armes étaient rouges du sang ennemi. Les soldats portaient sur leurs tabars les armoiries du royaume de Solaris, un écu décoré en son centre d'un taureau d'or sur champ écarlate surmonté d'une couronne fermée. Au loin planait l'étendard de la famille royale de l'époque, les Aslur, un soleil violet couronné d'un diadème sur champ or. Les premiers et les plus implacables ennemis que Énaria avait eu à combattre pour défendre le Royaume Alizé. Le fléau de sa jeunesse. Au cœur de la bataille elle sentait un encerclement constant, bien qu'autour d'elle se trouvaient autant d'alliés que d'ennemis. Et au milieu de ce songe angoissant planait la figure rieuse de son mari. Alors qu'elle se démenait, la gigantesque hache d'arme à deux mains de son époux faisait des ravages dans les rangs ennemis. Il riait de ses blessures et de ses adversaires. Toujours en première ligne, il s'assurait du coin de l’œil que son épouse n'était pas blessée. Cette tendresse constante envers elle la touchait au plus profond de son être.

C'est ainsi que la reine Énaria revivait son adolescence, des combats, des beuveries, et son homme dans son lit chaque soir. Mais malgré le tumulte de son sommeil, elle s'éveilla immédiatement lorsqu'elle entendit le bruit caractéristique d'une épée que l'on sort de son fourreau.
Outre ses réflexes de soldat, acquis durant les nombreuses campagnes qu'elle avait menées dans la jeunesse, elle avait développé ces dernières semaines une certaine paranoïa. Elle ouvrit les yeux quelques secondes avant qu'Idraïs ne lui touche délicatement le bras. Elle se tenait allongée dans sa chambre situé dans l'aile ouest de son palais. De sa fenêtre elle avait une vue imprenable sur le cours du puissant fleuve Zénith. Son cauchemar l'avait ramenée plus de quinze ans en arrière, lors de la guerre qui avait suivit l'invasion de son royaume par les Solaris du nord-ouest, qui fut plus tard appelée la Guerre des Reines. Énaria n'aurait su dire si elle avait vraiment rêvé la fin, ou si, dans un demi-sommeil, ses souvenirs lui avaient fait revivre une scène de son passé. Il y avait néanmoins plus urgent. Elle leva les yeux vers sa suivante, qui lui servait également de garde du corps.

- Énaria, réveillez-vous, il faut partir ; sa voix trahissait une profonde inquiétude. L'heure est venue.

Malgré l'urgence, Idraïs continuait à lui montrer un respect conséquent. En public elle n’omettait jamais de l'appeler « Haute-Reine » et depuis un peu plus d'un an « Haut-Roi ». Dans l'intimité, Idraïs était tendre, douce, elle était sa confidente. La rapidité de son ton, et l'inquiétude transparente dans sa voix étaient préoccupantes. Énaria se redressa, pressentant un danger imminent.

- Mon fils ? souffla-t-elle à l'oreille d'Idraïs.

- Oui, répondit cette dernière.

La femme à la chevelure ébène tripota son épée longue, prête au combat. La chambre était plongée dans la pénombre. Un mince rayon de lune filtrait à travers les volets fermés. Outre Idraïs, Énaria distingua également l'ombre mouvante de Morgun, un de ses plus fidèles garde du corps. Il venait de sortir de sa chambre, une petite alcôve rattachée aux appartements de la Haute-Reine, via une antichambre. Le mobilier spartiate de Morgun trahissait son état d'esprit particulièrement guerrier : un lit, une commode, une table, un présentoir pour ranger les armes, quelques livres, surtout des mémoires de soldats et de généraux. Si il était autrefois illettré, il avait, une fois entré au service d'Énaria, apprit à lire. La lecture d'écrits militaires était d'ailleurs son unique passion en dehors du combat, et il lui arrivait de dépenser une grande partie de sa solde pour se procurer des ouvrages rares, contenant des témoignages de combattants étrangers, parfois même de zélotes elfes ou de hirdâs nains.

La Reine s'éclaircit la voix :

- Morgun, va ouvrir les volets, il nous faudra de la lumière. Idraïs, aide moi à m'habiller, en vitesse.

Énaria sauta du lit. Elle était vêtu simplement d'une chemise de nuit. Elle bénit sa vigilance, qui lui faisait se vêtir chaque soir de dessous de combat, pouvant grâce à une simple traction sur un lacet lui comprimer la poitrine, empêchant toute gène. D'un geste elle envoya Idraïs chercher le petit coffre dans lequel était rangée sa tenue de combattante tendit qu'elle tirait avec un grognement sur le lacet de son corsage. Alors que Morgun se tournait pudiquement, sa suivante aida Énaria à enfiler une tunique, puis un haubert de cuir épais renforcé aux épaules par des plaques d'acier. Elle passa ensuite des chausses de cuir souple et de hautes bottes. N'ayant pas le temps de se tresser les cheveux elle donna un ordre bref à Idraïs qui les noua rapidement en une queue de cheval basse tendit quelle mettait ses gantelets de fer noir. En coiffant son heaume gris foncé la reine sentit le poids de son armure. De la meilleure qualité, mais usée par de multiples conflits, sa masse se faisait de plus en plus sentir à mesure que les années avançaient. Lorsqu'elle enfila son baudrier auquel pendaient ses deux sabres aux lames incurvées la reine se sentit tout de même rassurée. Malgré le fait qu'elle les utilisaient depuis maintenant dix-sept ans, ses armes avaient conservé leur légèreté du premier jour.

La lumière de la nuit baignait à présent la chambre. Morgun était vêtu d'une cotte de maille noire, d'un bassinet sans visière et de jambières de la même couleur. Il avait tenu à ce que son équipement conserve une couleur sombre lorsque la reine lui en avait fait forger un nouveau en remplacement de son ancienne tenue bon marché de mercenaire. Il ne portait aucun fourreau à la ceinture, mais il tenait fermement dans ses mains une hachette à double tranchant et un long coutelas aux lames nues. Il portait une barbe noire taillée et avait le crâne rasé. Un peu moins vieux qu'Énaria, le garde du corps était, malgré sa silhouette plutôt élancée, une force de la nature. Vigoureux, silencieux et d'une loyauté sans faille envers celle à qui il devait tout. L'allié idéal dans ce genres de situations.
Plus loyale encore, Idraïs était néanmoins beaucoup plus nerveuse. Très bonne combattante et amie intime de la reine depuis douze ans maintenant, elle avait été la première femme à rejoindre la Garde Noire des Neuf, chargée de veiller sur la famille royale et avant tout sur le roi. Par dérision, elle appelait cet ordre, « Garde des Huit » compte tenu du fait qu'elle-même protégeait presque exclusivement la Haute-Reine, laissant le roi son fils à la garde de ses huit frères d'armes. Ses courtes boucles noires lui couvraient la nuque. Elle avait toujours négligé de porter un heaume durant les batailles au grand damne de sa maîtresse. Si les membres de la Garde portaient traditionnellement une armure noire complète faite de plaques d'acier, Idraïs avait opté pour une cotte de maille de même coloris et des jambières de cuirs, mieux adaptés à sa souplesse et lui permettant de pallier à son manque de force physique. Ses yeux étaient d'un brun étincelant. D'ordinaire rieurs, ils étaient cette nuit terriblement soucieux, lançant des regards partout et revenant toujours vers l'antichambre, où une porte donnait sur le couloir. Elle était grande, élancée, svelte. Avec environ trois ans de moins que sa reine, elle lui servait de suivante et de garde du corps depuis des années. Énaria sentait que malgré son entraînement d'élite, elle était paniquée à l'idée du combat qu'il leur faudrait mener. Elle savait ce qu'il impliquait. La Haut-Reine lui pressa doucement l'épaule.

- Cache toi dernière la porte de ma chambre. Morgun, positionne toi de même dans ta cellule. Je vais garder la porte de la chambre du milieu. Une fois entrés dans l'antichambre, ils seront obligés de nous chercher, nous leur sauterons alors dessus en embuscade, à mon signal.

- Ne vaudrait-il pas mieux que vous preniez la fuite, Haut-Roi, pendant que nous les retenons ? s'enquit Morgun.

- Le temps nous manque. Si nous parvenons à supprimer la troupe, sûrement peu nombreuse, que mon fils nous a envoyée, nous pourrons alors nous enfuir discrètement et nous serons loin avant qu'il ne puisse ordonner un nouvel assaut, répondit Énaria. Et vous ne pourrez pas vous occuper de tout ces soldats à deux.

Son ton était sans appel. Ils allèrent se positionner. La vérité était plus simple que cela. La reine ne voulait pas laisser Idraïs se sacrifier pour elle sans au moins combattre à ses côtés. Elle avait positionné des espions un peu partout au château, mais elle n'avait été prévenue qu'au dernier moment. Pour garantir une telle discrétion son fils avait dû trier sur le volet des hommes d'élites, loyaux et prêts à tout. Elle eut un petit sourire ironique. Il était bien éduqué ; lorsqu'il l'aurait renversée, il ferait un habile souverain. Elle ne se faisait pas d'illusion sur l'issue de ce combat. Même si ses adversaires étaient tués, son fils avait acquis trop de puissance et de soutiens pour ne pas parvenir à la déposer après cette nuit. Mais elle refusait catégoriquement de se rendre, ou de finir assignée à résidence dans une prison dorée. Sa fuite était donc savamment organisée. Le seul caractère aléatoire se trouvait à quelques mètres, dans le couloir, derrière la porte de l'antichambre.

Dans le couloir une voix tonnante retentit :
- Ouvrez ! Le Haut-Roi l'ordonne !

Dernière la porte, une voix calme répondit lentement :
- Le seul Haut-Roi que je connais est derrière cette porte, et je ne l'ai pas entendu m'ordonner une telle chose. Pardonnez moi, mon Seigneur.

Quelques secondes plus tard Énaria entendit le bruit de plusieurs lames tirées du fourreau. Un autre son fut celui, plus long, d'une épée sortie lentement d'une gaine de cuir. À peine terminé, il fut étouffé par les bruits caractéristiques de plusieurs poignards pénétrant dans la poitrine d'un homme, puis d'un corps s'effondrant, en armure d'acier, sur le marbre du palais.

Énaria ouvrit la bouche puis la referma. Son garde personnel, le vieux Trevor, qui surveillait la porte avait remplit son rôle. En homme d'honneur, il avait succombé plutôt que de céder le passage, même si il n'avait pas eut le temps de se défendre. La reine eut une pointe de regret pour ce vieil homme, au service de sa famille depuis quatre décennies. Quelques semaines plus tôt il lui avait confié que, trop vieux pour un vrai combat, il se contenterait de défendre sa porte. Elle avait toutefois reconnu la voix de l'homme qui avait parlé à Trevor. Mistien. Le capitaine de la Garde Noire. Une colère ardente s'empara d'elle. Son fils lui avait envoyé les huit. Dégainant ses épées elle cracha par terre.

- Morgun ! Idraïs ! Tenez-vous prêts à tuer !

Son garde du corps frappa ses armes l'une contre l'autre. Il avait compris. Pas de quartier. Morgun, après avoir passé une moitié de sa vie à servir de mercenaire dans plusieurs armées, n'aurait aucune pitié. Idraïs émie un claquement de langue. Elle avait combattu à de nombreuses reprises pour Énaria, avec honneur, et avec amour. Elle se battrait jusqu'à la mort. Cette idée fit frissonner la Haute-Reine.
La porte de sa chambre allait bientôt céder sous les coups répétés des soldats qui l'enfonçaient. Énaria savait ce que ce combat impliquait. Malgré la peur, elle fit jouer ses épées courtes dans l'espace de la chambre et se prépara. La porte craqua. Les gonds sautèrent. Énaria entendit plusieurs personnes investir l'antichambre. Elle attendit une seconde puis entra à son tour dans la pièce. Le cadavre de Trevor apparaissait dans l'embrasure de la porte.

- Bonjour Mistien, commença-t-elle. Il est un peu tôt pour m'offrir une escorte jusqu'à la salle du trône, tu ne crois pas ?

- Le Haut-Roi nous a ordonné de vous conduire à lui, désarmée. Je vous prie de nous suivre ma Reine, répondit-il.

- Jolie tenue, continua-t-elle en le détaillant de bas en haut. Qu'avez-vous fait de vos armures noires ? Ces tuniques en cuirs bouilli sont élégantes, certes, mais n'est-ce pas négliger ma sécurité que de laisser sans protection des points vitaux aussi évidents que la gorge, l'aine ? J'aurais cru que plus de vingt ans de vie militaire t'auraient au moins appris cela, et que tu aurais pu l'enseigner à tes hommes.

- En parlant de mes hommes, dit-il en souriant, je constate que votre protégée n'est pas à nos côtés. Elle a toujours été en dehors de ses devoirs. Il faudra bientôt la remplacer je pense, et ce ne...

La reine avait attaqué sans prévenir, de bas en haut vers le visage protégé par un casque sans visière. Mais le garde s'était écarté à temps. Ses hommes se déployèrent.

- Tue moi d'abord ! cria Énaria.

Le signal convenu. Idraïs apparut dans l'embrasure de la porte. Une seconde plus tard son bras droit se détendit. Sur la gauche d'Énaria, Solon, le grand garde à la barbe rousse, s'effondra, la gorge ouverte par une dague de jet. Trois soldats firent immédiatement face à cette menace. Dans le même temps Morgun avait surgit et s'était jeté sur les guerriers. Il para rapidement un coup d'estoc visant sa poitrine puis enfonça profondément son coutelas dans l’œil de son adversaire. Énaria recula, évitant un coup de Mistien à la cuisse puis tenta de lui trancher la gorge avec un mouvement latéral. Le capitaine se baissa habilement et l'attaqua de sa longue épée. Mais elle était déjà loin. Elle se jeta sur Myr, qui lui envoya immédiatement un coup de sa puissante massue en ébène renforcée d'anneaux en acier, visant son genou gauche. La reine esquiva en levant la jambe et donna dans le même temps un rapide coup de pied dans l'entrejambe de son adversaire, avant de le décapiter d'un geste fluide.

Idraïs luttait contre deux hommes en même temps. Elle saignait abondement d'une profonde plaie à la cuisse et avait également une entaille au coup. Elle esquiva néanmoins un coup d'estoc de son adversaire le plus proche avant de lui taillader la poitrine et de le projeter sur Mistien. Sur la droite, Morgun poussa un hurlement, la main gauche tranchée. Se sachant acculé, il se jeta sur son ennemi, qui le reçu sur la pointe de son épée. Utilisant ses dernières forces, Morgun lui fendit le crâne d'un coup de hache. Voyant son garde du corps tomber, Énaria poussa un hurlement et se rua sur l'homme devant elle, Derss, le plus jeune membre de la Garde. À quelques pas, Idraïs raffermie la prise sur son épée, les traits serrés. Elles n'étaient plus qu'à deux contre trois. Derss para ses deux coups puis la frappa avec son bouclier. La reine recula en sentant le sang emplir sa bouche. Elle cracha une canine brisée. Derss sourit sous sa courte barbe puis se tourna vers Idraïs. Il plongea son épée dans le ventre de la guerrière qui venait de trancher le bras de son dernier adversaire. Grièvement blessée, elle ne pu éviter le poignard que Mistien lui planta juste sous les seins.

- Non ! hurla Énaria. Non ! Non !

Elle se précipita et transperça le dos de Derss avec ses deux sabres. La reine ramassa ensuite l'épée longue d'Idraïs puis marcha vers Mistien en abaissant la visière de son heaume. Ce dernier s'écarta puis chargea. Elle para facilement. Il lui sourit.

- Le Haut-Roi m'a demandé de t'épargner. Néanmoins, j'ai le droit de te mutiler pour te ramener à lui. Ne crois pas que j'hésiterai à le faire. Tu te fais vieille Énaria l'Usurpatrice, pour une femme j'entends. Tu n'es plus à la hauteur.

- Peu m'importe que tu serve ma famille depuis ta naissance. Peu m'importe que mon père t'ait fait entrer dans la Garde Noire, dont je t'ai confié le commandement. Que l'on se connaissent depuis trente ans. Tu es déjà mort.

Elle attaqua rapidement d'un coup au ventre, puis d'un mouvement latéral à la gorge. Il esquiva. La Garde Noire avait perdu de sa splendeur au fil des années. Ses membres étaient de bons combattants, mais aucuns ne pouvait rivaliser avec Idraïs ou elle. Aucun sauf Mistien. Il avait participé à l'âge de quatorze ans à sa première bataille. Habile et rusé, il avait combattu dans de nombreuses guerres et sauvé la vie de son père, qui l'avait fait entrer dans la Garde à l'âge de dix-sept ans. Elle le connaissait depuis l'enfance. Néanmoins ils étaient en froid depuis quelques années. Il n'avait jamais accepté l'entrée d'Idraïs, une femme, qui plus est issue de la roture, dans la Garde, et encore moins la prise de pouvoir personnelle d'Énaria.
La Haute-Reine esquiva un coup visant sa jambe, un autre visant son épaule gauche, puis tenta une frappe d'estoc qu'elle transforma d'un basculement des poignets en coup de taille. Les cuirs bouillis de Mistien se déchirèrent. Il parvînt tout de même à la blesser au-dessus du genou. Après un vif échange de coups elle se baissa pour échapper à une attaque à la poitrine mais reçu un uppercut de plein fouet. Chancelante elle recula et perdit l'équilibre. Énaria posa le genou droit au sol. Le capitaine se rua vers elle. Avec une fulgurance inouïe la reine se fendit et, profitant de son allonge, réussie à le stopper net en lui ouvrant l'aine.
Elle se releva en regardant le sang s'écoulant à gros bouillon de la plaie de Mistien, tombé à genoux. Laissant aller sa rage, elle le transperça plusieurs fois de son épée, puis, la levant à deux mains au-dessus de sa tête, lui fendit le crâne en deux.

La Reine se précipita dans l'antichambre vers Idraïs. L'unique survivant de la Garde, Eudes, gémissait. Elle retira ses sabres du cadavre de Derss et se tourna vers lui.

- S'il vous plaît... supplia-t-il.

- Voilà se qui arrive lorsque l'on défit son Roi, dit-elle froidement, avant de le décapiter.

Elle lâcha ses armes pleines de sang et s'agenouilla avec une infinie tendresse auprès d'Idraïs qui respirait à peine. La guerrière articula difficilement :

- Silya... Te souviens-tu du serment de la Garde ? « Je ne mourrai...qu'une fois ma lame rou... rouge... du sang des... ennemis de mon roi »... Je crois... je crois que j'ai réussi...ma Reine...

Elle eut un pale sourire, puis ses yeux s'embuèrent. Elle toussota légèrement, puis gémit en se tenant les côtes. Des larmes roulèrent sur les joues d'Énaria:

- Tu ne mourras pas, je ne le permettrai pas, tu... Idraïs poussa un doigt sur ses lèvres pour la faire taire. J'aurais dû me rendre, j'aurais dû négocier avec mon fils, j'aurais...

- Tais-toi, souffla doucement Idraïs. Maintenant pars, fuis... prend... prend mon épée... enterre la à ma place... et je t'en pris... continue à vivre. Et ne m'oublie pas... je... je t'aime... Silya...

- Je t'aime aussi ma douce, s'étrangla la Reine.

Alors que la main d'Idraïs retombait et que ses yeux se fermaient à jamais, Énaria s'allongea sur la poitrine de son amie et pleura doucement. Elle ne se releva que plusieurs minutes après, le corps toujours secoué de sanglots. Ignorant ses blessures elle ramassa ses armes qu'elle essuya et rengaina. Elle déboucla le ceinturon d'Idraïs et rangea son épée longue sans l'essuyer, comme le voulait la coutume de la Garde Noire, et le jeta sur son épaule. Elle ne put réprimer un gémissement en le faisant. Avec un dernier regard pour Idraïs, elle se dirigea vers chambre de Morgun, ignorant complètement les autres cadavres.
Elle marcha avec automatisme vers la fenêtre et l'ouvrit en grand. Situé sur un éperon rocheux, le palais royal dominait la vallée du fleuve Zénith. Elle passa sa jambe par dessus la rambarde et sauta avec souplesse sur une petite corniche cinq pieds plus bas.

Elle se trouvait à présent sur un petit promontoire, accroché au mur de l'aile ouest du château. Le fleuve Zénith s'étirait sous ses pieds. Le grand fleuve qui serpentait à travers tout l'ouest du royaume prenait sa source loin au sud, pour plonger ensuite dans une cuvette, donnant naissance au Bronze-lac, un immense lac circulaire qui formait une bonne partie de la frontière avec le royaume Solaris. Sur ce lac s'étaient déroulés les sanglants combats navals de la guerre des Reines. Par la suite le fleuve se changeait en un réseaux de petits cours d'eaux endoréiques allant se perdre dans les lointaines plaines de Solaris. Énaria se retourna vers le mur et avisa une petite ouverture dans la paroi, à peine assez grande pour laisser passer un enfant. elle se mit à genou et s'y glissa de manière fluide.

La reine déboucha dans une petite caverne creusée à même le mur du palais. Elle pouvait à présent se tenir debout. Elle avait découvert ce passage souterrain quelques mois auparavant, alors qu'elle cherchait un moyen de fuir le château depuis sa chambre. Certains contes faisaient état de plusieurs chemins dérobés à l'intérieur du palais, néanmoins peu de plans en avaient conservé une trace. Elle avait toutefois trouvé le journal d'un de ses aïeuls, le prince Cilvo, qui racontait comment il parvenait, une nuit sur deux, à rejoindre sa maîtresse à partir d'un passage dérobé dans les appartements princiers, qu'Énaria occupait désormais. Mesurant sa chance, la reine avait ensuite testé le chemin que Cilvo utilisait environ deux cents ans auparavant. Certaines parois s'étaient effondrées, rendant le passage ardu, et la fin du tunnel était purement et simplement condamnée. Néanmoins Énaria pouvait s'en servir pour atteindre les niveaux inférieurs, en passant par une cave à vin désaffectée.

La Haute-Reine tâtonna autour d'elle et trouva la petite poignée de la trappe en fer découpée dans une paroi. Elle tira dessus de toutes ses forces pour débloquer le panneau qui céda facilement. Retirant alors son baudrier, elle prit dans ses bras ses sabres et l'épée d'Idraïs puis s'assit à l'embouchure de l'étroit tunnel en pente ainsi révélé. Elle s'allongea puis glissa sur les fesses. Malgré le fait que son nez ne se trouvait qu'à deux pouces de la paroi supérieure, elle n'éprouvait aucune claustrophobie. Elle glissa rapidement sur environ de deux dizaines de mètres en ligne droite avant de ralentir sur une pente douce, puis de s'arrêter dans une petite alcôve dans laquelle elle pouvait s'accroupir. Elle se redressa difficilement et chercha une fois encore une ouverture à tâtons. Une fois qu'elle eût trouvé la trappe en pierre, elle poussa dessus avec ses pieds. L'ouverture céda lentement et la reine glissa la tête à l’extérieur.

Comme elle s'y attendait, la cave était déserte. Quelques tonneaux éventrés étaient encore en place, mais la salle avait été vidée de toutes bouteilles. Normalement le passage secret continuait en passant par un trou, puis une salle creusée à même la roche, et finissait par s'ouvrir sur les berges du fleuve Zénith. Malheureusement l'ouverture était complètement obstruée par un éboulement. Elle se hissa dans la cave en sortant par la dalle creuse servant de trappe, puis la remit en place. La reine remis ses armes en place puis se dirigea vers la porte qu'elle ouvrit sans faire de bruit. Se glissant au dehors elle s'avança dans le couloir à la manière d'une ombre. Malgré l'heure avancée de la nuit, il était possible que des serviteurs se trouvent dans les couloirs. Elle tourna deux fois à gauche et s'engagea dans un long couloir étroit éclairé par quelques torches. Ses sens toujours en éveil, elle se déplaça dans les grands axes, en évitant des espaces exigus qu'utilisaient généralement les serviteurs royaux. Entendant un bruit, la reine se colla au mur et tendit l'oreille. Deux gardes passèrent dans un couloir perpendiculaire au sien, mais fort heureusement, ne regardèrent pas dans sa direction. Elle continua sa route, plus silencieuse encore. Elle tourna à droite, et se trouva devant un escalier en colimaçon très étroit. La reine l'emprunta rapidement. Elle descendit sur plusieurs mètres. À présent elle évoluait sous le palais, au cœur de la proéminence rocheuse sur laquelle il était construit. Après l'escalier la reine trottina dans un petit couloir lugubre et peu éclairé puis s'engouffra dans un nouvel escalier. Par la suite elle tourna deux fois à droite et se s'arrêta devant une porte. Elle tira son épée et l'ouvrit à la volée.

Personne ne l'attendait de l'autre côté. La reine rengaina, soulagée, et referma la porte. L'endroit où elle se trouvait tenait plus du box désaffecté que de l'écurie à proprement parler. Il s'agissait d'une ancienne salle où était stationnés les chevaux de certains sous-fifres, gardes du corps d'ambassadeurs par exemple. Elle avait été inondée des années auparavant, lors d'une grande crue du fleuve Zénith. Les eaux du fleuve s'étaient retirées depuis longtemps, mais la salle n'avait jamais été réinvestie par la suite. Énaria y avait fait placer dans le plus grand secret son coursier le plus rapide quelques semaines plus tôt. Elle avait dû abandonner l'idée de fuir sur le dos de son étalon de guerre favori, qu'elle utilisait pour le combat ou pour défiler à la tête de ses troupes. Elle rejoignit le box où se trouvait sa jument. La reine lui caressa doucement l'encolure avant de la seller. Dans les fontes de sa selle elle avait prit le soin d'ajouter une de ses armures. À la base écarlate, elle avait fait ternir son haubert pour le rendre moins voyant. Il était à présent de couleur gris noir tout en gardant tout de même de forts reflets cramoisis. Elle avait également placé dans les fontes un sac contenant quelques centaines de pièces d'or ainsi que des bijoux de valeur, des vêtements propres, plusieurs cartes de la région, et des vivres pour une semaine. Elle emportait aussi un carquois remplit de carreaux, une arbalète de la meilleure qualité ainsi qu'un assortiment de dagues. La reine détourna les yeux lorsqu'elle vit le cheval d'Idraïs, prêt à partir, qui attendait sa maîtresse. Elle se dirigea vers une lourde porte en chêne qu'elle ouvrit en retirant la grosse barre qui la bloquait, débouchant sur les rives du Zénith. Énaria changea rapidement de vêtements et se promis de jeter le plus rapidement possible les siens dans le courant. La reine conduisit sa jument au dehors, l'enfourcha et parti au trot sur les berges du fleuve, après avoir refermé la porte.

Après s'être éloignée quelques peu du château la reine lança son cheval au galop. Son fils devait être en train de se demander pourquoi ses hommes ne revenaient pas. Il fallait qu'elle s'en aille au plus vite. Elle talonna son cheval et fila à travers les plaines agricoles encore endormies. Après une heure de chevauchée Énaria fit grimper sa jument sur une petite butte et se retourna sur sa selle. La capitale de son royaume se découpait dans la brume. Elle regarda l'endroit où elle avait passé sa vie entière, elle regarda les terres qu'elle avait défendues, dirigées, aimées. Elle admira son royaume aux premières lueurs de l'aube. Alors que le jour pointait, elle senti soudain une profonde fatigue l'envahir. Énaria avait préparé sa fuite pendant des semaines, mais quitter sa terre était tout de même un déchirement. Idraïs était morte, ainsi qu'un bon nombre de ses serviteurs loyaux, et de ses quelques amis. Seuls trois de ses gardes du corps avaient été mis dans la confidence de sa fuite.

C'est alors que la reine prit conscience de la terrible réalité. Jamais elle ne pourrait reconquérir son trône. Elle ne se résignerait pas à une guerre ouverte avec son fils. Jamais elle ne pourrait fouler sa terre en femme libre. Et jamais plus elle ne tiendrait son enfant dans ses bras. Des larmes lui vinrent. « Indigne d'une princesse » aurait dit son père. Mais elle n'était plus rien désormais, ni princesse, ni reine. Elle n'était plus Énaria Première, Haut-Roi de Tous les Alizés. Idraïs l'avait appelée « Silya ». A sa naissance ses parents l'avaient nommée Énaria-Silya. Néanmoins, après son mariage, elle était montée sur le trône en prenant le nom royal de la sœur jumelle de son père, Énaria. Sa mère étant morte en lui donnant naissance, c'était cette tante qui lui avait servit de tutrice féminine. Silya avait été son prénom de princesse, utilisé seulement par son père, son époux, sa tante, et plus récemment par Idraïs, dans la sphère privée. Prénom relativement commun en Alizé surtout chez les petits nobles et les bourgeois, il serait désormais le sien. De sa main gauche elle dégaina un de ses sabres et, à la lumière du jour naissant, y regarda son reflet. Des paupières lourdes fatigues, une peau légèrement bronzée et des yeux verts pâles apparaissaient dans la lame. Elle avait les cheveux châtains, mais ces derniers mois, plusieurs petites mèches blanches étaient apparues. Son corsage laissait apparaître une large cicatrice remontant jusqu'au sommet de sa gorge. En rangeant son arme elle se sentie plus lasse et plus triste qu'elle ne l'avait jamais été. La main posée sur la garde de son sabre, elle partie vers le sud. En galopant au levé du Soleil Silya se mit à pleurer longuement, vivement, terriblement...

[center]
***[/center]

[b]An 1377 du Quatrième Âge, quelque part au large des côtes sud de Sierma[/b]

La [i]Voile d'Uther[/i], le sloop de commerce du capitaine Victor Ruinmer, fendait les eaux noires où se reflétait la Lune. Trovv cracha par-dessus le bastingage et observa l'horizon longuement. Une voix le tira de ses rêveries. C'était Ernest, un jeune matelot aux cheveux noirs et aux yeux durs.

- Comment vas-tu Trovv ? demanda-t-il.

- Ça peut aller, répondit-il. Mais je n'aime pas ça, on transporte des armes, de l'or, et des vivres, trois raisons de se faire attaquer...

Le vieux marin cracha une nouvelle fois dans la mer puis caressa son crâne chauve et passa sa main dans son épais collier de barbe.

- J'ai peut être une anecdote qui va t'intéresser, lui confia son compagnon. Parmi les mercenaires qui nous accompagnent, il s'en trouve un peu commun. Maigre comme un clou et rapide comme un lièvre. Des cheveux bruns constellés de mèches grises. Il a eut une altercation avec un autre, une masse de muscles, portant un grand espadon dans le dos. Je croyais qu'il n'allait en faire qu'une bouchée. Au final il ne l'a pas touché une seule fois. En trois coups, son adversaire l'a mit au tapis, et sans transpirer. J'ai voulu lui dire deux mots après le combat, mais il s'est éloigné. Pas commode, le gars.

- Tu sais petit, grommela Trovv, dans les ports, au cours de ma vie, j'en ai vu des jeunots terrasser des gros bras, des vieux os rosser des montagnes. Je l'ai moi-même fait dans le temps. Ton histoire ne m'impressionne pas. Mais par curiosité, tu connais son nom, à ce mystérieux lutteur ?

- Oui, sourit Ernest. Il se nomme Cilvo. Modifié par Loup Noir
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[quote]ur de ma vie, j'en ai vu des jeunots terrasser des gros bras, des vieux os rosser des montagnes. Je l'ai moi-même fait dans le temps. Ton histoire ne m'impressionne pas. Mais par curiosité, tu connaît son nom, à ce mystérieux lutteur ?[/quote]

J'ai repéré une petite faute à la fin !


Pour le fond, je dois dire je suis surpris ! C'est un long passage que tu as mis là et généralement je trouve ça trop long. Mais l'allure que tu as pris dans ton histoire lance bien les choses et je me suis vraiment bien mis dedans. Tu nous as fait quelque chose de qualité.

On a donc pour l'instant une mise en forme de la situation mais du coup on sait pas trop quel sera le but de l'histoire, j'attends la suite pour savoir ce qu'il va se passer ;)

@+
-= Inxi =-
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  • 2 semaines après...
Bien le bonjour ! Tout d'abord je remerci Inxi pour ses impressions, j'en tiendrai compte. Je vous livre donc la suite, en retard de quelques jours, excusez-moi. J'y détaille un peu plus le continent, du coup j'espère pouvoir élaborer une carte un de ses jours, si j'arrive à produire quelque chose de potable. Je m'excuse aussi pour la fin, que j'ai bouclé de manière rapide, et dont je ne suis pas spécialement content... Ceci étant dit, je vous souhaite une bonne lecture !
[b][center]
Le Havre des Reines[/center][/b]

[u][b][center]
Chapitre I[/center][/b][/u]

Une heure à peine avant l'aube Soli s'éveilla. Il garda les yeux fermés quelques secondes avant de se lever en s'étirant longuement. Après quelques assouplissements des bras et des épaules l'homme ouvrit le couvercle du petit tonneau d'eau qu'on lui avait fournit. Il s'aspergea le visage, en prenant bien soin de gâcher le moins possible. Il redressa la tête, des gouttes dégoulinant de ses favoris blonds. Soli passa une chemise dépareillée, puis un lourd tablier de cuir par-dessus. Il s'équipa de chausses légères et de bottes en cuir souple, puis tira d'une poche de sa chemise un petit flacon d'alcool de pomme dont il but quelques gouttes, pour enfin sortir de sa petite cabine individuelle.

Il se dirigea d'un pas vif vers la poupe du bateau et descendit une volée de marches pour se retrouver dans une pièce de taille moyenne qui servait de cuisine. L'homme se dirigea vers un gros baril dont il souleva le couvercle avec précaution. Il en sortit un gros morceau de viande de bœuf salée, puis se dirigea vers un buffet qui, une fois ouvert, révéla une petite collection de bouteilles. Soli en extirpa une bouteille de vin rouge dont il se servit un verre. S'asseyant à l'épaisse table en bois qui faisait office de plan de travail, il entreprit de dévorer la viande, puis vida son verre. Soli avait depuis des années conquit le capitaine Ruinmer avec les plats raffinés et nourrissants qu'il arrivait à préparer en pleine mer en tant que cuisinier de la [i]Voile d'Uther[/i]. En échange le capitaine fermait les yeux sur son goût pour la viande rouge et sur son alcoolisme chronique. Le cuisinier acheva son court repas puis se mit au travail. Il devait prévoir à manger pour l'équipage et les trente mercenaires qui s'étaient ajoutés à son bord.


Le capitaine Victor Ruinmer versa un doigt de liqueur de cerise dans deux petits verres, en tendit un à Torig, et l'invita à prendre place en face de lui. Le nain à la barbe blanche s’exécuta. L'homme se tenant devant lui était fin et élancé, rasé de frais et, malgré son âge mûr, sa chevelure était uniformément noire. Deux grosses rides entaillaient tout de même le creux de ses joues. La cabine du capitaine était spacieuse et meublée aussi richement que pouvait l'être une pièce de ce genre. Une table de bois vernis était installée en son centre, encerclée de quatre fauteuils et de quelques tabourets. Dans un coin se trouvait une vaste couchette près de laquelle se dressait une bibliothèque remplit d'ouvrages de navigation, de récits de voyage, de cartes maritimes. Étonnement, le capitaine possédait également des ouvrages d'histoire politique, notamment une saga en cinq volumes détaillant la formation de la République Elfe, loin à l'est, écrite par l'érudite Asturia Solinna, que Torig avait eut l'occasion de feuilleter autrefois. Les bouteilles étaient stockées dans un petit buffet sous un hublot. La cabine comprenait enfin deux coffres, l'un chargé de vêtements, l'autre, plus petit, d'instruments de navigation. Victor Ruinmer rangea le flacon de liqueur de cerise, puis sorti délicatement trois cartes de l'étagère et les déroula sur la table. Il s'assit enfin dans son fauteuil et avala une gorgée de liqueur.

- Nous nous situons environ ici, - il désigna un point sur une des cartes - au large de la côte de Béryl. Il nous faudra encore trois ou quatre jours de navigation pour atteindre l'émirat de Kraal. Je pense que faire un crochet vers le sud est nécessaire pour éviter les attaques, bien que cela nous rallonge le voyage.

Torig observa la carte. Elle représentait les mers du sud, les côtes méridionales de Sierma et la grande île au centre de laquelle se trouvaient les elfes du Domaine de Céläastra. Il eut un grognement. [i]Oreilles pointues.[/i] Sur la deuxième carte le nain pouvait voir certaines contrées du sud du continent, notamment le Royaume du Zénith et l'émirat de Kraal. La troisième détaillait les provinces ouest de l'émirat et le port de Mhadiya, leur destination.

- Je comprends, dit le nain. Aucune piraterie ne sera tentée en haute mer à proximité des dromons de Céläastra... Mais ne crains-tu pas une attaque des elfes eux-mêmes ? Cela s'est déjà vu par le passé.

- J'ai souvent navigué dans leurs eaux. Jamais ils ne m'ont posé de problèmes. Mais assez parlé du chemin à prendre, mon ami. Parle-moi de la guerre vers laquelle tu amènes tes mercenaires.

Torig soupira. Les elfes et les nains ne s'étaient jamais fait confiance. Leurs modes de vie, leurs visions du monde étaient par trop opposées. De plus, plusieurs guerres communes avaient marquées l'histoire des deux peuples, qui n'avaient jamais combattus côtes-à-côtes. Ces derniers siècles les dirigeants de nations elfes et naines s'étaient rapprochés et entretenaient à présents des relations pour le moins cordiales. Malgré tout, le peuple, dont était issu Torig, avait toujours un certain mépris pour les [i]oreilles pointues.[/i] Il regarda rapidement le capitaine. Les deux hommes se connaissaient depuis près de vingt ans maintenant et avaient combattu ou navigué ensemble à plusieurs reprises. Il garda le silence tandis que son ami tirait d'une poche intérieure une longue pipe d'ébène et d'ivoire, qui lui avait coûté une petite fortune, crut se rappeler Torig, qu'il remplit de tabac prélevé dans le pot en terre cuite sur la table. Pendant qu'il l'allumait le nain répondit :

- La guerre s'est déclenchée il y a deux mois. Pour l'instant il n'y a eut que quelques escarmouches, et une embuscade contre un convoi diplomatique de l'émirat de Kraal. Il y avait un différent territorial entre l'émirat et le Royaume du Zénith, à propos de la Vallée de la Magicienne - il désigna le cours d'une rivière sur la carte continentale. Le litige est issu d'une descendance plus ou moins légitime, de l'un ou l'autre des partis. J'ai oublié les détails de l'histoire.

- Tu ne semble pas très bien informé, se plaignit Victor Ruinmer. Pourquoi as-tu choisi de venir en aide à Kraal, plutôt qu'à son adversaire ?

- Eh bien, ricana le nain, tout simplement parce que l'émirat est accessible par la mer, et que le bateau de mon ami Victor mouillait à Muunrode, près de là où je me trouvait avec ma compagnie. Disons aussi que l'émirat est plus riche, la récompense sera conséquente. Que veux-tu ; nous ne sommes que des mercenaires, nous ne nous occupons pas de politique, la guerre nous paye. C'est toujours mieux que de finir brigands.

- Je t'ai connu moins pragmatique, Torig, lui dit son ami. Je t'ai vu il n'y a pas si longtemps aiguiser ta hache pour des guerres que tu jugeais justes, et refuser des contrats lucratifs pour des hommes que tu jugeais mauvais.

- Je me bats depuis plus d'un demi siècle Victor, j'ai cessé de croire aux guerres justes. Je crois seulement que certaines sont pires que d'autres. Ce n'est pas le cas ici. Rien à voir avec... avec ce qu'il s'est passé il y a cinq ans.

Torig sorti une courte pipe de la poche intérieure de son manteau. Tout en la bourrant il repensa à la dernière fois qu'il avait bataillé aux côtés du capitaine. Le bateau de Victor avait coulé peu de temps auparavant, si bien qu'il avait dû, faute de moyens, s'engager dans la compagnie de Torig pour vivre. Une guerre civile, au sein d'un petit état. Mais même les cinquante ans de vie militaire de Torig ne l'avait pas préparé au carnage que les deux amis avaient découvert, à peine entrés dans une ville qu'ils venaient d'aider à libérer. Aucun survivant, des corps brûlés partout, mutilés, plusieurs enfants écorchés, l'arrière pays pareillement ravagé. L'étendue du massacre était telle qu'il arrivait encore au nain d'en faire des cauchemars. Mais ces crimes avaient été motivés par une animosité mortelle entre deux camps irréconciliables, et par des chefs militaires et politiques particulièrement brutaux. La guerre entre Kraal et le Royaume du Zénith était un conflit d'intérêts, de conquête, les chances qu'il dégénère étaient infimes. Le nain alluma sa pipe avec le briquet à silex que lui tendait Ruinmer et en tira quelques bouffées. Ces derniers temps, il sentait de plus en plus le poids de ses soixante et onze ans.

Le capitaine cracha un peu de fumée, puis reprit la parole :

- Il y a eut hier un incident sur le pont. Deux de tes hommes se sont battus. Tu sais ce que j'en pense, sous mes voiles, ma loi, ma discipline. Que ce genre de choses se reproduise et tes deux marioles finiront aux fers, voire directement dans les vagues.

Le nain acquiesça. Le ton était calme et maîtrisé, mais chargé de reproches.

- Ils ne recommenceront pas, j'y ai veillé. Les nouveaux venus, ils faut toujours les recadrer. Enfin j'en ai vu d'autres.

Il avait exigé que les deux mercenaires lui versent vingt pièces d'or chacun, une petite fortune, et avait fait comprendre à Urge, l'initiateur de la bagarre, qu'un nouveau dérapage lui vaudrait une expulsion de la compagnie, et si le bateau naviguait toujours, une mise aux fers et une confiscation de ses biens. Victor eut un petit rire sans joie.

- Tu sais Torig, lui dit-il, tu me fais penser au vieux phare de mon grand-père, construit sur un îlot près de la côte de Béryl. Il voyait passer les navires et les tempêtes, et il restait là, inamovible vigilant des côtes... Les recrues et les guerres passent, tu sillonnes toujours le Sud, avec tes mercenaires. J'espère que tu es content de tes nouvelles têtes.

- Je ne suis pas déçu, grommela le nain que la comparaison du capitaine amusait. Urge est une brute épaisse, mais il est doué à l'épée, et dans la bataille, il obéit strictement aux ordres. Logi, un petit aux cheveux blonds, est un archer exceptionnel. Ils sont dans la compagnie depuis deux mois environ. Quelques heures avant d'embarquer, j'en ai recruté un autre. Il est assez vieux pour un humain, un peu plus de la moitié de mon âge. Néanmoins j'ai eus l'occasion de le voir se battre, c'est une fine lame, et il réfléchit bien. Et puis il y a Cilvo, qui nous a rejoint une semaine après Urge et Logi. Superbe en combat au corps à corps, avec tout type d'arme, bon à l’arbalète. Il m'a sauvé la vie alors que nous défendions une ville assiégée. Une magnifique contre riposte. - Il plongea les yeux dans ceux de son ami. Et tu veux connaître le plus intéressant ?

- Je crois que je le sais déjà, lâcha Ruinmer avec un fin sourire. C'est une femme.


Arthelor Fend-Tribord observait l'horizon de la vigie perchée au sommet du plus haut mat de [i]La Main du Roi Highlin[/i], l'une des plus puissantes galères de guerre de la flotte du Domaine de Céläastra. La mer était calme et le navire fendait les vagues rapidement, profitant d'un avantageux vent arrière. Le cap était maintenu au nord-est, en plein sur la côte de Béryl. L'elfe aux yeux vermeils huma profondément l'air marin et étira ses bras au-dessus de sa tête. Il se relâcha soudain et toucha le sol de la paume de ses mains sans plier les genoux. Il fit jouer son épée dans la gaine de cuir qu'il portait à la hanche droite, puis la dégaina totalement. Arthelor exécuta quelques mouvements fluides pour délier son poignet, sur la droite, puis au-dessus de sa tête et sur la gauche. Enfin il rangea sa lame.

L'elfe était grand, de port altier, et relativement large d'épaules. Malgré le fait qu'il faisait quotidiennement de l'exercice, il avait toujours eut un peu de ventre. Au fil des décennies il s'était accommodé à ce trait. Il passa ses mains sur son crâne rasé. Certains elfes, loin dans les terres, n'avaient pas la moindre trace de barbe sur leurs visages. Néanmoins, il n'était pas rare que les habitants du Domaine de Céläastra soient affublés d'une pilosité sur les joues. Sur celles d'Arthelor, le poil était roux sombre, presque rouge. Dans un soucis d'élégance, il portait d'épais favoris en adéquation avec la couleur de ses yeux. Du fait de sa stature imposante, de sa voix puissante et de sa noble naissance il était l'archétype du chef. Sur son pont, chaque individus respectait son autorité. Bien qu'il ne soit pas un combattant de premier ordre, l'elfe était un fin tacticien, reconnu à travers tout le Domaine.

Arthelor avait gagné son surnom de « Fend-Tribord » une dizaine d'années auparavant lors de la bataille finale de la Guerre du Vieux-Prince. N'étant que fils d'un noble d'envergure et de puissance modeste, on lui avait confié une petite flottille D'une vingtaine de boutres, aisément maniables. C'était toutefois son audacieuse manœuvre à tribord qui avait permit à la flotte royale une percée décisive. En retour la reine l'avait fait amiral et avait ordonné la construction du dromon[i] La Main du Roi Highlin[/i], dont il était désormais le capitaine.

Ce nom était à la fois glorieux et tragique. À la mort du roi Highlin, une guerre civile s'était déclenchée entre son oncle Neflindel et sa fille Ivawen. Dans le Domaine de Céläastra, des troubles éclataient à presque chaque successions entre les différents membres importants de la famille royale. Seulement ils étaient souvent de courtes durées, et le personnage le plus influent émergeait rapidement. Le roi Highlin, valétudinaire, n'avait au final régné que quatre an, et son oncle, longtemps prince héritier, disposait de nombreux soutiens. Sur son lit de mort Highlin avait désigné sa fille comme héritière, seulement son influence était minoritaire dans le royaume. Ce ne fut qu'au terme de six années de guerre civile qu'Ivawen fut enfin couronnée. Elle avait ensuite fait trancher la main de Neflindel et l'avait enfermé à vie dans un monastère. Surnommé « le Vieux-Prince », elle lui avait imputé la responsabilité de la guerre. Son fils s'était noyé durant la dernière bataille, et ses trois petits enfants grandissaient à l'abri de prisons dorées. Arthelor n'avait pu s'empêcher d'avoir une certaine pitié pour le Vieux-Prince, qui, au final, avait tout perdu.

Le propre père de Arthelor avait, au début du conflit, prit les armes au nom de Neflindel, avant de changer de camp grâce à la diplomatie de Nærisa, la sœur cadette de la reine, à la chevelure aussi rouge que la barbe du capitaine. Ce fut une soirée passionnante pour une femme haute en couleurs. Arthelor sorti de ses rêveries et de sa contemplation de l'océan et reprit son étude des flots. Rapidement il entreprit de descendre du mat. Il y avait du nouveau. Une fois sur le pont il héla un de ses officiers :

- Bodras, lance des appels aux autres navires et demande aux hommes de se tenir près. Nous avons de la visite. Envoie un homme sur le mât. Et débrouille toi pour dénicher mon armure et mon bouclier.

Bodras s'inclina puis parti en aboyant des ordres aux alentours. Arthelor s'avança jusqu'à la proue. Il avait observé un bateau de taille modeste à l'horizon, à peine plus grand qu'un boutre. Un coup d’œil dans sa lunette de navigation lui avait permit de repérer le pavillon bleu azur de la ville de Muunrode, une cité-état commerciale de la côte de Béryl. Sous le drapeau bleu figurait un emblème personnel, un bateau navigant sur des flots rouges sangs. La reine lui avait donné des ordres clairs. Patrouiller entre les eaux de l'émirat de Kraal et la côte de Béryl et y effectuer des saisies de contrebande de guerre. Il devait par conséquent repérer les navires et les aborder en haute mer, puis les vider des possibles armes ou soldats à destination de l'émirat. Son travail s'arrêtait là, il ne devait en aucun cas livrer bataille, selon les termes de l'accord signé deux semaines plus tôt avec le Royaume du Zénith. [i]Rester à tous prix pacifiques.[/i] Muunrode était neutre, tout comme le Domaine. Une galère de guerre et trois boutres elfes feraient assez peur à ce navire pour qu'il ne se risque pas à une bataille navale.

Tæron, son aide de camp, revînt quelques minutes plus tard en traînant un gros sac de cuir. Il en sorti un casque en acier, un lourd plastron, des jambières, ainsi que d'autres sacs plus petits desquels y retira l'intégralité de l'armure. Le capitaine passa un haubert de cuir souple par-dessus sa tunique puis écarta les bras tandis que Tæron sanglait son lourd plastron d'acier et l'ajustait. Il passa ensuite des gantelets et des protections aux coudes. Son aide de camp l'aida à enfiler des jambières en complément de ses bottes, ainsi que des protections métalliques sur ses cuisses. Arthelor ceignit son épée par-dessus son armure, puis coiffa un casque de cuir léger et prit en main son heaume. Son armure était d'excellente qualité, confectionnée par l'un des meilleurs forgeron du Domaine de Céläastra. À la demande de Fend-tribord, ce dernier avait réussi à incorporer à l'acier une teinte bleue horizon, couleur de sa famille. L'emblème de la maison de Arthelor, un dragon de mer endormi, était également incrusté dans le plastron et sur le heaume. Le reptile, dépourvu d'ailes, était enroulé sur lui-même, paupières clauses, en relief plaqué or. Cette armure était avant tout faite pour l'apparat. En tant que marin, Arthelor préférait les tenues légères, lui permettant de nager aisément. Il se revêtait de métal pour les tournois et les cérémonies officielles, et, beaucoup plus rarement, pour certains combats navals. Dans ces moments, il préférait un simple plastron et des jambières à une armure complète. Mais aujourd'hui il représentait la reine Ivawen, il se devait de se vêtir de ses plus glorieux atours. L'elfe regarda le navire se rapprocher. Derrière lui, trois boutres légers chargés de soldats elfes se déployaient. Il se tourna vers son équipage, désormais rassemblé sur le pont et prit la parole d'une voix tonnante :

- Elfes ! Notre bien aimée reine Ivawen nous a confié une mission claire. Je veux que quarante hommes débarquent sur le pont de ce navire et fouillent ses cales à la recherche de toute contrebande de guerre. Si vous en trouvez, rassemblez-la sur le pont et procédez à sa saisie. Je ne veux aucune effusion de sang, pas le moindre incident, est-ce compris ?

Les marins répondirent d'une même voix par l'affirmative.

- Bodras, reprit l'amiral, fait signe aux boutres, qu'ils encerclent ce bateau et le somment de choquer ses voiles et d'annoncer la nature de son chargement et son cap. Dans le cas d'une présence d'armes à destination de l'émirat, fait moi rencontrer le capitaine de ce bâtiment. - Il se tourna à nouveau vers son équipage - chargez les balistes de proues, mais ne tendez pas les cordes, tenez vos armes à portée de main mais ne les sortez pas. Désobéissez à cet ordre et vous passerez par-dessus bord !

Tæron arriva à ce moment là avec le bouclier d'Arthelor. L'amiral s'en saisit et congédia son aide de camp. Il se tourna à nouveau vers les flots et observa ses boutres appréhender le petit sloop. Il espérait de tout son cœur qu'en cas de présence d'armes, nul homme d'équipage ne tenterait une résistance. La cité de Muunrode était perpétuellement neutre depuis près de trois siècles désormais. Il était déjà délicat de saisir une marchandise à bord d'un navire arborant ses couleurs, mais le couler... c'était inenvisageable. Les conséquences diplomatiques seraient désastreuses, sans compter que la reine le ferait mettre à mort immédiatement. À moins de ne laisser aucun survivant, mais jamais Arthelor n'envisagerait d'ordonner un tel massacre.

Une fois que [i]La Main du Roi Highlin[/i] fut assez près, le capitaine ordonna d'un geste de choquer les voiles pour immobiliser le navire. Il regarda ensuite ses hommes investir le pont et le bateau. Bodras conversa quelques instant avec un homme à la chevelure noire, ceint d'une épée et encadré de deux matelots. L'elfe fit un signe à son capitaine à l'aide d'un petit drapeau. Exactement ce que craignait Arthelor. Présence d'armes et de mercenaires. L'amiral se prépara à jouer son rôle.


Cilvo était installé à la poupe de la [i]Voile d'Uther[/i], et perdait son regard dans les couleurs du jour naissant. De nouvelles opportunités, de nouveaux combats l'attendaient dans l'émirat de Kraal. [i]Les elfes... Pourquoi venaient-ils gâcher tout cela ?[/i] Torig était sur les nerfs depuis que leur pavillon était visible et les autres mercenaires étaient restés dans le dortoir commun, situé sous le pont, encore occupés à manger le repas que Soli leur avait préparé. [i]Cilvo...[/i] Silya trouvait qu'utiliser le nom d'un de ses ancêtres avait quelque chose de romantique. Après sa fuite elle avait dû se débarrasser de tous ses effets personnels. Elle avait notamment vendu son armure et son cheval. Par la suite elle avait utilisé une partie de son or pour fuir et se cacher. Bien qu'elle en ait honte, elle avait également dépensé ses richesses pour passer du bon temps et noyer son chagrin dans l'alcool et autres paradis artificiels. Ses cheveux avaient vites blanchis, si bien que désormais le châtain était minoritaire. Et son visage avait prit des rides. Néanmoins, au cours de l'année qui avait suivit sa fuite, on avait failli la reconnaître deux fois. C'était pour cela qu'elle évoluait à présent déguisée en homme.

Silya avait voyagé à travers l'extrême sud-est de Sierma, dans les Arodes, dans la Bande Solitaire et sur la Côte de Béryl. Elle louait ses services de mercenaire, cachant sa féminité du mieux qu'elle le pouvait. Au final elle était restée ce qu'elle avait toujours été, une guerrière. Lors de sa fuite, elle s'était arrêtée au Tertre de Gris-deuil, l'antique tombeau des Rois des Alizés, auquel la famille de Silya, une de ses branches cadettes, avait succéder sept siècles plus tôt en prenant le titre de « Haut-Roi de Tous les Alizés ». Elle y avait enterré l'épée d'Idraïs. Le tertre était inutilisé depuis la période des anciens rois, mais elle voulait honorer sa compagne par ce geste. De sa vie passée, Silya n'avait conservé que ses deux sabres, dont elle avait prit soin de faire ternir les lames, le médaillon en forme d'étoile constellé de diamants que lui avait offert Idraïs, et son alliance de mariage, un épais anneau d'or et d'émeraude, qu'elle portait maintenant autour de son coup, à côté de son médaillon.

Quelques semaines après le début de son travestissement, l'ancienne reine avait bien faillit perdre la vie au cours d'un duel contre un escrimeur de la Bande Solitaire. Le jeune homme lui avait, d'un coup d'épée, tranché une partie de l'oreille droite et imprimé une belle estafilade sur la joue. Elle était ensuite venue à bout de son adversaire, mais avait, pendant quelques semaines, fortement douté de ses capacités. Heureusement, ses récents succès au sein de la compagnie de Torig la rassuraient. Elle s'y était engagée peu de temps auparavant, sachant que le nain travaillait sur un contrat important. Malgré ses efforts, le vieux nain n'avait mit que quelques jours à deviner qu'elle était une femme. À bien y réfléchir, cela n'avait rien d'étonnant, au regard de son expérience et de sa connaissance des gens. Silya lui avait raconté que, fille d'un marchant désargenté du sud Alizéen, elle mettait son talent pour les armes au service des plus offrants, qui embauchaient presque exclusivement des hommes. Le nain ne s'en était pas formalisé pour autant et lui avait promis de respecter son secret. Sans la remplir d'espoirs, le voyage vers l'émirat réjouissait Silya. Elle se tourna vers l'homme qui venait de débarquer sur le pont. Un grand elfe aux yeux rouges. Il portait une belle armure complète ainsi qu'un bouclier doré en forme de losange. Les mercenaires commençaient à être rassemblés sur le pont et les soldats tiraient des cales de grandes caisses remplies d'armes. Silya se rapprocha, les mains sur les poignées de ses sabres. Si il fallait livrer bataille, elle le ferait sans la moindre hésitation. Sa vie était désormais trop vide, trop morne. Et quelle ironie macabre que de mourir en haute mer pour une ancienne reine d'un puissant royaume continental...

À côté du chef elfe, un jeune homme prit la parole d'une voix puissante :

- Arthelor Fend-tribord, de la Famille Uvaron, Amiral des Mers du Levant pour Sa Majesté la reine Ivawen Première la Triomphatrice, capitaine de [i]La Main du Roi Highlin.[/i] Exécutant par-delà les côtes du Domaine de Céläastra la volonté de la reine Ivawen en soutenant son allié du Royaume du Zénith par saisie de contrebande de guerre sur tout navire navigant entre la Côte de Béryl et l'émirat de Kraal, sous pavillon neutre ou du-dit émirat ; l'amiral Arthelor ici présent demande que lui soit remis la-dite contrebande, sans résistance, et se réserve le droit de raccompagner sous escorte les mercenaires se trouvant à bord à leur port d'origine.

- Mes respects au sieur amiral, dit le capitaine Victor Ruinmer d'une voix calme. Mais conformément aux accords de Muunrode, signés il y a de cela plus d'un siècle, et toujours en vigueur dans plusieurs états, notamment le Domaine de Céläastra, je demande de vérifier la date de signature du traité entre le Royaume du Zénith et le Domaine. Si sa date est postérieure à notre date d'embarquement, soit il y a neuf jours, je crains fort que nous ne pourrions accéder à votre requête.

Tandis que l'aide camp sortait un parchemin soigneusement roulé de sa poche intérieure, Silya remarqua que l'amiral restait parfaitement immobile, impassible. Tout était sûrement en ordre. La nouvelle de la signature du traité entre les deux pays ne devait tout simplement pas être connue de Ruinmer lorsqu'ils avaient appareillé. Elle remarqua tout de même que Torig avait l'air nerveux, tripotant sans cesse sa hache de guerre et tirant rapidement sur sa pipe. Ruinemer observa le parchemin et en quelques secondes tout fut réglé. Ce fut au tour du dénommé Arthelor de s'avancer et de parler :

- Je demande désormais aux mercenaires de se rassembler sur le pont et de se répartir dans les boutres de mes hommes. Bodras, prend une dizaine d'homme et déplace les armes sur le pont de mon navire. Capitaine Ruinmer, lorsque nous auront terminé nos transactions vous pourrez reprendre votre route. Notre mandat ne couvre que les armes et les soldats. Nain, - Torig leva les yeux vers lui - vous et vos hommes pouvez retourner vers Muunrode, mais si vous désirez nous accompagner vers Céläastra, nos ports vous sont ouverts. Notre reine bien-aimée a toujours besoin combattants.

Le nain le regarda quelques secondes, puis se dirigea vers ses hommes en lui tournant le dos. Silya observa les elfes à l’œuvre. Elle ne put s’empêcher d'admirer leur discipline. Trois hommes, récemment arrivés, ainsi que, plus étonnant, l'un des quatre nains que comptait la compagnie décidèrent de se rendre à Céläastra. Lorsque que le chargement des navires fut terminé Silya hésita. Elle regarda l'océan, puis le capitaine Ruinmer et Torig, toujours sur le pont, et enfin le grand elfe. La reine déchue poussa un soupir, toucha rapidement sa gorge, puis s'avança lentement vers les elfes. Modifié par Loup Noir
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[quote]dont il [b]bu [/b]quelques gouttes, pour[/quote]

[quote]Il en [b]sorti [/b]un gros morceau de viande de bœuf salé[/quote]

[quote]Oreilles [b]pointus[/b].[/quote]
[quote]
[b]voir [/b]directement dans les vagues.[/quote]

Voilà les fautes que j'ai trouvées ! C'est principalement des accords donc hésite pas à bien te relire !

Pour le fond, on a commencé à mettre en place l'histoire et on se doute que ça va maintenant partir en vrille. Voyons les conséquences de ce qu'il se passe :P

@+
-= Inxi =-
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Bonne initiative que de reprendre un récit, en espérant que tu ne te décourages pas, malgré les périodes de creux / d'exams ou de manque d'inspiration qui se feront naturellement sentir... Quoiqu'il en soit, j'ai globalement apprécié ton récit. Style sans prétention. Actions claires. Tu ne nous bombardes pas d'informations indigestes sur ton univers. Quelques hics : pas mal de fautes d'orthographes assez vilaines et quelques phrases un peu plates.

[quote]un écu décoré en son centre d'un taureau d'or[/quote]

Pléonasme

[quote]La femme à la chevelure ébène [b]tripota[/b] son [b]épée[/b] [b]longue[/b][/quote]

Quelle coquine cette Énaria.

[quote]Elle [b]bénit[/b] sa vigilance, qui lui faisait se vêtir chaque soir de dessous de combat, pouvant grâce à une simple traction sur un lacet lui comprimer la poitrine, empêchant toute gène[/quote]

Bénit avec un t. Sinon je n'ai pas compris le sens de cette phrase.

[quote]Un peu moins vieux qu'Énaria[/quote]

Voyons, on ne dit pas ça d'une femme, encore moins d'une reine.

[quote]Trevor[/quote]

Je ne prétends pas être un modèle d'inspiration quant aux noms de mes personnages mais franchement, Trevor...

[quote]Peu m'importe que tu serve ma famille depuis ta naissance. Peu m'importe que mon père t'ait fait entrer dans la Garde Noire, dont je t'ai confié le commandement. Que l'on se connaissent depuis trente ans. Tu es déjà mort.[/quote]

J'ai trouvé la formule beaucoup trop directe et très maladroite pour nous parler du background.

[quote]En galopant au levé du Soleil Silya se mit à pleurer longuement, vivement, terriblement...[/quote]

Cette dernière phrase est de trop. Tu cherches à forcer l'empathie du lecteur. Dommage car le paragraphe précédent se suffit à lui-même Tu peux supprimer cette phrase un peu plate sans souci.

[quote] des vieux os rosser des montagnes[/quote]

J'aime beaucoup cette expression.


Ton récit a du potentiel. J'ai pris du plaisir à le lire. Attention cependant à l'avenir. Parler d'une Reine et non d'un Roi change un peu la donne. Pour toi ce sera un exercice plus intéressant. A condition que tu ne la transformes pas en objet de tes fantasmes. Tu sais, ce genre de Reines peu vêtues qui "tripottent de longues et dures épées".


[b]Deuxième Post à venir[/b]
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  • 2 semaines après...
Bonsoir. Voici la suite. J'ai tenté de faire un chapitre sans dialogue, déjà parce que ce n'est pas ce que je préfère, et parce que j'avais envie de faire un test. Don je ne sais pas ce que ça va donner. Toutes vos remarques sont évidement les bienvenues.



[u][b][center]
Chapitre II[/center][/b][/u]

[b]An 1377 du Quatrième Âge, côte méridionale de l'île elfe de Céläastra[/b]

Le grand port de de Vermelhäa était situé dans une petite rade au sud-est de l'île de Céläastra. [i]La Main du Roi Highlin[/i] avait fait voile au sud-ouest pour atteindre le plus grand débarcadère militaire du pays elfique. La taille de la base était assez réduite, mais la réputation des galères de guerre qui y mouillaient n'était plus à faire. De plus, protégé par le golfe des vents et des tempêtes, le port était une place forte que beaucoup jugeait imprenable par la mer. Lors de la Guerre du Vieux-Prince, le port, fidèle à la princesse Ivawen, fut néanmoins bloqué et bombardé par les navires de Neflindel pendant presque cinq ans, empêchant toute sortie. Depuis, la ville avait été rebattit, et la reine avait créé une longue muraille qui la reliait à la capitale, Céläastra, située à quelques lieues de là. En traversant le port, Silya avait été éblouie par l'architecture de la ville, toute en vrille, faite d'immeubles de plusieurs étages. Les habitations des détenteurs du pouvoirs, appelés Magisters se situaient non loin de l'eau. À Vermelhäa, la charge de Magister était quasiment exclusivement liée à celle de capitaine ou de constructeur de navires. En traversant la muraille, l'ancienne reine avait pu admirer les toits de la villes. Tous d'un rouge éclatant, ils offraient au levé du jour un paysage magnifique.

Une fois embarquée sur [i]La Main du Roi Highlin[/i], Silya avait eut l'occasion de discuter avec plusieurs membres d'équipage. Les plus informés lui avaient parlé de l'accord économique passé avec le Royaume du Zénith, et lui avait résumé de manière nébuleuse la situation politique de Céläastra. Bien évidement, elle avait entendue parler de la Guerre du Vieux-Prince, et avait elle-même accueillit des diplomates de Neflindel, du temps où il régissait la majeure partie de l'île. Depuis la fin de la guerre toutefois, aucune ambassade insulaire ne s'était présentée dans le Royaume Alizé, et peu de nouvelles avaient filtrés jusqu'à elle. Apparemment, si la guerre avait marqué les esprits, les elfes étaient à présents rassemblés derrière le vainqueur. Silya, occupée à l'époque du conflit dans la résolution de ses propres guerres, évoluait aujourd'hui sans à priori envers l'un ou l'autre des anciens belligérants. Elle avait aussi apprit que se tiendrait dans quelques jours un grand tournoi dans la capitale, pour célébrer le quarante-deuxième anniversaire de la reine Ivawen. La récompense offerte au vainqueur serait apparemment conséquente.

En visitant le port, elle s'était attardée quelques temps au sommet du Cap de Svinrile, apparemment baptisé ainsi en hommage à la mère de la reine Ivawen, qui constituait le point le plus à l'est de l'île, et la partie nord de la rade de Vermelhäa. Bien que les eaux soient calmes en cette période, de grandes vagues battaient les falaises du cap avec une extrême violence, de même que les vents, venus de l'océan, ou plus rarement de l'île elle-même. Devant l'impétuosité et la puissance brute des éléments, Silya s'était sentie particulièrement insignifiante et fragile, sensation qu'elle n'avait que peu connue au cours de sa vie, même après son exil forcé. Cette sensation l'avait également assaillie lorsque, quelques heures avant son débarquement, Céläastra lui était apparue pour la première fois. Après avoir écouté les récits exagérés d'un vieux matelot sur le pont de [i]La Main du Roi Highlin[/i], l'ancienne reine avait développé une vision amusée de la patrie des elfes. Néanmoins, lorsque après plusieurs jours de navigation en haute mer, dans un désert d'eau salée, les côtes de l'île s'étaient découpées à l'horizon, Silya avait eut l'impression que la gigantesque forme insulaire s'étendait jusqu'au bout du monde. Bien qu'elle préfère, en fille des terres, la sûreté continentale à la fureur de la mer, elle ne pouvait qu'apprécier le spectacle qu'offrait l'océan et s'émerveiller devant la beauté singulière d'une grande île baignée par les eaux.

L'ancienne reine marchait à présent sur la grande muraille reliant Vermelhäa à la ville de Céläastra. Érigée récemment, elle coupait le sud-est de l'île, la province d'Hingore, en deux. À son extrémité nord se trouvait le vieux centre urbain de la capitale. La ville, excentrée au sein de l'île, s'entendait ensuite vers l'ouest et le nord. Comme il faillait environ un jour complet de marche pour la traverser, la muraille était parsemée à chaque tiers du trajet d'une auberge pour voyageurs, creusée à même la roche. Plusieurs petits fortins étaient également construits sur l'édifice, qui avait avant tout un but défensif. Malgré la présence d'auberges, il n'était pas rare, compte tenu les prix prohibitifs des chambres, que les personnes voulant se rendre d'une ville à l'autre dorment à la belle étoile, la tête appuyée contre les créneaux, au risque d'être délogé par des gardes en patrouille. Toutefois, Silya avaient remarqué durant sa traversée beaucoup d'elfes dormant là, le trajet par la grande muraille étant bien plus sécurisé que celui qui passait par la grande route, longeant les murs en contrebas. La longue fortification, large d'une bonne quinzaine de pieds, était une merveille architecturale, et apparemment, la fierté de la reine Ivawen.

La guerrière avait put pendant sa marche et la nuit passée dans l'une des chambres basses de l'auberge centrale, admirer la panorama de cette partie de l'île de Céläastra. La province d'Hingore était relativement haute et largement vallonnée. On pouvait voir d'immenses rochers polis par l'érosion, desquels s'écoulaient de fins ruisseaux, s'élever au-dessus de la grande forêt de conifères présente dans tout le sud-est de l'île de Céläastra. Ces grandes roches étaient percées en de multiples endroits de trous et de grottes de tailles variables qui semblaient servir de repères aux brigands. Deux rivières serpentaient dans la partie ouest de la province, pour ensuite se rejoindre et courir à la mer. Elles prenaient naissance sur un haut plateau un peu plus au nord. En cela, l'ouest de la muraille était plus vallonné que l'est, plus plat, mais avec également plus de dénivelées raides, près de l'océan. L'ouest, du fait de ses collines et de ses vallées cultivables plus nombreuses semblait plus riche que l'est, par excellence repère de bandits de grands chemins. De part son expérience de reine régente, Silya pouvait voir tout cela en portant son regard aux alentours. La construction de la muraille permettait de désenclaver l'ouest d'Hingore, et de le rattacher plus en avant au pouvoir de la capitale, tandis que les fauteurs de troubles étaient contenus dans l'est, enfermés entre la mer et plusieurs édifices militaires.

Arrivée aux alentours de Céläastra, la guerrière descendit un escalier qui s'enfonçait brusquement dans la terre. En tombant vers le sol, la muraille se transformait en tunnel, éclairé régulièrement par quelques torches. Après quelques minutes de marche dans la pénombre elle se présenta devant quatre gardes elfes, en armures argentées, portant de longues piques et des boucliers en forme de losanges. Silya paya la taxe d'entrée demandée, cinq pièce d'or, pour ensuite continuer sa route. En levant la tête elle s'aperçut que deux épaisses herses de granit pouvaient coulisser du toit et être refermées derrière elle, condamnant l'accès à la cité. Le tunnel était par ailleurs interdit aux voyageurs dans l'impossibilité de payer la taxe d'entrée, qui se voyaient refoulés aux portes principales de la ville, soit dans la plaine en contrebas. Le tunnel continuait ainsi sous terre pendant environ une lieue pour remonter ensuite rapidement vers la surface. L'ancienne reine entama l'ascension du grand escalier pour rejoindre la vieille ville de Céläastra. Au fur et à mesure qu'elle montait, l'air se faisait plus pur, plus léger. Le terrain redevînt plat, puis après un angle à trente degrés, Silya passa devant deux gardes qui lui jetèrent un bref regard et continua dans un couloir en pente douce pour enfin émerger à l'air libre.

Elle passa sous une grande arche et déboucha dans large rue pavée. L'ancienne reine retrouva cette architecture si particulière d'immeubles cylindriques avec des habitations accrochées en vrille tout autour. Les habitations étaient construites en pierre avec des colombages de bois. Sans être très grands, les bâtiments étaient tout de même impressionnants. Au loin Silya pouvait voir une grande colline sur laquelle était bâti un temple monumental, surmonté d'une grande tour qui dominait la ville. Derrière se dressait aussi un large donjon sur lequel flottaient plusieurs étendards et, au-dessus de tous les autres, fièrement dressé contre la brise, une rose-des-vents d'or sur champ cramoisi. Silya sourit. La demeure royale était magnifique et respirait la puissance. L'ancienne reine eut un pincement au cœur. Elle décida de continuer sa visite de la ville.


Hroar Erlîn était morose. Il venait de franchir les portes massives de la cité de Céläastra. Arrivé à l'extrémité de la muraille, il avait proposé aux gardes de payer la taxe pour passer dans le tunnel, mais ils l'avaient renvoyés sans ménagement à la porte principale, sans cacher qu'ils agissaient ainsi du fait de sa condition de nain. Il avait hésité à leur cracher aux pieds pour manifester son mépris, mais s'était ravisé. Les vieilles rancunes avaient la peau dure par ici... À quarante-neuf ans Hroar était encore jeune selon les critères de son peuple. Il appréciait la relative sagesse que lui conférait son expérience. Deux décennies plus tôt, il aurait sûrement mit ce garde et son arrogance au tapis à coups de poings. Seulement il avait participé aux guerres d'Opale, opposant un roitelet elfe à un prince humain. Simple mercenaire, il y avait côtoyer des elfes de bases et de nobles conditions, combattu dos à dos avec eux. Certains soldats étaient même devenus ses amis. Il cracha par terre. [i]Les rancunes...[/i] C'était bien à cause de cette vieille querelle entre les elfes et les nains qu'il vivait en tant que mercenaire exilé depuis un quart de siècle. Il regarda rapidement les alentours. Il y voyait des rues de terre battue et des masures. Au coin d'une ruelle, deux filles de joies pulpeuses aux oreilles pointues riaient entre elles, au sortir d'une taverne un vieil homme titubant criait des injures aux maisons et au ciel, tandis qu'un jeune homme marchait rapidement en marmonnant en elfique insulaire. Quelques petits groupes d'elfes, hommes ou femmes, discutaient à voix basses sous des porches. Le nain continua son chemin. [i]Les ghettos sont décidément tous les mêmes...[/i]

Si il avait décidé de se rendre sur l'île, c'était que le jeu en valait la chandelle. Il avait entendu parler de la Guerre du Vieux Prince. Au commencement, Ivawen n'avait presque aucuns soutiens. Neflindel avait été un chef de guerre respecté au moment du règne de son propre frère, bien que largement plus jeune que lui, et un conseillé avisé. Vieillissant mais renommé, il était resté, alors que son neveu montait sur le trône, il puissant Magister, bien en cour et assistant avec sagesse son souverain. Néanmoins, après six années de guerre, il avait dû s'incliner devant la primauté des princesses Ivawen et Nærisa. C'était pour se mettre au service de telles dirigeantes que Hroar avait, après de longues minutes d'hésitation, prit pied sur [i]La Main du Roi Highlin[/i]. Lorsqu'il avait apprit qu'un tournoi était donné en l'honneur de la souveraine, le nain s'était félicité de sa décision. Quel meilleur moyen pour honorer une reine ?

Le mercenaire tourna à droite, puis à gauche, et parcourut une grande avenue. Il admira quelques instants l'architecture. Si les bâtiments du ghetto étaient sales et totalement désordonnés, ceux qui jouxtaient l'avenue étaient alignés et ravalés. Les maisons ressemblaient aux constructions humaines de la côte de Béryl, d'une faible hauteur, mais carrées et à larges façades, toutes blanches.
De grandes portes en bois étroitement fermées sur la rue, de petites fenêtres aux volets ouverts donnaient un certain charme à cette rue passante. Hroar ignora les regards des elfes, un tiers intrigués, un tiers effrayés, un tiers méprisant, et passa son chemin. Si il reconnaissant que les rues étaient bien agencées, il ne pouvait être impressionné devant la qualité architecturale des bâtiments. Les membres de son peuple étaient sans conteste les plus grands bâtisseurs que le monde ait portés. Les cités naines, construites au plus profond de grandes vallées montagneuses, voire taillées au cœur même des pics rocheux, étaient des merveilles architecturales jamais égalées. Le nain avait eut le privilège, rare pour un habitant des périphéries, de se rendre à la cité impériale naine. La gigantesque forteresse millénaire, construite au sein de la plus haute montagne du continent, jamais conquise, était une œuvre d'art géante. Chaque recoin était ciselé dans la roche, chaque ruelle, chaque masure aurait fait pâlir d'admiration les plus grands architectes elfes.

Selon les critères humains, Hroar aurait été désigné comme un mercenaire ou un aventurier. Mais la vérité était plus complexe. Il ne se considérait personnellement que comme un serviteur. Enfant, il avait été fermier dans les contreforts montagneux sur lesquels il avait grandit. Très jeune, il avait à peine dix-huit ans, il s'était engagé dans l'armée impériale pour défendre ses terres. Après la longue guerre qui avait suivie, il était devenu simple mercenaire dans l'est de Sierma. Même à cette époque Hroar s'était mit au service de multiples nobles ou rois, dans diverses armées. Dans sa jeunesse il avait été nommé « [i]hirdâ[/i] », un terme nain pouvant être traduit par « homme-lige ». Il s'agissait avant tout de soldats professionnels, attachés le plus souvent au service d'une maison nobiliaire d'empire. Sans être noble, les hirdâs étaient promus en fonction de leur bravoure au combat. En cela, il leur arrivait d'être affecté à la garde personnel d'un noble ou, pour les meilleurs d'entre eux, maîtres d'arme. La plupart du temps on se servait d'eux pour combattre les bandes de hors-la-loi en maraude dans les montagnes. En temps de guerre, ces guerriers se voyaient conférer des postes de commandement restreints. Sa qualité de hirdâ faisait de Hroar un combattant instantanément respect au sein d'une compagnie de mercenaire, bien que ce ne soit pas toujours synonyme d'une promotion rapide. Le nain s'estimait satisfait de sa qualité d'homme-lige, comme il se plaisait à toujours servir, ceux qu'il en jugeait dignes, ou, à défaut d'hommes, sa propre vision de la noblesse.

Arrivé devant une taverne, Hroar entra vivement. Tenaillé par la faim et la soif il appela un serveur et commanda un ragoût de poissons ainsi qu'un pichet de vin rouge « Empire », de sept ans d'âge. Bien que la carte proposait plusieurs choix de viande, le nain préférait goûter aux spécialités poissonneuses de l'île. En voyant que l'établissement possédait une cave bien fournie, il n'avait pas résisté à la tentation de boire un vin d'« Empire », issu d'un cépage de montagne cultivé par les nains vivants au nord est de l'empire nain. Hroar lâcha un profond bâillement. Lorsque son pichet arriva, il remercia le serveur d'un signe de tête, puis se servit un grand verre. Renonçant au savoir vivre et à la prudence, il le vida d'un trait. Le liquide vermeil coula dans sa gorge, lui procurant un formidable sentiment de plaisir. Le goût lui évoqua rapidement l'intérieur calme d'une vieille ferme, des champs en terrasse, un grand feu dans un âtre et deux vieilles femmes, qui parlaient d'une voix grave et rauque. Il chassa ces quelques souvenirs mélancoliques et s'affala tranquillement dans sa chaise en bois d'if tandis qu'on posait devant ses yeux un grand plat de poisson. Il attaqua la nourriture avec avidité. Cela faisait longtemps qu'il n'avait dégusté un plat avec autant de plaisir. Il n'avait, au cours de sa vie, que peu voyagé sur les côtes. Par conséquent le goût du poisson ne lui était pas familier. Il en appréciait d'autant plus la chaire lorsqu'il avait l'occasion d'en manger. Il se concentra sur son assiette.

Après avoir avalé goulûment une grande partie de son plat Hroar se détendit. Il se rendait compte qu'au final, bien qu'involontairement, il appréciait cet endroit. Cette île avait un charme particulier, et, au fin fond des collines qu'il avait pu observer de la muraille, il avait senti toute ma puissance des forces telluriques. Et, enfin de compte, il aimait la mer. Il appréciait la grandeur de ces espaces liquides et les embruns salés du vent de marin. Les poissons qu'il dégustait avec une avidité non dissimulée possédaient tous les parfums de l'océan, possédaient ses charmes, possédaient sa grâce. Il y ressentait une puissance infinie, indomptable. Le nain but une nouvelle gorgée de vin, longue et profonde. [i]Oreilles pointues...[/i] Les elfes étaient spéciaux. Mélange de grâce et de dédain, bien trop plein d'orgueil et de vanité. Hroar avait connu des seigneurs nains possédant un tel caractère. Mais que les plus grands roturiers elfes aient parfois le même état d'esprit déplaisait au nain. [i]Restez à votre place, oreilles pointues...[/i] Il s'enfila un nouveau verre de vin, laissant les visions montagneuses de son enfance venir aussi délicatement dans son esprit que le liquide écarlate dans sa gorge.

Avisant un groupe d'elfe sur sa gauche, le nain sourit. Il y avait quelques jeunes hommes, deux femmes, ainsi que trois hommes d'âges murs. Les elfes étaient agités. L'un des plus vieux, aux cheveux argentés, il devait avoir environ soixante-dix ans, un âge respectable, même pour les canons elfes, s’égosillait. Hroar estima que ce groupe dépensait sa paye âprement gagnée, tout en étant échauffé par l'atmosphère lourde d'une cité accueillant un événement majeur. Il se doutait que si le tournoi n'avait pas lieu quelques jours plus tard, une telle agitation n'aurait pas était visible sur le visage de ces ouvriers. Néanmoins, outre son amusement, le nain était inquiet. Le grand elfe d'âge mur, bien que largement éméché, toisait un de ses compatriotes d'une table voisine d'un œil mauvais. L'autre, plus petit, plus jeune, mais bien bâti, avait un physique bien plus impressionnant que celui qui se voulait son adversaire. Hroar, fort d'une certaine expérience des hommes, voyait toutefois que le premier elfes, plus vieux, plus aguerri, était bien plus dangereux que le jeunot qui le toisait d'un air faussement amusé. Le nain se doutait qu'il était, au fond de lui, plutôt inquiet. Il eut une fois de plus un bref sourire sans joie. [i]Allez-y, oreilles pointues, j'ai terriblement envie de rire...[/i]

Son souhait fut exaucé rapidement. L'elfe le plus vieux se leva, calme, et lança une insulte salace, plutôt bien placée. L'autre lui répondit au quart de tour, violemment. L'homme aux cheveux argenté le toisa rapidement avant d'éclater d'un rire rauque et de répondre d'une phrase qui claqua comme un coup de fouet. Et d'avancer de trois pas très exactement. Son adversaire se jeta rapidement sur lui, le poing en avant, visant la tête, visiblement outré. L'autre esquiva vivement et reçut son ennemi en plein sur son genou brandit. Lorsque le jeune se plia en deux, le vieux ricana vivement. Avant de sentir s'écraser sur ses côtes le poing du jeune en question. Le combat commençait à être intéressant. Derrière son comptoir le barman regardait la scène avec un air hésitant. Il ne semblait pas enclin à intervenir. Hroar se concentra à nouveau sur les deux elfes qui se battaient. Sous sa barbe ses pommettes s'élancèrent ; il réprima une pressante envie de rire. Intervenir ne lui était même pas venu à l'esprit. Il préférait profiter de son amusement.

Le plus jeune elfe fut le premier à se lancer à nouveau à l'attaque. Hroar avait deviné que c'était une bêtise. Le coude du vieux le cueillit facilement, fendant la lèvre du bleu qui lui faisait face. Mais ce dernier avait des ressources. Il se redressa vivement et, d'une feinte bien ajustée écrasa son poing sur la cuisse gauche de son ennemi, en plein sur l'artère fémorale. Le vieux chancela, mais retrouva facilement son assiette. Il fit un bond en arrière pour esquiver un coup de pied, puis se remit en garde, poings levés au niveau de son visage et de sa gorge. Hroar remarqua que son genou gauche tremblait légèrement. La lèvre du jeune saignait. Son adversaire chargea mais il fut plus rapide. Il lui envoya un coup de pied dans le bas ventre, puis trois coups de poings. Les deux premiers firent mouche au ventre et au diaphragme, mais l'elfe à la chevelure d'argent parvînt tant bien que mal à éviter le dernier, visant sa tête. Autour d'eux, les elfes s'étaient tus, ils observaient la scène. Le nain remarqua même, à la table jouxtant la sienne, deux parieurs donnant leurs pronostiques. Le vieux était en mauvaise posture. Son ennemi avança prudemment puis passa à l'attaque. Malgré son visage tordu par la douleur, le regard de l'autre était très calme. Un poing fusa vers ses côtes, puis changea brusquement de direction pour filait vers la tête. Le bras fut immédiatement paré par les deux bras du vieil elfe. D'une bourrade il rejeta son adversaire, puis fit un pas dans sa direction, couplé d'un magistral coup de poing sur le menton. Le jeune s'effondra. Hroar sourit. [i]Bien joué grand-père...[/i]

Le jeune se releva et, ramassant un couteau qui traînait sur une table, s'avança vers l'autre qui reprenait son souffle. Plusieurs elfes s'écartèrent, et Hroar se redressa, en empoignant son large poignard de chasseur, sans que personne ne le remarqua. Néanmoins il n'eut pas à intervenir. Un claquement sec retentit, et le jeune lâcha son couteau, la main meurtrie. Le patron, de derrière son comptoir, un long fouet à la main, le fusillait du regard. L'autre déguerpit immédiatement. Le vieux alla se rasseoir tranquillement avec un sourire pour le barman. Le nain se renversa sur sa chaise. Il but un nouveau verre de vin. Il savait se battre, ce vieil homme. Frêle et mince, il avait de bons appuis et un timing parfais. C'était peut être un ancien lutteur poid plume... Hroar finit rapidement ses poissons et son vin, puis, après avoir déposé six pièces d'or sur la table, quitta l'auberge en ignorant les regards des elfes. Dehors la nuit était tombée. Il se dirigea approximativement vers l'est, vers le Quartier des Vagues, on il avait entendu dire que se situaient plusieurs auberges d'assez bonne tenue.

En chemin Hroar s'arrêta devant une devanture dans laquelle il se reflétait. Il se regarda quelques instants. Son visage plat était plus ridé qu'a l’ordinaire, trahissant une intense fatigue. Son crâne chauve était rouge depuis plusieurs jours, brûlé par le soleil de la côte de Béryl et des mers du sud. Sa grosse barbe noire était largement striée de gris. Large d'épaules, le nain se tenait aujourd'hui voûté. Il regarda son petit nez, ses oreilles, rougis par le soleil également... il avait l'air d'avoir trop bu. À sa taille était accrochée une hache étrange. Le manche était long et métallique, prolongement d'une large poignée. La lame en croissant de lune, était épaisse mais étroite. L'arme se situait en réalité quelque part entre la faucille et la hache. Elle était faite pour le fauchage et les coups de taille. Ce type de hache venait des coins les plus reculés de l'empire montagneux des nains, sur la côte occidentale. Les farouches guerriers qui peuplaient cette terre, bien que loyaux serviteurs de l'empereur, étaient toujours considérés par beaucoup comme des semi-barbares, se parant à la guerre de larges peintures faciales et adorant une déesse bizarre. Hroar, ayant eut l'occasion de rencontrer certains de ces guerriers, partageait cette opinion, ayant vu leur allure féroce avant, pendant et après la bataille. Néanmoins il avait adopté cette arme, que certains d'entre eux utilisaient. Ayant un style de combat précis et puissant, elle s'y adaptait parfaitement. Le nain s'étira. Il regarda rapidement son propre regard, profondément noir, puis se détourna et continua sa route vers le Quartier des Vagues.


Dans l'une des auberges de la vieille ville, Silya avait put goûter à un délicieux plat à base de viande de bison directement issue des grandes plaines du Royaume Solaris et de légumes locaux. L'association des deux saveurs était étonnante mais très agréable. Elle avait également pu apprécier, en guise de hors-d’œuvre, une salade de chaire de crabe, met qu'elle aimait de plus en plus depuis qu'elle fréquentait les bords de l'océan. Enfin, pour le dessert, on lui avait servit une part de tarte aux trois agrumes, tous venus de la côte éternellement ensoleillée de Béryl. Le tout avait été arrosé d'une demi bouteille de vin blanc local, tiré des vignes de l'ouest de l'île. Repue, l'ancienne reine régla la note en finissant son vin. Le repas était cher mais lui permettait de se changer les idées. Silya se permettait de vivre de temps en temps comme une bonne vivante, par envie et par nostalgie de sa vie passée. Elle se leva et, ramassant son paquetage, quitta l'établissement.

Quelques heures plus tôt, elle s'était inscrite au tournoi en l'honneur d'Ivawen, dans la catégorie « haute mêlée ». Il s'agissait d'une mêlée par équipes de dix, où une moitié des équipes était qualifié à chaque tour. Au tour suivant, on mélangeait à nouveau les équipes, et ainsi de suite jusqu'à la finale où il fallait sortir vainqueur d'un combat où se battaient individuellement les sept meilleurs participants. Cette épreuve était censée montrer que l'on savait se battre en équipe autant que tout seul. Les combats s'effectuaient avec des armes émoussées, d’entraînement, fournies à chaque guerrier selon sa préférence. L'épreuve de « haute mêlée » était apparemment l'une des moins honorifique du tournois. Les nobles préféraient se battre au sein des joutes à cheval, ou d'une épreuve s'appelant « dernier rempart ». Il fallait y former une phalange défensive, un style de combat que semblez particulièrement affectionner les elfes insulaires, et empêcher le passage d'une équipe quatre à cinq fois plus nombreuse à l'aide de ce mur de boucliers, de piques et d'épées. C'était dans cette catégorie que l'ordre très fermé de la garde royale, possédant cet armement précis, semblait exceller. Il existait enfin des combats à pied, réservés aux familles nobles elfes ainsi que des combats à mort, dans une arène remplie de fauves, et un concours de tir à l'arc. La récompense de la haute mêlée était la moins onéreuse, huit mille pièces d'or ; néanmoins cela restait une somme plus que correcte. Bien que, ne s'étant jamais frottée à un guerrier elfe, et n'étant plus de toute jeunesse, elle doutait l'emporter... Mais peut être empocherait-elle le deuxième ou le troisième prix, respectivement quatre mille et deux mille pièces d'or.

Silya avait hésité cependant à s'inscrire, de peur qu'un membre d'une délégation étrangère, ou qu'un de ses anciens sujets ne la reconnaisse. Néanmoins le tournois n'était pas un événement diplomatique, et, vu l'isolement de l'île, peu d'étrangers, si ce n'était des mercenaires, y accostez. Elle n'avait, étant reine, jamais fréquenté de mercenaires directement, sauf dans le feu des batailles, plusieurs années auparavant, et, n'allant que rarement parader dans les cités de son royaume, laissant ce soin à son fils, il n'y avait que peu de chances qu'un roturier ne la reconnaisse. De plus, son visage et ses cheveux avaient changé depuis son exil, sans compter sa défiguration à la joue et à l'oreille. Et après tout, depuis deux ans qu'elle était partie, elle n'avait eut vent d'aucune tentative, malgré ses efforts pour s'informer régulièrement, de la part de son fils pour la retrouver. Estimant les risques minimes, elle s'était inscrite.

La guerrière s'arrêta soudain devant l'étal d'un forgeron. La nuit étant tombée, la boutique était fermée. Elle pouvait tout de même voir, en vitrine, plusieurs armures exposées. Elle fut immédiatement impressionnée par leur qualité. Un acier ciselé et impeccable formait les gorgerins. Les plastrons étaient d'une seule plaque, enluminée de la plus belle façon. De même, les gantelets, les épaulières, et les jambières étaient ajustées à la perfection sur les mannequins de bois, dans une magnifique adéquation entre liberté de mouvement et protection impénétrable. L'étalage de heaumes, tous plus beau les uns que les autres était également époustouflant de qualité. Parfaitement ouvragés, ils étaient solides et superbes. Silya sourit. Sûrement le travail d'un maître forgeron. Elle savait les elfes passés maîtres dans l'art de créer des armures d'apparats. Néanmoins ce n'était assurément pas le cas ici, ces pièces étaient irrémédiablement destinées à la fureur des combats. L'ancienne reine continua sa route, voyant qu'elle n'aurait pas les moyens de s'offrir de telles merveilles.

C'est en marchant qu'elle repensa à son premier combat réel. Elle l'avait presque oublié. C'était plus de vingt ans auparavant... Âgée de quinze ans, elle avait suppliée son père de la laisser combattre. Elle s'entraînait depuis ses onze ans. Impressionné par ses talents, son père avait accepté qu'elle se ceigne d'une épée. [i]Ou plutôt de deux épées...[/i] Silya avait participé à l'écrasement final de la révolte d'Alfon Casi, un noble dont les velléités d'autonomie avaient, bien que sa famille ne fasse pas partie de l'aristocratie la plus puissante du Royaume Alizé, menacé l'autorité royale pendant deux années. Il avait été rapidement rejoint par un jeune homme, Soulay, héritier de la maison Ventoré, l'une des plus puissante du royaume, et guerrier exceptionnel. Soulay était devenu très vite le champion personnel d'Alfon. Lors de la bataille finale entre les forces du souverain et les rebelles, Silya avait tué son premier homme. Puis elle avait croisé le fer avec Soulay. Il se battait avec perfection et virtuosité, et était parfaitement intrépide. Il n'avait fait preuve d'aucune différence vis-à-vis du fait que son adversaire était une femme. Blessé, la princesse était parvenue de justesse à lui percer le bras, puis la poitrine de sa deuxième épée. Pendant qu'il expirait, elle lui avait demandé pourquoi il avait rejoint la rébellion. Dans un souffle il avait répondu : « [i]Je sens en moi brûler un feu... Une fureur de vivre... désespérément libre... [/i]». Puis il était mort.

Après cet événement la vie de Silya avait basculée. Quelques semaines après la fin de la révolte, son père, se sachant faible malade, l'avait marié au fils de son défunt frère, dans le but d'assurer sa succession en augmentant la légitimité de ce dernier. Un mois plus tard le vieux roi était mort, et le couple royal que formait sa fille et son neveu était monté sur le trône. Pensant profiter de l'affaiblissement relatif à deux ans de rébellion et de de la jeunesse des nouveaux souverains, le royaume Solaris avait envahi leurs terres, débutant une longue guerre dont les deux états sortirent ravagés. En repensant vingt plus tard à la phrase de Soulay, Silya comprit une chose. Elle comprit que si elle avait refusé de se soumettre à son fils, ou qu'elle n'avait pas trouvé refuge chez un prince étranger, c'était parce qu'elle refusait tout exil doré. Si elle devait vivre loin de sa patrie, c'était une vie comme cela qu'elle désirait. Devenir une reine de fortune et parcourir le monde seule, sans obligation ni enfermement, et libre... Et elle l'était. Libre... [i]Désespérément libre...[/i]


[b]Et sinon ne t'en fait pas Kayalias, Silya n'est pas dénudée, elle ne se bat qu'en armure complête (sauf si on l'attaque dans son bain bien sûr)[/b] ;)/>/>/>/>/> Modifié par Loup Noir
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[quote]Arrivée [b]au [/b]alentours de Céläastra, la guerrière[/quote]

C'est tout ce que j'ai remarqué !

Alors j'aime bien le passage parce qu'on creuse deux personnages (qui je pense vont finir par se rencontrer) et ils sont assez attachants. Par contre ça manque de dialogue pour poser les scènes. Ca nous fait peut être prendre trop de recul par rapport aux situations.

Sinon c'est du tout bon :P

@+
-= Inxi =-
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  • 2 semaines après...
Voilà la suite :rolleyes: J'ai donc essayé d'amener l'une des intrigues tout en détaillant l'univers un peu plus. J'espère que vous apprécierez.

[u][b][center]
Chapitre III[/center][/b][/u]


La princesse Nærisa regardait les lourds rideaux de son lit à baldaquins. Allongée sur le matelas, elle voulait rester quelques minutes encore sous les draps avant de se lever. Elle bailla longuement. Le soleil ne filtrait ni à travers les volets, ni à travers les épais rideaux de son lit. Elle savait néanmoins qu'il n'allait pas tarder à se lever. Son horloge interne ne la trompait jamais lorsqu'elle devait se préparer pour un rendez-vous important. Elle s'étira, repoussa vivement les draps, puis tira les rideaux et sorti de son lit. Nærisa avança vers les volets et les ouvrit. Les dernières lueurs de la nuit passèrent par la fenêtre, baignant la chambre d'une lumière bleutée, un peu rougeâtre. La fenêtre donnait sur la muraille, et la grande forêt en contrebas formait une mer verte. Au-dessus de ses appartements se trouvaient ceux de sa sœur, dans les plus hautes salles du grand donjon de Céläastra.

La princesse portait depuis dix ans le titre prestigieux de « Princesse héritière des elfes Insulaires ». Sa sœur, non mariée et sans enfant, régnait en s'appuyant en partie sur elle. Nærisa sourit. Depuis dix ans les oppositions avaient toutes été écrasées. Durant les deux premières années de son règne toutefois, Ivawen avait réchappé à quatre tentatives d'assassinat et Nærisa à une. Les coupables étaient morts écartelés, tandis que leur commanditaire, le frère d'un grand aristocrate, arrêté et jugé, avait été décapité proprement. Néanmoins la princesse, sans craindre un nouvel attentat, se souciait de la succession future. Sa sœur, encore jeune selon les canons des elfes insulaires, restait célibataire. Elle-même, avec sept ans de moins, ne s'était pas mariée non plus. En tant que deuxième personnage du royaume, son devoir, et son désir, était d'assurer la continuité de sa lignée. De nombreux nobles faisaient régulièrement la cour aux deux femmes, mais Nærisa préférait choisir avec soin son époux. Elle supposait que sa sœur faisait de même.

Durant la guerre du Vieux-Prince, elle avait assisté son aînée grâce à ses talents de diplomates. Nærisa était désormais magister chargée des relations diplomatiques de Céläastra. Ce poste était sans conteste le plus prestigieux du royaume. Couplé à son statut de princesse héritière, elle concentrait dans ses mains un pouvoir immense. Tant qu’Ivawen serait sur le trône de Céläastra, Nærisa resterait intouchable. Néanmoins elle préférait, consciente du prestige et des talents d'Ivawen, rester dans son ombre. Ambitieuse, la princesse avait toujours souffert de son statut de cadette. Son père délaissait souvent cette fillette rousse pour faire la leçon à son aînée, avide de connaissances. Nærisa était aujourd'hui tout à fait satisfaite de sa condition. Dans les conseils de sa sœur, les magisters la respectaient et écoutaient ses avis. Elle continua de regarder la nuit quelques secondes puis se dirigea vers sa salle de bain.

Après s'être débarbouillée Nærisa revînt dans sa chambre. Ramassant sur sa table de nuit un flacon de verre, elle le déboucha et en bu une longue gorgée. Il s'agissait d'un délicieux jus de pamplemousse qui suffit à la réveiller complètement. La princesse avait de longs cheveux roux, presque rouges, qui tombaient en centaines de boucles dans le milieu de son dos. Ses yeux étaient verts brillants. Elle avait la peau très claire et lisse et une poitrine menue. Elle était d'un naturel souriant et charmeur. Elle se servait souvent de ce trais physique particulier pour séduire son entourage. En plus de cela son caractère tranchait avec celui de sa sœur, qui, malgré une propension reconnue à se faire aimer de son entourage, se montrait volontiers taciturne en dehors des réunions officielles. La silhouette de la princesse était svelte et élancée. Fine d'épaules et de bassin, elle était de faible constitution. Elle savait habilement jouer de cette faiblesse relative pour tromper son entourage. Son visage était fin, en forme de cœur, doté d'un petit nez, de lèvres plantureuses et de cils particulièrement longs. Un jour, un homme avait dit à Nærisa que la plus belle partie de son corps était ses mains. Ses longs doigts légèrement recourbés étaient surtout particulièrement rapides et agiles lorsqu'ils couraient le long des cordes d'un instrument. Elle sourit. Lors de leur première rencontre le jeune homme l'avait vu jouer de la harpe. Cela expliquait sans doute son commentaire.

À présent bien réveillée, la princesse appela Solenna, sa camériste, qui logeait dans la pièce voisine. La servante entra et s'inclina longuement. Avisant sa maîtresse décoiffée et en chemise de nuit, elle se dirigea vers le cabinet de toilette et farfouilla dans un tiroir. Elle revînt quelques instants plus tard, portant plusieurs objets, dont une brosse à cheveux cloutée d'or. Elle commença à coiffer habilement Nærisa, en silence. Les deux femmes étaient amies depuis plus de quinze ans. La princesse attendit environ une minute puis demanda :

- As-tu passé une bonne nuit Solenna ? Respectant une sorte de tradition informelle, Solenna attendait toujours, le matin, que sa maîtresse parle la première.

- On peut dire cela. Et vous même princesse ? Votre sommeil a-t-il été agréable ? Nærisa hocha la tête. Sur quoi portera votre rendez-vous de ce matin ?

Tout le monde s'adressait à Ivawen en l'appelant « Altesse », ou « Majesté », même ses amis. Mais Nærisa devait invariablement se contenter du simple titre de « princesse ». Cela allait de soit.

- Il s'agit d'une rencontre avec un diplomate sorgosien, portant sur un sujet militaire.

- Mais, je croyais que les sorgosiens étaient nomades, et n'avaient pas de roi commun, fit Solenna, réellement intriguée. Comment peuvent-ils envoyer ambassadeur les représentant tous ?

- Eh bien, répondit Nærisa avec un rire amusé, toujours surprise de l'intérêt que sa servante portait aux mystères diplomatiques, ils forment en réalité une sorte de grande confédération, réunissant plusieurs tribus n'ayant pas forcément de liens commerciaux ou sociaux entre elles. Mais en cas de guerre étrangère, et si la situation est préoccupante, ils peuvent s'allier, et désigner alors un chef suprême, appelé, si mes souvenirs son bons, « Roi de Guerre », souvent un combattant reconnu. C'est un peuple assez méconnu, j'ai eus du mal à trouver des informations historiques sur leur société ou leurs guerres passées.

- Et aujourd'hui, quelle guerre mènent-ils ? s'enquit Solenna en passant devant la princesse pour commencer à lui maquiller les yeux.

- D'après la missive que j'ai reçue, ils ont subit plusieurs attaques de la part du royaume Lagoride. Mais étant donné qu'ils sont toujours plus ou moins en guerre, il me faudra tirer cela au clair.

- Le Royaume-Fleuve ? questionna la servante.

Nærisa acquiesça et montra de sa main la grande carte du sud de Sierma qui tapissait un pan de mur de sa chambre. On y voyait, à l'ouest de l'émirat de Kraal, le grand royaume Lagoride, situé en bonne partie sur les rives d'un puissant fleuve, du fait du climat aride de la région. Vers le nord ouest s'étendaient les terres de Sorgoz, sans réelle unité géographique ou politique et aux frontières floues. Trois années auparavant, une guerre navale éclair avait opposée Céläastra au royaume Lagoride. Après plusieurs escarmouches, les humains étaient parvenus à encercler, puis à couler toute une escadre de dromons elfes. Ivawen avait alors riposté en envoyant une flottille d'élite, composée de grands boutres, construits pour la bataille plus que pour la vitesse, mener un raid sur l'un des principaux port du royaume continental. Avec les amiraux Eïondril et Arthelor Fend-Tribord, deux héros de la guerre du Vieux-Prince, aux commandes, l'opération avait été un succès, et près d'un quart de la flotte ennemie s'était retrouvée incendiée. Après ces épisodes, Nærisa avait signé un armistice sur un îlot aux larges des côtes de Céläastra. Peut être les sorgosiens désiraient trouver de l'aide chez un ancien adversaire de leur agresseur... Quoique qu'il en soit, Ivawen avait insisté pour que l'on écoute ses requêtes.

Ayant fini de la maquiller, Solenna la fit se lever de son siège pour l'aider à se vêtir. Elle lui fit d'abord mettre des culottes et un corsage de coton marron pour lui tenir chaud. Solenna présenta ensuite à la princesse une robe de soie vert sombre, rehaussée d'un léger décolleté de dentelle incrusté de quelques petits rubis. La servante aida Nærisa à la passer, puis la lui laça dans le dos avec force. La princesse étouffa un grognement lorsque les lacets lui coupèrent légèrement le souffle. Par-dessus sa robe Solenna lui fit enfiler un manteau du même coloris et l'ajusta sur ses épaules. Pour finir elle lui mit aux pieds des ballerines de feutre, incrustées de deux petits diamants chacunes. Elle alla ensuite chercher un lourd coffret dans un coin de la chambre, le déposa aux pieds de sa maîtresse puis l'ouvrit.

- Tu peux te retirer Solenna, je mettrais mes bijoux seule, lui dit la princesse.

- Très bien, princesse, comme vous voudrez, répondit sa servante. Elle s'inclina une nouvelle fois puis se retira lentement.

Nærisa la regarda s'éloigner puis reporta son attention sur son coffret à bijoux. Elle commença par enfiler deux fins bracelets d'or à son poignet droit. À son avant bras gauche elle accrocha un large bracelet ressemblant presque à un brassard. Il était plaqué d'or et incrusté de nombreuses perles. On pouvait également y voir briller deux petits diamants aux extrémités. Au médium et à l'annulaire droit la princesse passa respectivement une bague d'or blanc sertie d'une grosse émeraude et un anneau d'argent. À l'auriculaire gauche elle mit un anneau d'os de dragon, couleur gris clair, incisé et incrusté de rubis sur sa longueur. À chacune de ses oreilles elle mit un pendentif représentant d'une manière stylisée en argent pur l'île de Céläastra, ce qui formait un harmonieux motif. Sur les pointes de ses oreilles elle glissa de petits anneaux d'argent, un à droite et deux à gauche.

Elle fouilla un peu plus profondément dans le coffre puis en tira un épais collier d'or plaqué qui se portait à la base du cou. Il était incrusté d'un énorme rubis en son centre pour tout apparat. Nærisa le mit en place sur sa gorge. Bijou de famille de sa mère, la princesse Svinrile, fille d'un grand aristocrate elfe des îles extérieures, à l'ouest de Céläastra, elle lui en avait fait présent alors qu'elle était encore enfant. À elle, Nærisa, sa cadette, et non à Ivawen. Émue, la petite princesse âgée de neuf ans l'avait conservé comme une relique. En particulier après la mort de Svinrile, en couche, après avoir donné naissance à une troisième fille qui ne lui avait survécu que quelques semaines. Durant cette période, Ivawen avait servit de tutrice à sa petite sœur, la couvrant d'affection. Au final, ce collier se révélait être plein de bons souvenirs et Nærisa le quittait rarement. Et puis, il allait parfaitement avec ses cheveux. La princesse ceignit enfin par-dessus sa robe un poignard d'apparat à lame incurvée. Sous sa poignée incrustée de pierres semi-précieuses et son fourreau de cuir tressé se cachait un acier d'excellente qualité et parfaitement aiguisé. Loin d'être experte en maniement d'armes blanches, Nærisa préférait tout de même garder une lame à portée de main.

L'elfe se dirigea vers son miroir et s'observa sous tous les contours. Il se dégageait d'elle une impression de puissance. Elle était également très séduisante dans sa robe verte. Parée de magnifiques bijoux, elle étalait l'opulence de la famille royale. Solenna lui avait coiffé les cheveux en deux tresses, puis en avait accroché les extrémités sur sa tête, formant ainsi deux boucles en-dessous de ses oreilles. Enfin, elle avait ramassé le reste de sa chevelure de manière lâche sur sa nuque. Nærisa finit par mettre en place le fin diadème d'argent incrusté d'une unique perle en son centre, qui était réservé à l’héritière de la famille royale de Céläastra. Seuls le roi et la reine étaient autorisés à porter de l'or au-dessus du cou. Tous les autres elfes insulaires devaient se plier à cette règle, qui participait à la grandeur du souverain. Ce dernier utilisait souvent le « diadème des héritiers », pour désigner son successeur, comme l'avait fait Highlin avec Ivawen avant de mourir. Mais il arrivait fréquemment que ce gage de légitimité soit insuffisant et qu'une guerre éclate. Néanmoins tous reconnaissaient aujourd'hui l'autorité et le pouvoir des deux sœurs. Satisfaite de son allure pleine de grâce et de majesté, Nærisa se dirigea vers la porte de sa chambre, pour aller à la rencontre de son visiteur sorgosien.


Dans une clairière à environ trois lieues à l'ouest de Céläastra Silya s'entraînait. Les combattants les plus riches pouvaient utiliser directement les terrains de combats ou les stades de joutes pour s'exercer, mais la foule des concurrents anonymes devaient faire autrement. La guerrière taillada l'air de son bras gauche, puis se fendit dans le même mouvement, donnant un violent coup d'estoc de l'épée qu'elle tenait à la main droite. Se retournant vivement, elle attaqua son adversaire imaginaire à la gorge et au ventre simultanément. Elle partit ensuite sur sa gauche, bloquant en haut et frappant en bas, avança d'un pas, frappant en haut et parant en bas, puis partit en arrière de manière fulgurante tout en exécutant exactement les mêmes mouvements de bras. Silya se retourna vivement à 240 degrés de sa position en fauchant le vide de son pied. Elle envoya immédiatement trois coups d'estocs devant elle. Après un quart de tour vers la droite elle avança de trois pas tout en tailladant à la gorge, à l'aine, à la poitrine et à la cuisse. D'un bond elle décala ensuite son poids sur sa jambe arrière et effaça son épaule. Elle attendit une seconde puis donna un violent coup de pied devant elle, couplé de deux coups d'estocs simultanés. Immédiatement elle se retourna et se remis en garde, de profil, une épaule effacée et l'une de ses armes tendue devant elle. Elle resta immobile une longue minute, laissant ses muscles sous tension, puis se redressa.

Silya n'était pas essoufflée. Elle transpirait tout de même. Elle repartit juste après pour un autre enchaînement de coups, moins offensifs cette fois. Elle tenta ensuite un troisième enchaînement, plus rapide. Enfin, elle en exécuta un quatrième, un peu moins rapide, mais plus long, aux coups plus puissants, plus précis et plus variés. Elle se força à le réitérer les yeux fermés, et perdit l'équilibre à un moment. Avec un grognement rageur elle s'y plongea à nouveau en aveugle, mais inversa la direction de tous les mouvements. L'ancienne reine manqua de chuter une fois. Elle recommença le même exercice, et, presque en transe, parvînt à l'achever une fois, deux fois sans accrocs. Les mains toujours tremblantes suite à sa frénésie guerrière, elle parvînt à rengainer tranquillement ses épées. Pour les ressortir aussitôt. Puis les ranger à nouveau. Essoufflée pour de bon cette fois, Silya transpirait abondement. Elle simulait ainsi un violent combat contre plusieurs adversaires. En se forçant à réitérer l'exercice plus vite, plus fort et avec des enchaînements de plus en plus compliqués, elle aiguisait ses réflexes et accentuait son équilibre. Bien entendu, aucun combat réel ne se disputait de telle manière. Néanmoins, ce genre de gestuelle était extrêmement efficace à tous les niveaux pour retrouver la furie du combat.

Silya s'appuya posément à un arbre pour reprendre son souffle. Elle respira calmement et profondément. Au-dessus de sa tête elle pouvait voir le ciel. Le soleil était au zénith. Les journées étaient chaudes à Céläastra. En regardant rapidement une carte accrochée au mur de la taverne où elle logeait, elle avait pu apprécier la taille approximative de l'île. Elle était gigantesque, et son relief changeant en faisait un véritable pays continental. L'ancienne reine avait compris l'opulence du royaume. Il devait regorger de ressources naturelles. De plus, son isolement et son insularité rendaient les risques de conquête et de guerre sur son sol limités. Cela pouvait peut-être expliquer sa relative fermeture diplomatique et surtout ses si fréquentes guerres de successions. En songeant à tout cela, l'ancienne reine pensa à son propre royaume. Elle n'avait eu en deux ans presque aucune nouvelle concrète de son fils et de son gouvernement. Quelques récits épars, entendus au grès de ses pérégrinations dans les ports et les cités commerciales. Le Haut-Roi avait dû intervenir dans une de ses provinces entrée en rébellion, ou encore, le souverain alizéen avait épousé une princesse étrangère. Mais, et l'intéressée en était forte heureuse, il n'était jamais question de la Haute-Reine disparue. Son fils avait l'air de s'en sortir, du moins l'espérait-elle.

La clairière et la forêt lui rappelaient le petit bois taillé niché entre les remparts de son palais. Elle aimait y jouer lorsqu'elle était enfant, et plus tard, venir s'y reposer en écoutant le vent faire craquer les branches. Pays de milliers de collines et de grandes plaines, le royaume Alizé tirait son nom des deux alizés continentaux qui y trouvaient confluence. De fait, le climat y était toujours doux, et l'hiver se caractérisait par une saison pluvieuse plus ou moins longue, selon la force du vent de nord-est apportant les nuages. Les terres étaient par ailleurs régulièrement battues par des tempêtes, d'intensités variables. Néanmoins Silya n'était pas alizéenne. Du moins pas au sens premier. La famille royale des Annolides, dont elle descendait, appartenait à un ancien peuple venu d'une terre nordique, aride et glaciale, par-delà la grande forêt de l'est. Le roi Annolos Ier avait mené quinze cent mille guerriers et guerrières dans le futur royaume Alizé presque huit siècles plus tôt. A cette époque, l'Antique Empire, ayant réuni la quasi-totalité des peuples humains du sud sous son joug, n'était plus, et le royaume Alizé, une de ses provinces, était divisé en cinq pays plus petits luttant pour la suprématie. Annolos en avait profité pour renverser le plus faible des cinq seigneurs, et piller les ressources des autres. Puis, une fois son pouvoir solidement implanté, il avait conquis ou reçu la soumission des quatre autres provinces. Les seigneurs l'avaient ensuite proclamé « Roi des Alizés ». Quelques décennies seulement après la conquête, la lignée d'Annolos s'était éteinte, et un de ses cousins, fieffé de la puissante cité de Monaste, lui avait succédé, puis, après avoir agrandit le royaume, avait pris le titre de « Haut-Roi de Tous les Alizés ». Les Annolide-Monaste régnèrent un temps, avant de s'éteindre à leur tour, au profit d'une de leur branche cadette, les Monaste-Oran, qui régna deux siècles. Enfin, les Monsate-Féode leur succédèrent sur le trône jusqu'au fils de Silya, dernier représentant de la lignée. Après huit-cent ans d'acculturation, aucune différence n'était plus visible dans l'onomastique entre le peuple d'Annolos et les alizéens. Néanmoins, la famille de Silya avait conservée des caractères physiques propres à sa lignée, notamment les cheveux auburn, rarissime dans le royaume Alizé, mais présent chez son père, son mari et son fils. Elle-même avait la chevelure châtain de sa mère, mais ses yeux verts pâles étaient typiquement Annolide.

Elle se souvenait parfaitement des vieilles légendes de son enfance, murmurées par sa tante Énaria le soir, décrivant Annolos et ses guerriers chevauchant parmi les plaines et volant de succès en succès, de conquêtes en conquêtes, pour finir sur une colline abandonnée, au cœur du royaume, dans l’œil d'un ouragan, les grands seigneurs alizéens jetant leurs armes aux pieds du nouveau monarque, proclamant la gloire éternelle du Roi des Alizés. Silya sourit. Bien sûr la réalité historique devait être moins romancée, mais, étant donné la difficulté de séparer l'Histoire des légendes, elle aimait s'imaginer un début aussi mythique pour son royaume. Elle s'allongea au pied de son arbre, et observa le ciel bleu et les pâles nuages qui planaient au-dessus de Céläastra. Une brise légère lui rejeta quelques mèches blanches sur les yeux. La guerrière les repoussa calmement derrière son oreille. Elle aurait tant aimé voir le monde à travers le filtre de ses yeux, vert pâle ; et se noyer dans un océan de nuances colorées. À haute voix, portée par la beauté de quelques feuilles volant au vent, elle entonna un vieux poème, décrivant l'arrivée du peuple d'Annolos dans le royaume Alizé, pour y trouver un nouvel habitat :
[i][center]
Ces terres sous le vent, hostiles et obscures
Où la guerre domine, où règne le chaos,
Loin des landes gelées, où nos pères vécurent,
Serait-ce de mes gens le dernier tombeau ?
Voilà notre patrie, nous serons les plus hauts
Des terres sous le vent.[/center][/i]

Silya se redressa et respira un grand coup. Elle dégaina ses sabres à nouveau. Le tournoi se déroulerait dans deux jours. Il fallait les mettre à profit.


Épuisé, Ésuf observait l'elfe qui lui faisait face. Assise sur une haute chaise à droite d'un trône de pierre monumental, magnifiquement enluminé et sculpté à la manière d'un chêne, elle le regardait fixement. Il la détailla quelques instants. Grande, élancée, aux cheveux rouges, richement vêtue et richement parée, elle portait une grande robe verte, une série de bijoux d'or et d'argent sertis de pierres précieuses. Il était arrivé sur l'île tard dans la soirée. Lorsqu'on lui avait proposé de se reposer une journée de son voyage, il avait poliment refusé, demandant une audience avec la reine le plus rapidement possible. On lui avait répondu que ce ne serait possible qu'à l'aube, et qu'il serait reçu dans la salle du trône, par le chef de la diplomatie, la princesse Nériza ; ou quelque chose de ressemblant. Après un rapide souper, Ésuf avait dormi quelques heures dans une cellule de l'aile ouest du château, d'où il avait pu apprécier une vue sur les toits de la ville. Derrière lui, ses trois gardes du corps restaient immobiles, de même que les quatre porteurs, agenouillés près de grands coffres de bois. Il s'inclina avec raideur.

- Salutation, princesse, commença-t-il selon la coutume. Je me nomme Ésuf, de la tribu des Crânes-de-Taureaux. Agg-Kour, de la tribu des Dunes-en-Feu, Guerrier-Roi de Sorgoz, m'envoie avec sa confiance rencontrer la reine Ivawen ou son représentant pour négocier un accord avec le pays de... Céläastra. Nous désirons discuter d'un éventuel soutien de votre part dans notre défense face au royaume Lagoride, responsable du massacre de plusieurs villages à notre frontière.

- Bonjour à vous, Ésuf, de la tribu des Crânes-de-Taureaux, dit la princesse. J'ai bien entendu votre requête. Mais notre royaume est en paix avec le pays Lagoride depuis maintenant trois années. Nous demandez-vous d'entrer à nouveau en guerre ?

Dans la salle du trône, une vingtaine de courtisans suivaient l'échange. À la mention d'une entrée en guerre ils frémirent. Les gardes royaux, encadrant les portes et les marches menant au trône et à la chaise de la princesse, restaient impassibles et silencieux, dans leurs armures bleues nuit. Malgré son accent lorsqu'il parlait l'Antique commun, la langue vernaculaire d'une grande partie des peuplades humaines du sud, mais non des sorgosiens, la diplomate semblait n'avoir aucune difficulté à le comprendre. Ésuf se racla la gorge :

- Le Guerrier-Roi ne demande rien de tel, princesse. Mais peut être un soutien stratégique de votre part serait possible. Notre peuple est riche, mais isolé, aussi, aux vues des forces qu'il a engagé, nous ne pouvons lutter seuls face au Royaume-Fleuve.

- Je vois, fit la princesse. Venez avec moi.

Elle se leva et se dirigea, escortée de quatre gardes royaux, vers une grande porte sur la gauche d'Ésuf. Tel était le protocole des elfes insulaires. Les demandes officielles étaient écoutées en audiences publiques, puis traitées à huit-clos si l'affaire les intéressait. Ésuf suivit l'elfe, faisant signe à ses hommes de lui emboîter le pas. Comme tous les sorgosiens, il avait à la peau noire, et s'habillait de blanc, pour se protéger de la chaleur du désert. Il était grand et fin d'épaules, malgré une musculature développée. Il avait conservé exprès pendant le voyage des vêtements propres ainsi que quelques bijoux, notamment des bagues d'or et des boucles d'oreilles d'argent. Il pénétra dans une pièce réduite et circulaire. La princesse, qu'il dominait de largement deux têtes, semblait tout de même bien plus puissante que lui.

- Demandez à vos hommes de déposer ces coffres, puis de sortir, dit-elle. Vous seul pouvez rester. Ésuf lança un ordre sec et ses suivants s'exécutèrent. Maintenant prenez un siège, mon cher, et racontez moi en détail se qui vous a fait faire un si long voyage.

Le sorgosien s'assit dans un fauteuil de bois en face de la princesse et débuta son récit. Il raconta les premiers actes de pillages des troupes royales Lagorides sur leurs terres, puis la défense livrée par sa propre tribu face à l'un de ces raids. Il expliqua que, suite au massacre de plusieurs familles, deux tribus avaient mené conjointement un coup de main sur une base ennemi en représailles, tuant un aristocrate au passage. C'est alors qu'avait débuté un jeu sanglant de traque des tribus sorgosiennes par les soldats. Elles étaient ensuite massacrées ou réduites en esclavage. En réponse à de tels actes, les chefs s'étaient réunis, et après délibération, avaient proclamé Agg-Kour, un vieux guerrier de cinquante-six ans, toujours vigoureux et intrépide, connu pour avoir participé à trente batailles, Guerrier-Roi. Malgré quelques succès, de sa part, les exactions avaient continué contre des groupes isolés. Les chefs ennemis capturés disaient agir ainsi par vengeance, et que les attaques continueraient sans une remise d'environ un quart du territoire au roi Lagoride. Face à cela, Agg-Kour, soutenu par beaucoup d'autres chefs, avait conduit en personne un attaque audacieuse contre une ville frontalière ennemie, l'avait entièrement pillée, en avait massacré tous les soldats et les chefs politiques, et réduit les civils à l'errance. En retour, les Lagorides s'en étaient pris à la tribu Lance-de-Sable, la plus proche de la frontière, et l'avait complètement annihilée. Ne voyant pas d'issue à cette chaîne de violence, Agg-Kour l'avait envoyé lui, Ésuf, chercher de l'aide à l'étranger.

- Nous sommes démunis princesse, acheva le sorgosien d'une voix faible. Il nous faudrait recruter des mercenaires sur la côte de Béryl, mais il est extrêmement difficile pour nous de nous y rendre. Mais nous avons de quoi louer bateaux et équipages à qui acceptera. Nous sollicitons votre aide non pas pour vaincre notre ennemi, mais pour éviter la disparition de la moitié de notre peuple.

Nærisa claqua des doigts, et l'un des gardes alla ouvrir les coffres. Ils étaient remplis de coupes d'or, d'armes de magnifique facture, de pierres précieuses, et de gros lingots d'or massifs. Ésuf se leva et ramassa l'un des objets, qu'il déposa devant la princesse avec une révérence.

- Laissez-moi faire ce présent à la reine Ivawen, dit-il. C'est le plus grand trésor que renferme ces coffres.

Il s'agissait d'une dague courbe d'un pied de long, au manche d'or incrusté de pâles émeraudes et de saphir bleu profond. La garde finement ciselée était d'argent, et le fourreau d'acier noir rembourré de velours. Nærisa écarquilla les yeux en la dégainant. La lame était en os de dragon. Matériaux rarissimes, les os de dragons, lorsqu'on en trouvait assez, pouvaient servir à créer des armes légères, plus dures que l'acier et particulièrement solides.

- Je comprends votre demande Ésuf, articula posément la princesse. J'en parlerais à ma sœur, la reine. Nous organisons, dans deux jours, un grand tournoi pour son anniversaire. Je vous ferez installer dans la tribune officielle. Je vous conseille de lui faire cadeau de ce magnifique poignard à ce moment là. En attendant, je veillerais à ce que vous soyez traité avec tous les honneurs dus à votre rang. Maintenant allez vous reposer.

Ésuf se leva, puis s'inclina profondément. Il fit mander ses hommes pour porter les coffres, et suivit l'un des gardes dans le dédale de couloirs du palais pour rejoindre sa chambre. Son regard avait plusieurs fois croisé celui de Nærisa durant son récit. Au moment critique, où il avait parlé du massacre des Lances-de-Sable, ses yeux avaient flamboyé, l'espace d'un instant. Pour la suite, il était confiant. Il continua sa route, et, pour la première fois depuis longtemps, eut un sincère sourire. Modifié par Loup Noir
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[Quote]Ni à travers les épais rideaux[/QUOTE]
 
Je trouve ça maladroit dans le sens où si ça passe pas les volets, ça risque pas de passer les rideaux.
 
 
[Quote]Et sorti de son lit[/QUOTE]
 
Petite faute
 
 
[Quote]Il l’a détailla[/QUOTE]
 
Il la détailla
 
 
 
Effectivement ça avance moins vite dans ce passage mais ça décrit beaucoup plus l’ambiance. J’avoue que sous la dose d’informations, je suis un peu noyé. Il nous faudrait une carte déjà pour nous situer ça serait pas mal. Après je pense que c’est l’habitude. On sera plus habitués au fur et à mesure de l’histoire !
 
Alors suite !
 
@+
-= Inxi =-
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  • 2 semaines après...
Voilà la suite. Il s'agit de la première partie du tournoi, c'est donc surtout des combats. Je m'excuse aussi, car le texte est plus long que d'habitude. Bonne lecture !


[u][b][center]
Chapitre IV[/center][/b][/u]


Dans les sombres couloirs qui constituaient les entrailles de l'immense stade, Hroar Erlîn fulminait. Deux jours plus tôt il avait sérieusement hésité à écraser son poing sur le nez de l'elfe maigrichon qui s'occupait des inscriptions au tournoi de Céläastra. Après qu'on lui eut fait savoir que les combats à pieds étaient réservés aux nobles elfes, le nain avait demandé à être inscrit dans l'épreuve de haute mêlée. Le fonctionnaire lui avait ricané au nez, en rétorquant que les nains ne pouvaient participer qu'au concours de tir à l'arc, ou à la bataille rangée contre les fauves dans l'arène. Le sang du nain n'avait fait qu'un tour :

- C'est une plaisanterie ?! s'était-il indigné.

- Pas du tout, nain, avait répondu l'elfe. Alors, voulez-vous descendre dans l'arène, ou préférez-vous défier mon peuple à l'arc ?

- Inscrit moi, elfe, avait-il répondu froidement. Et regarde-moi de tous tes yeux réduire tes fauves en charpie.

Son nom avait rejoint celui des six autres autres participants, cinq elfes et un humain, qui affronteraient les bêtes deux jours plus tard. Il avait était le dernier à rejoindre la liste. Cette épreuve était apparemment remplie de pauvres gens sans le sous, désireux d'empocher la récompense, ou de voir, peut-être, leur nom apparaître sur l'une des stèles, dressées aux portes de l'arène, avec la mention « Morts en honorant le Roi ». Parfois l'un des participant se révélait être capable de venir à bout de tous les animaux, mais souvent, ils finissaient dévorés, et l'argent était redistribué aux spectateurs. Hroar ne pouvait espérer vaincre les elfes à l'arc, leur arme de prédilection. Mais concernant les fauves... Lorsqu'il était jeune, loups, ours et lions des montagnes attaquaient régulièrement les troupeaux de la ferme. C'était ainsi qu'il avait appris à se battre. Il avait ses chances.

Hroar observa les autres concurrents. L'humain était à l'écart, affûtant un grand cimeterre. Il était très imposant et large d'épaules, faisant presque deux fois la taille du nain. Il portait aussi un bouclier elfe en forme de losange, un gilet de cuir et un haubert de maille. Il était aussi équipé d'un heaume sans visière, ainsi que de bottes de cuir souple. Les elfes discutaient silencieusement entre eux. Ils étaient vêtus de manière plus légère, de broignes de cuir dur cloutées de métal. Ils portaient de longues lances en ébènes avec de larges pointes d'acier et de petits boucliers en forme de losange. Ils semblaient tous venir des milieux ruraux. Hroar en repéra un en particulier. Le nez aquilin, l’œil vif, l'expression farouche, il était fin et élancé. Il ne portait pas de bouclier, seulement une grande lance de chasse qu'il gardait posé à côté de lui, quand les autres tenaient fermement la leur. Cet elfe, le nain en était convaincu, donnerait du fil à retordre aux fauves.

Une fois l'aube venue, tous les participants sortiraient sous le soleil pour écouter l'ouverture du tournoi par la reine. Puis dans la matinée les jouteurs s'affronteraient à cheval, jusqu'à ce qu'il ne reste que huit participants, départagés le lendemain. Dans l'après-midi les nobles elfes pourraient se mesurer dans les épreuves de combat à pied et de « Dernier Rempart », les plus prestigieuses. C'est dans la soirée que se Hroar affronterait les bêtes. Il eut un sourire sans joie. [i]Crépuscule rouge pour sang rouge[/i]. Le lendemain chaque participant de la veille se verrait offrir une place pour assister, le matin, à la deuxième partie des joutes, puis à la « Haute mêlée » et au concours de tir à l'arc, dans l'après-midi. Bien sûr, il faudrait déjà à Hroar survivre à son propre combat. Chaque combattants était placé individuellement dans un grand enclos battit pour l'occasion, où seraient à tour de rôle introduis quatre animaux féroces, dans un ordre différent, un lion, un grizzli, un loup, et un sanglier, tous affamés ou excités pour les rendre encore plus féroces. Dans quelques instants le nain serait brassé dans la masse des autres participants, en armes, pour saluer la reine Ivawen.

Il avait revêtu un haut de cuir bouillit matelassé de type haubert. Il portait des chausses de peau relativement résistantes et de hautes bottes d'équitations. Il avait aussi coiffé un casque, de taille réduite, dépourvu de visière, pour protéger sa tête. Il portait d'habitude de la maille par-dessus le cuir, mais aujourd'hui il préférait rester le plus libre de ses mouvements possible. Il avait gardé tout de même de solides gantelets de plaques. Enfin, le nain s'était équipé d'un petit bouclier elfique doré et d'une javeline. Il gardait enfin dans son dos sa hache de guerre forgée en croissant, qu'il pourrait au besoin manier d'une ou de deux mains, et dans ses bottes, deux poignards à larges lames.
Un elfe en uniforme fit son apparition.

- Gladiateurs luttant contre les fauves, tenez-vous prêt, s'exclama-t-il. Vous allez être introduit dans l'arène, où vous serez placés à l'extrême droite des autres concurrents, sur la dernière ligne. Suivez-moi.

Quelques instants plus tard il actionna le mécanisme d'ouverture de la grande porte du stade. Hroar fut légèrement éblouis par le soleil. Ramassant ses armes il emboîta le pas des autres gladiateurs et suivit l'elfe en uniforme. Le stade était gigantesque, tout en longueur, et, après le silence des couloirs souterrains, le brouhaha des conversations de près de cinq mille elfes était assourdissant et étourdissant. Le nain repéra les files des autres concurrents sortant des souterrains en files indiennes. Celles des jouteurs à cheval et des combattants à pieds étaient sans contextes les plus nobles, aux allures les plus fières. Un certain nombre de bien-nés participaient aussi aux épreuves et tir à l'arc et de Haute Mêlée, mais Hroar sentait qu'une petite majorité était composé de franc-coureurs, mercenaires ou simple soldats. C'est dans cette catégorie que le nain repéra le plus d'humains, qui constituaient une forte minorité. Dans le stade, le nain put observer une grande tribune vide, réservée aux participants ne combattants pas le premier ou le second jour, et désirant assister aux épreuves. La tribune royale était située sur une petite tourelle de pierre très large, la surélevant par rapport au reste de la l'assemblée. Un magnifique trône de bois habitait le sommet, et, sur le côté, légèrement plus bas, une haute chaise était dressée. Si le trône était encore vide, le nain vit sur la chaise une elfe en robe dorée et à la chevelure rouge. [i]La Princesse Nærisa, sans doute.[/i] À cette distance, il ne pouvait pas distinguer ses traits. Si deux sièges uniquement occupaient le sommet de la tour, trois gardes royaux y stationnaient également, droits et stoïque dans leur armures bleues nuit. L'étage inférieur était réservé à la haute aristocratie, aux dignitaires de l'armée, Hroar repéra notamment les favoris roux du capitaine de [i]La Main du Roi Highlin[/i], et aux dignitaires étrangers, avait-il apprit.

Une fois la foule des combattants en place, une porte monumentale s'ouvrit sur leur gauche. Une centaine de combattants, armées de longues lances de tournois et de boucliers, vêtus d'armures légères, pénétrèrent dans l'arène, sous un tonnerre d'applaudissements. Ils furent suivis, de vingt membres de la garde royale, accueillis sous des applaudissements encore plus vivaces. Ils prirent tous places devant les autres combattants. Hroar dû admettre que, de tous les participants, ceux de la garde royale étaient bien les plus impressionnants. Ils avaient la magnificence des grands aristocrates impériaux sous les ordres desquels le nain avait servi dans sa jeunesse, en de rares occasions. Sur la tribune royale la femme rousse se leva. Tous les spectateurs, tous les concurrents s'inclinèrent. Elle cria d'une voix forte, résonnant dans tout le stade :

- Peuples insulaires, visiteurs étrangers, Son Altesse Ivawen la Triomphatrice, Reine Solaire des elfes insulaires, Dame Protectrice de Céläastra !

Une femme blonde platine en robe vermeil entra alors dans la tribune, escortée de sept gardes royaux qui se déployèrent immédiatement. La princesse mit un genou à terre, instantanément suivie de l'intégralité du stade. Une fois encore Hroar imita les autres. La Reine salua puis parla d'une voix vive et tonnante :

- Peuples de Céläastra, visiteurs, soyez les bienvenus. Je déclare ouvert ce tournoi. Que tous les participants se battent courageusement ! Gloire à Céläastra !

- Gloire à Céläastra ! Longue vie à la Reine ! cria le stade en cœur.

Juste après les concurrents regagnèrent les sous-sols. Les jouteurs partirent vers leurs box, où des palefreniers s'occupaient de leurs chevaux. Une fois de nouveau dans l'obscurité Hroar posa ses armes et s'étira. Son épreuve consistait surtout à une auto-défense. Tous les survivants avaient droit à un prix, mais la palme de la reine n'était décernée qu'à celui qu'elle jugeait le meilleur. Le nain respira longuement, puis commença à attendre, alors que des bruits de sabots commençaient à se faire entendre à l'extérieur.


Assit dans la tribune officielle, à quelques pas de la souveraine, Arthelor Fend-Tribord observait les concurrents se mettre en place. Les derniers cavaliers qui auraient l'honneur de jouter le lendemain sortaient de la piste après avoir salué la reine. Cinq d'entre eux étaient des connaissances d'Arthelor, les autres, des enfants bien-nés, deux hommes et une femme, relativement jeunes, participant à leur premier tournoi. Les trente-deux combattants individuels se rangeaient par groupes de deux selon leurs assignations sur un tiers du stade. Dans le reste de l'espace, une centaine d'elfes, en armes et armures, se déployèrent face aux vingt membres de la garde royale, solidement positionnés dans un couloir signifié. Toujours, les défenseurs du Dernier Rempart devaient empêcher un groupe trois ou quatre fois plus nombreux de traverser un passage étroit, représentant souvent un pont. Ici le combat serait rude, à cinq contre un. Arthelor repéra le Grand Maître de la Garde, Nadomir Forendal, âgé de cent vingt-trois ans. Guerrier légendaire, il avait participé à sa première bataille à l'âge de dix-huit ans, jeune âge pour un elfe insulaire. Durant la guerre du Vieux-Prince, il s'était distingué par sa neutralité, estimant que la Garde se devait d'être loyale au vainqueur, non de faire de la politique en choisissant un camp. Une première dans l'histoire des guerres de succession de Céläastra, où l'allégeance des gardes bleus nuit permettait souvent à un camp ou l'autre de remporter la victoire.

Nadomir Forendal s'agenouilla devant la reine, puis se leva et coiffa son heaume. La foule l'acclama. Il se plaça par la suite en première ligne à droite, position la plus honorable, car la plus périlleuse. Immédiatement la phalange se compacta et affermit ses prises. La garde royale n'était pas à proprement parler un ordre destiné à protéger le monarque. Il s'agissait d'un corps militaire d'élite, chargé de combattre sur les champs de batailles et d'assurer la sécurité et le maintien de l'ordre dans la ville de Céläastra. De plus, certains éléments étaient détachés pour servir de gardes du corps personnels aux souverains et à la famille royale, surtout pour les occasions officielles. Mais Ivawen et Nærisa possédaient leurs propres gardes du corps, attachés nuits et jours à leurs services. La reine se leva puis tendit la main. Les combats débutèrent.

Le premier choc entre les deux armées participant au Dernier Rempart fit trembler le stade. La garde royale tînt bon, campé sur ses appuis, ne reculant pas d'un centimètre. Une dizaine de leurs adversaires se retrouvèrent au tapis, repoussés par les grandes lances de tournoi. Six, directement touchés à la tête, se retirèrent immédiatement, disqualifiés. Le deuxième assaut fut moins brutal, plus ciblé, mais repoussé pareillement, Nadomir galvanisant ses maigres troupes par de grands cris de guerre et des instructions précises. Après le troisième assaut, le rapport de « pertes » était d'un membre de la Grade pour vingt-trois adversaires. Arthelor porta son regard sur les combats à pied. Il ne restait que quelques combattants en lice pour le premier tour. Un binôme attira particulièrement son attention. Il s'agissait d'un aristocrate, ayant par hasard dû combattre son cadet en duel. Le premier tenta une courte parade avant de contre-attaquer. D'une agilité remarquable, son frère se plia en deux, puis lui écrasa son épée sur le visage. Son aîné s'effondra. Sur leur droite un jeune elfe semblait jouer avec son adversaire, un combattant chevronné et reconnu. Esquivant sans peine un coup d'estoc pourtant bien placé, le jeune repoussa l'autre d'une contre-riposte, puis, jugeant sans doute qu'il était temps d'en finir, lui écrasa le nez.

Les combattants à pieds se replacèrent en binôme pendant que l'on évacuait les perdants. Huit groupes furent rapidement tirés au sort par les arbitres. À l'autre bout du stade, les troupes de Nadomir Forendal étaient en mauvaise posture. Si presque la moitié des assaillants avaient été repoussés, la Garde avait perdue neuf combattants. Le rapport de force leur était de plus en plus défavorable. Formant désormais une maigre ligne de défense de manière à toujours bloquer le couloir à la cinquantaine d'assaillants, les armures bleues résistaient toujours autour de leur chef. Soudain le vieux Nadomir, témoignant d'une vigueur peu commune pour son âge, se jeta sur ses adversaires, rompant la ligne. Il propulsa son bouclier dans le thorax d'un pauvre combattant avant de lui enfoncer symboliquement sa lance dans la gorge. Faisant tournoyer son arme au-dessus de sa tête il atteint ensuite deux autres elfes au visage. Les attaquants commençaient à se rassembler autour de lui lorsqu'il fut rejoint par l'intégralité des membres de la Grade, brisant l'encerclement. Galvanisé par la bravoure de son chef, la phalange, grâce à quelques coups bien placés parvînt à écraser une quinzaine d'assaillants supplémentaires, puis à tous les repousser, avant de se replier en bon ordre dans leur couloir. Il restait encore dix combattants de la garde, pour une quarantaine d'adversaires. Le combat serait rude, mais Arthelor était confiant. Il se tourna vers sa voisine, une jeune elfe à la chevelure noire nommée Séïren, et lui glissa doucement à l'oreille :

- Trois cent pièces d'or sur la victoire de la garde royale.

- Tenu, répondit-elle avec un sourire. Nadomir Forental est trop vieux pour réitérer un pareil coup de force. Eh Amiral... Cinq cent pièces sur la victoire finale de Noédor Edlla. Me suivez-vous ?

Arthelor Fend-Tribord regarda les combattants à pied, surpris. Puis il vit le jeune homme prometteur qu'il avait repéré quelques minutes plus tôt. Lorsqu'il remit son casque, il put repérer sa chevelure particulière, rasée sur les côtés, avec une large bande de poils blonds coupés courts sur le milieu du crâne et la nuque. Il s'agissait bien de Noédor Edlla, jeunot d'à peine dix-huit ans, premier né du magister principal du port de Vermelhäa, de la plus pure noblesse Insulaire. Arthelor observa les autres participants. Les champions des trois précédents tournois était présents, de même que son ami Eïondril, combattant formidable.

- Je vous suis ma chère, préparez vos huit cent pièces. Votre mère ne va pas être contente de vous voir ainsi dilapider la fortune familiale !

Elle lui répondit par un sourire en coin, puis se concentra à nouveau sur le stade. Décidément, elle n'était pas belle, pensa Arthelor. Le nez trop long, la bouche trop large, les yeux trop petits. Peut-être se prenait-elle trop au sérieux également. Sa mère avait pris la tête de la famille lorsque sa demi-sœur, Svinrile, avait épousé Highlin, héritier de la couronne. De ce fait, Séïren était la cousine d'Ivawen et de Nærisa, et membre de la famille royale, bien que n'ayant pas accès à la succession. La jeune elfe, aînée d'une fratrie de neuf filles, était la première héritière de sa maison, qui, depuis la naissance du père de Svinrile, n'avait engendrée que des femmes. Mais Arthelor supportait mal la légèreté de cette fillette de vingt-un an, par conséquent tout juste majeure, et surtout son ton lorsqu'elle l'avait appelé « amiral ». Il soupira, puis porta son regard sur le stade.

Eïondril combattait vaillamment le champion de l'année précédente. De sa lance, il le fit reculer de trois pas en menaçant son genou. L'autre ne se laissa pas démonter et bondit en avant, bloquant la pique de son bouclier, puis frappa d'estoc. Eïondril se jeta sur le sol, puis se releva avec une roulade. Sa javeline avait chu sur le sol, mais l'amiral se redressa en tirant un sabre et une hache de sa ceinture. Arthelor entendit une acclamation, loin à l'autre bout des tribunes. Plusieurs matelots, venus assister à la rencontre saluaient à grand renforts de vivats leur chef qui venait de mettre à nu les armes du combattant naval. Après quelques passes cependant, l'ex-champion brisa le nez d'Eïondril avec son épée. Avec une arme véritable, l'organe aurait été proprement arraché. Seulement l'amiral n'était pas encore vaincu. Trempant le sable de son sang, il parvînt à bloquer l'épée de son sabre, puis à écraser sa hache sur le genou, puis la tête de son adversaire. Les marins trépignèrent de joie lorsque leur capitaine vainqueur les salua de la main. À quelques distances de là, le cadet vainqueur de son frère en précédent combat porta un violent coup sur l'épaule gauche de Noédor Edlla. Séïren eut une exclamation. Le jeune elfe grogna, recula, puis revînt à la charge et bloqua un coup, un deuxième, un troisième, puis d'une contre riposte taillada l'abdomen du noble. Arthelor sourit. Ce jeune homme était bon, sans conteste. Peut-être un champion en devenir. Il ne maniait pas l’une épée elfique traditionnelle, fine, très légèrement incurvée, et dépourvue de garde, mais une épée bâtarde humaine, parfaitement droite, et plus lourde. Néanmoins sa blessure devait le ralentir. Ce tournoi était amusant et les paris risqués. Tant mieux !

Nadomir Forendal avait à nouveau perdu trois compagnons. À désormais sept, ils peinaient à retenir les vingt-cinq elfes essayant de briser leur ligne. Nadomir fut blessé par un coup de lance dans l'épaule droit, mais parvînt à tenir bon. Les assaillants restèrent à distance, attendant le meilleur moment pour frapper, asticotant l'adversaire par de petits coups ça et là. Puis, estimant le moment opportun, ils se jetèrent au milieu de la ligne de défense. Le garde du centre, recula, s'arrêta, puis recula à nouveau sous l'assaut combiné de plusieurs elfes. C'est alors que le vieux Nadomir, essoufflé, se jeta dans la mêlée, et brisa nette sa lance et l'écrasant sur un adversaire. Dégainant son épée de tournoi, il para immédiatement une pique, puis tailla dans le vif un par un trois assaillants, surpris par cette attaque frontale. Trois de ses compagnons le rejoignirent, délaissant leurs lances et éprouvant leurs talents d'escrimeurs. Rapidement la brèche fut comblée, et les attaquants, au nombre de seize, se regroupèrent derrière le couloir. À l'autre bout du terrain, la demi-finale des combats à pied s'achevait. Les quatre gardes royaux toujours debout sortirent alors, boucliers et piques en main. Arthelor sût que c'était la fin. Avant qu'ils n'aient pu se mettre en rang, cinq assaillants gisaient déjà au sol, le visage ou l'estomac entre les mains. Les onze derniers se regroupèrent, mais Nadomir était déjà sur eux, écrasant un nez, burinant un thorax, taillant une gorge. Ses hommes firent de même avec le reste des guerriers, et bientôt les trois derniers gardes se tenaient debout face à un unique adversaire. D'un geste Nadomir Forendal rejeta son bouclier et, en quelques passes d'armes, le mit au tapis. Unanimement, le stade hurla son contentement. Nadomir mit un genou à terre, bientôt imité par ses deux frères d'armes, tandis que la reine Ivawen se levait.

- Tant que tu resteras à la tête de la Garde Royale, s'exclama-t-elle, je ne craindrais aucun ennemi, Nadomir ! Félicitations, Gardes Bleus, une fois encore vous avez su prouver votre vaillance. Sur mes fonds personnels, je double votre récompense ! En votre honneur, je ferais remettre également deux pièces d'or à chaque personne présente dans ce stade.

La foule exultait :

- Hourra, hourra pour la Reine Ivawen ! Victoire éternelle pour Nadomir et la Garde ! Longue vie à la Reine ! Longue vie à la Reine !

- Trop vieux pour un pareil coup de force, hein ? rayonna Arthelor devant Séïren. Une telle erreur vous coûtera trois cent pièce d'or, jeune fille !

- Cette victoire coûtera bien plus chère à ma cousine, Amiral, répondit-elle avec un sourire. Mais concentrez-vous plutôt sur la finale des combats à pieds !

Les duels reprenaient. Et en effet, Noédor Edlla était toujours en lice. Le jeune homme paraissait fatigué, essoufflé. Il plaça sur sa tête son léger casque plaqué argent incrusté de trois grosses pierres précieuses, une émeraude, un saphir, et un rubis. Les pierres, selon la légende, avaient été trouvées par ses ancêtres dans le ventre d'un grand dragon des mers. [i]Ah, les vieilles familles[/i], pensa Arthelor, [i]il leur faut toujours des histoires au-delà du possible.[/i] Noédor devrait affronter l'avant dernier champion, un grand elfe, général de l'armée royale, portant également le nom de Nadomir. Sur un geste de la reine le combat débuta. Nadomir, resta stoïque alors que Noédor tentait de percer sa défense, parant sans cesse de son bouclier. Par quelques coups vicieux, il fit reculer son adversaire et le toucha à la hanche. Le jeune aristocrate revînt patiemment à la charge par quelques feintes. Le général, attendant le moment propice, parait et reculait tranquillement, laissant le jeune s'épuiser. Puis Noédor changea de stratégie. Il recula d'un coup et frappa au pied. Nadomir esquiva d'extrême justesse, puis voyant se dégager une ouverture, fondit sur le jeune homme, bouclier en avant. La distance entre les deux adversaires était faible, Arthelor sourit. [i]C'est la fin, Edlla.[/i] Mais le jeune elfe s'esquiva [i]in [/i][i]extremis[/i], puis se coula sur la droite du général, et, dans le même mouvement, lui entailla l'arrière du genou, sans protection. Le général, déséquilibré, ne put éviter un nouveau coup en pleine nuque et s'effondra.

Arthelor Fend-Tribord se tourna bouche-bée vers une Séïren espiègle et toute souriante. [i]Fascinant[/i], songea l'amiral, [i]il a pris le maximum de risques, pour inciter Nadomir à passer à l'attaque. Le tout avec un timing parfait. La manœuvre aurait pu lui coûter cher...[/i] L'air totalement épuisé, Noédor Edlla mit un genou en terre tandis que la Reine le félicitait.


Silya était pensive. Tandis que les elfes démontaient le petit couloir de bois dans lequel s'était battue la Garde, l'ancienne reine songeait au jeune elfe blond, vainqueur des duels à pied. Dix ans auparavant, elle aurait sans aucun doute pu le terrasser, mais aujourd'hui ? Sûrement pas. Fort heureusement, il ne participait pas à la Haute-mêlée. Elle avait néanmoins pu observer la façon de combattre des elfes, et en tirer quelques conclusions. Rapides et souples, les Insulaires manquaient tout de même de force. De plus, en comptant sur son expérience des batailles, elle pourrait vraisemblablement mettre au point une stratégie permettant à son équipe de remporter la victoire. Silya porta son regard sur la tribune officielle, et sur le trône de la Reine. Si sa petite sœur avait sans conteste un port royal, Ivawen la surclassait largement. Son entrée triomphante, ses apparitions brèves, sa stature haute, ses riches parures, tout en elle forçait le respect. De plus, ce tournoi prévu en son honneur et ses cadeaux mesurés lui permettaient de se faire profondément aimer du peuple. L'ancienne reine ne pouvait voir d'Ivawen que le bas de sa robe rouge et, ronronnant à ses pieds, un grand tigre blanc, qui devait lui servir d'animal de compagnie. Silya sourit. Au fond de l'arène, les techniciens dressaient les grands enclos destinés à voir s'affronter hommes et fauves. Le crépuscule tombait lentement sur le stade, tandis que nombre de spectateurs s'en allaient. Apparemment, la dernière épreuve de la journée n'était pas le plus passionnante. Les combattants entrèrent et se préparèrent. Silya hésitait à quitter également sa place, lorsque, surprise, elle repéra le nain issu de la compagnie de Torig, tout équipé, se positionner calmement en face des grilles desquelles surgiraient les animaux. Un serviteur passa entre les sièges, proposant de petits verres de vin blanc glacés aux combattants du lendemain encore présents dans les tribunes. Silya en prit un avec plaisir et s'installa pour regarder la dernière épreuve.


Hroar Erlîn, raffermit la prise sur sa lance. Tandis que le lion dirigeait droit sur lui. D'un coup latéral, il le repoussa. Le félin s'écarta puis revînt à la charge, évitant l'arme, et bondit. Mais Hroar s'écarta vivement et, d'un nouveau coup latéral, fendit le cuir du lion. Lorsqu'il tenta de placer un coup d'estoc, le lion s'écarta avec un rugissement. Hroar souffla. Il chargea rapidement puis s'arrêta lorsque l'animal bondit et essaya de le cueillir sur sa lance. Malheureusement il s'y prit mal, et le félin percuta son bouclier. D'un violent coup de coude, le nain écrasa le pavois sur le museau du lion. Après plusieurs pas sur le côté, il enfonça profondément sa pique dans l'épaule du félin étourdit, puis la vrilla d'un coup. Le fauve s'effondra, le cœur percé. Une acclamation fit écho à sa victoire. Autour de lui, un sanglier et deux ours s'amusaient avec les viscères de trois elfes morts durant le premier combat. L'humain, qui avait aussi affronté un lion, était blessé à la poitrine, mais semblait encore en bonne condition physique. L'elfe au nez aquilin sans bouclier n'affichait aucune blessure et semblait s'être débarrassé facilement du loup qui gisait à ses pieds. Le dernier elfe, lui était blessé, à la jambe et au ventre. Il avait l'air assez mal en point, mais paraissant fier d'avoir terrassé un gros sanglier.

La grille s'ouvrit à nouveau et Hoar pivota vers elle. Un énorme sanglier fonça à travers l'ouverture. Le nain se plaça juste en face de lui, rejeta son bouclier, cala sa lance sous son épaule et attendit. Mais il rata sa prise et bondit immédiatement sur le côté pour éviter d'être piétiné par les sabots en furie. Il récupéra vite sa lance et fit à nouveau front. Cette fois il chargea. D'un geste il enfonça sa pique dans le dos de l'animal, puis résista à la pression exercée. Le sanglier le fit reculer d'un mètre, mais il tînt bond. La bête rua pour se dégager et Hroar dut lâcher son arme. Voyant que le sanglier ne reprenait pas sa charge, mais s'ébrouait de tous côtés pour tenter d'arracher la lance fichée dans son dos, il n'hésita pas. Tirant un de ses couteaux le nain fondit vers la bête, puis lui perça l’œil et recula. L'une des défenses lui avait profondément entaillé l'avant-bras gauche, mais il était parvenu à tuer son adversaire porcin. Une fois le sanglier inerte, il récupéra ses armes. L'elfe blessé avait été déchiqueté par un lion, mais l'autre Insulaire restait fringant, devant le cadavre d'un ours, n'affichant toujours aucune blessure. L'humain avait terrassé un loup, mais semblait épuisé. Hroar ramassa son bouclier, serra les dents et se prépara.

Le nain avisa le grand loup blanc qui courait vers lui. Moins robuste qu'un sanglier. Il décida de charger également. Il entreprit de lui ficher sa lance dans l'épaule, mais le loup fit un petit écart. Le métal se planta dans son dos, et l'animal, dans sa course, parvînt à arracher l'arme des mains de Hroar, tout en se jetant sur lui. Le guerrier se relâcha immédiatement et chuta proprement derrière son bouclier lorsque le loup le percuta. La bête tenta d'enserrer sa tête entre ses mâchoires, mais le solide casque résista. Luttant contre la pression qui s'exerçait sur lui et son bras blessé, Hroar parvînt à saisir l'un des couteaux cachés dans ses bottes. Avec un gémissement il le plongea dans le poitrail du loup et vrilla la lame. Rugissant de douleur, l'animal rua et s'ébroua. Le nain, plus libre de ses mouvements, en profita pour se saisir de son deuxième couteau et l'enfoncer rapidement dans l'épaule de la bête, qui poussa un hurlement. Hroar se dégagea immédiatement de ses pattes et se retourna vers son adversaire en tirant sa hache. Le loup le regardait l'air féroce, prêt à bondir, mais le nain, rapide comme l'éclair, le décapita presque entièrement d'un coup net.

Couvert de sang, il releva la tête. Les spectateurs hurlaient de joie à la vue du spectacle. Dans les autres enclos, ses concurrents avaient eu moins de chance que lui. L'humain gisait dans une flaque de sang, la tête arrachée par le coup de patte d'un grizzli qui faisait maintenant les cent pas dans l'arène. L'elfe quant à lui était parvenu à tuer le lion qui avait jaillit des entrailles du stade quelques instants plus tôt, mais son épaule droite était en sang. Il tenait difficilement sa lance, mais semblait toujours en état de se battre. Les deux combattants échangèrent un regard, et même, à l'étonnement du nain, un sourire, puis se remirent en position, armes à la main.

Hroar aspira un bon coup. [i]Un dernier combat. Un ours, donc.[/i] Un rugissement monta du fond de l'arène, et un énorme ours brun émergea sur le sable du stade. En quelques bonds il se jeta sur le nain, qui bondit sur le côté pour l'éviter, et recula rapidement de quelques pas. L'ours se redressa de toute sa hauteur et rugit à nouveau. Hroar, avec un hurlement, mit tout son poids dans un violent coup de lance, visant la gorge. L'animal fit un écart rapide et le fer entama son poitrail. D'un coup de patte il fit voler la lance en éclat, puis se jeta sur Hroar. Le guerrier se réfugia derrière son bouclier en reculant. Les griffes de la bête entamèrent le haubert de cuir au niveau de la poitrine, labourant les chaires. Jouant le tout pour le tout, le nain envoya un coup de bouclier dans le museau de l'ours, qui recula un peu. La blessure de Hroar était longue et douloureuse, mais peu profonde. Il rejeta son bouclier brisé et saisit sa hache à deux mains. [i]Regardez bien elfes[/i], pensa-t-il, [i]admirez la valeur des enfants de l'Empire Montagneux.[/i] L'ours se rua sur lui mais il l'esquiva en se jetant de côté, puis lacéra son flanc. L'animal se retourna immédiatement et percuta Hroar avec sa tête, le projetant quelques mètres plus loin. La foule hurla. Le nain se releva difficilement et utilisa ses dernières forces pour aller au-devant de l'ours qui chargeait. Au dernier moment il fit deux pas de côté, puis un tour complet sur lui-même, visant soigneusement et mettant tout son poids dans un ultime coup de hache. L'acier se ficha profondément dans le crâne de l'ours.

Autour de lui le stade s'était tu. L'elfe, la cuisse à moitié embrochée par la défense d'un sanglier, venait de lui enfoncer un long poignard dans l’œil. Hroar sourit. Bien joué Oreille pointue. Lorsque la reine se leva, le nain et l'elfe, épuisés tous les deux, s'inclinèrent profondément. Tandis que l'on emportait les cadavres des animaux, la souveraine prit la parole.

- Dans l'arène aujourd'hui, sept hommes se sont distingués. Leur mémoire sera à jamais honorée, et leurs noms gravée dans la roche. Deux d'entre eux ont su venir à bout de tous leurs adversaires. Recevez mes sincères félicitations royales. Elfe, quel est ton nom ?

- Soelen... Votre Majesté, répondit l'elfe en se tenant la jambe.

- Soelen, reprit Ivawen, tu recevras la récompense promise. Je te permettrais également de choisir armes et armures de qualité dans l'armurerie destinée aux gladiateurs. Maintenant, que les médecins s'occupent de lui ! Nain, quel est ton nom ?

Tandis que trois infirmiers elfes se ruaient vers Soelen pour s'occuper de ses blessures, Hroar s'inclina profondément, puis prit la parole :

- Je me nomme Hroar Erlîn, Votre Majesté, Hirdâ d'Empire dans ma jeunesse.

- Et que dirais-tu, hirdâ Hroar Erlîn, si je te demandais d'affronter ma tigresse en combat singulier ?

À ces mots, un grand félin blanc, que Hroar n'avait pas remarqué jusqu'alors, se dressa aux côtés de la reine. Le nain hésita un instant, puis répondit :

- Je ne dirai rien Altesse, je ne pourrais me permettre de tuer votre animal fétiche.

Bien que lointain, le rire de la reine Ivawen arriva aux oreilles de Hroar.

- Hroar Erlîn, jusqu'alors, peu de nains avaient participé à un tournoi sur Céläastra, s'exclama la souveraine. De mémoire d'elfe, seuls deux y ont survécus, et un est mort de ses blessures le lendemain. Tu es le premier à qui un monarque décerne la palme de Vainqueur des Fauves. Tu pourras t'équiper dans l'armurerie des champions et ton nom figurera au sommet de la stèle du tournoi. Félicitations !

- Merci Votre Majesté, dit Hroar en s'inclinant de nouveau, vous me faîtes honneur.

Un tonnerre d'applaudissements suivit la déclaration de la reine, et Hroar fut chaleureusement acclamé. Heureux mais éreinté, il salua la foule, puis se dirigea en boitant vers les sombres couloirs du stade où des médecins soigneraient de ses blessures. [i]Vainqueur des Fauves... [/i]Le titre lui plaisait bien. Modifié par Loup Noir
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C'est mieux que d'avoir le titre : 'qui pue le fauve :P'

Pas mal cette suite ! J'ai pas de remarques particulières à faire puisque je n'ai pas vu de fautes gênantes. Mon seul problème pour l'instant que j'ai un peu de mal avec les noms mais ça ira mieux au fur et à mesure de l'histoire ! Allez plus qu'à envoyer la suite maintenant ;)

Pour le fond, c'est sympa et change un peu de ce qu'on a l'habitude de moi, ça m'a donné envie d'aller regarder gladiator :P

@+
-= Inxi =-
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  • 3 semaines après...
Bonsoir. Tout d'abord je tiens à m'excuser, je n'ai pas eu le temps de poster la semaine dernière. Je me rattrappe donc aujourd'hui, et je publierai la suite dimanche prochain. Il s'agit de la deuxième partie du tournoi, un peu plus longue que d'habitude. J'espère que vous apprecierez. Bonne lecture !


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Chapitre V[/center][/b][/u]


Le jeune serveur elfe posa devant Silya une assiette de porcelaine contenant un demi-homard et une araignée de mer, entourés d'asperges blanches. Quelques galettes de pains accompagnaient la nourriture, et le tout était couronné d'une bouteille de vin rosé corsé de bonne facture, apparemment issu des vignes du nord-ouest de Céläastra. L'ancienne reine avait choisi en hors-d’œuvre une délicieuse tourte aux pigeons, œufs et poireaux. Affamée par un entraînement au crépuscule, juste après la fin des épreuves de combat contre les fauves, Silya n'était pas encore rassasiée, et elle attaqua les crustacés avec plaisir. La chaire du homard était tendre, délicieuse et subtilement épicée. Rompant une galette de pain, elle épongea la sauce douce qui accompagnait le tout, et l'avala goulûment. Elle dévora ensuite quelques asperges, puis brisa l'échine de l'araignée à l'aide d'un petit maillet de bois qu'on lui avait remis. Après une gorgée de vin, elle entreprit de vider le fruit de mer de sa chaire. Elle croqua enfin une à une les pattes et dégusta la viande ainsi révélée. La guerrière vida son verre d'un trait, et coupa les asperges en morceaux. Elle mélangea ensuite tels quels corps d'araignée, de homard, et asperges, puis se servit un nouveau verre et en but quelques gorgées.

Silya se trouvait dans une grande auberge de la vieille ville. Les prix étaient élevés, sans être prohibitifs. D'après Céïan, le patron, lorsqu'un tournoi était organisé, l'établissement faisait salle comble. Vu ses prix, sa qualité et son emplacement il était fréquenté par des voyageurs aisés, des petits nobles ne pouvant loger dans les auberges les plus luxueuses, des marchands étrangers ou elfiques, des sous-officiers ou de riches mercenaires. Faisant partie de la dernière catégorie, Silya passait inaperçue au milieu de la foule. Céïan, qui était également cuisinier, la servait pour la deuxième fois. La veille, la guerrière avait pu discuter avec lui de gastronomie et de vin. Ce soir, il lui avait conseillé une bouteille de rosé du nord-ouest, puissant mais fruité, se mariant admirablement avec les fruits de mer. Bien qu'elle combatte le lendemain, Silya n'était pas inquiète. L'épreuve ne débuterait qu'en début d'après-midi, et le vin l'aiderait à dormir. Néanmoins elle préférait éviter de veiller trop tard. Elle but un peu de vin, puis continua son plat avec avidité. Le mariage des saveurs était excellent.

L'ancienne reine promena son regard à travers la pièce. Elle repéra notamment deux groupes attablés. L'un était composé de quatre humains vêtus de mailles, sûrement des chevaliers continentaux, venu louer leurs épées sur les terres elfes. L'autre groupe était plus hétéroclite. Une petite dizaine d'elfe, dont la moitié de femmes, discutaient à voix basse. Selon leur vêtement, Silya identifia quatre marchants, cinq sous-officiers et une noble, qui regardait les autres de haut, tout en gardant une allure modeste. Elle était, comme les autres, richement vêtue, mais arborait à sa robe une broche révélant un blason. La guerrière remarqua aussi trois magistrats à la tête ceinte d'un bandeau rouge, couleur du port de Vermelhäa, en grande conversation. Des secrétaires, vraisemblablement, étant donné que les hauts magisters fréquentaient des établissements mieux côtés. L'un des trois elfes, le plus vieux, se retourna soudain et appela Céïan. Silya eut un mouvement de recul instinctif. Sur son bandeau rouge était brodé une petite rune avec du fil doré. La plupart des gens présents devait sûrement prendre ce signe pour une marque d'élégance, mais l'ancienne reine savait ce qu'il signifiait. Dans l'ancienne langue, cela voulait dire « Feu », ou plutôt « Conflagration ». Des années auparavant, lors d'une visite diplomatique à l'étranger, elle avait vu un mage s'en servir pour brûler vive une condamnée à mort. [i]Sorcellerie...[/i] Bien évidement elle avait, au court de sa vie, rencontrer des magiciens, et avait conscience que leur art n'était pas forcément néfaste. Mais ce symbole précis la terrifiait. Instinctivement, elle porta ses mains à ses hanches. Mais elle avait laissé ses épées dans sa chambre, en haut, et portait maintenant une tunique de coton souple et légère. Elle ne conservait qu'un poignard dans sa botte gauche et un couteau dans son corsage, peu de chose à vrai dire. Néanmoins elle parvînt se détendre. Les elfes avaient un rapport à la magie différent de celui des humains, voilà tout, il n'y avait pas de quoi s'alarmer.

Elle continua de manger et de boire en regardant discrètement autour d'elle. Une autre table attira son attention. Assez éloignée, deux elfes femelles y étaient assises. L'une d'elles, grande, blonde, portait des vêtements de bonne facture, mais banals, sans insignes, et sans grandes fioritures. Silya ne repéra qu'un mince collier d'argent autour de son cou. Bien que relativement loin, elle senti que l'elfe respirait la richesse et une certaine puissance. Ses gestes étaient précis, maîtrisés, et elle semblait parler avec aisance. L'autre elfe était plus petite et était habillée d'une robe ample de couleur bleue nuit qui camouflait ses formes. Seule sa poitrine proéminente et son visage fin indiquaient à Silya qu'il s'agissait d'une femme. Pour uniques bijoux elle portait un fin bracelet au poignet droit et une grosse chevalière à l'index gauche, en argent tous les deux. Sa chevelure était aussi de couleur argentée, presque scintillante. L'ancienne reine ne put qu'admirer sa beauté austère. Ses gestes étaient rares, mais fluides, élégants. Les deux femmes parlaient à voix basse, et bien qu'elles semblaient absorber dans leur conversion, la guerrière remarqua qu'elles observaient la foule présente dans la taverne, qui, de toute évidence, ne les avaient pas remarquées. Lorsque l'elfe aux cheveux argentés tourna la tête vers elle, Silya détourna immédiatement les yeux. Mais c'était trop tard. L’œil gauche de l'elfe était fermé mais elle ouvrit instantanément la paupière lorsque son regard croisa celui de l'ancienne reine. À l'intérieur du globe oculaire il n'y avait aucun iris, seulement quelque chose de noir et de lisse. En réalité, l’œil gauche de l'elfe avait été remplacé par un morceau d'obsidienne taillé. Mais il semblait tout de même voir encore, si intensément et si profondément en elle que la guerrière ne put détacher son regard. Les deux femmes s'affrontèrent silencieusement des yeux pendant quelques instants, puis lentement, l'elfe se tourna à nouveau vers son interlocutrice en refermant sa paupière.

Un peu troublée l'alizéenne finit son verre de vin et repoussa son assiette vide. D'une manière générale, elle refusait de baisser les yeux avant un interlocuteur. Elle avait surtout prit cette habitude lorsqu'elle régnait, et devait imposer sa volonté à ses hommes et ses ennemis. Mais la puissance de cet œil noir l'avait déconcertée, si bien qu'il lui avait fallu puiser en elle pour ne pas détourner les yeux en première. Immédiatement elle regretta cet acte. Ne devait-elle pas passer inaperçue désormais ? [i]Maudite témérité ![/i] Ces deux elfes l’intriguaient, plus encore que le trio de magisters. Il était certain que dans un tel endroit, où se mêlaient toutes sortes de gens, de tous les horizons, elles se fondaient dans la masse. Le vin commençait à l'échauffée et la tête lui tournait un peu. Avec un léger soupir, elle se servie un nouveau verre tout en repensant aux combats de la journée. Silya n'avait jamais beaucoup goûté aux joutes, pour elle, la cavalerie se devait d'être légère, rapide, propre à mener des embuscades et des attaques surprises, à la manière des hordes d'Annolos en pays alizéen huit siècles plus tôt. Se harnacher d'acier, et se battre lance contre lance n’avaient pas d'utilité en combat réel. Au contraire elle devait reconnaître que la garde royale l'avait impressionnée. Elle aurait voulu une telle discipline dans les rangs de ses propres armées, ou du moins au sein des corps d'élites, et des personnalités comme ce Nadomir Forental. Même de loin, l'elfe lui avait paru vieux, pour un homme comme pour un elfe. Une telle vigueur était réellement appréciable, de même que la hardiesse sans faille de la Garde, même contre une troupe cinq fois plus nombreuse. [i]Jamais tu ne m'aurais renversé si...[/i] Elle chassa ces idées noires.

Elle songea également à Noédor Edlla, dont on lui avait soufflé le nom dans les tribunes. Excellent combattant, preste, fort, agile, avec un équilibre parfait. Lorsque l'ancienne reine l'avait vu se mouvoir près d'elle sur les gradins après son épreuve, elle l'avait également trouvé particulièrement beau. Large d'épaules, vigoureux, mais se déplaçant avec une grande souplesse, il avait une allure de grand seigneur. Évidement il était trop jeune au goût de Silya. En observant son expression et ses sourires cependant, il lui avait rappelé son défunt mari, guère plus âgé que Noédor au moment de sa mort. En plus [i]elfique[/i] bien sûr. L'espace d'un instant, elle était redevenu l'adolescente qu'elle avait autrefois été, blottie dans les bras de son valeureux guerrier à la hache. L'alizéenne revoyait encore sa mine rayonnante lorsqu'elle lui avait annoncé qu'elle était enceinte, et son air sévère lorsqu'il lui avait interdit de reprendre les armes avant d'avoir accouché et d'être totalement remise de sa grossesse. Ce qu'elle avait fait, malgré l’incessant appel muet de ses sabres argentés. Silya soupira et vida son verre, tandis qu'un serveur aux oreilles pointues débarrassait la table et posait devant elle une part de tarte aux myrtilles et groseilles. La guerrière avait également apprécié les performances des gladiateurs face aux fauves. L'étalage de tout ce sang ne lui avait pas spécialement plu, mais les combats des deux survivants avaient été mémorables. Hroar Erlîn, particulièrement, avait sût prouver la vigueur des nains. Intrépide il s'était montré aussi solide que l'ours qu'il combattait. Elle avait également apprécié les félicitations de la Reine, concises, mais marquantes quand on connaissait l'inimité des deux peuples. Elle regarda à nouveau l'assemblée en finissant sa tarte. Les deux femmes elfes avaient disparues, de même que les trois magisters, mais un certain nombre de tables étaient encore pleines. Silya finit sa bouteille puis se leva. Il était prévu qu'elle règle Céïan en intégralité à la fin de son séjour. En traversa la salle, s’efforçant de rester droite et digne malgré les relents de vin qui embrumaient sa tête, et regagna sa chambre.


Assis dans les tribunes, Arthelor Fend-Tribord regardait la reine Ivawen se rasseoir, juste après son discours de bienvenue à la deuxième journée du tournoi. Il était dix heures du matin et les derniers jouteurs en lice, après avoir longuement salué la foule et la souveraine, se préparaient à un dernier assaut. Les tournois de ce type existaient aussi dans les royaumes humains continentaux, mais il était rarissime que des femmes y participent. En l'occurrence aujourd'hui, trois jouteuses disputeraient les épreuves finales avec les hommes. L'amiral porta son regard vers les deux premiers concurrents. Ou plutôt les deux premières concurrentes. La première était une elfe des collines intérieures, d'après le blason qui couvrait son torse, sûrement la fille du seigneur des lieux, étant donné son jeune âge. La deuxième était, chose assez cocasse, Vinæys, la tante de Noédor Edlla. De dix-neuf ans plus jeune que son aîné, le magister de Vermelhäa, elle passait pour être très proche de son neveu. Arthelor la savait cavalière émérite, et avait eu une fois l'occasion de jouter, et de perdre, contre elle. Mais, aussi loin que ses souvenirs remontaient, il ne l'avait jamais vu dépasser les huitièmes de finale. Néanmoins il décida de ne rien parier aujourd'hui, tout en cherchant Séïren du regard. La jeune elfe était installée à quelques pas devant lui, et semblait bien trop pensive pour songer à un pari.

Sur la piste les deux jouteuses s'élancèrent. Les sabots ferrés martelaient le sol alors que les deux femmes se couchaient sur leurs lances et lançaient leurs montures au galop. Le fer rencontra l'acier avec une gerbe d'étincelles. Aucune des deux ne fut désarçonnée, mais Vinæys chaloupa légèrement sur sa selle. Elles se remirent en lice et s'élancèrent à nouveau avec fracas. Cette fois Vinæys parvînt à faire chuter son adversaire qui tomba lamentablement à terre. Arthelor se redressa, tandis que l'elfe victorieuse retirait son heaume, dévoilant une crinière de cheveux blonds. Elle salua la foule de la main et s'inclina devant la reine, pour repartir au trot dans les entrailles de l'arène. Les concurrents suivants étaient deux hommes d'âges mûrs, portant de la plate étincelante. L'amiral n'en reconnaissait aucun des deux. [i]Peut-être faut-il que je passe moins de temps en mer, et que je me concentre un peu plus sur la noblesse de Céläastra[/i], se dit-il. Autour de lui il pouvait apercevoir un échantillon fameux de cette noblesse, de cette haute noblesse. Tous ces aristocrates respectaient bien sûr ses faits d'armes, et ses titres. Mais la plupart le voyait toujours comme le descendant d'une famille de seconde zone, récemment glorifié et titré. Pour Arthelor, ces hommes étaient surtout jaloux de sa place à la cour et de son statut. Certains néanmoins, comme son ami Eïondril, chef de l'une des plus grandes familles de l'île, respectaient ses avis et le traitaient en égal. Fend-Tribord observa rapidement Nærisa assise dans la tribune royale. La princesse semblait soucieuse, elle promenait son regard un peu partout dans le stade, allant des gradins les plus éloignés aux rangs où les participants de la veille assistaient au tournoi. Elle balaya des yeux la tribune officielle, regardant successivement une rangée de haut nobles de Céläastra deux femmes en grandes conversation à quelques pas sur la gauche d'Arthelor, pour s'arrêter sur un humain à la peau noir recouvert d'une toge blanche. Pas une fois elle ne regarda l'amiral. Il se renfrogna et se concentra à nouveau sur le tournoi.

La deuxième joute s'était achevée rapidement et à présent, la troisième elfe se mettait en place, face à son adversaire. Juste sur la droite de l'amiral un homme s'assit sur une place laissée inoccupée jusque-là. Arthelor reconnu Eïondril, qui, chose étonnante, ne se trouvait pas avec les autres participants de la veille. Il lui parla à voix basse :

- Bonjour Fend-Tribord. Je devais te voir au plus vite.

Eïondril l'appelait souvent par son surnom, par respect pour sa gloire militaire. Il semblait par contre nerveux. Ses yeux lançaient des regards un peu partout, sa chevelure était beaucoup moins bien tenue qu'à l'ordinaire et son souffle irrégulier, comme si il avait couru. Ses traits enfin étaient tirés, et, chose rare, son visage trahissait ses soixante-cinq ans.

- Que ce passe-t-il mon ami ? intervînt Arthelor.

- Eh bien, répondit-il en inspirant à fond, l'amiral Soledor a été retrouvé mort à son domicile il y a quelques heures. Un messager vient de m'en informer, j'ai pensé que tu aimerais le savoir le plus tôt possible. Je suis désolé.

- Merci Eïondril, souffla Fend-Tribord. Tu as bien fais.

Il eut du mal à reprendre contenance. L'amiral Soledor avait été le mentor des deux amis, bien qu'a des époques différentes, et ils le considéraient tous deux comme un maître. Arthelor reprit :

- Comment est-ce arrivé ?

- Le problème est là... dit son ami en abaissant la voix et en jetant un rapide regard autour d'eux. Bien sûr il avait plus de cent-dix ans... Mais tous ceux qui le côtoyaient sont formels, il était en bonne santé. Apparemment son cœur c'est arrêter de battre, subitement. D'aucuns parlent d'un empoissonnement...

- J'ai du mal à y croire, il n'avait pas d'ennemis connus. La thèse de la crise cardiaque est plus plausible.

- C'est vrai, continua Eïondril en baissant encore la voix, mais sous des dehors d'unité, certains grands du royaume ruminent encore leur échec pendant la guerre. D'autres ne supportent pas la disgrâce... Peut-être ont-ils voulus abattre un symbole éminent parmi les fidèles d'Ivawen.

- Possible, admit Arthelor. Mais Soledor était vieux, il n'avait plus de charges à exercer, si ce n'est l'administration de sa fortune et s'occuper de quelques cérémonials. Il était absent des conseils de la Reine depuis deux ans maintenant, et te laissait le suppléer. Très sincèrement, si ils avaient voulu abattre un symbole, il t'aurait plutôt choisit toi, Eïondril.

- C'est également ce que je me suis dit, sourit l'amiral d'un air grave. Sa succession semble difficile à déterminer, tant sur ses terres qu'au conseil. Cette mort va créer des remous.

- Oui, fit Fend-Tribord, mais les marins aiment les remous, la navigation n'en est que plus belle. Ainsi parlait Soledor.

- Ainsi parlait Soledor, répéta Eïondril en écho.

Au milieu du stade, Vinæys avait été désarçonnée en finale face à un elfe de haute stature, aux cheveux très courts, le capitaine Olaïn, déjà champion au précédent tournoi. Arthelor joignit ses applaudissements à ceux de la foule, mais il avait déjà oublié la joute.


Silya s'élança et bloqua le premier coup de son adversaire, un grand elfe armé d'une épée et d'un petit bouclier. Elle avait troqué ses sabres contre deux épées courtes émoussées trouvées dans l'armurerie mise à disposition des concurrents de la haute mêlée. Elle s'était aussi équipée de gantelets de plates, d'un haubert de mailles et de cuir et de bottes de cuir souple, renforcées par des jambières de fer. Elle portait enfin un casque de cuir bouillit, léger, doublé de mailles en-dessous des oreilles et jusqu'à la base du cou. L'alizéenne se baissa prestement, esquivant un deuxième coup de son adversaire et le frappa à la poitrine, deux fois. Il s'effondra. L'ancienne reine se jeta plus en avant dans la mêlée, venant au secours d'un de ses compagnons en désarmant son assaillant. Puis elle hurla à deux autres membres de son équipe situés à quelques pas sur sa droite :

- Vous deux, mettez-vous à couvert !

Ils obéirent instantanément, évitant une charge menée par cinq elfes. La guerrière recula ensuite en harcelant un de ses adversaires, qui fut rejoint presque tout de suite par un autre. Elle les attira à l'écart, puis avisant une faille dans la garde du premier, taillada sa gorge. Il chuta, le cou salement écorché. L'autre recula de deux pas, mais Silya fut sur lui en un instant, l'attaquant au genou, au bras, puis l'assommant d'un coup à la nuque. Elle chargea ensuite le flan du groupe d'elfes qui luttaient contre ses compagnons. D'un revers elle en mit un au tapis, puis entailla la cuisse d'un autre qui fut achevé par un de ses frères d'arme, immédiatement assommé par un combattant adverse. Silya s’apprêtait à l'affronter quand un coup de sifflet retentit. Les combats cessèrent aussitôt. Après une rapide délibération, les arbitres se mirent d'accord. Ils désignèrent cinq combattants dans chaque équipe. La guerrière fut appelée dès le début. Elle attendit quelques minutes la fin des affrontements des autres équipes, puis après une discussion entre les arbitres, fut envoyée dans un groupe de dix fraîchement constitué.

Quelques camarades se rassemblèrent autour de la guerrière tandis qu'elle faisait face à l'équipe adverse. Apparemment ces combattants, majoritairement humains cette fois, étaient prêts à suivre ses conseils.[i] À la bonne heure.[/i]

- Chargez ! cria-t-elle

Le groupe se mit en branle. Une fois parvenu à quelques pas de ses adversaires, elle indiqua d'un geste aux quelques combattants situés sur sa gauche de se replier derrière elle, puis se rua à l'assaut. Elle désarma un homme, puis lui enfonça symboliquement son épée dans le torse avant de hurler un ordre. Les guerriers rassemblaient derrière elles se jetèrent sur l'aile gauche de l'équipe adverse, la débordant rapidement. Elle-même luttait difficilement pour éviter d'être complètement submergée par des attaquants bien supérieurs en nombre. Sur la défensive, elle écopa d'une estafilade sur le bras qui la fit saigner un peu. Elle parvînt tout de même à se débarrasser d'un combattant. Sur sa droite les adversaires tombaient les uns après les autres sous les coups répétés de ses compagnons, qui, bien qu'ayant essuyés quelques pertes, se battaient comme des lions. Rapidement tout fut terminé et les arbitres sonnèrent la fin des combats. Plusieurs de ses compagnons étaient blessés, et Silya repéra immédiatement ceux que les arbitres allaient éliminer. Sans surprise, ils la choisirent en première, et après quelques instants de réflexion, formèrent deux nouvelles équipes de dix individus.

L'ancienne reine observa ses nouveaux frères d'armes. Trois elfes femelles, un mâle aux cheveux noirs, et cinq humains. Elle avait vu combattre quatre des humains. Ce n'était pas les meilleurs. Par contre, l'une des femmes elfes, aux yeux vairons, avait bien faillit la surclasser tout à l'heure, avant que foule des combattants ne les séparent. Elle avait également croisé le fer avec l'homme elfe, et il se battait bien. Rapidement le groupe se rassembla en cercle et l'elfe aux cheveux noirs exposa une stratégie. Silya réfléchit rapidement. C'était audacieux, mais cela pouvait marcher. Elle ouvrit la bouche pour donner son point de vue, et proposer une amélioration, mais l'elfe lui tourna le dos, bientôt suivit par ses autres compagnons. La guerrière faillit l'insulter mais ravala sa fierté au dernier moment. Il valait mieux que le groupe reste uni. Elle préféra se porter à la droite de l'elfe aux yeux vairons. Celle-ci se battait à l'aide d'une grande épée elfique, avec une virtuosité et une témérité déroutante.

- Il y a un point faible dans le plan de ton compatriote, commença-t-elle.

- Ce n'est pas mon compatriote, lança l'autre avec mépris. C'est un petit soldat anoblit qui se prend pour un stratège. Il veut déborder l'aile droite de l'adversaire avec notre aile gauche. Mais en face, ils s’apprêtent à faire de même.

[i]Un petit soldat anoblit[/i], pensa Silya. [i]Et toi tu es une petite noble bien hautaine. Mais c'est exactement ce qu'il me faut.[/i]

- Nous formons l'aile droite, à nous de ne pas nous laisser déborder, ma chère, dit-elle d'une voix froide.

- J'attendrai ton signal, répondit l'elfe d'un ton égal.

Quelques secondes plus tard le combat débuta. Silya, située tout à droite de la ligne, croisa le fer avec un grand elfe à la chevelure noire. Elle s'éloigna de quelques pas puis passa à l'attaque. D'une taillade elle le fit reculer, puis para trois attaques latérales avant de tenter deux coups d'estoc, au genou et au torse. L'elfe était rapide et esquiva, avant de lui envoyer un violent coup de bouclier, que Silya n'évita que de justesse. Mais il avait baissé sa garde, et l'ancienne reine put lui asséner deux coups latéraux en même temps. Il tomba à terre et elle l’assomma. Retournant prestement dans la mêlée elle vit la guerrière elfe fendre le thorax d'un humain d'un coup d'épée, qui l'aurait tué sur le coup si l'épée avait été véritable. Comme prévu, leur aile gauche gagnait du terrain, mais à droite, ses compagnons reculaient largement.

- Maintenant ! hurla l'alizéenne.

Elle s'élança au milieu des ennemis, la femme elfe sur ses talons. Surpris, deux combattants n'eurent pas le temps de réagir et tombèrent tout de suite sous leurs coups. Silya se fraya un chemin vers un gigantesque humain, maniant un marteau de guerre, en bois. Elle l'attaqua sur le côté mais il fut plus rapide et l'expédia au tapis d'un formidable coup de poing. À terre Silya roula pour éviter un coup de maillet qui lui aurait sûrement écrasé toutes les côtes, voire tuée. Elle se releva d'un bon en épongeant sa lèvre, et s'apprêta à combattre. Mais ce ne fut pas nécessaire. Sa compagne elfe trancha dans la cuisse de l'homme, puis, d'un coup derrière la nuque, l'assomma. Les deux femmes se ruèrent à nouveau dans la mêlée. Elles attaquèrent une femme elfe de front et l'écrasèrent facilement. Leur attaque surprise avait retourné le rapport de force en leur faveur. Le "petit soldat anoblit" avait écopé d'une blessure à la tête et ne bougeait plus, cloué au sol. Les derniers membres de leur équipe, cinq en tout, encerclèrent enfin les deux adversaires encore debout, et les arbitres stoppèrent les combats.

Sept combattants étaient encore en lice, mais les arbitres en destituèrent deux, et les remplacèrent par d'autres, estimant leur technique supérieure. Et Silya ne pouvait que les approuver. La dernière phase de l'épreuve était la plus compliquée. Il ne s'agissait plus de combattre de manière stratégique, pour réduire l'équipe adverse, mais bien de survivre à la mêlée. La guerrière regarda avec méfiance les autres concurrents. Il y avait l'elfe aux yeux vairons, deux humains, l'un à la chevelure d'argent, l'autre brune, une femme elfe élancée, maniant une lance, et deux hommes elfes l'un chauve, l'autre aux yeux bleus profonds. Ils se placèrent en cercle. La mêlée serait générale, pas de quartiers, et peu de règles. Silya ferma les yeux, respira longuement, puis les rouvrit. Elle se relâcha, attendant le geste de la reine, debout à sa tribune. En face d'elle, l'elfe chauve semblait nerveux. Enfin le signal arriva. La guerrière entendit un rugissement sur sa gauche, alors qu'un de ses adversaires se ruait sur elle. Un sourire se dessina sur son visage. [i]Idiot.[/i] Elle se jeta en arrière puis lui asséna un coup au pied. L'autre se redressa et frappa à la tête. L'ancienne reine para de ses deux lames. Son adversaire était très fort. Il tenta de l'atteindre du pied mais elle se déroba. Sur sa droite on fondait sur elle. [i]Facile[/i], pensa-t-elle. [i]Et lâche.[/i] Mais il y avait souvent peu d'honneur dans les batailles rangées. Elle se dégagea, exécuta une pirouette, lames en avant, puis bloqua l'épée de l'humain qui l'avait attaquée en traître. D'un coup d'épaule elle le repoussa. Le voyant reculer elle plaisanta :

- Et oui, les femmes aussi ont des muscles !

L'autre cria et chargea. Mais Silya s'était esquivée. Son premier adversaire se battait à présent avec l'elfe aux yeux vairons. L'alizéenne se baissa vivement pour éviter une attaque, et acheva son action d'un double coup d'estoc dans la poitrine. L'armure fut entamée, les mailles percées, les cuirs déchirés et ses lames se plantèrent dans le torse de son adversaire, qui s'effondra, salement blessé. Des médecins se précipitèrent pour lui venir en aide et Silya rejoint à nouveau la mêlée. [i]Et de un.[/i] Elle cherchait un adversaire des yeux, quand un coup lui déchira l'arcade sourcilière, emportant sa calotte de cuir par la même occasion, ainsi qu'une mèche de cheveux gris, pourtant tressés. Elle se retourna et vit l'elfe à la lance s'élancer vers elle. La guerrière para la longue javeline, puis se baissa pour éviter un coup de hampe, mais son ennemie avait suivi son mouvement. Le bois cogna sa tête et Silya fut projetée au sol. Elle roula sur elle-même et se releva tant bien que mal. Elle s'avança, mais dû reculer face à l'allonge bien supérieure de l'autre. D'un coup d'épée, elle parvînt tout de même à repousser la hampe, puis à s'approcher de la jeune femme, mais cette dernière fit tournoyer son arme et l’atteignit au creux du genou. Silya chancela et la pointe de la lance fusa vers son torse. Avec une rapidité hors du commun, l'ancienne reine croisa ses lames vers le bas, cueillit la pique et la redirigea sur le sol. L'arme si planta, rejointe par les deux épées de Silya, qui se rua sur son adversaire et lui asséna un formidable coup de poing en pleine figure. Elle arracha ensuite l'épée courte que son adversaire, désorientée et chancelante, venait de dégainer et lui trancha symboliquement la gorge.

Elle alla ensuite immédiatement ramasser ses sabres, puis se tourna vers les autres combattants. L'elfe aux yeux vairons avait vaincu son adversaire et se battait maintenant contre le dernier encore debout, l'elfe chauve, entre deux âges. Silya se précipita à leur rencontre. Instantanément, ils se retournèrent et firent face. Elle para deux coups, puis s'attaqua à l'homme, qui avait à nouveau tenté de s'en prendre à l'autre elfe. Le combat fut court, mais intense. Le chauve esquiva l'attaque de Silya, puis désarma l'elfe, que l'humaine acheva. Elle se tourna tout de suite vers son dernier adversaire. [i]Déjà quatre mille pièces d'or[/i], songea-t-elle avec un sourire en coin. Le visage de l'elfe était impénétrable. Il maniait une épée elfique et portait un grand bouclier, mais sa tête était sans défense, depuis qu'il avait perdu son casque. [i]Sur ce point-là au moins, nous somme à égalité. [/i]Il passa à l'attaque. Elle esquiva et tenta un coup à la cheville, qui fut évité également. Ils se tournèrent autour. Ses blessures, bien que superficielles, lançaient Silya. Elle attaqua et parvînt à ouvrir la cuisse de son ennemi, mais reçu un violent coup de bouclier en plein poitrine. Elle recula et bondit de côté pour éviter une nouvelle attaque. La lutte continua ainsi pendant plusieurs minutes sous les vivats des spectateurs, que l'ancienne reine n'entendait même pas. Tout ce qui existait désormais était le visage glabre de son adversaire et son impénétrable regard, étrangement doré. Après deux minutes de combat supplémentaires, Silya saignait de l'épaule droite et de la hanche gauche, mais elle avait blessé l'autre au genou et à l'avant-bras droit. Il était temps d'en finir. Les deux combattants se ruèrent l'un vers l'autre, et leurs épées sifflèrent tout autour d'eux, se rencontrant dans des gerbes d'étincelles. L'alizéenne entailla le ventre de son adversaire, mais ce dernier la repoussa à nouveau, sans parvenir lui-même à pénétrer ses défenses. Ils s'observèrent quelques instants et voulurent se lancer dans une nouvelle attaque lorsqu'une voix retentit dans tout le stade :

- Halte !

La voix de la reine, à n'en pas douter. Son adversaire mit un genou à terre, en plaçant ses armes devant lui, comme une offrande. Silya baissa ses lames et s’inclina. On ne se prosternait pas dans le Royaume Alizé, aussi évitait-elle, au possible, de le faire.

- Vous vous êtes tous deux battus plus que vaillamment, reprit la reine, qui portait aujourd'hui une robe argentée. Je ne veux voir aucun de vous vaincus par les armes aujourd'hui. En cela je me réserve le droit de désigner le champion de la haute-mêlée. Elfe, quel est ton nom ?

- Olodïn Eldor, Votre Altesse, répondit l'elfe.

- Humaine, quel est ton nom ?

- Silya, commença Silya. Un frisson la parcourut lorsque la reine s'adressa à elle, un frisson chaud et glacé à la fois un frisson étrangement agréable. De si loin, elle ne voyait d'Ivawen que sa robe et sa chevelure platine. Elle reprit : Je me nomme Silya Ayen, Votre Majesté.

- Bien, continua la reine. Silya Ayen, tes techniques sont remarquables. Je t'offre la place de vice-championne de la haute-mêlée. Tu recevras la récompense promise et ton nom sera honoré sur la stèle commérant le tournoi. Olodïn Eldor, félicitations, je t'ai trouvé plus assuré sur tes appuis, tes coups étaient parfois mieux ajustés. Je te nomme en conséquence champion de la haute-mêlée !

Des applaudissements et des vivats accueillirent la décision de la reine. Un peu déçue, Silya, certaine qu'elle aurait fini par défaire son adversaire, s'inclina profondément devant la reine Ivawen, et, lorsqu'elle en eut la possibilité, quitta le stade.
Dans les entrailles sombres elle se débarbouilla. Elle irait chercher sa récompense le lendemain. Pour l'instant elle ne désirait plus qu'une chose, un bon repas chez Céïan, avec une cruche de vin, et une bonne nuit de sommeil. Mais alors qu'elle s’apprêtait à franchir le seuil un elfe l'arrêta. Il était petit pour un membre de son peuple, à peine plus grand qu'elle, mais semblait fort et sûr de lui.

- Silya Ayen ? Je m'appelle Ilïn Soë, et je suis le commandant de la garde personnelle de la princesse Nærisa. Je suis là sur son ordre pour vous proposer une place dans nos rangs.

Troublée Silya répondit :
- Vous feriez mieux de vous adresser au champion. Je me fais un peu vieille pour commencer une carrière de garde du corps.

- Oh, renchérit l'elfe, pensez-vous vraiment que l'on cherche des champions, pour assurer la tranquillité des Reines ? Modifié par Loup Noir
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Très bien écrit, on sent que tu veux nous faire découvrir ton univers qui m'a l'air très intéressant. Quelques fautes par çi par là, mais c'est pas bien grave. Franchement, j'aime beaucoup, j'adore même, et j’attends donc la suite avec impatience.
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Voilà la suite. Je développe beaucoup l'univers dans ce chapitre, et la reine apparaît enfin. J'espère que vous allez apprécier. Je vous remercie aussi pour vos commentaires, qui m'encourage.


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Chapitre VI[/center][/b][/u]


Dans la grande salle du Conseil Esuf était mal à l’aise. De toutes les curiosités qu’il avait observées depuis son débarquement sur l’île, celle-ci le frappait particulièrement. Un « conseil » existait également chez lui, pour régir la tribu, mais sa structure différait. Le conseil ne se réunissait qu’une fois par mois et se composait de vieux guerriers réputés, qui parlaient tous un temps égal et possédaient tous un pouvoir égal. Le chef de tribu, tiré au sort parmi les membres du conseil pour un an, n’avait le pouvoir de trancher les décisions que si aucun accord n’avait été trouvé au bout d’au-moins deux délibérations. Même lorsqu’un Guerrier-Roi était désigné, son pouvoir était limité de la même manière, par les chefs des tribus cette fois, dans une instance nommée « Grand Conseil ». De plus, s’il n’apportait pas de réponse satisfaisante à la crise pour le règlement de laquelle il avait été nommé, les membres du Grand Conseil le mettaient à mort sur le champ. Ici, la Reine possédait le pouvoir absolu, et les Magisters n’étaient là que pour la conseiller et exécuter ses ordres. De même, chez les sorgosiens, il était impensable qu’une femme soit admise au conseil, encore plus qu’elle le dirige. Outre cette étrange manière de faire de la politique, Esuf se sentait opprimé, oppressé dans ce château trop grand, dans ses couloirs trop étroits, dans ces salles aux hauts plafonds. Dans son pays les réunions politiques se tenaient en plein air, dans un élan de communion avec les Esprits du désert. Comment pouvait-on prendre des décisions dans un endroit si [i]étriqué[/i] ?

Dans la grande salle, Esuf était sans armes et entouré de huit gardes royaux situés aux quatre coins de la pièce. Près de la table du conseil un elfe se tenait debout. Il avait les cheveux noirs et portait des étoffes sombres unies. Bien entendu, si le sorgosien trouvait l’espace réduit, il avait conscience que la pièce était étendue et haute de plafond. Les murs étaient sobres mais couverts de tapisseries représentant des scènes de chasses, de batailles et, plus étonnant, d’études féminines, où des femelles elfes brodaient ou peignaient des fresques. Au milieu de la salle, une grande table était entourée de huit chaises, toutes identiques. Seul un imposant trône se distinguait, en bout de table, par son style ondoyant et son magnifique cisèlement. Sur la droite d’Esuf l’un des gardes frappa trois fois le sol de sa hallebarde. L’elfe aux étoffes sombres prit la parole :

- Iris Serra, Magister, annonça-t-il. Une femme de port altier, à la chevelure auburn, et aux yeux bruns entra dans la pièce, s’inclina légèrement et alla s’asseoir dans le siège le plus à droite.

- Le Seigneur Selen Umbrïn, Magister, reprit l’elfe. Un grand homme bronzé au petit nez et au regard dur s’avança, inclina respectueusement la tête devant Esuf, et s’installa tout à gauche.

- Varia Alluv, Magister en charge de l’agriculture. Un elfe de taille moyenne, à la peau très blanche et aux cheveux – étrange – bleus sombres, entra dans la pièce, salua, puis s’assit à côté de la dénommée Iris Serra.

- Le capitaine Engoïn Sëë, Magister en charge du commerce extérieur et des finances. Il s’agissait d’un vieil elfe aux traits fermés, aux yeux mi-clos et au pas trainant. Il salua promptement le sorgosien et prit le siège à droite du Seigneur Umbrïn.

- Le Seigneur Ismos Oudaï, capitaine des forces armées intérieures et des polices, représentant de la Garde Royale au Conseil. Un elfe musculeux, chauve, au physique de combattant, portant une épée elfique au côté, fit son entrée, et après une courte inclinaison du buste, s’assit à gauche de Varia Alluv.

- Le Seigneur Souvaron Desmopïl, Magister des armées du Royaume. Un géant pénétra dans la pièce. Il portait un imposant collier d’or blanc et avait les yeux verts sombres. Deux longs coutelas battaient ses hanches. Il s’inclina respectueusement et s’installa à droite du capitaine Engoïn Sëë.

- L’Amiral Eïondril Eleïon, suppléant l’amiral Soledor Sïïn au poste de Magister général de la flotte royale. Un elfe de taille moyenne, trapu et musculeux entra dans la pièce. Ses cheveux très courts étaient noirs de jais et il portait un grand sabre d’abordage à la ceinture. Il se courba respectueusement devant Esuf, puis investi le fauteuil à gauche du Seigneur Ismos Oudaï.

Respectant le protocole, Esuf s’inclina profondément, puis l’elfe reprit :

- Veuillez maintenant accueillir la Princesse Nærisa, Magister chargée des relations diplomatiques.

Lorsque la princesse entra tous les magisters se levèrent et s’inclinèrent. Les gardes, l’elfe s’occupant du protocole, et pour finir Esuf, les imitèrent. Nærisa portait à la ceinture un court poignard d’apparat et son front était ceint d’un diadème d’argent. D’un geste elle fit se relever tout le monde, puis s’assit dans la chaise située à côté du Seigneur Souvaron Desmopïl. L’elfe chargé du protocole ouvrit une dernière fois la bouche :

- Membres du Conseil, visiteurs, Son Altesse Ivawen la Triomphatrice, Reine Solaire des elfes insulaires, Dame Protectrice de Céläastra.

Tous se levèrent, et tous mirent un genou à terre. La reine pénétra dans la pièce. Elle s’installa dans son trône, puis fit signe aux autres de se relever. Les membres du conseil s’exécutèrent, puis se rassirent. C’était la première fois qu’Esuf la voyait de si près. Il remarqua qu’elle portait à la ceinture le coutelas en os de dragon qu’il lui avait fait parvenir la veille, n’ayant pu l’approcher pendant le tournoi. La reine était de taille moyenne, et portait une grande robe rouge vif, jurant avec les cheveux de Nærisa. Sa chevelure était d’un blond très clair, presque blanc, mais brillant, rappelant dans une certaine mesure à Esuf le soleil éternellement estival de son pays. Ses yeux étaient bleus profonds, si profonds qu’Esuf ne se risqua à les croiser qu’un instant. Sa peau était extrêmement claire, faisant encore plus ressortir la couleur de ses yeux. Sa poitrine était plus généreuse que celle de sa sœur, de même que ses hanches, et sa silhouette était plus imposante, semblait moins fragile. Son visage était également en forme de cœur, son nez mince mais trainant en longueur, et ses lèvres plantureuses. Elle ne souriait pas, ses iris demeuraient impénétrables, son visage était parfaitement détendu et insondable, mais ne se voulait ni charmeur, ni rieur. Elle était néanmoins belle, d’une beauté austère et froide. A l’œil flamboyant de Nærisa, seule la glace répondait dans la majesté d’Ivawen. Aux mains elle portait des bagues, la plupart fines, certaines lourdes et chargées de joyaux. Elles étaient toutes en or pur, parfois en or rouge ou en or-gris. Elle portait un brassard d’argent au poignet droit et deux fins bracelets au poignet gauche, également en argent. Au cou, elle dévoilait un magnifique collier d’ivoire, incrusté de saphirs clairs et d’émeraudes foncées. Deux anneaux d’or pendaient à chacune de ses oreilles, l’un sur le lobe, l’autre au sommet de la pointe. Sur sa tête était posée une superbe couronne d’or, assez large, semée de fleurs de lys stylisées. Elle était fermée et semblait lourde, mais Ivawen avait l’air de la porter sans difficulté. La couronne était incrustée de multiples joyaux, et, au front, brillaient un saphir entouré de deux émeraudes. Juste en-dessous, on pouvait voir une perle, et au-dessus, étincelait un gros rubis.

Un tel étalage de richesses ne choquait pas Esuf. Les sorgosiens portaient également des bijoux d’or et de grandes parures ostentatoires. Le protocole était par contre singulier et parfaitement bien rôdé. Chacun avait sa place, chacun y restait, et chacun devait se soumettre à l’autorité suprême de la reine. C’était peut-être ce point qui dérangeait l’humain. Pour lui, une bonne décision ne pouvait être prise que collectivement, après une discussion et, si besoin était, un compromis. Néanmoins il chassa ces appréhensions. Il n’était pas venu là pour juger les elfes insulaires, mais pour demander de l’aide. Il avait bon espoir de réussir. Ivawen avait accepté son cadeau, et l’honorait en le portant devant lui.

- Bonjour à tous, dit la souveraine d’un ton magistral. Laissez-moi vous présenter Ésuf, de la tribu des Crânes-de-Taureaux, représentant Agg-Kour, de la tribu des Dunes-en-Feu, Guerrier-Roi de Sorgoz.
Elle le salua respectueusement de la tête, imitée par les autres membres du Conseil.

- Avant de laisser la parole à Esuf et d’aborder la question de sa visite, reprit la reine d’une voix légèrement plus froide, j’aimerais introduire le Capitaine Arthelor Fend-Tribord de la Famille Uvaron, Amiral des Mers du Levant ainsi que ma cousine, Séïren Abæl.

Un grade ouvrit une porte et deux personnages entrèrent dans la pièce. Le premier était un homme grand et large d’épaules, chauve, portant d’épais favoris aussi roux que les cheveux de la princesse Nærisa. Ses yeux étaient étrangement aussi rouges que sa barbe. Il mit un genou à terre devant la reine et sa sœur, sans un regard pour le reste du conseil, puis s’inclina respectueusement devant Esuf avant de se placer quelques pas devant lui à droite. La femme était petite et semblait être de loin la benjamine des elfes présents dans la salle. Son visage était étrange, doté d’un long nez et d’une large bouche. Ses yeux, s’étirant légèrement en amende, étaient verts, mais bien moins profonds que ceux de la princesse assise à la table du conseil. Elle fit la révérence devant les membres du Conseil puis lança un regard intéressé à Esuf, qui remarqua un scintillement charmant au fond de ses iris. Elle s’inclina devant lui, puis vînt se placer à sa gauche.

- Bienvenue au sein de mon Conseil, commença la reine d’un ton placide. J’ai demandé à l’Amiral Arthelor d’être présent car il me faut évoquer l’avenir de la place qu’occupait Soledor Sïïn au Conseil. Il était suppléé depuis deux années par l’amiral Eïondril, mais j’estime nécessaire d’officialiser cette place. Voilà quinze ans, Eïondril Eleïon, que vous me servez fidèlement, de ce fait, je souhaite faire vous mon nouveau magister général de la flotte royale.

- Ce serait un honneur pour moi votre Altesse, répondit Eïondril en se levant et en s’inclinant bas.

- Je souhaite également, continua la reine, que vous soyez assisté dans votre tâche par Arthelor Fend-Tribord. La haute direction de la flotte de guerre sera par conséquent collégiale, bien qu’Eïondril conserve la haute main sur ses affaires. Arthelor, servez moi au sein du Conseil avec autant d’ardeur qu’en mer.

- Merci Majesté, éructa Fend-Tribord en tombant à genou, Votre Grâce me comble d’un honneur trop grand.

Esuf remarqua le sourire en coin de Nærisa, et Ivawen elle-même sembla amusée. Néanmoins, lorsqu’elle se tourna vers le vieux capitaine Engoïn Sëë son regard était dur et froid.

- Capitaine Engoïn Sëë, dit-elle, je vous ai exposé hier, au terme d’un entretien privé mes projets pour votre département. Vous m’avez opposé un refus catégorique, et même menacé de démissionner. Je suis sûre que votre propre présence au Conseil ce matin vous étonne. Rassurez-vous, je ne vous ai fait venir que dans le but de vous présenter votre successeur. Seigneur Selen Umbrïn, je vous charge désormais de diriger le commerce extérieur et les finances, en remplacement du capitaine Sëë.

- Bien sûr, Votre Majesté, s’empressa de répondre le seigneur Umbrïn.

- Ma Reine, enfin, commença Engoïn Sëë, je suis un de vos plus fidèles serviteurs. Nul ne vous est plus dévoué que moi. Mais ce projet… Je ne peux pas, c’est… Ma Reine, j’ai servi votre père, et avant lui votre grand-père pendant…

- Je sais, coupa sèchement la reine. Et aujourd’hui vous me servez moi. Et votre temps est révolu. –Elle se tourna vers Iris Serra qui la regardait d’un œil noir – Etant donné vos positions lors ce même entretien, et votre empressement à défendre votre oncle Engoïn, je vous démets également de vos fonctions. J’ai besoin d’un œil jeune pour me conseiller. En conséquence, j’ai demandé à Séïren de bien vouloir assurer cette tâche, et elle a acceptée. Es-tu toujours d’accord Séïren ?

- Je le suis ma Reine, dit la jeune femme en s’inclinant.

- Non, s’indigna Iris Serra. Vous ne pouvez pas faire cela Votre Majesté ! Mon oncle et moi-même vous servons fidèlement. Ce n’est pas nous que vous insultez par votre décision, mais deux des plus puissantes familles de Céläastra !

- Ça suffit, Iris, gronda Nærisa. Vous menacez votre souveraine.

- Ce n’est pas une menace, princesse, mais un fait, grinça Serra. Vous vous aliénez les grands lignages. Et tout cela pour donner ma place à Séïren Abæl. A une…

Instantanément les yeux de Nærisa s’écarquillèrent. Iris Serra se tut immédiatement. Ivawen quant à elle avait fermé les yeux. Ce devait être un signe, car l’ancienne magister se leva furieusement et sorti à grands pas de la salle, suivit de son oncle. Esuf, qui avait suivi l’échange avec intérêt, ne savait plus où se mettre.

- Bien, reprit tranquillement la reine Ivawen. Maintenant que ces désagréments sont réglés, Arthelor, Séïren, veuillez prendre place je vous prie. Esuf de la tribu des Crânes-de-Taureaux, nous vous écoutons.


Silya regardait la jeune elfe approcher. Le matin même Ilïn Soë, le capitaine de la garde de la princesse Nærisa, lui avait fait visiter l’intégralité du palais royal, détaillant les moindres pièces, les couloirs, les portes dérobées, les issues de secours. Elle avait eu le droit de jeter un coup d’œil aux appartements de la princesse, et même, très rapidement, à ceux de la reine. Le capitaine avait été impressionné par la facilité avec laquelle l’alizéenne retenait le plan du donjon, ne sachant pas, bien sûr, qu’elle avait passé sa vie à parcourir les châteaux. Ilïn l’avait également, au début de la journée, présentée à Nærisa. L’ancienne reine avait apparemment plu à la princesse, qui avait, la veille, grandement apprécié ses techniques de combat à deux armes, et leur efficacité. Silya quant à elle aimait le sourire charmeur de sa nouvelle employeuse, bien qu’elle y soit insensible, ainsi que ses manières et sa beauté naturelle. La princesse l’avait tout de même questionnée sur son passé. Silya avait comme toujours raconté son histoire, celle de la fille d’un marchand alizéen ruiné, devenue mercenaire grâce à son talent pour les armes. Elle n’avait donc aucun passé et aucun avenir tracé à défendre. Une couverture pratique et crédible. Pour sa part, Ilïn Soë ne lui avait pas fait bonne impression. A sa manière de se déplacer et d’analyser son environnement elle avait bien entendu reconnu un guerrier chevronné. Mais elle l’avait trouvé trop strict, trop porté sur la discipline, et pas assez innovant, ce qui pouvait se montrer fatal lorsque l’on défendait quelqu’un. Désormais la guerrière attendait dans le grand jardin en terrasse situé en contre-bas du donjon, seule, la venue annoncée de la cousine de Nærisa, Séïren, censée lui expliquer les grandes lignes de l’organisation politique de l’île.

Séïren était une elfe de taille moyenne, au long nez et aux yeux en amende, verts et rieurs. Elle avait de longs cheveux noirs tressés avec soin et ses oreilles étaient plus rondes que celles des autres elfes qu’avait eus l’occasion de croiser Silya. Avec sa taille fine, sa poitrine menue et ses épaules étroites, elle n’était guère impressionnante. De même, il ne se dégageait pas d’elle la même impression de puissance que Silya avait sentie chez Nærisa. L’alizéenne remarqua également que Séïren était particulièrement jeune, selon les standards elfes, mais également selon les standards humains. Elle ne devait pas avoir beaucoup plus de vingt ans.

- Bonjour Silya Ayen, dit Séïren en s’approchant. Je suppose qu’Ilïn vous a fait visiter le palais ? – Silya acquiesça – Très bien, comme vous le savez sûrement, je suis Séïren Abæl, fille de Mïlia Abæl, et cousine de la reine Ivawen.

Elle disait cela d’un ton pompeux, presque hautain. Nonchalamment, elle fit signe à l’humaine de la suivre, et entama une promenade dans le jardin. Elles marchèrent un instant dans une allée avant de bifurquer sur la gauche et d’emprunter un chemin sinueux.

- En tant que diplomate principale de Céläastra, et princesse héritière, commença l’elfe, la voix de ma cousine est chargée d’autorité. En conséquence il lui faut se déplacer régulièrement à l’étranger et sur l’Île. Vous comprendrez donc que sa vie peut être menacée à tout moment. Elle a d’ailleurs plusieurs fois échappé à des tentatives d’assassinats.

Elle tourna à gauche, gravi un petit talus puis s’arrêta. On pouvait voir l’horizon et la forêt couvrant la province d’Hingore.

- En tant que garde du corps, vous suivrez Nærisa dans ses déplacements, continua-t-elle. En cela, elle estime important que chacun de ses gardes personnels ait une connaissance correcte des politiques structurant la société de Céläastra. Notre île est gigantesque, la plus grande du continent. Au centre, les hauts plateaux peuvent atteindre six-mille pieds d’altitude, tandis qu’une grande partie de l’île est couverte de forêts. Au sud et à l’ouest, les alizés sont si violents que les tempêtes sont fréquentes et les côtes déchiquetées. Au nord-ouest par contre, de magnifiques plages émaillent le rivage.
Silya écoutait sans rien dire, tâchant de retenir toutes ces informations.

- Notre Île est découpée en Grandes Provinces et en seigneuries, plus ou moins grandes. Aucuns seigneurs n’est assujetti à un autre, mais certains possèdent des terres plus importantes. Par exemple les Familles Sëë, Eleïon, Serra et Edlla font parties des plus puissantes. Les Familles Umbrïn, Forental ou Uvaron, pour ne citer qu’elles, ne possèdent que des terres réduites, leur pouvoir n’est par conséquent que peu étendu. Néanmoins, chaque seigneur est maître de son territoire, et, vis-à-vis de l’hommage-lige qu’ils sont tous obligés de prêter à la couronne, ils se retrouvent à égalité par rapport au souverain.

- Il n’existe pas de seigneuries intermédiaires ? s’enquit Silya.

- Pour ma part, j’appartiens à la Famille Abæl, des îles extérieures, répondit Seïren. Nos terres sont constituées d’une presqu’île venteuse, d’une île de taille réduite au large de Céläastra et d’un petit rocher, qui a pendant des siècles servi de refuge aux pirates des mers du Sud. Ces terres sont pauvres, mais riches en minerais de fer. De surcroit nous n’avons jamais étaient de grands marins. En conséquence, nous sommes considérés comme des seigneurs « intermédiaires », comme vous dites.

- Vous êtes tout de même liée par le sang à la Reine Ivawen, sourit Silya, qui sentait une pointe d’amertume dans la voix de Séïren.

- Svinrile, la demi-sœur de ma mère, expliqua calmement la jeune elfe, était liée par sa propre mère à la Famille Serra. Son sang était assez noble pour qu’elle rejoigne la famille royale. Ma propre mère est la fille d’une étrangère, et…

Elle s’interrompit. Son regard se perdit un instant dans le ciel bleu de Céläastra, puis elle reprit :

- Les villes commerciales de Céläastra sont dirigées par un concile de Magisters, devant conseiller le seigneur des lieux, qui souvent déteint lui-même le titre de « magister principal ». En réalité il détient l’intégralité du pouvoir, notamment parce qu’il peut nommer et révoquer les autres magisters à sa guise. En principe, les femmes n’ont pas accès à la succession royale, mais comme vous le savez, Ivawen a contourné le problème. De fait, de nombreux seigneurs souhaitent l’épouser, bien qu’elle ait toujours refusée. Vous devez vous en douter, si Nærisa, l’actuelle héritière, venait à disparaître, cela forcerait Ivawen à se marier. La princesse a insisté sur ce point, primordial pour sa sécurité.

Elle s’interrompit une seconde fois, puis regarda longuement Silya de la tête aux pieds, comme pour la juger du regard. Cette attitude agaça l’ancienne reine, mais elle préféra n’en rien laisser paraître. La jeune elfe parla enfin :

- Il y a autre chose que vous devez savoir. Quelque chose qui concerne les elfes insulaires en général. Nous méprisons la déchéance. Ainsi une famille n’arrivant pas à conserver son titre par les armes, particulièrement si il s’agit d’un lignage royal, sera la cible d’attaques.

- Voilà qui est étrange, dans un pays où les candidats au trône s’affrontent à chaque succession, s’étonna Silya, qui sentait de plus en plus d’amertume dans la voix de sa compagne.

- Vous êtes bien une humaine, Silya Ayen, ricana Séïren. Chez nous, la couronne est conservée dans la famille royale. Qu’un autre noble vienne à renverser Ivawen, et son nom, et celui de sa famille, sera couvert d’opprobre pour l’éternité. La famille royale est la plus puissante, la plus apte à gouverner. Sa capacité à supprimer les révoltes fait sa force. La grandeur d’un souverain est faite, elle, par sa capacité à triompher au sein de sa propre famille, l’élite, par les armes, par la diplomatie, ou par la soumission instantanée des autres nobles.

- J’ai été bien accueillit à Céläastra, dit l’ancienne reine. Ce n’est pas le statut d’étrangère de votre grand-mère qui vous gêne, mais une quelconque déchéance ?

En disant cela, l’alizéenne était consciente qu’elle risquait de vexer Seïren. Mais elle voulait que l’elfe ne la voie pas uniquement comme une arme, mais sache qu’elle intériorisait les informations, et réfléchissait. Mais la jeune femme ne se mit pas en colère, elle sembla même, une seconde, soulagée.

- Tout au nord de l’Île, reprit l’elfe qui voulait apparemment éluder la question, se trouvent deux cités-libres humaines, vassales de la couronne, issues de colons humains venu du sud-est du royaume Lagoride. La plus petite, Olis, est dirigée par un collège de cinq archontes, ayant un pouvoir équivalant. Ils sont élus pour dix ans par ceux qu’ils appellent « citoyens », des propriétaires terriens, parmi une cinquantaine de familles nobles, formant ensemble une institution appelée « Sénat ». La plus grande, Korih, est sous le gouvernement du tyran Pisias. Vous êtes décidément bien étranges, vous les humains.

- Dans mon pays Séïren, expliqua Silya, le pouvoir revient au Roi. Le terme « tyran » désigne chez nous un souverain illégitime, contre lequel la noblesse possède un devoir de révolte. Le dernier en date a été exécuté il y a trois siècles.

- Hum, acquiesça l’elfe. Je ne saurais dire si Pisias est légitime ou non. Nærisa a insisté pour que je vous en parle, je vous expliquerai ses raisons. Il y a soixante-huit ans, le père de Pisias, Démos, alors jeune aristocrate désargenté, mais héros de guerre, appuyé par une petite partie des citoyens, a renversé l’oligarchie en place, accusée de spolier les droits du peuple, et s’est proclamé tyran. Après un discours devant l’ensemble des citoyens, il a été acclamé par la foule et par conséquent confirmé dans ses fonctions. Il faisait confirmer toutes ses décisions importantes par les citoyens, comme le voulait la coutume, et contrairement à l’oligarchie l’ayant précédé. A sa mort après cinquante-neuf ans de règne, même pour un elfe cela est long, Démos avait un fils de cinquante-trois ans, Pisias, qui lui a succédé, et une fille, Laodice, issue d’un second mariage, âgée de dix-sept ans. Or aujourd’hui, neuf ans plus tard, Pisias semble sur le point de mourir. Il est veuf et sans enfants, mais son ami et bras droit, Arstos, haut responsable politique sous Démos déjà, a l’air bien décidé à s’autoproclamer tyran, avec l’entière bénédiction de Pisias. Nærisa estime que des troubles éclateront bientôt, et qu’une médiation d’Ivawen sera peut être nécessaire pour éviter un bain de sang.

- En quoi est-ce un problème ? demanda l’alizéenne.

- Si la politique étrangère des cités humaines est alignée sur la nôtre, détailla Séïren, il est rarissime que nous intervenions dans leurs affaires intérieures. Or Laodice a un jeune fils, un mari influent, et de l’ambition. De ce fait, si Nærisa devait se rendre là-bas, une protection rapprochée serait plus que nécessaire. Et elle pense que ses gardes du corps repèreront mieux les ennemis s’ils sont au courant de la situation politique.

- Cela me semble une évidence, en effet, sourit la guerrière.

Ce travail ne serait pas de tout repos, mais, après une vie de reine régente, rester dans l’ombre d’une princesse ne dérangeait pas la guerrière. Au contraire, cela ferait travailler son intellect et son physique, dans une terre nouvelle. Et en ce moment, elle avait vraiment besoin de changer d’air. Séïren lui adressa un timide sourire, et dit :

- Mon grand-père a épousé en secondes noces une princesse humaine, dont le père fut renversé peu après par un autre seigneur. Beaucoup d’elfes ont considéré cela avec indifférence, arguant du fait que les lois humaines n’étaient pas les mêmes que chez nous. Mais les vieux lignages ont pris cela comme mésalliance. Ma mère n’a pu se marier qu’avec un cadet de famille de moyenne envergure, et cet opprobre rejaillit sur mes sœurs et moi aujourd’hui encore.

- Vous avez donc du sang humain dans les veines ?

- En effet, répondit l’elfe, mais ayant trois grand parent elfe, je suis pleinement considérée comme telle. Vous savez Silya, je me montre peut être un peu froide et concise avec vous, mais si je me suis ouverte ainsi à vous sur mon passé, c’est qu’au fond, je vous apprécie.

- Je m’en doute Séïren, lui sourit Silya, et je vous apprécie aussi.

- Venez avec moi, dit l’elfe en lui prenant le bras. J’ai encore à évoquer avec vous certains aspects de la société Insulaire.

L’ancienne reine sentait tout de même que la jeune elfe cachait une certaine fragilité, et que, en ce moment même, quelque chose la perturbait. Sans un mot de plus, elle se laissa entraîner plus profondément dans le parc. Modifié par Loup Noir
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Bonsoir,

Je viens de tout lire et mise à part quelques fautes par ci par là j'aime beaucoup.

Certains passages sont un peu téléphonés ou dont le style est en dessous du reste.

J'ai vraiment apprécié le dernier passage, mais trois choses:

Je n'arrive plus à comprendre si Silya est une elfe ou une humaine...
Quid d'Enaria du premier post?

Il ne me semble pas avoir revu son nom.

La profusion de personnages, qui est certes une nécessité à la lecture de ton récit, est à deux neurones de me griller le cerveau. (j'ai le même souci dans mon propre texte d'ailleurs)
Faire un résumé de tous les principaux pourrait être pas mal (avec leur race tant qu'à faire) histoire de ne pas perdre le lecteur dans tout ces noms.

En attendant la suite, bonne continuation,

Crio
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[quote] Je n'arrive plus à comprendre si Silya est une elfe ou une humaine...[/quote]

Humaine. C'est l'Enaria du début qui dû changer d'identité puis se travestir en homme.

[quote]La profusion de personnages, qui est certes une nécessité à la lecture de ton récit, est à deux neurones de me griller le cerveau. (j'ai le même souci dans mon propre texte d'ailleurs)
Faire un résumé de tous les principaux pourrait être pas mal (avec leur race tant qu'à faire) histoire de ne pas perdre le lecteur dans tout ces noms.
[/quote]

J'sais pas, ça me gêne pas perso ^^

C'est peut être l'habitude de lire des romans mais, même si je suis pas capable de tous les citer, je les retrouve vite faits en lisant le récit.

J'en profite pour dire que j'ai lu le nouveau chapitre et que j'adore toujours (je l'avais pas dit parce que j'aime pas faire des monolignes "super, vivement la suite" ^^)
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Je suis un peu d'accord sur la démultiplication des noms !

Mais car il y a un mais. En fait, dans un livre on s'y fait vite car on lit d'énormes quantités du livre régulièrement donc ça aide à tout retenir. Lire une fois toutes les deux semaines, ça aide pas du tout. Le problème est que tu peux pas non plus poster trop vite sinon on suit pas le rythme. La seule solution serait de faire un glossaire au début dans ton premier post auquel on pourrait se référer quand on a des doutes !

Pour le fond, j'ai bien aimé ce passage car il traite de l'aspect géopolitique et ça nous aide à bien voir dans quel contexte les personnages vont évoluer.

@+
-= Inxi =-
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  • 2 semaines après...
Bonsoir. Voilà la suite. Pour répondre aux questions précédentes, Silya est bien humaine, et il s'agit bien de l'Enaria du prologue, qui a changé de nom (de manière définitive, selon toute vraisemblance). J'ai bien pris en compte vos difficultés avec la profusion de personnages, et je la comprends. Je pense que le glossaire est une bonne idée. Je suis en train d'y travailler, mais étant donné que je n'ai pas encore construit de manière définitive la carte politique de Céläastra, ça risque de me prendre un petit moment. En tout cas, merci pour vos encouragements. Concernant le présent chapitre, il est plus court que les précédents et uniquement centré sur l'un des personnages principaux que je voulais détailler. J'espère que vous apprécierez. Bonne lecture.


[u][b][center]
Chapitre VII[/center][/b][/u]


Ivawen était concentrée sur son ouvrage mais toutes sortes de pensées venaient la déranger. Elle tentait de broder un grand dragon en points de croix, vert et argent, sur fond de soleil couchant écarlate. Lorsqu’elle était enfant, sa mère lui avait appris la broderie, et depuis elle s’y adonnait régulièrement. Maintenant qu’elle régnait sans partage sur Céläastra, elle n’avait bien entendu que peu de temps pour se détendre. Néanmoins, elle aimait broder, cela lui vidait la tête, et elle oubliait ses soucis. Sauf certains jours bien sûr. Aujourd’hui ses problèmes ne la lâchaient pas. La reine regarda autour d’elle. Elle avisa la magnifique dague que lui avait remise Esuf quelques jours auparavant. Il n’aurait pu trouver mieux. Ivawen adorait les couteaux d’apparat. Bien évidemment, cela venait également du fait qu’elle était experte dans leur maniement. Ce poignard était une pure merveille, et Ivawen avait pu avoir un aperçu de la richesse des sorgosiens. La reine posa son ouvrage et soupira. Elle alla s’allonger sur son lit et y resta quelques minutes, les yeux fermés, tachant de se détendre. La veille, elle avait eu une conversation avec Séïren, qui s’était montrée réellement enchantée par sa nomination officielle au Conseil Royal. L’empressement de sa cousine à accepter la tâche qu’elle lui confiait avait étonné Ivawen, qui n’avait jamais remarqué chez la jeune elfe un désir de gouverner. En cela, il devait y avoir autre chose, un certain désir de prestige sûrement. Elle se leva de son lit, puis repoussa définitivement sa broderie. Elle la reprendrait un autre jour. Elle marcha jusqu’à la fenêtre et l’ouvrit en grand.

La nuit était tombée sur l’île, une nuit noire et froide, une nuit sans étoiles, et sans Lune. La brise entra par la fenêtre et éteignit la chandelle la plus proche. Ivawen ne s’en soucia pas. Elle aimait le froid et l’obscurité. Elle disait souvent que le froid était une armure. Néanmoins elle ne portait qu’une légère chemise de nuit. Ses épaules et sa gorge se couvrirent rapidement de chair de poule. Elle respira longuement, en tentant de vider son esprit. Elle referma la fenêtre, puis tira les rideaux et alla se rasseoir sur son lit. Elle n’était pas cruelle, ni excessivement autoritaire. Mais il lui fallait mettre à bien ses projets pour Céläastra. Elle voulait moderniser les rapports entre l’île et le continent. Son rêve aurait été de conquérir des terres et de les annexées. Son père, son grand-père et bien d’autres avant eux avaient enfermés les elfes insulaires dans un carcan isolationniste, vivant en quasi-autosuffisance. La guerre du Vieux-Prince avait encore entériné cet état des choses. Ivawen alla chercher son poignard sur la table et le dégaina. La lame grise étincela. En le rengainant, la reine repensa au premier homme qu’elle avait tué. Il s’agissait d’un elfe souple et rapide, un soldat, sans conteste. Elle n’avait alors que vingt-six ans et les hostilités avec son oncle venaient d’être déclarés. Quand l’assassin était apparu, Ivawen avait immédiatement tiré le coutelas qu’elle portait toujours. Son propre garde du corps, un vieux briscard, fidèle parmi les fidèles de son père, avait été surpris et tué par l’assaillant, non sans avoir pu dégainer un stylet d’acier, qu’il était parvenu à planter dans la jambe du soldat. La princesse d’alors s’était par la suite ruée à l’assaut. L’autre l’avait immédiatement attaquée, mais Ivawen avait reçu une formation aux armes. Esquivant rapidement le coup, elle était parvenue à lui planter son poignard dans le ventre, avant de passer derrière l’assassin et de l’égorger.

Depuis ce jour, elle avait récupéré le stylet de son garde du corps, et le portait presque tout le temps dans son corsage. A l’époque elle se trouvait réellement démunie et sans soutiens. Sa sœur était partie avec une escorte d’élite, Ivawen ayant très peur pour elle, convaincre quelques seigneurs donc l’allégeance n’était pas certaine, dont le père d’Arthelor Fend-Tribord, de se joindre à elle. Ivawen quant à elle était parti à la rencontre d’Ursin Edlla, qui semblait vouloir s’allier à elle. La reine sourit en repensant à cette soirée mémorable en compagnie du Seigneur de Vermelhäa, à qui elle avait fait grande impression, et qui restait aujourd’hui encore l’un de ses plus fidèles serviteurs. « Humpf », fit-elle en se frottant les yeux dans son bras, tandis que ses cheveux platine lui tombaient sur les oreilles. Elle était épuisée. L’assassin de l’époque, le premier de la petite troupe que ses ennemis lui avaient envoyée au court de sa vie, n’était pas sous les ordres de Neflindel. Le vieil elfe, malgré son ambition et son absence de pitié, n’était pas dépourvu d’honneur, et aurait refusé de salir ses mains en tuant un membre de sa famille. Mais il était, durant sa guerre, entouré d’hommes et de femmes cruels, qui eux en étaient capable. Ivawen n’avait jamais retrouvé tous les commanditaires, mais à présent, ses ennemis savaient ce qui en coûtait de l’affronter. Mais d’autres problèmes l’inquiétaient ce soir. Elle regarda sur sa table de travail la lettre qu’elle venait de recevoir :
[i]
[center]A Sa Majesté Ivawen la Triomphatrice, Reine Solaire des elfes insulaires, Dame Protectrice de Céläastra, ma suzeraine.[/center]

Je me permets, Altesse, de vous importuner. Je dois m’entretenir avec vous de faits importants. Mon bien aimé frère, Pisias, est, comme vous le savez sûrement, sur le point de mourir. Il tremble et n’est plus lucide que part période. Hier soir il délirait complétement et ne me reconnaissait même plus. Il s’imaginait à nouveau sur vos galères, lorsque vous avez mis un terme à la guerre du Vieux-Prince. Il contemplait l’océan et nos navires marchands quand je l’ai entendu me murmurer : « Notre flotte est en mer. Neflindel va sombrer ».
Vous savez, ma reine, toute l’affection que je porte à ma cité. Or j’estime qu’il est important que vous sachiez au plus vite, et de manière sûre, ce qu’il s’y passe. Ces quatre derniers jours, deux émeutes ont éclatées en ville. Mes informateurs m’ont annoncées que douze morts environ étaient à déplorer. Arstos a envoyé ses milices pour calmer la situation, mais, ce matin, une caserne était en flammes, ainsi qu’un hôtel des impôts. La colère populaire est palpable. Ils réclament un dirigeant, et en cela on peut les comprendre, Pisias n’ayant pas était vu depuis trois mois, lui qui faisait fréquemment des allocutions publiques.
Mais ce n’est pas tout ma reine. Au sein du palais, plusieurs factions se composent. Arstos rassemble ses nombreux soutiens et tente de boucler la ville, pour empêcher quiconque d’en sortir. Cette nuit un bateau noir, sans pavillon, a accosté sur le rivage. Il s’est échoué à quelques encablures du port, mais mes informateurs m’ont signalé qu’il était remplit d’une troupe de mercenaires venus de la côte de Béryl. Qui viennent-ils soutenir, je n’en ai pas la moindre idée, Arstos ? Un de ses concurrents ? Je crains de violents combats sous peu Votre Grâce, car la succession de Pisias s’avère extrêmement problématique.
Enfin, ma Reine, je me trouvais, avant d’écrire cette lettre dans la chambre de mon mari, gravement malade également. C’est arrivé de manière si fulgurante que je soupçonne un empoisonnement. Je crains avant tout pour la vie de mon fils. Il est encore jeune et je ne tiens pas à le voir ni enfermé, ni tué au service de quelques ambitions personnelles. Je ne tiens pas non plus à ce qu’il assiste à un possible bain de sang. C’est pour cela, Majesté, que j’implore votre sollicitude et vous envoie mon enfant, qui, je l’espère, trouvera une place parmi vos pages.
Comprenez, ma Reine, que, par ma démarche, je ne demande rien, ni troupes, ni or, ni soutien de quelques sortes. Je ne demande que la protection pour mon fils, et pour ce qu’il représente à mes yeux. S’il devait m’arriver malheur, j’espère qu’il trouvera au sein de votre palais, tous les ingrédients pour vivre heureux.

Ecrit sous l’Œil Etoilé, par Laodice de Korih[/i]

« L’Œil Etoilé ». L’étrange religion céleste des cités-libres. Ivawen soupira. L’écriture était maîtrisée et politiquement parfaite. Laodice de Korih utilisait un vocabulaire humble, rejetant la responsabilité du désordre sur Arstos sans jamais demander quoique ce soit pour elle, ou parler de ses propres ambitions. Elle n’évoquait même pas sa possible succession à son frère. Mais cet étalage de formules ne trompait pas Ivawen. Et peut-être n‘était-il même pas destiné à la tromper. La jeune femme détaillait une situation désastreuse, sans évoquer de solutions, et sans demander d’intervention. L’histoire du délire de son frère sur la guerre du Vieux-Prince était peut-être fausse, mais elle rappelait l’engagement de la famille de Laodice à ses côtés dans la guerre. Si l’on ajoutait à cela la primauté du sang, qui était en vigueur chez les elfes, seule l’humaine, ou, à défaut, son fils, était légitime pour succéder à son frère. La reine n’avait jamais rencontré Laodice. La seule fois où elle avait mis les pieds à Korih, Pisias, fraîchement monter sur le « trône » informel de son père, l’avait accueilli. Il était encore jeune et fringant à l’époque, et avait accompagné sa suzeraine dans une visite de la cité. Nærisa, par contre, s’était rendue à la fin de la guerre, en tant qu’envoyée d’Ivawen, à Korih, et avait rencontré le tyran Démos, qui, bien que vieux et fatigué, lui avait fait grande impression. Elle avait confié à sa sœur que « l’Histoire marchait avait lui ». Bien sûr, Nærisa n’hésitait pas à affirmer à qui voulait l’entendre que « l’Histoire », marchait, non pas avec, mais derrière son aînée.

La princesse, avait, au court d’une visite récente dans la cité humaine, rencontré Laodice en plus de Pisias et d’Arstos. Avec un sourire elle avait glissé à Ivawen que cette femme était dotée d’une grande puissance morale et de caractère. Lorsque la reine lui avait montré la présente lettre, elle avait confirmé son jugement. Oh bien sûr Ivawen ne partirait pas en guerre au nom de Laodice, mais il lui fallait réfléchir au moyen de se sortir de cette situation délicate. Et après une heure passée à cogiter, elle était parvenue à une solution satisfaisante. Elle avait pour cela besoin d’un ambassadeur de confiance, mais ne pouvait envoyer Nærisa, ayant d’autres projets pour elle. Elle ne pouvait n’ont plus se séparer de ces généraux. C’est pourquoi elle avait besoin de Séïren. Le fait qu’elle soit membre de la famille royale, ainsi que sa légitimité de membre du Conseil lui conférait une aura suffisante pour mener à bien la mission qu’elle désirait lui confier. Il lui faudrait également contacter la nouvelle garde du corps de sa sœur, cette Silya Ayen.

Ivawen avait envoyé le fils de Laodice sur les terres de sa tante, la mère de Séïren, Mïlia, sous une autre identité. Le lieu était isolé, et Dame Mïlia lui était parfaitement fidèle. Il y serait en sécurité. Ces terres avaient une signification particulière pour la reine. Alors qu’elle n’était qu’une enfant, son père, le prince Highlin, l’avait envoyée s’y ressourcer. La princesse était souffrante, et, âgée de six ans, elle avait fait le voyage jusque dans les Îles, pour quitter l’atmosphère étouffante de la capitale. Elle aimait ces murs froids et austères, elle aimait les courants d’air parcourant les antiques salles de la forteresse de Mïlia. A l’époque c’était son grand-père, appelé, ironiquement, Neflindel qui dirigeait la forteresse, en compagnie de sa deuxième épouse, Nausikäa, la grand-mère de Séïren, une humaine vive et souriante. Nausikäa, pendant les bals et les fêtes donnés dans la forteresse, éblouissait l’entourage en dansant de manière forcenée, et pleine de vie.

L’Ivawen de quarante-deux ans repensa à ces années, allongée sur son grand lit, parée de ses dorures de reine. En six ans, elle n’était revenue à Céläastra qu’une fois, au moment de la naissance de sa sœur. Ses parents avaient exigé sa présence à la capitale durant la cérémonie célébrant la naissance d’une seconde princesse. Ivawen, encore toute jeune, n’avait pas spécialement apprécié l’évènement, ni le fait de tenir dans ses bras, pour un cours moment, un bébé roux et braillard. Pendant quelques instants néanmoins, Nærisa s’était calmée alors que sa sœur la serrait contre elle. Ivawen l’avait ensuite rendue à sa mère, puis était peu après retournée sur les terres de son aïeul, sa santé étant toujours fragile. Elle revoyait à présent ces salles si grandes et si froides qui avaient peuplées son enfance. Elle revoyait la bibliothèque de son grand-père et les livres qu’elle y dévorait, l’instructeur qui lui avait appris ses premiers mouvements d’escrime, et surtout, elle sentait à nouveau l’air de la mer qui embrumait les pierres, qui embrumait l’espace. « Ma fille est austère et nostalgique, ma fille est belle et froide comme la neige » lui avait un jour glissé le Roi Highlin. Elle n’avait pu s’empêcher de confirmait en son fort intérieur.

Pendant l’enfance d’Ivawen, Nausikäa était souriante, elle riait et dansait dès qu’elle en avait l’occasion. Ivawen l’aimait, et appréciait particulièrement cette joie de vivre qui l’animait. Néanmoins, elle ne jouissait pas d’une très bonne réputation au sein de la forteresse. D’aucuns disait d’elle qu’elle pratiquait la magie noire, et que, comme d’autres membres de sa famille, elle connaissait l’art des poisons. Elle était également d’une jalousie maladive, bien que, rétrospectivement, Ivawen doutait qu’elle eut réellement aimée son grand-père. Lorsqu’elle avait appris la déchéance et la mort de son père et de ses frères, elle était devenue triste et inconsolable. Un rhapsode, longtemps présent au château, et que Nausikäa avait fortement marqué, avait d’ailleurs composé une ballade en son honneur. Etonnamment, la Reine, si longtemps après, se souvenais encore du détail de cette œuvre et la récita lentement :
[center][i]
Superbe, elle vînt, issue du continent
Appelant les vents et bordant les voiles,
Et dans la lumière et sous les étoiles,
Couverte de gemmes et de rubis pâles
Rouges étaient ses mains, bleu était son sang.
Elle débarqua fièrement dans l’île
Et pour les yeux d’un elfe doré
Qui, dans son château, loin d’être guerrier
Jeta les armes, pour le papier,
La princesse danse au milieu des îles

Au fin fond des monts Nausikäa part
Ecoutant les chants des milles ondées
Rêvant de l’aura des grandes marées
Rêvant d’une vie parmi les vallées,
Eveillant la Lune et veillant très tard.
Et loin du tumulte et loin de la ville,
Et loin de la guerre et cogne le fer,
Sur les chemins d’un nocturne éther,
Dans un archipel au bord des mers,
La princesse danse au milieu des îles.

Sur son visage et dans son regard
Brille la douceur, douceur assassine,
Au creux de sa main une lame fine.
Quelques sentiments, pupille chagrine,
S’expriment toujours dans un macabre art.
Le rire s’arrête, la vie se défile
Car la vengeance est triste poison,
Des usurpateurs voilà l’oraison,
Volages, la mort susurre vos noms,
La princesse danse au milieu des îles.

Mais cette terre est devenue asile,
Grandes salles et fades forêts
Lorsqu’un sang bleu est renversé.
Reste la couronne, l’honneur oublié ;
La princesse pleure au milieu des îles…[/i][/center]

Nausikäa était morte peu de temps après, laissant une fille, de quelques années plus âgée qu’Ivawen. Cette dernière était, à douze ans, revenue à la capitale et avait appris à mieux connaître Nærisa. Les deux sœurs étaient rapidement devenues très proches, et l’étaient toujours aujourd’hui. Ivawen n’avait jamais pu s’empêcher d’adopter envers Nærisa une attitude protectrice, ce qui agaçait la princesse. La reine soupira longuement. Séïren n’avait jamais connue sa grand-mère, et ne posait presque jamais de question à Ivawen à son sujet. Ce soir, Ivawen se sentait seule. Comme souvent d’ailleurs, mais en ce moment, la mélancolie l’atteignait plus qu’un autre jour. Peut-être était-ce le contre coup des décisions prises la veille ? La reine savait que le problème n’était pas là. Elle avait souvent l’impression de supporter seule le poids de responsabilités énormes, qu’elle n’avait pas réclamées, et que, malgré toute l’assistance qu’elle recevait, il lui manquait un soutien moral quotidien. Pour oublier cela, elle se plongeait souvent dans le travail, mais, au final, avait peu de temps pour s’oublier elle-même. A cet égard, elle avait plus d’une fois songeait à se marier. Mais elle n’avait jamais trouvé d‘homme avec qui elle aurait voulu partager sa vie, ni eu le courage d’effectuer un mariage politique. Son célibat lui permettait d’ailleurs d’exercer un pouvoir absolu et de ne pas le partager. Elle pouvait également faire miroiter aux grands nobles un mariage, pour obtenir leur soutien, ce qu’elle avait fait à deux reprises pendant la guerre civile, sans donner suites.

Lorsqu’elle pensait à son hypothétique mariage, Ivawen ressentait toujours une certaine crainte. Par pour elle-même bien-sûr, mais cela la revoyait à ce que lui avait dit son père seize ans auparavant. Le Roi Highlin était alors très malade, si bien qu’il ne pouvait plus se déplacer qu’avec grandes difficultés, et jamais sans soutien, mais toujours parfaitement lucide. Il avait fait venir sa fille dans sa chambre. Il s’était redressé, puis avait ceint son front du diadème d’argent des héritiers, et lui avait adressé ces quelques mots : « Sur son lit de mort, mon père m’a soufflé deux conseils, le premier était de me remarier, pour donner un héritier à la couronne. Je n’en ai jamais eus la force. Le second était de suivre les conseils de Neflindel, son frère. Neflindel est capable et énergique. C’est un bon dirigeant, un bon militaire, et un homme d’honneur. Mais tu es ma fille Ivawen ; c’est toi que j’ai choisie pour héritière et c’est toi qui me succèderas. Mais n’oublie jamais – il l’avait attirée près de lui – que Céläastra est toujours à un coup de poignard de l’anarchie. Aujourd’hui plus que jamais. N’oublie pas, ma fille » Capable et intelligent, Highlin l’était aussi. Il avait participé aux Conseils de son propre père des années durant et on le surnommait alors, « le Grand Prince ». Après avoir remis le diadème des héritiers à sa fille, il s’était arrangé pour que le plus de monde possible la voit ainsi, de son vivant, pour assurer sa position. Et cela avait quelques peu marché, Ivawen recueillant le soutient de certains grands nobles. La reine passa sa main dans ses cheveux blonds, puis les rejeta en arrière.

« Céläastra est toujours à un coup de poignard de l’anarchie. » C’était là sa plus grande peur. Nærisa morte, Ivawen serait forcée de se marier. L’inverse était vrai aussi, bien sûr, mais sa sœur était moins bien protégée qu’elle. La meilleure des protections serait de trouver un mari à Nærisa. Mais si la reine, bien qu’ayant du goût pour les plaisirs charnels, ne s’entourait qu’épisodiquement d’hommes, la princesse était de mœurs biens moins austères. Il était de notoriété publique qu’elle comptait plusieurs favoris parmi la noblesse de Céläastra. Elles en parlaient toujours sur le ton de la plaisanterie, mais un jour, Nærisa avait glissé à son aînée que si elle pouvait choisir, elle serait polyandre. Les deux sœurs avaient éclaté de rire, mais Ivawen soupçonnait la princesse d’être on ne peut plus sérieuse. Certes, le roi Séïlin II, quatrième souverain de leur dynastie, s’étant uni à trois femmes simultanément, faisait figure de précédent, mais il avait été le seul en six siècles. Ivawen aurait avec plaisir uni Nærisa avec le Seigneur Edlla, mais ce dernier était marié depuis plus de vingt ans. Les pairs de la famille Sëë étaient soit trop vieux, soit trop cruels pour faire de bons époux. Mais Ivawen savait que le Seigneur Serra avait deux frères, jumeaux, dont l’âge conviendrait à peu près, à elle, ou à sa sœur. L’un était un farouche combattant, solitaire, qui ne se rendait que rarement à la cour, l’autre, un érudit, qui s’était depuis longtemps fait prêtre, ce qui ne l’empêchait en rien de se marier. Ivawen ne les avaient vu qu’une seule fois, et, les deux n’ayant rejoint, pendant la guerre du Vieux-Prince, que tardivement sa cause, elle ne les avait pas envisagés jusqu’alors. Proposer un mariage à l’un d’entre eux, voir aux deux, serait néanmoins une bonne manière de se réconcilier avec la Famille Serra, surtout depuis qu’elle avait renvoyé Iris, leur nièce, du Conseil.

Ivawen se leva à nouveau de son lit et marcha à nouveau jusqu’à la fenêtre. Bien sûr elles étaient encore jeunes, mais, l’avenir, tel qu’elle désirait le dessiner, s’annonçait difficile. Avoir une garantie l’aurait rassurée. La Reine regarda le ciel noir et la topographie de son royaume qui se découpait dans l’obscurité. L’Histoire marchait-elle vraiment derrière elle ? Elle pensa à Svinrile, à Highlin, à Nausikäa et à Neflindel. Tant de princes et de princesses. Et si peu de rois… Elle eut presque l’impression d’entendre rire sa mère dans le vent. Ivawen sourit.

- Regardez donc votre héritage, regardez le bien, parce que je ne l’ai pas abandonné. Et je le trouve assez beau, moi. Modifié par Loup Noir
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Pas mal !

C'était un bon passage mais je m'embrouille trop. Le glossaire peut être fait rapidement, juste pour rappeler la fonction de chacun. Par contre ce qui devient encore plus urgent c'est une carte. Ca serait beaucoup plus facile qu'on puisse s'appuyer sur un support afin de comprendre.

Le style est toujours épuré et malgré quelques petites fautes sur les participes présents comme :

[quote] et bien d’autres avant eux avaient [b]enfermés [/b]les elfes[/quote]

[quote] de conquérir des terres et de les [b]annexées[/b]. Son père, son grand-père et bien d’autres ava[/quote]

Tu t'en tires plutôt bien !

Donc j'attends une suite en espérant qu'on arrive à faire le tri sur ce qu'il passe pour que je voie si on a déjà eu un aperçu de la trame ou pas ;)

@+
-= Inxi =-
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  • 3 semaines après...

Bonsoir. Tout d'abord je tiens à m'excuser de publier si tard. Etant en période d'examen, j'ai peu de temps pour moi en ce moment. Ce chapitre est plus long que les précédents, j'espère que vous aprécierez. J'ai rédiger une typologie des grands lignages de Céläastra et ai dessiner une carte politique de l'île, mais il faut que je mette tout cela au propre avant de l'ajouter à mon premier poste. Je compte publier le prochain chapitre d'ici une semaine.




Chapitre VIII




Alors que le jour commençait à poindre, la princesse Nærisa s’étira dans son lit, longuement, puis bailla, et reposa sa tête sur la poitrine d’Arthelor Fend-Tribor. Elle embrassa délicatement son pectoral, puis son cou, avec tendresse, pour le réveiller. Les yeux toujours fermés il lui caressa le dos avec douceur.

- Bonjour princesse, dit-il avec un sourire.

- Je préfère quand tu m’appelles Næri, ronronna-t-elle.

- Je sais, répliqua l’amiral en lui prenant un sein à pleine main.

Nærisa se laissa faire, et savoura le contact de la paume sur son mamelon. La deuxième main de Fend-Tribord descendit lentement le long de son ventre, toucha son sexe, puis elle la repoussa. La princesse le plaqua vivement sur le dos et s’allongea de tout son long sur lui dans le même mouvement. Elle posa un doigt sur ses lèvres et caressa ses favoris. Elle l’embrassa légèrement sur la joue, ses cheveux formant un rideau rouge autour de sa tête, puis lui susurra à l’oreille « nous n’avons plus le temps, mon chéri ». Enfin, elle prit tendrement son visage entre ses mains et l’embrassa langoureusement. Elle roula ensuite en dehors de son étreinte. Il tendit une nouvelle fois la main vers elle, mais cette fois elle le repoussa plus brusquement.

- Allez Amiral, souffla-t-elle, sors de mon lit.

Docile, Arthelor repoussa les couvertures et mis pied à terre. Au passage, Nærisa lui donna une petite tape sur les fesses, à laquelle il répondit par un sourire en coin. Elle l’observa enfiler ses vêtements, d’un œil endormi, puis il se dirigea vers la porte.

- Te reverrai-je cette nuit ? lui demanda-t-il.

- Si je suis disponible, oui. Viens m’embrassez, marmonna-t-elle en tendant le bras vers lui.

Il s’exécuta immédiatement, et Nærisa en profita pour se blottir dans ses bras et lui mordiller tout doucement la langue. Il la quitta ensuite, et l’elfe rousse se roula en boule dans ses draps. Elle se rendormie quelques minutes et fit même un court rêve dont elle ne garda pas le moindre souvenir. La princesse avait, comme à son habitude, chassé Arthelor au petit matin de son lit. Leur relation étant informelle, elle préférait qu’ils ne sorte pas tous les deux en même temps de sa chambre. Il était de notoriété publique qu’elle entretenait avec lui une liaison depuis de nombreuses années. Un rhapsode avait même composé une chanson sur eux, s’intitulant, Le Navire de la Princesse. Nærisa avait exigé qu’il ne la chante jamais en public, n’appréciant pas cette mise à nue de sa vie privée. Néanmoins, elle adorait cette chanson, et Arthelor et elle se la murmuraient de temps à autres entre leurs ébats. L’amiral avait été il y a huit ans de cela, son favori officiel, et son premier, pendant deux ans. Elle l’avait par la suite délaissé pour un autre elfe, qui avait partagé sa vie quelques mois, avant qu’elle ne l’éconduise au profit d’un troisième, qu’elle avait cessé de voir après avoir rappelé Arthelor. Aujourd’hui, cela faisait néanmoins deux ans qu’elle n’avait plus de favoris. Elle pensait de plus en plus au mariage.

La société elfe, malgré quelques aspects prudes, était assez libre en ce qui concernait la sexualité de certaines femmes. Il était en effet permit aux aînées des familles nobles ou aux héritières, et uniquement à elles, de choisirent, à leur majorité, vingt et un ans, et si elles restaient célibataires, un favori, si celui-ci venait d’une noblesse d’un rang inférieur. Cette pratique, exclusivement féminine, permettait, semble-t-il, d’assurer aux femmes une certaine liberté de décision avant leur mariage, qui ne pourrait avoir lieu qu’un an après avoir répudier le favori. Nærisa avait largement utilisé ce droit, pour le plus grand ravissement de son amiral qui, quand son tour venait, pouvait enfin s’afficher avec elle. Grâce à un décret royal d’Ivawen, les reines célibataires pouvaient également se choisirent un favori, droit dont la souveraine n’avait usé qu’une fois, pendant quelques mois, un an après la guerre. Nærisa repoussa ses couvertures, puis se leva et s’étira. Elle passa une tunique, puis appela Solenna qui l’aida à se vêtir convenablement.

Les deux femmes ne parlèrent pas ce matin-là. Nærisa était perdue dans ses pensées, et Solenna devait le sentir. Ivawen avait demandé à sa sœur de se rendre auprès d’elle dans la matinée, ayant une importante mission à lui confier, en dehors de l’île. Bien que l’idée de partir mener une nouvelle mission diplomatique la réjouissait, elle répugnait à quitter le palais. En effet, être séparée d’Arthelor ne lui plaisait pas. D’habitude, elle n’avait pas de problème avec cela, mais aujourd’hui, l’idée de ne plus le voir pendant de longues semaines la remplissait de tristesse. Elle savait bien sûr qu’il l'aimait, mais la princesse avait toujours eus du mal à déterminer ses propres sentiments à son égard. Le fait était qu’elle éprouvait pour lui une tendresse égale à celle qu’elle avait pour sa sœur, ou pour Séïren. Peut-être était-ce à cause de son avancée en âge, mais elle prenait de plus en plus souvent peur lorsqu’il partait en mer. Nærisa aurait voulue demander à Ivawen de ne pas l’envoyer en mission diplomatique, mais, consciente de ses devoirs, elle savait qu’elle n’en ferait rien. Ivawen dirigeait, et Nærisa ne désobéissait pas. Jamais. Telle était la règle que les deux sœurs s’étaient tacitement fixées, et la princesse n’avait aucune envie de la transgresser.

Nærisa se releva et demanda à Solenna de partir. Elle était habillée, lavée, coiffée, parfumée, maquillée et armée de son éternel poignard d’apparat. Elle se regarda quelques instants dans le miroir. La princesse se coiffa du diadème des héritiers et se dirigea vers la porte, qu’elle ouvrit. Dehors se tenait l’humaine, Silya Ayen, qui la salua en inclinant respectueusement la tête, ainsi qu’un de ses autres gardes. Elle s’avança d’un pas léger vers un escalier en colimaçon où une personne pouvait avancer de front. Arrivée juste devant, l’humaine ouvrit la marche, les mains sur les pommeaux de ses épées. Le petit groupe pénétra dans un couloir spacieux et continua sa marche sur quelques pas avant de s’arrêter devant une haute porte, encadrée par quatre gardes royaux, qui s’inclinèrent profondément à son approche. Nærisa renvoya d’un geste ses propres gardes et frappa à la porte. Ivawen l’attendait pour prendre un petit déjeuner. Une voix lui parvînt, étouffée au travers de la porte, et la princesse entra.


Silya se trouvait une fois de plus dans les jardins du palais, et, une fois de plus, elle attendait Séïren. On l’avait prévenu que la jeune magister désirait la voir en fin de matinée. Silya, toujours armée et vêtue d’une cotte de maille, attendait patiemment, bras croisés, debout près d’un gros arbre. La fraîcheur de la nuit s’en était allée, et à cette heure un magnifique soleil brillait dans le ciel. Elle avait coiffé ses cheveux en une tresse serrée, ce qui dévoilait son oreille et sa joue mutilées. Exhiber ainsi ses cicatrices lui permettait répondre à un fantasme guerrier, de prouver qu’elle avait, au cours de sa vie, courut des risques, et qu’elle y avait survécu. Il lui fallait de toute façon dégager son visage pour combattre. Séïren apparut enfin au détour d’un sentier, et se dirigea vers elle. La jeune femme adressa un sourire à Silya avant de poser la main sur l’arbre qui se tenait derrière elle.

- Voyez un peu, Silya, de quoi se compose notre dieu, dit-elle. Les arbres, le sol, le vent, la végétation.

L’arbre était gigantesque et couvert de lierre, il s’élevait très haut, avec un feuillage très étendu.

- Vous avez une drôle de façon de me dire bonjour, aujourd’hui, Séïren.

- La Reine m’a demandé de lui rendre visite aujourd’hui, répondit l’elfe. Elle m’a dit que je devais vous emmener. Mais avant il me faut vous montrer certaines choses. Venez avec moi.

L’ancienne reine suivit sa compagne qui continua sur une allée, avant de bifurquer et de marcher dans un petit sentier qui serpentait sur un talus. Elle coupa alors à travers l’herbe, puis s’arrêta au sommet d’une butte un peu plus haute. Alors elle montra d’un geste de la main les collines boisées qui s’étendaient au loin.

- Notre dieu, Oïnstal, contrôle les forêts, leurs profondeurs, mais aussi ce qui s’y rapporte, la brise qui porte leurs fruits, les sols dans lesquels elles poussent, et nous protège nous, elfes insulaires. Notre religion est partagée par un prince elfe autonome, vassal de la grande République elfe de l’est de Sierma, ainsi que par les habitants d’une cité-état humaine de la Bande Solitaire. Autrefois le patriarche de notre culte siégeait dans cette principauté elfe, mais le bisaïeul d’Ivawen, Eïlïn, qui s’était fait prêtre, a relevé nombre de problèmes dans la doctrine majeure du culte, et exigeait une révision des textes, soutenu par plusieurs pontes de l’Eglise de Céläastra. Le refus du patriarche de réformer la structure du culte a entrainé un schisme…

- Un prêtre peut devenir roi dans votre pays ? s’intrigua Silya.

- Eh bien non, répondit Séïren. Eïlïn était frère de roi. A la mort de son aîné, il n’a pas pu monter sur le trône. C’est donc son fils qui a pris la succession, puis le frère de ce dernier, qui fut aussi le père de Highlin et le frère aîné de Neflindel. Eïlïn est donc devenu le chef du nouveau culte d’Oïnstal, endémique à Céläastra.

- Sur quoi portait la divergence ? demanda l’humaine.

- Les travaux d’Eïlïn ont permis de découvrir la multiplicité d’Oïnstal, à la fois arbres, vents, plantes, sols. Cette multiplicité nous fait apprécier le monde différemment, de manière plus austère, plus simple, car nous pouvons communiquer partout avec Dieu, il nous voit, nous protège. C’est en communion avec lui que nous devons bâtir notre avenir. Regardez ces jardins – elle embrassa d’un geste l’espace autour d’elle – ils sont calmes et harmonieux, en accord avec le monde, la végétation foisonne partout. Autrefois, ils étaient dégagés en grandes allées, taillés de manière précise et géométrique, chaque pouce était artificiel.

Silya ne pouvait qu’être d’accord. Autour d’elle ce n’était que verdure luxuriante, foisonnante, arbres en tous sens, sentiers sinueux de terre et de gravier.

- Le culte, autrefois faste, n’a plus rien à voir avec ce qu’il était. Oïnstal est d’ailleurs représenté comme un elfe couvert de lierre, et avec des bois, brandissant un lourd bâton. Ce qui tranche avec les anciennes images, où il était vêtu d’or et d’argent et portait l’épée. Les prêtres rendent le culte. Ils peuvent se marier. L’ordre est mixte, bien qu’il existe moins de prêtresses que de prêtres. Les grands pontes de Céläastra sont, eux, astreint au célibat, étant théoriciens, ou théoriciennes, avant tout. Ils forment le conclave des Grand-Prêtres, qui régit l’ensemble du culte.

- Pardonner mon manque de réaction Séïren, dit Silya. Dans mon pays, la religion n’a pas une telle place. Nos dieux sont nombreux et nous leur rendons hommage lors de rites spéciaux, et de fêtes, rares et fastueuses.

- Oh, Silya, ne croyez pas que les elfes sont de pieuses créatures, vivant dans la crainte d’un dieu cruel ! sourit l’elfe. Laissez cela aux humains des cités libres, avec leur « Œil Etoilé ». Oïnstal a créé notre milieu naturel, et nous le vénérons pour cela. Nous étudions les dires de ses prophètes, nous communions avec lui, mais il s’agit surtout d’une forme de méditation, notre vie religieuse ne vient pas interférer dans notre vie « profane ».

- Vous me rassurez, je n’avais pas remarqué une forte piété chez votre peuple.

Séïren se mit rire. Elle prit Silya par les épaules et la fit redescendre vers le chemin. Une fois sur le gravier, l’elfe caressa délicatement sa joue mutilée, puis remonta le long de sa cicatrice vers son oreille arrachée.

- Comment cela vous est-il arrivée ? s’enquit-elle.

Cette fois Silya tiqua. Elle appréciait cette jeune femme souriante, chaleureuse et douce. Mais elle avait du mal avec sa façon de poser des questions, intrusives parfois. Néanmoins, elle préféra répondre :

- Ce jour-là, mon adversaire était coriace. Il a bien failli me tuer, mais, comme vous le voyez, je suis parvenue à le vaincre. C’était un fantassin habile, mais il n’était ni assez rapide, ni assez souple.

Séïren n’insista pas, et Silya fut soulagée. Elle l’emmena un peu plus loin sur le chemin, puis bifurqua à gauche, et longea un talus boisé. Les deux femmes continuèrent sur plusieurs pas, puis Séïren coupa à travers les arbres et les pelouses. Silya la suivit, se demandant bien où elle pouvait l’emmener. Après avoir traversé un petit bosquet, elles reprirent un chemin de gravier qui descendait de manière sinueuse vers les hauts remparts qui entouraient le jardin. Une fois arrivée au pied des murs, Séïren tourna à droite et poursuivit sa marche sur un chemin dégagé et bien entretenu, composé de dalles de pierres, toutes de formes différentes. Après avoir marché sur des sols inégaux, le contact plat des dalles fit du bien aux pieds de l’alizéenne. Elle suivit sa compagne qui marchait d’un pas vif sur quelques pas. Elle se sentait légèrement tendue, comme si quelque chose d’anormal allait se produire. Instinctivement, elle plaça ses mains sur les poignées de ses sabres. Elle se doutait qu’aucun guet-apens n’était à craindre dans le parc du palais, mais ce contact la rassurait. Quelques instants plus tard, la silhouette d’un elfe se dessina devant les deux femmes. Il était grand et vêtu d’une robe noire. Une ceinture de soie tressée lui retenait la taille et le vent faisait légèrement voleter ses cheveux gris. Il attendait les bras croisés. En s’approchant, Silya remarqua qu’il avait un petit sourire aux lèvres, et que ses yeux bruns avaient l’air amusés. Aucunes rides ne marquaient son visage, si bien que l’humaine en fut jalouse. Un anneau d’argent était passé dans son sourcil droit, et une chevalière d’or était glissée à son auriculaire gauche. Il portait aussi trois anneaux dans chaque oreille. Il y avait derrière lui un fagot de paille.

- Silya, je vous présente Farjïn, le mage de cour d’Ivawen, dit Séïren une fois arrêtée devant son compatriote. Il va vous faire une démonstration magique, pour que vous soyez préparée à affronter ce type d’adversaire.

Farjïn inclina la tête, et Silya ne broncha pas, attentive, les mains toujours posées sur les pommeaux de ses épées. Le mage dit un mot dans une langue sifflante et incompréhensible, puis traça rapidement des signes dans l’air avec ses mains. Dès qu’il eut finit, sa paume droite s’enflamma. Il ferma le poing et les flammes s’élevèrent de quelques pouces, formant désormais une sphère rouge et brulante. D’un geste, il l’a projeta vers le mur juste à côté. Elle explosa en une gerbe d’étincelles, laissant une petite marque noircie sur la pierre. Silya leva un sourcil et le magicien sourit. Cette fois, il parla plus longtemps et ses gestes furent plus longs, plus compliqués. L’ancienne reine eut un mouvement de recul. Elle venait de reconnaitre dans cet étrange charabia le mot ancien signifiant « consumer ». Farjïn étendit alors ses mains vers le fagot de paille qui fut atteint par un trait rouge s’échappant des mains du mage et s’enflamma immédiatement. Il laissa le feu se propager quelques instants, puis dit un mot et le sort fut annulé. Il ne restait du fagot que quelques épis de paille éparses. Le mage reprit ses mouvements pendant un petit moment, tout en prononçant une nouvelle phrase, puis allongea les bras vers un bosquet d’herbes proche, d’une taille conséquente. Un éclair blanc le frappa et il se mit instantanément à geler. Rapidement, Farjïn annula son sortilège puis se tourna vers l’humaine.

- La démonstration vous a-t-elle plu ? demanda-t-il.

- J’aurais eu le temps de vous tuer trois fois pendant que vous gesticuliez, sourit l’alizéenne.

- Bien entendu, dit l’elfe en éclatant de rire. Il va de soi que j’aurais aussi pu me cacher pour vous lancer des sortilèges. Pour créer des projectiles ou des éléments, le mage doit concentrer les arcanes entre ses mains, ce qui demande une grande concentration et un savoir-faire adéquat. Il est fondamental de ne pas se tromper, ni dans les incantations, ni dans les gestes effectué. Ces gestes sont par ailleurs les plus importants. Si un magicien peut se passer de sa langue, il ne peut pas agir sans au moins une de ses mains.

- « Les arcanes » ? s’enquit Silya.

- Des flux arcaniques parcourent l’atmosphère, contenant les essences des éléments composants les matériaux terrestres. L’art du sorcier consiste à capter ces flux et à les transformer pour leur faire prendre la forme qu’il désire. Ces flux sont puissants, mais les simples mortels que nous sommes ne peuvent en capter qu’une petite partie. Il arrive que, lors de batailles, des mages utilisent des sorts dévastateurs, comme des pluies de pierres, ou de feu, mais ce type d’exploits n’est possible à accomplir que par plusieurs puissants arcanistes associés. De même, un seul mage pourrait par exemple faire tomber la foudre, mais cela implique qu’un orage soit présent. L’effort l’épuisera, d’ailleurs.

- Evitez de faire un exposé trop théorique, Farjïn, intervînt Séïren.

- Pardonnez-moi, reprit le mage. Les magiciens son également des érudits, ils étudient les mystères du monde, et les aspects théorique de la magie. Les elfes, comme vous le savez peut-être, ont plus de disposition à la magie que les humains, qui contrôlent moins bien leurs pouvoirs. Les nains, eux, ne peuvent utiliser ces pouvoirs de la même manière. Ils peuvent par contre, avec beaucoup de talent, enfermer des étincelles arcaniques dans certains objets grâce à des runes spéciales, accordant de la puissance au porteur. C’est un art qu’ils gardent jalousement secret, mais les elfes peuvent manier cette forme de magie d’une manière différente, en enfermant ce type d’étincelles dans des tatouages humains.

Il marqua une pause. Toutes ces explications ennuyaient Silya. Elle y coupa court :

- Pour vaincre un mage, il me faudra donc l’attaquer pendant son incantation ?

- Exactement, dit Farjïn. D’où l’importance de repérer un magicien le plus tôt possible. Rassurez-vous, ils sont rares.

- Merci Farlïn, dit Séïren. Voir ce que les magiciens peuvent faire aidera Silya.

- Bonne chance pour la suite, sourit Farlïn en s’inclinant à nouveau devant les deux femmes.

Séïren entraîna Silya un peu plus loin sur le chemin. L’elfe longea les murailles sur quelques pieds puis coupa à nouveau à travers les pelouses. Les deux femmes marchèrent à nouveaux sur un chemin, cette fois très sinueux et vide d’elfes. Elles y cheminèrent pendant plusieurs minutes, puis le chemin redescendit rapidement vers le château. Silya arriva devant une petite poterne fermée par une porte de pierre. Au-dessus, l’humaine put apercevoir une meurtrière par laquelle passait la tête d’un garde. Sur un geste de Séïren, il claqua des doigts et la lourde porte s’ouvrit, manipulée par deux gardes. Les deux femmes pénétrèrent dans un fin couloir éclairé par des torches. L’elfe mena l’alizéenne pendant un moment de couloirs sinueux en couloir sinueux, semblant trouver sans aucun problème son chemin dans ce dédale. Les murs semblaient creusés à même la roche, et ils rappelaient à Silya son palais dans le royaume Alizé. Elle frissonna. Le couloir se termina par un escalier escarpé qu’elles gravirent avant d’arriver devant une petite porte. Séïren s’arrêta et prit la parole d’une voix étrange.

- Silya, vous savez, j’ai rêvé de vous il y a deux nuits. Vous aviez les mains noires, et vos épées étaient tirées, dégoutantes de sang. A vos pieds, il y avait plusieurs couronnes végétales. Vous sembliez hébétée, au milieu d’un plateau où s’étendait un désert de sable. Les dunes y étaient déchaînées, comme lors d’une tempête en mer. Néanmoins vous marchiez, vous marchiez près d’un étang, miraculeusement épargné par le sable, où se reflétait un croissant de Lune bleu sombre, dont les côtés étaient zébrés d’éclairs pâles. Au fonds de ces eaux ténébreuses, au milieu de cette ombre d’astre, je voyais tout, je ne voyais rien, j’y voyais l’hiver, un hiver beau et froid. Au-dessus de votre tête néanmoins, cette Lune était inexistante. Vos oreilles étaient chargées de grandes boucles d’oreilles d’or. Au-dessus de vous brillait une étoile gigantesque, qui semblait vous guider. Vous avez touché deux de vos boucles d’oreilles, sourit à l’étoile, puis je me suis réveillée.

- Ne croyez pas ce que racontent les rêves, Séïren, dit lentement Silya. Ils n’ont souvent aucun sens.

La jeune femme acquiesça. Elle semblait beaucoup moins troublée que lorsqu’elle lui avait raconté son rêve. Alors que l’elfe ouvrait la porte, l’humaine ne put s’empêcher de se sentir elle-même un peu troublée par ce songe. Pourquoi Séïren rêverait-elle de moi ? Elle chassa rapidement ces doutes, elle n’avait jamais accordé de crédit à ce genre de prédictions. Elles débouchèrent dans une vaste salle remplie de colonnes, très haute de plafond. Mais à l’étonnement de l’humaine, Séïren ne s’y attarda pas un instant, et continua d’un pas vif vers une arcade à l’autre bout de la salle. Silya la suivit, puis l’elfe frappa à une porte, encadrée de deux gardes royaux, tout en s’annonçant. Une voix lui parvînt de l’autre côté. Elle ouvrit et entra, sa compagne à sa suite.

La pièce était spacieuse, remplie de tapisseries. L’ameublement était sobre pourtant, composée d’une longue table entourée de chaises hautes et confortables. Silya reconnue la chevelure rousse de la princesse Nærisa, ainsi que la blondeur des cheveux de la reine. Immédiatement elle s’inclina, tandis que Séïren mettait un genou à terre devant ses cousines. Se relevant, l’alizéenne croisa le regard de Nærisa, puis se tourna quelques instants vers la reine. Il se dégageait d’Ivawen une réelle sensation de puissance. Sa chevelure pâle était magnifiquement coiffée, son visage en forme de cœur semblait sévère mais parfaitement doux. Ses lèvres plantureuses, son nez, ses oreilles si allongées, tout dans ce visage était magnifique. Plus imposante que sa sœur, la reine avait également un regard plus austère, plus dur, plus profond. Ce regard, l’ancienne reine ne le croisa qu’une fraction de seconde. D’un bleu profond, sombre, mais étrangement brillant, Silya eu envie de s’y perdre intégralement. Elle crut voir, l’espace d’une fraction de seconde, la pupille d’Ivawen se dilater imperceptiblement. Elle songea à Idraïs, pendant un instant, puis chassa cette pensée. Malgré elle, Silya eut un regard pour la gorge et la poitrine de la reine, avant de détourner les yeux, très vite. Elle eut envie de s’incliner une nouvelle fois, mais s’en abstînt.

- Bonjour, Séïren, dit la reine avec un signe de tête pour sa cousine. Bonjour Silya Ayen.
Elle n’eut aucun signe de tête cette fois, mais Silya remarqua à son grand étonnement dans sa voix une note quelques peu tendue, presque effrayée. Puis Ivawen plongea son regard impénétrable dans les yeux de l’humaine, sans ciller et reprit, d’une voix tout à fait normale et détendue cette fois :

- Je vous ai convoquées aujourd’hui car j’ai une mission pour Séïren. Comment vous le savez toutes les deux, la succession de la cité humaine de Korih, notre vassale, s’avère compliquée. Séïren, en tant que membre du Conseil Royal, et en tant que ma cousine, je te demande de te rendre là-bas, en qualité d’envoyée spéciale de la couronne. Tu devras faire en sorte que la transition se passe bien. Je te donnerais plus de détails dans quelques instants. Silya Ayen, je te demande de veiller à la sécurité de Séïren, contre tous les dangers qu’elle pourrait rencontrer, et d’obéir à ses ordres.

- Sauf votre respect, Altesse, commença Silya, mon devoir est d’assurer la sécurité de la princesse Nærisa, et…

- Ton devoir est d’obéir à ma sœur, et à moi, coupa Ivawen. Et d’aller où nous te demandons d’aller. Nærisa sera sous bonne protection pendant ton absence.

- Bien, Votre Majesté.

- Vous partirez dans deux jours, reprit Ivawen, avec le reste de l’escorte de Séïren. Silya, je veux que tu t’occupes de quelque chose pour moi demain, je te ferai porter un message. J’ai également un cadeau pour toi.

Elle claqua des doigts. L’un des gardes se déplaça vers une silhouette recouverte d’une toile noire et la retira, dévoilant une magnifique armure. Elle était composée d’un haubert de mailles grises serrées, recouvrant des cuirs bouillis. La coupe était sans contestes féminine. Tracée pour une silhouette fine, l’armure semblait légère. Le gorgerin, les jambières et les gantelets de plaques avaient été affinés pour être rendus plus légers de même que les plaques d’épaules. Le plastron était composé d’écailles de métal entremêlées plutôt que d’une seule pièce d’acier. Le heaume par contre, différait peu des coupes masculines, hormis le fait qu’il soit plus petit que beaucoup d’autres. L’armure était un ouvrage de qualité, sombre, elle restait finement travaillée. Silya voyait toutefois que ce n’était en rien un outil d’apparat, mais réellement une tenue de combattant. Ayant porté des armures toute sa vie, l’ancienne reine remarqua qu’elle s’adaptait bien à son style de combat, très porté sur l’esquive, la souplesse, la rapidité et la mobilité. Cette tenue ressemblait beaucoup aux meilleures armures qu’elle avait pu se faire confectionner pendant sa jeunesse, mais on reconnaissait dans son cisellement la finesse caractéristique des elfes. De plus, si pendant les batailles, elle se devait d’être parfaitement reconnaissable au milieu de ses hommes, et donc de porter un acier flamboyant, son travail d’aujourd’hui nécessitait de la discrétion, et en cela, l’aspect sombre de l’armure convenait à merveille. Silya s’approcha, et estima l’acier, en tâtant les points faibles éventuels. Puis elle recula et se tourna vers la reine.

- Merci Votre Altesse, elle est magnifique. Puis-je néanmoins vous demander une faveur ?

- Tous les conseils utiles pour veiller à la sécurité de ma sœur et de ma cousine sont les bienvenues. Parle, répondit Ivawen.

- Si il était possible de rajouter de la plaque au niveau de l’aine, je me sentirais plus rassurée.

- Qu’il en soit ainsi, sourit l’elfe. Je rapporterai ta requête à l’armurier. Maintenant va, je te laisse libre pour aujourd’hui.

- Merci, Majesté, dit lentement Silya.

L’alizéenne hésita, puis fit une profonde révérence devant la souveraine avant de sortir de la pièce. La reine serait peut-être étonnée de voir une mercenaire exécuter si facilement et si prestement une révérence, mais peu lui importait. Le naturel avec lequel elle avait effectué son salut étonnait d’ailleurs Silya elle-même. La dernière personne devant qui elle avait fait la révérence était son père, presque vingt ans plus tôt. Décidément, cette matinée était bien étrange.


Sur un geste d’Ivawen, Séïren s’assit en face de ses cousines, et les gardes quittèrent la pièce. Nærisa lui sourit de toutes ses dents, et Ivawen lui adressa un petit clin avec un sourire en coin.

- J’espère que tu es consciente de l’importance de ta mission, Séï, commença la princesse. Il est important que la paix règne dans l’Île.

- Je comprends bien, j’espère que je serais à la hauteur, répondit la jeune elfe. Dois-je favoriser tel ou tel prétendants ?

- Il ne s’agit pas de ça, dit la reine d’une voix douce. Je n’ai pas plus confiance en Laodice que je n’ai confiance en Arstos, qui sont par ailleurs les seuls prétendants sérieux selon mes espions. Je ne faisais pas vraiment confiance à Pisias, soit dit en passant. Mais je sais que chacun d’entre eux sont fidèles au trône et c’est ce qui m’importe le plus. Ton devoir sera d’assurer la bonne tenue de la transition, d’éviter les rancœurs, les querelles. Soit fine, présente-toi comme défenseur de la paix avant tout.

- Ce que je suis, sourit Séïren.

- Tu l’es, souffla Ivawen. Fais leur comprendre que leur intérêt n’est pas d’utiliser la violence, surtout sur les civils. Si l’un des prétendants tente tout de même un coup d’état, défend toi. S’il y a effusion de sang, rapporte le moi, j’aviserai. Tu sais comment je fonctionne, la justice sera faite. Néanmoins, je ne risquerai une guerre généralisé avec Korih que s’il y a réellement matière à cela, d’où l’importance de ton témoignage.

- Mais tu ne m’envoies pas à l’autre bout de l’Île juste pour te servir d’yeux et d’oreilles ? demanda Séïren.

- Eh bien si, cousine, lui sourit Ivawen. Mes yeux, mes oreilles, ma voix et ma main ! Ces humains sont avides de pouvoir mais ils ne sont pas idiots. Ils n’oseront jamais un massacre devant ma cousine en visite officielle.

- Peut-être que tu devrais lui parler aussi de la lettre, Iva, intervînt Nærisa.

- Oui, reprit la reine. Laodice a été très maligne. Elle m’a envoyé son fils et m’a demandé de le protéger. Il semblerait qu’elle aussi sache comment je fonctionne. Je ne pouvais pas me permettre de ne rien faire pour comprendre la situation de Korih après cela. Assure cette femme que son fils se porte bien, et qu’il restera sous ma protection quoi qu’il arrive.

- Tu lui assureras ses droits sur la ville ? s’enquit Séïren, étonnée.

- Non, soupira Ivawen. Si Laodice est chassée de Korih, son fils n’aura pas mon soutien pour reprendre la ville. Je veux assurer la paix. N’en parle pas à Laodice cependant, cela pourrait lui donner envie de s’emparer coûte que coûte de la place de Pisias, ce que je veux éviter à tout prix.

- Puis-je te demander, cousine, pourquoi la paix à Korih t’intéresse tant ? voulu savoir Séïren. Il y a toujours eu des troubles successoraux, nous ne sommes pas censés nous occuper de leurs affaires intérieures.

- Hum…, fit la reine. Nærisa, explique-lui, c’est ton domaine.

- Tu es sûre que…, débuta la princesse.

- Elle est notre cousine, trancha Ivawen, explique lui.

- Normalement, en tant que magister déléguée aux affaires étrangères, j’aurais dû me rendre à Korih à ta place. Mais je suis occupée ailleurs. Tu as entendue comme nous Esuf raconter son histoire au Conseil. Tu as entendue Ivawen lui assurer un soutien. Il va demain partir pour la côte de Béryl, recruter des mercenaires. Je partirai, moi, pour le continent, accompagnée d’une partie de la flotte royale, pour éviter un blocus des terres de Sorgoz par la mer.

- Au risque d’une guerre ouverte avec le royaume Lagoride ? s’inquiéta Séïren.

- Oui, dit Nærisa en se mettant à rire, tandis qu’Ivawen souriait. Si Esuf a dit vrai, et je le crois, ce qui se passe sur ses terres est grave. Nous voudrions éviter un embrasement de la région (Séïren sentait qu’il y avait autre chose). De plus, reprit la princesse, le Grand-Roi Lagoride règne sur le plus grand royaume du sud de Sierma. Il est le plus puissant prince continental, si l’on excepte l’Empereur des nains bien sûr, mais l’Empereur est éloigné. La flotte du Grand-Roi est équivalente à la notre, et il est en mesure de nous menacer. Je ne crois pas qu’il ait digéré sa défaite navale contre Eïondril et Arthelor durant la dernière guerre. Ivawen préfère lui montrer de quoi nous sommes capables.

Séïren sourit. En effet, si l’on engageait une guerre contre les lagorides, mieux valait que le royaume soit uni derrière Ivawen. Un pari risqué… mais tout à fait du genre de la reine. La jeune elfe dit :

- Le Royaume-Fleuve est une fédération, et le territoire au sud-ouest est composé d’une confédération de cités-états, dont sont issues Korih et Olis. Mieux avoir leur appui.

- Exactement Séïren, lui répondit Ivawen avec un sourire en coin. Ta mission a d’autant plus d’importance. Nos vassaux humains connaissent les codes des cités et savent comment nous pouvons en tirer avantage.

La reine sourit et s’affala un peu plus dans son trône. Elle était beaucoup plus détendue quand elle se trouvait en famille.

- Les filles, je compte sur vous pour réussir ces missions, dit-elle en redevenant un peu plus sérieuse. De mon côté, je vais devoir m’occuper de la famille Sëë, qui ne manquera pas de me reprocher l’éviction d’Engoïn. Cet idiot refusait tout net de défier les lagorides… Oser me contredire ! Enfin, l’évoquer me laisse un sale goût dans la bouche. Séïren, tu ne voulais pas me parler de Noédor Edlla ? Je t’écoute.

- Ma place actuelle au Conseil, commença Séïren, et ma qualité de membre de la famille royale font de moi une personnalité de première importance dans la noblesse de Céläastra.

Son ton était moins assuré que précédemment. Ses cousines acquiescèrent, l’écoutant attentivement, et Séïren savait qu’elles avaient compris où elle voulait en venir. Elle reprit :

- En cela, je pense pouvoir convenir à un membre de la famille Edlla. Noédor a presque mon âge et c’est un grand combattant, promis à un brillant avenir. J’aimerais que vous consentiez à une union de nos familles.

- Tu es peut-être liée à nous par le sang, mais ni l’ascendance de ta mère, ni celle de ton père n’est aussi prestigieuse que celle des Edlla. Qu’est-ce qui te fait croire qu’Ursin Edlla et son fils consentiront à cette union ? demanda la reine, puis en haussant les sourcils : Tu as déjà couché avec lui ?

- Plusieurs fois il y a un mois, lâcha la jeune elfe.

- Quoi ! s’écria soudain Nærisa en se levant. Ai-je bien entendu ?

- Tu as eu toi-même trois favoris, et Iva, un, s’enhardie Séïren. Ne me fais pas croire qu’à mon âge…

- A ton âge j’étais en guerre ! la coupa Nærisa. Et ne te fais pas plus sotte que tu ne l’aies Séïren ! Les femmes peuvent choisir un favori, à condition qu’il soit issu d’une famille de rang inférieur. Noédor Edlla, vraiment ? Il n’y a pas plus haute noblesse à Céläastra. Et il n’est même pas majeur. Qu’es-tu pour te donner à lui, hein ? Sa putain ? Ma cousine, une putain !

Tout sourire avait disparu du visage de la princesse, déformé par la rage. Ses yeux, plissés et flamboyant, lançaient des éclairs. Séïren ne s’était pas attendu à une réaction si vive. Mais si Nærisa avait un tempérament de feu, Ivawen se montrait plus froide, mais aussi plus dure. C’était la réaction de la reine qu’elle redoutait le plus. Elle se sentit soudain très jeune sur sa chaise, face à ses si puissantes cousines.

- Calme toi, Næri, et assied-toi, dit doucement Ivawen. Séï, essais de nous comprendre. Tu me mets dans une situation délicate. Ursin Edlla ne consentira que difficilement à une telle union. De plus, je crois qu’il prévoyait de marier son fils aîné à l’héritière de la couronne.

- Il est hors de question que j’épouse ce gamin ! s’indigna Nærisa en riant nerveusement.

Séïren faillit répondre, mais se ravisa. Elle se tourna vers la reine, espérant une aide quelconque.

- Bien sûr qu’il est hors de question que tu l’épouses, continua Ivawen. Tu ne crois quand même pas que je t’aurais mariée contre ta volonté, princesse ?

- Tu sais très bien que si tu me l’avais ordonné, se renfrogna Nærisa, je t’aurais obéis, Majesté. Mais revenons au petit Edlla.

- Majesté ? Arrête un peu, veux-tu, dit la reine en redevenant sérieuse. La solution la plus simple, Séïren, serait de te trouver un favori de rang moindre, en attendant. Mais je me doute que ce n’est pas ce que tu veux.

Séïren acquiesça. En effet, ce n’était pas ce qu’elle voulait. Elle ne voulait que Noédor. Elle n’aimait pas voir ses cousines se chamailler, et désirait régler cette affaire au plus vite avant de sortir de la pièce.

- J’irai parler à Ursin, dit Ivawen en se levant, imitée par les deux autres femmes. Je le ferai venir dès ton départ pour Korih. Mais que ce soit bien clair, petite, (elle s’approcha) je lui venterai tes mérites, et je pense pouvoir le convaincre, sous réserve que ta mission soit un succès.

- C’est parfaitement clair, Ivawen, dit timidement Séïren.

Ivawen lui déposa un baiser sur la joue, puis lui fit signe qu’elle pouvait partir. Nærisa lui adressa un sourire en coin. La jeune elfe se dirigea vers la porte et l’ouvrit. Derrière elle entendit la voix de Nærisa murmurer :

- Princesse ?

- Oui, Næri, lui chuchota Ivawen, tu restes ma petite princesse !

La reine prit sa sœur dans ses bras et la serra contre elle. La princesse se laissa faire et blotti sa tête contre l’épaule d’Ivawen. Séïren resta sur le pas de la porte, contemplant cet amour fraternel duquel elle était par définition exclue, magnifique tableau de la reine protectrice. Enfin, elle sorti et continua sa route. Elle allait mener à bien sa mission diplomatique, revenir couverte de gloire, et pourrait enfin épouser Noédor !

Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
[b]Voilà pour la suite avec un peu de retard. Je développe encore l'univers, c'est long, mais c'est essentiel pour ce que je veux raconter par la suite. Pour ce qui est des hectolitres de sang, ça devrait se faire d'ici quelques semaines. Je devrais poster le glossaire d'ici une dizaine de jours. Bonne lecture, j'espère que vous apprécierez ![/b]


[center][u][b]Chapitre IX[/b][/u][/center]


Silya resserrait les sangles de son armure. La cotte de maille était ajustée à la perfection à ses épaules, et l’ancienne reine était impressionnée par sa légèreté. Elle pouvait s’y mouvoir sans difficulté, et était parfaitement libre d’exécuter les mouvements fluides de son style de combat. Elle se trouvait à l’entrée d’une cour intérieure, dans l’aile ouest du palais royal de Céläastra. L’après-midi était bien avancé, et le crépuscule commençait petit à petit à poindre par les arcades entourant la cour. L’alizéenne retira ses deux sabres de son baudrier et entra dans la cour. Trois personnes s’y entrainaient, deux se battaient en duel, l’un tirait à l’arc sur une cible à l’autre bout du terrain. Chacun portait l’armure des gardes royaux. Silya posa ses armes sur le sol, à l’entrée de la cour, et choisit pour les remplacer deux épées d’entrainement du même gabarit. Elle testa leur tranchant pour vérifier s’il n’était pas dangereux, puis exécuta quelques mouvements de poignets pour délier ses membres. Elle bougea rapidement, envoya plusieurs coups de pieds dans le vide et tournoya sur elle-même en plaçant des coups d’épée un peu partout sur le corps d’un adversaire imaginaire. Ainsi échauffée, elle attendit quelques minutes, et commença à s’impatienter. Ivawen lui avait fait porter un message quelques heures auparavant. Les brèves phrases de la reine, même écrites, claquaient comme un fouet dans son esprit, chargées d’autorité :

[i]Rend-toi demain en fin d’après-midi dans la cour d’entrainement de l’aile ouest. Je veux que tu y teste les capacités de Noédor Edlla en combat. Tu le reconnaitras facilement à ses cheveux blonds et à sa livrée vermeille ornée d’un trident d’or. Il me faut savoir s’il peut s’en sortir en combat réel. Surtout ne le ménage pas. Envois-moi un rapport détaillé dans la soirée.
[right]Ivawen de Céläastra, Reine Solaire[/right]
[/i]
A la lecture de la lettre, Silya avait été prise du même frisson que dans la salle du Conseil. Un frisson loin d’être désagréable, mais étrange. Ivawen lui avait donné une réelle impression de puissance, physique et mentale. Malgré la forte aura qui se dégageait de Nærisa, Silya sentait que la reine était d’une autre trempe, plus réfléchie, plus posée, plus dangereuse aussi. L’alizéenne se doutait que quinze ans auparavant, elle devait faire la même impression à ses administrés, et à ses ennemis. Pour s’imposer à la tête de son royaume, elle avait due devenir une « dame de fer », forte et impitoyable. Ce rôle, elle le jouait parfaitement sur les champs de bataille, et, dans son entourage, rares étaient les hommes capables de lui tenir tête, les armes à la main. Ivawen s’était imposée d’une autre manière, en affichant sa volonté de fer, et par un gouvernement énergique. Silya se rendait compte que la souveraine lui ressemblait. Elles avaient toutes les deux accédé au pouvoir en temps de guerre, et du s’imposer au sein de leur état, vis-à-vis de leurs ennemis comme de leurs alliés. Néanmoins, dans sa jeunesse, Silya était plus chaleureuse que ne lui avait semblé être la reine elfe. De plus, si l’humaine avait été, au court de la Guerre des Reines, reconnue comme l’une des plus fines soldats de son pays, tant comme tacticienne que comme guerrière, elle était tout à fait consciente que ses talents de politicienne étaient limités. Heureusement, elle avait su s’entourer convenablement, et écouter ses conseillers. Ivawen, elle, semblait doté de réels capacités de gouvernement, en témoignait, si l’on en croyait les gardes du palais, sa prise de décisions à tous les échelons. Mais, si la prestance de la reine avait impressionnée Silya, son trouble ne venait pas de là. Il était plus profond, plus enfouit. Face à Ivawen, elle se sentait faible, plus faible qu’elle ne l’avait jamais été. Non que la souveraine ne lui fasse peur, ou ne lui paraisse dangereuse. Mais pour la première fois de sa vie, l’alizéenne avait [i]envie[/i] de servir quelqu’un. Elle avait d’abord cru qu’elle se reconnaissait dans cette reine du bout du monde, mais en réalité, Ivawen avait plus de prestance que l’humaine n’en aurait jamais. Ces ressemblances et ces différences étaient sûrement à l’origine de son trouble. Ou non. Elle préférait ne pas trop y penser.

Silya chassa la reine de son esprit. Noédor Edlla arrivait. Sa silhouette se découpait sous le soleil. Il avançait d’un pas assuré, fier, habillé d’une armure flamboyante, et de bottes souples. Il allait tête nue, les deux épaules sortis, et la poignée de sa grande épée lui barrant le dos. Le garde qui tirait à l’arc s’inclina respectueusement à son arrivée, tandis que les deux autres étaient absorbés par leurs passes d’armes. Noédor n’accorda pas un regard au garde, et marcha lentement vers l’humaine. [i]Une bonne dizaine de minutes de retard[/i], pensa-t-elle, [i]cela commence merveilleusement bien.[/i] Elle avait pu le voir se battre dans l’arène pendant le tournoi. Il était rapide et précis. Sa carrure trahissait également une certaine force physique, mais ses traits fins et son style de combat montraient qu’il préférait utiliser sa souplesse et sa rapidité. Elle le regarda tirer son arme, du meilleur acier, la poser contre un mur avec précaution, puis choisir une épée bâtarde d’entrainement. Il s’avança alors vers elle et lui sourit.

- Bonjour, ma Dame. Je vous ai vu combattre dans l’arène, fit-il en levant son épée. Vous êtes plutôt douée, je suis impatient de croiser le fer avec vous.

- Commencez par vous échauffer mon Seigneur, l’arrêta Silya. Personne n’entre sur un champ de bataille à froid.

- Nous n’y sommes pas.

- Vous vous entraînez pour y être, et pour y survivre. Echauffez-vous, s’il vous plait.

Le jeune elfe laissa tomber son épée, et commença à s’échauffer avec Silya. Les jambes tout d’abord, puis le dos, les épaules, les bras, le cou. Ils exécutèrent ensuite quelques mouvements dans le vide avec leurs armes factices. Edlla était à lèse, et l’humaine se douta qu’il était habitué à pratiquer ce genre d’exercices. Il n’avait voulu l’éluder que pour la contrarier. Une fois leur échauffement finit, ils se mirent en garde, armes brandies. La position de Noédor était excellente et son allonge bien supérieure à celle de Silya. Il sourit une fois de plus :

- J’attends, humaine. Un peu vieille pour bouger la première ?

Silya fit tournoyer ses épées dans ses mains, et attaqua sur le champ. Noédor fut surprit, mais esquiva ses coups avec une grande habileté. Il attaqua à son tour, mais son épée fut bloquée sans problème par l’alizéenne, qui sentit tout de même les vibrations se répercuter dans ses bras. Néanmoins, elle avait déjà combattue des adversaires plus robustes que ce Noédor. Elle attendit qu’il charge, puis s’esquiva et attaqua au genou. Il bloqua sans problème. [i]Hum[/i], pensa l’ancienne reine, [i]il est rapide.[/i] Elle tenta d’attaquer sur son côté gauche, mais l’elfe lui envoya un formidable coup d’épée de bas en haut. Silya bloqua en croisant ses épées, puis mit un coup d’épaule à son adversaire, qui recula. Elle eut le temps de placer un revers sur sa hanche. Il resta immobile pendant quelques secondes :

- Impressionnant ! s’exclama-t-il.

Silya sut à ce moment qu’il ne pourrait pas la vaincre. Il était très bon, et pouvait compter sur sa jeunesse et sa force, mais l’alizéenne était bien plus expérimentée, et parvenait à lire son jeu. Elle n’était aucunement déstabilisée par ses piques verbales, auxquelles elle répondait par des sourires. Lorsqu’elle se battait, elle était comme une arme faite d’acier, et n’avait d’oreilles que pour les bruits du combat. Noédor Edlla s’élança à sa rencontre, elle s’esquiva, et l’attaqua un peu partout, rapidement, il parvînt à parer et à esquiver sans trop de mal. Elle feinta à la tête, et attaqua au genou de sa deuxième épée. Noédor ignora la feinte et para la frappe au genou… pour se retrouver avec une marque rouge au niveau du cou un instant plus tard. Il frappa d’estoc, mais Silya s’était éloignée de justesse. L’elfe envoya alors une série de coups puissants et rapides, visant un peu partout. L’humaine ne put tous les éviter et dut reculer sur une dizaine de pieds, avant d’essuyer, d’une taillade à la hanche et d’une frappe d’estoc à l’épaule, qu’elle ne para que difficilement, et qui érafla violement la plate. Silya tituba. Noédor en profita pour attaquer de plus belle. L’humaine para et contre attaqua de manière fulgurante, déchirant presque, malgré la mauvaise qualité du tranchant de son arme, la maille de son adversaire, au niveau de coude. Le jeunot lui envoya un coup de pied qu’elle esquiva, puis tenta de la souffleter de son poing ganté. Elle esquiva à nouveau, et revînt hors de portée de Edlla. Il avança vers elle et frappa à la tête, elle para. Tous deux étaient essoufflés. L’elfe était rapide et fort, et Silya peinait à en venir à bout. Toute arrogance avait quittée depuis longtemps le jeune elfe, qui à présent était concentré sur le combat, son visage empreint d’une colère maîtrisée. Du coin de l’œil, Silya remarqua qu’un grand elfe aux cheveux auburn était rentré dans la cour et qu’il commençait à s’échauffé. Noédor s’approcha et envoya quelques coups puissants à Silya, qui parvînt à les éviter. Quand il fut suffisamment proche il fit plonger son épée vers le ventre de Silya. L’ancienne reine s’apprêtait parer lorsqu’elle perçue la feinte… et s’y précipita en faisant un pas vers la gauche. Noédor exulta, et d’un basculement des poignets, transforma son coup en une frappe de taille. Silya bloqua difficilement de l’épée qu’elle tenait en main droite, puis assez proche désormais, fit fuser sa deuxième arme vers le cou de Noédor. L’acier rencontra son menton et elle arrêta immédiatement son mouvement. L’elfe abaissa son arme, vaincu.

- Bravo, dit-il, le souffle court.

- Tu te déplaces bien, répondit-elle, tes positions sont bonnes. Tu es rapide, et tes reflexes sont excellents. Tu maîtrise parfaitement ton style de combat, ce qui rare pour un combattant aussi jeune. Quel âge as-tu ?

- Dix-huit ans, souffla Noédor.

- Dix-huit ans, répéta Silya. Tu es un guerrier né, sans conteste, il serait stupide que tu fasses autre chose. Mais tu manques de pratique, j’ai pu lire dans ton jeu sans trop de problème. Même si tu avais changé de style au milieu du combat, j’aurais pu facilement prévoir tes coups, ou trouver les parades adéquates. Fait attention si tu pars à la guerre. Les champs de batailles sont des cimetières de jeunes prodiges. Que ton regard soit encore plus mobile, l’ennemi n’est pas forcément celui que tu as en face de toi. Avais-tu remarqué qu’un elfe était entré sur le terrain, et que les trois gardes étaient partis ?

- Non, dit Noédor en regardant autour de lui.

- Je l’ai vu alors que j’étais concentrée sur le combat. Fais attention à cela. Que ce soit bien clair : tu as de grandes compétences, il faut juste que tu les exploites à cent pour cent. Il n’y a pas de meilleur entrainement que la guerre pour cela. L’important est d’y survivre.

Noédor acquiesça, l’air à moitié déçu de sa défaite, et à moitié heureux de s’entendre confirmer qu’il avait de grandes compétences. Il était en réalité moins doué que Silya ne l’avait estimé en le voyant combattre dans l’arène. Mais il allait devenir exceptionnel. Si la guerre ne l’emportait pas avant. Une voix s’éleva alors dans son dos :

- Et si tu te mesurais à un adversaire plus expérimenté que le jeune Edlla, humaine ?

Silya se retourna, devinant que cette question venait de l’elfe aux cheveux auburn. Large d’épaules et souple, il paraissait d’une grande vigueur physique. Ses yeux étaient marrons clairs, si brillant que l’humaine les crut dorés. Ses lèvres minces étaient étirées en un petit sourire séducteur. Il respirait la confiance en lui. En observant son visage, Silya devina qu’il devait avoir environ un demi-siècle, ce qui était somme toute encore assez jeune pour un elfe. Ses oreilles étaient particulièrement longues et étirées vers l’arrière. Il était vêtu d’un plastron de plates noires, de jambières et de brassards d’acier. Il semblait porter son armure sans difficulté. Sous les plates, l’humaine distinguait des étoffes et du cuir. D’une vigueur moins importante que les humains, les elfes ne portaient pas de mailles sous leurs armures, créant des protections moindres, mais plus légères et facilitant les amples mouvements. Il tenait en main gauche une hache d’entrainement étrange, à la lame fine et recourbée, comme un croissant de lune, qui rappela à l’alizéenne l’arme du nain ayant remporté le combat contre les fauves, lors du tournoi de Céläastra. C’était la deuxième fois qu’elle voyait ce type de lame. Sous son bras droit, l’elfe avait coincé un fin casque, pourvu d’une protection nasale, mais sans visière. Son regard se promena alors sur les hanches de Silya, et remonta vers sa poitrine, pour enfin s’arrêter sur ses yeux. Il jeta ensuite un coup d’œil à ses jambes, puis à sa gorge. Devinant que les yeux de l’elfe ne faisaient pas que détailler les éventuelles faiblesses de son armure, l’ancienne reine s’agaça. Elle se mit en garde et lança :

- Je suis prête, elfe.

Ce dernier acquiesça et coiffa son heaume. Il avança ensuite d’un pas et se tînt ainsi, de profil, genoux légèrement fléchis, hache en avant. Les deux restèrent immobiles quelques instants. Puis l’elfe exécuta un moulinet au-dessus de sa tête et frappa. Silya para rapidement et tailla à la jambe. L’elfe esquiva. Les deux adversaires échangèrent ensuite une série de coups rapides. L’homme maniait son arme plus lourdement que Noédor Edlla, mais il était plus fort, et plus prévoyant. Silya tenta de le contourner par la gauche, mais fut accueillie par la pointe de la lame adverse, qu’elle bloqua avec difficulté. Se rejetant en arrière pour éviter une riposte fulgurante, l’humaine prit ses distances. Elle comprit que cet elfe serait plus coriace que Noédor. Elle feinta au bras, puis attaqua simultanément à la tête et au ventre. Son adversaire esquiva le premier coup, para le deuxième et tenta une frappe vers la gorge de Silya qui recula. En repassant à l’attaque, l’humaine fit pleuvoir ses coups sur l’elfe, esquiva deux frappes, feinta, et parvînt à toucher sa main droite. Se baissant, elle évita un coup, et frappa de l’épaule. L’autre encaissa et la souffleta violement avec son gantelet. Silya essaya d’éviter le coup mais ne fut pas assez rapide et recula. En un bond, l’elfe fut sur elle et lui envoya une formidable frappe latérale. L’alizéenne para mais fut projetée au sol. Elle roula rapidement puis se releva d’un bond, assez tôt pour bloquer un nouveau coup latéral, de bas en haut cette fois. Elle donna un violent coup de botte sur la cuisse de son adversaire, le déstabilisant. Haletante, elle lui envoya ensuite les pommeaux de ses deux épées dans la figure. L’elfe tituba en arrière, mais parvînt tout de même à bloquer les sabres de l’humaine, puis la frappa au ventre. Elle s’esquiva le plus rapidement qu’elle put, mais sa cotte de maille fut tout de même entamée. Avec une vraie lame, elle aurait écopé d’une vilaine entaille. Esquivant un deuxième coup, elle réussit à bloquer l’arme de son adversaire avec les siennes, puis bondit sur lui et lui envoya un nouveau coup d’épaule, doublé d’une frappe derrière le mollet, non protégé. L’elfe chancela et Silya glissa son épée sous son aine. L’elfe la regarda dans les yeux, et l’ancienne reine eut un haussement de sourcils. Il déclara forfait.

Abaissant leurs armes, les deux adversaires se regardèrent, puis retirèrent leurs heaume et s’épongèrent le front. L’elfe commença à défaire son armure, et Silya fit de même avec sa cotte de maille.

- Qui es-tu, humaine, demanda l’homme, pour avoir si bien su vaincre l’une des fines lames de Céläastra ?

- Je me nomme Silya Ayen, souffla Silya. Disons uniquement que pour gagner ma vie, il m’a fallu la passer sur les champs de bataille. J’assure aujourd’hui la sécurité de la princesse Nærisa. – L’elfe semblait légèrement soupçonneux – Quelle est donc cette arme étrange, que tu portes ? s’enquit-elle pour changer de sujet.

- Il s’agit d’une arme peu commune en effet, sourit son interlocuteur. J’ai commandé celle-ci – il montra du doigt la hache non émoussée qu’il avait posée conte le mur avant l’entrainement – à un armurier nain. Il m’en fallait une à ma taille, tu comprends. Elle m’a par ailleurs coûté une petite fortune. – Il sourit de plus belle – J’ai sûrement eus droit à une taxe raciale spécifique à mon statut d’elfe. Il s’agit d’un [i]Koranen[/i], une lame rare, même chez les nains. Seuls les habitants des provinces occidentales de leur empire en manient.

L’arme était du meilleur acier, et étincelait à la lumière. Des reflets rouges étaient perceptibles, et quelque chose disait à Silya qu’ils n’étaient pas un effet du soleil couchant.

- Ce fut un beau combat, Silya Ayen, reprit l’elfe en lui serrant la main, un large sourire aux lèvres. Je ne me faisais pas de soucis pour la sécurité de Nærisa, mais à présent, je suis sûre qu’il ne lui arrivera rien.

Alors qu’il quittait la cour en portant son armure, Silya se tourna vers Noédor Edlla et lui glissa :

- J’ai oublié de lui demander son prénom. Tu connais cet homme ?

- Oui, répondit Noédor. Il s’agit d’Erion Serra, l’Enflammé. C’est un héros de la Guerre du Vieux-Prince. En tant qu’officier dans l’armée de Neflindel…


Hroar Erlîn sirotait tranquillement un verre de vin rouge quand le serveur lui apporta son plat, deux épais tournedos agrémentés de pommes de terre sautés. Il le remercia d’un signe de tête et commença à manger. La nourriture était bonne. Il avait élu domicile dans l’auberge de Céïan depuis sa victoire contre les fauves et dépensait tranquillement sa récompense, en attendant de trouver à nouveau du travail. Autour de lui plusieurs elfes discutaient. Mais le nain préférait rester seul, dans un coin, et écouter les conversations. Quelques oreilles pointues avaient profité de sa présence pour lui manquer de respect. Certains par contre étaient venus le saluer et le féliciter pour sa victoire, en l’appelant « Vainqueur des fauves ». Une agitation régnait depuis un ou deux jours dans la capitale. Certains disaient que des troupes se regroupaient au nord de l’Île, d’autres que le Seigneur Edlla construisait de nouveaux navires de guerre. En marchant dans un quartier pauvre, Hroar avait entendu d’autres rumeurs. Le capitaine Engoïn Sëë avait déplu à la reine, qui l’avait poussé au suicide. Un deuxième elfe avait renchérit que pas du tout, Sëë, suite à son éviction du Conseil par Ivawen, l’avait attaqué. La reine s’était vue dans l’obligation de le tuer de ses mains. Un troisième, parlant plus fort, leur disait que Engoïn avait trahit la reine et fait libérer le Vieux-Prince. D’ici peu, la guerre serait à nouveau déclarée. Céïan se riait de toutes ces rumeurs, confiant au nain que le capitaine Sëë, bel et bien renvoyé du Conseil par Ivawen, était trop vieux et fatigué pour tenter quoi que ce soit contre elle. Néanmoins, il n’avait pas d’avis sur les rumeurs de guerre. Hroar réfléchissait vaguement à tout cela en buvant son vin quand une voix familière s’éleva derrière lui :

- Alors, hirdâ, les elfes te manquaient ?

Le nain se retourna sur sa chaise, puis reconnu le grand elfe aux cheveux auburn qui l’avait apostrophé. Il se leva, lui sera la main avec un large sourire et lui donna l’accolade.

- Erion, vieux frère ! lui glissa-t-il. Que fais-tu ici ?

- Rien de plus que me promener dans ma patrie, Hroar, lui répondit Erion. C’est en marchant dans Céläastra que j’ai vu ton nom gravé sur la stèle du dernier tournoi. Vainqueur des fauves, hein ? Bravo ! J’ai demandé autour de moi, et on m’a dit que tu vivais chez Céïan. J’étais dans l’obligation de venir te rendre visite.

- Quel plaisir de te revoir ! reparti le nain. Trois ans depuis les guerres d’Opale, je me demandais ce que tu étais devenu. Assieds-toi, je t’en prie. Je t’offrirais bien une bière, mais, sans vouloir offenser ton peuple, votre malt est affreusement mauvais !

- Tu ne m’offense pas, Hroar, dit l’elfe en s’asseyant, c’est la vérité. Mais j’ai une surprise pour toi. – D’un geste il appela le patron – Céïan, lui demanda-t-il à voix basse, rapportez-nous votre cuvée spéciale, trois litres. Je payerai le double, comme d’habitude.

- Bien, Seigneur Serra, répondit Céïan avec un rapide salut.

Avec étonnement, Hroar vit l’aubergiste apporter deux cornes à bière ainsi qu’un tonneau sur lequel était inscrit [i]La Tonnante[/i]. La [i]Tonnante [/i]était l’une des meilleures bières brassées par les nains, issus des champs en terrasse directement contrôlés par l’Empereur. Que Céïan en fasse importé était intéressant.

- Attention, prévînt Erion en remplissant les cornes, elle est très forte.

Hroar éclata de rire. Forte, elle l’était. Et délicieusement ambrée, aux arômes subtils d’épices et de caramel ; son goût était aussi légèrement fruité. En en avalant une lampée, le nain se senti propulsé vers les montagnes. Il remercia son ami, puis ils trinquèrent.

- Erion, sourit-il, à ta santé ! Buvons, et buvons bien. Ensuite, nous discuterons !

Ils burent et mangèrent pendant quelques minutes, puis se mirent à parler des guerres d’Opale et de leur vie de mercenaire. Tandis que la bière coulait, Hroar se décida à poser la question qui lui brûlait la gorge :

- Alors ? [i]Seigneur Serra[/i] ?

- Bien-sûr, sourit l’elfe, tu ne me connais que comme un mercenaire pouilleux du bout du monde. Mais ici, sur l’Île, je suis Erion l’Enflammé, cadet du Seigneur Sorraï Serra, l’un des nobles les plus importants de Céläastra. J’ai aussi un frère jumeau, Orys le Pieu, qui est entré en prêtrise il y a des années. Comme tu le vois – il montra d’un geste le tonneau puis désigna Céïan – bien que je ne me rende que très rarement à la capitale, ma condition me confère certains avantages.

- Et qu’es-tu venus faire ici, s’enquit le nain. Seraient-ce les rumeurs d’une guerre qui t’ont poussé à revenir ?

- Il est vrai que je repartirais bien au combat, commença Erion. Mais je ne me déplace pas dès que j’entends une rumeur. Non, ce n’est pas ça. Il y a quelques jours, ma nièce Iris a été renvoyée du Conseil Royal par Ivawen. Mes frères et moi-même nous estimons en droit de faire la lumière sur cette affaire.

- Tu vas rencontrer la Reine ?

- Mon aîné est un bon gestionnaire, souffla l’elfe en vidant sa bière, mais vois-tu, il n’osera jamais s’opposer à Ivawen. Même si l’outrage est fait à sa propre fille. Je ne sais pas quel sortilège la Triomphatrice lui a jeté… La petite est d’une autre trempe. Elle tient de sa mère. On m’a dit qu’elle avait affrontée la reine au moment de sa destitution. Je la reconnais bien là. Maintenant elle est partie pleurer chez les Sëë. Elle a toujours était plus proche de sa famille maternelle.

- Et ? fit Hroar en avisant les lèvres pincées de son ami, c’est un problème ?

- Les familles Sëë et Serra sont rivales depuis des siècles, expliqua Erion. Contracter un mariage entre nous était un véritable exploit. Cette union a été arrangée par le grand-père d’Ivawen, du temps où il était roi. Iris et son frère étaient censés être les enfants de la paix et de la réconciliation. En un sens cela a marché, jamais personne n’a vu une Serra, Iris, si proche des Sëë.

- J’ai entendu une rumeur, commença Hroar en buvant un grande lampée de bière, selon laquelle un membre de la famille Sëë avait été renvoyé en même temps que ta nièce.

- C’est vrai, dit l’elfe en remplissant les verres. Le vieux Engoïn Sëë fut membre du Conseil pendant des décennies, et en cela, son renvoie est étrange. Il est vieux, plus de cent ans. C’est un arrière grand-oncle d’Iris. Le danger ne vient pas de lui, d’aucuns le disent malade et fatigué. Non, c’est des jeunes Sëë dont il faut se méfier.

- Tu sembles les mépriser, sourit Hroar. Les vieilles querelles, hein ? D’ailleurs, d’où te vient ce surnom, « l’Enflammé » ? De ta capacité à faire flamber ton arme ? Tiens, le tonneau est vide.

- Laisse-moi faire, répondit précipitamment Serra en claquant de doigts.

Il échangea quelques mots en langage elfe avec Céïan, qui revient quelques instants plus tard avec une excellente bouteille de whisky pur malt. Hroar n’en avait jamais bu de cette qualité, et regarda avec respect le liquide glisser dans les verres en cristal que l’aubergiste avait amenés. Erion remis une bourse à Céïan, puis les deux amis, qui commençaient à avoir l’esprit embrumé, finirent leur bière et trinquèrent. L’alcool était délicieux. L’elfe reprit d’une voix légèrement enrouée :

- Quand j’étais jeune, on me surnommait ainsi à cause de mon caractère emporté. Prenant au mot cette appellation, j’avais coutume d’utiliser un sort simple, utilisant l’essence de certaines plantes de Céläastra et du sang elfe pour enflammer mon épée.

Il brandit sa main droite, sur laquelle était visible de profondes entailles cicatrisées. Devant le regard interrogateur de Hroar il continua :

- Le sang elfe est naturellement parcourut d’une once d’énergie arcanique. Le sort que j’exécutais alors était de niveau novice, et consistait à exécuter une réaction mettant feu à l’essence de plante dont je t’ai parlé. La lame en sortait intact, pas mes mains. Sache que j’ai exécuté ce sortilège devant toi il y a trois ans car il me fallait effrayer le plus rapidement possible les ennemis en face. Cela fait quinze ans que je n’enflamme plus mon épée.

Hroar s’en souvenait. Ils se battaient à quatre contre douze pendant les guerres d’Opale, et Erion s’était servi de ce subterfuge pour mettre les ennemis en déroute. Il avait éteint son arme juste après. Il resservit son ami.

- Pourquoi n’utilise-tu plus cette capacité, Erion ?

Erion Serra lui sourit d’un air sinistre et vida son verre d’un trait, avec une grimace. Il se resservit, puis bredouilla :

- C’est… c’est une longue histoire.

- Je t’écoute, dit le nain.

- Hum, fit l’elfe. Cette histoire commence à la mort du roi Highlin, seize ans plus tôt. Les deux grands-mères d’Ivawen étant des Sëë, c’est naturellement que cette famille a rejoint sa cause. Mais ce fut l’une des seules. Neflindel avait avec lui plus de la moitié des grands lignages, et les Seigneurs Serra et Edlla se cantonnaient à une prudente neutralité. La situation a changée lorsqu’Ivawen a rendu visite à Ursin Edlla et l’a convaincu de rejoindre sa cause. Elle restait en nette infériorité numérique. Mon frère hésitait. Il m’a confié qu’il ne voulait pas engager sa seigneurie dans un coupe-gorge. Inspiré par l’exemple du Grand Maître de la Garde, il pensait pouvoir rester neutre jusqu’à la fin du conflit. Orys, pour sa part, était reconnu au sein du clergé de Céläastra. Grâce en partie à son intervention, le Grand-Prêtre a pu maintenir l’Église en dehors du de cette guerre.

Il fit une pause et avala un peu de whisky. Il fit un petit sourire à Hoar avant de reprendre :

- Mais voilà, personnellement, je tenais un petit château près du domaine Sëë que m’avait donné mon aîné. J’avais également à ma disposition des richesses issues de mon passé de mercenaire. J’ai pu agrandir ma demeure, et acheter des terres avoisinantes. Pendant la guerre, j’ai soutenu les vieilles coutumes elfes. Aucune femme sur le trône. Et peu importaient les choix de Highlin. Pendant des mois j’ai mené, en toute indépendance de mon frère, la lutte contre les forces Sëë. Sorraï, au bout d’un an, alors que le conflit semblait se stabiliser, a rejoint Ivawen. Pas moi. J’ai défendu mon château, accueillant les quelques paysans alentours et leurs réserves.

Son regard s’assombrit. D’un trait, il vida son verre, imité par Hoar. Le nain les servis :

- Un partie des forces Sëë étaient dirigées par le petit-fils du seigneur, Nadomir, que j’avais eu l’occasion de rencontrer au mariage des parents d’Iris. Des joutes y avaient été organisées. J’avais démonté Nadomir, mais une fois à terre, il avait eu le dessus à l’épée. Il était alors tout jeune, moins de vingt-ans, et m’avait impressionné, je dois le dire. Pendant la guerre nos armées se sont rencontrées sur le champ de bataille. Je ne l’ai pas affronté personnellement, mais je suis parvenu à mettre en déroute ses troupes. Il m’avait tué de bons hommes. Moi de même. Il faut croire que par la suite il s’était donné pour mission de me chasser, parce que peu après son armée mettait le siège devant ma forteresse.

Il avait perdu à présent le sourire qui le caractérisait tant. Il but plusieurs gorgées de whisky. Il n’y avait aucune colère dans sa voix, aucune haine dans son regard. Seulement une profonde tristesse, que Hroar n’avait jamais vue sur son visage.

- J’ai tenu le siège pendant près d’un an. Nadomir s’est éclipsé à un moment pour une bataille, puis est revenu. Au bout d’un an, donc, nous nous sommes rencontré. Il m’a alors craché que je déshonorais mon peuple et ma famille en refusant de prêter allégeance à Ivawen. Que je défiais mon frère, et que par-là, le déshonneur rejaillissait sur sa propre sœur, épouse de Sorraï. Il m’a juré qu’Ivawen serait la plus grande reine que Céläastra eut jamais connue, qu’il éliminerait la menace que je représentais en détruisant mon château pierre par pierre. Je lui ai répondu qu’il devrait d’abord me tuer. Je pense que l’idée d’engager sur le champ un duel à mort nous a traversé l’esprit, mais nous n’en avons rien fait. Néanmoins, le siège ne pouvait s’éterniser. Nous commencions tous à mourir de faim. Deux jours après cette entrevue j’ai rassemblé mes troupes, et ai mené personnellement une sortie, chargeant en tête avec mon épée enflammée.

Hroar avait compris depuis longtemps qu’Erion ne lui racontait plus l’histoire de son épée de flammes, mais s’en servait pour développer un tout autre récit. Cette fois le nain put lire la haine sur son visage, une haine glaciale, impénétrable. Lorsqu’il reprit, sa voix tremblait légèrement :

- Notre sortie fut une réussite. Le siège était rompu, je ne sais par quel prodige, et Nadomir se repliait en ordre plus ou moins correct. Pour éviter qu’il ne revienne, je l’ai poursuivi. Mon armée a pourchassé la sienne pendant plusieurs jours, puis nous l’avons enfin encerclée et détruite. Seulement ses hommes n’étaient pas au complet. En revenant sur nos pas, nous avons pu constater que Sëë avait mis sa menace à exécution. Mon château flambait. Mais ce n’était pas le pire. En passant les portes, nous avons pu constater l’étendue du carnage. Dans ma jeunesse j’avais été mercenaire, j’avais vu de quoi étaient capable les soldats après un long siège. Pillage, massacres,... Mais cette fois cela dépassait l’entendement. La forteresse était rasée. Il ne restait aucun survivant, des familles entières avaient été tuées, des femmes violées avant d’être mise à mort. Devant la porte de ma demeure se tenaient, cinq femmes en croix, mutilées atrocement.

Cette fois tout ce mélangeait. Colère, haine, tristesse. Hroar posa une main sur le bras de son ami et lui murmura :

- Ce n’est pas de ta faute, tu n’es pas responsable des actes de Sëë. Tu devais le poursuivre, n’importe qui l’aurait fait.

- Possible, répondit Erion, amer. J’ai par la suite combattu dans l’armée de Neflindel, jusqu’à ce que ce que mon frère réussisse à me convaincre de changer de camp, soit peu avant la dernière bataille de la guerre. Sorraï m’a empêché de me rendre chez les Sëë pour tuer Nadomir. Il voulait me protéger sans doute. Il m’a promis d’en parler à la reine, mais Ivawen a rétorqué qu’il n’y avait aucune preuve concluante de la culpabilité de Nadomir. Il est vrai qu’il lui aurait été difficile de contourner mon armée avec son avant-garde sans que je m’en aperçoive, pour ensuite attaquer mon château et massacrer mes gens. De plus, d’autres armées rôdaient dans le secteur, des soldats en maraude, des brigands. Et aucun survivant pour témoigner de la culpabilité de Sëë. Mais je me souvenais, Hroar, du regard de Nadomir lors du siège. Cette haine, cette cruauté. Le massacre a été perpétré par une armée organisée, c’est sûr. Mais que pouvais-je faire ? Mon pouvoir était limité, mon frère refusait de m’aider. J’ai quitté Céläastra pendant huit ans, je me suis fais mercenaire, comme dans ma jeunesse. J’ai vieillit, je me suis assagi, mais ma colère est restée la même, aussi rouge qu’au premier jour, rouge du sang de ceux que je devais protéger.

- C’est pour cela que tu tiens à rencontrer la Reine, non ? demanda Hroar.

La bouteille était presque vide. Le nain en avait bu une grande partie, mais Erion encore plus. D’habitude il avait l’alcool plutôt joyeux.

- Bien sûr. Je veux une explication. Et surtout je veux la justice. J’ai attendu trop longtemps. Ivawen est une bonne souveraine, juste. Bien que je l’aie combattue, je dois lui reconnaître cela. Et Nadomir Sëë n’est toujours pas marié. Apparemment cette histoire a entaché sa réputation. De plus, son grand-oncle n’est plus au Conseil, et Iris non plus. Personne ne semble intouchable par notre souveraine. Je devrais pourvoir la convaincre. J’ai rendez-vous avec elle demain après-midi. J’en profiterais pour lui demander si une guerre se prépare. Et si c’est le cas, j’espère pouvoir compter sur toi à mes côtés. Voilà longtemps que je désire me battre à nouveau pour mon peuple.

Hroar acquiesça. Erion lui sourit à nouveau, puis les deux amis se levèrent. Le nain eu un léger vertige et se rattrapa à la table. Erion chancela et chuta. Hroar se précipita pour l’aider à se relever. C’est alors qu’il se rendit compte que l’établissement était presque vide, et que la nuit était avancée. Il soutenu son ami et l’entraîna vers la chambre qu’il louait à Céïan en lui soufflant :

- Je t’offre l’hébergement pour cette nuit, ami. J’espère que tu seras en état de discuter avec la reine demain.

- Ne t’en fais pas, Hroar, sourit Erion. Je n’ai plus jamais enflammé mon épée. Et… et j’ai délaissé l’épée elfique pour le Koranen. Plus propre, plus élégant… Au fond, j’adore Iris, tu sais ? Bien qu’elle soit à moitié Sëë… je l’aime comme ma fille… ou comme ma nièce, je ne sais plus…

Hroar Erlîn allongea Erion sur son propre lit. Il marmonna des paroles à peine audibles pendant quelques minutes, puis finit par s’endormir. Le nain comprenait à quel point son ami était affecté par ses pertes. Il comprenait son désir de vengeance.

- Maudite guerre ! murmura-t-il. Je n’arrive même pas à te haïr ! Pourquoi, par les dieux, pourquoi me fais-tu vivre ? Modifié par Loup Noir
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