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Le Havre des Reines


Loup Noir

Messages recommandés

  • 2 semaines après...
[quote]Elle [b]reloua [/b]ensuite en dehors de son étreinte[/quote]

[quote]Arthelor repoussa [b]les couvertures mis pied à terr[/b]e[/quote]

[quote]Mais tu ne m’[b]envoie [/b]pas à l’autre bout de l’Île juste[/quote]

[quote]Tu as [b]eus [/b]toi-même trois favoris, et Iva, un[/quote]

[quote]question que tu l’[b]épouse[/b][/quote]

[quote]Cela fa[b]it quinze que je[/b] n’enflamme plus mon épée[/quote]

Attention à toutes ces fautes bêtes qui gâchent la lecture !

Sur le fond, je ferais qu'une remarque sur la présentation du mage qui fait vraiment comme dans un jeu. Le gars sort de nulle part, il semble être dans sa zone de respawn. Il sert à rien d'autre que sa démonstration... J'aurais essayé de faire un truc moins tombé du ciel. Qu'il soit vers là où il habite ou je ne sais pas !


Sinon le reste est pas mal. Même si le passage était plus court, j’ai préféré l’histoire de l’elfe et sa vengeance qui m’a plus touché que le reste un peu plus politique donc je m’y suis un peu perdu. En tout cas, ça me plait et j'attends la suite !

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-= Inxi =-
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[b]Voilà la suite. Je me rends compte que j'abuse avec les publications, du coup la suivante viendra en début de semaine prochaine, avec j'espère, le glossaire.[/b]

[center][u][b]Chapitre X[/b][/u][/center]

Arthelor Fend-Tribor observait amusé la princesse Nærisa déglutir avec difficulté son verre de vin blanc. Ils dînaient tous deux dans la cabine d’Arthelor située à la poupe de [i]La Main du Roi Highlin[/i]. La princesse avait toujours eu du mal à digérer sur le pont des navires. Sujette au mal de mer, elle avait été prise de nausées quelques heures plus tôt. A présent, le bateau étant amarré au port, elle allait mieux. L’amiral lui caressa doucement la joue et profita de son sourire. A son étonnement, Nærisa était venue lui rendre visite juste avant qu’il ne prenne la mer. La reine avait demandé à Arthelor de faire le tour de l’armada dont elle lui avait confié le commandement et de rencontrer les capitaines. La princesse, qui devait partir avec lui dans deux jours pour le royaume Lagoride, avait tenu à passer la journée à ses côtés. Flatté, l’amiral avait accepté de bonne grâce. Il finit les dernières miettes de son plat de sole et de courgettes, puis vida son verre de vin et resservi Nærisa.

- Je t’avais dit que ce n’était pas une bonne idée de venir avec moi aujourd’hui, Næri, lui glissa-t-il.

- Je voulais être avec toi, amiral, si ça ne te plait pas, je peux toujours prendre un autre bateau, après-demain, répondit-elle, un peu contrariée.

- Arrête un peu, sourit-il en retour. Te souviens-tu, Nærisa, de notre fuite à travers le golf Furiade, poursuivit par les vaisseaux ennemis ?

- Oh oui, mon cher, dit-elle en retrouvant un peu de couleurs. Il y avait ce capitaine Furiade, Tyss je crois, un neveu bâtard du seigneur. Un petit elfe incapable de se battre, mais d’une grande ingéniosité. Il a bien faillit nous arrêter.

- Qui aurait pu nous arrêter à l’époque ? Nous étions jeunes et fringants, nous étions beaux !

- Et aujourd’hui amiral, avons-nous évolué ? renchérit la princesse. Nous ne sommes ni mariés ni parents. La guerre a dévoré notre jeunesse, mais le gouvernement fait de même avec nos belles années !

- Oh, je garde de très bons souvenirs de cette période, et d’autres d’une époque assez récente.

- J’ai eu de bons souvenirs aujourd’hui, Arthelor, dit-elle en souriant. Enfin, pas vraiment. – Elle eut une grimace - Mais hier, en tout cas, j’en ai eu.

L’amiral appela un serviteur qui débarrassa leur table. Une fois qu’il fut sorti Nærisa reprit son verre de vin puis s’assit en tailleur sur le lit d’Arthelor. Elle tapota doucement les couvertures à côté d’elle et l’amiral vînt s’y installer.

- Que feras-tu une fois le royaume Lagoride atteint ? s’enquit-il. Es-tu censée rencontrer des diplomates ?

- Non, répondit Nærisa. Je me rendrais dans la Bande de Djiane, au centre du royaume.

- Que vas-tu faire là-bas ? risqua l’amiral, en ne pouvant cacher l’inquiétude dans sa voix.

- Le royaume Lagoride, expliqua Nærisa, est une fédération, comme tu le sais. Les princes locaux, vassaux du Grand-Roi, se révoltent parfois contre son autorité. Le roi de la Bande de Djiane s’est élevé contre la politique de son suzerain vis-à-vis de Sorgoz. Ivawen pense qu’il pourrait devenir notre allié.

- Alors la reine exclue toute solution diplomatique avec les Lagorides ?

- Arthelor, sourit la princesse, tu es l’un des meilleurs amiraux de Céläastra, et un stratège hors pair, mais la diplomatie est mon champ de connaissances. J’ai étudié le problème, et je t’assure qu’en aidant les sorgosiens, nous déclarons la guerre aux lagorides. Fais confiance à ma sœur.

- Oh je lui fais confiance. Aveuglément. Elle m’a demandé de prendre la tête de cette armada, et d’aller patrouiller entre les eaux territoriales du royaume Lagoride et de Sorgoz. Je le fais sans poser de questions. Au Conseil Royal, nous ne sommes réellement que des conseillers. C’est Ivawen qui tient les rênes du pouvoir, la seule personne à qui elle daigne déléguer quelques responsabilités, c’est toi, Nærisa.

- En effet. Elle aime diriger seule. Tout l’inverse de Père. Arthelor, j’ai discuté avec un matelot tout à l’heure. Il m’a confié que ton équipage avait baptisé ton armada[i] « Les Etoiles Rousses »[/i]. Tu n’es pas à l’origine de ce surnom, j’espère ?

- Non Næri, fit Arthelor en riant. Mais je reconnais bien là le type de plaisanteries de mon équipage ! Je leur demanderais de ne pas évoquer cela, si tu ne veux pas.

- Je préfère que notre relation, n’appartienne qu’à nous, sourit la princesse.

Nærisa vida son verre de vin, le reposa, puis prit Arthelor dans ses bras et l’embrassa tendrement. Mais cette fois Fend-Tribord la repoussa doucement.

- Excuse-moi, Nærisa, dit-il, mais j’ai besoin d’aller faire un tour sur le pont de mon navire.

Elle fit la moue, mais le laissa partir. Avec un léger sourire, il quitta sa cabine et remonta vers la poupe de [i]La Main du Roi Highlin.[/i] La mer était calme, et le ciel remplit d’étoiles. L’amiral continua son chemin sur quelques mètres, se rendit à la poupe, vérifia qu’aucun de ses matelots ne le regardait. Le pont était désert. Il s’appuya sur le bastingage et observa les flots noirs. La mer allait et venait avec un bruit sourd et lancinant. Les lumières du port de Vermelhäa brillaient dans le lointain. Arthelor soupira. Le ciel totalement dégagé était magnifique et les étoiles se reflétaient dans les eaux. Il aurait voulu que ce voyage continu pour toujours. Tout ce qu’il aimait se trouvait là : la mer, les combats navals et Nærisa. Il avait évoqué sa traversée du golfe Furiade, seize ans auparavant, et la princesse avait souri. A ce moment-là, rien n’existait pour lui, seulement la mer, son bateau, et Nærisa. [i]Pourquoi n’est-ce jamais aussi simple ?[/i] se lamenta-t-il se, lui-même. [i]Nærisa ne fait que s’amuser avec moi.[/i] Le constat lui brulait la poitrine. Non que la princesse n’ait de sentiments pour lui. Le problème était qu’elle ne prenait pas leur relation au sérieux.

- Ne soit pas stupide, Fend-Tribord, se dit-il tout haut, tu le sais depuis le premier soir. Jamais elle ne t’épousera, elle ne le peut pas. C’est une princesse, tu n’es rien.

Rien, c’était en effet ce qu’il était. Seize ans auparavant, les maigres terres de son père étaient encerclées par celles des partisans de Neflindel. Le Seigneur Uvaron, neutre et veuf, songeait à rejoindre le Vieux-Prince. C’est alors que Nærisa avait frappé à sa porte, demandant la protection pour la nuit. Le Seigneur avait accepté tout en l’informant qu’elle devrait être partie à l’aube. Arthelor, son unique enfant, âgé de vingt-quatre ans alors, ne savait quoi penser de la guerre. La neutralité lui convenait parfaitement. La nuit même Nærisa avait passé plusieurs heures à convaincre le père d’Arthelor, lui promettant notamment, après la guerre, un mariage avantageux ainsi que des annexions territoriales. Elle assura aussi que cette démarche serait un moyen pour augmenter son indépendance vis-à-vis de ses puissants voisins. Cet argument avait touché Arthelor, qui s’était empressé de prendre le parti de la princesse. Le Seigneur, vaincu par la fermeté et les charmes de Nærisa, avait rejoint le camp d’Ivawen, mettant ses terres et ses ressources à sa disposition. Après la guerre la reine avait tenu parole, offrant à Uvaron le contrôle de terres autour de son domaine, et l’unissant avec une femme de la Famille Alluv, à peine plus âgée qu’Arthelor. La jeune femme semblait éprouver une profonde affection pour son époux néanmoins, et lui avait donné des jumeaux, peu de temps après leur mariage. Selon la dernière lettre du père d’Arthelor à son fils, elle était de nouveau enceinte. Un peu plus tard, Nærisa était venue se glisser nue dans le lit d’Arthelor qui était resté sans voix, et s’était laissé faire. Cette nuit-là, longtemps, bien longtemps après qu’ils eurent fait l’amour, longtemps après qu’elle lui ait parlé d’elle, sans sourire, blottie contre lui, il avait enfin retrouvé la voix. Il ne lui avait murmuré qu’un mot, « princesse ». Arthelor souri. Nærisa l’avait gardé auprès d’elle pendant toute la guerre après cet épisode, en tant que garde du corps, et conseiller, pour son plus grand bonheur.

- Si difficile à comprendre, lança-t-il aux étoiles. Si belle à contempler, ma princesse.

Il tourna son regard vers l’horizon. [i]Et voilà mon second amour.[/i] L’amiral redescendit dans sa cabine et se coucha au creux des bras de Nærisa, qui respirait paisiblement, toute éveillée.


Ivawen attendait patiemment dans la salle du Conseil. Elle avait renvoyé tous les gardes et fixait la porte en sirotant un verre de jus de pamplemousse. Devant elle étaient posés une carafe d’étain, remplie de vin blanc, une autre remplie d’eau, ainsi qu’un verre. Comme à son habitude, elle préférait garder les idées claires lors d’une audience. Elle redressa sa couronne sur sa tête et posa son verre. Elle était fatiguée. La veille elle avait mis beaucoup plus de temps que d’ordinaire pour trouver le sommeil. Elle s’était également levée tôt, et avait commencé à travailler de bonne heure et avec acharnement. Après un petit déjeuner avec sa sœur, elle avait reçu en audience Arthelor Fend-Tribord, pour lui expliquer ce qu’elle attendait de lui. La reine savait que son projet comportait de grands risques. Elle s’était rendue à midi dans les jardins de son palais et avait prié Oïnstal pour la vie de Séïren et de Nærisa. A la suite de cela elle avait rédigé nombres de lettres à l’intention de capitaines et de chefs de famille, rencontré des amirautés. Elle avait aussi passé en revue la Garde Royale, qui l’avait acclamée. Nadomir Forental s’était ensuite entretenu avec elle, longuement, sur des sujets mineurs. Elle n’en pouvait plus et avait envie de souffler un peu. Après une réflexion, elle avait décidé de partir dès le lendemain se ressourcer chez sa tante, pendant quelques jours. Elle rendrait visite à ses huit autres cousines dont la plus âgée avait douze ans. Prendre de la distance avec Céläastra et le gouvernement lui ferait du bien. Elle quitterait la ville après sa rencontre avec Erion Serra. Elle attendait cela avec appréhension. Cet électron libre serait difficile à mettre de son côté. Bien qu’elle le sache homme d’honneur, il irait et ferait ce qu’il voudrait. [i]Ces gens-là ne désobéissent pas[/i], songea-t-elle, [i]mais de là à obéir…[/i] Pendant qu’elle se perdait dans ses pensées, on frappa à la porte. Un garde annonça le Seigneur Soïlïn Sëë.

- Qu’il entre, dit-elle.

L’homme se présenta. Il était petit et de port altier. Ses cheveux étaient longs et ramenés en une tresse qui s’étirait derrière sa nuque. Ils avaient été noirs, mais aujourd’hui largement striés de poils argentés, trahissant un âge avancé. Si Engoïn Sëë paraissait vieux et fatigué, Soïlïn était encore très vigoureux, et capable de se battre. Sa silhouette était fine et élancée, ses gestes gracieux. Il portait au côté une magnifique épée elfique au pommeau incrustée de joyaux, qui était dans sa famille depuis des générations. A son entrée dans la salle il la remit à l’un des gardes. Ses yeux étaient d’un bleu profond. On disait qu’ils lui venaient de la reine Hæja Sëë, une tante, reconnue en son temps pour sa grande beauté, et qui avait été la grand-mère d’Ivawen. A la tête de sa Famille depuis plus vingt ans, le Seigneur Sëë était reconnu comme énergique, compétent et intelligent. Ivawen le savait loyal. Elle le comptait comme l’un de ses plus fidèles alliés depuis des années. Son père l’avait autrefois mit en garde contre lui, jugeant qu’il était un homme « dangereux ». Ce qui n’était pas faux, d’une certaine manière. Néanmoins la reine ne le craignait pas. Il mit il genou à terre en murmurant « ma Reine ».

- Relevez-vous, Seigneur Sëë, dit Ivawen, et prenez un siège.

Le Seigneur s’exécuta. Il s’assit juste en face d’elle et se servit un verre de vin, en proposa à Ivawen qui refusa poliment.

- Vous vouliez me voir, mon seigneur.

- En effet ma Reine, dit-il calmement. C’est à propos de mon oncle. Vous l’avez renvoyé du Conseil Royal. J’aimerais vous demander des informations.

- J’avais des projets avec lesquels il n’était pas d’accord, répondit-elle, d’une voix tout aussi calme. J’ai besoin d’un soutien sans faille du Conseil.

- Il a pourtant servi fidèlement pendant des décennies, vous auriez encore pu bénéficier de son expérience…

- J’ai déjà eu cette conversation avec les autres membres du Conseil, avec ma sœur, et avec Engoïn lui-même, sourit la Reine. Votre oncle est dépassé, fatigué. Qu’il parte se reposer sur vos terres.

- Engoïn c’est une chose, continua Soïlïn, d’une voix légèrement plus dure. Mais pourquoi avoir renvoyé Iris ? Vous l’avez pourtant vous-même accueillit à votre Conseil, s’y fut la première femme, votre sœur exceptée. Vous y teniez à l’époque.

- Iris, commença Ivawen, m’a déplu. Elle était [i]à l’époque[/i], obéissante, et restait à sa place, celle de simple magister, uniquement chargée de donner son avis. Ces derniers temps elle parlait à la place de son oncle, et prenait trop de place. Lorsqu’elle a soutenu férocement Engoïn, j’ai décidé de lui rappeler [i]qui[/i] dirigeait ce Conseil.

- Ma Reine, souffla Sëë mal à l’aise. Iris n’a jamais oublié qui était la souveraine. Elle est jeune, et impétueuse. Elle tient de sa mère. Ma fille a toujours été intenable. Peut-être que si vous confiez une nouvelle tâche a Iris, elle pourrait vous prouver sa bonne fois.

- Je ne suis pas une idiote, Soïlïn, renchérit la reine, Iris est compétente. J’aurais sûrement besoin d’elle sous peu. Mais hors du Conseil. Je vous demanderez aussi de tenir vos ressources à ma disposition. Laissez-moi vous dire qu’une guerre se prépare, une guerre risquée.

- Alors vous désirez réellement attaquer le Royaume-Fleuve ? s’enquit Soïlïn d’une voix blanche.

- Je souhaite réduire la menace qu’il représente, souffla la reine en buvant une lampée de jus de pamplemousse.

- Avez-vous envoyé la princesse Nærisa en ambassade ? demanda Sëë.

Si la perceptive d’une guerre continentale l’effrayait, il n’en laissait rien paraître. Ivawen acquiesça lentement.

- Ma Reine, dit-il doucement. Ne croyez-vous pas que ; étant donné le danger que représente une guerre, étant donné les risques pris par Nærisa, il serait bon… Il serait bon d’assurer votre lignée ? Nous devons à tout prix éviter que l’héritage de Highlin ne se perde, et vous savez qu’il vous reste des cousins…

Ivawen le fit taire d’un geste. Oh oui, il lui restait des cousins. Les petits-fils du Vieux-Prince. Elle les avait exclus de toute succession le jour où elle avait vaincu Neflindel. Néanmoins, si Nærisa et elle venait à mourir, les Seigneurs couronneraient à n’en point douter l’un d’eux. Ce qu’elle refusait catégoriquement.

- Laissez-moi deviner, Soïlïn, dit-elle, vous me demandez de me marier ? Seriez-vous devenu veuf ? fit elle avec un sourire espiègle en le lorgnant rapidement (elle savait que cela l’agacerait au plus haut point).

- Ma femme se porte à merveille, ma Reine, répondit-il précipitamment. Mais peut-être pourriez-vous prendre pour consort, Nadomir, mon fils.

Ivawen s’y attendait. Soïlïn peinait à trouver une épouse issue des grandes Familles pour son héritier, à cause de la réputation sulfureuse qu’il s’était taillé au court de la guerre du Vieux-Prince. Et il ne voulait pas le marier à une femme de rang inférieur.

- Pourquoi me poser la question Soïlïn, vous savez que je n’ai aucune envie de me marier maintenant.

- Décision irrévocable, Altesse ?

- Oui. Je vous ferais signe, si je change d’avis.

Le Seigneur semblait furieux. Ivawen n’en avait cure. Il n’irait pas jusqu’à la défier. Elle sourit. Si les plus grands nobles de Céläastra étaient capables de se déplacer en personne jusqu’à la capitale uniquement pour une audience de quelques dizaine de minutes, elle avait réussi à les mettre au pas.

- Il est probable que j’ai besoin de vous sous peu Soïlïn, dit-elle. J’espère pouvoir compter sur un soutien sans faille ?

- Vous pouvez y compter, ma Reine, répondit le Seigneur.

- Gardez cela pour vous, reprit-elle, mais il est possible que la guerre fasse des mécontents. Si j’entends parler de velléités de révoltes, j’aurais besoin d’un émissaire de talent dans les zones à risques. J’espère également pouvoir compter sur Iris Serra.

- Elle sera ravie de vous servir à nouveau, Majesté, répondit Sëë avec un sourire.

- Seigneur Sëë, je donne un dîner ce soir, puis-je compter sur vous à mes côtés ?

- Bien sûr, Votre Altesse.

Le Seigneur se leva, et s’inclina profondément. Il quitta la pièce lentement. Ivawen s’affala dans son trône. Elle souleva sa couronne et la posa devant elle. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres. [i]Une bonne chose de faite.[/i] Elle se frotta les yeux et songea un instant à Ursin Edlla. Il était, pour elle, le plus beau noble de Céläastra. [i]Quel dommage qu’il soit marié…[/i] pensa la Reine. Elle se leva, remit sa couronne sur sa tête et sorti de la salle.


Silya attendait patiemment, en armure complète, à six pieds de Séïren. La jeune elfe avait les bras croisés et se mordillait la lèvre supérieure. Elle portait une robe rouge vif, ainsi que de magnifiques bijoux. Ses poignets étaient chargés de bracelets fins, un grand collier ceignait son cou et une écharpe était passée à sa taille. Toutes ces parures étaient d’or pur. Aux oreilles, elle avait passé deux belles boucles d’argents. Elle portait également un fin bandeau de cuir tressé sur son front parsemé de minuscules fleurs d’argent. Elle avait aussi glissé trois fleurs de lys dans ses cheveux qui tombaient en boucles noires sur ses épaules. Silya la trouvait ravissante. Elles attendaient toutes deux devant une haute porte, lorsqu’un garde les fit entrer. Elles pénétrèrent dans la vaste salle à manger. Une grande table était dressée et plusieurs convives y étaient installés. Les deux femmes s’inclinèrent profondément devant la Reine. Séïren s’installa ensuite sur la droite de sa cousine, laissant un siège vide entre elles. Ivawen eut un léger regard pour Silya qui la regardait sous son heaume, puis débuta une conversation avec Séïren.

Sur la table étaient disposés de nombreux plats de viandes, Silya repéra des faisans rôtis et des pièces de bœufs. Il y avait aussi de nombreux fruits de mers, plusieurs crabes, quelques bouquets de langoustes. Des poissons étaient aussi disposés un peu partout, grillés, cuits au four à bois. Il y avait aussi plusieurs plats de légumes, courgettes, carottes, asperges. Des carafes emplies de bons crus s’élevaient sur la table. Les meilleurs morceaux étaient réservés à Ivawen. Ainsi, près d’elle, se trouvaient des assiettes chargées d’huîtres, on avait levé les filets d’un bar pour elle, et un homard attendait dans un petit plat à portée de sa main. La vue de toutes ses victuailles faisait presque saliver Silya, Bien entendu, elle n’avait pas le droit d’y toucher, et devait se contenter d’en respirer les effluves. Elle se plaça à quelques pas derrière le fauteuil de Séïren, près du mur, et posa les mains sur les pommeaux de ses épées. Elle restait immobile, telle une statue vigilante.

Pénétrèrent alors dans la pièce deux personnes, escortées par quatre hommes d’armes. Le premier était un petit elfe, d’allure seigneuriale. Ses cheveux poivre et sel étaient tressés sur sa nuque. Il était vêtu richement, et s’avançait avec grâce, même s’il semblait guider et presque soutenir la personne qui l’accompagnait. Il portait au côté une magnifique épée elfique. Son regard était mobile, il regardait tout autour de lui. Silya put admirer une seconde le bleu de ses yeux, qui lui rappela ceux d’Ivawen. Il glissa quelques mots à l’oreille de la deuxième personne avec un léger sourire complice. En jetant un regard à cette dernière l’alizéenne reçu comme un coup de poing dans l’estomac. Instinctivement elle abaissa sa visière pour masquer son visage. Dans la précipitation, elle s’écorcha le nez. Elle sentie les larmes lui picoter les yeux et cligna rapidement pour les chasser. Il s’agissait d’une vieille humaine aux cheveux blancs mi- longs. Elle se tenait voûtée, et avançait avec difficulté. Son visage était marqué de profondes rides. Silya senti un filet de sueur couler sur son cou. Elle resta droite et impassible, jugeant que personne ne s’intéresserait à elle. A l’arrivée de la vieille humaine, la Reine s’était levée.

- Cher amis, chers seigneurs, dit-elle, laissez-moi introduire le noble de Seigneur Soïlïn Sëë – elle eut un regard bienveillant pour l’elfe et lui fit signe de s’installer à sa gauche. Laissez-moi également introduire Sirga, Reine douairière du Royaume Solaris.

Les convives s’inclinèrent et Sirga s’installa entre Séïren et Ivawen. Elle leva légèrement la tête et Silya put distinguer ses pupilles. Elles étaient d’un blanc fantomatique. L’ancienne reine tâcha de se calmer. Au premier coup d’œil elle avait reconnu Sirga. Presque vingt ans auparavant, le Royaume Solaris entrait en guerre contre le Royaume Alizé. A sa tête se trouvait un roi fantoche, Jûn, simple d’esprit, d’aucuns disaient impuissant. A cet égard, sa mère, Jurga, assurait une régence. Ce roi était marié à une jeune femme, Jian, qui possédait elle-même, en tant que reine en titre, un grand pouvoir. Sirga, elle, était la grand-mère de Jûn. Pourtant toutes trois le titre de Reine, ces femmes dirigeaient réellement les affaires du royaume Solaris et menaient la guerre contre Silya et ses légions. En repensant à tout cela l’ancienne reine eut un pincement au cœur. Sirga devait désormais avoir près de soixante-dix ans. Elle semblait très affaiblie et aveugle, étant donné sa façon de tâtonner autour d’elle et ses pupilles vides. Des trois anciennes dirigeantes du Royaume Solaris elle était, semblait-il la dernière en vie, étonnant, au vu la jeunesse des deux autres.

Silya tacha de se calmer un peu. Jian, Jurga, Sirga, trois femmes puissantes, pleines de ressources et intelligentes. Venait s’ajoutait Silya elle-même, alors dirigeante unique du Royaume Alizé. Aux combats entre les armées et les états-majors s’étaient vite superposés les récits légendaires de l’affrontement des quatre femmes qui s’étaient imposées de manière fulgurante dans leurs états respectifs. Ainsi le conflit avait été surnommé la « Guerre des Reines ». Le peintre personnel de Silya l’avait représentée plusieurs fois en guerrière, combattante, écrasant de ses épées de multiples ennemis, ou encore, noyée dans la lumière, tenant son fils dans ses bras, triomphante sur un piédestal recevant les ambassades ennemies. Mais lors de la conclusion de la paix, alors qu’il voulait magnifier son action par un tableau présentant les trois reines à ses pieds, Silya lui avait intimé de créer un portrait plus réaliste. Il lui semblait important de respecter la grandeur de ses ennemies. Sirga se pencha et murmura quelques mots à l’oreille d’Ivawen, qui lui répondit dans un sourire et posa affectueusement sa main sur le bras de la vieille femme. Silya en ressenti une pointe de jalousie. Des trois reines Solaries il ne restait que cette vieillarde ridée. Mais sur l’île isolée de Céläastra, dans la salle à manger d’Ivawen, il en restait bien trois, trois Reines dont la grandeur avait éblouie leurs contemporains. [i]Quelle beauté destructive…[/i] Modifié par Loup Noir
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[quote]Il a bien [b]faillit [/b]nous arrêter.[/quote]

Hop pour la petite faute !

Vivement le glossaire ! Parce que j'avoue que je suis perdu là. En fait c'est dès que ça parle de politique. Ton royaume est très développé si bien qu'on s'y perd vite. Surtout qu'on parle de choses différentes à chaque chapitre. Une carte associée au glossaire serait vraiment d'une grande utilité !

Pour le fond donc je comprends la première partie avec naerisa mais dès que ça touche à la reine, flou artistique !

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-= Inxi =-
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  • 3 semaines après...
[b]Voilà la suite avec beaucoup de retard. Ce chapitre est centré sur Silya, le prochain le sera sur Ivawen. Pour info j'ai mis en ligne le glossaire dans le premier post.
[/b]

[center][u][b]Chapitre XI[/b][/u][/center]


Silya regardait les nuages que le vent poussait. Au beau milieu l’Île de Céläastra, à deux jours de voyage de la ville de Korih et à quatre de la capitale, elle traversait une région faite de canyons et de défilés rocailleux. Elle se trouvait à présent allongée dans le lit d’un ruisseau, à l’écart du cortège escortant Séïren vers la cité humaine. La jeune elfe se baignait avec elle, et elles discutaient ensemble du voyage et de ce qui les attendait. Le crépuscule tombait et l’air devenait froid, mais les deux femmes restaient allongées et continuaient à parler. Silya voyait bien que désormais l’elfe la considérait comme une amie, ce qui la ravissait. Il était plus facile de protéger quelqu’un que l’on appréciait. Au-dessus de leurs têtes, outre les nuages, se trouvait une voûte rocheuse obstruant une partie du ciel. Séïren frissonna, puis sortit de l’eau, se rhabilla et s’éloigna lentement, laissant Silya l’observer, seule avec ses pensées. Le convoi était parti au petit matin, après le dîner qu’avait donné Ivawen. L’alizéenne, encore fatiguée d’avoir monté la garde, avait pris la route avec sa protégée, ainsi que dix elfes de la Garde Royale, la souveraine estimant qu’une escorte réduite était préférable, le statut d’ambassadrice offrant déjà à sa cousine une solide assurance vie. Silya repensa à la nuit ayant suivi le dîner. Elle avait pris de gros risques, mais il lui fallait passer par là.

Après le dîner, alors que tous les convives regagnaient leurs appartements, Silya avait raccompagné Séïren dans sa chambre. C’est en voyant que la Reine Sirga possédait une suite un étage plus bas qu’elle s’était décidée à aller lui parler, ou du moins à essayer. Ivawen l’avait affecté à la protection de sa cousine pour la nuit, c’est pourquoi elle dormait dans l’antichambre des appartements de Séïren. Attendant que l’elfe s’endorme, elle s’était glissée dans sa chambre, puis avait tout doucement ouvert les volets. Les lourds rideaux du baldaquin du lit de sa protégée avaient couverts le bruit. L’ancienne reine était alors sortit sur la petite terrasse que possédait la chambre et ayant déjà visité les lieux, avait avisé un balcon, une dizaine de pieds en-dessous, menant à la suite de Sirga. La vieille femme s’y trouvait, installée dans un fauteuil, son regard aveugle tourné vers l’horizon. Son plan pouvait fonctionner. Sur la terrasse Silya hésita longuement. Elle risquait de se rompre les os en tombant. Elle risquait de détruire sa couverture auprès de la famille royale de Céläastra. Elle risquait de dépoussiérer son passé, et de faire remonter de mauvais souvenirs à la surface. Mais elle en avait besoin. C’est du moins ce qu’il lui semblait. Elle pria pour qu’il n’arrive rien à Séïren pendant son absence.

Prenant une profonde inspiration, l’alizéenne enjamba le rebord de la terrasse, puis s’y suspendit du bout des doigts. Elle s’élança alors et atterrit souplement quelques pieds plus bas. Malgré le peu de bruits qu’elle avait fait en tombant, Sirga, assise sur le balcon voisin, se retourna instantanément. Elle la regarda sans la voir quelques secondes, puis reprit sa contemplation du ciel nocturne. Une fois au bon étage, l’ancienne reine escalada la paroi rocheuse du palais, jusqu’à atteindre le balcon de Sirga, sur lequel elle posa le pied. La vieille femme se tourna vers elle et la fixa intensément :

- Qui es-tu donc, pour venir troubler le repos d’une vieillarde ?

Sa voix était grave et extrêmement rauque. De près, les rides qui marquaient son visage ressortaient encore plus. Elle était plus petite que dans le souvenir de Silya, plus pâle aussi. Mais le pire était ses yeux blancs, vides, qui semblaient toujours voir.

- Oh, je pense que tu reconnaîtras ma voix, reine Sirga, dit l’alizéenne sans se laisser impressionner par la vieille femme.

- Enaria, lâcha celle-ci. Que fais-tu ici ? Jusqu’à mon dernier souffle, il faudra que tu viennes me hanter ! Bon, prend un siège – elle désigna le fauteuil à côté d’elle – et discutons.

Silya s’exécuta. Elle se doutait que Sirga n’aurait pas appelé à l’aide. Trop bouffie d’orgueil pour cela.

- Haut-Reine de tous les Alizées, marmonna Sirga. Cela sonnait bien. Assez bien pour cette guerre en tout cas. Haut-Roi… Pourquoi as-tu voulu t’arroger ce titre ? La couronne de régente me suffisait, pas à toi ?

- Je suis fille de roi, répliqua Silya. Mais peu importe. J’ai… j’ai été stupide. Les courants m’ont amenés ici, après mon exil. Et toi, qu’y fais-tu ?

- Depuis combien de temps es-tu arrivée ?

- Un mois, environ.

- Je suis sur l’Île depuis un an, souffla Sirga. Je pensais que la médecine elfe me guérirait. Mais, sur ce point, comme sur beaucoup d’autres, ils ne sont pas à la hauteur de la légende.

- Nous non plus, sourit Silya.

- En effet, répondit la vieille femme. J’avoue que j’ai beaucoup ri quand j’ai appris ta déchéance. Chassée par ton propre fils, bravo. Etant donné mon état à l’époque, il est presque étonnant que je ne sois pas morte de rire. La médecine elfe, si elle n’est pas en mesure de me guérir, me soulage.

- De quoi souffres-tu Sirga ?

- Je ne sais pas, dit-elle. De vieillesse sûrement. Tu as eu de la chance. Cela fait deux mois que je délire quotidiennement. Ce soir, je suis sorti pour la première fois de la chambre depuis des semaines. Cette île est étrange, très isolée. Et très agréable.

- Pleine de charmes, soupira Silya. Aurais-tu des nouvelles de mon fils ?

- De ton fils ? sa voix était dure et colérique. Les dernières remontent à huit mois. Elles sont sûres. C’était l’époque où les ingrats de mon propre Royaume m’envoyaient encore des lettres. Mais tu sais bien, Enaria, que je ne te donnerai pas ces informations. Simple vengeance personnelle. C’est tout ce qui est en mon pouvoir, désormais.

L’alizéenne soupira. Logique. Elle observa les mains toutes boursoufflées de son ancienne ennemie.

- Que fais-tu ici, Enaria ? s’enquit la vieille femme. Tu n’es pas invitée d’honneur, Ivawen m’en aurait parlé.

- Je sers de garde du corps à la princesse Nærisa, répondit Silya.

Son interlocutrice éclata de rire, puis fut prise d’une violente quinte de toux, qui lui fit monter les larmes aux yeux.

- Quelle chute ! s’écria Sirga. Ivawen ne sait même pas qu’elle héberge entre ses murs l’une des plus puissantes souveraines humaines de la dernière décennie ! Enfin, le combat est dans tes cordes…

- Quelle amertume dans ta voix, dit calmement Silya. Nous étions en guerre.

- Nous étions en guerre, répéta la vieille femme doucement. Mais vois-tu, je suis une vieille femme, et l’amertume est tout ce qu’il me reste. Je ne vais pas tarder à mourir. Il ne me reste que quelques semaines, deux mois tout au plus.

Elle souriait à présent. Plusieurs de ses dents étaient gâtées. Et son visage si creusé de rides que ses yeux y disparaissaient presque entièrement. Elle reprit :

- Je voulais rencontrer cette reine elfe. Son histoire me fascinait. Les vieux ont des préoccupations bizarres, je sais. J’ai donc fais le long voyage, et me voici. La haute mer n’a pas le charme du Bronze-lac, mais reste très agréable. Si je m’étais doutée que je tomberai sur toi !

Elle se remit à rire, longuement. Son regard se perdit dans le noir du ciel. Elle posa sa main sur le bras de Silya. L’alizéenne se laissa faire un instant, puis retira sa main. La vieille femme s’affala un peu plus dans son fauteuil.

- Tu étais la plus respectée des trois Reines Solaris, Sirga, souffla la guerrière. Te battre fut l’un de mes plus grands exploits.

- Oh, Enaria, crois-tu vraiment ? répliqua Sirga. Conflit extérieur, mais également civil au sein de notre royaume. Telle fut la Guerre des Reines. Jurga était audacieuse, imprévisible, partisane de l’action directe. Ses plans nous ont conduit plusieurs fois au succès. Jian était la plus dangereuse d’entre nous. Prudente, froide, calculatrice. C’était aussi la seule qui se paraît au combat d’une armure complète. Elle flamboyait sur les hauteurs des champs de bataille. Les hommes l’appréciaient tous.

- Où veux-tu en venir ?

- J’incarnais, moi, la vieillesse, la sagesse, continua Sirga. En réalité j’étais juste plus réaliste, plus mesurée. Je calmais souvent l’ardeur de Jurga, ainsi que l’ambition de Jian. Mais au final, aucune d’entre nous ne voulais céder un pouce de terrain. Tu nous as opposé un pouvoir fort, unique.

- J’étais seule, siffla Silya en la foudroyant du regard. Et j’incarnais seule le souvenir de mon père, de mon mari, et l’ombre de mon fils. C’est lourd à porter sur la tête une couronne, toute seule.

Les deux femmes se fixèrent longuement, sans détourner les yeux, malgré l’aspect dérangeant des prunelles blanches de Sirga. La vieille reprit :

- Oh, tu n’as pas démérité. Mais voilà. Après la guerre, les Alizés sont restés paisibles sous ta main de fer, tandis que notre direction tricéphale s’est effondrée sur elle-même. Jurga est morte, Jûn peu après. Un nouveau roi et une nouvelle dynastie ont été élus.

- Et Jian ? demanda Silya. Elle a disparue après la mort de son mari et je n’ai jamais sût ce qu’il lui était arrivé.

- Morte aussi, répondit Sirga dans un soupir. Mais après. Elle s’est cachée dans le nord du royaume et a mené une rébellion au nom d’un enfant qu’elle présentait comme le fils de Jûn. Cela a duré quelques mois, avant que l’enfant ne meurt dans des conditions obscures. Empoisonnement, maladie… Les partisans de Jian l’ont abandonnée peu à peu, et elle a fini par se suicider. Mais le nouveau roi a étouffé l’affaire, il ne voulait pas que ses ennemis sache que son autorité avait été défiée.

Silya regarda longuement le ciel. Cette discussion la ramenait longtemps en arrière, et songer à son passé était toujours douloureux depuis deux ans. Mais cela lui faisait du bien.

- Je n’ai jamais aimé la guerre, dit calmement Sirga. Ni les champs de bataille, ni les armées, ni la poussière. Ni les négociations. Je suis une femme de paix. J’aimais gouverner. Dommage que l’occasion ne se soit jamais réellement présentée.

Cette fois ce fut à Silya de lui poser une main sur le bras.

- Au moins, la vieillesse ne t’a pas faite perdre la mémoire, lui dit-elle.

- Oh, fit sombrement Sirga. Dans mes délires des derniers mois, je t’assure que je ne savais plus qui j’étais, où j’étais, ce que je faisais. Je me revoyais parfois dans les salles du trône Solaris, ou en conseil de guerre. Mais le paysage qui hantait le plus mes pensées était le petit cabinet où je me retirais de temps à autre pour réfléchir dans l’aile est de l’un des palais royaux. Elle était remplie de tapisseries. Je les voyais dans mes songes, et les paysages, et les scènes qu’elles représentaient m’assaillaient. Tu sauras. Un jour. Tout ce que la vieillesse apporte en tourment et en sagesse. Tout ce que la vieillesse apporte…

Silya sourit. Elle respira longuement l’air de la nuit.

- Que penses-tu d’Ivawen ? s’enquit-elle. Tu la connais mieux que moi.

- Je savais qu’elle t’intéresserait, fit sombrement Sirga. Je la connais mieux que toi, oui, mais tu as un avantage. Je n’ai jamais vu son visage.

- Cesse un peu ces devinettes, reine, dis-moi ce que tu penses d’elle, sans détours.

- C’est une femme puissante, répondit la vieille. Méfies toi d’elle. J’ai plusieurs fois discuté avec elle, et je la sais ambitieuse et rusée. Néanmoins, elle n’est pas dénudée d’honneur. Pendant la guerre civile, elle a refusé les représailles violentes et les massacres, et de ce que je sais, furieusement puni tous les tortionnaires qu’elle a pu débusquer.

- Merci. Et… et en tant que femme ? Les missions qu’elle m’a confiées et son insistance me font penser qu’elle désire assurer la sécurité de sa famille en priorité.

- Oh, sourit Sirga. Oui, il suffit de voir comment elle me parle de la princesse Nærisa. Ce n’est que compliments et tendresse. Un peu moins en ce qui concerne Séïren et ses autres cousines, mais elle reste très affectueuse à leur égard. Cela m’étonne qu’elle n’ait pas cherché à devenir mère. Car il ne peut y avoir rien de meilleur dans la vie d’une femme, n’est-ce pas Enaria ?

- Rien à voir avec devenir grand-mère, je pense, répliqua Silya.

Sirga se renfrogna, puis soupira longuement. Silya remarqua alors à quel point elle semblait fatiguée, comme si elle n’avait pas dormi depuis de nombreux jours. Ses yeux étaient effrayants et de profonds cernes noirs les encerclaient.

- Ivawen est d’une volonté à toute épreuve, dit la vieille femme d’une voix faible. Et elle est faîte pour gouverner. Cela se sent. Tu sais, lorsque j’étais encore la reine Sirga de Solaris, peu de gens osaient me défier du regard. Généraux, grands seigneurs, pontifes, sans oublier mon mari et mon fils, eux rois, tous baissaient les yeux. Même chose chez des femmes aussi remarquable que Jurga et Jian. Depuis que je suis aveugle, il paraît que soutenir mon regard est encore plus difficile. Je sens ces choses-là.

- Ivawen ne baisse pas les yeux, je suppose ?

- Mon aide de camp, reprit-elle, un jeune garçon très beau, mort il y a longtemps, pendant la Guerre des Reines, soutenait mon regard. Cela me frustrait. La princesse Nærisa détourne les yeux. D’autres nobles elfes de Céläastra également. Je peux le[i] sentir[/i]. Mais malgré mon surnom de jeunesse, [i]Noir-regard[/i], je n’ai jamais réussi à faire baisser les yeux à Ivawen. Et il y a une autre femme dans ce cas.

- Moi, souffla Silya.

Sirga acquiesça lentement. Elle ferma les paupières. L’alizéenne l’imita et les deux femmes restèrent ainsi plusieurs longues minutes, respirant l’air de la nuit, chargé de l’odeur des résineux. Loin, très loin, au milieu des sons du vent dans les branches, Silya crut distinguer l’aller-retour lancinant des vagues sur la côte, bien que ce ne soit sûrement qu’un effet de son imagination.

- Je suppose que tu utilises un nom d’emprunt, sur l’Île ? demanda la vieille.

- Je me nomme Silya. C’est également mon vrai nom.

- Je sais. N’aies crainte [i]Silya[/i], je ne dévoilerai pas ton secret à Ivawen, enfin, sauf si tu le désires. Il doit me rester à peine quelques semaines à vivre, je suis fatiguée des intrigues. Je sais que tu ne représentes pas un danger pour la reine elfe.

- Merci, cela m’a fait du bien de parler avec toi, reine Sirga, sourit Silya.

- A moi aussi. Tu comptais escalader à nouveau la paroi, pour remonter ?

- Oui. Mais je ne sais pas si cela est faisable, j’ai pu me glisser le long du rebord du mur à l’allée. Si se déplacer latéralement est possible sur ce mur, ce devrait être plus complexe de monter.

- Oublie cela, siffla la vieille reine. Je vais appeler les gardes devant ma porte et leur demander de faire un tour. Tu pourras t’éclipser.

- Pourquoi faire tout cela pour moi, Sirga ?

La vieille femme ne répondit pas, mais se leva difficilement. Silya l’aida et la soutenu jusqu’à l’intérieur de la chambre. Elle partit ensuite se cacher derrière un rideau et entendit la faible voix de Sirga qui demandait aux gares postés devant sa porte de s’éloigner. Silya sortie discrètement de sa cachette et se dirigea vers la porte. Au moment de la franchir, la voix de la vieille la retînt :

- Eh, Enaria. Tu sais, au fond, je t’ai toujours appréciée. Même si… même si tu as tué mon fils…

- Je t’apprécie aussi, Reine Sirga. Même si tu as hanté ma jeunesse. J’aurais préféré que ce ne soit pas lui. Adieu…

- Adieu, Haute-Reine, fit faiblement Sirga.


Au milieu de l’Île de Céläastra la nuit tombait à présent. Silya sortit de l’eau et se rhabilla en vitesse pour ne pas grelotter. Elle se dirigea vers le groupe qui bivouaquait à quelques distances. Les étoiles pointaient dans le ciel. [i]Le fils de Sirga…[/i] Un beau diable portant un masque de fer sur les yeux et le nez, et allant sans casque. Le sommet de son crâne était recouvert de scarifications élaborées, représentant des glyphes anciens. Il ne vivait que pour le combat et le carnage. Néanmoins, Silya savait qu’il pouvait se montrer aussi vertueux dans la paix que sauvage dans la bataille. Pendant le duel singulier qui les avait opposés, à la fin de la guerre, il n’avait eu de cesse de lui parler, lui hurlant que lorsque cette bataille se perdrait au milieu des pages moisies de l’Histoire, leur affrontement y resterait gravé en lettres de feu. La Haute-Reine, comme à son habitude, était restée silencieuse, ne répondant que par des coups de sabres. Cela avait été l’un des combats les plus spectaculaires de sa vie, et l’homme l’avait salement blessée. Silya pénétra dans la tente qu’occupait Séïren. La jeune elfe lui parla doucement, évoquant Korih et Laodice, mais l’ancienne reine ne lui répondit qu’évasivement. Silya releva un pli de la tente et observa les étoiles dans le ciel calme de Céläastra. Sa discussion avec Sirga l’avait comme libérée. Comme si son passé avait été dépoussiéré doucement. Elle se demanda si ce serait la dernière fois que quelqu’un l’appellerait « Enaria ». Sans qu’elle ne demande rien, Séïren lui prit la main et la serra. Puis elle vînt l’enlacer avec douceur. Ce contact la fit frissonner. [i]C’est[/i] moi [i]qui suis censée te protéger, ma petite, pas l’inverse,[/i] pensa-t-elle. Mais elle se laissa aller à cette étreinte. C’était bon de se sentir en sécurité, ne serait-ce qu’un instant. Elle caressa doucement la chevelure noire de l’elfe. Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
Voilà la suite. Pour la chronologie, ce chapitre se déroule le lendemain des chapitres IX et X. J'espère que vous apprécierez.

[center][u][b]Chapitre XII[/b][/u][/center]


Devant Ivawen se tenaient deux elfes à la chevelure auburn, ayant tous deux des allures seigneuriales. Le premier, Erion Serra, était grand et respirait la confiance en lui. Un petit sourire s’étirait sur son visage, tandis que ses yeux perçant jetaient des regards un peu partout dans la pièce. En armure étincelante, il allait sans armes, aucune lame n’étant tolérée lorsque la Reine se trouvait sans garde pour la protéger, comme c’était le cas aujourd’hui. La deuxième était Iris Serra. Ses traits avaient la finesse caractéristique de ceux des Sëë, ainsi que leur menton légèrement proéminent. D’un peu plus de cinq pieds de haut, elle était de petite taille pour une elfe, une autre caractéristique de sa famille maternelle. Sa chevelure par contre était incontestablement Serra, de cet auburn qu’Ivawen trouvait si délicieux à regarder. La reine aimait observer cette jeune femme, ses courbes fines et ses yeux verts, si foncés qu’ils paraissaient parfois marrons, s’étonnant parfois de ressentir une certaine jalousie pour elle. Iris portait une robe bleue claire avec un fin corsage tressé d’or. Ses oreilles étaient chargées quatre boucles d’argent chacune, sept incrustées de d’émeraudes une de grenat. Ses cheveux étaient recouverts d’une résille brodée de perles grises. L’oncle et la nièce étaient tous deux agenouillés devant elle.

- Relevez-vous, dit Ivawen, et asseyez-vous.

Les deux s’exécutèrent. Sur la table se trouvait deux carafes, l’une remplie de vin rouge, l’autre d’eau, ainsi qu’une fiole contenant un peu d’alcool de pomme. Ivawen avait devant elle un verre de vin coupé d’eau. Iris se servi de l’alcool de pomme dans un petit calice et Erion un verre d’eau. Les trois burent une lampée en même temps, puis la reine les regarda tour à tour. L’homme conservait ce petit sourire sur ses lèvres, mes ses yeux restaient durs. Iris gardait cet air hautain et sûr d’elle qui la caractérisait. Ses yeux étaient fatigués et sa chevelure ramenée en une natte moins bien tirée que d’ordinaire. Ils soutinrent son regard.

- Je suis, Erion, Iris, ravie de vous accueillir, commença la reine. Expliquez-moi, Seigneur, l’objet de votre visite.

- Ma Reine, dit Erion, je vous remercie de bien vouloir m’accorder cette audience. Plusieurs choses m’amènent à votre table aujourd’hui.

- Je vous écoute.

- Je me suis rendu à Céläastra pour m’entretenir avec vous de la place d’Iris au Conseil Royal. Par ailleurs, bien que sa présence me ravisse, je la croyais chez son grand-père, et m’étonne de la voir ici.

- Le seigneur Soïlïn, dit Iris, se trouve à la capitale depuis plusieurs jours, je n’ai pas eu besoin de me rendre sur ses terres.

- Iris, sourit la reine, je m’étonne que vous n’ayez pu vous-même expliquer votre renvoie à votre oncle.

La jeune femme gardant le silence, Ivawen reprit :

- Votre nièce et moi avions quelques divergences concernant le futur de mon royaume. Sous soutien à Engoïn Sëë et son conservatisme m’a incité à me séparer d’elle. Avez-vous quelque chose à redire à ma décision, Erion ?

- Rien, votre Majesté. Si ce n’est que j’espère qu’Iris fera attention la prochaine fois à réfléchir à deux fois avant de soutenir un Sëë avec autant de verve.

- Mon oncle ! s’exclama Iris. Vous parlez de ma famille !

- Oh, mais ta mère et toi m’êtes très sympathique. Les autres me dérangent un peu plus.

- Ça suffit ! s’écria Ivawen. Iris, pourquoi vous ai-je fais venir ici ? Pas pour vous disputer avec votre oncle vous vous en doutez ?

- Je suis venu à votre demande pour faire ce que j’ai toujours fait, Altesse, vous servir.

Son ton était docile, et ses traits fermés. Mais Ivawen sentait une réelle hostilité dans son regard froid. La reine décida de ne pas y faire attention.

- C’est si gentiment proposé… soupira-t-elle. Savez-vous pourquoi j’ai renvoyé tous les gardes avant cette audience ? – les deux secouèrent la tête. Parce que ce que j’ai à vous dire devra rester confidentiel, et ne sera connu que dans quelques jours. Il est nécessaire de conserver le secret le plus longtemps possible.

Erion Serra se rapprocha, visiblement intéressé, et Iris tendit l’oreille. Ivawen marqua une pause avant de reprendre :

- Iris, je vous avais confié que je prévoyais d’intervenir aux côtés du Guerrier-Roi de Sorgoz. Et bien je suis allé plus loin. J’ai décidé d’envoyer un contingent militaire sur les terres lagorides. Nos navires patrouillent actuellement au large de nos côtes et prendrons dès demain la mer pour le continent.

- Ma Reine, s’enquit Iris, visiblement troublée. Avec tout le respect que je vous dois, est-ce bien prudent ? Le Royaume-Fleuve est une puissance démographique, son armée est entraînée, j’ignore si nous pourrons leur résister. De plus, pardonnez-moi de revenir sur ce point, mais croyez-vous que le peuple vous soutiendra ? Une guerre éloignée risquerait de le monter contre vous.

Une véritable inquiétude transparaissait dans sa voix. Ivawen se leva et marcha jusqu’à la fenêtre. Devant elle s’étendait la ville de Céläastra, et la grande muraille menant au port de Vermelhäa se dessinait plus loin. Dans la ville, la rose des vents royale flottait sur de nombreux édifices.

- Voilà mon peuple, Iris, dit-elle. Cette ville est ma fille, et cette muraille le cordon ombilicale me reliant au reste de mon royaume. Vous participiez au dernier tournoi donné en mon honneur. Le peuple est derrière moi.

- Votre Altesse, risqua Erion Serra. Le peuple vous soutien, bien sûr, mais, excepté lors de ces moments rares, vous êtes invisible. Laissez-moi vous raconter une histoire. Il y a quelques mois j’étais sur les terres de la famille Alluv, en tant que proche du seigneur des lieux, je l’accompagnais dans ses déplacements. Les paysans applaudissaient à notre venue. Leurs ovations étaient pour leur seigneur, mais également pour moi. Beaucoup se rappelaient du temps où je combattais à leurs côtés, et certains avaient même été mes frères d’armes. Cela faisait douze ans que je n’avais mis les pieds sur ces terres, et pourtant ils se souvenaient parfaitement de mon visage.

- Vous y combattiez d’ailleurs pour le Vieux-Prince, glissa Iris.

- Me le pardonneras-tu un jour ? souffla son oncle.

- Croyez-vous que je n’y ai pas pensé ? dit Ivawen. Vous êtes populaire, Serra, chez certaines couches de la population parce que vous vous y êtes frotté en tant que combattant. Cela m’est impossible. Avant moi, les rois de cette île étaient aussi invisibles que moi. Ce n’est pas le peuple qui me fait le plus peur. Ce sont les seigneurs de l’ouest et du nord.

- Les anciens soutiens du Vieux-Prince, souffla Iris. Nous avons néanmoins un allié de poids dans cette région. Depuis la fin de la guerre et la mort de son cousin, Eïondril Eleïon tient pour vous un puissant bastion.

- Il n’empêche. Plusieurs autres ruminent leur défaite. Il est possible qu’ils se servent de cette guerre pour le moins, hum… inhabituelle pour se soulever.

- Et en quoi cette information nous concerne-t-elle, Majesté ? demanda Erion.

- Pas vous Serra. Cette information concerne Iris, répondit la reine. Ma chère, je me suis entretenu avec votre grand-père hier. Il a choisi de soutenir mon projet de guerre avec toutes ses forces. Mais si d’autres sont plus récalcitrant, qui de mieux placée que la descendante de deux des plus puissantes familles de Céläastra pour me servir d’émissaire ?

- Ma Reine, répondit Iris avec une pointe d’amertume, peut être pourriez-vous confier ce travail à votre [i]cousine[/i], qui est membre de la famille royale…

- Je n’aime pas votre ton, petite, l’interrompit la reine. Séïren est dynamique et compétente, je vous demande de ne pas oublier qu’elle possède mon entière confiance ainsi que mes faveurs. De plus elle fait [i]en effet[/i] partie de la famille royale.

- Pardonnez-moi, Altesse, bredouilla la jeune femme, penaude, cette fois. Je me suis laissé emporter. Cette mission me tient à cœur. Puis-je néanmoins vous faire une requête ?

- Vous pouvez.

- N’envoyez pas mon frère combattre les Lagorides. Il est belliqueux et intrépide, mais ce n’est pas un soldat, il se ferait massacrer en un rien de temps.

A côté d’elle, Erion hocha la tête. L’inquiétude perçait dans la voix d’Iris. D’aucuns la disaient extrêmement proche de son frère.

- Ne vous tracassez pas, dit la reine, ce n’était pas prévu. Iris, je vous laisse libre de vaquer à vos occupations. Tenez-vous prête à partir dès que j’en ferais la demande.

Iris acquiesça, puis se leva et s’inclina profondément devant elle. Elle salua son oncle et sorti de la pièce, où les gardes lui rendirent ses armes, deux longs poignards incurvés à larges lames.

- Regardez ma Reine, dit Erion Serra en fixant Iris qui s’éloignait, comment ma nièce se déplace. Cette fluidité de mouvement… C’est une guerrière née, même si elle ne combat que rarement. Je lui ai appris à se servir d’une lance alors qu’elle n’avait pas douze ans. Elle était jalouse de son frère. C’était juste avant la mort du Roi Highlin…

- Elle a participé aux joutes lors du dernier tournoi, et a atteint les demi-finales.

- Pas mal, n’est-ce pas ? sourit Erion. Elle n’est pas sans une légère ressemblance avec moi, notamment par son caractère tout feu tout flamme. Mais ne vous y trompez pas, elle va s’assagir. C’est déjà en bonne voie, et vous y avez contribué, Altesse. C’est le portrait craché de sa mère.

- Je l’espère Serra, dit la reine. Que diriez-vous de continuer cette conversation autour d’un encas ?

- Avec plaisir, Majesté.

Ils se levèrent et Ivawen ouvrit une porte derrière elle. Ils marchèrent dans un long couloir recouvert de frises en faïence représentant divers scènes. Ici, la reine Arya plaçait sur la tête de son beau-frère le prince Allën, que certains présentaient comme son amant, une couronne d’or, déclenchant la guerre du Temple. Ivawen passa sa main dans ses cheveux. Allën, après trois ans de guerre acharnée était finalement parvenu à triompher de ses trois frères et à être proclamé roi, bien que cadet. Cela se passait ainsi à Céläastra. La propagande avait par la suite magnifié Allën, le présentant en martyr et en juste, en opposition avec des frères cruels et cupides, et c’était ainsi que l’on parlait de l’évènement aujourd’hui, presque deux siècles après. Un peu plus loin le prince Eïlïn faisait la leçon à un conclave de prêtres et de prêtresses. Une autre scène montrait le couronnement de Highlin, sous les vivats des hauts nobles de Céläastra. On y distinguait notamment Engoïn et Soïlïn Sëë, ainsi qu’Eïondril Eleïon, encore jeune. Neflindel, resplendissant, tête nue, se tenait derrière Highlin, telle une ombre protectrice. A peine majeure, un peu cachée par son père, Ivawen se vit elle-même pendant la cérémonie, serrant la main de Nærisa, intimidée. On arrivait à présent dans la partie de la galerie préférée de la reine. Une mosaïque la représentait assise devant son père, qui allongé dans son lit, ceignait sur sa tête le diadème des héritiers. Sur la fresque suivante, on portait le cadavre du roi dans le tumulus royal. Neflindel et Ivawen étaient présents. La jeune femme avait passé à ses oreilles des boucles d’or, tandis que Nærisa portait au front le diadème des héritiers. Neflindel, lui, gardait son traditionnel anneau d’argent glissé dans le sourcil. Erion Serra regarda les illustrations d’un air intéressé. La mosaïque suivante montrait Ivawen entourée de ses soutiens, brandissant sceptre et couronne. Bien évidemment, il s’agissait d’une image construite, la couronne ayant été entre les mains de Neflindel pendant toute la guerre. Le sceptre, également en possession du Vieux-Prince, avait été perdu lors de l’attaque et de la destruction du navire qui le transportait par une flottille dirigée par Ursïn Edlla. L’une des dernières images la représentait elle, Ivawen, de pied en cape, recevant la soumission de tous les seigneurs de l’Île, un soleil resplendissant derrière elle et se confondant avec la blondeur de sa chevelure.

La reine pénétra ensuite dans une petite pièce où une table était dressée. Elle s’assit, aussitôt imitée par Erion Serra. Deux serveurs se présentèrent, portant chacun une assiette contenant une douzaine d’huîtres. L’un d’eux présenta aux attablés une carafe de vin blanc. Ivawen acquiesça et il la servit. Erion refusa poliment et le serveur lui versa un verre d’eau. Ils attaquèrent leur repas et pendant quelques minutes restèrent silencieux. Puis Erion Serra prit la parole :

- Ma Reine, il me faut m’entretenir avec vous d’un sujet délicat. D’un sujet que je ne pouvais aborder devant ma nièce.

- Vous êtes venu pour cela, n’est-ce pas ? s’enquit Ivawen. Vous réclamez vengeance envers Nadomir Sëë ?

- Je vois qu’il est difficile de vous surprendre. – Il ne souriait plus à présent.

- Votre histoire est connue Erion. Je sais toute la haine que vous portez à Nadomir. Vous savez que je désire apporter l’ordre et la justice à mon royaume. Mais quelle preuve avez-vous ? Comme puis-je être sûre que le coupable est bien Nadomir Sëë ? Vous étiez en train de le pourchasser, comment cela se fait-il que vous n’ayez pu remarquer sa manœuvre ? Et surtout, comment expliquez-vous qu’à peine plus d’une journée après avoir accompli son soi-disant forfait, sa troupe enfonçait l’aile droite de Neflindel sur un champ de bataille à deux jours de chevauchée de votre château ?

- Le massacre donne des ailes, souffla sombrement Erion.

- Vous êtes de mauvaise foi. Rien n’accuse Nadomir. Votre bastion a sûrement était attaqué par des bandits en maraude.

- Il serait peut-être temps de faire une enquête, ma Reine ? glissa Serra.

- Il est de notoriété publique que Nadomir Sëë est un homme cruel, répondit Ivawen, mais annihiler un château entier, cela me paraît fort. Peu de soldats m’ont été aussi fidèles que lui.

- Oh, je sais, Majesté. C’est en votre nom qu’il m’a promis qu’il raserait mon fort.

- Vous savez parfaitement que je n’aurais jamais donné un tel ordre, souffla froidement la reine.

- Je ne vous accuse pas, Altesse, croyez-moi. Mais puis-je compter sur vous ? Mènerez-vous une enquête ?

- Seigneur Serra, sourit la reine en avalant sa dernière huître, avez-vous déjà pensé à devenir prince consort ?

- Ma Reine, avec tout le respect que je vous dois, s’enquit Serra, troublé, êtes-vous ivre ? Me proposez-vous de vous épouser ?

- Non, fit Ivawen en vidant son verre. Non je ne suis pas ivre. Et non je ne vous propose pas de m’épouser. Je vous propose d’épouser ma sœur, la princesse Nærisa. Elle est mon héritière, ce qui n’est pas une trop mauvaise situation, vous en conviendrez. Vous êtes un guerrier reconnu, un bon stratège, membre de l’une des plus puissantes familles de l’Île.

- Avec tout de même vingt ans de plus que la princesse.

- Ce qui ne revient à rien du tout. Qu’en dites-vous ?

- Majesté, bredouilla Serra en se levant et en s’agenouillant. C’est bien trop d’honneur…

- Mais non, sourit la reine, cela est normal, il me faut veiller à ne pas laisser mon trône sans héritier. Vous êtes votre propre autorité, nul besoin de demander la permission à votre aîné. Si vous acceptez, je ferais mon possible, ce qui beaucoup dire, pour faire la lumière sur l’attaque de votre forteresse.

- Me marier n’était pas dans mes projets immédiats, mais j’accepte évidemment, Altesse.

- Relevez-vous Serra, vous êtes ridicule ! fit la reine en se mettant à rire doucement. Les noces attendront de toute façon. Nærisa est occupée avec le Royaume Lagoride.

- A ce propos, ma Reine. Puis-je me rendre aux côtés de votre armée, afin de combattre sous vos couleurs. Je le ferais avec une grande fierté.

- Comme il se doit. Je me doutais que vous me demanderiez cela. Si vous chevauchez à bride abattue, vous devriez rejoindre Vermelhäa avant que la flotte n’appareille. Je ne vous demande que deux choses. Restez en vie, et veillez à la sécurité du jeune Noédor Edlla, qui combattra à vos côtés.

- Bien sûr votre Altesse, dit Erion. M’est-il également permis d’emmener avec moi l’un de mes amis, un mercenaire ? Je crois que vous le connaissez. Il s’agit d’un nain, votre dernier Vainqueur des Fauves.

- Hroar Erlîn ? s’étonna Ivawen. J’ignorais que vous le connaissiez. Oui, emmenez-le. Une hache de plus ne fera pas défaut. Evitez tout de même au possible que mes matelots ne le passent par-dessus bord en sa qualité de [i]barbu[/i].

- Merci, ma Reine, fit Erion en s’inclinant.

- Vous pouvez disposer Erion, souffla Ivawen.

Il s’inclina bas, puis sorti de la pièce pour traverser à nouveau la galerie aux mosaïques. La Reine s’affala dans son fauteuil. Elle claqua des doigts et un serveur survînt. Il la débarrassa de ses coquilles d’huîtres vides, et les remplaça par un plat d’artichaut, l’un de ses mets favoris. Ivawen était épuisée. Mais dans deux jours elle pourrait enfin souffler et se reposer un peu, au milieu de ses cousines encore enfants, qui voudraient jouer avec elle en l’appelant affectueusement « tante Iva ». Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
[quote]elle traversait à présent ; Elle se trouvait à présent allongée[/quote]

Répétition

[quote]puis sorti de l’eau[/quote]

[quote]alors sorti sur la petite terrasse que possédait la chambre[/quote]

[quote]alors et atterri souplement[/quote]

[quote]que j’ai beaucoup rit quand j’ai appris ta déchéance[/quote]

[quote]Tu nous as opposé un pouvoir fort, unique[/quote]

[quote]sont restés paisibles sont ta main de fer[/quote]

[quote]Votre histoire et connue Erion[/quote]

[quote]Peu de soldat m’ont été aussi fidèle[/quote]





Alors beaucoup de fautes au final. C’est pratiquement que des fautes d’accord donc essaye, lors de ta relecture, de bien faire attention. Parce que c’est indéniable, le style y est et il est vraiment très bon.



Pour le fond, j’avais du retard mais c’est pas plus mal parce que tout rattrapé permet de bien être dans l’ambiance et les noms se mélangent moins. J’arrive maintenant plus à comprendre qui est qui et ce qu’il se passe même si je suis pas sûr que la trame principale est encore été abordée !!


@+
-= Inxi =-
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  • 2 semaines après...
La suite, très en retard, une fois n'est pas coutume ! Bonne lecture.
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Chapitre XIII[/b][/u][/center]


Les bâtiments bas de la cité de Korih étaient en vue depuis un petit moment quand Séïren aperçut une petite ligne de cavaliers se dirigeants vers leur troupe. A cette distance, elle ne pouvait distinguer leurs traits, mais elle remarqua une bannière représentant un œil noir strié de pourpre sur champ mauve. Les armoiries de Démos étaient un détournement de l’emblème du dieu des cités-états humaines. Elle donna quelques ordres brefs. Deux gardes se placèrent devant elle et deux autres derrière. Les six autres formèrent deux lignes sur ses flans. Silya qui chevauchait à ses côtés déploya sa bannière, dévoilant la Rose-des-Vents des rois de Céläastra, ainsi que, en-dessous, les armoiries de la Famille Abæl, des roches pourpres frappées d’éclairs d’or et de vagues en furie sur champ noir. Les deux troupes se rapprochèrent lentement l’une de l’autre. Séïren distingua à la tête des cavaliers un homme de haute stature, aux boucles blondes rousses. Il était vêtu d’une tunique grise dont les manches étaient noires. Lorsque les cavaliers se rencontrèrent l’homme s’inclina devant elle. Elle lui rendit son salut et le dévisagea. Il était musculeux, large d’épaules, et intégralement rasé. Deux anneaux d’argent étaient passés dans chacune de ses oreilles. Cela faisait des siècles que les humains de Céläastra respectaient l’interdiction de porter de l’or au-dessus du cou. Il portait au côté une fine rapière et apparaissait plutôt attrayant aux yeux de la jeune elfe. Ses yeux noirs et bridés fixèrent Séïren quelques secondes.

- Salutations Dame Séïren Abæl, dit-il. Je me nomme Balas. Arstos m’envoie à votre rencontre pour vous fournir une escorte d’honneur jusqu’à la ville de Korih.

- Je vous remercie Balas, répondit Séïren en avisant la trentaine de soldats entourant l’humain. Mais ne serait-ce pas au tyran Pisias de fournir une escorte à l’ambassadrice de la Reine ?

- Hélas, j’aurais préféré qu’il le fasse. Mais le noble Pisias est mort il y a quelques heures. Que l’Œil puisse l’accueillir sous sa paupière.

- Que l’Œil puisse l’accueillir sous sa paupière, répétèrent en cœur les suivants de Balas.

- Je suis navré d’apprendre sa mort, souffla Séïren. Il serait bon de rejoindre la ville au plus vite je pense, pour que je puisse présenter mes condoléances à ses proches.

Elle frappa dans ses mains et un garde s’approcha. Il farfouilla rapidement dans un sac pour en sortir une longue cape noire qu’il lui tendit. Elle la passa sur ses épaules et Silya l’aida à l’attacher. Elle y accrocha aussi une broche d’or représentant les armoiries Abæl. Silya et les gardes mirent des brassards noirs.

- Suivez-moi Dame Abæl, dit Balas.

[i]Dame Abæl, c’est encore ma mère[/i], songea Séïren. Elle talonna sa monture et se mit en route pour la cité. Elle chevaucha aux côtés de Balas et Silya se porta sur sa droite, tenant toujours sa bannière. Le chemin s’élargissait aux abords de la cité pour devenir une allée pavée. Les sabots des chevaux claquèrent sur la pierre alors que le groupe s’annonçait devant les vastes portes de chêne. Ils passèrent sous une grande arche et remontèrent une avenue sous la direction de Balas. Séïren remarqua que l’architecture de Korih tranchait avec celle de Céläastra. Dans la capitale, les habitations étaient pour la plupart construite en hauteur. Ici tout était plat. Les bâtisses étaient taillées dans le marbre le plus pur, tantôt blanc, tantôt vert, et plusieurs fanions noirs pendaient aux fenêtres. La jeune elfe devina qu’elle évoluait dans les quartiers aisés de la ville. Ils doublèrent un long cortège de femmes vêtues de noir et débouchèrent sur une petite place au centre de laquelle une fontaine faisait jaillir de l’eau. Balas mit pied à terre et fit signe à sa troupe de faire de même. Une fois descendu de leurs montures il s’adressa au groupe que conduisait Séïren.

- Par respect envers notre chef défunt, je vous demande d’évoluer à présent à pied. Je vais vous conduire au Temple de l’Œil Etoilé à présent, où Arstos et Dame Laodice veillent le corps du tyran défunt.

Il désigna un grand édifice de pierre et Séïren acquiesça. Balas les mena à travers la place puis gravit les marches de pierres. Devant les portes massives se tenaient une quinzaine d’hommes d’arme, la main posée sur le pommeau de leurs rapières. A l’arrivée de Balas ils se rangèrent et laissèrent la troupe passer. L’humain fit signe aux gardes royaux escortant Séïren d’attendre à l’extérieur mais autorisa Silya à rester. En entrant dans le sanctuaire Séïren fut frappée par grandeur et la magnificence du lieu. Les colonnades se succédaient de tous côtés, des tentures représentant l’Œil Etoilé étaient suspendues partout, des cierges allumés dans les recoins. Depuis le chœur un prêtre lançait des sermons. Et au centre se trouvaient une grosse vingtaine d’humains richement vêtus rassemblés autour d’un cercueil de bois noir devant lequel étaient assis un homme aux cheveux gris à l’allure austère et une jeune femme voilée, toute de noir vêtue. Un à un, les humains s’inclinèrent devant le cercueil, sans dire un mot. Balas fit signe à Silya de s’éloigner, puis emmena Séïren vers le cercueil. Ils s’inclinèrent tous deux et l’humain la conduisit ensuite à l’autre bout du sanctuaire, vers la sortie, Silya sur ses talons. Elle passa sous de hautes portes qui s’avéraient être l’entrée principale. Elle se retrouva alors sur une place immense, où attendait une innombrable foule noire.

- Voici la Place du Peuple, lui glissa Balas.

Le seul endroit de ce type plus vaste qu’avait vu Séïren était la Grand Place Fleur-de-lys à Céläastra. Ici, de grandes statues encapuchonnées encerclaient la place. Au pied de chacune serpentaient une ligne de petits cailloux. Elles se rejoignaient toutes au centre, touchant le socle d’une statue représentant un homme d’âge mur, une rapière dégainée et levée vers le ciel. Sur le piédestal une plaque commémorative de bronze était visible et surmontait d’un grand œil plaqué argent. Séïren se rendit compte que la lame de l’épée était en acier pur.

- Cette statue représente Démos, dit inutilement Balas. Il est porté par le peuple, encapuchonné car anonyme, au poste de chef de la cité.

Séïren acquiesça. Elle suivit Balas et se rangea sur le côté, dégageant la porte. Les humains qui l’entouraient étaient tous bien habillés et sentaient bon. Elle remarqua que toutes les femmes portaient un voile ou une résille noire sur les cheveux, et que beaucoup d’entre elles avaient aussi un masque couvrant la bouche et le nez. Plusieurs hommes lancèrent des regards intrigués à l’elfe, louchant sur sa chevelure et ses oreilles, mais aucun ne tenta une remarque. Silya avait, selon les consignes de Balas, redéployé l’étendard d’Ivawen, qui flottait à présent au vent. Quatre sons de cloche se firent alors entendre et une petite procession sortie du temple en file indienne. Tous étaient vêtus de noir et portaient des troches. Quatre porteurs soulevaient le cercueil de Pisias et Arstos marchait derrière, la mine résolue. A son étonnement, Séïren vit Laodice sortir en dernière du sanctuaire et se retirer discrètement, pour ensuite monter dans une civière aux rideaux tirés, à l’écart de la foule. Ce comportement fut néanmoins remarqué par quelques personnes autour de Séïren, qui murmurèrent en silence. Les porteurs déposèrent le cercueil devant la statue, puis s’éloignèrent. Arstos prit alors une mine sévère, puis entama un discours.

- Arstos, en tant qu’ami et bras droit de Pisias, souffla Balas, est chargé de prononcer son éloge funèbre.

- Pourquoi n’est-ce pas à la famille de Pisias que revient cette tâche, demanda Séïren, à Dame Laodice ?

- A une femme ? ricana l’humain. Pardonnez-moi Dame Séïren, mais chez nous l’éloge d’un guerrier est prononcé par un guerrier. En général c’est à son fils que revient cette charge. Mais Pisias n’ayant pas d’enfants, Arstos était tout désigné.

Bien sûr. Séïren se souvenait à présent que Nærisa lui avait parlé de ce détail. Ayant connu plusieurs guerrières au cours de sa vie, dont sa garde du corps actuelle, Séïren trouvait cette règle stupide. Néanmoins elle n’en souffla mot.

- Aucune femme n’est habilitée à combattre chez vous ? s’enquit la jeune elfe.

- Non, répondit Balas. Les femmes originaires des cités-états de l’Œil ne peuvent porter d’armes. Néanmoins les étrangères peuvent le faire si elles le désirent. Il nous arrive aussi d’accueillir dans nos arènes des gladiatrices.

Séïren hocha la tête. Elle n’avait pas vraiment prêté attention au discours de l’humain debout devant le cercueil de son ami. Elle regarda autour d’elle et s’aperçut que la civière de Laodice avait disparue. Intriguée elle préféra garder le silence et regarder à nouveau Arstos.

- Pisias fut à la hauteur de feu son père, scandait-il, sage, juste, sévère lorsqu’il le fallait. Je le loue aujourd’hui devant la statue de son père, car je crois en son héritage. Mais je sais que cet héritage est mis à mal aujourd’hui. La cité grouille d’impies, de sorciers et d’ennemis du peuple. – un murmure parcourut l’assemblée – Pisias était un homme bon et vigoureux. Il était votre défenseur.

Une acclamation vînt alors déchirer le silence, bientôt reprise par d’autres. Les nobles rassemblés autour de Séïren restèrent silencieux, mais les vivats redoublaient de puissance. Ils venaient des rangs du petit peuple. [i]Il les tient[/i], pensa Séïren. Et en effet, bientôt le nom de Pisias fut scandé, en même temps que celui de Démos. L’elfe sentit derrière son dos l’assemblée des plus riches citoyens s’agiter. En recueillant des informations, Séïren avait découvert qu’ils avaient au cours du règne de Pisias récupéré une partie de leur influence perdue sous Démos.

- Arstos, cria une voix, tu souilles l’enterrement de Pisias en portant des accusations frauduleuses ! Aie la décence d’attendre la fin des funérailles !

Des protestations s’élevèrent des rangs du peuple en direction du grand homme d’âge mûr ayant élevé la voix. Et ainsi son intervention fut oubliée. Arstos leva les bras pour réclamer le silence. Il reprit la parole :

- A la fin de sa vie, ses ennemis l’entouraient. La lutte constante l’épuisait. Voyez par vous-même ses terribles cicatrices ! Et, comme toujours, que la volonté de l’Œil Etoilé soit prononcée par la voix de son peuple.

Arstos repoussa du pied le couvercle du cercueil, dévoilant le cadavre de son ami. Pisias était boursoufflé de partout, le crâne entièrement chauve. Une légère excroissance était visible par tous au-dessus de son oreille gauche. Malgré les cloques couvrant une partie de sa peau, sa maigreur crevait les yeux. De profondes rides marquaient son visage, figé en une note de souffrance pour l’éternité. Le nom de Pisias fut à nouveau crié, suivit par celui d’Arstos. Séïren vit Silya porter les mains aux poignées de ses épées et ses gardes se déployer autour d’elle.

- Venez, ma Dame, lui glissa Balas.

Séïren le suivit rapidement. Il l’entraina dans une ruelle où attendaient plusieurs de ses hommes. L’elfe eut le temps de voir une pierre fuser en direction des nobles présents qui commençaient à se débander. Ils continuèrent leur course au travers quelques rues, pour enfin atteindre une avenue déserte. Balas les guida un petit moment encore, puis ils s’arrêtèrent devant trois carrosses. La petite troupe pénétra dans les voitures, et l’elfe monta avec Balas.

- Jouons franc jeu, humain, dit-elle d’une voix froide. Cette émeute était prévue par Arstos ?

- Mon maître à des convictions. Il s’avère qu’elles sont également celles du peuple. La cité d’Olis est dirigée par les citoyens et leur « Sénat », comme ce fut le cas chez nous. Mais Démos a mis fin à cela. C’est l’ensemble des hommes de la cité qui l’a porté au pouvoir, puis qui a également soutenu Pisias. Mais malgré ses qualités, ce dernier était faible. Arstos désire permettre à Korih de devenir pleinement la cité du peuple.

- Même si cela implique le meurtre ? Je ne peux cautionner cela, et la Reine encore moins.

- Et vous n’aurait pas à le cautionner, dit Balas avec un sourire qui troubla l’elfe. L’émeute n’est qu’un moyen d’expression pour le peuple, et ce depuis des siècles dans nos villes, cela m’étonnerait qu’il y ait des morts. Arstos ne veux pas cela, il engagera des réformes dès que le peuple aura confirmé sa position. Vous savez Séïren, il faisait partie des intransigeants du temps de Démos. Il voulait que le peuple siège en permanence pour tempérer les pouvoirs du tyran, qu’il dirige à ses côtés, et que son rôle ne soit plus cantonné à la confirmation des décisions du chef.

L’humain apparaissait plus sympathique à Séïren. Elle l’avait pendant quelques instants cru sans scrupules, mais il se révélait intelligent, loyal et plutôt mesuré.

- Mais que fera Arstos si Laodice refusait de se rendre et prenait les armes ?

- C’est arrivé hier, juste après la mort de son frère, dit Balas d’un ton grave. Plusieurs hommes en armes ce sont rassemblés dans le palais royal, mais ils ont été maîtrisés à temps. Arstos a demandé à Laodice de lui jurer fidélité et de renoncer pour elle et ses descendants à ses prétentions sur la ville. Elle a refusé, arguant que ce serait au peuple de décider. Ce qu’il semble avoir fait. Arstos lui permettra de quitter Korih demain, avec son mari, qui a tenté pendant l’enterrement de Pisias de soulever le peuple, sans succès. La voix du peuple est celle de Dieu.

Séïren sourit. « Sans effusion de sang, si possible », avait dit Ivawen. Voilà qui devrait être réglé. Balas chassa une mèche des cheveux de l’elfe.

- Imaginez un peu, Dame elfe, une ville où régnerait un homme choisit pour ses qualités par le peuple, avec qui il partagerait le pouvoir.

- Oh oui, répondit l’elfe. Et cela sous la suzeraineté de la plus incroyable des reines. Cela semble être un beau rêve.

- Un rêve que Démos a commencé à érigé, et qu’Asrtos va finir. En respectant les vieilles coutumes, les vieilles familles et le peuple. Chacun aura sa place pour la défense de la cité, par la voix de l’Œil, pour sa gloire et celle d’Ivawen.

- J’aime les idéalistes, lui sourit Séïren.

- J’aime les yeux verts, répondit Balas. Vous savez, nous n’avons rendez-vous avec Arstos qu’au crépuscule, soit dans une heure environ.

- Oh, et si vous me faisiez visiter la ville en attendant ? Mais restons dans le carrosse, il nous faut éviter les émeutes. Je ne désire voir que les charmes de votre cité.

- Mais bien sûr, Dame Abæl, souffla Balas en venant s’asseoir à côté d’elle.

Il lui passa un bras autour des épaules et Séïren sentit son cœur s’accélérer. Elle l’embrassa sur la joue, puis, devant son profond regard noir, lui déposa un baiser sur les lèvres. Il mit sa main sur son genou, puis avisant son sourire espiègle, passa les doigts sur son corsage, avant d’en retirer délicatement le petit poignard qu’elle y cachait.

- Nous ne sommes jamais trop prudent, lui dit-il avec un clin d’œil.

- En effet. J’en ai un autre accroché à ma cuisse droite, fit-elle, alors qu’il l’embrassait dans le cou. Vous savez Balas, je serais bientôt fiancée.

- Il n’en saura rien, souffla celui-ci.

- Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Elle le serra fort lorsqu’il l’embrassa sur les lèvres.


Le crépuscule tombait quand Silya sortit du carrosse de tête légèrement inquiète. Bien qu’elle se doutait que nul n’aurait fait du mal à sa protégée, le fait de ne plus être à ses côtés lui déplaisait. Elle la vit sortir du carrosse suivant aux côtés de Balas, de port impeccable et souriante. La jeune elfe rejoignit sa compagne immédiatement et lui fit un bilan rapide de la situation, d’après des informations transmises par Balas. Un autre carrosse arriva en trombe et Arstos en émergea. Il fut acclamé par la petite troupe rassemblée.

- Nous devons nous assurer que la transition se passe pour le mieux, glissa Séïren. Je vais m’entretenir avec Arstos dès que j’en aurais l’occasion.

Sur ce, elle marcha droit vers lui. Silya la suivit rapidement. L’elfe salua respectueusement l’humain qui fit de même. Ils s’éloignèrent légèrement puis entamèrent une grande discussion dont la guerrière ne put saisir les termes. Elle était nerveuse, sentant que quelque chose n’allait pas. Autour d’elle, les gardes commencèrent à s’agiter. L’un des suivants d’Arstos vînt alors et leur raconta les détails de l’émeute. Il y avait eu quelques blessés, mais aucune victime à déplorer. Les manifestants avaient chargé le cercueil de Pisias sur leurs épaules et l’avait conduit en chantant au cœur du mausolée où reposait déjà son père. D’après eux, le petit peuple avait coutume de s’exprimer violement grâce aux émeutes lorsqu’il estimait que sa condition était en danger. L’alizéenne avait du mal à comprendre ce procédé, si éloigné de sa culture, mais préférait ne pas donner son point de vue. Arstos monta alors les marches menant à son palais et fit signe aux autres de le suivre à l’intérieur.

Silya rejoignit Séïren qui marchait derrière le chef humain, lui-même escorté de trois gardes du corps. Reprenant sa fonction, l’humaine coiffa son heaume et plaça ses mains sur les pommeaux de ses épées. Deux gardes poussèrent les lourdes portes de chêne menant à l’intérieur du palais du tyran. La troupe y pénétra entièrement et les portes furent refermées.

- Voici le Hall Assemblé, expliqua Arstos aux visiteurs. Suivez-moi dans la grande salle, Dame Séïren, où se trouve le fauteuil du tyran.

Le groupe le suivit, passa par un couloir, une galerie aux murs couverts d’une tapisserie représentant une bataille navale mettant en scène des humains et des elfes pour déboucher dans une immense salle de marbre. Un trône était posé à même le sol. Ses pieds représentaient quatre silhouettes encapuchonnés et une image stylisée de l’Œil Etoilé était sculptée en haut du dossier. Le fauteuil était magnifique, et en l’observant Silya eut un sourire sinistre. Sur le trône se tenait une jeune femme aux cheveux blonds paille ornementés d’une résille noire, la moitié du visage recouverte par un masque noir. Elle portait des chausses masculines et une tunique cuir souple. L’alizéenne reconnue les yeux vairon noir et bleu de Laodice, qu’elle avait croisés dans le sanctuaire. La transition ne serait sûrement pas aussi simple que prévue.

- Que fais-tu là, femme ? lança Arstos. Tu avais pourtant accepté de quitter la ville après les funérailles. Tu devrais être au port à l’heure qu’il est.

- Je suis venue reprendre l’héritage de mon père, répondit en souriant la jeune femme. Par la force s’il le faut, comme il le fit lui-même.

- Une simple résille, alors que ton frère vient de mourir ? fulmina Arstos Où est ta dignité ?

Laodice l’ignora en se levant, puis dégaina une rapière et la pointa sur son adversaire.

- Une épée ?! rugit Arstos. Catin ! Impie ! C’est ainsi que tu comptes diriger notre peuple ?

Silya apprécia alors Laodice s’avancer vers Arstos tandis que plusieurs dizaines de combattants, visiblement fidèles à la jeune femme, investissaient la salle, armes à la main. Immédiatement l’alizéenne dégaina un sabre et repoussa derrière elle Séïren, qui se trouvait toujours proche d’Arstos. Elle tira sa seconde épée tandis que les gardes royaux formaient un mur de protection autour de la jeune elfe.

- Il s’agit de [i]mon [/i]peuple Arstos, continua Laodice. Tu n’as aucune légitimité pour le diriger. Et la noblesse me soutient.

Silya remarqua en effet que plusieurs des nobles présents à l’enterrement de Pisias entouraient désormais la jeune humaine.

- J’ai le soutien de [i]ton [/i]peuple, comme tu dis, cracha Arstos avec mépris. Aucune femme ne peut diriger une cité-état de l’Œil, et surtout pas une catin, s’habillant comme un homme et ne respectant aucune règle. Pisias le savait, et c’est pour cela qu’il m’a désigné comme son héritier, devant toi.

- Mon frère était âgé et malade, soupira la jeune femme. Et son avis m’importe peu. Je compte redonner à Korih sa grandeur passée. Elle deviendra sous ma direction une puissance militaire et commerciale. Sous un pouvoir fort, j’assurerai à la Reine Ivawen une formidable tête de pont vers le continent. Tu n’as plus aucune chance, Arstos. Rend-toi ou meurt.

- C’est donc cela ton projet pour le peuple de Korih ? ricana son adversaire. Me rendre ou mourir ? C’est drôle, j’allai te proposer la même chose.

Loin de la joute politique à laquelle se livraient les deux prétendants à la direction de Korih, Silya écoutait d’autres bruits. Ceux du martellement étouffé de dizaines de pieds sur les dalles. Plusieurs combattants se dirigeaient vers eux en faisant le moins de bruit possible. Un instant plus tard deux douzaines de guerriers pénétrèrent dans la salle. Ils étaient vêtus sommairement, la plupart sans armure. Mais Silya voyait dans leurs yeux qu’il s’agissait de féroces combattants. Plusieurs maniaient des haches de guerres ou des marteaux, mais la majorité portait des sabres d’abordages et des boucliers. Des humains, des elfes, des nains, des femmes, des hommes tous confondus. L’alizéenne devina qu’il s’agissait des gladiateurs de Korih.

- Et maintenant, Laodice ? sourit Arstos en dégainant sa rapière. Vas-tu regarder ta troupe mourir pour toi ? Ou vas-tu te défendre comme l’homme que tu prétends être ?

- Maintenant, répondit Laodice, je vais te tuer.

- Arrêtez ! rugit Séïren en s’avançant. Laodice, ne voyez-vous pas que votre cause est perdue ? Rejoignez Arstos et évitez un bain de sang inutile.

- Jamais, dit calmement l’humaine. Mais ne vous en faîtes pas Séïren, il ne vous sera fait aucun mal, vous représentez ma suzeraine.

Arstos se jeta sur elle, épée en avant. Elle para instantanément son coup et la bataille commença aussitôt. Silya recula puis dû esquiver le coup de l’un des soldats de Laodice. Elle se baissa, et plongea sa lame dans son ventre. En cherchant Séïren des yeux elle remarqua une gladiatrice folle furieuse. Elle ne mesurait que quatre pieds et demi de haut et portait une tignasse de cheveux roux en bataille. Silya devina qu’il s’agissait d’une naine. Contrairement à ses compatriotes masculins, les naines avaient la silhouette élancée, et moins de muscles. Maniant deux haches elle semblait tout de même posséder une force remarquable. Elle allait torse nu et ses seins volumineux ballotaient de droite à gauche. C’était sans conteste celle qui faisait le plus de dégâts. Elle écrasa un soldat de Laodice avant de tuer un garde de Séïren d’un seul coup.

- Non, hurla Arstos, ne touchez pas aux elfes !

- J’aime tuer les elfes, ricana-t-elle, et je suis venue pour le sang, pas pour les ordres.

Néanmoins elle se détourna et repartie dans la mêlée. Silya remarqua alors Séïren, sans défense, sur la route de la naine. Elle se jeta entre elles et pointa sa lame vers la petite gladiatrice.

- Qui es-tu, guerrier, pour te mettre en travers de mon chemin ? siffla-t-elle.

- Je ne suis pas un homme, déjà, répondit Silya.

- Qui es-tu guerrière, pour te mettre en travers de mon chemin ? répéta la naine.

- Je crois que l’on s’en moque, gladiatrice, souffla Silya.

La hache fusa dans la direction de l’alizéenne, qui parvînt à esquiver avant de contrattaquer. Son adversaire était rapide et para sans problème ses coups avant de se jeter en avant pour tenter une série d’attaques vicieuses aux jambes. Silya recula prudemment, prenant garde aux combattants qui se pressaient autour d’elle. Elle remarqua du coin de l’œil que Séïren était à présent défendue par cinq soldats de sa garde, qui formaient autour d’elle un mur infranchissable. En bloquant un formidable coup de la naine, porté par ses deux haches en même temps, l’ancienne reine perdit l’équilibre et chuta. D’un coup de pied la gladiatrice l’envoya au sol, lui faisant lâcher un de ses sabres. Roulant sur elle-même, Silya évita deux coups de hache, puis en détourna un troisième du plat de sa lame avant de parvenir à se relever. La petite guerrière était douée. L’humaine bondit sur le côté, vers son épée choyant à terre. Tout près d’elle, l’un des gladiateurs trancha la gorge d’un soldat avant de s’éloigner. Silya saisit le cadavre encore chaud par le col et le projeta sur la naine qui le repoussa d’un geste rageur. L’humaine en profita pour ramasser son épée et se lancer à nouveau à l’attaque. Elle tenta une série de bottes vers la tête, puis feinta sur le flanc gauche pour frapper au genou. La naine parvînt à bloquer et d’une contre-attaque fulgurante entama profondément la cuisse gauche de Silya, ainsi que son coude, puis réattaqua. L’ancienne reine leva ses épées pour se protéger, mais la naine l’atteignit tout de même au visage avec le plat de ses haches, arrachant son heaume. L’alizéenne chuta et percuta le sol violemment. Elle roula rapidement pour éviter une attaque de la naine et se releva ivre de douleur. Du sang coulait de sa bouche et de son nez et une bosse s’était formée sur son front. Elle remarqua tout de même que la naine saignait abondamment des poignets, entaillés par les sabres. La gladiatrice marcha vers elle, décapitant au passage un ennemi blessé. Silya s’avança, ne pouvant s’empêcher d’apprécier la beauté sauvage de cette naine folle furieuse à demi-nue. La petite guerrière s’élança mais l’alizéenne la prit de vitesse de vitesse en exécutant une pirouette tout en faisant tournoyer ses épées devant elle. L’attaque fut stoppée nette et la naine blessée au ventre. Silya recula face à trois attaques de taille portées prestement, et reçut un violent coup au poignet. Elle frappa la naine à la tête tout en esquivant ses haches, mais son adversaire put éviter ses coups. Silya attaqua alors la main gauche de la gladiatrice qui lâcha sa hache. Grognant de douleur, elle sauta sur place et assena à l’alizéenne un formidable uppercut sous le menton, l’envoyant au tapis pour la troisième fois. Silya atterri sur les fesses et gémit de douleur en sentant son coccyx se fêler. La gladiatrice se jeta alors sur elle, hache en avant, mais Silya se releva instantanément sur un genou et brandit ses sabres. La naine regarda alors avec étonnement les deux lames enfoncées profondément dans sa poitrine, puis tenta mollement un dernier coup de hache. Silya se releva et extirpa lentement ses sabres.


Le cercle autour de Séïren s’était débandé. Tous se battaient autour d’elle. Ses gardes avaient, sur ses ordres, maîtrisés quelques éléments particulièrement agressifs des deux camps, mais ni Laodice, ni Arstos ne semblait sur le point de l’emporter. Les deux continuaient leur duel avec frénésie. Le cou de Laodice saignait légèrement et un hématome émaillait le front d’Arstos. Ils serraient tous deux les dents et semblaient particulièrement concentrés. Séïren commençait à s’inquiéter pour Silya, visiblement en mauvaise posture. Elle leva la main pour demander à ses gardes d’intervenir, mais l’humaine parvînt tant bien que mal à venir à bout de son adversaire. Séïren poussa un soupir de soulagement et voulut à nouveau se mettre à couvert lorsqu’elle avisa Balas près de sa garde du corps. Lorsqu’il brandit son épée vers son dos une sueur froide traversa Séïren. Sans réfléchir elle saisit le stylet de bronze passé dans ses cheveux et se précipita vers Balas. Tandis que Silya retirait ses sabres du cadavre de la naine gladiatrice, inconsciente de ce qui se déroulait à trois pieds d’elle, Séïren piqua la pomme d’Adam de l’humain avec son arme.

- Oh, Séïren, lui sourit-il.

- Tu pensais peut être m’avoir séduite ? s’enquit-elle en montrant les dents.

- Oh non, répondit Balas en perdant son sourire. Tu es trop prévoyante pour cela. Lâche cette arme, tu n’oserais pas de toute façon.

Silya s’approchait, menaçante, ses yeux allant de l’épée de Balas au stylet de Séïren, en passant par leurs deux visages. L’humain saisit alors le poignet de la jeune elfe avec une force incroyable. La garde du corps se précipita. Séïren, lâcha son stylet et le rattrapa de la main gauche. Immédiatement elle le plongea violement juste sous le cœur de Balas. L’humain se mit à trembler.

- Tu… tu m’as poignardé ! s’écria-t’il.

- Désolée, dit Séïren.

Et elle enfonça l’arme jusqu’à la garde, puis la vrilla et la retira. Le sang coula à flots tandis que Silya éloignait sa protégée de Balas, qui tomba à genou, puis s’effondra face contre terre. En le regardant, Séïren revit rapidement l’heure passée avec lui dans le carrosse pendant que Silya l’entraînait au cœur de ses gardes.


Une fois Séïren en sécurité, Silya se tourna à nouveau vers le champ de bataille. Bien que blessée, elle se prépara à se battre à nouveau. Ne serait-ce que pour protéger Séïren. La jeune elfe lui avait sauvé la vie. Bien qu’elle l’ait elle-même fait en combattant la naine, rien n’obligeait Séïren à lui rendre la pareille. La sollicitude de l’elfe la touchait. Elle avisa le duel auquel se livrait Laodice et Arstos. Bien que les soldats de Laodice soient plus nombreux, les gladiateurs faisaient des ravages dans leurs rangs. Malgré son expérience, Silya fut incapable de déterminer qui finirait par l’emporter. Au final, le sort de la bataille reposait sur le duel entre leurs chefs. Elle était impressionnée par la technique de Laodice. Arstos, plus grand et plus fort ne parvenait pas à avoir le dessus. Ils se battaient en utilisant les épées fines que l’on retrouvait dans les cités-états de l’Œil. Arstos envoya à son adversaire un coup d’estoc bien placé et la cuisse gauche de Laodice fut ouverte sur plusieurs pouces. Cette dernière poussa un cri de douleur, puis gifla l’air devant elle de sa lame pour faire reculer Arstos. Elle se jeta alors sur lui d’un bond et lui taillada l’épaule avec une rapidité fulgurante. Artsos fit deux pas en arrière pour tenter de revenir à la charge. Il profita du mauvais appui de Laodice sur sa cuisse gauche pour la frapper à nouveau au même endroit. Elle chancela, puis para plusieurs coups. Arstos, en deux pas, fut sur elle, et, bloquant son épée avec la sienne, lui asséna un formidable revers de main qui l’envoya au sol. Il posa alors le pied sur sa main, l’empêchant ainsi de lui porter un coup. Il leva son épée et la plongea vers la gorge de Laodice.

Au dernier moment, l’humaine tira un coutelas et déviât la lame qui vînt toucher le sol à un pouce de sa tête. Elle planta ensuite son poignard sous le genou d’Arstos, qui cria et libéra la main de la jeune femme. Cette dernière roula hors de portée, puis, se relevant sur un genou, transperça le tibia de son adversaire. Il tenta de se maintenir debout, mais Laodice enfonça plus profondément sa lame, puis la retira brusquement. L’humain s’effondra alors que Laodice se relevait. Elle pointa alors sa rapière sur le cou d’Arstos qui écarquilla les yeux. Puis elle plongea sa lame dans la gorge d’Arstos. Au moment où le sang noir coulait de sa bouche et où un dernier spasme agitait Arstos Silya vit pendant un instant briller sur le poignet droit de Laodice une étoile noire à quatre branches. Immédiatement après la vision avait disparue et les derniers soldats d’Arstos jetaient leurs armes. Un petit groupe d’irréductibles résista un moment avant de tomber sous les coups ou de se rendre sous le nombre. Laodice s’approcha alors de Séïren et lui glissa quelques mots. L’elfe fit signe à Silya de la suivre, et les trois femmes quittèrent la pièce.

Trois jours plus tard, devant le peuple rassemblé Laodice, assise sur le fauteuil du tyran, invita Séïren à ses côtés. Silya, à peu près remise de ses blessures, en armure complète, se tenait derrière elle. Le nouveau tyran avait la veille organisé des funérailles pour Arstos, expliquant qu’il avait trouvé la mort en tentant un coup d’Etat contre elle. Deux émeutes avaient éclatés après son discours. La première était menée par d’anciens soutiens d’Arstos, la seconde par l’aristocratie de Korih, par les citoyens ainsi que par une partie du bas peuple, surtout ceux que l’on appelait les [i]rameurs[/i], engagés sur les galères de guerre de la cité et clients de Laodice. L’ordre était revenu rapidement et Arstos avait été enterré près de la plage, dans le tombeau de sa famille, le tyran ne voulant que son ultime acte l’entache après sa mort. Laodice ne s’était pas cachée devant Séïren et Silya du fait que cette manœuvre était avant tout une œuvre de propagande. L’elfe l’avait assurée de son soutien, estimant la jeune femme capable de diriger la cité et de ramener la paix civile. Elle l’avait tout de même prévenue qu’elle resterait à ses côtés quelques temps pour s’assurer que la transition s’effectue pour le mieux. Silya elle avait reçu l’ordre express de la reine de s’embarquer dans un bateau pour rejoindre Nærisa et la protéger sur la côte du royaume Lagoride le plus rapidement possible une fois le nouveau tyran acclamé. Laodice se leva alors de son siège et entama un discours :

- Citoyens de Korih, citoyennes. Mon père avait restauré vos droits fondamentaux, et ainsi vous avait permis de faire à nouveau entendre votre voix. Par cet acte, la volonté de l’Œil Etoilé fut écoutée et respectée. Mon frère a continué dans cette voix, et restauré la paix civile dans la cité, parfois mise à mal. Arstos voulait d’une cité bicéphale, où peuple et tyran seraient les deux piliers de la société. Je ne vous apporterai pas cette utopie. Non, je vous apporterai la puissance. La puissance qui était la notre il y a des dizaines et des dizaines d’années, lorsque Kor le Fondateur fut envoyé créer une colonie sur l’Île de Céläastra. La suite, vous la connaissez tous. Kor se plaça sous la suzeraineté des rois elfes, et nos coutumes furent respectées. Mais à cette époque, les cités-états continentales de l’Œil Etoilé étaient grandes et glorieuses. Elles étaient alors sous la coupe de nos rois, les [i]basileis[/i]. Ils dirigeaient en souverains justes et écoutaient leur peuple et Dieu. Tel que le concevait mon père. Sous la suzeraineté de la reine Ivawen de Céläastra je donnerai à Korih la grandeur qui fut celle des cités d’autrefois. Si l’Œil, par votre voix, le demande, j’étendrai la citoyenneté à tous les membres de la cité, propriétaires ou non, et je dirigerai avec l’appui d’un conseil tournant tiré au sort parmi eux. Ce conseil soumettra ses doléances, ratifiera mes décisions et sera le garant de la légalité de mes actions. A présent, citoyens, citoyennes, que la volonté de l’Œil Etoilé soit faîte !

Une clameur s’éleva de l’assemblée. Les partisans de Laodice crièrent son nom. Silya entendit la rumeur monter de plus en plus, des noms fusèrent. Laodice, Démos, et bientôt Ivawen. Mais par-dessus tout, un mot était scandé par la majorité conquise par Laodice, un mot venu des tréfonds d’une époque oubliée, un mot que nul n’avait encore prononcé sur l’Île : [i]Basileisa, Basileisa, BASILEISA ![/i] Modifié par Loup Noir
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Voici la suite ! J'espère que vous apprécierez.


[center][u][b]Chapitre XIV[/b][/u][/center]

[b]An 1377 du Quatrième âge, Bétula, capitale du Royaume Lagoride[/b]

Corylus écoutait attentivement les conversations autour de lui dans l’auberge qui portait le nom des Miels et des pollens. Il était vêtu d’une cape sombre à capuchon relevé sur la tête. Ses cheveux noirs et lisses, ses yeux bruns et son visage glabre sans signe particulier lui permettaient de passer inaperçu dans nombres de quartiers de la ville. Mais ici, à l’auberge [i]Des miels et des pollens[/i] il y avait des chances pour que quelqu’un le reconnaisse. Et ces derniers temps, il préférait ne pas attirer l’attention sur lui. À Bétula depuis deux semaines maintenant, il avait vite compris qu’il ne lui faudrait jamais sortir sans la demi-douzaine de couteaux qu’il gardait rangée dans un baudrier fixé à sa poitrine. Son esclave orc, Kazma, qui lui servait de garde du corps, ne le quittait d’ailleurs rarement. Mais aujourd’hui il lui fallait se déplacer incognito, et un orc était trop repérable. Obéissant, Kazma était resté dehors à quelques pas de la taverne, prêts à intervenir au moindre fait suspect. [i]Des miels et des pollens[/i] était une auberge de taille modeste, mais relativement bien cotée dans la capitale. S’y retrouvaient marchants, puînés de la noblesse, riches étrangers, mais aussi artistes, ou soldats de grades inférieurs. N’appartenant à aucune de ces catégories, Corylus venait ici en quête d’informations de première main qu’il pourrait ensuite traiter à tête reposée.

- Après la tempête d’il y a quelques jours un incendie a ravagé la moitié de ma récolte de maïs hier, et presque toute une parcelle de mil, disait un vieil homme sur la gauche de Corylus.

- J’ai également perdu ma récolte cet hiver, à cause du gel… renchérit un second. Les temps sont durs.

Il ne s’agissait pas de paysans ou d’ouvriers agricoles. Corylus devina à leurs vêtements qu’ils étaient de riches propriétaires terriens. On les trouvait dans les terres arables du centre-ouest du royaume Lagoride. La plupart étaient sous la coupe directe du Grand-Roi, mais certains possédaient des parcelles chez ses vassaux. Ces grands agriculteurs cultivaient d’immenses plaines de terres noires extrêmement fertiles faisant la richesse du royaume fédéral. Elles étaient mises en valeur par des serfs qui y étaient attachés.

- Chez moi, dit un troisième homme à la voix très grave, les barbares sorgosiens ont tout pillé, puis brûlé ce qu’ils ne pouvaient emporter. Peu après, ce sont les troupes de représailles du Grand-Roi qui m’ont pris le reste. Vous êtes là de votre plein grès messieurs, mais moi j’ai dû fuir avec le peu qu’il me restait. Je subsiste difficilement et ma famille a grandement souffert. Toutes mes terres ont été détruites.

Certaines exploitations se trouvaient à quelques lieues de la frontières sorgosienne. Corylus fut choqué en voyant que le troisième homme n’avait pas dit un mot des pertes en serfs qu’il avait vraisemblablement dû subir. Originaire de la Bande de Djiane, Corylus avait du mal à comprendre les coutumes des contrées de l’ouest du Royaume-Fleuve. L’esclavage y était interdit et même réprimé, mais les serfs n’avaient aucune importance aux yeux de leurs seigneurs. Chez lui, à partir du moment où l’on achetait un esclave, on se devait de lui fournir à manger, une certaine éducation propre à sa fonction, et s’il venait à mourir au service du maître, des funérailles dignes de ce nom devaient être organisées. Il avait lui-même condamné à la détention plusieurs maîtres pour s’être soustrait à cette dernière règle.

- Le Grand-Roi va écraser la menace que représentent les sorgosiens, reprit le premier homme en regardant son ami. Il te restituera tes terres.

- Quelle menace ? cracha le deuxième. Des barbares sans armure, sans chef, sans loi, ils n’ont aucune chance !

- Vous êtes bien naïfs… souffla l’homme à la voix grave. J’ai vu ces sauvages combattre, ils connaissent le terrain et sont de farouches guerriers. Ils se sont rassemblés autour d’un certain Hague-Cour, ou quelque chose comme cela, dont ils criaient le nom pendant l’attaque. De plus ils recherchent des alliés. J’ai bien peur qu’ils ne causent beaucoup de problèmes à notre souverain bien aimé. Quant à mes terres, bah !

- J’étais à la bataille du Camp Doré, commença un quatrième homme resté jusque-là dans l’ombre – Corylus remarqua qu’il lui manquait presque tout le bras droit. Le contingent dont je faisais partie s’est fait massacrer, et malgré ce qu’en disent les envoyés du roi, il ne s’agissait pas de jeunes recrues mais d’une troupe d’élite. Ils ont, après la bataille, rasé notre camp, tuant tout ceux qu’ils pouvaient trouver.

- Pendant l’attaque, reprit le troisième homme, deux d’entre eux ont violé ma fille de dix-sept ans et tué mon fils qui tentait de la défendre. Moi ils m’avaient assommé et laissé pour mort. J’ai pu par la suite protéger ma petite, mais la pauvre est encore sous le choc. Enfin, nous sommes en sécurité pour le moment. J’espère que notre roi massacrera ces fous furieux. Je suis ici autant pour sa protection que pour plaider notre cause.

- Les ducs du nord ont déjà rejoint le Grand-Roi, dit le deuxième homme, le roi de l’ouest aussi et les chefs de la Confédération des cités-états de l’Œil le feront vraisemblablement sous peu. Sans compter la puissance des armées royales. Seul le roi Corylus de Djiane est réticent à l’idée d’une attaque.

- Il faut se méfier de lui, dit le soldat manchot, il est jeune et plein d’ambition. Son armée est bien entraînée et l’adore.

- Il n’est pas fou, il se pliera à la décision royale, et…

Corylus décida qu’il était temps de partir. Il jeta deux pièces d’argent avec au droit un basilic ailé, emblème du royaume fédéral et au revers la figure du Grand-duc de Bourg, situé au nord-est, limitrophe de Djiane. Il préférait ne pas utiliser des monnaies de son propre royaume, surtout que son propre visage y était frappé. Il sorti rapidement de la taverne et retrouva Kazma à quelques pas de la porte. L’orc semblait nerveux. Au moment où il aperçut Corylus, il posa la main sur le manche de sa lourde masse d’arme.

- Un problème, Maître ? demanda-t-il.

- Aucun Kazma, répondit précipitamment Corylus, rentrons au palais.

Ils marchèrent quelques minutes avant de monter dans une diligence. Le cochet leur adressa un signe de tête puis fouetta les deux chevaux et prit la direction du palais royal. Ils traversèrent rapidement l’un des axes principaux de Bétula puis s’engouffrèrent dans une ruelle. Ils débouchèrent ensuite dans une petite rue peu fréquentée. La silhouette étroite du palais royal se dessinait à portée de vue mais Corylus n’y prêtait guère attention. Sa position à la capitale était plus que délicate. La veille, pendant une entrevue avec le principal ministre du Grand-Roi, Astin Solvi, il avait tenté de défendre une paix séparée avec le roi de Sorgoz. Astin Solvi avait refusé et la discussion s’était envenimée, si bien qu’il avait dû rappeler sa condition après que le mot « traitre » eu été prononcé, ce qui constituait un manque de respect énorme. Après avoir quitté la salle d’audience, Kazma avait été pris à parti par un jeunot belliqueux, et il s’en été fallu de peu pour qu’il ne le réduise en bouillie. Même dans son propre royaume sa suprématie n’était pas totale. Le grand-père de Corylus vait un demi-siècle auparavant prit le pouvoir à Djiane à la faveur d’un coup d’état. Le futur de la lignée de Corylus n’était assuré qu’en la personne de son demi-frère, Oscim, robuste, mais âgé de seulement sept ans. Dans l’auberge, les badauds avaient dit que l’armée l’adorait. La vérité était plus complexe. Son père était mort pendant qu’il faisait ses classes dans un régiment de cavalerie et Corylus avait dû immédiatement mater la rébellion d’un général récalcitrant. Depuis, il était vrai que son état-major lui obéissait sans problème, et désirait voir dans ce vigoureux jeune homme de vingt-deux ans leur futur champion. De plus, Corylus était marié depuis un peu plus de deux ans à Dame Malvace, mais désespérait de lui donner un héritier. Un grognement de Kazma le tira de ses rêveries. Ils étaient arrivés dans la cour du château et les roues du fiacre battaient les pavés à grand bruit. Juste devant la porte principale se tenait une vingtaine d’hommes en uniforme doré. Les Vingt de la garde du Grand-Roi. Il n’y avait rien de normal dans cette sortie de la Garde, qui ne quittait le roi que rarement. Corylus descendit du fiacre suivit de Kazma.

- Maître, dit l’orc, que font ces gardes ici ?

- Pas la moindre idée…

- Bonjour, Majesté, commença un garde qui s’était détaché du groupe. Sa Grâce le Grand-Roi de tous les Royaumes du Fleuve désire s’entretenir en privé avec vous. Il a tenu à ce que nous vous offrions une escorte digne d’une telle rencontre.

- C’est un grand honneur pour moi, répondit Corylus. J’espère que sa Haute Altesse ne manque pas de protection en votre absence.

- Les six meilleurs maîtres d’armes de la Garde sont avec Lui, et Il ne quittera pas son cabinet de travail avant de vous recevoir.

- Très bien, allons-y dans ce cas. Vous comprendrez que je veuille garder mon esclave auprès de moi pour mon service jusqu’à l’entrevue ?

Le garde acquiesça. Les entretiens en tête-à-tête avec le souverain étaient rarissimes. Corylus se demanda ce que cela pouvait bien signifier. Il suivit les gardes dans le palais, traversant le hall principal, pour ensuite bifurquer à droite vers un petit couloir. Ils marchèrent longuement puis grimpèrent un escalier en colimaçon. Par une meurtrière, Corylus put admirer les jardins royaux. Derrière lui, il sentait la fébrilité de Kazma, qui gardait la main près de son arme. La troupe continua sa route à travers un couloir en zigzag, puis tourna à angle droit. Quelques minutes plus tard, ils s’arrêtèrent dans une large pièce, qui pouvait les contenir tous. Après un rapide examen des lieux, le roi devina que ce n’était pas le cabinet d’étude de son suzerain.

- Pourquoi nous arrêtons nous ? demanda-t-il aux gardes.

- C’est la fin du voyage, sourit l’homme qui l’avait accueilli.

Kazma se jeta alors sur Corylus et le plaqua au sol, pour se relever un instant plus tard. L’orc lui avait évité d’être décapité net par un coup d’épée donnait dans son dos. L’esclave saisit son fléau d’arme et écrasa la tête du coupable. Déjà les gardes tiraient leurs épées. Avant qu’ils n’aient pu faire le moindre geste, un autre soldat baignait dans son sang, mort. Corylus se releva et dégaina deux dagues, qu’il lança vers le chef. Celui-ci évita les coups et se précipita sur lui. Le roi tira deux autres couteaux et, se baissant, en planta un dans la cuisse du garde. Il s’apprêta à plonger le deuxième dans son œil, mais son adversaire le frappa au visage, le faisant reculer de plusieurs pas. Corylus vit Kazma étrangler un guerrier avec la chaîne de son arme. Avisant le chef des gardes qui levait sa lame pour donner le coup de grâce au roi, l’orc se jeta sur la trajectoire. L’épée s’enfonça entre ses omoplates.

- Kazma ! cria Corylus, éclaboussé du sang de son garde du corps.

- Un… esclave… sert… et meurt… souffla celui-ci, juste avant qu’un soldat ne l’égorge.

Il s’effondra et Corylus hurla sa rage. Il ramassa la masse d’arme de l’orc et, bien qu’il ne se fut jamais servi de ce type d’arme, envoya des coups de droite à gauche. Il brisa la hanche de l’adversaire le plus proche, mais avant de pouvoir continuer son œuvre, un garde lui trancha la main. Un autre lui fit exploser le genou droit d’un coup de masse. Ivre de douleur, Corylus chuta. Il eut le temps d’apercevoir que son orc avait tué quatre gardes avant de succomber, puis senti un picotement au niveau de sa nuque. Il s’étonna alors à la vue du bon pied de métal cramoisi qui dépassait de sa propre bouche. Autour de lui tout était rouge. Ses yeux se brouillèrent.

[b]
An 1377 du Quatrième Âge, quelque part au large des côtes sud du Royaume Lagoride[/b]

Hroar Erlîn observait son litre de bière d’un œil amusé. [i]Je peux la boire en deux coups[/i], se dit-il. Le nain empoigna la chope et en vida une grosse moitié d’un trait. Il eut un haut le cœur, mais conserva son assiette, avant de lever son verre à nouveau et de murmurer [i]« pour l’Empereur »[/i], une ovation qu'il prononçait régulièrement, puis de siffler la fin du breuvage. Il chancela légèrement lorsqu’il se leva pour sortir de la cabine. Dehors, respirant l’air de la nuit, il se dirigea tranquillement vers la proue du navire. Il se trouvait avec son ami Erion Serra sur le sloop [i]Dame Mynê[/i], dirigé par le capitaine Estë, qu’on l’on appelait [i]la Bâtarde du Golfe[/i], étant fille adultère du Seigneur Rylor Furiade et de Dame Mynê Lya. Le navire patrouillait avec le reste de l’armada dirigé par Arthelor Fend-Tribord entre le nord de Céläastra et la côte sud du royaume Lagoride. Hroar s’entraînait tous les jours avec les elfes présents en vue des combats qui les attendaient. Le nain devait régulièrement subir les railleries des [i]oreilles pointues[/i], mais commençait à s’en accoutumer. Il faisait partie d’un contingent destiné à mener des opérations sur la terre ferme, que ce soit pour s’emparer de forteresses ou de ports, ou pour soutenir les guerriers de Sorgoz. Ce régiment était sous le commandement d’Erion Serra, qui avait fait du jeune Noédor Edlla et de Hroar ses seconds sur le terrain. Malgré une arrogance naturelle et un certain mépris pour les nains, le jeune aristocrate elfe respectait les talents martiaux du hirdâ. Suite à un entraînement durant lequel Noédor avait combattu plusieurs adversaires simultanément, dont Hroar, il avait reconnu qu’en combat singulier, il aurait eu beaucoup de mal à le vaincre. Le nain avait acquiescé, conscient des talents de l’elfe. Il était promis à un brillant avenir. Plus tôt dans la soirée, le jeunot s’était même ouvert à lui, sous l’effet de trois verres de liqueur de prune, au sujet de son mariage prochain avec la cousine de la reine, auquel son père avait consentit, malgré quelques réticences. Sans avoir l’air enchanté par cette union, Noédor lui avait confié que ça promise assurerait sa position à la cour, tout en lui offrant des charmes particuliers. A dix-huit ans, Noédor avait à peu près le même âge que Hroar au moment de son mariage. Cette pensée l’avait poussé à achever rapidement la conversation.

Lorsqu’il n’était pas avec Erion pour élaborer des plans de bataille ou étudier le terrain à l’aide de cartes topographiques, Hroar aimait flâner sur le pont du navire et observer la mer. Il s’amusait également à engager des concours de boisson avec les elfes, qui, bien que souvent plus vite ivres que lui, tenaient beaucoup mieux la mer. Du capitaine Estë, ni Hroar ni Erion ou Noédor n’avait vu de traces. Elle semblait invisible à son équipage, mais dirigeait tout de même le navire d’une main de fer. Les marins recevaient apparemment ses ordres sans problèmes et les exécutaient sans faute. Le nain trouvait dérangeant d’obéir à quelqu’un qui ne se montrait jamais, mais préférait ne rien dire devant les elfes, qui semblaient apprécier et estimer grandement leur capitaine. Selon eux, la Bâtarde du Golfe était l’un des meilleurs capitaines de la flotte royale. Cette opinion semblait partagée par Ursin Eddla, qui avait insisté pour que son fils rejoigne le [i]Dame Mynê[/i]. Selon les matelots, ce sloop était toute la vie d’Estë, qui passait le plus clair de son temps en mer. D’aucuns murmuraient que la dame avait eu le cœur brisé par un homme dans sa jeunesse, et qu’elle parcourait depuis l’océan en quête de renouveau. Ces informations, sûrement mystifiées, plaisaient à Hroar. De plus, il lui arrivait parfois, alors qu’il se promenait à la tombée de la nuit sur le pont, d’entendre les notes mélodieuses d’une lyre venues de la cabine du capitaine. Le nain se retourna et regarda la porte de la cabine qu’il partageait avec Erion et Noédor. Il sourit à la pensée que deux des plus hauts nobles de l’île elfe partagent leur intimité avec un nain, au vue de l’inimité entre les deux peuples. S’éloignant de sa cabine qui se situait vers la proue du navire, il se dirigea vers la poupe. Il passa devant trois elfes qui s’entrainaient au combat à l’épée. Il cria un conseil au plus proche avant de continuer son chemin. Dans les haubans, un elfe s’agitait pour atteindre la vigie, où un autre se tenait déjà. Hroar grimpa quelques marches, puis passa près d’une elfe qui tenait la barre du bateau. Elle fit mine de l’ignorer lorsque le nain la regarda, mais il ne s’en formalisa pas. Il s’appuya au bastingage arrière et observa les flots qui défilaient en contrebas. Le soleil couchant donnait à l’eau des reflets vermeils à la beauté touchante. Hroar continua sa contemplation, puis reconnu le pas vif et souple d’Erion derrière lui. L’elfe vînt s’accouder à ses côtés et regarda dans la même direction pendant quelques instants. Puis il dit à son ami d’un ton grave :

- Nous avons reçu des nouvelles de Céläastra il y a peu. Rien d’exceptionnel, mais je pense qu’une information devrait t’intéresser.

- Pourquoi moi en particulier ? demanda Hroar.

- C’est à propos de l’Empereur, reprit Erion.

Inutile de préciser quel empereur. Cela faisait des siècles que l’unique personne à porter ce titre sur tout le continent de Sierma était le chef suprême des tribus naines des montagnes. C’était en son nom que Hroar avait été nommé hirdâ.

- Qu’il y a-t-il ? s’enquit le nain.

- Il a échappé de peu à un attentat contre sa personne, répondit lentement Erion.

- C’est impossible, fit Hroar.

- Les informations, sont sûres mon ami. Mais je ne comprends pas pourquoi cela te choc tant. Quelqu’un a dû désapprouver sa politique.

- Bien sûr que tu ne comprends pas, tout comme j’ai du mal à comprendre qu’à Céläastra les guerres de succession soit si fréquente. Mais chez nous, Erion, personne ne touche à l’Empereur. Il est le Père des Clans, sa personne est sacrée. Attenter à sa vie est l’un des pires crimes possibles au sein de l’Empire.

- Votre empire existe depuis presque mille ans. En tout ce temps, il n’y a jamais eu un seul attentat contre un vos empereurs ?

- Une fois, lors d’une guerre de succession, répondit Hroar. Mais c’était différent, chaque parti considérait l’autre comme illégitime. Cinq empereurs sont également tombés au combat lors de guerres ou de troubles civils. Mais chaque nain, empereur ou non, sait mourir dignement lors d’une bataille. Ainsi, les guerriers ayant tué leur empereur au combat n’ont jamais été considérés comme des régicides. Un attentat qui ne laisse aucune chance à l’adversaire est non seulement un crime de lèse-majesté, mais aussi une lâcheté sans nom.

Erion dévisagea son ami avec un regard étrange, comme s’il cherchait à lire dans ses pensées. Agacé, Hroar demanda brusquement :

- Sais-tu si l’Empereur a été blessé ?

- Oui, dit l’elfe. Je sais qu’il a perdu la main droite. Mais ses jours ne sont pas en danger.

- Bon, fit le nain, légèrement rassuré. Vois-tu Erion, s’attaquer à un membre de la famille impériale ne constitue pas un crime équivalant. C’est l’empereur et lui seul qui représente son peuple, et a le pouvoir et le devoir de le protéger. Un tel attentat soudera plus que jamais l’empire autour de son chef. Regarde à quel point ce crime me choque, alors que je n’ai pas mis les pieds dans les montagnes depuis vingt-cinq ans. Imagine la réaction des résidents de l’Empire…

- Hroar, souffla son ami, est-ce que je me trompe en pensant que la fidélité et le facteur culturel ne sont pas les seules raisons de ta réaction, euh, violente ?

- Tu me connais bien, Erion, soupira le nain. Pendant les guerres d’Opale je t’ai raconté que j’avais été marié, sans t’en dire plus. Viens, tu m’as confié ton différent avec Nadomir Sëë, laisse-moi te conter mes propres histoires.

Les deux hommes marchèrent quelques pas, s’installèrent à une petite table non loin de la cabine du capitaine Estë. Sur un signe d’Erion, un mousse apporta un plat de bœuf salé et de poisson fraîchement pêché ainsi qu’une carafe de vin. Il remplit les verres, Hroar but une gorgée et mâchonna tranquillement un morceau de poisson. Erion l’imita. Quelques notes s’élevaient de la cabine du capitaine tandis que les premières étoiles commençaient à briller dans le ciel. Le nain glissa sa main vers son cou et la passa sous sa côte de maille burinée. Il en retira une petite chaîne en or à laquelle pendait un médaillon en bois. Il l’ouvrit et montra à Erion ce qu’il recelait. Le portrait de visage d’une naine aux cheveux mi- longs blonds-roux et aux yeux noisette. Son nez était délicat, son visage fin, et un magnifique sourire s’étirait sur ses lèvres. Sa poitrine était mise en valeur par un léger décolleté et l’on devinait un bourrelet juste sous ses seins.

- Il s’agissait de ma femme, souffla Hroar - Erion resta silencieux et se contenta de fixer le portrait, puis les yeux de son ami.

- Nous nous sommes mariés tôt, elle avait dix-huit ans, moi pas tout à fait. C’est jeune pour un nain, cela équivaut à une quinzaine d’années humaines. Nous avons été heureux pendant une petite année. C’est alors que la Grande Guerre de l’Est, opposant l’Empire à plusieurs royaumes humains a été déclarée, touchant directement les contreforts montagneux où nous avions tous les deux grandis. Je me suis engagé dans l’armée impériale, mon épouse, qui n’a jamais été combattante, s’occupait des blessés de guerre. Cela a duré quelques années. J’ai été nommé hirdâ pour ma bravoure dans la bataille. Nous étions tous les deux sur le front, ce qui nous permettait de nous voir régulièrement et elle tomba enceinte durant le conflit. D’un commun accord, nous avons décidé qu’elle irait se reposer à l’arrière.

Il marqua une pause et mangea un peu de viande. Puis il siffla une coupe de vin et se resservit.

- Seulement voilà, pendant un raid ennemi derrière nos lignes de défense, ma femme fut tuée avec une foule d’autres civils. Il s’agissait d’une simple opération de pillage, comme il nous arrivait d’en mener en territoire ennemi, mais plusieurs nains avaient résisté, et un incendie s’était déclaré au village, dans lequel mon épouse périt.

- Je suis désolé, lui dit Erion d’une voix calme – Hroar remarqua que Noédor les avait rejoint et l’écoutait parler.

- Après cet épisode je me suis mis à détester l’Empereur, l’Empire, les tribus, les ennemis, et tous les responsables de ma peine. Je voulais tous les voir brûler comme mon amour et mon enfant à venir avaient brûlé ! Je passais ma rage sur les ennemis dans les champs de bataille. C’est alors que l’Empereur a accordé à plusieurs hirdâs promus au début de la guerre une permission exceptionnelle et une visite à la capitale. Je faisais partie des élus. J’ai refusé dans un premier temps, mais mon chef m’a convaincu d’y aller.

- Puis-je me permettre de te demander quel était le nom de ta femme ? s’enquit Erion après une nouvelle pause du nain.

- Loreleï, répondit Hroar. Nous avons assisté à un défilé militaire de l’Empereur à des places de choix – sur le bateau d’autres elfes s’étaient rapprochés. C’est alors qu’il est apparu. Cela faisait déjà plusieurs années qu’il se trouvait notre tête. Oh, il était splendide, rayonnant d’or et de majesté, mais j’avais décidé de le haïr tout de même. Son apparition m’a troublé. Je comprenais pourquoi il était le Père des Clans. Mais ce n’est pas sa prestance, son charisme, sa grandeur ou sa couronne qui m’ont fait changé d’avis, ce sont ses yeux. Des yeux noirs, profonds et magnifiques. Et quand il les posait sur ses sujets, quand il les a posés sur moi, on y lisait un amour fou et inconditionnel, mais également une tristesse profonde. Il semblait comprendre ma douleur, et celle des autres meurtris de guerre. Il semblait la ressentir autant que nous. Et plus que tout, au fond de ses yeux, j’ai vu une mélancolie infinie, et infiniment belle, comme si toutes les plus belles musiques, tous les plus beaux poèmes y étaient enfermés.

Il marqua une nouvelle pause. En plus de Noédor et d’Erion, cinq elfes s’étaient arrêtés pour les écouter. La lyre d’Estë s’était tue, et des larmes piquaient les yeux du nain.

- Après cet épisode, j’ai repris les armes avec la conscience du devoir. J’ai combattu jusqu’à la fin de la guerre, mais l’Empereur, bien que victorieux, avait dû céder des terres, dont celles où ma famille résidait. Et surtout, le souvenir de Loreleï était trop présent en moi. J’ai décidé de partir sur les routes et de me faire mercenaire. Je restais guerrier, tel que la guerre m’avait battit. La blessure a bien sûr cicatrisée avec le temps, et je ne suis plus l’être fougueux et triste que j’ai été les premières années. Mais j’ai toujours du mal à en parler.

- Oh, tu te doutes bien que je comprends, lui dit Erion avec un regard tendre.

- Tu comprends également pourquoi j’ai été choqué par l’attentat contre l’Empereur ? s’enquit Hroar. Outre le fait qu’il représente la grandeur de mon peuple, je l’admire en tant qu’homme, car je connais et comprends sa souffrance.

- Je la comprends aussi, hirdâ, dit une voix.

Hroar se retourna. Le capitaine Estë se tenait devant lui, lyre en main. Elle avait de longs cheveux blonds presque blancs, très bouclés et des yeux gris en amende. Elle avait le regard profond de ceux qui ne sourient que très rarement. Elle eut un coup d’œil pour son équipage, puis s’élança vers les haubans et grimpa vers la vigie. Une fois qu’elle y fut, elle s’assit et pinça les cordes de son instrument en regardant la lune. Erion leva son verre vers Hroar :

- Au capitaine, à l’empereur, et à Loreleï Erlîn, dit-il.

- Aux bons princes, et à la justice, fit le nain en écho.

Et ils trinquèrent.
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[quote]- Pendant l’attaque, reprit le troisième homme, deux d’entre eux ont violé ma fille de dix-sept ans et tué mon fils qui tentait de la défendre. Moi ils m’avaient assommé et laissé pour mort. J’ai pu par la suite protéger ma petite, mais la pauvre est encore sous le choc. Enfin, nous sommes en sécurité pour le moment. J’espère que notre roi massacrera ces fous furieux. Je suis ici autant pour sa protection que pour plaider notre cause.[/quote]

Un peu d'émotion ferait pas de mal :P !

[quote]les guerres de succession soit si fréquente[/quote]

Au pluriel !


Sinon c'est pas mal, j'aime plus le premier passage que le deuxième ! J'ai cru qu'il était mort, qui qu'il soit. Content de voir qu'il a survécu même si on ne sait pas comment ! Beaucoup de mystère là dessus. Le second est bien aussi même s'il sert plus à développer le personnage du nain. Par contre, on ressent sa peine et c'est bien fait !

@+
-= Inxi =-
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  • 3 semaines après...
[b]J’avais décidé de prendre de l’avance, et ayant fini les chapitres XV et XVI il y a longtemps, j’ai voulu bouclé le chapitre XVII. Mais ça m’a pris beaucoup plus de temps que prévu. Pour éviter un trop grand retard, voici le chapitre XV désolé pour ce fort retard !. Sinon je n’ai pas compris vos interrogations sur le mort du chapitre précédent. En tout cas, si vous pensiez au roi Corylus, oui, il est bel et bien mort.[/b]


[u][center][b]Chapitre XV[/b][/center][/u]


[b]An 1377 du Quatrième Âge, Ostania, capitale de la bande de Djiane[/b]

Silya ferma les yeux quelques secondes, essayant de rassembler ses pensées dans son esprit engourdi par la chaleur. Après les évènements de Korih, elle avait rejoint la princesse Nærisa. Accompagnées d’une forte escorte, les deux femmes s’étaient rendues sous bannière diplomatique vers la Bande de Djiane et sa capitale, Ostania, pour rencontrer le roi Corylus. Elle releva sur elle son masque de toile beige, et vit du coin de l’œil que Nærisa faisait de même avec le voile couleur sable qu’elle portait. Après le climat océanique, mais doux, de Céläastra, l’atmosphère brûlante de ce pays et de cette ville les faisait suffoquer. Leur petite troupe montée passa sous une grande arche au-dessus de laquelle se dressait un corbeau aux ailes déployées. Certains badauds furent écartés du passage par les quelques soldats de Nærisa. La relation de Silya avec la princesse avait évoluée pendant le voyage vers Ostania. L’elfe avait été apparemment impressionnée par la loyauté et les capacités martiales de l’alizéenne, que Séïren avait détaillées dans son rapport suite aux évènements de Korih. Silya soupçonnait d’ailleurs la reine de l’avoir envoyée dans la cité-état à la fois pour protéger sa cousine et pour tester sa loyauté, dans une situation où il lui faudrait peut-être se mettre en danger pour Séïren. Quoiqu’il en soit, Nærisa la traitait désormais avec respect et préférait la garder auprès d’elle en terrain hostile.

En entrant dans la cité, Silya eut une impression étrange. L’atmosphère semblait tendue, comme si un siège était imminent. Instinctivement, elle se rapprocha de Nærisa et posa ses mains sur les pommeaux de ses épées. Dans les rues aux alentours, des passants criaient. Elle remarqua qu’en sens inverse, plusieurs familles désiraient quitter la ville par les portes. Mais ce furent surtout les soldats en patrouilles qui attirèrent l’œil de Silya. Lorsqu’elle était Haute-Reine, elle n’avait jamais mis les pieds dans le royaume Lagoride. Plutôt que de s’occuper de commerce avec les Grands-Rois, Silya avait préféré consolider sa position et sa puissance régionale. Elle avait tout de même étudié les coutumes de ce royaume, pour notamment estimer la puissance de leurs armées et leurs tactiques militaires. Elle avait surtout découvert que les tensions internes étaient ici plus dangereuses que les attaques extérieures, qui soudaient plutôt les différentes régions contre un ennemi commun. Silya se rappela vaguement que la Bande de Djiane, était l’une des plus petites régions, mais que son armée était extrêmement bien entraînée. C’était avec son appui que la famille régnante aujourd’hui à Djiane était arrivée au pouvoir. Lorsque Nærisa avait expliqué tout cela à sa garde du corps, Silya avait fait mine de découvrir ces informations, pour éviter de dévoiler ses connaissances. Parmi les soldats présents autour d’elle dans les rues, l’ancienne reine reconnue les blasons et les armures lourdes de la cavalerie de Djiane. Ils n’étaient pas les plus nombreux néanmoins, et d’autres se mêlaient à eux. Plusieurs soldats d’infanterie discutaient à voix basse dans un coin, et une demi-douzaine d’entre eux étaient en faction devant la devanture d’une taverne de luxe. Silya estima qu’il devait se tenir ici une réunion de gradés. Avec appréhension, elle remarqua le bruit caractéristique de sabots ferrés venu probablement des ruelles adjacentes. Se retournant, elle vit que deux cavaliers les suivaient. Elle chuchota à l’oreille de la princesse :

- Plusieurs cavaliers sont en train de nous encercler. Moins nombreux que nous, je pense.

- Peut-être le roi veut-il nous offrir une escorte ? répondit Nærisa. Quoi de plus normal pour une princesse étrangère ?

[i]En effet[/i], pensa Silya. [i]Mais assez étrange comme escorte dans ce cas.[/i] Cela ne fit que renforcer l’impression de tension qu’elle sentait dans l’air. Que Nærisa ne s’en aperçoive pas, cela n’avait rien d’étonnant. Elle était bien plus habituée aux salles de conseil et à la vie de cour qu’aux guerres et aux champs de bataille. Evidemment, Nærisa était accompagnée de « l’Escadron Bleu », composé de cinquante des meilleurs gardes royaux, formés au maniement de différent type d’armes et destinés à accompagner les membres de la famille royale où leurs représentants à l’étranger. Et en dernier recours, il restait elle, Silya, bien sûr. Une attaque contre la princesse était très improbable, mais l’ancienne reine ne pouvait contenir son malaise. Au milieu de la rue, barrant le passage à leur troupe, un homme, richement vêtu, aux longs cheveux blonds tirés en chignons et flanqué de douze chevaliers en armure complète les attendait. Arrivée devant eux, Nærisa s’arrêta. Le chef porta deux doigts à son front et s’inclina profondément devant la princesse, qui resta droite. Derrière eux, les deux cavaliers avaient été rejoint par cinq autres et sur chaque côtés, Silya vit une petite quinzaine de soldats monter se positionner sur leurs flancs. Elle faillit dégainer avant de voir le chef s’avancer.

- Bonjour princesse Nærisa dit-il. Je suis le chevalier-général Esteban Draguius. C’est un honneur pour moi de vous escorter jusqu’au palais.

Il avait un accent prononcé. Il appuyait fortement le « sa » de « Nærisa ». Néanmoins, Silya se rappela que le titre de « chevalier-général » n’était donné qu’aux chefs suprêmes de la cavalerie lourde de Djiane. Envoyer un tel gradé pour servir d’escorte n’était qu’une nouvelle étrangeté.

- Que signifie cet encerclement ? demanda Nærisa. Pourquoi ne pas m’avoir accueilli aux abords de la ville ?

- Nous étions retenus au palais, pour un entretien avec la Reine Malvace.

- Je vous remercie. Quand est-il du Roi Corylus ? Il devait nous recevoir sous peu…

- La situation vous sera expliquée à votre arrivée au palais, princesse, précisa Esteban Draguius. Veuillez me pardonner pour ce manque de cérémonie, mais il nous faut gagner le palais au plus vite, pour vous entretenir avec la reine.

[i]Le roi est mort[/i], songea Silya. D’autres explications étaient possibles, qu’il soit indisposé, malade, retardé. Mais le malaise de Silya grandissait, et il lui paraissait évident que Corylus était mort. La tension dans la ville s’expliquait tout d’un coup. Néanmoins, autour d’elle, ni les soldats, qui restaient impassibles, ni la princesse Nærisa, ne semblaient avoir deviné cette possibilité. Silya garda donc le silence, espérant tout de même se tromper. La troupe suivit Esteban Draguius dans la grand-rue d’Ostania. Au bout de quelques minutes ils arrivèrent aux portes du palais royal. Trois gardes en armures s’échinèrent sur les portes en bois d’olivier jusqu’à réussirent à les ouvrir. Silya réfléchit un instant en regardant ces hommes. Lorsqu’elle était Haute-Reine, elle ne prenait à peine garde aux petites mains construisant le quotidien des souverains. Maintenant qu’elle se trouvait plus proche d’eux, elle appréciait leur acharnement à bien faire. [i]Serait-ce la malédiction des rois ? [/i]se demanda-t-elle. Cette réflexion semblait facile, tout droit sorti d’un conte de fée, néanmoins, elle ne pouvait s’empêcher d’y penser. La troupe s’avança vers un grand bâtiment de marbre gris. Il ressemblait aux châteaux qu’elle avait l’habitude de voir lorsqu’elle gouvernait. A la différence qu’il était en marbre gris et étendu non pas sur des étages, mais dans un étalage de pièces sur le sol, avec un unique donjon rond en son centre. Ils pénétrèrent à cheval dans une cour pavée, puis le « chevalier-général » mit pied à terre et fit signe aux autres de faire de même. Ils obtempérèrent. Silya vit Nærisa faire de même et l’imita. Avec automatisme, elle se glissa derrière la princesse et posa ses mains sur les pommeaux de ses sabres. Esteban fit un geste de la main, puis donna quelques ordres et ses hommes se dispersèrent, partant aux quatre coins de la ville. Esteban les conduisit dans la cour, puis au travers différentes salles du palais. Ils traversèrent un espace rempli de tapisseries représentant de multiples guerriers aux regards furieux, certains ayant les mains brillantes. Ils continuèrent leur chemin à travers un couloir dont la traversée parut interminable à l’ancienne reine. A la suite de cela, elle pénétra dans la vaste salle du trône. Il s’y dressait un grand siège dont le dossier, immense, montait sur près de neuf pieds. De superbes sculptures émaillaient la vue de Silya, dans cette salle, tout n’était que corbeaux de marbre noir, magnifiques à contempler. Assise sur le trône une jeune femme toisait l’assemblée. Silya fut surprise de voir des cheveux très blancs parsemés de fils noirs sur le visage juvénile de la reine. Elle ne devait pas avoir plus de dix-huit ans. Sa peau était également bien plus blanche que celle de Silya, qui se trouvait déjà pâle par rapport à la plupart des habitants de la Bande de Djiane qu’elle avait rencontrés. Malgré la distance qui les séparait, lorsque la reine croisa son regard, Silya distingua ses profonds yeux bleu pâle. Habillée d’une robe noire légère qui dénudait son ventre et ses épaules, Malvace portait un tatouage au-dessus de la hanche gauche. En plissant les yeux, Silya vit qu’il s’agissait d’un scorpion noir courant sur un couteau à large lame. Elle se leva, et d’un geste congédia ses gardes. Ne restèrent dans la pièce que Nærisa, Esteban Draguius Silya, et un homme gigantesque au gros ventre, vêtu d’une simple tunique de lin blanche. Il portait une grande et large épée en travers du dos, et deux bracelets de fer noir. Après avoir posé un genou à terre, Esteban vient se placer près du trône, et la reine se leva.

- C’est un honneur pour moi de vous recevoir, princesse Nærisa, dit-elle en s’avançant vers elle.

- Bien sûr, votre majesté, répondit Nærisa en s’inclinant, aussitôt imitée par Silya et Malvace. C’est un plaisir de me tenir devant vous. Le Roi Corylus est-il souffrant ?

- Princesse, continua Malvace, j’ai le regret de vous annoncer que mon bien aimé Corylus est mort il y a quelques jours.

- Je suis désolée de l’apprendre majesté, lui-dit la princesse. Je partage votre deuil, le Roi Corylus était un brave souverain, puissant et courageux. La Reine Ivawen ma sœur aurait été fière de le compter parmi ses alliés.

- Je suis flatté de l’apprendre, princesse Nærisa, souffla doucement Malvace. Si vous le voulez bien, j’évoquerais avec vous, pour mon frère, le roi Oscim, les termes de notre possible alliance. Il me faut pour cela m’assurer pouvoir parler avec vous en toute sérénité.

- N’ayez crainte, dit Nærisa, ma garde du corps, Silya Ayen, a mon entière confiance, vous pouvez parler sans tabou.

[i]Ah ![/i] se dit Silya. [i]Votre entière confiance, Nærisa ? Voilà qui me flatte.[/i] Elle resta tout du moins stoïque, les mains sur les pommeaux de ses armes, mimant la parfaite garde du corps.

- Très bien, glissa Malvace. Malheureusement, j’ai bien peur que mon mari n’ait été assassiné alors qu’il se trouvait à Betula pour plaider la cause des sorgosiens et d’une paix séparée. Le Grand-Roi nous a renvoyé son corps mutilé sans la moindre explication. Son esclave orc qui lui servait de garde du corps a également été tué de manière très violente. Nous les avons inhumés il y peu. J’exerce à présent la régence pour le nouveau Roi Oscim, selon les désirs de mon défunt mari.

- Altesse, dit Nærisa, qu’est-ce que cela signifie ? Un régicide réclame vengeance ! Nous avons croisé de nombreux soldats en arrivant. Préparez-vous une guerre ?

- Princesse, répondit la reine, mon frère le roi à sept ans, et je ne désire pas mettre sa vie en danger. J’ai fait venir une garnison à Ostania car je crains des troubles suite à la mort du roi. Trois émeutes ont éclaté en ville la semaine dernière.

- Que prévoyez-vous de faire vis-à-vis de Sorgoz ? demanda Nærisa.

- Je suis moins belliqueuse que ne l’était mon mari. Je me suis intéressée au problème. Cette guerre est une erreur, elle n’apporte rien à part des massacres. Les sorgosiens n’ont pas de terres à proprement parler, et il n’y a aucun intérêt à conquérir un désert. Néanmoins, je ne peux défier ouvertement le Grand-Roi. Pas maintenant, il me faut faire régner l’ordre à Djiane et veiller à la sécurité de mon frère.

- Ma sœur la Reine Ivawen, proposa Nærisa, est en mesure d’accueillir le jeune roi Oscim au sein de sa cour à Céläastra. Ce sera un honneur pour nous.

- La générosité de votre sœur me touche, princesse, mais il me faut également parfaire l’éducation d’Oscim. J’ai peur qu’il ne se sente perdu sans moi.

- Vous ne vous engagerez donc pas militairement à nos côtés ?

- J’ai bien peur que non, souffla Malvace. Si Corylus était toujours en vie, la situation serait différente, mais vu la tournure que prennent les évènements… Je crains que sa perte soit d’autant plus lourde pour Djiane.

- Et que comptez-vous faire pour apporter la justice suite à la mort de Corylus ? s’enquit la princesse, que Silya devinait déçue.

- Une fois l’ordre rétabli et la sécurité assurée dans mon royaume, je demanderai des explications au Grand-Roi, ainsi que réparations. Comme il se doit.

- Comme il se doit, répéta Nærisa. Comment comptez-vous vous y prendre ?

- Vous comprendrez que je ne peux vous dévoiler mes plans…

- Vous comprendrez également, je pense, qu’étant donné la tournure des évènements il nous sera difficile de vous appuyer militairement, si le Grand-Roi décide d’envahir la Bande ?

- Je n’ai rien demandé, dit Malvace. Je suis désolée de ne pouvoir conclure d’accord avec Céläastra, mais il me faut assurer en premier lieu l’ordre au sein de mon royaume. Mais je vous prie d’accepter de vous joindre à moi pour le souper ce soir.

- Ce serait un honneur, Majesté, répondit Nærisa.

- Tout l’honneur est pour moi, princesse, sourit Malvace.

Sur ce les deux femmes s’inclinèrent en même temps et Malvace fit signe à son garde du corps de la suivre, puis quitta la pièce.

- Princesse, dit Esteban Draguius, je vous prie de me suivre. Je vais vous conduire à vos appartements, vous pourrez vous y reposer.

- Où se trouvent mes hommes ? demanda Nærisa.

- N’ayez crainte, nous les logerons décemment non loin du palais, afin qu’ils puissent rester à votre entière disposition

Nærisa le remercia d’un signe de tête, puis le suivit, Silya sur ses talons. L’ancienne reine marchait d’un pas vif et se demandait par la même occasion comment une telle situation était possible. Dans le royaume Alizé, si l’un des gouverneurs des provinces était tué, la réaction était immédiate et violente, pouvant aller jusqu’à la guerre civile. De plus, si l’un des rois était assassiné par le pouvoir central, comment les autres pouvaient rester sereins ? Toutes les lois fondamentales d’une monarchie semblaient ici brisées. Puis elle se souvînt du fait que la dynastie de Corylus n’était arrivée au pouvoir que récemment, et de manière violente. Les codes n’étaient réellement pas les mêmes. Le groupe sorti de la salle du trône, puis traversa un couloir et grimpa un escalier, pour finalement s’arrêter devant une porte. Esteban l’ouvrit, révélant un nouvel escalier, en colimaçon cette fois. Après l’avoir gravit, ils s’arrêtèrent devant une grande porte de bois ouvragée. Derrière se trouvait une vaste suite, ayant également une alcôve permettant à Silya de dormir.

- La reine enverra quelqu’un vous chercher pour le souper, princesse, dit Esteban. Excusez-moi, je dois désormais rejoindre mon état-major. J’espère que vous trouverez cet espace agréable.

Nærisa acquiesça. Esteban s’inclina et prit congé. La princesse ferma la porte. Silya vit que leurs effets personnels avaient été montés durant leur entretien avec la reine.

- Il me faut prendre un bain, dit Nærisa. Aide-moi à me déshabiller, Silya, je te prie.

La rigueur du voyage avait empêchée Nærisa d’emmener avec elle une suivante. Silya lui tenait donc lieu d’assistante dans ces situations. Elle s’exécuta et délassa le dos de la robe de la princesse. L’étoffe était lourde, adaptée au voyage en plein air. La robe chuta au sol et Nærisa se dirigea vers le cabinet de toilette situé dans une autre aile de la suite. Silya ramassa la robe et la déposa soigneusement sur le grand lit. [i]Et moi, je n’ai pas le droit d’avoir de l’aide pour retirer mon armure ?[/i] songea-t-elle. [i]Je suis reine également, bien que détrônée… [/i]Elle sourit toute seule. Partager son intimité avec Nærisa ne la dérangeait pas, elle avait été accompagnée de suivantes pendant toute sa jeunesse. Mais si elle n’avait aucun mal à protéger par les armes la princesse, il lui était un peu plus dur psychologiquement de lui servir de suivante. Elle chassa rapidement ces pensées. Cela n’avait pas la moindre importance. Elle n’aurait tout de même pas refusé de prendre un bain. Elle retira son armure. L’opération lui prit plusieurs minutes, et les pièces tombèrent une à une avec fracas sur le sol. Elle les disposa dans un coin, puis alla s’allonger sur le lit qui lui était destiné. Il était petit, et sobre, mais confortable, et après quelques jours de voyage, elle fut profondément soulagée et se détendit immédiatement. Soudainement, elle entendit la voix lointaine de Nærisa qui l’appelait. Elle tenta de se concentrer sur autre chose, mais la voix retentie à nouveau, plus fort. Silya ouvrit les yeux et compris qu’elle s’était endormie sans s’en rendre compte. Elle se leva en grognant, puis s’approcha de la porte du cabinet de toilette. La princesse en sorti à peine vêtue et fit signe à sa garde du corps. Obéissante, Silya attrapa une robe verte légère dans la garde-robe princière, et aida sa protégée à s’habiller. Elle ajusta les manches aux épaules, lissa les plis, donna un peu de volume à la jupe, lassa le dos, répétant des gestes qu’elle avait consciencieusement appris. Elle n’arrivait par contre jamais à coiffer correctement les boucles rouges de sa compagne, et les résultats qu’elle obtenait étaient généralement désastreux. Elle avait toujours privilégié pour elle-même des coiffures simples à la guerrière, et s’était toujours faite aider pour former des choses complexes avec ses cheveux châtains. Nærisa sembla avoir pitié d’elle ce soir et ne lui imposa pas cet exercice. Elle laissa ses cheveux tomber sur ses épaules et onduler autour de sa tête. En voyant les boucles s’épancher près du corsage de la princesse, Silya la trouva charmante, et le lui fit remarquer avec un sourire. Immédiatement après, elle regretta cette parole osée. Mais Nærisa préféra lui rendre son sourire.

- Va prendre un bain également, tu empestes ! lui dit-elle.

Un peu surprise, Silya accepta l’offre, et, après avoir ramassé quelques affaires personnelles pour se changer, elle se dirigea vers la salle de bain. Elle ferma la porte. Deux grands bacs avaient été remplis par des serviteurs – ou des esclaves – d’eau chaude. Nærisa en avait utilisé un. Silya se déshabilla et entra dans le second. L’eau chaude lui fit du bien et elle eut l’impression de sentir les pores de sa peau se dilater un à un. Avec un soupire d’extase elle se détendit un peu plus et resta allongée un long moment. Elle s’immergea ensuite totalement, trempant intégralement ses cheveux, qu’elle vit flotter autour d’elle, dans la clarté fantomatique de l’eau. Elle ressorti la tête. Ses yeux piquaient, incrustés de la poussière du voyage. Elle se leva et saisit le nécessaire de toilette posé à côté de la baignoire. Elle se savonna plusieurs fois, désireuse d’être la plus propre possible. Elle se lava également les cheveux consciencieusement, plus replongea dans l’eau légèrement noircie de crasse. Elle se releva, et, debout, se senti un peu fatiguée. Elle saisit alors un bassinet d’eau froide et se le reversa sur la tête. La douche glacée lui éclaircit les idées. Elle sorti de l’eau et se sécha avec soin. Elle attrapa ensuite ses vêtements et s’habilla. Elle portait désormais des tenues masculines, qui lui permettaient de se vêtir toute seule. Et passa des chausses de coton et de lin, puis un haut léger en soie. La tenue était noire et unie. Elle n’avait bien sûr rien à voir avec les belles robes de soie dont elle se paraît lorsqu’elle était reine, mais cela lui fit de bien de ne plus sentir le poids constant de son armure sur ses épaules. Aux pieds, elle mit des sandales ouvertes, et alla même jusqu’à sertir une bague d’argent et d’améthyste à l’auriculaire droit. Elle avait acheté ce bijou et ces vêtements avec sa solde, bien qu’elle doutait jusqu’à présent de pouvoir les porter un jour librement. Avisant le parfum à la violette de Nærisa, elle eut envie d’en porter. Mais elle renonça au moment de toucher le flacon. Ce serait un manque de respect envers la princesse que de lui emprunter son parfum. Elle sorti donc de la pièce.

- Silya, lui dit Nærisa en la voyant arriver, tu ressemblerais presque à une Dame, ainsi vêtue. Presque, parce qu’une Dame sait créer une coiffure convenable.

Silya fit la grimace.

- Oh, ne fais pas cette tête-là ! J’ai fait nettoyer ton armure, elle devrait être prête sous peu. Maintenant viens t’asseoir près de moi, je vais te coiffer.

- Princesse, je ne sais pas si c’est bien convenable, je ne suis qu’une vulgaire garde du corps, commença l’ancienne reine.

- Premièrement, tu n’es pas [i]qu’une vulgaire garde du corps[/i], grinça Nærisa, tu es ma garde du corps personnelle. Deuxièmement, je ne t’ai pas demandé ton avis.

Silya obtempéra. Elle avait remarqué que la princesse n’aimait pas qu’on la contredise, ou qu’on lui désobéisse. Elle s’assit donc sur le lit et attendit que Nærisa s’approche. Elle commença par saisir une brosse pour démêler sa tignasse châtain et blanche. La princesse prit ensuite dans ses mains une grosse mèche de cheveux, puis la scinda en trois en fit une tresse.

- Vous êtes contrariée par l’inaction de la reine Malvace, princesse ? s’enquit Silya.

- Evidemment, dit Nærisa. Elle nous met dans une situation délicate. Mais je ne pense pas qu’elle joindra ses troupes à celles du Grand-Roi contre les sorgosiens. Ce qui nous donne un avantage.

[i]Évidemment[/i], voulu répondre Silya. [i]Cette femme est morte de peur à l’idée d’engager une guerre contre son suzerain. Elle craint bien trop pour sa propre place.[/i] L’alizéenne avait senti le trouble de Malvace durant l’audience. Elle fit la grimace alors que Nærisa lui tirait un peu les cheveux.

- Arrête de faire cette tête-là, lui intima la princesse. Tu deviens laide !

L’ancienne reine ne répondit rien. Elle se trouvait laide depuis le début de son exil, de toute façon. Laide, mais plus libre. Et plus triste. Une autre question la taraudait :

- Pourquoi Malvace a appelé le roi Oscim « mon frère », durant tout l’entretien ? Je pensais qu’il était le frère de feu le Roi Corylus ?

- Eh bien, c’est simple, expliqua Nærisa. Le père de Corylus, une fois veuf a dû se remarier pour tenter de perpétrer sa lignée. Il devait également pouvoir son fils d’une épouse. A l’époque, Dame Ernésta, une cousine du duc de Vâan, une province du nord du Royaume Lagoride, venait de perdre son mari. Elle était encore en état d’enfanter, et avait de son premier mariage une jeune fille de onze ans, Malvace. Le père de Corylus a donc pris Ernésta pour femme, et fiancé son fils à Malvace, qui l’a épousée cinq ans plus tard. De cette première union est né le petit Oscim, qui est donc le demi-frère à la fois de Malvace et de Corylus.

- Très bien, dit Silya, mais…aïe ! Pardonnez-moi, princesse, vous m’avez fait mal.

- Tu as les cheveux trop raides…

- Mais à la suite de ce double mariage, une alliance n’aurait pas dû être conclue entre les deux territoires ? demanda Silya. Qu’en est-il aujourd’hui ?

- Tu es trop curieuse pour une garde du corps, Silya.

- Désolée, princesse, une vie sur les champs de bataille me fait parfois oublier où est ma place.

- En effet. Mais qu’importe, ce n’est pas un secret d’état. Ernésta est morte en donnant naissance à Oscim. Cela a tendu les relations entre les deux royaumes. De plus l’actuel duc de Vâan n’a jamais apprécié Corylus. Enfin, il a subi plusieurs raides de Sorgoz, tu peux imaginer que la position du défunt roi concernant les sorgosiens n’ai pas été au goût du duc.

Nærisa avait achevé de coiffer Silya. Elle lui montra un miroir du doigt. Elle avait attaché ses cheveux en tresses, puis les avaient ramenées en trois boucles fixées sous sa nuque. Deux autres nattes étaient fermement fixées au cuir chevelu sur les tempes et derrière les oreilles. Le tout alliait élégance et praticité au combat. Elle sourit à la princesse, heureuse du résultat et s’inclina. Pendant un instant, elle eut peur d’avoir vexé Nærisa, mais celle-ci ne semblait pas accorder de réelle importance à sa curiosité. Silya se doutait tout de même que son rappel à l’ordre n’était pas anodin. Quelqu’un frappa alors à la porte. L’ancienne reine alla ouvrir et accueillit Esteban Draguius et un autre serviteur.

- Bonsoir, dit-il un peu sèchement, la reine régente prie la princesse Nærisa de bien vouloir venir souper avec elle. Je suis chargé de lui servir d‘escorte personnelle. Nous nous sommes également occupés de nettoyer votre armure.

Il fit un geste et le serviteur qui l’accompagnait remit un lourd sac de toile à Silya.

- Très bien, répondit Nærisa qui s’était levée. Silya va m’accompagner également. Je préfèrerais savoir qu’elle se trouve non loin de moi.

- Comme vous voudrez, dit Esteban.

- Silya, pas besoin d’enfiler ton armure, prend tes épées, ne faisons pas attendre la reine.

L’alizéenne obtempéra, mais revêtit tout de même ses brassards d’acier ornés de la rose-des-vents d’Ivawen. Elle sorti ensuite à la suite de la princesse.


Nærisa était attablée en face de la reine Malvace depuis un petit moment déjà. Elles se trouvaient dans un petit salon et dégustaient un plat composé de grenouilles aux herbes très épicées, accompagné d’une liqueur sucrée, que Nærisa trouvait trop forte. Dans un coin de la pièce se tenait un jeune homme à la peau noire, vêtu légèrement et possédant les mêmes brassards que le guerrier géant de la salle du trône. Il servait les plats et ne parlait jamais. Les deux femmes avaient jusqu’alors surtout parlé de politique, la princesse évoquant de possibles alliances avec les seigneurs des cités-états de l’Œil, mais Malvace n’y répondait qu’évasivement. La reine semblait fatiguée et, chose qu’elle s’était efforcée de cacher durant l’audience dans la salle du trône, plutôt triste.

- Vous l’aimiez, n’est-ce pas, Majesté ? demanda Nærisa.

- Oh oui, répondit la reine. Même si je ne pense pas que se fut réciproque. Vous êtes mariée, princesse ?

- Bientôt, selon les désirs de ma sœur…

- Ça n’a pas l’air de vous enchanter, sourit Malvace.

- Je ne le connais pas, soupira Nærisa, mais qu’importe. Altesse, qui est ce jeune homme dans le coin ?

- Il s’agit de Sû, mon esclave de lit, expliqua la reine. Et au cas où vous poseriez la question, oui, il est originaire de Sorgoz.

- Un esclave de lit ? s’étonna Nærisa. Pardonnez mon manque de connaissances, mais est-ce bien normal, pour l’épouse d’un roi ?

- Oh, répondit Malvace, et bien, en principe non. Mais Sû est différent, il est stérile. Il est né ainsi. Cela ne présente donc pas de risque de, hum, disons de bâtardise. C’est d’ailleurs un cadeau de Corylus. Mon mari étant souvent en déplacement, il avait peur que je me sente seule. Il m’a emmené au marché d’Ostania, afin que je choisisse moi-même l’homme que je trouverais le plus à mon goût. Ce fut un bon investissement.

Nærisa, bien que choquée par le ton léger de Malvace, fit de son mieux pour rester de marbre. A Céläastra, l’esclavagisme était passible de peine de mort. Si la victime était un elfe, l’esclavagiste était souvent mutilé en place publique, puis empalé. Mais la régente trouvait apparemment cette pratique tout à fait banale et la princesse préféra éviter une quelconque remarque pour ne pas la blesser. Par ailleurs, le dénommé Sû ne semblait pas malheureux de sa condition. D’une pièce voisine un petit gémissement se fit entendre. Malvace posa ses couverts immédiatement, s’excusa et se leva. Elle alla ouvrir une porte et laissa Nærisa seule pendant de longues minutes. La princesse l’entendit parler à voix basse, mais ne put comprendre ce qu’elle disait. Elle revînt un peu plus tard, et se rassit.

- Le roi a fait un cauchemar, explica-t-elle.

Nærisa sourit. Lors de l’entretien, la princesse n’avait pas spécialement apprécié la reine. Mais désormais, elle se sentait bien avec la jeune femme. Malvace lui rappelait par certains côtés Séïren. Jeune, il lui arrivait de manquer de confiance en elle, mais elle restait heureuse de vivre et maternelle.

- J’ai retiré à mon frère la plupart des esclaves qui s’occupaient de lui. Il ne lui reste que son précepteur, et deux vieilles femmes, pour son service quotidien. Mais je tiens à m’occuper personnellement de lui. Le soir, j’aime le réconforter moi-même quand il en a besoin.

- Je comprends, dit la princesse, je me suis occupée pendant un temps de ma cousine comme vous le faites. Mais je n’ai pas eu à l’éduquer, elle n’avait à l’époque que trois ou quatre ans.

- Vous n’avez pas d’enfants, Nærisa ?

- Je n’ai pas cette chance, répondit la princesse, étonnée que Malvace l’appelle par son prénom. Peut-être que mon futur mari pourra m’en donner…

A peine eut-elle finit sa phrase, que des bruits étranges se firent entendre à l’extérieur. Il semblait s’agir d’une dispute, un cri retentit, puis une voix grave lança :

- Personne ne doit déranger ! Ordres Malvace !

- Au diable tes ordres, rugit une voix féminine.

Nærisa reconnu le timbre de Silya. Une seconde plus tard la porte s’ouvrit violement et la guerrière entra, suivit par le gigantesque esclave qui servait de garde du corps à Malvace.

- Des combats font rage au rez-de-chaussée, Altesse, s’écria Silya.

- Comment le sais-tu ? s’enquit la régente, tu es restée devant la porte.

- La guerrière maigrichonne dit vrai, Malvace. On a entendu métal contre métal en bas.

Malvace bondit vers une fenêtre qui donnait sur la cour intérieure du palais et l’ouvrit en grand. Nærisa se pencha par l’ouverture. Au début elle ne distingua que des bruits éloignés. Puis trois hommes sortirent dans la cour, torches à la main. Un cavalier les suivit, puis, après un bref échange de voix violent, fut jeté à bas de son cheval et poignardé.

- Ils viennent pour mon frère ! cria la reine. Ils viennent pour mon petit frère !

- Calmez-vous majesté, dit Nærisa, rien n’indique que sa vie ne soit en danger. Mais je pense qu’il nous faut tout de même tenter de quitter le palais pour nous mettre à l’abri.

Malvace acquiesça. Elle se précipita dans la chambre de l’enfant et en ressorti dix secondes plus tard en le portant dans ses bras. Elle fourra dans les mains de Sû qui s’était rapproché une large couronne d’or, sur laquelle un serpent aux yeux de saphir était sculpté, ainsi qu’un diadème plus petit, en or également, où un dard de scorpion et une tête de corbeau étaient sculptés. Elle fit signe au groupe et les conduisit dans sa chambre. Elle arracha une tapisserie tendue sur un mur, révélant une porte d’acier fermée par un loquet et un cadenas. Une fois ouverte, un escalier en colimaçon leur apparut. Son garde du corps la précéda, puis elle dévala les marches. Nærisa la suivit, Sû et Silya sur ses talons. Le petit groupe déboucha au bout de plusieurs minutes dans un couloir sombre, assez large pour laisser passer deux hommes de front.

- Nous voilà dans les fondations du palais, dit Malvace. Suivez-moi, ce passage est peu connu et nous permettra de quitter le château.

- Que ce passe-t-il, Altesse ? demanda Nærisa. Vous pensez à un coup d’état ?

- Oui, répondit simplement la reine.

Elle continua son avancée à grands pas dans le couloir, suivie par les autres. Ils bifurquèrent à angle droit puis le chemin se scinda en trois couloirs. Malvace continua tout droit, connaissant apparemment par cœur le chemin. Nærisa entendit alors des pas précipités sur la droite. Silya s’avança, armes brandies, suivi de près par le garde du corps de la reine, qui semblait s’appeler « Scour ». Nærisa eut le temps de se demander si les esclaves conservaient leurs noms d’origine ou si leurs propriétaires les rebaptisaient avant de devoir se mettre à l’abri. Deux hommes en armures s’avançaient, épées en main.

- Votre Grâce, dit le premier, vous êtes en état d’arrestation pour rébellion contre le Grand-Roi. Ordres du lieutenant-général Syna.

- Je ne suis rebelle à personne, cria la reine, dont la voix tremblait légèrement. Et à moins que vous ne nous emmeniez de force, le roi et moi-même, nous n’irons nulle part ! Prenez-le et veillez sur lui, dit-elle à Nærisa en lui remettant son frère.

Etonnée, Nærisa prit l’enfant dans ses bras et plaqua sa tête contre elle. Pendant que Scour et Silya avançaient vers l’ennemi, la régente prononça une phrase incompréhensible et se mit à danser. Incrédule, Nærisa resta bouche-bée devant le spectacle. Elle remarqua néanmoins trois autres soldats arrivant au pas de course. Silya poignarda son adversaire. Même dépourvue d’armure elle restait redoutable. La chemise blanche de Scour était à présent maculée de sang, mais il s’agissait de celui du soldat qu’il venait de décapiter. Les deux gardes se tournèrent vers les nouveaux arrivants, mais n’eurent pas le temps d’agir. Malvace joignit ses mains au-dessus de sa tête, puis les entendit devant elle. Trois pointes d’un pied de long, très effilées, d’un étrange bleu fantomatique fusèrent. L’une se ficha dans le ventre du soldat le plus proche, une deuxième transperça le crâne d’un autre, entre ses deux yeux, et la dernière atteignit le troisième en plein cœur. Son armure le protégea et l’impact ne fut pas fatal, mais il tomba tout de même à la renverse, saignant abondamment. Cette prestation avait impressionnée Nærisa. Néanmoins elle put remarquer que six autres soldats, alertés par les cris de leurs camarades, couraient vers eux. La princesse analysa rapidement la situation. Si ces derniers attaquants avaient mis tant de temps à venir au secours de leurs camarades, c’était probablement qu’ils avaient pris le temps d’appeler du renfort. La priorité était donc d’éviter l’arrivée de nouvelles troupes. Elle se tourna vers la reine :

- Pouvez-vous bloquer ce passage avec votre sorcellerie ?

- Oui, répondit Malvace dont le front était en sueur. Mais cela risque de prendre un peu de temps.

- Silya ! cria Nærisa, retient les encore quelques instants.

Tandis que Malvace se mettait à psalmodier dans une langue incompréhensible tout en dansant, la guerrière se jeta dans la mêlée. Le premier adversaire tenta de l’atteindre au cou mais elle se baissa et plongea ses deux lames dans sa poitrine. Moribond, il eut le réflexe de s’agripper à l’une des épées, si bien que Silya ne put la retirer. Le laissant choir au sol, elle se prépara à affronter l’adversaire suivant. C’était un jeune soldat armé d’une épée et d’un bouclier. Il s’élança et bloqua l’attaque de Silya de son bouclier. Il la percuta alors et la guerrière recula de plusieurs pas. D’un coup de bouclier, il envoya la deuxième épée de la guerrière à plusieurs pas d’elle. Elle bondit en arrière pour éviter un coup mais fut touchée à la poitrine. Elle cria alors qu’une entaille sanglante apparaissait sur son sein gauche. Malgré tout, elle put se ressaisir et plonger en avant, sous la lame de son ennemi. Nærisa observait, pétrifiée, serrant toujours Oscim contre elle. Silya effectua une roulade et se releva sur un genou. Elle leva alors les bras et bloqua l’arme avec ses brassards d’acier. Elle saisit ensuite le poignet qui tenait l’épée, envoya un formidable coup de genou dans les parties de son adversaire et le plaqua contre le mur. Elle posa sa main droite sur la tempe du jeune soldat ivre de douleur et écrasa sa tête sur la pierre, elle réitéra le mouvement et un craquement se fit entendre lorsque sa nuque se brisa. Derrière elle, Scour avait empalé sur son estramaçon le premier soldat qui avait croisé sa route et achevait d’étrangler le second. Les deux derniers soldats restaient figés, de peur de s’attaquer aux gardes du corps. Silya en profita pour récupérer ses sabres et se ruer sur eux. Le premier tenta une attaque, mais sa lame fut détournée immédiatement. La guerrière le fit reculer sur dix pieds, puis parvînt à le toucher au genou et à le décapiter. Le dernier, qui n’avait pu percer sa garde, lâcha son arme et s’enfuit à toute allure. Malvace joignit alors les mains au niveau de ses yeux, puis les plaqua sur le mur le plus proche, qui fut parcouru d’une lueur blanc-bleue. Un gros bloc de ce qui semblait être de la glace se forma rapidement au milieu du tunnel, bouchant le passage. Scour et Silya tranchèrent la gorge des mourants, puis rejoignirent leurs protégées. Dans les bras de Nærisa, Oscim s’était mis à crier. La princesse lui caressa les cheveux et lui murmura quelques mots en langage elfique. Il cessa de crier, mais se mit à pleurer. Malvace le reprit dans ses bras et parvînt à le calmer. Scour prit la tête de leur troupe et ils se mirent à courir, entendant des bruits de pas tout proche.

- Venez, s’écria la reine en faisant tourner Scour à droite. Ce tunnel débouche dans l’avant-poste est de la cité, où nous retrouverons Esteban Draguius.

- Êtes-vous sûr qu’il vous est fidèle ? s’inquiéta Nærisa.

La reine acquiesça et courut de plus belle. Les autres la suivirent, Nærisa jetant fréquemment des regards derrière elle. Au bout d’un certain temps ils se retrouvèrent devant une volée de marches qu’ils grimpèrent quatre à quatre jusqu’à une porte minuscule, qui ressemblait plus à une trappe murale. Scour l’ouvrit d’un coup sec et s’élança à l’extérieur, l’arme prête. Il leur cria que la voix était libre, et Malvace sortit également, bientôt suivit du groupe entier. Scour s’empressa de refermer la porte, et saisit l’énorme barre de bois posée à côté pour en sceller l’accès. Ils se trouvaient au sous-sol d’un grand bâtiment. La reine traversa la pièce et s’engouffra dans un escalier étroit. Nærisa fit de même, Silya, les armes toujours sorties, derrière elle. Ils débouchèrent dans une grande salle à manger où se trouvaient plusieurs hommes en armures complète, dont Esteban Draguius.

- Majesté, dit ce dernier. Ne vous voyant arriver, nous craignions pour votre vie et voulions partir à votre recherche. Les hommes de Syna sont arrivés du sud et se sont emparés d’une partie de la ville en début de soirée. Il a massacré le détachement que j’avais laissé au palais. Le seul survivant m’a fait le récit de l’attaque. L’infanterie a également encerclé ma cohorte de cavalerie dans le Fortin de Corylus, en dehors de la ville, ils résistent, mais ne tiendront pas longtemps.

- Sale traitre ! rugit Malvace. Je le ferai brûler à petit feu, et je laisserai pourrir son cadavre !

- Sauf votre respect, Altesse, reprit le chevalier, nous devons sortir le roi d’ici.

- Oui, oui, mon petit frère, s’écria-t-elle d’une voix aigüe en le serrant contre elle. Oui, vous avez raison. Esteban, y a-t-il une issue que Syna n’a pas bouchée ?

- Aucune, Majesté, mais la porte nord-ouest est la moins gardée.

- C’est à l’autre bout de la ville…

- Et qu’en est-il de l’Escadron Bleu ? s’enquit Nærisa. Mon escorte ?

- Ils ont été fait prisonniers dans le Fortin du Désert, non loin d’ici. De ce que l’on m’a rapporté, ils sont désarmés et gardés par une vingtaine d’hommes, mais aucun mal ne devrait leur être fait.

- Comment se fait-il qu’ils n’aient pas attaqué ici ? demanda Nærisa

- Parce qu’il ignore qu’Esteban se trouve dans cet avant-poste, répondit Malvace. Ils ne voient sûrement pas l’intérêt d’attaquer un avant-poste mineur, ce n’est sûrement pas le seul dans ce cas.

- Vous vous doutiez qu’une telle attaque aurait lieu, Altesse ?

- Bien sûr, mais pas aussi rapidement…, souffla la reine. De combien d’hommes disposez-vous Esteban ?

- Nous sommes vingt-huit, armés et montés.

- Bon, attaquer de front l’une des entrées avec si peu d’hommes serait du suicide. Mais Nærisa a souligné quelque chose d’important : si nous libérons les elfes, nous pourrons riposter. Esteban, prenez vint hommes et attaquez le Fortin du Désert. Les huit autres, partez avec Scour et libérez les elfes. Emportez un sac d’armes pour qu’ils puissent combattre de suite. Il est aussi important de libérer leurs chevaux. Revenez ici après.

- Je ne vous quitte pas, Malvace, protesta Scour.

- Tu n’as pas à discuter, esclave ! s’écria-t-elle.

Esteban et les autres soldats présents écarquillèrent les yeux. La reine leur jeta un regard noir et ils reprirent leurs préparatifs.

- Majesté, dit Nærisa, il faut que mes soldats comprennent la situation. Silya accompagnera Scour et la leur expliquera.

Malvace acquiesça, Silya de même. Esteban et une vingtaine d’autres soldats sortirent, puis enfourchèrent leurs chevaux. Les autres les suivirent à marche forcée et ils prirent la direction du Fortin du Désert. Malvace posa Oscim sur une chaise avec douceur et lui parla tendrement. Quand elle eut finit Nærisa lui demanda :

- Pourquoi Scour vous appelle-t-il par votre prénom ?

- C’est ainsi dans mon pays natal, expliqua la reine. Corylus m’a offert Scour en présent de mariage – entre autres choses. Il est compétent, mais les coutumes de Djiane ont eu une mauvaise influence sur lui. Ils traitent trop bien leurs esclaves, ils deviennent moins fidèles et plus désobéissant. Un esclave doit être une extension de la volonté de son maître. Enfin, j’ai épousé Djiane en épousant Corylus.

- Si nous parvenons à quitter la ville, que ferez-vous ? fit Nærisa qui, choquée par ce discours, désirait changer de sujet. Avez-vous des partisans à rejoindre ?

- J’ai demandé au père d’Esteban de masser le gros de la cavalerie au nord du pays, car je craignais une attaque par ici, une armée du Grand-Roi étant retranchée non loin. Mais entre Ostania et la cavalerie se trouve l’armée de Dguir, le frère de Syna. Nous ne pourrons les rejoindre. J’avais envoyé Syna au sud, mais ce bâtard a dû détourner ses troupes pour venir piller ma ville. Cela arrive fréquemment chez nous.

Elle s’affala dans un fauteuil proche, visiblement épuisée. Nærisa alla éteindre les quelques torches suspendues aux murs, laissant les flammes des bougies sur la table pour seule lumière. Les deux femmes attendirent sans prononcer un mot de plus. Au dehors des cris lointains retentissaient, et un grondement sourd se faisait entendre. Soudain des bruits de sabots se rapprochèrent. Malvace se concentra, et commença à danser. La porte s’ouvrit et Silya entra dans la pièce. La reine stoppa son incantation.

- Vite, dit la garde du corps – son cou saignait. Nous avons réussi à libérer l’Escadron Bleu et presque soixante-dix autres chevaliers d’Esteban prisonniers. A la porte sud-est, les troupes sont d’après Draguius les moins expérimentées. Nous allons vous y escorter et sortir. Si nous parvenons à sortir…

Les deux femmes se levèrent et la reine reprit son frère dans ses bras. Il s’accrocha à elle et les elles sortirent. Rapidement encerclées par leurs troupes, elles enfourchèrent les deux chevaux qu’on leur présentait et tous partirent au galop vers le sud. Arrivés devant les lourdes portes qui bloquaient l’accès, les cavaliers se déployèrent. Une cinquantaine de soldats bloquaient le passage. Nærisa vit Scour charger en tête, Esteban à ses côtés. Elle se demanda comment la simple tunique de l’esclave pouvait le protéger des piques que les soldats dardaient sur lui. Arrivé tout proche des ennemis, il sauta de son cheval et atterrit en roulant sur lui-même au milieu de la première ligne. Dégainant son estramaçon en un éclair il fendit un crâne avant que les soldats n’aient pu sortir leurs épées. De son côté, Silya avait également mis pied à terre. Elle ouvrit alors en grand son corsage et jeta un regard au soldat qui pointait sa pique vers sa poitrine. L’homme fut troublé et l’humaine se jeta en avant. Passant sous la lance elle dégaina ses sabres et lui trancha la gorge. Un instant plus tard un autre cadavre baignait dans le sang. De leur côté, les guerriers elfes s’étaient également mis en mouvement. Ils attaquèrent de front, en plein centre de la troupe. Esteban menait ses hommes vers l’aile droite du groupe ennemi. La première ligne fut submergée rapidement et les elfes se déployèrent en piétinant les cadavres. Esteban et ses hommes avaient percé les rangs adverses et se rapprochaient de plus en plus de la porte. Néanmoins, Nærisa ne sut dire qui de Scour ou de Silya faisait le plus de ravages. Les deux tailladaient de part et d’autres et l’esclave, dont la tunique était désormais rouge, semblait prit de folie meurtrière. Silya elle, paraissait évoluer dans un état second, voire dans un autre univers. Elle ne combattait pas, mais elle [i]dansait[/i]. La princesse comprit que l’humaine n’avait montré son talent ni lors du tournoi célébrant l’anniversaire d’Ivawen, ni à Korih. Ici, elle maîtrisait parfaitement le combat, et peu de choses avaient l’air de l’atteindre. Une fois que huit corps sans vie ou moribonds gisaient derrière elle, les trois soldats qui lui faisaient encore face jetèrent leurs armes et s’enfuir. Il restait une petite vingtaine de défenseurs encore debout devant la porte mais ils prirent la fuite quelques instants après leurs camarades. Les hommes et les elfes se précipitèrent pour ouvrirent les portes. Pendant toute la durée du combat, Malvace avait maintenu le visage d’Oscim contre elle et lui avait bouché les oreilles.

- Votre garde du corps combat à l’instinct, princesse, lui glissa la reine, et son instinct est excellent. Elle parfaitement en harmonie avec ses armes, c’est un véritable phénomène.

- Scour est également phénoménal, sourit la princesse.

- C’est différent, répondit mystérieusement la reine en partant au galop dans la nuit, son frère assit devant elle.

- Que faisons-nous, ma reine ? s’enquit Esteban qui la suivait, dont le bras gauche était tordu. Nous fonçons vers le sud ?

- Non, cria la régente. Vers le nord. Au Fortin de Corylus.

Et elle s’élança. Sa troupe la suivit battant les flancs des chevaux. Devant eux se dressait une petite forteresse assiégée par une multitude de soldats. Nærisa ne put les compter dans le noir, mais il lui sembla qu’ils étaient plusieurs centaines, voire un millier. [i]C’est de la folie,[/i] pensa-t-elle, [i]qu’espère-t-elle accomplir ?[/i] Néanmoins la reine galopait toujours, et ses hommes la suivaient toujours. Soudain elle s’arrêta. Nærisa stoppa son cheval près d’elle et la regarda. Malvace souleva Oscim et le déposa sur le cheval de Nærisa.

- Veillez sur lui. Empêchez-le d’assister à ce qui va suivre. Et amenez-le sous la protection de votre sœur s’il m’arrive malheur. Je vous fais confiance.

Nærisa acquiesça. [i]Tu me fais confiance alors que tu ne me connais que depuis quelques heures,[/i] voulu-t-elle répondre, mais elle se ravisa et serra le petit roi contre elle.

- Cavaliers, rugit la reine, en avant, pour votre roi !

Elle partit au galop vers le fortin, suivit par ses soldats. Erton Alluv, le chef de l’Escadron Bleu lança un regard à Nærisa qui acquiesça. Dix de ses hommes restèrent avec elle, les autres rejoignirent Malvace. Nærisa fit partir son cheval au trot pour s’éloigner de la ville. Au loin, elle vit les paumes de la reine se mettre à luire de cette couleur bleue caractéristique de sa magie. Deux minutes plus tard, alors que la petite troupe atteignait les assiégeants du Fortin de Corylus, un cercle de feu de dix pieds de diamètre apparut au milieu des soldats mutins. Ils furent pris de panique tandis que plusieurs centaines d’hommes sortaient de la forteresse. Les flammes s’estompèrent d’elles-mêmes en moins d’une minute, mais l’effet fut notable. Bientôt les pertes furent considérables chez les assiégeants, prient au dépourvu par l’attaque surprise de la cavalerie de la reine et la sortie des assiégés. La bataille ne dura que peu de temps. Une fois qu’une brèche suffisamment importante fut pratiquée dans les rangs de l’infanterie, une centaine de soldats à cheval émergèrent du fortin et poursuivirent le carnage. Bientôt ce fut la déroute, et les soldats encore debout prirent la fuite. Malvace rallia alors ses troupes et s’en fut rejoindre Nærisa.

Après plusieurs heures de chevauchée sans dire un mot, Malvace se tourna enfin vers Nærisa :

- Merci, princesse, d’avoir veillez sur Oscim.

La reine avait une flèche dans le bras. Le petit s’était endormi. La princesse acquiesça d’un signe de tête. Elle avait, après la bataille, récité une chanson en langage elfique au jeune roi, qui avait serré ses petits bras autour d’elle. Ils poursuivaient leur route plein sud, sous la direction de Malvace.

- Tu es une brave, femme maigrichonne, grogna Scour derrière elles. Ce serait un honneur pour moi de recoudre tes plaies, j’ai appris à faire ça.

- Merci, lui dit Silya. Tu es très doué aussi. Tu pourras m’aider une fois que nous ferons une halte.

Les pertes avaient été nombreuses. La moitié de l’Escadron Bleu, dont Erton Alluv, avait péri, ainsi qu’une centaine de cavaliers d’Esteban, qui était par miracle resté indemne. Néanmoins, l’attaque leur avait permis de libérer plus de cinq cent chevaliers, dévoués à la cause de Malvace. Silya avait été blessée au ventre, à la jambe et son crâne saignait beaucoup. Elle avait appliqué des bandages de fortune sur ses blessures, mais comme qu’autres, il lui faudrait bientôt des soins plus poussés.

- Et maintenant, Malvace ? s’enquit Nærisa. Où irez-vous ?

- Où [i]allons-nous[/i], vous voulez dire, siffla la reine. Maintenant nous allons vers le sud, vers Céläastra. Il me tarde de rencontrer votre sœur. Et de reconsidérer notre alliance. Je vais envoyer des messagers demander au père d’Esteban, qui commande huit-mille chevaliers, de se cacher et d’attendre mon retour. Car il me tarde aussi de revoir Syna. Maintenant Nærisa, vous allez prendre le commandement et vous occuper encore un peu de mon petit frère, s’il vous plait. Maintenant je veux juste dormir. Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
La suite ! J'essaie de rattraper le temps perdu. J'espère que vous apprécierez.


[center][u][b]Chapitre XVI[/b][/u][/center]

[b]
An 1377, sud-est de l’Île de Céläastra, terres de la Famille Abæl[/b]

- Baisse la tête, tante Iva, je n’arrive pas à attraper tes cheveux ! s’écria Baïla.

- Je ne peux pas, répondit patiemment Ivawen. Il me faudrait m’asseoir par terre !

- Alors assieds-toi par terre ! lui lança Baïla.

- Non, sinon je ne pourrais plus tenir ta sœur sur mes genoux, et elle viendra t’embêter.

- Bon, alors c’est pas grave. Mais comment je fais pour te coiffer ?

- Commence par le bas ! dit Ivawen en riant.

La reine se tenait dans une des salles de la vaste demeure de la Famille Abæl, sur la côte sud de Céläastra. Auprès d’elle se trouvaient plusieurs de ses cousines. Baïla, la turbulente, âgée de neuf ans, était la quatrième fille de Dame Mïlia. Suivant le conseil d’Ivawen, elle attrapa ses cheveux blonds à la moitié de leur longueur et commença à les tresser. Elle était petite pour son âge et souvent malade. Sa faiblesse naturelle lui avait au fil des années fait perdre confiance en elle, et elle compensait tant bien que mal en criant et en donnant des ordres à ses cadettes. Elle était pour cela régulièrement rappelée à l’ordre par Rajelle, troisième fille de Mïlia, âgée de onze ans. Cette dernière prenait son rôle très au sérieux, et tenant en compte le fait que sa mère commençait à lui enseigner les rudiments de son rôle futur au sein de la Famille, se sentait plus adulte que les petites.

- Eh, vous deux ! s’écria la reine, si vous n’arrêtez pas immédiatement je me lève et en prends une pour taper sur l’autre !

Elle s’était adressée à Hæja et Svinrile, les deux jumelles de six ans, de vraies pestes. Elles étaient en train de se battre entre elles et se roulaient par terre pour une raison quelconque, ce qui avait tendance à agacer Ivawen au plus haut point. Les jumeaux avaient été rares dans l’histoire de la Famille Abæl et les vrais jumeaux encore plus. Hæja et Svinrile faisaient figure d’exception. Leur mère les avait nommées ainsi en hommage à sa demi-sœur, et à sa fille posthume, Hæja. De tous les enfants de Highlin, Hæja était la seule à avoir eu, du moins à sa naissance, les racines rousses et les pointes blondes de sa mère, trait que l’on retrouvait chez les jumelles. Bien sûr aucune des deux ne ressemblaient vraiment à Ivawen ou Nærisa à leur âge, les souveraines ayant la silhouette élancée et le visage en forme de cœur de leur père. Les deux jumelles avaient cessé de se battre mais continuaient à se chamailler. La reine réfléchit une seconde pour les différencier puis cria à nouveau en en montrant une du doigt :

- Svinrile ! Au coin ! elle désigna un coin de la pièce.

- Pourquoi moi, tante Iva ? protesta la gamine.

- Parce que tu es nulle ! la nargua sa sœur.

- Ne flambe pas trop, toi, reprit Ivawen, le ton détaché. Tu vas dans le coin opposé.

Les petites boudèrent mais s’exécutèrent. La reine sourit. [i]Pas plus difficile que de gouverner un royaume[/i], songea-t-elle. Elle faillit éclater de rire, mais réussi à se contrôler pour ne pas passer pour une folle. La plus sage des enfants était sans conteste Caëty, la plus jeune présente dans la pièce. Elle avait deux ans et Ivawen la tenait sur ses genoux. Si jamais elle s’avisait de la poser par terre, elle se mettrait à courir avec ses petites jambes partout autour d’elle, ou irait faire des câlins à Baïla, qu’elle adorait. Mais une fois assise, elle restait tranquille. Hormis Séïren, trois autres filles de Dame Mïlia ne se trouvaient pas avec Ivawen en ce moment. Anastasia, âgée de quatre ans, dormait dans sa chambre. Nausikäa, la petite dernière, encore bébé, restait près de sa mère ou de ses nourrices. Ushyndi était quant à elle la deuxième fille de Mïlia. A douze ans, sérieuse et appliquée, elle servait sa mère de son mieux. Elle était actuellement en leçon avec elle. Ushyndi était née neuf ans après Séïren, à une époque où ses parents désespéraient d’avoir un autre enfant. Quelques semaines avant sa naissance, Ivawen avait également remporté une grande victoire contre Neflindel. Mïlia avait décidé de nommer sa deuxième fille « Ushyndi », un ancien mot pour désigner le triomphe en langage elfe, afin de célébrer ces deux évènements. Aucune des petites n’était la nièce d’Ivawen bien sûr, mais leur différence d’âge était telle qu’elles la surnommaient toutes « tante Iva », tout comme Nærisa avait droit à « tante Nærisa ». La reine n’avait pas prévu de rester si longtemps chez sa tante. Mais quelques jours après son arrivée elle était tombée malade et avait dû s’aliter. Depuis elle allait mieux mais préférait ne pas tenter de faire à nouveau le voyage jusqu’à Céläastra et travaillait dans la forteresse, recueillant les conseils de Mïlia.

On frappa à la porte. Ivawen reconnu la voix de son oncle, Rimön Forental, et l’invita à entrer. Il ouvrit la porte et mit un genou à terre devant elle. Une gouvernante le suivait et l’imita. Ivawen leur fit signe de se relever. Rimön avait les yeux et les cheveux noirs. Son visage rieur et ses yeux globuleux contrastaient avec sa grande force physique et sa musculature épaisse. Ivawen le savait animé d’une joie de vivre à toute épreuve, dont semblaient avoir hérité ses filles. Il souriait presque toujours en société. Aujourd’hui il avait néanmoins les traits fermés et la reine comprit que quelque chose n’allait pas. Rimön avait épousé Mïlia par pur intérêt, pour tenter de s’élever au-dessus de sa condition et d’apporter du prestige à sa famille. Néanmoins sa femme restait froide avec lui, et ne le laissait pas s’occuper de la gestion de ses domaines. En y réfléchissant, Ivawen se demandait si de caractère, Mïlia n’était pas le négatif de sa défunte sœur aînée, qui, bien qu’ayant accès au pouvoir suprême en tant qu’épouse de l’héritier de la couronne, n’avait jamais cherché ni à influencer son mari au gouvernement, ni à s’immiscer dans l’éducation politique qu’il donnait à ses filles. Elle se contentait de leur apprendre les rudiments du service féminin, et en cela avait eu plus de contacts avec Nærisa qu’avec Ivawen. Mïlia, bien que retirée sur ses terres, dirigeait sa maison et son domaine d’une main de fer, laissant en bonne partie l’éducation de ses filles cadettes à son mari. La reine éprouvait parfois de la compassion pour cet homme, qui n’avait pu apporter pour tout éclat à sa famille qu’un lointain lien du mariage avec la famille royale. En cela, son illustre aïeul, Nadomir, le chef de la Garde Royale, couvrait bien mieux les siens de prestige.

- Papa ! crièrent ensemble Svinrile et Hæja en se précipitant vers lui.

- Que faisiez-vous dans les coins de la pièce ? les sermonna leur père. Vous avez encore fait des misères à votre tante ?

- Oh, pas à moi, elles se battaient juste entre elles, dit la reine. Qu’y a-t-il, mon oncle ? – elle savait que l’appeler « oncle » le flatterait.

- Svi était méchante, Papa ! s’écria Hæja. Mais vu qu’elle ne sait pas se battre… On pourra jouer avec Caëty, après, tante ?

- Ça suffit Hæja ! coupa Rimön. Nærisa nous a fait parvenir des nouvelles de la Bande de Djiane et du Royaume Lagoride, informa-t-il en réponse à Ivawen. De mauvaises nouvelles.

- Très bien, je vais voir cela.

- Isla, ordonna Rimön, occupe-toi de mes filles en attendant.

- Tante Iva, tu as vu la tresse que je t’ai faite ? s’enquit Rajelle.

- Oui ma chérie, je l’ai vu.

Elle lui avait fait une grande natte avec toute la longueur de ses cheveux. Ivawen remit Caëty à son oncle qui la chatouilla un peu puis réprimanda une seconde ses jumelles. Il tendit ensuite sa plus jeune fille à la gouvernante, leur fit un geste de la main et se dirigea vers la porte.

- Et moi, tante, tu as vu ma natte ? s’exclama Baïla, qui avait tressé n’importe comment les cheveux de la reine sur la moitié de leur longueur.

- Je l’ai vu, elle est très jolie aussi, répondit Ivawen avec un sourire. A plus tard, il me faut régler des problèmes importants.

- Oui Majesté ! crièrent Svinrile et Hæja en cœur.

La reine leur sourit puis sorti, accompagnée de son oncle. Ils marchèrent longuement, puis grimpèrent un escalier jusqu’à la chambre luxueuse qu’occupait Ivawen chaque fois qu’elle venait ici. Ils entrèrent dans l’antichambre où se trouvaient plusieurs fauteuils d’osier recouvert de velours. Ivawen s’installa dans l’un d’eux et attendit que Rimön lui serve un verre de vin et s’assoit en face d’elle, pour demander :

- Je suppose que si c’est-elle qui écrit, il n’est rien arrivé de fâcheux à Nærisa ?

- En effet, elle est indemne, répondit son oncle. Mais ce n’est pas le cas de nombre de nos hommes partis en ambassade.

- Que s’est-il passé ? Je lirai ces lettres, mais faites-moi un résumé maintenant.

- Apparemment le Grand-Roi a assassiné le Roi de Djiane, Corylus, alors qu’il se rendait à la capitale pour parlementer avec lui. Peu après l’arrivée de Nærisa à Djiane, un général d’infanterie, soutenu par le pouvoir fédéral, a mené un coup d’état conte le nouveau roi de Djiane et Malvace, la reine régente. Ils ont dû fuir la Bande, qui est désormais un satellite du Grand-Roi.

- Malédiction ! s’exclama Ivawen. Et ensuite ?

- Malvace est parvenu, avec l’aide de l’Escadron Bleu, à libérer plusieurs centaines de chevaliers, qui lui sont parfaitement fidèles. huit-mille autres sont rassemblés au nord du pays, et elle leur a demandé de se cacher en attendant son retour.

- Son retour ?

- Elle est en route pour Céläastra, ma Reine, Nærisa et elles ont pris la mer il y a peu et sont en train de rejoindre Arthelor Fend-Tribord et sa flotte.

- Bon, dit Ivawen en réfléchissant rapidement. Et elle emmène le nouveau roi avec elle ? Oui évidemment. Huit-mille chevaliers, vous dîtes ? Nous n’avons la supériorité ni sur mer, ni sur terre. Néanmoins, une révolte à Djiane pourrait nous fournir une opportunité. Quant est-il d’Arthelor et de son armada ?

- Selon nos informations, le Grand-Roi a rassemblé sa flotte, en prévision d’une attaque.

- Très bien. Dans ce cas nous devons agir vite. Vous allez rédiger plusieurs missives ce soir. Tout d’abord, envoyez cinq de nos sloops les plus rapides récupérer Nærisa et la délégation de Djiane. Je ne veux pas qu’ils soient exposés lors d’une bataille. Ensuite, demandez à Arthelor de se tenir prêt au combat et adjoignez lui douze galères supplémentaires. Il nous faut remporter une éclatante victoire maritime si l’on veut être en bonne position pour traiter avec le Grand-Roi. Envoyez également un message au Seigneur Rywon. Neuf mille hommes sont rassemblés dans son port, je veux qu’il les tienne prêt à partir pour Sorgoz, en appuis aux forces d‘Agg-Kour. Enfin, je veux qu’Eoïndril Eleïon rassemble l’armada de réserve dont je lui ai confié le commandement à Vermelhäa. Si jamais Arthelor subit une défaite, je veux pouvoir contre attaquer le plus rapidement possible.

- Très bien ma Reine.

- Rédigez tout cela, dit Ivawen, et apportez-le-moi pour que j’y appose mon sceaux. Et Rimön, vous avez parlé de pertes, à Djiane ?

- Presque la moitié de l’Escadron Bleu a péri, dont le chef. Et Silya Ayen, la garde du corps de votre sœur a été grièvement blessée.

- Ah, fit Ivawen. C’est fâcheux. Erton Alluv était un fier guerrier. Je suppose qu’ils n’ont pas pu ramener les corps ?

- Ils étaient pressés par le temps et sous la menace d’une attaque des félons.

- Evidemment. Leurs noms seront honorés de même. J’aurais voulu que Silya Ayen participe à la prochaine bataille navale. Ordonnez-lui de revenir également. Même amoindrie, elle pourra défendre Nærisa. Retirez-vous, maintenant.

Il s’inclina et sorti de la pièce. Ivawen avala une gorgée de vin blanc. Plusieurs jours auparavant, elle avait envoyé des lettres écrites de sa propre main au Seigneur Rylor Furiade, l’enjoignant de joindre ses troupes à celles des autres seigneurs au sein du corps expéditionnaire qui partirait vers le Royaume Lagoride. Mais [i]Le Fier[/i], comme beaucoup l’appelaient, avait répondu par la négative, invoquant une guerre lointaine et dangereuse et la peur de troubles sur ses propres terres. Ivawen n’oubliait pas qu’elle avait besoin du soutien des grands lignages pour cette guerre. Le problème était que Rylor Furiade avait entraîné dans son sillage Souvaron, chef de la Famille Desmopïl, qui refusait lui aussi d’engager ses troupes dans la bataille. Ivawen avait cru museler la turbulente Famille Desmopïl, qui lui avait causé tant de problèmes pendant la Guerre du Vieux-Prince, en proposant à Souvaron le portefeuille de la guerre au sein de son Conseil Royal, mais apparemment, si la perspective d’une offensive contre les Lagoride ne l’effrayait pas, il refusait d’y associer ses troupes. Malheureusement pour la reine, les Furiade représentaient la deuxième force militaire du royaume, sachant qu’elle-même était la première. Les Familles Furiade et Desmopïl contrôlaient à eux deux un cinquième des forces armées terrestres de l’Île, ainsi qu’une partie de ses forces navales. Ivawen soupira. Souvaron et Rylor avaient été pendant la guerre civile, l’objet de ses pires craintes. Les deux étaient rompus aux tactiques militaires et se montraient convaincus que Neflindel était le seul prétendant légitime au trône. Rylor, le plus intransigeant des deux, se montrait froid lors de toutes leurs rares rencontres et avait refusé de participer à son gouvernement. [i]Mais pourquoi diable !?[/i] se demandait souvent Ivawen. Tout le monde savait que [i]Le Fier[/i] était furieusement conservateur, on pouvait donc comprendre qu’il refuse de voir une femme sur le trône de Céläastra. Car les lois des elfes insulaires étaient formelles là-dessus, bien que Highlin ait, à la fin de son règne, modifié ceci, ouvrant la succession aux femmes par décret royal. Rylor lui avait d’ailleurs personnellement enjoint d’épouser l’un des petits-fils de Neflindel avant la guerre, lui assurant son soutien dans ce cas. Devant le refus d’Ivawen il s’était tourné vers le Vieux-Prince. Mais son comportement avait toujours étonné Ivawen, car lors de ses rencontres avec Nærisa, [i]Le Fier[/i] se montrait, selon les dires de la princesse, parfaitement aimable et dévoué. [i]Peut-être m’en veut-il spécialement à moi ? [/i]se demandait la reine. C’était une pensée terrible, effrayante, mais au combien incohérente. De rage, la reine ramassa un coussin dans son fauteuil et le jeta à travers la pièce. Quel que soit les motivations de Rylor Furiade et ses raisons, Ivawen devait reprendre les rênes du Royaume en personne. Elle repartirait dès que possible pour Céläastra.

[b]
Fin de l’an 1377 du Quatrième Âge, au large des côtes sud du Royaume Lagoride[/b]

Lorsqu’elle se trouvait en compagnie d’Arthelor Fend-Tribord, Nærisa était toujours envahit par le bien-être. Un peu comme lorsqu’elle était avec sa sœur, ou plus jeune, avec son père, elle se sentait en sécurité. Arthelor lui tendit un verre d’eau.

- Le Grand-Roi a envoyé contre nous la plus grande partie de sa flotte, l’informa-t-il. Elle est sous le commandement du prince Tsarkoié, son fils cadet, fait amiral pour l’occasion. Il se dirige vers nous.

- Le prince Tsarkoié ? s’étonna Nærisa. Il est connu pour être impulsif et téméraire, pourquoi lui confier le commandement d’une telle armada ? Le Grand-Roi sait très bien que tu diriges notre flotte et depuis la dernière guerre, il sait que tu es prudent au combat.

- Il se dit sûrement qu’il faut de l’audace et de la témérité pour me vaincre. Tsarkoié va me forcer au combat et tenter d’annihiler nos navires en les écrasant sous le nombre.

- Tu ne vas pas tomber dans un piège pareil ? Tu disposes de moins de navires que lui et ses matelots sont tout aussi entraînés.

- Je n’ai pas vraiment le choix, souffla Arthelor. Si je ne cherche pas la confrontation, c’est lui qui me trouvera. Une victoire navale nous permettrait de débarquer sur le territoire Lagoride. Et à partir de là…

- Tu pourrais te faire tuer, Arthe, sourit timidement la princesse.

- C’est le cas à chaque fois que je prends la mer. Ecoute, Tsarkoié ne s’attends sûrement pas à me voir cingler les flots dès demain pour l’attaquer à l’Îlot des Singes Verts. Je pourrais le prendre par surprise en jouant à son propre jeu.

- Fais attention à toi, s’il te plait, lui dit Nærisa. Je veux être sûr que tu me reviendras.

- Je reviendrai, Næri, répondit Arthelor. Je te le promets.

- Ce n’est pas une promesse que je veux.

- Je ne peux pas partir avec toi, répondit l’amiral. Je commande la flotte de Céläastra, ça m’est impossible.

- Je sais, lui lança Nærisa. Mais tu peux me donner un enfant.

- Pardon ? s’enquit Arthelor. Tu n’es pas sérieuse, tu seras mariée d’ici peu !

- Sur ordre de ma sœur, grinça Nærisa. Tu sais bien que je me moque d’Erion Serra et de ce qu’il pourra penser. Si tu acceptes, l’enfant sera le tien, je n’épouserai Serra qu’une fois que j’aurais accouché.

- Un bâtard ? Nærisa tu sais que c’est très mal vu sur l’Île.

- Oui, et c’est stupide. Une femme peut se permettre de prendre des favoris, ce qui est interdit aux hommes, mais il est mal vu de tomber enceinte. Tandis qu’un homme peut engendrer des bâtards sans problème. Je veux un enfant de toi, et qu’importe s’il est bâtard ou non. Si tu meurs, je veux que tu survives à travers lui.

- Je ne peux pas faire ça, princesse. Je ne veux pas t’infliger ça. La Reine serait déçue, elle t’en voudrait, je ne veux pas que tu te brouilles avec ta sœur à cause de moi.

- Tais-toi, Arthe, lui intima-t-elle. Laisse-moi m’occuper de ma réputation, et d’Ivawen. Faisons juste l’amour.

Elle le prit dans ses bras et l’embrassa. Elle eut l’impression de s’épanouir enfin. Comme si elle avait attendu ce moment toute sa vie. Elle le poussa sur sa couchette. Sa peau était lisse et chaude. La princesse se blottit contre lui, alors qu’Arthelor lui retirait sa robe avec fougue. Elle lui pétrit un pectoral avec un sourire, puis l’amiral s’élança et lui empoigna un sein. Il se mit à le lécher délicatement, mais Nærisa le repoussa.

- Non, lui intima-t-elle, je veux un enfant. Débrouilles-toi avec ça !

Elle gémit lorsqu’il la pénétra. Accroupie sur lui, elle se mit en mouvement, tout en l’embrassant dans le cou. Alors qu’elle sentait son souffle rauque sur sa poitrine, les ongles de la princesse pénétrèrent la peau de son amant. « Encore », siffla-t-elle. « Je t’aime, Næri », gémit l’amiral. Et soudain le temps disparut. Elle ignorait où elle se trouvait. Elle ne savait plus si elle avait trente-cinq ans ou dix-neuf, comme lors de sa première nuit avec Arthelor. Plus rien n’avait d’importance. Seul comptaient les mouvements continus de son amiral en elle, ses caresses, ses yeux emplis de désir et de plaisir, sa main, posée délicatement sur son ventre. Et leurs larmes communes, et la vie qu’elle voulait sentir croître…


Arthelor accompagna Nærisa vers le bastingage, où l’attendait une échelle de corde, puis une chaloupe vers le sloop qui la reconduirait sur Céläastra. Avant de descendre elle le serra dans ses bras et lui donna un long baiser. Il regarda longuement la chaloupe, puis le sloop s’en aller vers le sud. Puis il retourna sur le pont de [i]La Main du roi Highlin.[/i] L’aube pointait et ses marins s’affrétaient sur son bâtiment. Quelques heures auparavant, le futur mariage de Nærisa et d’Erion Serra le faisait bouillir de rage. Son plus cher désir était de le voir périr dans la bataille à venir. Mais ce matin, tout cela n’avait plus d’importance. Il savait qu’il avait apporté à sa princesse tout ce qu’elle désirait. Le reste était optionnel. Il donna des ordres et ses matelots bordèrent les voiles. La brise du matin leur assurait une vitesse suffisante pour mettre à bien ses plans. Voilà des jours que les flottes elfes et Lagoride se tournaient autour à quelques miles de distance. Il cria à ses hommes de s’équiper et ordonna que ses ordres soient transmis aux autres navires. Moins d’une heure plus tard la flotte Lagoride était en vue et se préparait au combat. Bodras s’approcha de son capitaine.

- Donne l’ordre de hisser nos couleurs, lui dit Arthelor, et fait sonner les tambours de guerre.

L’officier acquiesça puis obéit aux ordres. Arthelor avait troqué son armure d’apparat pour une broigne de cuir aux armoiries de sa Famille, mais avait conservé son épée elfique traditionnelle.

- Bodras, lui cria-t-il, que le reste de la flotte nous laisse de l’avance. [i]La Main du Roi Highlin[/i] mènera l’attaque !

La gigantesque galère de guerre fendait les vagues et devançaient les autres navires de la flotte. Arthelor observa l’horizon et les navires ennemis. Au-dessus de lui le dragon de mer endormi de sa Famille flottait, et un peu plus haut, la Rose-des-Vents dorée de la Reine Ivawen et de tous les rois de Céläastra. Mais lui la voyait rouge, rouge dans le soleil levant. Aussi rouge que sa barbe, aussi rouge que la chevelure de Nærisa. Modifié par Loup Noir
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Ah pas mal !

Des petites fautes ici et là, attention à la relecture ! Par exemple :

[quote]Elle sorti donc de la pièce.[/quote]

Pour le premier passage j'ai bien aimé la partie politique qui tourne en action. Je pensais pas que ça viendrait aussi tôt mais on comprend le changement d'avis maintenant !

Sur le second passage : Plus calme, on fait le bilan de ce qu'il s'est passé de l'autre côté et on agit en conséquence ! Que la guerre commence !

@+
-= Inxi =-
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Voilà voilà la suite. Vu que j'ai inclue de nouveaux personnages récemment j'ai également éditer le Glossaire. Je vous invite à vous y référer si jamais vous êtes perdus. Pour la carte, j'y songe, mais je n'ai malheureusement pas beaucoup de temps en ce moment... En tout cas merci pour vos commentaires qui me font très plaisir. J'essaye d'en tenir compte au maximum. J'espère que vous apprécierez.


[center][u][b]Chapitre XVII[/b][/u][/center]


[b]Fin de l’an 1377 du Quatrième âge, Bétula, capitale du Royaume Lagoride[/b]

Nervas Sobraï se réveilla en sursaut lorsqu’il senti un chiffon sur sa bouche et ses yeux. La tête lourde de la quantité de liqueur qu’il avait avalée quelques heures auparavant dans un cabaret de luxe, il ne put retrouver ses esprits facilement, et déjà on le traînait à travers son salon tout en nouant une cagoule autour de sa tête, de sorte qu’il ne put plus distinguer son chez lui. Il sentit qu’on le poussait de force à travers une rue pavée. Il tenta de résister avec l’énergie du désespoir, tout en criant, mais ne reçut en retour qu’un coup sur la nuque qui le fit plonger dans une sorte de transe. Plus rien n’avait d’importance, on le traînait malgré lui dans ce qui semblait être un fiacre. Il tenta de comprendre la situation, mais il ne put se concentrer plus de cinq secondes sur quelque chose. Déjà son esprit dérivait. Soudain il eut très peur. Pour sa vie et pas seulement. Il pensa aussi à sa femme, son unique famille. Léleï, une femme du nord, qu’il aimait plus que tout. S’il n’avait pas été stérile, il lui aurait donné dix enfants. Du moins c’est ce qu’il lui avait dit le jour de leur mariage. Mais il se ressaisit. [i]Qui en voudrait à sa femme ?[/i] Elle n’était rien, qu’une étrangère en ces terres. [i]Moi, par contre…[/i] songea-t-il en sentant la peur l’étreindre à nouveau. Il se releva et hurla :

- Qu’est-ce que tout cela signifie ?

Et il reçut un nouveau coup sur la nuque. Avant de perdre complètement connaissance, il perçut un « ta gueule ! ».
Quand il se réveilla, il avait quitté le fiacre, ou la voiture qui le transportait. Il le savait car il sentait qu’on le traînait à nouveau. Il sourit intérieurement. Si ses ravisseurs avaient eu envie de se faciliter la tâche, ils auraient pu l’obliger à avancer en le menaçant d’une épée. Cette pensée lui fit oublier un instant la gravité de la situation. Ses mains étaient liées entre elles et une cagoule noire recouvrait son visage. Il repensa au [i]pourquoi[/i]. Car honnêtement, [i]qui pourrait lui en vouloir au point de l’enlever chez lui, en pleine nuit ?[/i] Il y avait quelques années, un officier de la police royale était venu le voir et lui avait posé des questions sur son passé, voulant le mettre en relation avec l’attaque d’un convoi d’or fédéral. Nervas Sobraï lui avait ri au nez, rétorquant que cela faisait bien vingt-cinq ans qu’il n’avait plus été à la tête de quoi que ce soit de criminel. Il lui avait par la même occasion fournit un solide alibi. Son passé était connu, bien sûr. De son temps, il avait arnaqué plus d’un officier royal. Et surtout, il avait commis de multiples vols à main armée, sa fameuse arbalète à l’épaule. Il favorisait les convois d’or allant des provinces à Betula, la capitale fédérale. Il s’était d’ailleurs retenu de rire pendant tous ces braquages. Personne, hormis Léleï, ne savait que Nervas était incapable de se servir d’une arbalète. Il ne savait faire que trois choses dans la vie : lancer des couteaux, diriger des troupes, et faire fructifier l’or. Pour tout cela il avait été voleur, soldat et rentier. Nervas Sobraï, n’était rien d’autre qu’un survivant, et se demandait bien ce qui lui valait d’être ainsi enlevé à travers des salles de marbre, qu’il devinait somptueuses. Il se demandait également où il pouvait se trouver. Bétula comptait nombre de maisons luxueuses, dont certaines ressemblaient à de petites forteresses. Elles appartenaient à des nobles en ayant héritées, à des marchands, ou encore à des barons du crime locaux. Le palais du Grand-Roi était également d’un luxe incomparable, mais Nervas se doutait qu’il ne s’y trouvait pas. Il n’avait jamais rencontré son suzerain, répondant au nom de Maélen IV et ne pouvait rien apporter au « Seigneur de tous les Royaumes du Fleuve ». Bien qu’il soit retiré des affaires depuis un quart de siècle, ses activités illégales passées pouvaient toutefois intéresser plusieurs mafieux des quartiers nord de la ville. C’était de loin l’explication la plus plausible.

Il entendit un de ses ravisseurs ouvrir une porte, puis sentit qu’on l’assoyait violement sur une chaise. Il perçut la porte se refermer. C’est alors qu’il vit que ses mains étaient à nouveau libres et qu’il n’avait plus de cagoule sur la tête. Néanmoins la pièce où il se trouvait était plongée dans le noir. Il tâtonna ses poches, son manteau et sa chemise, mais n’y trouva absolument aucune arme. On l’avait délesté des multiples couteaux de lancer qu’il gardait toujours sur lui lorsqu’il sortait, car même les quartiers nord, qui rassemblaient les classes les plus aisées de la ville, n’étaient pas sûrs aujourd’hui. Bien que la nuit fût noire, une pâle lumière passait par fenêtre qui lui faisait face, si bien que ses yeux s’habituèrent à l’obscurité. Il remarqua qu’il se trouvait assit à une table et qu’en face, une silhouette, assise également, se découpait. Juste à côté de lui il vit une unique chandelle et de quoi l’allumer, même s’il jugea préférable de n’en rien faire pour le moment. Nervas perçut également autre chose. Il ne distinguait aucuns toits par la fenêtre. Or, les quartiers nord étaient plus bas que les autres, et même les plus grandes maisons ne s’y élevaient pas assez pour avoir une vue si dégagée. Il eut à nouveau très peur, car il n’avait aucun idée de l’endroit où il se trouvait, ni s’il était toujours à Bétula.

- Qui êtes-vous ? demanda-t-il à l’homme qui lui faisait face, en tentant de maîtriser le tremblement de sa voix. Où sommes-nous, et que me voulez-vous ? Est-ce que Léleï est en sécurité ?... Répondez-moi !

- J’ignore qui est cette… [i]Léleï[/i], lui répondit l’homme en parlant l’Antique commun avec le timbre haut des bien-nés de Bétula. Mais ceci, servira de réponse à votre première question. Et à la suivante.

Il jeta vers lui un petit objet qui roula avec un faible bruit vers Nervas Sobraï. Le vieil homme le ramassa. Il s’agissait d’une pièce d’or. Il se décida à allumer la chandelle. Il put alors mieux discerner son interlocuteur, mais ne distinguait toujours pas ses traits. Il préféra se concentrer sur la pièce. Il n’eut pas besoin de déchiffrer le droit et le revers pour la reconnaître. Sur le dessus étaient gravés ces quelques mots : « [i]Nous fûmes Empereurs[/i] », la devise des Grands-Roi Lagoride. Les Lagoride étaient issus d’une branche mineure de la maison impériale de l’Antique Empire, disparut neuf siècles plus tôt après s’être attaqué à l’Empire nain, alors tout jeune. Quelques Lagoride s’étaient exilés au sud, et, après de multiples conquêtes au fil des siècles, avaient pris le contrôle de toutes les terres formant actuellement le Royaume-Fleuve. Leur devise était censée symboliser leur glorieux passé, ainsi que la légitimité de leur règne. En comprenant qui était son interlocuteur, Nervas se leva brusquement et mit un genou en terre, tout en posant son poing sur son cœur.

- Votre Grâce, une entrevue avec Vous est trop d’honneur pour un vieil homme comme moi.

- Un vieil homme ? s’enquit le Grand-Roi. Rasseyez-vous. Quel âge avait vous, exactement ?

- C’est… c’est difficile à dire, Majesté, fit Nervas en reprenant sa place. J’ai grandi dans une contrée rurale pauvre, loin au nord-est de Bétula. Mais un jour, un commissaire royal est venu nous voir, pour un recensement. J’étais trop jeune pour m’en souvenir, mais mes parents me l’on raconté. Il a remis des papiers à mon père. D’après eux, je serais né en l’an 1302. Mais comme je marchais déjà à l’époque, je pense avoir environ soixante-dix-sept ans.

- C’est vieux, en effet, souffla Maélen. Rassurez-vous, je n’ai pas ordonné l’arrestation de votre femme, s’il s’agit bien de cette [i]Léleï [/i]dont le sort vous inquiétait – Nervas acquiesça. Il ne lui sera fait aucun mal. Savez-vous pourquoi vous êtes là ?

- Non, Votre Grâce. Mais si vous désirez me condamner pour mes crimes passés, faites-le.

- Vous savez pertinemment que cela n’a rien à voir avec ces crimes, répondit froidement son ravisseur. Je n’aurais pas eus besoin de vous amener de force ici. J’ai besoin de vous, rapidement, et il me fallait agir vite. Et [i]discrètement[/i].

- Ce serait un grand honneur de vous servir, Majesté, mais je ne vois pas en quoi un vieillard pourrait…

- Ça suffit, Nervas, coupa le Grand-Roi. Vous vous moquez de l’honneur, et vous ne désirez que rentrer chez vous, je le vois dans vos yeux. Laissez Maélen, Quatrième du nom, vous conter une histoire. (Il marqua une pause). Celle d’un bandit de grand chemin, qui durant de nombreuses années sévissait sur les routes de mon royaume. Il pillait des caravanes d’or et de marchandises de valeur avec sa bande, si bien que sa tête fut mise à prix. Il aimait à l’époque défier les nobles gens chevauchant avec les caravanes, et se montrait rarement cruel. Les témoins le présentaient comme ayant de bonnes manières, et soupçonnaient une éducation raffinée. Certains allèrent même jusqu’à se demander s’il n’était pas bien-né. Seulement, une nuit de l’an 1321, après une razzia, il fut capturé par le vieux roi Soênus V de Djiane. Impressionné par la manière dont le bandit avait mené ses troupes durant l’embuscade, Soênus lui proposa un accord. Les survivants de sa troupe seraient graciés, et incorporés à une unité de cavalerie légère, à son service, dirigée par le bandit. En échange, ce dernier amenait le roi à sa cachette et lui livrait le fruit de ses multiples rapines. Le bandit accepta, désireux de sauver la vie de ses hommes, et surtout sa propre tête. Encore un acte de noblesse, pour un homme qui se révéla être issu de la plus basse roture.

- Côtoyer les nobles, même en les volant, cela permet d’apprendre les bonnes manières, répondit froidement Nervas. Mais cette histoire est connue.

- En effet, reprit le Grand-Roi. Le bandit resta au service de Soênus, devenant capitaine de cavalerie, jusqu’à l’année 1328, où le roi de Djiane fut renversé par un général de cavalerie lourde, qui s’empressa de s’autoproclamer roi, sous le nom de Céthus Ier. Le bandit quitta dès lors son service et entra dans l’armée royale. Sa troupe remporta plusieurs succès éclatants lors de nombreuses guerres et escarmouches, et il fut fait lieutenant-colonel. Il était impossible de mieux grader un membre de la roture. En l’an 1345, néanmoins, l’homme profita d’une période de paix pour démissionner de l’armée royale, bien que ce ne fût pas du tout au goût de l’état-major. Mais il n’en fit qu’à sa tête, et, ses campagnes successives l’ayant considérablement enrichi, par pillages multiples, s’installa à Bétula, où il s’attela à diverses activités à limites de la légalité, voire carrément illégales, pendant quelques années. Enfin, il prit sa retraite définitive, se retira de toutes les affaires et vécu de ses rentes avec sa femme.

- Jusqu’à ce qu’un beau jour, ou plutôt une belle nuit, rétorqua Nervas, Sa Grâce ne vienne me tirer ma quiétude. Vous êtes bien informé, Majesté, mais je ne vois toujours pas en quoi je peux vous être utile. Sérieusement.

- Je n’ai jamais compris pourquoi, ou pour qui, vous aviez quitté l’armée, dit le Grand-Roi, sans prendre garde à sa question. Vous étiez encore assez jeune, et promis à plus de richesses et de pouvoir. Vous ne preniez d’ailleurs pas beaucoup de risques durant les batailles.

- Votre histoire est juste, exceptée sur un point, expliqua Nervas Sobraï. Je n’ai pas été capturé par le roi Soênus, mais par Tyga, le petit-fils de sa sœur. Il est vrai que le plan avait était conçu pas le roi lui-même, mais l’exécuteur était Tyga. C’est également lui qui convainquit Soênus de m’accorder sa grâce. Or en 1345, Tyga s’est soulevé contre Céthus, pour tenter de reprendre le contrôle de Djiane. Sa rébellion a été mâtée dans le sang, et Tyga exécuté. Il était mon ami, je n’ai pas pu pardonner cela à votre père, qui siégeait alors sur le trône fédéral.

- Qu’auriez-vous voulu qu’il fasse ? s’enquit Maélen. Nous n’avons guère l’habitude d’interférer dans les affaires internes de nos vassaux.

- Nombres de nobles et de cadres de l’armée, moi compris, ont réclamé à votre père la grâce royale pour Tyga. Nous voulions qu’il commue sa peine en exil, voire en assignation à résidence. Mais le Grand-Roi a fait la sourde oreille. Ma démission était une protestation. Même si elle n’a pas fait beaucoup de bruit. Et je ne vois toujours pas le rapport avec ce qui m’amène devant vous cette nuit, Majesté.

- Une autre histoire, peut-être ? demanda Maélen – Nervas devina qu’il souriait dans l’obscurité. Celle de deux guerriers. L’un s’appelait [i]Gueule-Cassée[/i], l’autre Nervas Sobraï, mais son nom sorgosien était [i]Cheval-sur-la-Dune.[/i] Pourquoi ces noms, je l’ignore. Après plusieurs victoires de [i]Cheval-sur-la-Dune[/i], lors d’escarmouches contre les barbares de Sorgoz, il dû se frotter à un jeune guerrier, [i]Gueule-Cassée[/i], qui participait à sa deuxième bataille. Néanmoins, il infligea une cuisante défaite à Nervas, qui fut repoussé violemment. Le sorgosien le poursuivit pour détruire définitivement son armée, mais cette fois, lors d’une bataille où [i]Cheval-sur-la-Dune[/i] chargeait exceptionnellement à la tête de ses troupes, [i]Gueule-Cassée[/i] fut vaincu. Les deux hommes se rencontrèrent après la bataille, et signèrent alors un traité, qui mit fin à la guerre dans ce secteur.

- [i]Cheval-sur-la-Dune[/i], expliqua Nervas, c’est parce que je dirigeais mes troupes depuis une dune, généralement, pour me permettre d’avoir une vue d’ensemble, du haut de mon cheval. Je savais que charger à la tête de mon armée surprendrait les sorgosiens et cela a payé. Ils respectent le courage et les vertus guerrières. [i]Gueule-Cassée[/i] m’a accueilli avec les honneurs. C’était un grand combattant, et un fin stratège. Un adversaire de valeur. Le plus coriace que j’ai eu à affronter durant toutes les campagnes que j’ai menées à Sorgoz. Il m’a expliqué que son surnom lui venait de sa mâchoire déformée par un coup de masse, deux ans plus tôt, lors d’une rixe au sein de sa tribu. Je ne l’ai jamais revu. Mais cette bataille s’est déroulée il y a trente-neuf ans, si mes souvenirs sont bons, au court de l’automne 1338. En quoi vous intéresse-telle ?

- Nervas, dit le Grand-Roi, vous l’ignorez, car lorsqu’ils sont jeunes, les guerriers sorgosiens n’utilisent pas leur nom d’origine, mais uniquement leur nom de guerre. Mais voilà, [i]Gueule-Cassée[/i] se fait appeler désormais Agg-Kour, et les tribus l’ont nommé Guerrier-Roi de Sorgoz. Il nous cause du tort depuis des lunes et des lunes. Il y a une semaine il a mené ses troupes à la victoire et détruit une cohorte de cavalerie d’élite. Vous l’avez déjà combattu, et vaincu, vous connaissez les sorgosiens. Je vous donne l’ordre de reprendre du service, soldat. Avec le grade de général, je vous offrirai commandement d’un corps d’armée, et l’appui de mon frère, pour éviter que les nobliaux ne vous prennent de haut.

- Et si je refuse, Votre Grâce ? Je me sens beaucoup trop vieux, et trop las pour reprendre du service.

- Le roi Corylus Ier, sourit Maélen, le petit-fils de Céthus, que vous détestiez tant, est mort, tué pour trahison. Désormais, le lieutenant-général Syna contrôle Djiane pour moi, et Dame Malvace, la compagne de Corylus est en fuite avec le jeune roi Oscim.

- Corylus n’a rien à voir avec les méfaits de son grand-père, cracha Nervas. Mais cette famille était pourrie de toute façon. Si c’est une menace à mon encontre, sachez tout de même, Votre Grâce, que je suis assez vieux pour accepter la mort.

- Et c’est très sage de votre part. Mais vous n’êtes sûrement pas prêt à accepter celle de Léleï. (Nervas écarquilla les yeux)

- Majesté, je sais que vous n’êtes pas un homme cruel, souffla-t-il. Au court de votre règne, le sang n’a que rarement coulé. Et cela se sent chez vous. Vous n’assassineriez pas une innocente.

- Moi non, dit-il avec tristesse. Mais les affaires d’Etat ont leurs raisons que la raison ignore. Je suis désolé. Les elfes de Céläastra groupent une gigantesque armada dans nos eaux, non loin de l’Îlot des Singes Verts, sous le commandement du puissant Arthelor Fend-Tribord, et malgré nos efforts, la princesse [i]Nærisa [/i]a pu le rejoindre avec les fugitifs de Djiane.

- Très bien, capitula Nervas, vous ne me laissez guère de choix. Général, hein ? Ils ont le droit à beaucoup de confort, non ? Et à des huîtres avant la bataille ?

- Si vous voulez. Mais pas de vin.

- Bien, Votre Grâce. Mais je ne peux vous garantir de manière certaine une nouvelle victoire sur [i]Gueule-Cassée[/i].

- A la guerre comme en politique, rien n’est jamais certain. Je vous verrai après-demain. Allez dire au revoir à votre femme, général.

[b]
Fin de l’an 1377 du Quatrième Âge, au large des côtes sud du Royaume Lagoride[/b]

Les requins avaient débuté leurs œuvres. Ils tournoyaient autour des gigantesques coques de bois, plongeant, revenant à la surface pour redescendre dans les profondeurs, un morceau de cadavre entre les mâchoires Ils n’étaient que quelques-uns, mais l’odeur du sang et des morts aller sûrement en ameuter d’autres au cours de la journée. Quelques vagues rougies vinrent s’abattre contre l’une des immenses structures de bois. Lorsque le requin emporta par le fond le tronc d’un elfe, le corps d’un humain percuta la coque du navire. Plusieurs de ses os se brisèrent, mais l’homme resta tout de même en vie. Le choc l’avait étourdit, et, ne pouvant nager correctement, il se noya.

[i]La Main du Roi Highlin[/i], plus petite, mais plus rapide et plus fine que [i]l’Ouragan[/i], navire amiral de la flotte Lagoride, sous le commandement du prince Tsarkoié, l’avait éperonné vers le milieu de la journée. [i]La Main[/i] avait déjà coulé un autre navire, beaucoup plus petit, et ses scorpions en avaient endommagé un autre, suffisamment pour que le [i]Petit Océan[/i], un énorme boutre, puisse l’aborder et l’incendier. Arthelor jeta un regard aux alentour, cherchant les soldats ennemis. Sur sa droite, il vit Bodras en mauvaise posture. Il s’élança bloqua un coup violent sur la gauche, repoussa son adversaire d’un coup d’épaule, puis poignarda celui qui s’en prenait à son officier. Bien que la plupart des matelots manient des haches ou des sabres dérivés de l’épée elfique traditionnelle, beaucoup plus recourbés et plus larges, Arthelor préférait se servir de son épée pendant les combats navals. C’était un symbole perpétuel de son rang. Il se baissa pour éviter un coup de hache, puis se releva et empala l’humain qui lui faisait face. Le chaos régnait sur son navire. Plus qu’il ne l’avait jamais vu. Il se précipita à la rescousse de l’un ses soldats. Avant qu’il n’ait pu parvenir jusqu’à lui, son adversaire le décapita. Après quelques passes, Arthelor parvînt à tuer l’homme, blessé, mais écopa d’une entaille au bras droit. Des yeux, l’amiral cherchait les capitaines ennemis. Il était fier d’avoir éperonné le navire principal de la flotte Lagoride, mais il lui fallait impérativement tuer les chefs pour que la victoire soit à sa portée. Alors qu’il engageait le combat avec un vieil humain couturé de cicatrices il aperçut du coin de l’œil Eloin, piètre tacticien mais excellent bretteur et meneur d’hommes, s’élancer sur le pont de [i]l‘Ouragan[/i]. Il ne faisait là qu’obéir aux ordres de son capitaine, qui l’avait envoyé aborder le navire ennemi dans le but de capturer les principaux commandants, ou de les tuer. L’amiral esquiva de justesse une frappe d’estoc, puis chargea et parvînt à entamer la tunique de maille de son adversaire. Celui-ci, amoché, campa sur ses appuis malgré tout et s’élança vers Arthelor, bouclier en avant. Il le percuta violement, coupant le souffle de l’elfe. Il fit deux bonds en arrière pour s’éloigner du danger puis tenta de toucher son ennemi au torse mais reçu un nouveau coup de bouclier. Il sentit l’une de ses côtes se fêler sous le choc et poussa un grognement. Avec l’énergie du désespoir, le capitaine se jeta sur son adversaire et lui planta son épée dans la jambe. Le vieux guerrier hurla, puis le gifla violemment d’un revers de son gant d’acier. Arthelor tomba à la renverse et lâcha son épée. Du sang emplit sa bouche. La peur le submergea lorsque le matelot leva son arme pour l’achever et il tenta de parer le coup avec ses mains. Puis la tête du guerrier humain fut déchirée en deux par une lame dentelée. Arthelor reconnut l’arme de Bodras, son second, qui était venu à son secours. Tandis que l’humain s’effondrait, mort, l’amiral se releva doucement, et remercia son sauveur. Ils se jetèrent tous deux dans la mêlée.

L’amiral bloqua un coup vicieux, puis contre attaqua. Son adversaire chuta et Bodras le cueillit sur la pointe de son sabre. Le second devança son supérieur, et d’un coup violent déstabilisa un officier lagoride, puis lui écrasa le crâne à l’aide de la hache qu’il tenait en main gauche. Les deux elfes vinrent ensuite au secours de la barreuse de [i]La Main du Roi Highlin[/i], aux prises avec deux adversaires. L’un d’eux parvînt tant bien que mal à la désarmer, puis Bodras se jeta sur lui et le percuta de toutes ses forces. Arthelor leva son épée vers le deuxième humain. La barreuse, Eladia, roula derrière lui et récupéra sa hache. Sans prêter attention à son capitaine, elle se jeta à nouveau dans la mêlée. L’amiral évita de justesse une frappe de taille, puis frappa au genou. L’humain tenta de parer, mais Arthelor remonta d’un coup son épée et lui fendit le menton. L’homme agonisa quelques secondes avant de mourir, étouffé dans son propre sang. Bodras s’était aussi débarrassé de son adversaire et avançait vers un groupe d’attaquants lagorides débarqués sur le pont. L’amiral sentit alors une douleur atroce dans son mollet. Il tourna la tête et sentit à nouveau une douleur au même endroit. Un humain venait d’arracher la lance qu’il avait plantée dans sa jambe un instant plus tôt. Arthelor tenta de lever son épée pour se protéger mais il savait que c’était peine perdue. Puis Eladia se jeta sur l’humain et le poussa loin de son capitaine. L’humain lui assena un violent coup à la mâchoire et l’elfe faillit tomber à la renverse. Elle se rattrapa, et au moment où l’homme levait sa lance pour l’achever, elle lui envoya un coup de pied dans le ventre, puis un coup de hache dans les parties. L’humain hurla, puis l’elfe, du poing, l’envoya par-dessus bord. Arthelor eut un regard plein de tendresse pour sa barreuse, bien qu’elle n’y prêta aucune attention, puis examina sa plaie au mollet. Ce n’était rien de grave, mais l’amiral saignait. Rapidement, il fouilla dans la bourse à sa ceinture et en retira un bandage qu’il appliqua fermement à sa jambe. Cela tiendrait. [i]Il fallait que cela tienne ![/i] Il s’élança à nouveau.

Il avisa un scorpion de [i]La Main[/i], sur sa droite. Une jeune recrue, [i]Olïn[/i], se souvînt-il, s’y tenait, visant le mat principal [i]l’Ouragan[/i] du prince Tsarkoié. Arthelor le rejoignit et lui demanda de viser plutôt un groupe de soldats ennemis qui se préparaient. Il regrettait d’avoir engagé dans son équipage un si jeune elfe. Il participait ici à sa première bataille et Arthelor, s’il préférait ne pas le voir mourir dans la mêlée du pont, était furieux de le voir viser si maladroitement le navire ennemi. L’amiral s’avança vers un groupe d’elfes en difficulté. Inférieurs en nombre, ils luttaient contre douze guerriers lagoride. S’avançant vers eux, Arthelor hurla et bouscula deux de ses hommes pour se jeter sur les lagorides. La manœuvre était risquée, Arthelor pouvant à tout moment trébucher ou se retrouver à douze contre un. Néanmoins il parvînt à retourner la situation à son avantage. Les soldats du Grand-Roi furent déstabilisés un instant et hésitèrent. Il en profita pour tranchait la gorge de l’un d’eux. Une seconde plus tard ses soldats s’élancèrent pour lui porter secours. En quelques secondes ils eurent raisons des guerriers ennemis qui se débandèrent et furent tous tués. C’est alors que l’amiral se rendit compte qu’il restait peu de soldats lagorides sur son pont. Avec un cri de guerre il tenta le tout pour le tout et ordonna l’abordage de [i]l’Ouragan[/i]. Les hommes de Tsarkoié étaient parvenus à investir en nombre son bâtiment avant d’être repoussés, mais il comptait bien leurs rendre la pareille. Ses hommes se jetèrent sur les cordages, qui, reliés à des grappins, permettraient d’aborder [i]l’Ouragan.[/i]

- Bodras ! cria l’amiral, l’officier arriva en courant, son armure de maille maculée de sang. Fait passer le message à la flotte. C’est le moment. Que les galères de réserve lancent une attaque par la gauche. Erion Serra et [i]La Bâtarde[/i] savent ce qu’ils ont à faire. Leur progression sera masquée par l’Îlot des Singes Verts. Je te confie [i]La Main[/i], si elle venait à être coulée, je veux que Sélor Sioné prennent le commandement de cette armada.

- Bien capitaine, s’écria Bodras, sans cacher son étonnement quant à cette dernière information. Vous n’aviez pas parlé du capitaine Jonos, pour vous succéder en cas de ?…

- J’ai changé d’avis. Bonne chance Bodras.

- Bonne chance, mon Seigneur.

L’officier se mit à courir en aboyant des ordres. [i]Jonos[/i], un semi-humain et un excellent marin, mais beaucoup trop prudent pour l’amiral. Sélor Sioné était jeune et téméraire. Il se battrait jusqu’au bout et prendrait les risques nécessaires pour remporter la victoire. Arthelor, oubliant ses appréhensions et ses faibles compétences martiales, saisit un bout pour aborder l’ennemi. Il regarda un instant son drapeau, flottant en haut du mat principal, puis pensa, comme si cela était une coutume avant un abordage, à Nærisa. Il hésita. [i]Je pourrais fuir[/i], songea-t-il. S’il abordait ce navire, il était presque sûr de se faire tuer. [i]Je pourrais me jeter à l’eau, nager jusqu’au prochain navire, feindre une blessure.[/i] Il pensa à son enfant à naître. Depuis seize ans qu’il fréquentait Nærisa, jamais elle ne lui avait parlé ainsi. Si elle lui avait parlé d’un enfant, c’était qu’elle était sûre de lui en donner un. Il serra son épée. [i]Pourquoi mourir ?[/i] Il ne s’était jamais posé la question auparavant. Le fait de savoir qu’il serait honoré comme un « mort pour la Reine Ivawen » lui suffisait. Mais désormais il doutait. Il voulut jeter son épée dans les flots. Puis il cria « et puis merde ! », et s’élança, tenant fermement son bout de la main gauche, vers [i]l’Ouragan.[/i] Pendant ce qui lui sembla une éternité il s’éleva au-dessus des flots bouillonnant, en pensant à son mentor, Soledor Sïïn [i]l’Océan,[/i] commandant du Superbe Céläastra, si prompt au sacrifice. Puis, enfin, ses pieds touchèrent le pont de bois de [i]l’Ouragan[/i], immédiatement il dû éventrer une femme lagoride, fait rarissime dans les armées du royaume humain. Il manqua de se faire décapiter tout de suite après par un guerrier ennemi. Heureusement pour lui, Eloin empala son agresseur sur sa lame, puis le protégea quelques secondes. Arthelor courut pour se placer à ses côtés. Un instant plus tard un gigantesque guerrier brisa l’épée d’Eloin. L’amiral tenta de s’interposer, mais le grand humain passa à côté de son homme et parvînt à le décapiter. Arthelor gueula sa rage et chargea l’ennemi, qui le repoussa d’un cou bouclier en riant. Il se releva, près à un nouvel assaut, mais vit Sogrän, l’une de ses guerrières, attaquer le soldat. Elle le poussa, mais il parvînt à lui perforer la gorge. Le sang de Sogrän lui gicla au visage, l’aveuglant momentanément. Arthelor sauta et le décapita d’un geste fluide. C’était un jeune guerrier, sûrement très doué lors des combats amicaux qu’organisaient les lagorides, mais ayant du mal à improviser sur le champ de bataille. Il se jeta dans la mêlée et décapita rapidement un soldat lagoride. Il recula une seconde plus tard pour esquiver une attaque au torse, puis s’élança, espérant jeter à bas son adversaire. Il n’y parvînt pas et dû se retirer précipitamment devant une hache filant à toute allure. Il reçut un violent coup sur la cuisse et recula précipitamment. Il para un coup vicieux à la hanche, puis attaqua à la poitrine. Il ne reçut en retour qu’un puisant coup de bouclier dans le crâne. Engourdi, il tenta une frappe de taille, qui fut repoussée aisément par son adversaire. Mais une seconde plus tard il le percuta, et d’un coup d’épaule, l’envoya vers ses propres guerriers, qui le taillèrent en pièces. L’amiral se jeta sur ses ennemis, espérant, comme autrefois, les effrayer. Sa manœuvre n’eut aucun effet, et il fut accueilli par trois lances, qu’il évita de justesse. Ses propres soldats s’élancèrent son secours. La bataille continua. Arthelor fit quelques pas sur le côté, puis s’avança vers un soldat lagoride. Il portait une armure complète et deux haches à une main. Les deux guerriers se jetèrent l’un contre l’autre et Arthelor tenta une feinte à droite avant de basculer et de donner un coup d’estoc vers l’aisselle. Il fut repoussé et reçu un violent coup de poing dans la figure. Il s’effondra sur le pont de [i]l’Ouragan[/i]. Se retournant, il vit l’homme lever ses haches vers lui. Au moment où il sentit la mort arriver, l’un de ses soldats se jeta sur son agresseur et le repoussa violemment. Arthelor vit qu’il ne portait pas d’armes. Il le repoussa encore et encore, jusqu’à se jeter avec lui depuis le bastingage dans la mer. L’amiral chercha le nom de son sauveur, mais ne le trouva pas. Se focalisant sur la bataille, il jeta des regards aux alentours. Ses hommes investissaient le pont de [i]l’Ouragan[/i], et se jetaient sur les écoutes pour les trancher, sabordant tout les espoirs de fuite du navire éperonné.

- Salut à toi, Fend-Tribord ! cria une voix non loin de lui.

Elle venait d’un homme jeune aux cheveux roux. Arthelor ne lui donna pas plus de vingt-cinq ans. Mais il n’était pas excellent pour déterminé l’âge des humains. L’homme tenait en main une grande hache et était paré d’une armure de plaques complète. Il était fin, mais large d’épaules et musculeux.

- Tsarkoié, je présume ?

- Bien sûr. Cocasse, non ? Tu vas mourir, Arthelor Fend-Tribord. Et ta [i]Main du Roi[/i] Hagueline, finira au fond des flots.

L’amiral l’attaqua sans prévenir. Le jeune humain bloqua sans problème et riposta. L‘elfe recula calmement, tentant de rester hors de portée de l’arme de son adversaire. Il pensait que son imposante armure le ferait s’épuiser plus vite. Mais l’humain semblait se mouvoir sans problème, avec fluidité et rapidité, sans paraître incommodé par le poids de la ferraille sur son dos. Soudain une violente secousse déstabilisa les deux lutteurs. Arthelor lança un coup d’œil vers son navire. Une petite galère venait de le harponner à tribord. Une dizaine d’humains utilisèrent alors des grappins pour aborder [i]La Main du Roi Highlin[/i]. Arthelor se jeta sur le côté pour éviter la hache de Tsarkoié.

- Dommage, lui dit-il, ton beau bateau…

Arthelor lui cracha au visage, puis le frappa deux fois rapidement. Il para, puis écopa d’une petite entaille au front. Les elfes étaient assez nombreux pour repousser une attaque de ce style. Après plusieurs passes d’armes, l’amiral regarda à nouveau son navire, inquiet. Il se rendit compte que d’autres soldats abordaient [i]La Main[/i] par le flan bâbord et par la poupe, sans doute venus d’un navire plus petit, caché par la taille de la galère elfe. Ils étaient cette fois trop nombreux pour les défenseurs. L’elfe s’inquiéta pour ses hommes mais dû à nouveau reculer pour éviter un coup de Tsarkoié. Son [i]Ouragan[/i] était investi de soldats elfes qui sabotaient les moyens d’attaque de la galère. Arthelor les vit du coin de l’œil rassembler des torches afin de mettre le feu au bâtiment tout en combattant les quelques soldats humains survivants. L’elfe bloqua la hache de son adversaire et, approchant son visage à quelques pouces du sien, lui dit :

- Si mon navire coule, il me faut, en bon capitaine, couler avec lui !

Puis il se jeta en arrière. Avisant Tsarkoié qui tentait de s’approcher de lui, il s’éloigna en bondissant vers le bastingage du navire. Voyant que le prince le poursuivait, il se mit à courir. Ralentit par son armure, Tsarkoié fut distancé par les jambes rapides de l’elfe. Arthelor saisit alors le grappin qu’il avait vu quelques secondes auparavant et le jeta avec habilité vers sa [i]Main du Roi Highlin[/i]. Le grappin trouva une accroche et Arthelor, rangeant son épée, s’élança. Il savait que le prince le retrouverait sur son navire. Et il voulait l’empêcher de rejoindre ses propres troupes. Il grimpa facilement à la corde, remerciant son agilité elfique, et escalada le bastingage. Une fois sur son pont il avisa la bataille à côté de lui. Les navires elfes avaient incendiés nombre de bateaux lagorides, et menés une percée à bâbord, encerclant la flotte du Grand-Roi. Il regarda ses hommes. En se tournant vers l’Ouragan il vit Tsarkoié atterrir sur [i]La Main.[/i] Courant au milieu de son bâtiment, il décapita un ennemi à l’improviste et héla ses troupes. Plusieurs elfes reprirent courage et redoublèrent de férocité. Arthelor se tourna vers Tsarkoié.

- Vas-tu enfin cessé de fuir Fend-Tribord ? lui dit celui-ci en s’approchant.

Arthelor lui envoya un coup d’épée en retour, qu’il bloqua de sa hache. L’amiral recula de plusieurs pas pour éviter ses coups, préférant rester à distance. Puis l’un de ses elfes s’interposa. Tsarkoié le repoussa d’un coup de pied, puis, d’un geste rageur, lui enfonça sa hache dans l’épaule. Voyant qu’il n’arrivait pas à la retirer, Arthelor s’élança pour l’attaquer, mais Tsarkoié ramassa l’épée du mort et para. Il sourit et frappa l’elfe au visage. L’amiral s’éloigna brusquement, et écopa d’une entaille dans le cou. Le prince le fit reculer jusqu’à la proue. Arthelor était hors d’haleine, blessé, et il sentait que son adversaire était beaucoup trop puissant pour lui. Néanmoins il ne pouvait plus éviter le combat. Après plusieurs passes, Arthelor se retrouva dos au bastingage. Devant lui, ses guerriers peinaient à repousser l’assaut des soldats lagorides. Le prince frappa l’épée d’Arthelor du plat de sa lame, envoyant l’arme à plusieurs pieds.

- Mon [i]Ouragan[/i] est détruit par ta faute, amiral. Crève !

En effet, la galère de Tsarkoié flambait, tandis que les soldats elfes tentaient tant bien que mal de regagner le pont de [i]La Main du Roi Highlin[/i], où les soldats Lagoride avaient mis le feu à la grand-voile. Le prince leva son épée et voulu embrocher Arthelor. L’elfe eut le réflexe de lui envoyer un coup de pied. L’épée s’enfonça dans sa jambe, écrasant l’os du tibia et s’arrêta juste avant son genou. La lame se brisa quand Tsarkoié tenta de la retirer. Arthelor hurla de douleur, comme il n’avait jamais hurlé dans sa vie. Quand le prince tira un couteau pour l’achever, l’elfe trouva la force de le prendre à la gorge. De sa jambe valide il s’élança, et les deux amiraux tombèrent du bateau. Dans la mer Arthelor s’éloigna tant bien que mal, tandis que Tsarkoié se débattait. Malgré ses efforts, le poids de son armure l’entraîna vers le fond, sous la coque de [i]La Main du Roi Highlin[/i]. Arthelor jeta un regard à son bâtiment. Il se désagrégeait et coulait, percé de toutes part et en flammes. Plusieurs elfes se jetèrent à l’eau. Il tenta de nager vers d’autres galères elfes, mais n’en eut pas la force. Sa jambe inutilisable lui faisait souffrir le martyr, et le sel s’infiltrait dans la blessure. Il criait et sa vue se brouillait. Il tenta de regarder une dernière fois le drapeau de la Famille royale de Céläastra, flottant sur son mât, pour penser le plus possible à Nærisa. Il n’y parvînt pas. Le monde était flou. Il se rendit compte que ses yeux étaient sous l’eau. Il tenta de lutter sans y parvenir. La dernière chose qu’il senti furent des bras autour de sa poitrine. [i]L’avatar marin d’Oïnstal[/i], songea-t-il.


[b]Fin de l’an 1377 du Quatrième Âge, Presqu’île du Goéland, sud-ouest du royaume Lagoride[/b]

La nuit était encore noire tandis que Hroar escaladait, le manche d’un piolet entre les dents, le mur de granit gris du donjon situé au centre du fortin « La Mouette ». Il sentait pourtant venir les premiers rayons du soleil et l’aube naissante. La bataille faisait rage en contrebas, mais il était invisible aux combattants dans l’obscurité. La flottille dirigée par Estë avait longé l’Îlot des Singes Verts, pour ensuite cingler à toute allure vers l’extrême sud-ouest des terres lagorides, passant loin au large de la Presqu’île du Goéland. Estë avait par la suite fait mouvement vers la péninsule en longeant le littoral déchiqueté bordant une partie du sud de Sorgoz et du Royaume-Fleuve. La manœuvre, très risquée, visait à rester invisible des guetteurs de « L’Albatros », le phare gigantesque qu’abritait la presqu’île et qui servait de repère lumineux pour de nombreux navires à des milles à la ronde. Durant la traversée, un unique bâtiment de Dame Estë s’était échoué sur les nombreux récifs. Au cœur du convoi furtif, Hroar avait néanmoins pris peur de nombreuses fois, serrant le bastingage, ou le manche de son [i]koranen [/i]pour se donner du courage. A cette heure, ni lui, ni aucuns elfes n’avaient de nouvelles de l’issue de la bataille de l’Îlot des Singes Verts.

Abrités par une falaise, les bateaux s’étaient ensuite arrêtés à deux lieux à pieds du rivage de la presqu’île. Erion Serra avait alors pris le commandement de la troupe terrestre et avait mené plus de six cents combattants à travers les rochers. Ils avaient tous suivit la longue piste, parfois rampant, parfois marchant très lentement, parfois nageant, en essayant toujours de faire le moins de bruit possible et de ne pas attirer l’attention. Arrivés aux abords de la presqu’île, tous avaient dû nager à moitié sur trois cent pieds pour éviter un passage impraticable au sec. Enfin, la troupe avait abordé la presqu’île, toute déchirée et flanquée de hautes falaises. Loin des rares installations humaines du territoire, les elfes étaient passés inaperçus en marchant calmement sur les grandes plages de galets formant le rivage. Erion avait pris avec lui environ deux cents vingt hommes, pour s’emparer de L’Albatros. Le phare était une immense installation, de plus de quatre cents trente pieds de haut, fortifié à la base, et abritant dans ses étages des trésors fabuleux, selon les légendes populaires. En réalité, Estë avait confié à Hroar qu’il accueillait la deuxième plus grande bibliothèque du royaume Lagoride, après celle des Grands-Rois à Bétula. Au nord, l’isthme de La Mouette reliait la presqu’île au continent. Le corridor, très étroit et aisément défendable, était bouché par le fortin « La Mouette », placé sous le commandement du général Nérau, un vieux militaire lagoride, que certains surnommaient « l’Ancien Garde ».

Erion avait demandé à Noédor Edlla de mener le reste de la troupe à l’assaut du fortin, et avait confié à Hroar la tâche de le seconder. Serra s’était ensuite dirigé vers une grande valleuse au sud, dans l’espoir d’atteindre le somment des falaises, où se situait le phare, sans avoir à escalader. Hroar et Noédor avaient également emprunté une valleuse plus au nord, beaucoup plus encaissée, et cette fois inondée. Une fois au sommet de la falaise, ils avaient mis en place leur plan. Les humains étant inconscients de l’attaque, Noédor mènerait une première expédition au nord, où la plupart des soldats lagorides étaient massés, en tâchant d’escalader les murailles à l’aide de grappins et de cordages. L’un de ses lieutenants se verrait confié une troupe plus réduite, et attaquerait par le sud-ouest en utilisant le même procédé. Le plan était simple. Hroar avait refusé le commandement de la deuxième troupe, sachant que les elfes rechigneraient à suivre un nain. Il avait cependant veillé à ce que deux des meilleurs guerriers accompagnent Noédor et lui servent de gardes du corps. C’est ainsi qu’il se trouvait en pleine escalade. Avec lui se trouvaient deux mâles elfes d’âge mûr, Veilnor et Solyr, ainsi que la jeune Zaona, qui s’était distinguée pendant la guerre du Vieux-Prince, âgée d’à peine vingt-cinq ans à l’époque. Il les avait sélectionnés pour leur expérience des sièges et leur calme. Alors que la bataille faisait rage en-dessous d’eux, les trois elfes s’étaient furtivement glissés au deuxième étage du donjon pour massacrer une troupe d’archers faisant des ravages depuis leurs positions surélevées. Hroar, quant à lui, grimpait toujours, désirant atteindre la haute terrasse d’où Nérau commandait ses troupes afin de le capturer. La dernière partie de l’ascension s’avérait la plus ardue, et Hroar bénit les dieux d’avoir grandi en moyenne montagne, là où les pentes abruptes l’avaient formé à l’escalade.

Derrière lui le drapeau de la Reine Ivawen flottait déjà au sommet de L’Albatros. Hroar savait que Nérau n’était pas inquiet pour autant. Le sort de la bataille pour la presqu’île se jouerait au fortin et non au phare. « La Mouette » était la clé de ce territoire, et pouvait subir s’il le fallait un long siège. Si Nérau parvenait à chasser les assaillants de sa forteresse, la bataille serait perdue. Le nain glissa ses doigts dans une fissure située un peu plus haut et posa son pied sur une pierre qui dépassait. Il saisit son piolet et le planta fortement à quelques pieds, pour se hisser. Le rebord de la terrasse où se tenait Nérau n’était plus très loin. Il souffla avec force. Il avait abandonné son armure afin d’escalader plus aisément. Enfin il arriva à la hauteur du balcon. Il glissa ses mains sur le rebord et se hissa le plus rapidement possible. Une fois que ses pieds furent posés, il dégaina son koranen ainsi qu’une courte dague et s’élança.

Nérau l’aperçut du coin de l’œil et dégaina son épée immédiatement. Il était chauve, et les cheveux qui lui restaient étaient gris. Deux gardes imposants l’accompagnaient. Sans prendre le temps de revêtir leurs casques qu’ils avaient laissés sur une table basse, ils se jetèrent sur Hroar. Le nain esquiva un coup pernicieux et abattit sa hache vers la jambe du premier assaillant. L’homme recula, laissant le temps à Hroar de se dégager et de s’attaquer au deuxième homme, plus grand et blond. Il était plus rapide, et fit reculer son adversaire. Le nain tenta de passer outre son armure avec un coup de couteau dans le bassin, mais le guerrier lui opposa une rondache. Nérau restait en retrait, mais le premier garde du corps revenait à l’assaut. Hroar dû reculer précipitamment, s’approchant dangereusement du bord de la rambarde. D’un coup de bouclier, le blond envoya le nain au tapis et lui fit une longue estafilade sur le bras droit. Hroar atterri brusquement et grogna, lâchant son arme. Le premier garde restait en retrait, convaincu de la supériorité de son compagnon. Le deuxième flanqua un coup de pied à la face du nain qui se cogna la tête sur la rambarde. A moitié aveuglé et étourdi, sa main droite rencontra tout de même le manche de son koranen. D’un geste, il enfonça la lame dans le genou de son adversaire. Le coup manquait de force et de précision, mais l’humain chuta tout de même, épée en avant. Hroar dévia la lame grâce sa dague et reçut le corps de l’homme sur ses pieds bottés. D’une poussée, il le passa par-dessus le balcon. Un instant plus tard, le deuxième garde se précipita. Le nain lui jeta son couteau. Il ricocha sur son gorgerin, mais lui entailla profondément la tempe. L’homme cria, et Hroar se releva. Furieux d’avoir manqué son coup, il percuta le soldat et lui arracha son épée des mains. Nérau, qui s’était approché, l’attaqua. Hroar para, puis avança précipitamment dans l’espoir d’effrayer le général. Derrière, il senti le garde toujours vivant marcher sur lui. Il se retourna et l’embrocha, avant d’arracher son épée du cadavre. Il se tourna vivement, bloqua un coup lent de Nérau et fit trois pas de côté pour se placer un peu en retrait par rapport à son adversaire. Il le regarda.

- C’est fini, général, lui dit-il en Antique commun, avec son accent caverneux des montagnes. Rendez-vous et il ne vous sera fait aucun mal.

- Rien n’est fini, nain, répondit l’autre d’une voix calme. Tu es blessé et tes hommes sont en sous nombre. De plus, tu viens de tuer mon fils.

Hroar ne répondit rien. Il avait évalué rapidement l’âge des humains présents sur le balcon. Le fils de Nérau devait être celui qu’il avait passé par-dessus bord. Et il avait bien failli le tuer. Son bras droit et sa bouche saignaient abondamment. S’il avait eu en face de lui un adversaire de taille, le combat aurait été rude, mais Hroar voyait tout de suite que Nérau était vieux, et qu’il n’avait jamais été un véritable combattant. Il décida d’en finir. Il s’élança, envoyant quelques coups pour fatiguer son adversaire. Le général attaqua à droite, espérant profiter de la faiblesse du bras du mercenaire. Le nain sourit. Il rassembla ses forces et repoussa furieusement la lame de Nérau. Du coin de l’œil il aperçut une colonne de troches se dirigeait vers le fortin depuis le sud. A sa tête se trouvait un fanion blanc et bleu, les couleurs de la Famille Serra. Hroar se lança dans un violent assaut, frappant aux jambes, au cou, à la poitrine, au ventre. Nérau parait et esquivait difficilement. Le nain sauta alors et, utilisant son bras gauche, frappa violemment la lame de son adversaire qui chuta. D’un coup de pied il jeta l’épée au loin. Son saut était risqué ; avec sa faible allonge il avait exposé sa tête un instant, si bien qu’un guerrier chevronné aurait pu la lui trancher. Mais Nérau n’avait pas eu les réflexes suffisants. Hroar pointa son arme sur sa gorge.

- Relevez-vous, lui ordonna-t-il, et sonnez la fin des combats.

- Ma mort ne forcera pas mes hommes à se rendre, dit le général, sans avoir l’air convaincu.

- Ils sont déjà en mauvaise posture, et sans votre commandement ils ne pourront repousser l’attaque à venir (du pouce, il désigna la colonne d’Erion Serra).

- Très bien, le nain, admit Nérau. Tu as finement joué.

Il alla chercher un linge blanc et l’agita à la vue de tous. Peu à peu, les combats cessèrent et les portes sud furent ouvertes à la troupe d’Erion.

- Dis-moi, nain, demanda Nérau, tu as tué mon fils, tu me dois bien une explication. Alors dis-moi, que fais-tu parmi tous ces elfes ? Tu es loin de tes montagnes.

- L’un de mes rares amis est l’un d’eux, répondit-il calmement. A leurs côtés je combats sous les couleurs d’une reine épatante. Et j’ai rencontré une musicienne, amoureuse de la mer. Les elfes vous traiteront le mieux possible. Je veillerais à ce que de grandes funérailles soient organisées pour votre fils, général.

Le vieil homme, le regard vide, préféra regarder l’horizon et l’aube qui nimbait L’Albatros. Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
Voilà la suite, j'espère que vous apprécierez.

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Chapitre XVIII[/b][/u][/center]


[b]Début de l’an 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Au balcon de ses appartements privés, la reine Ivawen attendait. Deux grandes boucles d’or étaient accrochées à ses lobes d’oreille et deux perles du même métal rutilaient à leurs sommets. Elle observait sa capitale qui se découpait en-dessous d’elle, en sirotant un verre de jus de pamplemousse. D’immenses nuages gris se déplaçaient au-dessus de la ville. En cette fin de période hivernale, la pluie frappait l’Île avec violence. La saison des pluies était à ses débuts, et Ivawen savait que nombres de ses sujets souffraient des éléments déchaînés. Au sud de la ville, trois maisons s’étaient effondrées. Pour la première fois depuis une dizaine d’années, ils devaient subir cela en temps de guerre. Néanmoins, la reine n’était pas vraiment inquiète. Rylor Furiade et Souvaron Desmopïl avaient à leur disposition toutes leurs armées, pouvant s’il le fallait les mobiliser pour répondre à une crise climatique. Ayant préférés garder leurs troupes auprès d’eux, ils ne pourraient pas accuser la Reine de mettre son peuple en danger à cause de sa guerre contre les Lagorides. Elle avait massé un millier de guerriers elfes dans les casernes de l’immense capitale, pour venir en aide aux sinistrés, et surtout, désamorcer les éventuels conflits. Ivawen jouissait toujours du prestige de sa gestion de ce qu’on avait appelé la [i]Grande Boue[/i]. La dernière année de la Guerre du Vieux-Prince, alors qu’elle avait repris depuis peu la capitale, les pluies torrentielles avaient entraînées d’immenses coulées de boue, détruisant une petite partie de la ville. Ivawen avait en personne chevauché pour mater une émeute violente. Entre la révolte et sa répression, la journée avait fait une cinquantaine de morts parmi la population de la capitale. La reine avait elle-même tué d’un coup de gourdin une femme qui la visait avec un poignard. Une fois la cité plus ou moins pacifiée, Ivawen, les vêtements encore tâchés de sang, avait passé la nuit à venir en aide aux habitants les plus sinistrés. Etant donné les violences qu’ils avaient commises, le peuple ne portait pas les émeutiers dans son cœur, et l’engagement physique personnel d’Ivawen tout au long de la crise climatique et sociale avait grandement contribué à son prestige au sein de la population de la capitale. Cet évènement hantait néanmoins Ivawen chaque fois que la saison des pluies débutait. La révolte, bien que violente, était compréhensible, et, si à l’époque sa réaction lui avait paru appropriée, elle ne pouvait s’empêcher de penser aujourd’hui qu’elle aurait pu limiter un peu plus les dégâts.

La Reine prit son visage dans ses mains et se frotta les yeux. Les nuages venaient dans sa direction. Elle préféra rentrer dans sa chambre. Elle avait assez fait attendre sa visiteuse. Elle fit signe à Ciriel, sa servante, de la faire entrer. Ciriel se dirigea vers la porte, l’ouvrit, introduisit la visiteuse et sorti de la pièce en refermant la porte. La jeune femme qui venait d’entrer n’avait pas vingt-ans. C’était une humaine aux cheveux blancs et aux yeux pâles. Elle était droite et fière, mais Ivawen senti immédiatement qu’il s’agissait d’une façade. Elle n’était pas vraiment menue, mais assez petite, si bien que la Reine avait l’impression de se tenir en face d’une enfant. Son front était ceint d’un diadème d’or ciselé avec une tête de corbeau en son centre et ce qui semblait être une queue de scorpion à côté. [i]De l’or[/i], songea-t-elle, [i]parfait[/i]. L’elfe fit la révérence et l’humaine s’inclina.

- Bienvenue, Reine Malvace, sourit Ivawen. Le voyage a dû être éprouvant.

- En effet, Votre Majesté, répondit la jeune femme, moins que mon départ, toutefois.

- Bien sûr. Je vous en prie, asseyez-vous.

Les deux femmes s’installèrent dans des fauteuils confortables autour d’une table basse. Malvace se servit un verre d’eau et but une gorgée.

- Selon le rapport de ma sœur, dit Ivawen, vous avez-vous-même participé aux combats. Comment vont vos blessures ?

- Elles se remettent, elles n’étaient que superficielles. Je vous remercie de m’avoir accueillie au sein de votre palais, et d’avoir logé les miens.

- C’est bien normal, glissa la reine elfe. Il nous faut désormais nous concentrer sur la guerre qui nous attend, toutes les deux.

- Huit-mille chevaliers me sont fidèles à Djiane, ils ont pris le maquis, il faut que je leur assure mon soutient, ainsi que de quoi mener une guerre.

- De combien de soldats disposent vos adversaires ?

- Syna contrôle environ une dizaine de milliers d’hommes, et son frère moitié moins, répondit Malavace. Mais le problème est qu’il est en possession de la puissance d’Ostania, de ses ressources, de ses infrastructures.

- Je vois, souffla Ivawen. Vous comprenez qu’il m’est difficile de vous appuyer militairement dans ces conditions. Qu’en est-il du peuple ? A qui prête-t-il allégeance, formellement et informellement ?

- Formellement, il se doit de suivre le roi en place, en l’occurrence l’usurpateur, Syna. Mais Corylus était un roi très aimé, il lui arrivait notamment de parcourir la Bande afin de se faire voir de la population, qui s’estimait honorée. Sa chute ne doit pas spécialement plaire.

- Et qu’en est-il de vous, Malvace ?

- De moi ? Que voulez-vous dire, majesté ?

- Le peuple, grinça Ivawen.

- Hum, fit Malvace. Pour être franche avec vous, les habitants d’Ostania traitaient régulièrement ma mère d’étrangère. J’en ai hérité les premiers temps. Néanmoins, après mon mariage avec Corylus, je me suis servi d’une partie de ma dot pour couvrir Ostania de largesses, en matière d’urbanisme notamment. Corylus me l’avez conseillé. Le peuple de la capitale a fini par m’apprécier.

- Pensez-vous à ce titre qu’une révolte de la population est possible ?

- Oui, mais il me faudrait pour cela arriver à leur transmettre un symbole fort, dit Malvace. Je devrais par exemple me présenter à leurs yeux comme une souveraine valable. Djiane abrite une société guerrière, et les femmes ne sont pas admises sur les champs de bataille. A ce titre, il me faudrait être un chef de guerre capable de mener une attaque ou de combattre aux côtés d’une armée.

- Vous sentez-vous capable de faire cela, Majesté ? demanda Ivawen.

- Je peux diriger un état, je peux former le roi, mon frère, à son métier, je peux établir un conseil, choisir des généraux et des ministres. Les mener au combat, établir des stratégies… cela me semble au-delà de mes compétences. Je suis désolée, Altesse, mais je préfère être franche, sans votre aide, je ne pourrai pas reconquérir mon royaume.

- Vous êtes pourtant parvenue à mener vos troupes à la guerre, selon le rapport de Nærisa.

- Donner du courage à des troupes, une seule fois, alors que l’on a rien à perdre, ce n’est pas très compliqué.

- Je sais, siffla Ivawen. Vous craigniez qu’un chef étranger, même combattant pour vous, soit mal vu par le peuple ? Et vous n’avez pas de généraux au charisme suffisant pour vous servir de généralissime ?

- Mon peuple m’a déjà traité comme une étrangère… Et il ne me reste comme généraux principaux qu’Estaban Draguius et son père, répondit Malvace. Tous deux sont compétents, mais je ne les crois pas capables de soulever le peuple. Ce sont des hommes de terrain, des exécutants et non des dirigeants.

- Ils manquent de charisme ? demanda Ivawen.

- Leur fonction consiste à mener des troupes et à élaborer des stratégies, pas à porter un message politique. Ils appartiennent expressément à l’armée, et ne font qu’obéir aux ordres.

- Si je comprends bien, sourit Ivawen, il vous faut un soldat pouvant mener des troupes aux côtés de vos généraux, charismatique, qui agirait comme un représentant de votre autorité sur le champ de bataille. Un champion en quelques sortes ?

- Cela m’aiderait. Je n’aurais pas à combattre mais pourrais tout de même être présente aux côtés de mes troupes. Et les visiter après la bataille.

Ivawen la sentait tendue. Elle n’avait pas l’habitude de ce genre de discussion. Si son ton était mesuré et sa voix neutre, la reine elfe sentait que Malvace était une souveraine jeune et imprécise. Ainsi, en l’absence d’un mentor tel que son roi de mari, Corylus, elle se retrouvait seule à prendre des décisions importantes, et Ivawen sentait que, dans la Bande de Djiane, Malvace restait l’unique personne capable de contrôler les diverses aspirations des prétendants au trône, et de canaliser les forces en présence. Elle sourit.

- Reine Malvace, je vous soutiendrai. Dès que je connaîtrais l’issue de la bataille navale de l’Îlot des Singes Verts, je ferais mon possible pour lever des troupes et vous aider à récupérer votre trône au nom du roi Oscim. A ce titre, je placerai à vos côtés une personne capable de répondre à vos besoins. C’est un militaire aguerri, et un guerrier hors pair. Solitaire, cette personne ne vous fera pas d’ombre.

- Je vous remercie une fois de plus, reine Ivawen, lui dit Malvace. Je vous fais confiance dans le choix de ce général, et suis à jamais votre débitrice vis-à-vis de l’attention que vous portez à ma requête. J’ai une totale confiance en votre jugement.

- Merci, altesse, répondit Ivawen avec un sourire. Mes conseillers m’aiderons à rédiger un traiter officiel, que je soumettrai à votre jugement, afin que cette alliance puisse être scellée.

Si vous avez mon entière confiance, pensa Ivawen, c’est que vous êtes peu suspicieuse. Malvace se leva, comprenant que l’entretien était terminé. Elle approcha ses mains et Ivawen les serra fort, respectant la coutume de la terre d’origine de la reine. Elle accompagna la jeune humaine vers la porte.


Silya s’inclina lorsque Malvace sorti des appartements d’Ivawen. Ciriel, la servante de la reine, fit signe à l’alizéenne d’entrer dans l’antichambre. La pièce était spacieuse, équipée de plusieurs épais fauteuils ainsi que d’une table basse. Les teintes dorées étaient dominantes, et rehaussées çà et là de bleu. De nombreux bougeoirs agrémentaient la pièce, la plupart en or plaqué, si bien qu’elle se trouvait baignée d’une chaude lumière aux reflets jaunes. La reine, vêtue d’une robe verte et parée de boucles d’oreille d’or, la regardait. Silya fit la révérence. Elle n’estimait pas prudent d’engager la conversation ni de s’asseoir. Ivawen s’approcha et lui toucha l’épaule. L’alizéenne frissonna. Elle se senti soudain très vulnérable. D’instinct, elle voulue se rassurer en portant les mains à ses armes, avant de se souvenir qu’elle se les avait pas sur elle.

- Viens t’asseoir, lui demanda la reine.

Silya s’installa en face de la souveraine, dans un épais fauteuil. Ivawen lui proposa un verre d’eau, qu’elle accepta avec plaisir. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas été assise sur une étoffe aussi soyeuse. Elle ignorait totalement pourquoi la reine l’avait faite venir aujourd’hui. Néanmoins, elle réussit à se détendre. Le regard que l’elfe portait sur elle la dérangeait. Elle regardait ses genoux, son cou, la profonde cicatrice qui marquait son visage, son oreille mutilée, puis, enfin, ses yeux. La gêne quitta instantanément Silya. Comme lors de sa première rencontre avec la reine, elle plongea son regard dans le sien. Les deux femmes restèrent de longues minutes à se fixer.

- Tes blessures vont mieux ? demanda enfin Ivawen.

- Oui, je me suis bien remise. J’en ai vu d’autres.

- Sais-tu pourquoi je t’ai demandé de venir aujourd’hui ?

- Je ne sais pas, Majesté, répondit Silya.

- Je voulais te remercier, sourit Ivawen. Je n’en avais pas eu l’occasion. Séïren m’a rapportée que tu lui avais sauvé la vie lors des évènements de Korih.

- Je ne sais pas si elle était réellement en danger de mort, ma Reine.

- Savoir que tu as failli mourir pour elle me suffit, Silya. Et je ne suis pas ta reine.

[i]Oh, Ivawen, vous l’êtes bien[/i], pensa Silya. Elle préféra rester silencieuse. L’elfe la regardait toujours.

- Tu as également défendue Nærisa dans la Bande de Djiane.

- C’est pour cela que vous me payez, Altesse.

- Mais sûr, mais l’ardeur que tu mets dans l’accomplissement de ta tâche me prouve que je peux avoir confiance en toi. Avant Korih, je n’étais pas sûre de ta fidélité. A présent je la connais. Je pense que tu comprends.

- Oui, ma Reine.

- Parle-moi de Malvace, demanda Ivawen. Tu l’as côtoyée un temps, que penses-tu d’elle ?

- Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour vous répondre, Majesté, répondit Silya, il vaudrait mieux le demander à votre sœur.

- Elle m’en a déjà parlé, répondit Ivawen, visiblement un peu agacée. C’est [i]ton [/i]avis que je demande.

- Je l’ai vu combattre, je l’ai également vu inquiète pour son frère, répondit Silya. J’ai senti une grande puissance en elle. C’est une sorcière de talent, je le sais, même si la magie n’est pas ma spécialité (elle devina ce que cherchait à savoir Ivawen). Mais, moi qui en ai servi plusieurs, je ne vois pas en elle un chef d’état.

- Elle est encore jeune. A peine dix-huit ans.

- A son âge, Nærisa accomplissait des prouesses diplomatiques. Au regard des canons elfes, vous n’étiez pas beaucoup plus vieille lorsque vous avez pris les armes contre le Vieux-Prince, Majesté.

- Que faisais-tu, toi, à dix-huit ans, Silya ? s’intéressa la reine.

- A… à dix-huit ans ? balbutia Silya. Je… j’étais… à la guerre, ma Reine. Je combattais au sein de l’armée du Royaume Alizé, en tant que soldat pendant… pendant la guerre des reines. Je… mon père est mort à cette époque, ma Dame, pardonnez-moi.

- Désolée, Silya, lui dit Ivawen. Je ne voulais pas te faire de peine. Pour en revenir à Malvace, je pense que je dois lui laisser une chance. Bien qu’elle n’ait peut-être pas l’étoffe d’une reine, je dois compter sur elle. Elle reste un symbole, et ses troupes la suivront. Je dois néanmoins m’assurer qu’elle aura tout le soutien qu’il lui faut. A savoir des conseils avisés, des troupes fraiches et, vu la situation quelle m’a exposée, un champion capable de la représenter sur le champ de bataille.

- C’est la raison de ma présence ici, n’est-ce pas, votre Grâce ?

- En effet. Tu es humaine, tu es une femme, comme Malvace. De plus, tu es une excellente combattante, tous ceux qui t’ont vu te battre me l’ont confirmé. Je veux que tu prennes les armes et que tu accompagnes Malvace et ses suivants à Djiane. Tu la conseilleras sur les stratégies à suivre et deviendras sa championne sur les champs de bataille. J’enverrai une troupe avec toi, sous le commandement d’un officier de Céläastra, ainsi qu’un conseiller civil pour Malvace.

Ivawen la regarda, attendant sa réponse. L’humaine resta impassible pendant de longues secondes, la scrutant toujours de ses yeux verts pâle. Le calme qui se dégageait d’elle à cet instant précis n’était pas différent de l’aura qu’Ivawen avait sentie chez elle à chacune de leurs rencontres. Sous sa tunique, ses muscles longs respiraient la puissance, sa tresse grise et ses cicatrices trahissaient sa grande expérience, et ses yeux verts ne semblaient jamais étonnés de rien. Mais au-delà de ça, sa personne même respirait la sérénité. Elle se demanda si elle-même, Ivawen, donnait cette impression à ses sujets. Elle pensa à son père et à son grand-père, rois absolus en leur temps, avec qui elle se sentait toujours en sécurité. Mais elle savait que cela n’avait rien à voir avec l’aura de Silya Ayen. L’humaine semblait tirer sa puissance non pas d’un charisme naturel, mais uniquement de son calme. Silya n’était qu’harmonie et d’une certaine manière, à la fois douceur et puissance.

- Vous me détachez donc du service de la princesse Nærisa ? s’enquit Silya. Vous ne craigniez pas d’attaque ?

- Elle se trouve à Céläastra et y restera avec moi pour régler les affaires courantes jusqu’à ce que la situation militaire se débloque, expliqua Ivawen. Le danger est minime sur l’Île.

- Puis-je vous demander si vous avez des nouvelles d’Arthelor Fend-Tribord et de sa flotte, Majesté ?

- Non, tu ne peux pas. Néanmoins, soupira Ivawen, étant donné que je n’ai pas de nouvelles, je peux bien te parler de ce que je sais. Nærisa et toi êtes revenues avant-hier de la haute mer. Vous avez dû prendre un chemin détourné à cause des tempêtes d’hiver. Je suppose que le messager chargé m’annoncer l’issue de la bataille a eu les mêmes difficultés. J’espère seulement qu’il ne s’est pas perdu en mer. Enfin, bientôt Eoïndril Eleïon pourra embarquer et rejoindre l’Îlot des Singes Verts.

L’humaine resta silencieuse.

- Silya, lui demanda la reine, t’a-t-on déjà vaincu en combat singulier ?

La guerrière leva la main, avant de la reposer sur l’accoudoir de son fauteuil. Devinant que son mouvement était dirigé vers son buste, Ivawen posa les yeux sur sa poitrine. Elle avait un décolleté haut, mais la reine put distinguer entre ses seins une profonde cicatrice, qui remontait un peu vers sa gorge. Une fine chaine dorée pendait également de son cou, mais une partie était dissimulée par le corsage de la guerrière. Ivawen resta quelques secondes à contempler la chaîne d’or, puis releva la tête lorsque Silya répondit simplement :

- Oui, j’ai déjà été vaincue au combat.

Sa voix restait neutre, mais ses yeux étaient plus brillants que d’habitude. Ivawen se sentit soudain observée. Elle regarda vainement la pièce avec un mouvement circulaire, mais les deux femmes étaient seules. Elle eut une sueur froide.

- Il me faudra rassembler des troupes et mettre cette expédition sur pieds, dit la reine en reprenant contenance. D’ici là, je veux que tu t’entraînes, et que tu te tiennes au courant des coutumes guerrières de la Bande de Djiane, et du Royaume Lagoride en général. Et je veux que tu continues à protéger Nærisa jusqu’à ton départ (l’alizéenne acquiesça). Bien, à présent laisse-moi, Silya, j’ai rendez-vous avec ma sœur.

La guerrière se leva, fit une profonde révérence et se dirigea vers la porte. Ivawen la regarda partir, puis s’affala dans son fauteuil. Elle avait envie de s’allonger, mais se força à se lever et alla chercher un flacon dans son armoire. Il contenait un mélange d’orange sanguine et de pamplemousse, le jus de fruit préféré de Nærisa. Elle le posa sur la table et se rassit.


Nærisa entra dans l’antichambre et s’approcha de sa sœur. Ivawen se leva et la princesse l’embrassa sur la joue. Elles s’assirent l’une à côté de l’autre.

- Comme vont les cousines ? demanda Nærisa.

- Plutôt bien, répondit la reine. Toujours aussi turbulentes et toujours aussi amusantes.

- Je suppose que tu n’as pas de nouvelles d’Arthelor ?

- Tu es rentrée depuis deux jours, et as dû me poser dix fois la question.

- Excuse-moi. Je m’inquiète.

- Avec les tempêtes de l’est, l’absence de nouvelles n’a rien d’étonnant. Mais je pense que nous en auront très bientôt. J’ai par contre des nouvelles du Royaume Lagoride dont je dois te faire part.

- Ah ? fit Nærisa, intéressée.

- Erion Serra et Noédor Edlla ont débarqué sur la Presqu’île du Goéland et se sont emparés de ses deux forteresses.

- Comment se fait-il que nous ayons de leurs nouvelles avant d’en avoir d’Arthelor ?

- Je ne sais pas, fit Ivawen, en faisant la moue, il y a moins de tempêtes à l’ouest, tout simplement.

- Bon, admit Nærisa. C’est une bonne nouvelle en tout cas. Il n’y a pas eu trop de pertes ? Il nous faut nous assurer de l’occupation de cette tête de pont vers le Royaume Lagoride.

- L’occupation ? sourit Ivawen. J’ai l’intention d’annexer la presqu’île, et d’en faire une colonie elfe à part entière. Les pertes n’ont pas été suffisantes pour handicaper notre mainmise sur ce territoire.

- Le Grand-Roi va enrager, fit la princesse. Mais c’est une bonne position pour nous. Il nous faut y envoyer des troupes fraîches, et s’occuper des prisonniers. Les mettre en sûreté, je veux dire.

- Oui, dit sa sœur. Je veux que tu rédiges une missive au Seigneur Matthys. Qu’il envoie au plus vite quelques bateaux vers la Presqu’île du Goéland, contenant cinq-cents de soldats en renfort, ainsi que de quoi convoyer environ trois cents cinquante prisonniers.

- Bien, qui comptes-tu envoyer pour administrer ce nouveau territoire, une fois qu’il nous sera acquis ?

- Séïren, pour l’administration civile, expliqua Ivawen. Avec Noédor Edlla en tant que gouverneur militaire. Je lui ai demandé de revenir de Korih. Tout en détachant un agent royal pour surveiller Laodice, la nouvelle [i]basileisa[/i].

- Je m’étonne encore qu’Ursin Edlla ait facilement accepter les fiançailles de son fils avec Séïren.

- Moi aussi, sourit Ivawen. Mais la réussite de Séïren à Korih l’a fait fléchir, et son fils a fini par le convaincre définitivement. Soïlïn Sëë, par contre, a assez mal réagit à tes fiançailles avec Erion Serra.

- Bien entendu, souffla Nærisa. Je ne t’ai rien demandé.

- Tu as consentie…

- Il faut bien que quelqu’un se charge de faire un héritier à ta couronne, ma sœur, marmonna la princesse.

- J’ai parfaitement entendu ce que tu viens de dire, Nærisa, lui glissa Ivawen.

- C’est à Erion que l’on doit la prise de la presqu’île, n’est-ce pas ? demanda la princesse.

- Oui, il a conçu le plan de bataille. Il a mené l’assaut sur l’une des deux forteresses. Mais c’est à Noédor Edlla que l’on doit la seconde attaque, et c’est Hroar Erlîn, le nain, qui a capturé le principal défenseur du territoire, mettant un terme aux combats. Et c’est grâce au capitaine Estë que la troupe a pu arriver sans encombre jusqu’à la presqu’île, en évitant les récifs.

- Ah, [i]le capitaine Estë[/i], grinça Nærisa.

- Elle-même, répondit sa sœur, sur le même ton.

Nærisa resta silencieuse un moment, mécontente de la tournure de la conversation. Les deux sœurs se disputaient régulièrement, cela n’avait rien d’incroyable, et n’entachait pas leur relation. Néanmoins, elle préférait éviter d’énerver Ivawen, surtout à cet instant. La reine ne semblait pas en colère, plutôt perdue dans ses pensées. Estimant qu’attendre ne changerait rien, Nærisa se lança :

- Je suis enceinte.

- Pardon ? demanda Ivawen.

- D’Arthelor, continua la princesse.

- [i]Pardon [/i]? répéta Ivawen en se tournant vers sa sœur.

Ses yeux restaient calment, mais Nærisa savait qu’ils flamboieraient si elle continuait. Elle n’avait pas le choix.

- Que puis-je dire de plus ? s’enquit-elle.

- Premièrement, en es-tu sûre ? fit la reine, d’une voix glacée.

- J’étais dans ma période. Nous nous y sommes beaucoup attelé. Et accessoirement, j’ai du retard. Une semaine.

- Très bien. Et maintenant tu vas peut être me dire [i]pourquoi [/i]? Depuis seize années que tu le fréquentes, tu as toujours fais attention, pourquoi [i]soudainement [/i]?...

- La perceptive de le perdre, sans doute.

- Et c’est pour cela que veux engendrer un bâtard ? demanda Ivawen dont les yeux lançaient des éclairs. Tu m’en voulais de l’avoir envoyé à la guerre ?

- Non, répondit Nærisa en haussant le ton, je voulais un enfant de lui !

- Tu n’en as jamais voulu, fit la reine en se levant.

Ivawen s’était mise instantanément en colère et fulminait, mais Nærisa se contenait. Elle se leva à son tour.

- Mynê Lya a tant souffert, lorsque sa fille est née ! poursuivit la reine. Elle fut rejetée par tant de monde. Estë m’a affirmé qu’elle-même avait eu beaucoup de mal. C’est cela que tu veux ?

- Seuls des fous rejetteraient une princesse royale !

- Et [i]qui [/i]t’a faite [i]princesse royale[/i], sotte ? cria la reine. Qui porte la couronne ? Qui la portait autrefois ? Pourquoi y a-t-il une fleur-de-lys ciselée dessus ? Tu as vraiment pour ambition de t’humilier, de m’humilier, d’humilier le souvenir de notre père, celui de notre mère, et de tous les souverains ayant régnés avant nous ?

- Je me moque de vous humilier, hurla la princesse, je veux un enfant, et pas issu d’un mariage politique !

- Ne me parle pas sur ce ton, Nærisa ! vociféra la reine.

- Tu ne peux pas comprendre, tu ne sais rien, Ivawen ! explosa la princesse, en oubliant toute mesure. Tu n’es pas mère, et tu ne veux pas l’être ! Tu ne cherches pas la compagnie des hommes, à part ton favori, ce pédéraste de cousin d’Ursin Edlla. Oh, voilà qui tu es Iva, mère de tes sujets, au-dessus des mortels et hors du temps, Reine Solaire, Dame Protectrice du Domaine de Céläastra, souveraine dorée et toute puissante, sans enfant de sa chair, mais aux mille et mille enfants adoptifs, unie pour toujours à son Île ! Ou simplement vieille fille ?!

Nærisa fut coupée dans sa phrase. Ivawen venait de la gifler. Elle la regarda. Ses yeux bleus étaient plus froids et plus profonds qu’elle ne les avait jamais vus. Cette dernière tirade avait fait perdre son sang-froid à la reine. La dernière fois que sa sœur lui avait faite peur, Nærisa n’était qu’une adolescente, et leurs disputes n’avaient alors aucune importance. Elle eut un mouvement de recul.

- Dehors, lui intima Ivawen.

Nærisa tourna les talons et se dirigea vers la porte. Au moment de la franchir, elle entendit clairement sa sœur marmonner « Pédéraste ? Tu ne sais vraiment pas de quoi tu parles, Næri ! ».


Une heure après sa dispute avec Nærisa, Ivawen ne parvenait toujours pas à se calmer. [i]Un bâtard ![/i] Sa sœur serait rabaissée par tous les grands nobles ! Et bien évidement, il y avait le problème d’Arthelor. C’était une chose d’avoir un père, légitime ou non, s’en était une autre d’avoir pour seul géniteur un homme mort, ne pouvant reconnaître son enfant. Ce qui arriverait si Arthelor ne revenait pas des côtes lagorides. Outre la lourde perte que cela représenterait pour le royaume d’Ivawen, ce serait un coup d’autant plus rude pour Nærisa, et pour son enfant. Elle était encore plongée dans ses réflexions lorsque l’on frappa à sa porte.

- Entrez, gronda-t-elle.

Deux gardes se présentèrent. Derrière eux se tenait un elfe aux cheveux noirs, de taille moyenne, vêtu d’habits d’excellentes factures. Il avait des poches sous les yeux et le regard sombre. Sa présence semblait incommoder les gardes royaux.

- Ma Reine, dit l’un d’eux en s’inclinant bas, cet homme désire vous voir. Il est muni d’un laisser-passer officiel, signé de votre main (Ivawen acquiesça). Un messager attend également dehors, avec des nouvelles importantes et urgentes, a-t-il précisé.

Ivawen réfléchit un instant. Elle regarda l’étranger dans les yeux, et il inclina la tête à gauche. Elle réfléchit une seconde de plus, puis répondit :

- Dîtes au messager d’attendre dehors, et introduisez mon visiteur. Ôtez-lui ses armes.

Le garde, visiblement surpris, obtempéra, puis l’étranger s’inclina devant elle, entra dans la pièce et referma la porte.


Nærisa s’était un peu calmée après avoir quitté sa sœur. Mais moins de deux heures plus tard, Ivawen l’avait à nouveau convoquée dans ses appartements. Elle passa la porte et trouva sa sœur assise à la même place que deux heures plus tôt, un verre de vin à la main. Boire de l’alcool avant le déjeuner ne lui ressemblait pas. Elle poussa un verre vers Nærisa qui préféra ne pas s’asseoir.

- Tu voulais me voir ? demanda froidement la princesse.

- J’ai des nouvelles d’Arthelor, lui dit simplement Ivawen.

Nærisa s’assit. Fébrile, elle attendit que sa sœur continue.

- L’armada Lagoride a été vaincue au large de l’Îlot des Singes Verts, raconta la reine d’une voix blanche. La plupart des navires humains ont été coulés, ceux qui restent sont en fuite. Fend-Tribord nous a assuré le contrôle des mers.

- Pourquoi parles-tu comme cela ? s’excita Nærisa. Que lui est-il arrivé ?

- [i]La Main du Roi Highlin[/i] a coulé, souffla Ivawen. D’après les témoins, Arthelor a été grièvement blessé à la jambe par Tsarkoié avant de le précipiter à l’eau. Il était à moitié noyé lorsqu’on l’a repêché. On l’a transporté le plus rapidement possible à Vermelhäa. Apparemment sa blessure s’est infectée et on devra sûrement l’amputer pour éviter la gangrène. Il est toujours dans un état critique.

Nærisa prit son verre de vin et le vida d’un trait. Elle resta silencieuse pendant un long moment. Puis elle porta la main à son ventre. Il était encore trop pour sentir le développement de l’embryon, mais elle ne put s’empêcher de se mettre à pleurer. Ivawen vînt se placer à côté d’elle et la serra dans ses bras. Elle resta longtemps à la bercer ainsi et à lui caresser les cheveux et les joues. Elle sanglotait encore et Ivawen posa sa main sur son ventre, puis l’embrassa dans les cheveux.

- Il faut que j’aille le voir, Ivawen, chuchota la princesse. A Vermelhäa.

- Oui. Vas-y. Tu penses encore que je ne peux pas te comprendre ?

- Je n’ai jamais pensé cela, répondit Nærisa. Mais, tu me faisais un peu peur.

- Je suis désolée, ma princesse. Je peux tout de même te poser une question ? (Nærisa acquiesça). Au lieu de lui faire un enfant de cette manière, pourquoi n’as-tu pas tout simplement épousé Arthelor ? Quitte à me défier, l’outrage aurait été moins grand pour moi, et vous auriez été plus libres.

- Je n’ai pas envie de l’épouser, répondit Nærisa.

- Tu n’es pas amoureuse de lui ?

La princesse sécha une larme. On entrait là dans le vif de ses sentiments. Mais elle les connaissait depuis des années.

- Non, je ne suis pas amoureuse. Pas à proprement parlé. J’ai beaucoup d’affection pour lui, je ne veux pas vivre sans lui, et je veux porter ses enfants, mais ce n’est pas de la passion. C’est différent de ce qu’il ressent pour moi. Je le veux en tant qu’amant. Quant au mariage, je n’ai pas besoin de cela avec Arthelor. Alors autant rendre service au royaume par un mariage politique.

- Je comprends tout à fait tes sentiments, lui murmura sa sœur.

- Oui. Je sais, je t’ai déjà vu comme ça. Je dois y aller à présent. Peux-tu faire préparer mon coursier et une petite escorte ?

- Une grande escorte. Tu restes mon unique héritière. Et tu es enceinte.

Nærisa acquiesça. Les sœurs se levèrent et se dirigèrent vers une grande tapisserie accrochée au mur. L’unique représentation de la famille d’Highlin au grand complet, le présentant avec Svinrile, ses deux filles aînées, et, dans ses bras, le bébé Hæja, mort le jour de l’achèvement de cette œuvre. Ivawen la souleva, révélant une porte, et au-delà un petit escalier, menant directement à la chambre de sa sœur, qu’elles utilisaient parfois pour se rencontrer en toute intimité. Nærisa l’embrassa sur la joue, puis descendit les marches.
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  • 2 semaines après...
[b]Voilà la suite, j'espère que vous apprécierez. Pour le rythme de publication, normalement je poste toutes les deux semaines. Seulement vu le retard que j'avais pris au mois doute, j'ai publié plus régulièrement en septembre. Maintenant je compte reprendre un rythme bi-mensuel.[/b]

[u][center][b]Chapitre XIX[/b][/center][/u]


Silya frissonna en entrant dans la cour d’entraînement du palais royal de Céläastra. Elle était équipée d’une élégante cotte de maille elfique, ainsi que de jambières ciselées. Sa tunique de cuir bouilli était également d’excellente facture. Elle tenait en main un heaume sans visière, fendu sur les côtés des yeux pour lui permettre d’avoir une vision élargie. Sa tenue, fine et taillée dans l’acier le plus pure, était un présent de la reine Ivawen. A ses hanches pendaient ses sabres, et à ses poignets, elle gardait les gantelets frappés de la rose-des-vents. Dans la cour s’entraînaient plusieurs guerriers elfes, ainsi que cinq archers. Silya reconnu leur uniforme comme celui des patrouilleurs des remparts royaux. Certains guerriers portaient la livrée bleue nuit des gardes de la reine. D’autres, sans uniformes mais portant des armures de qualités, devaient être issus de la noblesse. Silya repéra également deux femmes en broigne de cuir et de maille en train de s’échauffer. Elles portaient toutes les deux des casques, des gantelets et des jambières d’acier. L’une d’elle effectuait des mouvements avec une longue javeline, tandis que la deuxième maniait une lame elfique incurvée. Les deux semblaient plus jeunes qu’elle, bien qu’elle eut du mal à déterminer leur âge. Depuis son entrevue avec la reine, Silya avait suivi ses ordres et s’était entraînée tous les jours, privilégiant le contact avec différents adversaires. Elle n’avait néanmoins jamais réussi à convaincre plusieurs guerriers de se mesurer en même temps à elle, les elfes préférant se battre entre eux la plupart du temps. Silya les soupçonnait aussi de craindre une défaite contre elle. Toutefois, ce jour-ci, elle décida de tenter sa chance avec ces deux femmes. Depuis son retour de Vermelhäa où elle avait visité l’amiral Fend-Tribord, Nærisa laissait à sa garde du corps le début de ses après-midi, lui permettant de se rendre dans la cour d’entraînement. Silya marcha à travers les dalles de marbres, évitant au passage plusieurs guerriers qui bataillaient. Elle se dirigea vers les dames elfes. Vu leur allure, elles semblaient appartenir à la noblesse. Haussant les épaules, Silya s’arrêta devant celle qui maniait une lance, une petite femme aux cheveux auburn.

- Bonjour, Mes Dames, leur dit-elle. Peut-être accepteriez-vous d’effectuer quelques passes d’armes avec moi ?

- Qui êtes-vous ? demanda son interlocutrice en la dévisageant d’un air soupçonneux. Je ne vous ai jamais vu par ici.

- Elle participait au tournoi de la reine, dit la deuxième elfe, dont la voix était haut perchée. A l’épreuve de Haute-mêlée. Depuis la princesse Nærisa l’a recrutée comme garde du corps. Mais j’ignorais qu’elle avait accès à la salle d’entraînement.

Silya regarda un instant la jeune femme. Passant outre son arrogance, elle se demanda comment elle savait tout cela. Puis elle la regarda dans les yeux. L’un était d’un vert profond, lui rappelant directement ceux de Nærisa. L’autre était beaucoup plus clair, d’une couleur gris-vert. Silya reconnue difficilement l’elfe aux yeux vairons qui avait combattu à ses côtés lors du tournoi d’Ivawen. Elle avait une crinière de cheveux bizarrement argentés, assez clairs, qu’elle avait semble-t-il tentée de nouer en tresses acceptables. Silya la toisa quelques instants avant de dire :

- La princesse estime que sa sécurité est assez importante pour que ceux qui en sont chargés soient les mieux formés possible. Désirez-vous vous entraîner, ou préférez-vous rester ici à papoter ?

- On se bat, l’humaine, fit l’elfe aux cheveux auburn. Que proposez-vous ?

- Il semblerait que j’ai bientôt à me battre au sein d’une armée, et contre d’autres armées, dit Silya. Autant que mes entraînements ressemblent le plus possible à une vraie bataille. Je vous propose de vous battre toutes les deux contre moi.

- Toutes les deux ? s’exclama la crinière d’argent en riant. Vous ne croyez pas que cela ferait un peu trop ?

- Nous verrons, sourit Silya. Le but n’est pas forcément de gagner, mais d’aiguiser les réflexes. Dans l’idéal, il faudrait se battre contre quatre ou cinq adversaires en même temps. Mais je pense que deux suffiront pour cette fois. En cela j’estime que l’exercice de la haute mêlée est particulièrement intéressant.

- Vous en sortirez-vous, si deux combattantes confirmées focalisent leurs attaques contre vous, guerrière ? fit cheveux d’argents, dubitative.

- Bonne question.

Les trois femmes se saluèrent sobrement, puis chacune coiffa son casque et changea ses armes contre des lames d’apparat. Elles s’éloignèrent l’une de l’autre et commencèrent à s’échauffer. Silya rangea ses sabres émoussés, puis bondit sur la droite, tout en tirant une lame et en envoyant une parade imaginaire. De l’autre main, elle dégaina sa deuxième arme et frappa l’air de bas en haut. Elle pivota immédiatement après, et enchaîna une série de bottes, tout en restant cantonnée à un périmètre très restreint. Tout en exécutant sa chorégraphie, elle jeta un œil à ses futures adversaires. Celle aux cheveux auburn restait le plus souvent campée sur ses appuis et lançait des regards frénétiques aux alentours. Elle portait lance et bouclier avec aisance. Elle avançait patiemment vers son concurrent imaginaire et lui tournait autour, tout en s’éloignant grâce à de petits sauts. Elle maîtrisait parfaitement son timing et son armure, plus lourde que celle de sa compagne, était parfaitement adaptée à ce style de combat, basé sur le harcèlement. La deuxième était bien plus virevoltante, démontrant toute l’agilité dont était capables les elfes. Elle bondissait de toutes parts, tailladant, tranchant, parant, en divers points. Elle avait l’air d’une danseuse. Tout en s’échauffant Silya compris le manège des deux femmes. Celle aux cheveux auburn attendait que l’adversaire attaque pour le cueillir. L’autre se concentrait sur les esquives, pour frapper de plus belle une fois que l’occasion se présentait. Les deux techniques étaient efficaces, car la plupart des hommes ne pensaient pas tout de suite être vaincu par une femme. Ils avaient donc tendance à s’approcher et à prendre des risques. Néanmoins, l’alizéenne était trop chevronnée pour se laisser berner. Elle savait également que s’il était possible de lire le jeu de ces elfes pendant leur échauffement, elles pourraient se montrer autrement plus redoutables en combat réel, ou simulé. Les trois femmes s’arrêtèrent presque simultanément. Elles se placèrent à distance respectable les unes des autres et se toisèrent un petit moment. Puis le combat débuta.

Silya avisa la guerrière aux cheveux auburn. Elle s’avança et l’humaine dut parer un coup de lance. Elle riposta puis attaqua vers l’intérieur. Elle ne put atteindre la guerrière qui s’esquiva et dut reculer rapidement pour éviter un coup de sabre de sa deuxième adversaire. Elle fit deux pas de côtés et s’attaqua à l’argentée. Celle-ci s’élança et lui envoya une série de coups vicieux. L’humaine esquiva et para, tout en tentant de se rapprocher. Elle évita de justesse la lance de l’autre qui fusait vers elle. Elle fit deux pas en arrière et regarda ses adversaires. L’argentée était svelte et petite, mais assez large d’épaules. Elle semblait détenir en elle force et souplesse. L’autre était clairement moins forte que sa partenaire, mais semblait aussi bien plus sûre d’elle. Son visage était serein et elle maniait sa javeline avec une précision effrayante. Silya recula à nouveau. Elle plissa les yeux. Elle partit en arrière, puis se jeta sur la femme à la lance, en tentant de l’atteindre au genou. L’autre se retira sans problème et Silya dut éviter un coup de sabre de la deuxième guerrière. L’alizéenne recula une fois de plus et toisa ses adversaires. Il ne servait à rien d’élaborer une stratégie complexe pour les vaincre toutes les deux en même temps, il lui faudrait improviser. Elle recula encore, puis fit tournoyer ses épées dans ses mains en souriant.

La lance fusa et Silya se baissa immédiatement puis frappa au genou. Sa lame fut arrêtée par le bouclier, et l’elfe recula pour éviter un coup de la deuxième épée. L’argentée s’avança, mais Silya la cueillit derechef. Elles échangèrent une série de coups, puis l’elfe tenta de la rabattre vers sa partenaire. L’humaine bondit de l’autre côté puis frappa, visant la tête et la poitrine. Ses lames furent repoussées. Elle reçut un magnifique coup de pied et perdit l’équilibre. Heureusement, son adversaire manquait de force et elle ne chuta pas. Elle eut néanmoins du mal à éviter les assauts suivant et prit un coup de lance sur la joue. La lame n’entama pas son heaume mais l’étourdie tout de même une seconde. Elle respira calmement en jaugeant les deux femmes. Outre leur jeunesse et leurs aptitudes, elles pouvaient compter sur le fait de s’entraîner souvent ensemble et sur des styles de combat complémentaires. Mais Silya comprenait plus facilement leurs jeux désormais. Elle attendit une seconde, puis attaqua de plus belle.

Elle bloqua trois coups de lance, puis frappa la hampe de toutes ses forces. Le bois renforcé de métal résista mais l’elfe fut déstabilisée. Silya passa à sa droite et s’apprêta à attaquer. Son adversaire s’éloigna, laissant sa compagne venir à son secours. Cette dernière tenta d’assommer Silya sous une avalanche de coups, mais l’humaine bloqua sa lame et la repoussa dos à la lance. L’elfe aux cheveux auburn dut relever précipitamment son arme. Silya frappa simultanément aux deux hanches. Son adversaire para un coup, puis l’autre, et Silya la frappa à l’intérieur du genou. Elle perdit l’équilibre, puis l’humaine visa sa gorge et sa tête. Son adversaire détourna le premier coup, puis frappa violement le sein de Silya qui recula d’un pas, ratant son second coup. Elle esquiva de justesse l’épée de l’elfe qui écorcha son cou. La femme aux cheveux auburn jaillit soudain, et la lance fusa vers la tête de Silya. Elle eut à peine le temps de se baisser. Son heaume lui fut arracher et elle tomba à la renverse. Elle parvînt de justesse à bondir et à atterrir sur ses pieds. Le bouclier de l’elfe jaillit vers elle, mais Silya roula en-dessous et se releva sur un genou à un pas de l’elfe à l’épée. Cette dernière la frappa de haut en bas. L’humaine para de justesse. L’argentée lui décocha un violement coup de pied dans la poitrine, mais Silya tînt bond. De sa deuxième épée elle frappa son adversaire entre les seins. L’elfe, sous la violence du coup, tomba à la renverse. Silya bloqua un coup de lance puis se releva en reculant. L’elfe aux cheveux auburn grimaçait, désormais seule en lice. Elle s’avança et frappa en haut, vers la gorge. Silya n’eut aucun mal à dévier le coup, puis à s’avancer vers elle. L’elfe l’attaqua avec son bouclier. L’humaine s’esquiva sur la droite et ne reçut qu’un léger coup sur l’épaule gauche. Désormais à découvert, l’elfe recula, mais Silya la suivit et fil pleuvoir des coups sur son bouclier. L’elfe lâcha sa lance et tira un large couteau qu’elle gardait à sa ceinture. Elle en frappa Silya au visage, et quand l’humaine se baissa, lui envoya un nouveau coup de bouclier. La guerrière tomba à la renverse et lâcha une de ses épées. L’elfe se précipita pour l’achever, mais l’humaine, d’un mouvement d’abdominaux, se releva saisit le poing de la jeune femme qui tenait le poignard, l’arrêtant à deux pouces de son visage. Puis elle piqua son menton de son épée. L’elfe lâcha ses armes.

Les trois femmes rangèrent leur terrain et enlevèrent leurs armures. Silya vit les deux jeunes femmes sortir un linge et un peu d’alcool pour éponger leurs blessures. Elles s’approchèrent d’elle et lui proposèrent de l’aider à soigner les siennes.

- Puis-je vous demander votre prénom ? s’enquit l’argentée.

- Silya. Et vous comment vous appelez-vous ?

- Cÿrawn, répondit-elle. Cÿrawn Aldën. Et voici mon amie, Iris Serra.

Silya réfléchit un instant. Elle reconnaissait le nom de Serra, qui était celui de l’une des plus puissantes familles de Céläastra. Celui de Aldën lui était par contre inconnu.

- Où as-tu appris à te battre, Silya ? demanda Iris Serra.

- Nulle part en particulier, j’ai juste passé ma vie sur les champs de batailles.

Cÿrawn épongea sa joue et son cou. Toutes trois allèrent ensuite s’asseoir un peu plus loin, sur un banc de pierre, pour récupérer. Iris lui tendit une outre d’eau. Silya sourit en pensant que les deux jeunes femmes se montraient beaucoup plus respectueuses après avoir constaté que la vieille humaine aurait pu les tuer toutes les deux en combat réel.

- Il y a beaucoup plus de combattantes chez les elfes que chez les humains, est-ce normal ? s’enquit l’ancienne reine.

- Mes oncles m’ont appris toute jeune à me battre, répondit Iris. Ils ont décelé chez moi des aptitudes. Sans leurs conseils je ne me serais jamais ceinte d’une épée. C’est le cas de beaucoup de femmes dans le pays.

- Ma mère est une guerrière, expliqua Cÿrawn. C’est bien la seule chose qu’elle m’ait légué. Avec la blondeur de mes cheveux, enfin à l’origine (elle tritura une mèche argentée).

- Votre mère est décédée à la guerre ? s’intéressa Silya.

- Oh, non, répondit Cÿrawn en souriant. Ma mère est le magistère Vinæys, sœur du puissant Ursin Edlla. Elle est une jouteuse hors pair.

- Et votre père ?

- Mon père… fit-elle, pensive. Il s’appelait Fredïl Aldën. Il était le fils cadet d’un châtelain fieffé d’un château sur les terres Sëë. Ma mère l’a épousé lorsqu’elle avait vingt-deux ans, contre l’avis de son frère aîné. Evidemment, pour l’une des plus grandes aristocrates de l’Île, il est invraisemblable d’épouser le cadet d’un petit noble. A ce titre je n’ai presque jamais vu mon oncle et mes cousins. Ma mère était également trop prise par ses charges aux côtés de son frère. Mon père est mort au tout début de la guerre du Vieux-Prince, noyé dans une bataille navale. Après cela j’ai passé le restant de la guerre chez les Sëë, le vieux Engoïn, qui connaissait bien mon père, étant mon parrain. C’est ici que j’ai connue Iris.

- Je pensais qu’à Céläastra, tous les nobles possédaient des domaines plus ou moins vastes ? demanda Silya.

- C’est le cas pour les Grandes Familles, qui contrôlent chacune une portion de territoire, expliqua Iris Serra. Mais sur chaque territoire, il y a un certain nombre de château et de domaines, contrôlés par des châtelains. Ils ne détiennent que quelques hectares de terrain et loges chacun une petite garnison, qu’ils doivent entraîner. Ce sont eux qui forment les armées de Céläastra.

- Il s’agit d’une sorte de décentralisation ? s’intéressa Silya. Dans mon pays, ces hommes détiennent des terres plus vastes et prélèvent un impôt sur les revenus de ceux qui y habitent.

- Cela n’a rien à voir, continua Iris. Chez nous les châtelains reçoivent une rente pour l’entretient de leurs domaines et l’achat de leurs armes, ainsi qu’un don en nature, des paysans de leur seigneur. En cela ils ne peuvent pas se rebeller, car ils sont totalement dépendant des chefs de Famille. Ils ne payent aucuns impôts parce qu’ils participent activement aux combats.

- En sommes, vos troupes, bien que peu nombreuses, s’apparentent à une armée de métier. C’est rarement le cas sur le continent.

- C’est bien ce qui fait notre supériorité, sourit Iris.

[i]Mais c’est sûrement le fruit de votre isolement[/i], se dit l’humaine.

- Il est fréquent qu’un membre d’une Famille épouse l’un de ses châtelains, expliqua Cÿrawn. Le prestige lié à leur fonction militaire joue en leur faveur.

Elles l’interrogèrent ensuite sur les coutumes de son pays natal. Silya tenta de répondre évasivement, racontant des histoires sur l’armée, et sur les différents maîtres d’armes, en inventant des noms, qui l’avaient formée. Au bout d’une demi-heure de discussion elle s’excusa auprès des elfes en disant qu’il lui fallait retourner auprès de sa maîtresse.

- Veillez bien sur la princesse, lui demanda Iris Serra.

- Qu’Oïnstal Veille sur vous au court de vos batailles, fit Cÿrawn.

Silya les salua, ramassa ses armes et prit le chemin de la chambre de Nærisa, où la princesse se reposait.


Silya restait debout devant la porte des appartements de Nærisa aux côtés d’Ilïn Soë. Cela faisait plusieurs heures qu’elle se trouvait là, surveillant le couloir, comme elle l’avait fait des dizaines de fois au cours des derniers mois. Un peu fatiguée par son entraînement, elle en profitait pour croquer dans une pomme. Puis elle entendit un hurlement venu de la pièce derrière elle. Pour la première fois elle sentie, à l’intérieur du palais, une menace réelle. Immédiatement, elle lâcha sa pomme et tira ses épées. Ilïn Soë était déjà en train d’ouvrir la porte à la volée. Dans l’antichambre il n’y avait personne. Les deux gardes se précipitèrent vers la chambre à coucher. Lorsqu’ils entrèrent Silya resta figée une demi-seconde devant le spectacle qu’elle avait devant les yeux. Deux hommes en noir se trouvaient dans la chambre. Nærisa était clouée au mur, comme paralysée. L’un des hommes était tout près d’elle, un large couteau à la main, prêt à la poignarder. La princesse était nimbée d’un halo rouge sang, qui semblait prendre naissance dans le creux de la main gauche tendue de son agresseur. Le deuxième homme avait les mains tâchées de sang. Il venait d’égorger une vieille elfe sur le pas d’un cabinet de toilette. Les deux hommes se retournèrent à leur approche. Silya se jeta sur le premier et le percuta de plein fouet, l’arrachant à Nærisa. Le lien rouge qui le reliait à la princesse fut immédiatement rompu. Ilïn s’élança sur le deuxième agresseur qui se rapprochait.

L’homme frappa Silya de son couteau. La guerrière esquiva et tenta de l’embrocher. Il recula, puis dégaina une épée. Ils échangèrent quelques coups. Silya désirait l’éloigner le plus possible de la princesse. Avant d’avoir pu tenter une nouvelle attaque, elle écopa d’une coupure sur le dos de la main. Elle rugit et le frappa aux jambes, puis aux bras. Il para mais fut blesser par un nouveau coup au crâne. Son front saignait. Silya se maudit de ne pas avoir frappé plus fort. Déjà son adversaire revenait à la charge. Elle fut étonnée par l’absence de vie dans son regard. Il n’y avait rien d’autre que de la concentration. Elle avait elle-même tué dans son passé plusieurs assassins qui avaient tentés de l’attaquer, mais aucun n’avait ce regard-là, si inexpressif. Il restait d’une redoutable efficacité et la guerrière dut reculer. Elle se débrouilla néanmoins pour tourner au maximum le dos à Nærisa. De son côté, Ilïn était aussi en mauvaise posture. Il parait difficilement et reculait rapidement face à son adversaire. Il saignait aux deux épaules et à la jambe droite. Il était néanmoins parvenu à blesser son adversaire à la main. Silya craignit qu’il ne meurt rapidement, la laissant seule, incapable de protéger sa maîtresse face deux aussi formidables guerriers. Elle repoussa l’homme qui lui faisait face avec ses épées, puis lui envoya un coup d’épaule. Ilïn tira l’un des couteaux qu’il portait à la ceinture et le jeta vers l’adversaire de Silya. Il se ficha profondément entre ses omoplates. L’homme cria et baissa sa garde. Silya le décapita au moment où le deuxième assassin plongeait sa lame dans la gorge d’Ilïn. L’alizéenne eut un regard plein de tendresse pour le garde, avant de se jeter sur son meurtrier. Aux premiers contacts, Silya s’aperçut qu’il était moins fort que le précédent, mais également plus rapide. Il tenta de feinter à la gorge pour l’attaquer aux jambes, mais l’humaine esquiva.

- Qui es-tu ? lui cria-t-elle. Pourquoi veux-tu tuer la princesse ? Qui t’envoie ?

L’homme ne répondit pas. Son regard, aussi vide que celui de son camarade mort, ne changea pas. Silya s’y attendait. Mais elle espérait tout de même le déconcentrer un peu. Il continua ses attaques, et Silya dut se concentrer de plus en plus pour éviter toutes les frappes. Elle reçut deux coups aux épaules, mais sa cotte de maille tînt bon. Avec force elle donna un coup de pied fouetté dans les côtes de son adversaire qui grogna puis tenta de lui trancher la jambe. Elle la retira rapidement et voulu le frapper à la tête, deux fois. Il para, puis, profitant de la proximité, lui donna un violent coup de genou dans l’entrejambe. Silya hurla de douleur et faillit tomber à la renverse lorsqu’il poursuivit avec un direct du poing dans son nez. Elle le senti se fêler brusquement. Des larmes ruisselèrent dans ses yeux et sur ses joues. Elle ne pouvait plus bouger. L’homme leva son épée pour l’achever. Silya se redressa, lames en avant et réussi à le transpercer. L’assassin tomba lentement, la bouche pleine de sang et la guerrière retira brusquement ses armes. Le fluide rouge s’échappa à gros bouillon de ses plaies, mais Silya n’y prit pas garde. Elle se précipita sur Nærisa affalée contre le mur.

- Princesse ! s’écria-t-elle. Comment vous sentez-vous ?

- Silya… souffla-t-elle. J’ai… c’était une bonne idée de… t’enga…ger. Non ?

Elle souriait. Une seconde après elle leva la main et griffa sa cotte de maille, sans doute pour la saisir et l’approcher d’elle.

- La… la cloche blanche, murmura-t-elle (une cloche dorée et une cloche blanche étaient accrochées au mur, près de la porte). Silya… vite (elle semblait paniquée). Ivawen… va la voir, la tapisserie, vite… te tuerais si…Ivawen…

Comprenant la situation, Silya se leva et alla sonner la cloche blanche le plus rapidement possible. Son bruit lui sembla particulièrement fort. Puis elle se précipita vers la tapisserie indiquée et la souleva, dévoilant une petite porte qu’elle ouvrit d’un coup de pied. Elle monta quatre à quatre l’escalier qu’elle dévoilait. Elle essaya de comprendre la situation. [i]Qui étaient ces assassins surentraînés ? Et surtout, qui les envoyait ?[/i] Elle préféra vider son esprit devant la deuxième porte. Elle ne prit même pas la peine de frapper, persuadée que la reine ne lui en voudrait pas. Elle ouvrit la porte, puis repoussa violement la tapisserie qui la couvrait et entra dans la chambre d’Ivawen. La souveraine était allongée sur le sol, son long poignard à côté d’elle, et un assassin ayant la même allure que les agresseurs de Nærisa était situé à quelques pas d’elle, la main tendue. Un lien rouge reliait la reine à la main de l’homme, grand aux cheveux noir de jais, qui semblaient teintés. Près d’eux, trois gardes royaux étaient morts et un autre assassin baignait dans son sang. Ivawen semblait moribonde. Silya joua le tout pour le tout et jeta l’épée qu’elle tenait en main droite vers l’assassin. L’arme écorcha son poignet et le lien magique fut rompu. Sans un regard de plus pour la souveraine, l’homme s’élança. Silya bloqua son coup et le frappa au visage. Il esquiva habilement puis taillada aux hanches, et à la poitrine, tenant son épée à deux mains. Silya fit de même et dévia ses coups. Immédiatement un terrible frisson la saisit. Pour la première fois depuis des années elle n’était pas du tout sûre, dès les premières passes, de pouvoir vaincre son adversaire. La peur lui comprima le cœur lorsqu’elle se rendit compte qu’elle ne craignait pas pour sa vie, mais pour celle d’Ivawen. Une estafilade à l’épaule droite la fit revenir à la réalité. Elle attaqua de plus belle, et parvînt à se placer là où elle le voulait, c’est-à-dire dos à Ivawen.

- Silya…
L’humaine bloqua deux coups et érafla le nez de son adversaire. Son allonge restait bien moindre.
- Silya !...
La reine l’appelait. Du coin de l’œil elle la vit agiter la main droite. L’humaine reçut une blessure superficielle au pied et recula. Ivawen jeta son poignard vers elle et l’ancienne reine l’attrapa de la main droite avant d’en porter un coup à la gorge de son adversaire. Il recula et elle le toucha au menton. La lame en os de dragon pénétra facilement la chair, faisant couler un flot de sang. L’assassin la frappa au visage, mais elle esquiva. Il l’attaqua de son épée et son coup fut bloqué, puis la frappa à nouveau. Cette fois-ci, elle senti les cartilages de son nez se briser complétement. Une fois de plus elle ne put retenir un cri et ses larmes, mais elle resta debout et droite et attaqua à son tour. Ils s’éloignèrent petit à petit de la souveraine allongée. Silya remarqua que les yeux de cet homme étaient plus expressifs que ceux des deux morts d’en bas. Ils étaient froids et calculaient tout. Ils semblaient la percer de toutes parts, sonder son esprit. Elle crut même distinguer une lueur rouge au fond des iris. Néanmoins, elle le toisa et soutînt son regard. L’ancienne reine résistait à tous les coups, toutes les bottes. Son adversaire combattait toujours, et elle savait qu’il finirait par avoir le dessus. Les deux saignaient en plusieurs endroits, et Silya tentait désespérément de trouver un point faible, une faille dans sa garde, un endroit où il souffrait plus qu’à un autre. Mais ses blessures semblaient ne pas le ralentir. L’ancienne reine s’aperçut toutefois qu’il semblait un peu moins sûr de lui qu’au début de l’affrontement. Comme si la résistance acharnée de la guerrière lui faisait un peu perdre confiance en lui. Le visage de Silya était poisseux de sueur, de sang et de larmes, ses muscles étaient en feu.

L’assassin la frappa au-dessus du genou, et elle chancela. Il voulut l’attaquer à la gorge, mais elle para avec le couteau d’Ivawen et la lame ne s’enfonça que très légèrement dans son épaule droite. Lorsqu’il retira l’arme, Silya lâcha le poignard. Il releva son épée pour frapper à nouveau. L’ancienne reine la détourna encore, se releva et lui donna un coup d’épaule. L’assassin grogna et lui entailla le poignet gauche. D’une torsion de son épée, il lui fit ensuite lâcher la sienne. La guerrière recula pour esquiver un revers qui lacéra et ouvrit sa cotte de maille, puis, d’un coup de pied, envoya valser l’épée de son adversaire. L’homme leva immédiatement la main droite qui se mit à rougeoyer faiblement. Silya se jeta sur lui et le fit chuter. Ils luttèrent quelques secondes puis l’assassin eut le dessus, jouant sur sa force. Il plaça son genou sur sa poitrine, puis arracha son casque. Il la frappa au visage. Elle dévia difficilement et, bien que la force fut atténuée, le poing s’abattit violement sur sa joue. Sonnée, paniquée, sachant qu’un nouveau coup de ce type lui ferait perdre connaissance, elle eut le réflexe de frapper son adversaire au diaphragme, des deux poings. Il eut le souffle coupé pour quelques secondes et Silya le rejeta, puis roula sur elle-même pour récupérer son épée. L’assassin fit de même. Il fut sur elle avant qu’elle ait le temps de se relever totalement et la frappa à la tête, à droite. L’ancienne reine saisit la lame à pleine main et la serra. Le sang coula à flot, malgré son gantelet de maille. Elle plongea son épée au-dessus du genou droit de l’assassin qui s’effondra. Silya lui arracha son épée. Il leva alors sa main vers Ivawen, toujours gisante. Elle se mit à rougeoyer lorsqu’il murmura « Vive la mort ». Silya saisit l’arme qu’elle venait d’ôter à l’homme dans sa main gauche, et le poignarda à la base du crâne. Juste avant qu’il ne meurt, elle remarqua un signe noir sur son poignet droit. Une petite étoile à quatre branches. Silya lâcha ses armes et, avisant une cloche blanche semblable à celle accrochée dans la chambre de Nærisa, l’actionna de toutes ses forces. Juste après, elle se précipita sur Ivawen et la pris dans ses bras.

- Silya, fit faiblement la reine. Tu… [i]Nærisa [/i]?! A-t-elle été… attaquée ?

- Elle va bien, souffla la guerrière, on s’occupe d’elle.

- Bien… je, Silya, je… et… [i]toi [/i]?

- Je suis en vie, je vais bien.

- Silya… merc…

Elle toussa, puis posa ses doigts sur sa joue. Sa main retomba et elle ferma les yeux. Son pouls était faible.

- Non, Ivawen ! Non ! hurla Silya.

Elle tenta de lui faire du bouche à bouche, comme elle l’avait appris une éternité auparavant. Elle resta encore un temps à crier, puis des personnes qu’elle ne distingua pas clairement entrèrent.

- Vite ! s’écria-t-elle de plus belle. Ivawen ! La reine ! Un médecin, vite, quelqu’un !

Accrochée à la poitrine d’Ivawen, elle n’aurait su dire elle pleurait de douleur ou de panique. Ni si sa vue était simplement brouillée ou si elle était devenue aveugle d’avoir versé des larmes. Elle saignait abondamment de la main droite, et du nez. Enfin, beaucoup trop tôt pour elle, quelqu’un la détacha de sa reine. Modifié par Loup Noir
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Super !

De bons passages ! J'en ai loupé quelques uns mais du coup, les rattraper tous d'un coup, ça m'a fait enchaîner pas mal d'action !!

Ca va un peu mieux sur les persos mais toujours bof bof sur les lieux. Enfin tu feras quand tu auras le temps :) Je pense à la fin de l'histoire parti comme c'est ! ;) Bon plus sérieusement y a vraiment du potentiel ! Ca avance, on apprend des choses mais d'autres portent mystérieuses s'ouvrent ce qui est vraiment intéressant pour la suite !

En avant !

@+
-= Inxi =-
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La suite, que je poste rapidement car en grand manque de temps en ce moment. Je lis vos commentaires et en tiens compte, merci beaucoup pour vos encouragements. J'espère que vous apprécierez !


[center][u][b]Chapitre XX[/b][/u][/center]


[b]Début de l’an 1378 du Quatrième Âge, Collines de Kiwele, sud-est du pays de Sorgoz
[/b]
L’aube mourait au loin, tandis que le soleil s’élevait petit à petit. Pas un souffle de vent ne filtrait entre les reliefs déchiquetés des montagnes que les habitants de Sorgoz appelaient [i]Kiwele[/i]. Les anciens des tribus racontaient que ces collines, hautes d’à peine trois mille pieds, étaient très jeunes à l’échelle du reste du monde, et que les dieux les avaient placées là pour abreuver le peuple de Sorgoz. A la saison des pluies, les nomades pouvaient en effet bénéficier des ressources des nombreux cours d’eaux intermittents qui y prenaient source. Les géologues lagorides, dont le plus fameux était aujourd’hui le prince Molloy, frère du Grand-Roi Maélen IV, affirmaient en revanche que cette sierra était très vieille et très érodée, mais qu’elle s’était récemment soulevée suite à un tremblement de terre, envoyé par leurs dieux afin de marquer cet endroit maudit, où nul empire et nulle civilisation ne prospéreraient jamais. Tous s’accordaient cependant sur le fait que ces petites montagnes avaient des sœurs, loin au nord, à peine plus hautes et moins étendues, mais issues de la même force géologique et de la même main divine que les Kiwele. Si la chaleur était étouffante, l’ombre ne manquait pas dans les collines, les Kiwele comptant nombre de vallées encaissées, à l’abri du soleil. Néanmoins, Esuf préférait conserver sur lui son voile blanc à liseré rouge, qui lui couvrait le crâne et le visage, la tenue traditionnelle des guerriers sorgosiens. Ses vêtements bouffant étaient de la même couleur. Il avait été ravi de pouvoir réendosser ces habits de combattant, après les semaines passées à Céläastra, en toge blanche. Sa plus grande satisfaction avait été de pouvoir à nouveau passer à ses sourcils et à son nez des anneaux d’or, symbole de son rang. Il chevauchait sa jument grise, vieille et borgne mais très rapide, et portait à la ceinture une grande épée elfique à large lame, incurvée et dentelée, cadeau de la reine Ivawen.

Après moult pérégrinations dans les mers du sud, Esuf avait accosté en pays de Sorgoz avec une petite dizaine de longs bateaux elfique, remplis de mercenaires venus de la Côte de Béryl. Il en menait désormais une partie, accompagné de quelques hommes de Sorgoz, à travers les Kiwele afin de rejoindre le Guerrier-Roi Agg-Kour, aux prises avec un contingent lagoride. Sur un terrain légèrement surélevé, Esuf gardait un œil sur les mercenaires en contrebas. Leur chef, une elfe de l’est de Sierma répondant au nom de Tiéfa, ne lui inspirait qu’une confiance modérée. Elle avait rejoint la troupe de franc-coureurs assez tard, à peine deux jours avant qu’Esuf ne reparte. Il avait dû affréter un navire de plus, mais l’entrainement des cinquante guerriers de Tiéfa l’avait convaincu de les engager. Il respectait toutefois cette vieille elfe (il lui donnait environ quatre-vingt-dix ans, selon les canons elfes), seule femme parmi ses guerriers, mais les dirigeant d’une main de fer. En Sorgoz, les femmes ne portaient que très rarement les armes. Les femmes, filles ou sœurs des chefs de tribu devaient néanmoins chevaucher à la tête des leurs dans le cas où ledit chef ou ses fils trouveraient la mort. On appelait ces guerrières des [i]Kulinda[/i]. Tiéfa rassemblait ces soldats un peu plus bas. Esuf avait décidé que ces mercenaires l’accompagneraient, car il désirait les mesurer très tôt aux lagorides afin de les jauger. Aucun membre des Crânes-de-Taureaux ne ne se trouvait néanmoins avec lui, et Esuf se sentait seul sans les siens. De l’autre côté de la butte, à environ une lieue au nord-ouest, Agg-Kour avait lancé ses forces dans la bataille. Son âge avancé lui permettait de ne pas charger avec ses troupes. Il était néanmoins, en tant que Guerrier-Roi et chef de tribu, tenu de combattre. Il restait donc, entouré de ses gardes du corps, en retrait, galvanisant ses hommes. Esuf leva la main. Les mercenaires se mirent en selle et les vingt sorgosiens qui l’accompagnaient le rejoignirent. A son commandement, tous s’élancèrent.

Ils chevauchèrent à bride abattue au fond du canyon. Au bout d’un petit moment, la bataille réapparut devant ses yeux. Esuf talonna sa monture qui prit rapidement de la vitesse. Il dépassa les premiers cavaliers, et dégaina son épée. Après avoir franchi la passe menant à la sortie du canyon, ils débouchèrent dans une vaste vallée en auge, comme il en existait quelques unes dans les Kiwele. Le guerrier plissa les yeux pour contrer le soleil et propulsa sa monture vers l’aile gauche des troupes lagorides. Les soldats ennemis, à pieds, affrontaient une armée sorgosienne à cheval. Néanmoins, les piquiers lagorides parvenaient à les repousser. Certains se retournèrent face aux nouveaux venus, mais la plupart étaient trop occupés pour faire face à la première menace. Esuf repoussa une première pique et fendit le crâne de son porteur. Ses hommes le suivirent quelques secondes après. Ils s’enfoncèrent profondément dans les rangs ennemis, tranchants et taillant autour d’eux. Un guerrier lagoride s’élança vers lui et écrasa sa lance contre le poitrail de sa jument. L’animal mugit et se cabra, défonçant le crâne de son attaquant. N’ayant plus de force, la jument tomba en arrière et Esuf dû sauter de son dos avant d’être écrasé. Tenant alors son épée à deux mains, il para le coup vicieux d’un soldat avant de l’éventrer. Avec un cri de rage il s’élança à nouveau, à la rencontre d’un bretteur. Le lagoride, plus petit que lui, lui opposa son bouclier. Après un échange de coups, le guerrier adverse frappa Esuf au bras, lui entaillant légèrement l’épaule puis lui fit perdre l’équilibre d’un coup de bouclier. Le sorgosien tenta de se rattraper, mais l’homme lui enfonça son épée dans la jambe, le faisant chuter sur un genou. Il leva son sabre pour se protéger, puis un guerrier de Sorgoz décapita son adversaire, avant de lui tendre la main. Esuf la saisit et se hissa difficilement en croupe. La bataille continua. La blessure du guerrier était superficielle et il s’en remettrait vite. Il exulta. Il adorait se battre sous le soleil de son pays, à dos de cheval, et sentir la mort au bout de ses doigts. La sienne, et celle de ses adversaires. Il faillit alors lâcher son épée. Une flèche venait de s’enfoncer profondément dans son épaule droite. Avec un grognement, il fit passer son sabre dans sa main gauche, et tenta, avec beaucoup moins d’habileté, de continuer à combattre. Au bout d’un long, très long moment, une corne retentie, et l’armée lagoride se débanda. Les guerriers de Sorgoz n’étant pas parvenus à les encercler, ils purent fuir sans trop de pertes et disparurent rapidement derrière une colline. Alors qu’Esuf s’apprêtait à les poursuivre, une corne retentie à nouveau, dans son dos cette fois, signalant la fin des combats. Lui et l’homme qui lui avait sauvé la vie mirent pieds à terre.

Alors que les guerriers sorgosiens et les mercenaires se retiraient à l’ombre d’une pente, Esuf se trouva un cheval et alla rejoindre ses troupes. Pendant qu’il chevauchait, un homme vînt se porter à ses côtés. Il était de taille moyenne et famélique. Ses cheveux étaient très longs et entremêlés entre eux, puis noués à la base de son crâne. Il portait également une courte barbe, qui ne masquait pas sa mâchoire, fortement décalée vers la droite. Tous les poils de son visage étaient blancs comme neige. Il portait des vêtements blanc et rouge, amples, et de nombreux anneaux d’or ornaient ses sourcils, narines, oreilles, jusque dans sa lèvre supérieure. Deux boules dorées brillaient également sur sa langue. Des fils d’or pur ornaient aussi ses cheveux. Sur la blancheur de ses vêtements, les tâches rouges de son sang et de celui de ses ennemis ressortaient davantage. C’était un moyen pour faire ressortir le courage et les risques pris par les plus valeureux guerriers des tribus. Le vieux combattant portait aussi un grand sabre dentelé et un bouclier d’osier. Comme celle d’Esuf, sa tenue était rehaussée de plaques de cuir bouillies aux endroits sensibles. Esuf inclina légèrement la tête devant le vieux Agg-Kour. Des rides creusèrent son visage lorsque ce dernier lui sourit en retour. « Viens avec moi » lui ordonna-t-il. Ils partirent au galop vers une colline éloignée et s’écartèrent assez du champ de bataille. La flèche, toujours plantée dans son épaule, faisait souffrir Esuf. D’un geste, il la brisa. Il préféra ne pas se plaindre et suivit l’autre cavalier. Les sabots de leurs chevaux claquèrent sur le sol d’un canyon, puis ils s’engouffrèrent dans une faille à même la roche. Débouchant dans une petite cavité naturelle faiblement éclairée où se trouvait une jeune femme tenant une gibecière, le vieux guerrier mit pied à terre, suivit par Esuf. Il y faisait frais. Ils s’assirent en tailleurs face à face, et restèrent longuement à se fixer dans le silence. Agg-Kour prononça un mot et la femme s’approcha d’Esuf. Elle tira un couteau et déchira les frusque du guerrier, pour mettre à nu sa blessure à l’épaule. L’homme cria lorsqu’elle arracha la flèche. Il serra les dents lorsqu’elle nettoya sa plaie. Elle le banda habilement et serra fort. Esuf réussi à bouger à nouveau le bras, mais tout mouvement restait difficile. La femme fouilla dans sa musette pour en sortir un flacon de liqueur et rempli deux verres, qu’elle posa à côté des hommes. Elle s’installa ensuite dans un coin de la grotte et resta silencieuse.

- Ta cousine est décédée, mon ami, dit le vieil homme en buvant une goutte de liqueur.

- Comment ? demanda simplement Esuf.

- Embuscade. Elle a tué deux guerriers lagorides dans la bataille. Nous avons pu lui faire un bûcher.

Esuf avala un peu d’alcool et ne dit rien. Il savait qu’aucune tristesse ne se lisait sur son visage. Tout simplement parce qu’il n’était pas triste. Sa cousine, de seize ou dix-sept ans son aînée, avait était la femme du chef de la tribu des Crânes-de-Taureaux, de ce fait, à sa mort, elle avait pris les armes pour le remplacer, devenant l’une des [i]kulinda [/i]les plus efficace de sa génération. Sa fin héroïque ne faisait que l’honorer un peu plus.

- Quelles sont les nouvelles ? s’enquit le chef de guerre.

- Les elfes nous ont prêté du matériel, des armes, des navires. La reine Ivawen va également envoyer des troupes au sol. Elle a remporté une grande victoire navale sur la flotte lagoride. La sienne est amoindrie, mais assure tout de même le contrôle des mers sur plusieurs miles et ses galères sillonnant les flots suffisent à empêcher le Grand-Roi de tenter autre chose qu’une attaque terrestre.

- La reine n’aurait rien tenté sans une victoire maritime. Je suis satisfait. Mais tu m’en avais déjà parlé. Il me semble qu’elle a également débarqué sur la Presqu’île du Goéland ?

- En effet, un contingent d’elfes occupe ce territoire. Mais le Grand-Roi enverra sous peu une armée le reconquérir.

- La presqu’île peut tenir, sourit le roi. Inquiète toi plutôt pour nous, veux-tu. La reine n’est pas notre alliée.

- Que voulez-vous dire ? s’étonna Esuf.

- Son comportement, ce que tu m’as rapporté dans tes lettres, tout cela me font penser que cette femme est des plus ambitieuse. Or les femmes sont fourbes par nature. N’oublies pas que si notre alliance permet de défaire les lagoride, elle deviendra l’une des plus grandes puissances militaire et économique de la région. Avec de surcroît, un pied sur le continent.

- Je ne sais pas. Peut-être. Que préconisez-vous ?

- Rien pour le moment. Nous ne pouvons nous préoccuper de cela maintenant. Et après la guerre, je serais démis de mes fonctions. Mais il nous faudra rester vigilant. Retiens cela.

- Bien, roi, dit sobrement Esuf.

- Bon. Les lagoride ont opérés une grande percée vers le nord, ainsi qu’une autre, plus réduite, vers le sud. Tes renforts sont les bienvenus dans les Kiwele, où les lagorides attaquent en nombre. Et beaucoup de tribus ont fait migrer leurs faibles bouches vers la protection relative de l’ouest des montagnes. Si les troupes du Grand-Roi parviennent à passer, et à atteindre nos femmes et nos enfants, nous serons, au mieux, forcés de demander la paix et de céder aux exigences des sédentaires.

- Pourquoi pensez-vous qu’ils prendront la peine de les garder comme otages ? cracha Esuf. Leurs précédentes méthodes laissent plutôt penser à un massacre en règle.

- Voilà pourquoi j’ai dit « au mieux », fit le roi. Mais je pense qu’ils éviteront un massacre. Si ma ligne de front cède en premier en tout cas. Je t’exposerais les raisons plus tard.

- Vous semblez si bien les comprendre…

- Cela fait dix ans que je ne combats plus. J’ai eu l’occasion de voyager un peu, et de m’instruire en m’ouvrant à d’autres cultures, ainsi qu’à une géographie toute différente de la nôtre. Parfois stupide et étriquée, mais assez utile pour cerner l’esprit des sédentaires. Voilà mon plan Esuf. Nous devons tenir ici. Selon tes informations, il faudra attendre plusieurs jours avant que les troupes elfes ne débarquent. Je veux que tu leurs demande de se rendre au nord, où le front est le plus fragile. Nous pourrons encore tenir ici, mais il me faudrait des guerriers frais. De plus, j’aimerais que tu rédiges un message au chef elfe qui occupe la Presqu’île du Goéland. Il n’est pas loin, il pourra envoyer des hommes appuyer la tribu Œil-Braise et les survivants des Lance-de-Sable, qui se battent au sud des collines.

- Je m’y mets tout de suite, roi, répondit Esuf.

- Non, dit sèchement Agg-Kour. Tu dicteras le message à ma nièce ici présente (il désigna la jeune femme assise dans le coin). Tu ne peux écrire, ni combattre avec ta blessure au bras. Mais écoute d’abord ce que je veux te dire. Sais-tu pourquoi je t’ai choisi comme émissaire ?

- Pour les raisons que vous avez évoquées. Ma prudence et ma connaissance des langues étrangères. Et ma faculté d’analyse des gens.

- En effet. C’est pour ces mêmes raisons que j’ai besoin de toi cet après-midi. Je me rends en ambassade chez les ennemis.

- Une ambassade ? s’étonna Esuf. Ce n’est pas commun.

- Non. Mais nous sommes bloqués depuis une semaine par un général lagoride qui semble connaître les Kiwele, ainsi que notre mode de combat, mieux que les autres. Il contre mes attaques et mes tentatives de contournement. Jusqu’alors, je suis parvenu à contrer également les siennes. Le fait est que je connais cet homme. Il se nomme Nervas Sobraï. Nous nous sommes affronté il y a une quarantaine d’années. Je le rencontre bientôt, et je te veux à mes côtés.

- Je n’ai jamais entendu parler de ce…

- Si, coupa Agg-Kour. Son nom sorgosien est [i]Cheval-sur-la-Dune.
[/i]
Esuf sourit. Cet homme était connu, même au sein de sa tribu. Il comprit soudain pourquoi Agg-Kour n’avait qu’une peur modérée pour les siens réfugiés à l’ouest des Kiwele.


Nervas Sobraï était assis dans sa tente, alors qu’un serviteur fixait à son torse une cuirasse de cuir. Dans le miroir où il se reflétait, il ne pouvait s’empêcher de penser que [i]Gueule-Cassée[/i] se gausserait intérieurement du vieillard qu’il était devenu. Il n’avait plus de cheveux, à part quelques poils blanc éparses sur le crâne, il était très ridé et rachitique. Plusieurs de ses dents étaient tombées au fil des années. De plus, le voyage à travers le royaume jusqu’au champ de bataille, ainsi que ses multiples querelles avec deux jeunes généraux particulièrement méprisant l’avaient grandement affaiblit. Il se déplaçait désormais avec une canne, ou soutenu par un de ses suivants. Néanmoins, il se félicitait d’avoir gardé des facultés mentales intactes. On entra dans la tente. Dans le miroir, Nervas vit qu’il s’agissait du prince Molloy. Il resta de dos, et attendit que le serviteur ait fini de lasser sa cuirasse.

- Les guetteurs ont aperçu deux cavaliers sorgosiens se diriger vers le point de rendez-vous, général.

Nervas se leva. Il salua rapidement Molloy, puis acquiesça. Saisissant sa canne, il suivit le prince en dehors de la tente. Ils marchèrent quelques instants sous le soleil, avant de s’arrêter devant deux étalons bais. Nervas rangea sa canne en travers de la selle et Molloy lui fit la courte échelle pour l’aider à monter. Une fois qu’ils furent tous les deux installés, le prince et le général se dirigèrent vers le lieu de rendez-vous, approximativement au sud-ouest de leur position. Les deux étaient protégés du soleil par des voiles et des vêtements amples. Ils portaient aussi de légères cuirasses, symbole de leur rang. Molloy était plus grand que son frère, et plus imposant. Son physique ressemblait plus à celui d’un combattant qu’à celui d’un érudit. Il avait d’ailleurs une pratique régulière des armes, et surtout du combat à main nues, qu’il affectionnait particulièrement. Comme Maélen, le prince avait les trais fins, les cheveux roux, les yeux très noirs et la peau claire. Il ne conseillait que rarement son frère, et préférait se consacrer à l’étude. Austère, excentrique et critiqué pour cela, il jouissait néanmoins d’un fort prestige au sein de l’armée de terre, pour avoir, dans sa jeunesse, mené trois fois ses troupes à la victoire pendant les guerres de son père et de son frère. Son dernier fait d’arme remarquable, la défense d’une forteresse de l’est assiégée, remontait à une dizaine d’années, néanmoins, les généraux le respectaient, quand plusieurs administrateurs civils se gaussaient de lui dans son dos. C’était des choses que Nervas avait principalement appris depuis sa nomination en tant que général, et, pour certaines, confiées par Molloy lui-même.

- Ne craigniez-vous pas une embuscade, Prince ? demanda Nervas. Le frère du Grand-Roi ferait un otage plus que précieux.

- Tout d’abord, Nervas, grinça Molloy, vous savez que les rois sorgosiens sont tenus à un code très strict, qui implique notamment de ne pas s’en prendre aux émissaires. Une vieille coutume, certes, mais si Agg-Kour la transgressait, il serait mis à mort par ses pairs. Deuxièmement, s’ils me prenaient en otage, mon frère mettrait tout en œuvre pour raser le pays de Sorgoz et laverait cet affront dans un bain de sang. Car une fois encore, mon statut d’émissaire me protège. Troisièmement, et principalement, je ne suis pas du genre à reculer face aux risques.

Nervas resta silencieux. En effet, le prince était courageux. Et il savait y faire. Les premiers jours, alors que le pouvoir du général était encore mal installé au sein de son armée, Molloy lui avait demandé de laisser sa canne à l’intérieur de sa tente. Il l’avait ensuite soutenu pendant toute sa tournée d’inspection, montrant aux yeux de tous que le vieil homme était une extension du pouvoir fédéral sur ces terres désertiques. La chaleur devînt étouffante lorsqu’ils descendirent vers un fond de vallée. Nervas porta à ses lèvres son outre d’eau et but une longue gorgée. Il la passa à Molloy qui se désaltéra aussi. Au fur et à mesure de leur descente, l’air se fit plus présent. Il parvenait à respirer un peu mieux. Pendant l’après-midi, des brises fraîches apparaissaient au fond des canyons des Kiwele. Ils se sentirent mieux une fois leur descente achevée.

- Venez, lui dit Molloy, je voudrais vous montrer quelque chose. Nous avons un peu de temps de toute façon.

Nervas le suivit sur quelques pas, puis le prince arrêta son cheval et mit pied à terre. Il présenta au général un endroit dans la roche. Nervas s’approcha et distingua de petites touffes de végétation au fond du canyon. Le prince tira son arme fétiche, un marteau de guerre agrémenté d’une grosse pique de métal recourbée à l’arrière de la tête, et se mit à creuser la terre tant bien que mal à côté des minuscules arbustes. Au bout de quelques minutes d’effort, il lâcha son marteau et entreprit de creuser le sol à mains nues. Enfin, un liquide terreux s’échappa du trou et le rempli avec un bruit de sussions. Le prince se pencha alors, mit ses mains en coupe, recueillit un peu de liquide, puis en but une gorgée.

- C’est de l’eau, dit-il à Nervas. Elle coule sous la surface, et, à la saison des pluies, rempli une partie du canyon. Ce qui est extrêmement dangereux si on se trouve dedans, car elle charrie énormément de roches et de sables, qui vous écraseraient en un instant.

- D’où la présence de végétation en surface, compris Nervas tandis que Molloy rebouchait son trou.

Le prince acquiesça et ils repartirent. Ce comportement étrange ne surprenait pas le général. Depuis qu’il le fréquentait, Molloy lui avait fait découvrir plusieurs choses du même type, comme par exemple des constellations ou des étoiles, parfaitement visible dans le ciel sans tâche du désert. Toutefois, Nervas était ravi de l’avoir pour compagnon de route. Il était très intéressant et ses excentricités amusaient le vieil homme. De plus, son côté désinvolte le fascinait, surtout en comparaison avec le caractère de son frère, que Nervas n’avait fait qu’effleurer, très pragmatique et respectueux des règles. A titre d’exemple, le prince avait utilisé une vieille loi et l’exemple de souverains anciens pour contracter, puis briser quatre mariages successifs. L’expérience du ruisseau avait détendu Sobraï mais la réalité revînt à lui lorsqu’il aperçut le lieu de rendez-vous. Il restait invisible, mais comme convenu, [i]Gueule-Cassée[/i] avait préparé un feu dont la fumée blanche s’échappait au loin. Les deux lagorides descendirent une pente douce, puis contournèrent un gros rocher, pour enfin arriver en vue d’un éperon rocheux à l’ombre duquel deux hommes à la peau noire campaient. L’un était large d’épaules, et portait un voile lui couvrant le crâne. L’autre était plus petit et évidement plus vieux. Il arborait une tignasse de cheveux blancs. Les Guerriers-Rois de Sorgoz ne devaient pas porter le voile, symbole des guerriers masculins, car, tout comme celui des [i]Kulinda[/i], leur combat était un devoir. Ils devaient porter les armes jusqu’au sacrifice, allant tête nue, signe de courage et surtout, d’absence de peur. Les lagorides mirent pieds à terre et leurs hôtes se levèrent. Tous les quatre s’inclinèrent en même temps, puis s’assirent, face-à-face, Molloy et le jeune sorgosien un peu en retrait.

- Salut à toi, [i]Cheval-sur-la-Dune[/i] ! lui dit le Guerrier-Roi. Comme convenu, la bataille de ce matin n’ayant pas abouti à une victoire de l’un de nos de camps, en partie grâce à l’intervention de mon ami Esuf de la tribu des Crânes-de-Taureaux ici présent, nous voilà à nouveau réuni, trente-neuf après la première fois, pour parlementer

- Salut, [i]Gueule-Cassée[/i], répondit sobrement Sobraï. Je vois que tu te portes bien.

- J’ai connu pire. Voilà au moins trente ans que personne ne m’avait appelé [i]Gueule-Cassée[/i].

- Cela te va bien, sourit Nervas en avisant sa mâchoire décalée. Laisse-moi te présenter l’homme qui m’accompagne…

- Le Prince Molloy Lagoride, coupa Agg-Kour. Je l’ai rencontré un jour.

- Aucun souvenir, intervînt Molloy.

- Bien sûr, expliqua le vieux sorgosien. C’était il y a six ans. Je me suis rendu au nord de votre royaume pour étudier un traité sur le jardinage dont on m’avait parlé. Je trouve fascinant de faire pousser des fleurs. C’est à cette période que vous vous êtes rendu en ambassade à la tête d’une colonne d’infanterie pour je ne sais quelle fête locale. J’ai pu vous observer un moment.

- Ah, fit le prince. Dans le duché de Vâan.

- Pour moi, cela reste le royaume lagoride. Mais venons-en aux faits.

- Tu étais moins bavard, la dernière fois, [i]Gueule-Cassée[/i], fit remarquer Nervas.

- La vieillesse, la sagesse, la langue, répondit Agg-Kour. Mais bon, voilà où nous en sommes. Nous avons arrêté votre progression, et nous sommes, dans une impasse. Vos troupes font mouvement vers le nord et le sud des Kiwele, et, loin au nord, votre armée peine à avancer face aux tribus dans le désert.

- Votre position ne tiendra pas, [i]Gueule-Cassée[/i], tu le sais bien. Nous sommes plus nombreux et mieux armés. Et je connais le pays ainsi que vos stratégies mieux que beaucoup de jeunes généraux.

- Nous avons des alliés.

- Je le sais. Céläastra. Ils n’ont pas assez d’hommes pour envahir le royaume, fit Nervas en tentant de minimiser l’impact de l’entrée des elfes dans la guerre.

- Mais peut-être assez pour nous secourir ? sourit Agg-Kour. Voilà ce que je propose. Vous évacuez les Kiwele, et renoncez à toutes vos prétentions sur nos territoires. Vous libérez les prisonniers. Et surtout (son regard se fit plus dur) vous rasez les trois forteresses de l’ouest de votre pays, Samov, Elkan et Visto, et démantelez leurs murailles. Ces fortins ont été bâtis pour surveiller Sorgoz il y a vingt-ans et tant qu’elles se dresseront contre nous, la paix ne pourra être conclue. De plus, vous nous livrez cinq mille chevaux, une centaine pour chaque tribu, à titre de dédommagement. En signe de bonne foi, je m’engage à convaincre les chefs tribaux de se retirer dans les Kiwele et à l’ouest des collines jusqu’au prochain hiver, et à vous remettre tous vos prisonniers.

- J’en rirais si je n’étais pas aussi las, mon ami, soupira Nervas. Si nous acceptons, et le Grand-Roi n’acceptera jamais, le royaume sera alors menacé. Je ne te ferais pas l’affront de te proposer des conditions aussi irréalistes.

- Il nous faut tirer vengeance du massacre des Lances-de-Sable, dit froidement Agg-Kour. Et de toutes les exactions des lagorides à notre encontre.

- Vous avez massacré les notres également, pillé nos récoltes, rasé des villes. Tu te doutes bien qu’une telle paix est impossible. Le Roi, le peuple, les seigneurs, le clergé, tous se lèveraient comme un seul homme contre cette décision. Et je finirais au minimum empalé.

- Oh oui, fit Molloy.

- C’est certain, répondit Agg-Kour. La paix ne pourra être conclue qu’une fois que l’un des deux camps aura pris l’ascendant sur l’autre. Tu l’as dit, vous disposez de ressources considérables par rapport aux notres, et sans l’intervention des elfes, vous auriez déjà l’emporté. J’ai bien compris que trouver une solution à l’amiable n’était pas le but de cette rencontre.

- Quel était le but dans ce cas ? intervînt Esuf des Crâne-de-Taureaux, qui parlait pour la première fois.

- Se revoir, souffla Nervas, fatigué.

Il tenta de se relever, mais Agg-Kour fut plus rapide et lui tendit la main. Une fois debout, les deux hommes s’étreignirent.

- Je t’ai toujours apprécié, [i]Cheval-sur-la-Dune[/i], fit le vieux chef. J’ai été heureux de te revoir. Qu’en est-il des femmes et des enfants réfugiés dans l’ouest des Kiwele ?

- Tant que je commanderais cette troupe et celle attaquant le nord des montagnes, il ne leur sera fait aucun mal, nous les traiterons avec honneur (Agg-Kour acquiesça, visiblement satisfait). Je t’apprécie aussi, vieil homme.

- Moins vieux que toi, sourit le Guerrier-Roi. Adieu [i]Cheval-sur-la-Dune[/i].

- Adieu, [i]Gueule-Cassée[/i]. Et à demain.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Presqu’île du Goéland, sud-ouest du royaume Lagoride[/b]

Hroar Erlîn grimpait rapidement les escaliers du phare « Albatros », désireux d’atteindre au plus vite son objectif. Il portait une cotte de maille restaurée, un casque et des jambières d’acier. Son [i]koranen[/i], qui avait chuté avec le fils de Nérau, brisé et tordu, était inutilisable. Il l’avait donc troqué contre une hache d’arme de bonne facture. Mais il avait dû s’entrainer à nouveau pour récupérer ses repères. De plus, la perte de son arme fétiche, qu’il conservait depuis vingt-ans, l’avait affecté. Erion lui avait demandé de seconder Noédor Edlla à la défense du Fortin « La Mouette », puis, après l’arrivée d’un contingent important venu de Céläastra, l’avait appelé au sein de l’Albatros. Et aujourd’hui il lui demandait de lui rendre visite. Hroar se demandait de quoi son ami avait besoin. Sans doute de conseils pour améliorer la défense de la Presqu’île. D’après ce qu’il savait, elle était un point essentiel de la stratégie de la reine dans sa lutte contre les lagorides. Il arriva devant la porte de son bureau. Deux gardes armés de javelines en gardaient l’entrée. Le reconnaissant, ils s’écartèrent immédiatement. Les elfes, sans être amicals pour autant, lui montraient plus de respect depuis qu’il avait capturé Nérau. Le général était aujourd’hui dans un bateau, en direction de Céläastra, en compagnie de prisonniers de guerre. Le nain frappa et s’annonça. La voix étouffée d’Erion Serra lui répondit. Il entra. Erion était assis à un bureau de bois, dans une pièce regorgeant de livres traitant d’histoire militaire et de stratégie. Beaucoup parlaient également de la géographie de la Presqu’île.

- Bonjour Hroar, lui dit l’elfe d’une voix blanche.

- Bonjour Erion, répondit le nain en s’asseyant.

L’elfe ouvrit un tiroir et fouilla dans le bureau. Il en sorti un rouleau de papyrus, matière assez rare chez les insulaires et beaucoup de continentaux, qui préféraient le parchemin. Hroar s’approcha, intrigué, mais son ami garda le document sous la paume de sa main, de sorte que le nain ne puisse voir de quoi il s’agissait. Hroar, curieux et étonné, leva les yeux vers lui, réclamant implicitement des explications.

- Nous devons partir, dit simplement l’elfe.

- Partir ? s’enquit Hroar. Mais pour où ? Et pourquoi ? Je pensais que maintenir notre position était important pour la stratégie d’ensemble de la reine ?

- Il ne s’agit pas d’abandonner l’île. Regarde.

Il fit glisser le papyrus vers lui. Le nain le prit et le déroula. L’écriture était grossière et penchée. Il s’approcha pour déchiffrer le bref message, rédigé en antique commun.

[i][right]A l’attention d’Erion Serra, gouverneur de la Presqu’île du Goéland pour la Reine Ivawen
[/right]
Je tiens à vous informer par la présente de la situation critique dans laquelle se trouvent la tribu Œil-Braise ainsi que certains Lance-de-Sable, combattant en ce moment même une armée lagoride ayant investi le sud des montagnes Kiwele, proche de votre position actuelle. Les tribus peinent à arrêter l’avancée de ces troupes sur notre territoire. Les lagorides menacent également l’ouest des montagnes où les femmes et les enfants de nombreuses tribus ont trouvé refuge. Les Lance-de-Sable ayant déjà subi d’irréversibles pertes en termes de population, nous craignons la disparition pure et simple de cette tribu. En vertu du pacte liant nos deux peuples, et dans l’espoir que cette collaboration continue, je vous conjure de nous fournir un appui militaire dans cette région, dans la mesure de vos possibilités d’action. Notre chef de guerre, le puissant Agg-Kour, de la tribu des Dunes-en-Feu, Guerrier-Roi de Sorgoz en l’état, a rencontré le général lagoride Nervas Sobraï dans l’espoir de lui proposer une paix séparée. Devant l'échec de ces négociations, notre situation est de plus en plus précaire. Je joins avec ce courrier des informations supplémentaires vous permettant de trouver la zone de combat. Puisse notre entente durer, pour le bien de nos deux peuples, et puisse-t-elle triompher de notre ennemi commun.

[right]Que les Esprits du désert veillent sur vous.
Esuf, de la tribu des Crânes-de-Taureaux, émissaire d’Agg-Kour, Guerrier-Roi de Sorgoz parlant au nom des tribus[/right][/i]

- Tu comptes leur porter secours, fit Hroar.

- En effet. Comme tu le vois, la ligne de front est en train de céder au sud des Kiwele. Je veux à tous prix empêcher le Grand-Roi de s’avancer d’avantage dans ces terres. Je vais te monter (il sorti une grande carte de Sorgoz, repoussa le papyrus et l’étala sur son bureau). Une poussée lagoride dans ce secteur leur permettrait de menacer les arrières d’Agg-Kour, qui devrait alors se replier hors des montagnes.

- Et il ne peut pas non plus porter lui-même secours au sud, signifia Hroar, car (il consulta la lettre) il lui faudrait abandonner les civils réfugiés dans les Kiwele. Cet [i]Esuf [/i]a bien fait d’insister sur ce point. Qu’attends-tu de moi ?

- Nous disposons d’un petit millier de soldats. Je veux que tu en recrutes trois cents, parmi les plus compétents. Des bretteurs et des cavaliers, si possible, les archers doivent rester au fortin afin de défendre ce territoire. Selon les éclaireurs, une armée fédérale se dirige droit sur nous et atteindra l’isthme de la Mouette d’ici deux jours.

- Tu comptes partir et laisser Edlla diriger les défenses ? s’étonna Hroar.

- Oui. Des militaires aguerris sont arrivés de Céläastra, ils le conseilleront. Les défenses de la presqu’île peuvent être diminuées, étant donné que nous n’avons plus à craindre d’attaques par la mer. De plus, je vais écrire afin de demander des renforts à Céläastra. Enfin, j’ai combattu dans les Kiwele il y a une dizaine d’années, je connais un peu la région. Le capitaine Estë nous transportera par la mer. Et je préfère t’avoir à mes côtés.

- Je préfère aussi, sourit le nain. J’aime avoir un [i]koranen [/i]près de moi, même si je ne le manie pas. Je vais m’occuper du recrutement. Dois-je également trouver des chevaux ?

- Je m’en suis déjà occupé, dit Erion. Il y en avait quelque uns dans les écuries de la presqu’île et les hommes de la reine nous en ont fourni d’autres.

- Parfait mon ami, dit le nain. Il nous faudra agir vite, la bataille risque d’être serrée.

- Bien sûr, sourit l’elfe. Comme nous les aimons.

- Pour la gloire de la Reine Ivawen, professa Hroar.
Et il sorti de la pièce. Modifié par Loup Noir
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Oh ! Un peu de diplomatie !

Pas mal ! J'aime bien parce que du coup ça montre que tout n'est pas noir ou blanc. C'est pas qu'une histoire d'ennemis mais que parfois les deux camps se connaissent ! Malheureux mais c'est comme ça !

Alors ce passage est plutôt calme puisqu'il s'agit pas mal de réorganisation mais c'est appréciable !

Allez, la suite !

@+
-= Inxi =-
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  • 2 semaines après...
Voilà la suite ! On atteint la dernière ligne droite et l'histoire approche de son dénouement. J'espère que vous apprécierez.

[center][u][b]Chapitre XXI[/b][/u][/center]


[b]An 1378 du Quatrième Âge, Palais Royal de Céläastra[/b]

Nærisa rêvait. Il y a avait autour d’elle un tourbillon de couleurs et une galaxie de nuances de noirs. Elle dérivait encore et toujours, elle espérait finir son agonie dans le vide béant qui semblait flotter près d’elle. Néanmoins, elle se sentait un peu mieux. Elle n’aurait su dire depuis combien de temps le monde tournait, mais ses idées étaient un peu plus claires. Elle ne savait toujours pas où elle se trouvait. Elle se souvenait d’hommes en noirs, d’une silhouette brune qu’elle reconnaissait comme étant Silya, et surtout de rouge. Partout. Une dernière chose l’obsédait. [i]La Main du Roi Highlin[/i] avait coulé. Dans le chaos qui l’entourait, elle se souvenait de cela. Le grand bateau était au fond de l’océan. Et la chose la plus importante désormais était de rebâtir la galère. D’offrir à Arthelor un nouveau navire, plus grand encore que le premier, plus puissant, avec lequel il deviendrait le roi des mers. Étrangement, bien qu’elle ne sache pas où elle était, ce qu’elle faisait, si elle se trouvait seule ou non, et malgré le fait qu’elle ne voyait rien de concret, elle n’était pas inquiète pour son enfant. Elle avait mal au ventre, mais c’était dû aux frémissements de l’embryon. La vie se développait encore en elle, et elle restait persuadée que son état actuel n’endommagerait pas le futur bébé. Elle sentait des remontées gastriques, et craignait les haut-le-cœur. Elle avait l’impression que sa tête tourbillonnait, elle étouffait depuis des jours et des jours, elle tombait encore et encore. Au-delà de la peur, de l’adrénaline due à la chute, elle sentait maintenant toutes les parties de son corps tendues à l’extrême. Cela tournait moins, elle se sentait un peu mieux, et soudain, elle ouvrit les yeux. Elle était allongée dans son lit, les rideaux du baldaquin ouverts. Aucune lumière ne filtrait par les volets, mais la princesse aperçut une haute silhouette debout devant elle. Quelques secondes plus tard, elle distingua des cheveux noirs, assez longs, et des yeux bruns-verts. Cet air-là lui était familier, et elle recula dans son lit. L’homme la regardait toujours. « Oncle », faillit-elle dire, avant de s’apercevoir que la silhouette possédait ses deux mains. Il était beaucoup plus jeune que Neflindel. Elle comprit.

- Père ? murmura-t-elle.

- Bonjour, petite, lui sourit l’ombre d’Highlin.

Son père l’avait toujours appelée comme cela, quand Ivawen avait droit à du « princesse », ou « ma grande ». Cela faisait si longtemps. Elle se mit à pleurer.

- Père, pourquoi revenez-vous maintenant ? Vous m’avez tant manqué !

Elle pleura de plus belle et son père vînt s’asseoir sur le bord du lit et la prit dans ses bras. Elle resta un moment ainsi et se calma un peu. L’adulte repris le dessus et elle repoussa Highlin. Elle se redressa et le contempla. Il avait le visage émacié, et le teint très pâle, comme pendant ses dernières semaines, où la maladie le rongeait.

- Que faites-vous là ? demanda-t-elle. Pourquoi mère n’est-elle pas avec vous ?

- C’était moi que tu voulais voir, Nærisa, lui répondit son père. Tu voulais me parler, je pense.

La princesse réfléchit. De quoi aurait-elle voulut parler avec son roi de père ? De royauté peut être. Et d’Ivawen, et de sa mère. Elle ne savait plus.

- Vous ne vous êtes jamais beaucoup occupé de moi, lui reprocha-t-elle. Beaucoup plus d’Ivawen.

- Bien sûr, elle était destinée à régner.

- Vous l’aviez prévu depuis le début, n’est-ce pas ? Vous n’avez jamais eu l’intention de transmettre la couronne à Neflindel ?

- Jamais. Mais j’espérais avoir un peu plus de temps. Neflindel a toujours été là pour moi, il m’a appris à régner en partie, il m’a soutenu, et aidé au Conseil très longtemps. Je voulais qu’il règne avec Ivawen, je voulais l’en convaincre. Mais je suis mort trop tôt. Je savais que la guerre éclaterait et qu’elle ferait beaucoup de mal à mon peuple. Mais je ne pouvais me résoudre à déposséder mes filles. Les conséquences auraient pu être graves pour vous, et c’était en cela une terrible décision. Svinrile m’aurait tué.

- Oui. Mais vous n’auriez dépossédé qu’Ivawen. C’est elle la reine.

- Oh, Næri, ma petite, souffla Highlin, tu crois vraiment ? Ivawen s’appuie beaucoup sur toi. Elle ne pourrait aussi bien s’en sortir si tu ne l’aidais pas autant. Ce n’est pas pour rien que l’on vous appelle [i]les souveraines[/i].

- Je ne la jalouse pas. Pas vraiment. Nous sommes trop différentes pour cela. J’ai uniquement l’impression que vous ne m’avez pas assez considérée.

- Je me suis concentré sur l’éducation de mon aînée, il est vrai. Mais je te considérais Nærisa. Ta mère t’a transmis son sens de la diplomatie, et tu t’en sors très bien. Bien sûr, tu es moins diplomate avec ta sœur et ta cousine, sourit Highlin.

- Vous êtes partis trop tôt, soupira la princesse. Tous les deux. Ivawen l’a mieux vécu, vous étiez très présent pour elle, et, à votre mort, une couronne vous a remplacés, les responsabilités l’empêchant de penser à votre disparition. Néanmoins, après votre mort, nous nous sommes enfermées dans la chambre d’Iva, et nous vous avons pleuré toute la nuit.

- Je n’ai pas pleuré mon père, dit Highlin. Il était vieux et ne croyait pas en moi. Il avait songé à remettre la couronne à Neflindel avant sa mort. Mais je l’ai prévenu que s’il le faisait, je me battrais pour mon trône. Il a préféré assurer la paix. Il savait que je m’appuierai sur le Vieux-Prince, de toute façon (il eut un rire froid). J’ai préféré assurer une guerre, à mon époque.

- J’aurais voulu avoir le temps de vivre ma jeunesse. Certains de mes contemporains parlent de la guerre comme de la meilleure période de leur vie, de vrais soldats. Mais ni Ivawen, ni moi n’avons apprécié ce moment. Trop long, trop sanglant, trop fatiguant. Nous avons dû grandir en un temps record, surtout moi. Nous avons toutes les deux fait des choses regrettables, et désagréables.

- Tu as toujours aimé t’amuser, ma fille, sourit Highlin. Même le lendemain de tes dix-neuf ans.

- Père, le palefrenier ? gloussa-t-elle, penaude. Vous étiez au courant ?

- Un de mes gardes vous a vu sortir de l’écurie. Ce n’était pas difficile de deviner le reste.

- Le pauvre, sourit la princesse. Je lui ai dit que s’il racontait notre nuit, mon père le ferait exécuter.

- Tu as bien agi, c’est en effet ce que j’aurais fait, glissa son père. Ta sœur a attendu plus longtemps avant de me donner ce genre de problème. Néanmoins j’étais trop fatigué et malade pour t’en vouloir.

- Désolée de vous avoir causé des soucis. J’aurais tant voulu vivre encore un peu dans l’insouciance, ne pas devenir le deuxième personnage du royaume aussi rapidement. (Elle repensa à l’agression). Père, suis-je en train de mourir ?

- Oh non, Nærisa, tu es en train de te réveiller !

- Solenna est morte. Quel dommage. Elle m’avait servi si bien pendant tant d’années. C’est son cri qui a averti Silya et Ilïn. Elle m’a sauvé la vie…

- En effet, fit son père. En bonne servante.

- Qui étaient ces hommes ? demanda-t-elle. Pourquoi m’ont-ils attaquée ? Est-ce qu’Ivawen va bien ?

- J’ignore qui ils étaient… Mais tu auras bientôt la réponse à la dernière question. Repose-toi bien, Næri, de lourdes tâches t’attendent. Il me faut y aller.

- Embrassez mère pour moi.

- Crois-tu que je puisse le faire ? Il m’est impossible de dialoguer avec les morts !

- Tout ceci n’est pas réel, n’est-ce pas ? s’enquit Nærisa. Cela se passe dans ma tête ?

- Evidement que cela se passe dans ta tête, petite, sourit son père. Mais pourquoi en déduis-tu que ce n’est pas réel ? Rendors-toi.

Nærisa se rallongea et il posa sa main sur ses yeux. Lorsqu’elle ne sentit plus les doigts de son père sur ses paupières, elle les rouvrit. Elle se trouvait dans son lit, les rideaux de son baldaquin étaient tirés.


- Que vois-tu par la fenêtre ? demanda Ivawen.

- Des bannières, répondit Silya. Et des elfes au bout.

- Décris-les-moi, ordonna la reine d’une voix faible.

- Une galère noire voguant sur une mer rouge sang, énuméra la guerrière. Des collines frappées par la foudre, à côté d’un grand œil constellé d’étoiles. Un cheval cabré sur champ bleu et blanc. Un anneau vert sur champ argent et or. Une ancre noire sur fond blanc. Quelque chose qui ressemble à une mer bleue nuit. Un serpent endormi. Deux lances croisées sur un bouclier. Un lion rugissant, non, un dragon cabré, doré sur champ noir.

[i]Edlla, Abæl, Korih, Serra, Sëë, Rywon, Sïïn, Abéas, Desmopïl, Furiade[/i], pensa Ivawen. [i]Même [/i]le Fier [i]s’est déplacé.[/i]

- Merci Silya.

- Les charognards se rassemblent ma reine.

Ivawen ne répondit rien. Elle résonnait bien. [i]Trop bien.[/i] Cela faisait une semaine que les hommes en noir l’avaient agressée. La reine était restée six jours dans le coma, en proie à d’horribles cauchemars. Silya, grièvement blessée, avait dormit trois jours. Un gros bandage couvrait sa main droite, ouverte presque jusqu’à l’os. Elle ne pouvait plus s’en servir depuis son réveil. On lui avait dit que la guerrière avait insisté pour rester à son chevet et qu’elle l’avait veillée une journée durant avant qu’elle ne sorte du coma. Farjïn, le mage de cour, lui avait expliqué que le maléfice qu’on lui avait lancé l’avait grandement affaiblie, et avait failli la tuer. Néanmoins, l’effet s’était estompé au moment où le lien avait été rompu. Curieusement, elle n’avait pas ressentie de douleur. Il avait précisé que trente secondes de plus sous le flot rouge lui auraient coûté la vie. Ivawen avait appris ce qui était arrivé à Nærisa. La princesse semblait mieux se remettre qu’elle de son agression, elle avait été irradiée moins longtemps. Farjïn lui avait assuré que le maléfice n’avait pu toucher l’embryon que portait sa sœur. La reine avait eu la force de signer les deux décrets que l’on avait rédigés sous sa dictée. Elle regarda les deux petits rouleaux posés sur sa table de chevet. Elle ferma les yeux et s’assoupie un moment. Puis elle fut réveillée par des coups à sa porte. Silya s’avança et Ivawen autorisa à entrer. Séïren pénétra dans la pièce et alla immédiatement prendre sa cousine dans ses bras. Ivawen posa faiblement une main sur sa nuque. La jeune femme s’écarta et Silya fit mine de sortir.

- Reste, ordonna Ivawen. Je voudrais vous parler à toutes les deux. Assoyez-vous.

Elles tirèrent des sièges et s’assirent devant le grand lit de la reine. Ivawen les regarda. Toutes deux soucieuses, le visage grave. Silya, les mains toujours posées sur les pommeaux de ses épées et Séïren qui semblait ne pas avoir dormir depuis plusieurs jours. La reine tendit la main vers sa table de chevet et ramassa un anneau d’or et d’émeraude.

- Mïlia arrive-t-elle bientôt ? demanda Ivawen à Séïren.

- Elle n’est plus qu’à trois heures de la ville, Ivawen, répondit la jeune femme.

- Bien. Prend cette bague. Donne-la-lui. Tu sais ce que ça signifie.

- Ton anneau de commandement ? s’étonna Séïren en écarquillant les yeux. Tu nommes ma mère régente du royaume ?

- Oui. Elle seule a assez de force et d’expérience pour mener Céläastra pendant ma convalescence. J’ai une confiance totale en elle. Je ne veux pas laisser le Conseil entre les mains de Souvaron Desmopïl, je ne veux pas prendre le risque de voir [i]le Fier[/i] déployer ses troupes. Mïlia les mettra tous les deux au pas, avec ce type de pouvoir, personne n’osera s’opposer à elle. Personne sauf toi.

- Pardon ?

- Tu devras entériner toutes les décisions d’importance de ta mère. C’est ce que je prévois dans mon décret. Mïlia n’est pas assez mesurée, elle pourrait faire emprisonner Rylor Furiade, s’il ose hausser le ton face à elle. Je veux éviter ce type de décisions. Ta mère est trop sanguine. Mais son expérience lui permettra de mener le royaume et elle restera fidèle à ma politique. Cette décision ne lui plaira pas, c’est certain, mais ce n’est pas l’important. Tu m’as comprise, Séïren ? Refuse les décisions qui te semblent inappropriées, et si tu as un doute, viens me voir.

- Bien compris, merci Iva, répondit Séïren qui semblait prendre soudain peur.

- Silya. J’ai besoin de toi également. Tu n’iras pas soutenir la reine Malvace dans son œuvre de reconquête. Et je veux que tu quittes le service de Nærisa. Désormais tu seras attachée à mon unique protection. Je te nomme Poing de la Reine.

- Il n’y a pas eu de Poing du Roi depuis… commença Séïren.

- Depuis que le Poing du Roi Ennäm [i]le Maudit[/i] a tenté d’assassiner le roi Allën, je sais. Et c’est regrettable. Je ne me passerai pas des compétences de Silya.

- En quoi consiste cette fonction ? demanda la guerrière.

- Tu auras la charge de ma protection rapprochée. Tu me suivras partout, et feras rempart de ton corps contre mes ennemis. Tu me serviras également de générale et de championne. Tu me représenteras sur les champs de bataille quand je le déciderais.

- Rien ne pouvait me faire plus plaisir, ma reine, s’exclama l’humaine, qui semblait sincère. Mais n’est-ce pas trop d’honneur ? Vos suivants accepteront-ils ?

- Je me moque de ce qu’ils penseront. Je me rappelle de chaque détail de mon agression, et de la façon avec laquelle tu m’as défendue au péril de ta vie. Je ne sais pas d’où tu viens, je ne sais pas ce que tu voulais en arrivant ici, mais c’est certain que tu seras la mieux placée pour ce poste. Je te fais confiance. Voici l’insigne, porte le (elle lui tendit une broche plaquée or, représentant un poing fermé et couronné).

- Merci, Ivawen, souffla la guerrière alors que Séïren étouffait un soupir d’indignation devant l’évocation par la garde du corps du prénom de la reine.

- Ton travail débutera aujourd’hui, repris Ivawen d’une voix plus dure. Je veux que tu enquêtes et que tu débusques ces assassins. Tu es mon Poing, porte ma fureur contre mes ennemis.

- Avec plaisir, fit Silya en souriant.

- As-tu des pistes ?

- Oui, dit-elle en ayant l’air d’hésiter. Laodice de Korih.

- Qu’est-ce qui te fait dire cela ? s’étonna la reine.

- Et bien, expliqua Silya, lorsque j’ai tué l’homme qui vous a agressé, j’ai vu apparaitre furtivement sur son poignet le tatouage d’une petite étoile noire à quatre branches. Ce signe a disparu, car nul n’en fait mention dans le rapport détaillant les cadavres des assassins. Néanmoins je suis sûre de l’avoir vu. J’ai cherché pendant un certain temps, et je me suis souvenu de pourquoi ce symbole m’était familier : lorsque j’ai vu Laodice tuer Arstos, le même signe est apparu de manière aussi brève sur son poignet. Je la soupçonne donc d’être liée aux assassins, même si je ne vois pas l’intérêt qu’elle aurait à vous faire tuer.

- Il y a toujours un intérêt à tuer les rois, Silya, assura la reine. Je te fais confiance pour interroger Laodice. Elle est arrivée avec Séïren. Evite de trop la brusquer, c’est tout de même l’une de mes principales vassales.

- Lorsque j’ai décrit l’agression à Laodice, intervînt Séïren, elle semblait très troublée. J’ai pris cela pour un choc devant cette révélation, moi-même, j’étais encore estomaquée, mais il est possible qu’elle ait été au courant de quelque chose.

- Ne serait-il pas plus prudent de l’arrêter ? s’enquit Silya.

- Non, répondit Ivawen. Je ne veux pas créer un climat de panique. Il est fort probable que Laodice ne m’ait pas envoyé ces assassins, mais si elle sait quelque chose, je préfère agir dans l’ombre pour la faire parler, si possible sans m’en faire une ennemie. Secoues-là, au maximum, pas de sang. Essaye plutôt de lui faire peur en lui disant qu’elle est surveillée et qu’il est de son intérêt de nous dire la vérité.

- A vos ordres, Majesté.

- C’est donc réglé. Séïren, fait doubler la garde devant ma porte et devant celle de ma sœur, avec ordre de ne me déranger sous aucun prétexte, sauf pour l’une d’entre vous, ou pour Nærisa, même si je doute qu’elle soit en état de sortir de sa chambre. Silya, rends-toi dès que tu le pourras auprès de Laodice. Séïren, dès que ta mère arrivera, fais-lui part de mes décisions à son égard. Tu peux aller voir Nærisa si tu veux, embrasse-là de ma part, mais ne la fatigue pas. Maintenant sortez, toutes les deux. Il me faut me reposer.

Elles saluèrent, puis obéirent. Epuisée par la conversation qu’elle venait d’avoir, Ivawen se rallongea. La tête lui tournait. Elle s’enfouie dans ses oreillers, sans prendre la peine de repenser à la conversation qu’elle venait d’avoir avec les deux femmes. Néanmoins, le visage de Silya flottait toujours dans sa tête lorsqu’elle s’endormie.


Silya, lame découverte, attendait dans la chambre. Quelques heures s’étaient écoulées depuis qu’elle avait quitté Ivawen. La pièce était baignée dans une chaude lumière et le ménage était fait parfaitement en l’attente de son visiteur. Même en cette situation, où tout le palais était en émoi, les serviteurs faisaient leur travail à la perfection. La guerrière entendit quelqu’un entrer dans l’antichambre. Elle se déplaça rapidement derrière la porte. Elle reconnut la voix de Laodice. La [i]Basilieisa [/i]congédia rapidement la personne qui l’accompagnait et se dirigea vers l’endroit où se trouvait Silya. La reine lui avait demandé de ne pas trop la brusquer, mais l’alizéenne n’avait que faire du conseil. Elle se doutait que l’humaine ne se laisserait pas intimider par des menaces en l’air. Elle entra dans la pièce et Silya se jeta sur elle. Elle commença par lui couvrir la bouche de sa main droite et glissa sa lame contre sa gorge. Du pied elle claqua la porte.

- Pas un cri, pas un geste, lui susurra-t-elle. On va aller s’assoir sur le fauteuil, là-bas. Mettez vos mains en évidence.

Elle la conduisit vers un grand fauteuil et la fit s’y asseoir. Elle pointa son épée sur son front et lui demanda de poser ses mains sur les accoudoirs, sans bouger. L’humaine obtempéra, parfaitement calme. Elle parut soudain très jeune à Silya. Elle eut presque de la peine d’agir de manière aussi violente, et de la pitié pour sa victime. Néanmoins, en repensant à Ivawen son regard se durcit.

- Maintenant parlez-moi des assassins ayant agressés la reine.

- En quoi cela me concerne-t-il ? s’enquit la jeune femme.

- J’ai des raisons de penser que vous savez qui sont ces hommes. Je veux comprendre ce qui est arrivé à Ivawen.

- Oh, fit Laodice avec un sourire. C’est [i]Ivawen[/i], désormais ? Qu’elle proximité pour ta chère reine. Mes soupçons se seraient plutôt portés sur toi, le sauveur opportun, qui obtient une promotion incroyable juste après l’agression. C’est louche, non ?

S’en était trop. La lame s’enfonça légèrement dans le front de Laodice qui étouffa un cri. Du sang coula sur son front, jusque sur son nez. Ses yeux perdirent toute trace d’arrogance.

- Si tu te moques de moi une fois de plus, femme, je te promets une mort lente et douloureuse entre mes mains, toute [i]Basileisa [/i]que tu es. Vu l’entraînement de ces assassins, leurs tarifs sont sûrement exorbitants. Je n’aurais pas pu les payer. Si je t’accuse, c’est parce que l’assassin le plus chevronné portait au poignet un petit tatouage en forme d’étoile à quatre branches. J’ai vu le même sur ta main à Korih. Je suis persuadée que tu sais quelque chose, alors parle, et vite !

- Très bien ! s’écria Laodice. Vas-tu me laisser éponger mon front ? (Silya secoua la tête). Bon. Je n’ai pas envoyé d’assassins aux souveraines. Cela aurait été contre tous mes intérêts. Mais je sais qui sont ces hommes, en effet. Ils appartiennent à une guilde secrète spécialisée dans l’espionnage et l’assassinat avant tout. On l’appelle l’Etoile Noire.

- Pourquoi l’Etoile Noire ?

- Parce que lorsque tout est au plus sombre, nul ne voit briller les étoiles, Silya Ayën, récita Laodice. Ces assassins ne sont pas nécessairement les plus efficaces, mais ils peuvent atteindre des personnes très isolées. Ce qui explique que les souveraines aient été agressées dans leurs chambres. Comment font-ils, je l’ignore. Ils utilisent une magie ancienne, paralysant leurs victimes et les vidant de leurs forces, ce qui les empêche d’appeler au secours par exemple. Leur doctrine consiste à offrir une mort douce, par paralysie indolore, puis par égorgement. Si elles survivent, ce qui est rare, le contrecoup fait souffrir pendant des jours avant de s’estomper.

- Comment diable sais-tu tout cela ? demanda froidement Silya. Dépêche-toi de répondre, tu me donne de plus en plus envie de te tuer.

- J’ai fait partie de l’Etoile Noire pendant un an. Les maîtres m’ont appris à me battre ainsi que les codes de l’organisation, sans entrer dans les détails, pour éviter que je n’en sache trop. On m’a tatoué l’Etoile Noire au poignet. Elle brille lorsque l’on tue, ou que l’on est tué. Je n’ai pas dépassé le premier grade. Je n’ai pas réussi le dernier test, assassiner quelqu’un. Manque de courage, sans doute.

- Hum, fit Silya qui sentait la vérité ans les mots de Laodice. Il ne faut pas de courage pour assassiner un homme. C’est assez lâche en fin de compte.

- Cela t’ait déjà arrivé ?

- Ils étaient parfois désarmés, mais avaient eu l’occasion de se défendre avant. Qu’elles sont tes conclusions vis-à-vis de cette attaque ? Eponge-toi le front.

- J’ai examiné les corps, dit-elle en s’essuyant. Trois me sont inconnus, mais le dernier que tu as tué était le meilleur bretteur qui officiait à mon époque. La guilde est dirigée par quatre membres, parmi les plus anciens et les plus puissants. L’un est nommé grand maître tous les ans et a prépondérance sur les trois autres. A mon époque, l’homme que tu as tué occupait le poste. Le vaincre était une prouesse, félicitations.

- As-tu une idée de qui a pu les envoyer ?

- Les souveraines ont beaucoup d’ennemis. A commencer par le Vieux-Prince. On dit qu’il est devenu sacrément rancunier, et haineux, seul dans son monastère. La perte de son fils l’a énormément affecté. Sans oublier les Lagoride. Ainsi que tous les nobles lésés par la guerre civile.

- Pourquoi agiraient-ils maintenant ? fit Silya en réfléchissant très vite. Et puis, non, c’est contraire à la culture de Céläastra. Lorsqu’une guerre civile est finie, les nobles ploient le genou automatiquement devant le vainqueur. Pour le Vieux-Prince, c’est différent. Retiré dans son monastère, il est loin de la société. De plus, vieil homme, il pourrait avoir perdu la tête. Et il a des petits-fils encore en vie, premiers en ligne de succession en cas de décès des deux sœurs. Je vais aller l’interroger. Quant aux Lagoride, c’est probable, mais le Grand-Roi se trouve très loin de Céläastra, et ce ne sont pas des méthodes de guerre. Je vois mal un état employer des assassins, c’est trahir la confiance de toutes les nations alliées et ennemies, c’est briser toutes les règles.

- Sauf si personne ne remonte jusqu’à eux, sourit Laodice. Et n’oublie pas ce que je t’ai dit, l’Etoile Noire peut accéder plus facilement à ses victimes que les assassins ordinaires.

- Mes soupçons se porteraient plus sur Neflindel tout de même, mais je vais réfléchir à ce que tu viens de me dire. Penses-tu qu’ils pourraient recommencer ?

- Oh, non, dit-elle froidement, pas après l’affront qu’ils ont subi. Ils ont perdu un membre de leur quatuor, ils seront moins organisés pendant un temps. Je sais, je l’ai vécu. Tu ne me soupçonnes plus donc ?

- Non. Mais tu ne pourras pas accéder à la reine ou à sa sœur seule. Je vais faire mon rapport à Ivawen.

Elle laissa en plan la [i]basileisa [/i]et se dirigea vers la porte. Au moment de l’ouvrir, Laodice lui lança :

- Cela ne te plait pas, n’est-ce pas, de devoir compter sur moi pour t’aider dans ton enquête ? Tu ne m’aimes pas, Silya Ayën. Tu n’aimes pas ce que je représente. Mais tu me respectes, car comme toi, et même plus que toi, j’ai dû m’imposer en tant que femme dans un monde d’hommes. Je vais te dire, je ne t’aime pas non plus. Mais je vais t’aider à démasquer ceux qui s’en sont pris à Ivawen et Nærisa. Pour leur bien.

Silya attendit la fin de la tirade, et, sans un mot de plus, s’en alla rejoindre sa reine.


Séïren regardait sa mère qui étudiait le décret qu’elle venait de lui remettre. Les cheveux aussi noirs que ceux de sa fille, les yeux cuivres, Mïlia avait les oreilles allongées, mais arrondies au bout, et non taillées en pointe comme les elfes de pure souche. Plus grande que sa fille, elle lui avait donné ses yeux rapprochés et son long nez. Ses huit grossesses successives avaient grossi ses traits et elle était marquée par l’embonpoint. Malgré tout, elle avait conservé un air particulier, une beauté froide et puissante, la rendant encore attrayante. Mïlia avait été selon les témoins, très proche de sa demi-sœur Svinrile avant que cette dernière n’épouse le prince Highlin. Elle parcourut rapidement le parchemin puis le replia et tendit la main.

- La bague, je te pris, dit-elle froidement à sa fille.

Séïren la lui tendit et elle la passa à son doigt d’un geste vif. Elle toisa la jeune femme pendant quelques secondes. Son regard semblait percer Séïren de toute part, si bien qu’elle faillit avoir un mouvement de recul. Mïlia haussa les sourcils et s’éloigna à grands pas.

- Comment vont les petites, mère ? s’enquit Séïren en tachant de l’accompagner.

- Bien, leur père s’occupe d’elles. Elles se demandent seulement où se trouve leur grande sœur. Voilà six mois que tu ne les a pas vu.

- J’ai été retenu par mes responsabilités.

- Je sais, assurer la transition à Korih. Et te trouver un mari. Félicitation d’ailleurs. Noédor Edlla, excellent parti.

- Cela n’a pas l’air de vous enchanter, mère.

- Tu suis les traces de ton père, en t’élevant au sein d’une des Familles les plus puissantes, c’est bien. Sais-tu ce qui ne m’enchante pas ? La reine m’a confié la régence du royaume, ce qui est une sage décision, c’est certain. Mais elle bride mes pouvoirs en mettant dans mes pattes une fillette à peine dégrossie, préférant un fauteuil confortable à la cour plutôt que d’aider sa mère.

- Mère ! s’écria la jeune femme. Vous ne pouvez pas…

- Séïren ! la coupa Mïlia. Si Iva ne t’avais pas nommée co-régente, je t’aurais renvoyée immédiatement dans ma forteresse pour que tu la gouvernes en mon absence, comme il se doit. J’ai dû confier cette tâche à Ushyndi et à ton père, tu te doutes que ça m’a coûté. Pourquoi Oïnstal m’a gratifiée d’une aînée aussi turbulente ? Ushyndi m’écoutes et a confiance en mon jugement. On ne pouvait en dire autant de toi à son âge. Désormais tu vas m’obéir, Séïren. Je réunis le Conseil à la tombée du jour, n’aies pas une minute de retard. En attendant tu rédigeras une missive au seigneur Rylor Furiade, que je convie à venir souper avec moi. Maintenant vas t’en, je ne veux plus te voir avant la séance du Conseil.

Séïren plissa légèrement les yeux, puis s’en fut en baissant la tête. Une fois seule, elle senti les larmes lui monter aux yeux. A chacune de leurs rencontres, sa mère se montrait de plus en plus froide. Bien sûr elle préférait rester au palais avec ses cousines, plutôt que de s’enfermer dans la forteresse sombre de Mïlia, à faire la leçon à ses sœurs ou à régler les affaires courantes avec sa mère. Et elle trouvait cela normal. Ah, que ne pouvait-elle pas s’embarquer à Vermelhäa pour rejoindre son fiancé à la guerre loin de la tyrannie de sa mère, loin des responsabilités de la cour ! Elle essuya ses larmes. Elle se dirigea vers sa chambre, pour y rédiger la missive à destination du [i]Fier[/i]. Elle irait ensuite rendre visite à Nærisa.


Silya avala un nouveau verre. Elle avait fait son rapport à la reine, qui s’était endormie peu après et l’avait congédiée. La sentant fatiguée, Ivawen lui avait permis de ne reprendre sa garde que le lendemain matin. Il faisait nuit noire. Silya ressassait son entrevue avec Laodice et ses dernières paroles. Ce que pensait la [i]basileisa [/i]lui importait peu, mais une impression bizarre ne la lâchait plus depuis. En se servant un nouveau verre, elle en versa une partie à côté. Après l’avoir bu en quelques gorgées, l’alizéenne mit la tête dans ses bras. Le monde tournait mais le visage de la reine flottait dans son esprit. Cela faisait des mois qu’elle n’avait pas bu autant. Elle voulait chasser toutes les pensées parasites, se vider complétement la tête, mais rien de ce qu’elle essayait ne fonctionnait. Elle espérait s’endormir là, n’importe comment, sans armure, sans arme, sans défense, avec pour seule protection ses poings et l’insigne doré que lui avait remis Ivawen. Dans sa mélancolie, une scène vînt la hantée. Tout disparut, le cabaret où s’ébattaient de jolies femmes, la bouteille, le verre, la table, la capitale. Elle traversa la mer, l’espace, le temps.

Elle se revit à dix-neuf ans, en armure flamboyante, accompagnée de Mark, son aide de camp. Elle marchait à travers une cour où se trouvait entassée une centaine de prisonniers de guerre, en haillons la plupart du temps, qui la fixaient avec des regards vides. Elle les toisait tous avec mépris. Tous étaient des suivants du seigneur Horn, qui s’était rebellé contre la Haute-Reine en s’alliant aux solaris. La Guerre des Reines faisait rage et Silya venait de prendre la forteresse du seigneur, qui avait été pendu avec sa femme. En tant que traitres, elle ne leur avait pas accordé la mort noble, par décapitation. Marchant dans la boue et la terre battue, Silya ne voyait que des hommes à la tête baissée devant elle, certains lui murmurant des « pardons » à peine audible.

- Que faisons-nous d’eux, Haute-Reine ? demanda Mark en s’arrêtant devant un petit groupe.

- Je leur laisserai le choix, dit la reine. Ceux qui me jureront fidélité seront réincorporés à mes armées, dans plusieurs corps différents et à plusieurs endroits, pour éviter toute tentative de révolte. Pour ceux qui s’y refuse, pendez-en un sur dix. Emprisonnez les autres.

- Ma reine, fit Mark d’une voix hésitante, ne serait-il pas plus judicieux de tous les emprisonner ? Faire couler le sang de votre peuple n’est peut-être la meilleure chose à faire en ce moment. Votre père faisait ainsi et…

- Je ne suis pas mon père, Mark. Je suis en guerre. Faites ce que je vous dis. Les traîtres doivent être punis, c’est ainsi. N’ayez crainte, la plupart se rallieront à moi. Ce sont de braves combattants, intrépides et…

Elle se tut. Elle venait de voir parmi les hommes rassemblés, une jeune femme aux cheveux noirs. Elle semblait perdue, mais restait droite au milieu de ses camarades. Son épaule gauche était bandée et des tâches rouges y étaient visibles.

- Que fait cette fille au milieu des prisonniers, Mark ?

- Elle a été capturée pendant l’attaque. Elle portait une épée et une armure trop grande pour elle, ce qui ne l’a pas empêchée de tuer deux de nos soldats avant d’être mise hors d’état de nuire. Elle nous a raconté que son père était mort quelques jours auparavant et qu’elle avait récupéré ses armes pour défendre sa maison, et sa mère malade.

- Bien, fit Silya en s’approchant. Quand je vous parlais de combattants intrépides… Retrouvez-moi dans une heure dans mes quartiers avec cette prisonnière. D’ici là faites soigner sa blessure et changer ce bandage.

Elle s’éloigna, laissant Mark, étonné, exécuter ses ordres. Une heure plus tard, Silya s’était débarrassée de son armure, débarbouillée et attendait patiemment, assise dans un des fauteuils des appartements seigneuriaux qu’elle venait d’investir. Elle avait longuement réfléchit à ce qu’elle comptait faire de la jeune fille, et n’était toujours pas fixée. Elle sirotait un verre de vin rouge lorsque Mark frappa à la porte. Elle lui demanda d’entrer et il se présenta avec la jeune prisonnière. Ses longs cheveux noirs en bataille cachaient en partie son visage. Elle releva la tête devant la reine et Silya croisa ses yeux cuivrés.

- On m’a dit que tu avais combattu. As-tu déjà reçu une instruction militaire ? demanda la reine.
La jeune fille secoua la tête.
- Ta mère est malade, de quoi souffre-t-elle ?

- Je ne sais pas, ma Reine, elle a des boursoufflures et des ganglions partout. Elle délire. Puis-je lui rendre visite, ma Dame ? Je suis sa fille unique et…

- Tu pourras, tout à l’heure. Indique l’emplacement de ta maison à mon aide de camp. Mark, demandez à mon médecin personnel d’examiner la mère de notre jeune combattante, et de faire tout ce qu’il peut pour elle. Dites à cette femme que sa fille ne manquera plus jamais de rien. A présent laissez-nous.

- Ma Reine, est-ce bien prudent…, commença Mark.

- Obéissez, soldat, dit-elle, froidement. Je vous ai chargé de plusieurs travaux, ne l’oubliez pas. Et que personne ne me dérange. Sous aucun prétexte.

Le soldat se mit au garde-à-vous, puis la fille aux cheveux noirs lui indiqua l’emplacement de sa maison, et il quitta la pièce. Silya observa sa protégée. Le bandage de son épaule était propre et blanc. Quelques coupures rouges parsemaient sa peau, mais elle n’avait pas l’air en mauvais état. Au contraire, elle semblait aminée d’une force particulière, qui plaisait à Silya. La reine remarqua que les frusques déchirés de la fille laissaient largement entrevoir une partie de sa poitrine et sa hanche gauche. Silya l’observa un long moment et elle baissa la tête. [i]Quel effet cela procure-t-il ?[/i] songea-t-elle. [i]Une légère douceur… Une guerrière-née…[/i] Elle frissonna.

- Comment t’appelles-tu, jeune fille ? demanda Silya.

- Idraïs, Haute-Reine. Ma mère m’a nommée, … Idraïs.

- Quel âge as-tu ?

- J’ai… J’ai quinze ans, ma Dame.

- Bon, fit Silya. As-tu déjà connu un homme, Idraïs ?

- Non, je… dit-elle d’une voix timide. (Elle couvrit les parties visibles de son anatomie avec ses mains). Je… jamais. S’il vous plait, Haute-Reine, je… n’en ai pas envie…

- Je sais, Idraïs, lui dit Silya.

Elle s’approcha d’elle lentement, en souriant. Idraïs eut un timide sourire en retour. La reine s’arrêta à quelques pouces de la jeune femme, et retira doucement les mains qui couvraient son corps.

Des années et des années plus tard, Silya releva la tête, troublée. Des larmes couvraient ses joues. Elle renifla. Elle se leva et jeta sur la table huit pièces d’or, largement suffisantes pour payer sa consommation. Elle ramassa le flacon de vin posé devant elle. Il était vieux, et très fort. Silya le regarda un moment, puis sorti de la taverne en l’emportant. Elle continua tout droit un moment, puis réfléchit un instant. Le chemin le plus rapide jusqu’au palais passait par les quartiers les plus mal famés de la ville. Elle haussa les épaules et marcha. Elle regarda sa bouteille. L’un des meilleurs crus de l’Île. Daté de 1363. [i]« Nous disions qu’ensemble nous devions mourir, ainsi nous portons notre avenir »[/i]. Elle vida la bouteille puis la fracassa rageusement contre les pavés de la rue avant de poursuivre sa route en titubant. Elle marchait et marchait, sous la nuit noire, lorsqu’un homme l’aborda. Il avait un couteau à la main.

- Bonsoir, femme, ne voudrais-tu pas m’accorder un instant de bonh…

Silya réagit immédiatement. Sa cheville droite, son torse, puis sa hanche, pivotèrent, et son pied gauche vînt frapper l’homme à la gorge. Il se redressait à peine, alors que Silya était déjà loin de lui. [i]J’ai faim. Je meurs de faim, mais pas de toi[/i], pensa-t-elle, dégoûtée. Et elle continua. Devant les portes du palais, il lui suffit de présenter son insigne. Les gardes la reconnurent et s’écartèrent. Elle marcha à travers les salles et les allées, sur les tapis de velours et par-delà les tapisseries de soie. Elle s’y sentait comme chez elle. Elle s’arrêta un instant et s’assit contre un mur, reprenant son souffle. Une fois que les effets de l’alcool se furent un peu estompés, elle se releva et reprit sa route. Rapidement la porte des appartements d’Ivawen apparut devant elle. Soudain elle prit peur et voulu courir se réfugier loin d’ici. Elle pensa à sa cellule non loin. Elle y serait en sécurité. Ses jambes restèrent immobiles. Sa main tremblait lorsqu’elle ouvrit la porte. Elle vînt s’asseoir à quelques pouces de sa reine qui dormait. Délicatement, elle lui caressa la joue, et l’elfe ouvrit les yeux.

- Silya… murmura-t-elle d’une voix endormie.

- Ivawen, fit Silya. Je…

Elle ne trouva pas les mots. Elle resta muette quelques secondes et préféra garder sa main sur la joue de la reine. L’elfe leva la sienne et caressa sa profonde cicatrice, jusqu’à son oreille mutilée.

- Comme tu es belle, Silya, souffla-t-elle.

L’humaine senti ses yeux s’embrumer :
- Personne ne m’a dit que j’étais belle depuis…

Elle n’acheva pas sa phrase. Dans la pénombre, elle ne voyait pas grand-chose, mais les yeux d’Ivawen étaient un phare de lumière. Elle s’y perdait. Trop de choses étaient visibles dans ces pupilles. Trop de belles choses. Et surtout, surtout, un désir fou, irrépressible. Elle ne réfléchit plus, guidée par son instinct. Elle se pencha et embrassa Ivawen à pleine bouche. Elle s’envola lorsque la langue de la reine rencontra la sienne. Silya caressa immédiatement son visage et son souffle se fit rauque. Elle se releva et arracha son pourpoint et sous soutien-gorge. Lorsqu’Ivawen posa la main sur l’un de ses seins elle la lui prit et l’embrassa. Rapidement elle retira son pantalon de cuir, ses bottes et sa culotte. Nue, Silya se glissa dans les draps de la reine, et l’embrassa dans le cou. L’elfe la caressa et s’approcha de son oreille : « j’ai tant envie de te faire l’amour », lui susurra-t-elle. Silya trouva seule les attaches de sa nuisette et l’ouvrit d’un coup sec.

Ivawen éructait. Elle en rêvait. Sans pouvoir le réprimer, elle murmura : « j’ai envie de te faire l’amour ». Ce n’était pas nécessaire. L’humaine arracha sa nuisette et la reine arqua les reins de plaisir. Elle posa ses deux mains sur les fesses de l’alizéenne et sa langue s’engloutit dans la bouche de sa partenaire. Silya observait sa reine. Ses cheveux blonds l’éblouissaient. Ses mains, ses doigts la faisaient frissonner. Elle pensa que les seins d’Ivawen étaient biens plus gros que ceux d’Idraïs. Et comme si cela avait été le fantasme de sa vie, elle les prit dans ses mains, puis fit jouer sa langue longuement sur leurs mamelons durcis. En les suçant, elle gémit autant qu’Ivawen, qui pressait fortement sa fesse gauche. Peu après, n’y tenant plus, l’elfe repoussa délicatement Silya, puis l’embrassa entre les seins. Ils étaient de taille moyenne, pointus, et la reine les trouvait parfaits. Elle descendit longuement passant sur la poitrine de sa partenaire qui gémissait, sur son ventre. Lorsqu’elle embrassa son sexe, Ivawen senti le sien se liquéfier. Elle toucha de ses lèvres cette source du bonheur, et ne sut si l’humidité qui couvrait son visage venait de sa sueur ou de Silya elle-même. La guerrière criait.

L’humaine écarta les jambes. Elle tenait le visage de sa reine entre ses mains. Cela faisait des années qu’elle n’avait pas ressenti un tel plaisir. Sa féminité en réclamait toujours plus. Elle ne pensait plus à rien. La couche, la cité, l’Île, la mer elle-même, tout avait disparu. La seule chose existante était la langue d’Ivawen qui fourrageait en elle. « Oh, ma reine, s’écriait-t-elle. Je t’aime, s’il-te-plait, encore ! ». Tout n’était qu’humidité et bonheur. Ivawen avait perdu pied depuis longtemps. La Reine Solaire n’était plus. Elle avait oublié la douleur, ses cauchemars, son agression, ses devoirs… Elle ne désirait plus que goûter encore et encore à sa partenaire. Elle frissonna lorsque Silya la repoussa et la mit violement sur le dos. Sa féminité vibra. Malgré la pâle lueur de la Lune, l’humaine remarqua que les poils de l’elfe étaient aussi blonds que sa chevelure, ce qui l’excita d’avantage. Elle oublia tout lorsque l’elfe lui susurra : « j’ai faim, je t’en prie ». Ivawen hurla. Les doigts de Silya venaient de pénétrer son sexe. Il n’y avait plus rien autour d’elle, rien n’existait, elle avait oublié qui elle était. Mais sur elle, en elle, elle sentait la peau, la langue, le souffle, les doigts de Silya. Sa chevelure blonde se mélangea avec celle de la guerrière. Elle ne voyait que l’or, partout. Silya régnait en elle et Ivawen succomba à ses yeux verts, si pâles, et à ses doigts. Dehors, au plus profond de la nuit noire, un million d’étoiles brillaient. Modifié par Loup Noir
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  • 2 semaines après...
[quote]Voilà six mois que tu ne les a pas vu.[/quote]

[quote]elle senti les larmes lui monter aux yeux.[/quote]

Voici pour les fautes que j'ai repéré !


Content qu'ils soient en vie même si j'attends de voir la conclusion sur ce rêve. Terminé en disant que c'était qu'un rêve ou cela pouvait être un message ? Effectivement, la fin m'a asusi troublé ! Mais bon, je reste ouvert ;)

@+
-= Inxi =-
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Voilà le chapitre XXII. Pour la fin du XXI, c'est vrai que j'ai un peu hésité à la tourner de cette façon. Sinon il reste encore un petit nombre de chapitres. J'espère que vous apprécierez, sachez en tout cas que je prends note de vos commentaires, qui me font bien plaisir !


[u][center][b]Chapitre XXII[/b][/center][/u]


Séïren regardait les membres du Conseil entrer tour à tour dans la pièce. Selen Umbrïn, Varia Alluv, Souvaron Desmopïl. Mïlia Abæl les observait aussi, le visage fermé, à la place qu’occupait généralement Nærisa le régent occupant traditionnellement le siège du numéro deux du gouvernement, excepté s’il était membre de la Famille Royale. Les trois seigneurs s’inclinèrent avec raideur devant elle, puis s’assirent à leur place. Mïlia resta debout un instant, puis s’assit.

- Bienvenue, mes Seigneurs, leur dit-elle. Comme vous pouvez le voir (elle leva sa main, dévoilant l’anneau de commandement), Son Altesse Ivawen m’a confié la régence de son royaume pendant sa convalescence. J’ai avec moi le décret officialisant cette fonction, dans le cas où l’un d’entre vous en douterait (personne ne broncha).

- Mïlia, savez-vous ce qui est arrivé aux souveraines ? demanda Varia Alluv. A-t-on de nouvelles informations sur cette attaque ?

- Mes nièces ont été agressées par des assassins professionnels, extrêmement bien entraînés. Ils utilisaient une forme de magie particulière, qui vraisemblablement a laissé les souveraines très affaiblies. Elles ont été toutes deux sauvées grâce à l’intervention de Silya Ayën, l’une des gardes du corps de la princesse Nærisa. Cette femme a été nommée Poing de la Reine.

- Poing de la Reine ? s’étonna Souvaron. La princesse m’avait parlé de cette femme. Son geste a certes évité une tragédie et une grave crise au sein du royaume, mais elle n’est qu’une mercenaire. Elle n’était pas sur l’Île il y a six mois !

- Huit mois, en réalité, souligna Séïren avec un sourire.

- Je n’y suis pour rien, Souvaron, fit Mïlia. Il s’agit d’une décision royale, et je n’ai rien à y redire (Desmopïl la regarda froidement). Quoi qu’il en soit, nous sommes ici cinq et non huit, comme d’habitude. Vous connaissez la situation de mes nièces. L’amiral Arthelor Uvaron est blessé et subit des soins poussés à Vermelhäa, tandis qu’Eoïndril Eleïon se trouve en mer, nous assurant le contrôle des eaux territoriales de l’ennemi Lagoride. Le Seigneur Ismos Oudaï se trouve en ce moment même aux côtés de nos alliés sorgosiens, dirigeant un contingent elfe de neuf mille hommes, venus de presque toutes les provinces de Céläastra.

Séïren s’y attendait. Ce type de pique lui ressemblait bien. Desmopïl n’avait pas participé à l’effort de guerre, et cela lui était reproché.

- Qui enquête sur l’agression des souveraines, Dame Mïlia ? demanda Selen Umbrïn.

- Le Poing de la Reine, répondit sobrement Mïlia. Mes Seigneurs, vous connaissez tous ma fille Séïren. Elle siège au sein de ce Conseil depuis un certain temps. Sa tâche est désormais de m’assister. Elle parlera avec ma voix. Obéissez-lui comme vous m’obéiriez.

- Bon, fit Souvaron. Ne nous avez-vous pas fait venir afin d’évoquer la guerre, Mïlia ? C’est mon rôle au sein de ce Conseil, et je pense qu’en l’absence de la Reine, nous devrions réajuster notre stratégie.

- J’y viens, Souvaron. Gardes, veuillez introduire sa Majesté, je vous prie.

Deux gardes s’activèrent et ouvrirent les lourds battants de la porte principale, qui dévoilèrent une mince jeune femme aux cheveux et à la peau très blanche. Elle portait un diadème d’or au front. Les membres du Conseil se levèrent instantanément. Mïlia lui fit signe d’approcher et elle avança, tandis que le Conseil se réunissait juste devant elle. Tous s’inclinèrent profondément. Mïlia prit les mains de l’humaine et les serra fort.

- Bienvenue, Reine Malvace, dit-elle. Prenez place.

Les membres du Conseil se rassirent et Malvace s’installa face à eux.

- Je vous présente la Reine Malvace, de la Bande de Djiane, vassale des lagorides. Elle a été chassée de son trône par un général félon après que le Grand-Roi ait lâchement fait assassiner son époux, venu pacifiquement en ambassade dans la capitale fédérale. Son armée est réfugiée au nord-est de son royaume, attendant son retour.

Séïren sourit. Sa mère présentait parfaitement bien les choses, en insistant sur les crimes du Grand-Roi et sur la noblesse de Corylus et de sa femme, plutôt que de parler de la défaite de Malvace. Elle savait que Souvaron Desmopïl ne serait pas insensible aux efforts de reconquête entrepris par la jeune reine.

- La Reine Ivawen, poursuivit Mïlia, vous avez promis des hommes et des fonds pour poursuivre votre rébellion. Elle vous avait également attachée Silya Ayën comme conseillère militaire et championne. Silya est désormais définitivement attachée au seul service et à la protection de la reine. Elle est par conséquent retenue ailleurs. Je vous allouerez mille cinq cent hommes venus du Domaine royal, ainsi qu’un millier venus des terres Abæl (elle se tourna vers Séïren qui acquiesça). J’avais pensé à en confier le commandement au Seigneur Desmopïl ici présent, si bien sûr il accepte.

- Retirez cinq cent de vos hommes, Mïlia, intervînt ce dernier. Vous en avez plus besoin que moi. Je suis venu à la capitale escorté de deux mille hommes. Ils m’accompagneront à Djiane. Je vous fournirai également ma meilleure lame en tant que champion. Reine Malvace, expliquez-moi, je vous prie, les enjeux de cette guerre au sein de votre royaume.

Séïren senti sa mère se raidir. Souvaron Desmopïl prenait l’ascendant.

- L’usurpateur Syna soutient le Grand-Roi Lagoride, raconta Malvace. Maélen IV fera tout son possible pour le maintenir au pouvoir. Néanmoins, si j’ai votre appui, sa position sera difficilement tenable, et la présence d’une armée elfe au sein de son royaume sera une menace conséquente pour le Grand-Roi lui-même. Mon plan consiste à le forcer à intervenir. La population de Djiane n’acceptera jamais cela et se soulèvera en mon nom.

Séïren voyait déjà une demi-douzaine de failles à ce plan. Mais il avait tout de même de bonnes chances de réussir si un général aussi compétent que Souvaron Desmopïl assistait Malvace. La jeune elfe regarda longuement le Seigneur qui écoutait, impassible, les explications de Malvace. Les mains jointes, les yeux sombres, il semblait réfléchir à toute vitesse.

- Si mes souvenir sont bons, dit-il, la Bande de Djiane se trouve au nord du Delta, terre des rois lagorides. Comment comptez-vous faire traverser ce territoire à quatre mille soldats ?

- A l’allée, raconta Malvace, la princesse Nærisa avait réussi à corrompre des agents de la Confédération des Cités-Etats de l’Œil, pour nous permettre de passer en toute sécurité. Mais ce sera impossible cette fois. La reine Ivawen a réussi à négocier un sauf conduit avec l’ambassadeur de l’émirat de Kraal, ayant une frontière avec la Bande de Djiane.

- Nous n’entretenons pas de bonnes relations avec l’émir de Kraal, pourtant.

- En effet, Souvaron, intervînt Selen Umbrïn, mais notre accord avec l’ambassadeur prévoit notamment la reprise des échanges commerciaux avec Kraal. Vos troupes ne craignent rien en traversant leur territoire.

- Voilà qui ne plaira pas aux Cités-Etats, souligna Séïren en se souvenant de ce que lui avait raconté Laodice à ce sujet. Les prêtres de l’Œil ne cessent de prêcher contre l’émir.

- Les dieux de l’émir sont des avatars de l’Œil Etoilé, expliqua Mïlia. Seuls les prêtres les plus extrémistes seront contrariés. De toute façon ils soutiennent le Grand-Roi. Souvaron, je suis ravie de voir que cette mission vous tient à cœur. Je sais que vous vous acquitterez de votre tâche avec le plus grand soin. Il vous faudra partir le plus rapidement possible.

- Puis-je vous demandez des nouvelles du front de l’ouest, Dame Régente ? s’enquit Malvace.

- Vous le pouvez, Altesse, dit Séïren à qui sa mère avait fait signe de prendre la parole. Le Guerrier-Roi Agg-Kour affronte en ce moment même une armée lagoride dans les montages Kiwele. Plus au nord l’armée fédérale avance dans le désert, harcelée par les tribus. Ismos Oudaï et nos troupes font mouvement pour rejoindre Agg-Kour et stopper l’armée du nord. Au sud, un contingent lagoride menace l’arrière du Guerrier-Roi. Erion Serra vole à sa recontre depuis la Presqu’île du Goéland. Il nous a demandé il y a peu des renforts afin de défendre la Presqu’Île assiégée par une armée lagoride. Il est parti il y a une semaine.

- Le front tient, expliqua Mïlia. Mais le Grand-Roi est prudent. Nous espérons que les évènements à Djiane le forcerons à se montrer plus, disons, précipité. Mes Seigneurs, Majesté, il se fait tard, et je suggère que nous nous arrêtions là. Le prochain Conseil sera donc plus restreint encore. Sur ce, je vous souhaite une bonne nuit.

Tous se levèrent. Chacun s’inclina devant Mïlia, puis devant Malvace, qui serra les mains de la régente. Séïren se dirigea vers la porte lorsqu’elle entendit sa mère l’appeler :

- Reste là, ma fille.

Elle se retourna et s’assit en face de sa mère, tandis que les membres du Conseil sortaient de la pièce. Mïlia attendit que tous soient dehors. Une fois qu’elles furent seules, elle reprit la parole :

- Qu’en penses-tu ?

- A quel propos, mère ? s’enquit la jeune femme (Mïlia fit les gros yeux). L’engagement de Souvaron Desmopïl ? Et bien… Je pense qu’il veut avant tout s’assurer de son prestige et ne pas être écarté des affaires comme Rylor Furiade. C’est avant tout pour sa place qu’il craint.

- Tu as en partie raison, Séïren. Mais tu passes à côté de nombreuses choses, comme toujours, un effet de la jeunesse. Souvaron ne craint pas pour sa place, pas principalement. Il ne veut pas que Céläastra soit vaincue. Je viens de lui annoncer que près d’un quart des forces terrestres de l’Île interviendraient sur le continent. Il veut s’assurer qu’elles ne seront pas massacrées, et par conséquent, tu l’as dit, participer à la conquête de puissance d’Ivawen. Et ce n’est pas tout.

- Il veut repartir en guerre ? Combattre et mener à nouveau des troupes ? (Mïlia acquiesça, les traits fermés). Vous l’avez manipulé.

- Je souhaitais une telle réaction de sa part, mais elle fut au-delà de mes espérances.

- Vous semblez bien le comprendre…

- Je l’ai un peu côtoyé, raconta la régente. Mais Ivawen m’en a dit beaucoup. Ainsi que ma sœur. Il fut son amant il y a une cinquantaine d’années.

- Tante Svinrile ? s’étrangla Séïren. Je l’ignorais totalement.

- Peu de gens le savent, fit remarquer Mïlia. Ivawen et Nærisa n’en savent rien. Mais elle l’avait dit à Highlin. Cela n’a pas grande importance, leur relation n’a duré que deux ou trois ans, et n’était sérieuse pour aucun des deux. Elle l’a quitté dès qu’elle a appris ses fiançailles avec le prince. Je sais ce que tu penses, mais ne t’inquiète pas, Highlin est bel et bien le père des souveraines. Je l’ai souvent vu, et tes cousines ont sans conteste son physique.

- Vous croyez que c’est pour cela qu’il a pris le parti du Vieux-Prince ?

- Oh non ! fit sa mère en éclatant de rire. Cela n’a rien à voir. Comme Rylor Furiade, Souvaron est conservateur et a eu du mal à supporter qu’une femme ceigne la couronne de Céläastra. Tu as vu sa tête lorsque je lui ai intimé de t’obéir comme il m’obéissait ? Il en était malade.

- Oui, fit Séïren en souriant.

- As-tu vu Nærisa ?

- Oui, mais elle dormait, raconta Séïren. Les médecins m’ont assurés qu’elle se remettait doucement. Et que son enfant allait bien.

- Oïnstal soit loué, dit Mïlia. Ce sera tout, jeune femme. Je suis fatiguée, mais il me faut encore affronter [i]Le Fier[/i]. Retire-toi. A demain. Viens me voir à l’aube, j’aurais besoin de toi.

- Bien mère.

Elle s’approcha pour l’embrasser, ce que Mïlia accepta de mauvaise grâce. Séïren inclina le buste, puis sorti de la pièce, ravie que sa mère soit de meilleure humeur que plus tôt dans l’après-midi. Elle fit signe au garde royal qui ne la quittait guère désormais et, désirant se promener un peu dans la nuit noire, prit la direction des jardins.


Silya observa le grand bâtiment qui lui faisait face. Il s’agissait d’un édifice ancien et sobre, en pierre brune, carré. La jeune elfe qui l’accompagnait lui fit un signe de la main et l’humaine la suivit. Elle portait une coiffure étrange, cheveux très longs et lâchés, tombant jusqu’au creux de ses reins. Sa chevelure était émaillée de deux larges bandes tonsurées, la première allant du front à la nuque et la deuxième d’une oreille à une autre, en se rejoignant au sommet du crâne. Le tout formait quatre touffes gigantesques, cascadant dans le dos de l’elfe. Elles pénétrèrent l’édifice et marchèrent quelques instants à travers ses artères. Silya s’était réveillée à l’aube, l’esprit embrumé par les restes de vin, fatiguée et courbaturée mais infiniment heureuse. Elle avait quitté Ivawen, la laissant se reposer au maximum, et était partie rendre visite au Vieux-Prince. Elle restait particulièrement étonnée de savoir que le monastère où le vieil homme se trouvait reclus ne se situait qu’à trois lieux à l’est de la capitale, à deux pas donc d’une ville sur laquelle il avait régné pendant les années de guerre civile. Arrivées au niveau d’un grand cloître, la prêtresse se tourna vers elle.

- Je vais vous demander de me remettre vos armes à partir de maintenant, lui dit-elle. Nous entrons dans l’espace sacré.

Silya voulu protester. Après tout, si Neflindel était bel et bien lié à l’agression des souveraines, elle préférait conserver près d’elle son moyen de défense le plus sûr. Elle obtempéra toutefois, ne désirant pas contrevenir aux lois religieuses de Céläastra, et estimant que le vieil homme ne serait pas une menace pour elle, même désarmée. Le cloître était plus étrange que tous ceux qu’avait pu voir Silya. L’herbe était haute, lui arrivant au genou, et de grands et minces arbres sortaient de terre, sans ordre précis, sans banche, jusqu’à arriver au niveau du toit, où leur feuillage s’épanouissait en obstruant le soleil. Sur leurs troncs l’humaine remarqua de gros champignons et de petits animaux. Elle jura. Son pied venait de s’enfoncer dans un trou, qu’elle comprit être un tout petit ruisseau. Son accompagnatrice lui tendit la main et l’aida à se redresser, un doigt sur la bouche. Elle reprit sa route. Silya vit sur sa gauche un petit étang où naissait le ruisseau. Elle jura à nouveau en silence lorsqu’elle vit qu’il lui fallait traverser un fourré de ronces. Elle repensa aux paroles de Séïren sur la divinité Oïnstal et sur la nécessité de laisser la nature prendre ses droits. C’était ici poussé au maximum. La prêtresse n’avait presque pas laissé de traces dans les ronces. Elle reprit le même chemin, le pied léger, et, en trois pas, sur la pointe des pieds, fut près d’elle. Elle lui montra le chemin et Silya la suivit, écrasant, elle, les ronces. La jeune elfe grimaça, puis se tourna vers un arbre imposant au tronc très large et tordu. Une pancarte se trouvait à côté. Silya avait, durant sa régence, appris l’alphabet elfe, et au contact des femmes d’état qu’elle avait eu à protéger, s’était efforcée d’apprendre plus ou moins le langage de Céläastra. Bien qu’elle ne le parle pas et que sa compréhension en reste bancale, elle déchiffra plus ou moins quelque chose comme [i]Regard de dieu[/i]. Elle interrogea sa compagne.

- Pas [i]Regard de dieu[/i], rectifia l’elfe. [i]Divine Contemplation.[/i] Aussi appelé [i]Arbre d’Oïnstal.[/i] Il s’agit d’arbres étranges, endémique à Céläastra. Ce monastère a été construit autour de lui. Continuons, je vous prie, j’ai encore beaucoup d’obligations ce matin.

Silya acquiesça et l’elfe se mit à escalader le tronc avec rapidité. Elle marcha en équilibre sur une grosse branche, puis rejoignit le deuxième étage du monastère. Silya la suivit tant bien que mal, en s’écorchant par deux fois. L’elfe la conduisit ensuite dans un petit couloir, puis s’arrêta enfin devant une porte en bois, à laquelle elle frappa du poing.

- Silya Ayën, Poing de la Reine, désire s’entretenir avec vous, Prince, annonça-t-elle.

- Merci ma sœur, répondit la voix d’un vieil homme. C’est ouvert, qu’elle entre.

- Vous pouvez y aller, dit la prêtresse. Je vous laisse, vous retrouverez le chemin toute seule. Ménager le prince, il est vieux, et fatigué en ce moment.

Silya lui jeta un regard froid et lui tourna le dos. Elle attendit quelques secondes que ses pas se soient éloignés, puis entra. Neflindel l’attendait, debout au centre de la pièce, plutôt spacieuse et bien meublée, éclairée par la lumière filtrant d’une grande fenêtre. Il était grand, large d’épaules, le dos très légèrement voûté, et les cheveux gris clairs, parsemés de fils noirs. Le haut de son crâne apparent était constellé de tâches de vieillesse. Il ne souriait pas, et la toisait de ses yeux bruns-verts. Il lui fit signe de s’asseoir dans un des deux fauteuils de la pièce, qui se faisaient face. Elle s’exécuta.

- Que fait une annolide à Céläastra, et pourquoi est-elle devenue Poing ? demanda-t-il une fois assit.

- Comment connaissez-vous mes origines ? s’enquit Silya, très surprise.

- Il y a un peu moins d’un siècle, mon grand-père, alors roi, nous a envoyé en ambassade, mon frère et moi, sur le continent, raconta-t-il. Nous avons remonté le fleuve Zénith, traversant les royaumes qu’il abreuve, et notamment le Royaume Alizé, où le Haut-Roi Hérèbe III nous a reçu. Je n’ai pas oublié la couleur des yeux du roi, un trait typique de son peuple. Que vous possédez également. Simple déduction.

- Mon père était marchant alizéen, et ma mère était en effet une annolide, répondit Silya. Elle m’a donné ses yeux. La reine m’a nommée Poing car je lui aie sauvé la vie, ainsi qu’à sa sœur après plusieurs mois de service. Vous savez bien que je viens pour cela.

Il acquiesça avec raideur et se leva lentement. Le Haut-Roi Hérèbe était l’arrière-grand-père de Silya, mort bien avant sa naissance. Mais si le père de la guerrière avait épousé une alizéenne de souche, la propension de la famille royale à s’unir à des annolides au fil des siècles avait fait naître presque exclusivement des enfants aux yeux verts pâle. Le Vieux-Prince se rassit et lui tendit un verre de liqueur noirâtre. Silya renifla avec soupçon, mais l’odeur forte qui se dégageait du verre ne ressemblait à rien de ce qu’elle connaissait. Le prince avala une lampée de son verre. Silya regarda le bureau, et un manuscrit fermé attira son attention.

- Vous écrivez vos mémoires, Prince ? demanda-t-elle, amusée.

- Je n’aimerais pas que l’Histoire ne retienne de la guerre l’unique version d’Ivawen.

- C’est ainsi que va le monde dans tous les royaumes, pourtant. Même chez les nains. Et votre royaume compte plus de guerres de successions que les autres.

- Celle-ci était différente.

- Je ne vois pas en quoi. Ivawen vous a vaincu, vous vous êtes plié, les nobles aussi, le peuple aussi.

Il leva la main droite. Silya eut un mouvement de recul. Elle savait que sa main avait été coupée, mais la vision du poignet nu la choqua tout de même. Elle eut un pincement au cœur. Elle aurait dû aller l’aider lorsqu’il servait la liqueur. Elle se demanda comment il pouvait grimper la [i]Divine Contemplation[/i] pour arriver jusqu’à sa cellule. Puis elle se souvînt de qui il était.

- Le roi doit défendre son peuple, expliqua le Vieux-Prince. Comment peut-il le faire sans main d’épée ? Je suis à jamais rayé des lignes de successions. Cela fait des siècles que l’on ne coupe plus les mains des vaincus durant les guerres civiles. Mais Ivawen a voulu créer un symbole. Montrer sa supériorité. Elle m’a trainé en place publique dans la capitale. Puis, à la hache, m’a tranché la main elle-même. Le peuple, les nobles présents, tous l’ont acclamée, et ce fut ma chute définitive. Je ne suis plus jamais sorti de ce monastère.

Silya n’était pas choquée. En tant que reine, il lui avait fallu prendre des décisions difficiles et parfois injustes ou cruelles. Et elle-même n’avait que peu été contestée. Ses ennemis étaient presque tous extérieurs à son royaume. Elle comprenait que sa reine ait dû, pour rétablir l’ordre, faire preuve de fermeté.

- Je ne suis pas venu ici pour vous entendre vous plaindre, Prince, dit-elle. Avez-vous tenté d’assassiner les souveraines ?

- Non. Durant la guerre, j’ai fait écarteler deux de mes conseillers pour avoir voulu, de leur propre initiative, bien entendu, faire tuer mes nièces. Qu’elles meurent sur un champ de bataille, que leur bateau soit coulé, oui. Mais l’assassinat ? Non. Aucune gloire à cela. J’aurais été maudit par Oïnstal. Et un roi parricide n’a aucune légitimité, pour moi.

- Ce sont des mots, grinça Silya. Comment vous croire ?

- Je n’ai aucune preuve à vous fournir. Mais croyez-vous vraiment, Silya Ayën, qu’enfermé dans mon monastère, j’aurais pu commanditer un tel attentat ? Je n’ai aucune ressource.

- Une fois vous ou l’un de vos petits-enfants sur le trône, vous auriez pu récompenser les assassins.

- Les prêtres me traitent ici avec égards, mais ils restent complétement dévoués à Ivawen, tout comme ceux gardant mes enfants. Ce monastère fut l’un des rares à se déclarer dès le début pour ma nièce durant la guerre. Ils ne m’auraient pas permis de rencontrer qui que ce soit sans en référer à leur reine. Que pense-t-elle de tout cela ?

- Elle est dubitative, raconta Silya. Je ne pense pas qu’elle vous croit coupable. Ni vos petits-enfants.

- Bien sûr, sourit le prince. Si Highlin a réussi une chose dans sa vie, c’est bien l’éducation d’Ivawen. Elle sait me juger.

- Et vos petits-enfants ? demanda Silya. Ils sont premiers en ligne de succession, et sont assez vieux pour agir au-delà de votre tutelle.

- Il ne m’en reste plus que deux, expliqua Neflindel. Le plus vieux est mort accidentellement il y a quelques années. Ivawen m’a refusé une sortie pour aller l’enterrer. La cadette n’a jamais exprimé le moindre désir de souveraineté, comprenant que son statut de femme le lui interdisait, et, depuis ma défaite, est devenue prêtresse de son plein gré, tout en restant surveillée. Le dernier est le plus isolé de tous. Le monastère où il est retiré se trouve sur un îlot au large des terres de la Famille Abæl. Cela m’étonnerait que Milïa laisse quiconque l’approcher sans son autorisation.

- Qui cela peut-être alors ? Un noble, Rylor Furiade par exemple ?

- Je connais bien [i]Le Fier[/i], dit le Vieux-Prince en buvant un peu de liqueur, les yeux dans le vague. Il n’acceptait pas l’idée qu’une femme règne à Céläastra, mais quoiqu’il arrive, il a toujours refusé que l’on fasse du mal à Ivawen. Il a toujours demandé de tout faire pour la ramener vivante. Les autres nobles sont désormais à la botte de votre reine. Aucun ne voudrait l’assassiner. C’est ainsi à Céläastra.

- Savez-vous ce qui motive ainsi Rylor Furiade ? voulu savoir Silya. Aurait-il désiré être son amant ?

- Oh non, ricana Neflindel. Ce qui le motive n’a rien à voir. Il me l’a confié autrefois, mais cela le regarde, je ne peux vous le dire.

- Avez-vous bien dit [i]votre reine[/i] ? remarqua la guerrière. N’est-elle pas la votre également ?

- Non, fit froidement Neflindel. Depuis des siècles nos lois sont claires, et interdisent aux femmes de monter sur le trône. Highlin a bien changé cela peu avant sa mort, mais il n’avait pas à détruire nos traditions. Ivawen et Nærisa auraient pu se fiancer à mes petits fils, et auraient accédé au trône en leur temps. Cela aurait évité une guerre. Mais Highlin s’est refusé à l’ordonner à ses filles, car ni l’une, ni l’autre ne le désirait. C’est bien sa décision qui a précipité la guerre. Six ans de guerre, rendez-vous compte.

- Vos lois sont formelles, grinça Silya, qui elle-même avait mené son royaume à la guerre pendant sept ans à seize ans. Le roi a le droit de désigner le successeur de son choix, mais d’autres prétendants peuvent le mettre à l’épreuve. Vous l’avait mise à l’épreuve, et vous avez échoué. C’est n’est qu’une autre interprétation.

- Six ans de guerre, répéta le Vieux-Prince. La ville de Céläastra me soutenait, vous savez. Ainsi que la plupart des ports. Outre le fait qu’une majorité de Familles voulaient me voir sur le trône, je me faisais également le champion du peuple.

- Le peuple urbain, surtout. Et le peuple ne fait pas l’histoire, vous le savez aussi bien que moi, Neflindel, fit l’alizéenne. Ivawen mène la danse désormais. Et l’a mène bien. Vous m’avez convaincu, je ne vois pas comment vous auriez pu vous en prendre à Ivawen et Nærisa. Néanmoins, il est probable que vous en ayez eu envie.

- Non, jeune femme, fit-il. J’ai cent dix-huit ans. Je suis un vieil homme, même selon les canons elfes. Je me sens trop fatigué pour prendre les rênes de Céläastra, même si je le pouvais. Je suis las, et éloigné de la politique. Je passe une bonne partie de mes journées à prier et à vagabonder dans le cloître. Je ne suis qu’un vieillard nostalgique.

Silya le regarda. Il paraissait s’être ratatiné dans son fauteuil. Elle prit son verre et le vida d’un trait. Elle n’aimait pas du tout le goût. Elle se leva.

- Rasseyez-vous, Silya Ayën, lui demanda le prince. J’aimerais vous lire un extrait de mes mémoires. Il s’agit d’un texte sur Issol, mon frère aîné.

Silya haussa les épaules, se rassit et croisa les bras et les jambes. Elle observa Neflindel tirer le gros volume jusqu’à lui. Une moitié du manuscrit était écrite. Il trouva la bonne page et entama sa lecture :

[i]Après le court règne de notre frère aîné, mort en mer lorsque son navire fut pris dans une tempête, Issol monta sur le trône. Il était alors jeune et fringant, et tout juste marié. Son règne, qui dura soixante et un ans, fut l’un des plus prolifiques que Céläastra eut connu. Si sa femme le tourmentait, Issol aimait son fils et l’éduquait à son futur devoir. Avant la naissance d’Highlin, mon frère régna plusieurs années et me confia de hautes responsabilités. J’aimerais, avant de revenir sur le règne d’Issol, parler de sa personne. Il fut pour moi un modèle de droiture et un formidable exemple. Je le conseillais du mieux que je pus durant ces années. Ses largesses me comblèrent, et je suis fier de pouvoir affirmer, bien que n’en ayant plus l’usage aujourd’hui, que je fus le bras droit de mon frère. Nous étions jeunes et fougueux à l’époque, nous aimions bousculer les choses et les vieux magistères en place au Conseil Royal. Le soleil brillait, et on nous appelait souverains.[/i]

Neflindel s’arrêta. Il paraissait encore plus vieux qu’avant sa lecture. Il referma le livre et Silya s’en saisit. Elle le reposa sur le bureau et se leva. Tandis que le Vieux-Prince la toisait, elle ne put s’empêcher de penser à Ivawen tant sa silhouette lui rappelait celle de son amante.

- Adieu, Prince, lui dit-elle.

- Adieu, Poing, répondit-il.
Elle sorti de la pièce, traversa le couloir, glissa sur le tronc de la Divine Contemplation et quitta le cloître et le monastère.


Nærisa poussa sur ses bras avec difficulté. Elle se redressa dans son lit, puis ramena ses pieds sous ses cuisses. Elle s’accrocha au rebord du lit puis s’allongea avec une infinie précaution sur le dos, étirant ainsi les muscles de ses cuisses. Elle gémit sous l’effort, puis, après quelques instants, roula sur le ventre. Elle se sentait plus forte. Lentement, elle envoya ses jambes par-dessus le rebord de son lit. Elle posa tout doucement les pieds par terre.

- Aller, murmura-t-elle, un petit effort.

Elle poussa sur ses bras et quitta son matelas. Elle due immédiatement s’agripper au montant pour ne pas perdre l’équilibre. Elle avait l’impression d’être un enfant apprenant à marcher. Elle fit un pas en chancelant, tout en maintenant son équilibre en se tenant au lit. Elle continua sa marche lentement, manqua de chuter une fois, deux fois, mais parvînt tant bien que mal à se rattraper. Nærisa s’appuyait à présent sur le mur, fatiguée. Elle se tenait la poitrine entre les mains, ayant du mal à respirer. Elle prit une grande inspiration et retînt sa respiration, puis lâcha son mur. Elle fit un pas, puis deux. Au troisième elle chancela. Elle se maintînt de justesse et fit avança encore. Elle se sentit soudain vidée de ses forces et chuta. Elle réussit à tomber à genou avant de s’effondrer totalement, sur le côté.

- Désolée, mes jambes ne portent plus, dit-elle, à bout de souffle, à son fœtus.

Elle parvînt à se mettre à quatre pattes, puis vomit. Elle se traîna en toussant et crachant jusqu’au rebord de son lit et, avec un violent effort, se hissa difficilement sur le matelas. A bout de force elle eut un nouveau haut-le-cœur et se pencha pour déverser sa bile sur son tapis. Elle attrapa la clochette posée sur sa table de chevet, la secoua de toutes ses forces, puis la laissa tomber et perdit connaissance.

La princesse eut pendant longtemps des phases de demi-sommeil, ou de court réveil, où elle se rendormait presque aussitôt. Son environnement était flou. Lorsqu’elle se réveilla complétement, Nærisa souffrait d’un violent mal de tête. Un rapide regard lui permit de voir que l’on avait emporté son tapis souillé. Un verre d’eau était posé près d’elle. Tendant la main, elle but avidement. Elle resta un long moment allongée, tentant de se reposer. Elle pourrait peut-être marcher à nouveau dans plusieurs jours. Soudain on frappa à la porte. Le visiteur s’annonça, et, étonnée et fatiguée mais curieuse, Nærisa lui donna l’ordre d’entrer. L’elfe qui se présenta à elle avait de profondes poches sous les yeux, et portait des vêtements sales et usés, pleins de la poussière des routes. Il tenait un parchemin roulé et froissé à la main, et, sans cérémonie, tira une chaise et s’assit au bord du lit. Nærisa lui fit signe de l’aider à se redresser. Il s’exécuta et la princesse le regarda dans les yeux.

- Je voulais tout d’abord voir la reine, mais les gardes m’ont dit qu’elle dormait, dit-il. J’ai plusieurs nouvelles. Tout d’abord de l’amiral Uvaron (Nærisa s’approcha). Lorsqu’il a appris votre agression, il a voulu venir vous voir, mais les médecins sont parvenus à le raisonner. Il se remet de son amputation. Lorsque vous l’avez vu, la gangrène n’avait atteint que son pied, mais elle a rapidement rongé presque tout son mollet. Il n’en a plus. Une prothèse est en train d’être forgée. Il perdra de sa vigueur.

- Je sais, fit Nærisa. Mais l’essentiel est qu’il survive. Et pour son bien, qu’il puisse à nouveau partir en mer. Merci de m’avoir prévenue, je suis soulagée ! Annoncez-moi le reste.

- Les personnes en possession de cette information sont rares, j’ai dû chevaucher une journée et deux nuits d’affilés pour vous la transmettre au plus vite. Le Seigneur Soïlïn Sëë vient de mourir.

- Pardon ? s’écria Nærisa. Comment est-ce arrivé ? Il était si robuste.

- Il s’agit d’un accident lors d’un tournoi privé qu’il donnait chez lui, expliqua l’homme. Durant la joute, son cheval a semble-t-il fait un écart avant de s’effondrer sur lui. Sa nuque s’est brisée d’un coup. Son fils est paraît-il resté prostré une heure près de son cadavre à le pleurer.

- Nadomir aimait son père, dit Nærisa. Quel dommage, Soïlïn était compétent, vaillant et un allié sans faille. Je suppose que son fils va prendre sa succession ?

- La missive annonçant la mort de son père arrivera ici sous peu. Nul doute qu'il l'ait signée en tant que [i]Seigneur Sëë.
[/i]
- Bon… Et qu’en est-il de notre affaire secrète ?

- Pardonnez-moi princesse, s’excusa l’elfe, mais votre sœur m’a interdit d’en parler à quiconque avant elle. Pas même à vous.

- Je suis pourtant directement impliquée, protesta Nærisa. Enfin, elle commande. Des informations au sujet de notre agression ?

- Silya Ayën enquête, en tant que Poing de la Reine, répondit l’homme. Elle est partie interroger le Vieux-Prince (Nærisa fit la grimace). Elle vous fera part de ses résultats à son retour.

- Bien, dit Nærisa. Laissez-moi à présent, j’ai besoin de me trouver seule.

- A vos ordres. Je reviendrai vers vous dès que j’aurais vu la reine.

- Essayez de vous reposer un peu, mon brave.

- C’est assez compliqué chez moi, sourit l’homme avant de sortir.

Nærisa se rallongea et réfléchit. Elle n’avait jamais soupçonné Neflindel d’être responsable de son agression. Selon elle, Rylor Furiade était derrière les tentatives d’assassinat survenues après la guerre. Bien qu’elle n’ait jamais pu le prouver, elle couvait une hostilité envers cet homme, bien qu’il se montre charmant en sa présence. Tout naturellement, ses soupçons se portaient sur lui. Il faudrait qu’elle en avise Silya. En repensant à la mort de Soïlïn Sëë elle se sentie très fatiguée. Bien qu’elle fasse confiance à Mïlia, il lui faudrait bientôt se lever et marcher jusqu’à la salle du trône pour reprendre sa place.


[b]An 1378 du Quatrième Âge, quelque part au sud-est des Collines de Kiwele[/b]

Le capitaine Estë marchait d’un pas vif au milieu des tentes du campement d’Erion Serra, loin au sud des Kiwele. Les petites collines étaient à peine visibles à l’horizon, malgré le ciel dégagé. Elle tenait un paquet dans ses mains et Hroar Erlîn se mit à sourire en la voyant arriver. Elle avait laissé ses longs cheveux clairs s’épancher sur ses épaules. Même ainsi, loin de la mer, pleine de la poussière du désert, le nain la trouvait particulièrement jolie. C’était la première fois qu’une elfe lui faisait une telle impression. Bien sûr, il était sensible au charme de certaines femelles elfes croisées au cours de sa vie, mais il ne pouvait s’empêcher de toujours les trouver trop sveltes, trop élancées, et surtout trop [i]grandes[/i]. Le physique d’Estë ne lui plaisait pas particulièrement, mais il appréciait surtout sa prestance, son port et la douceur qui se dégageait d’elle. Hroar y avait longuement réfléchit, et en était arrivé à la conclusion que cette femme lui rappelait tout simplement sa belle Loreleï, morte depuis si longtemps. Malgré tout, Estë était plus douce et surtout plus mélancolique que sa défunte compagne. Alors que l’armée d’Erion arrivait en vue du territoire sorgosien, leur flottille fut prise dans une tempête. Aucun navire ne coula, mais plusieurs subirent des dommages. Le mât du [i]Dame Mynê[/i] notamment se brisa. Le capitaine, avisant le désastre, avait décidé d’accompagner la troupe en attendant que son équipage puisse réparer le bateau. Malgré les protestations d’Erion, qui ne voulait pas mettre le capitaine en danger, l’elfe était partie avec eux sur les chemins du désert. Loin de la solitude de sa cabine, Estë avait passé beaucoup de temps en compagnie d’Erion et de Hroar. Elle évoquait souvent la musique avec l’elfe, et préférait parler au nain d’œnologie et de cartographie. A son contact, Hroar avait découvert une femme vive et souriante, malgré de fulgurants accès de tristesse. Il avait appris à l’apprécier, et, chose étonnante, elle n’avait jamais fait cas de sa condition de nain, contrairement à tous les elfes que Hroar avait rencontré jusqu’alors.

Arrivée à proximité d’Erion et de Hroar, l’elfe jeta au premier deux des trois gourdes de vin qu’elle avait ramené avant de tendre la main vers le nain, qui lui remit sa lyre. Elle s’assit en tailleur près d’eux, et déboucha sa gourde pour en boire une petite gorgée. Hroar savait qu’il s’agissait de son vin préféré, un rouge liquoreux issu des cépages Alluv. Erion avait proscrit la moindre petite flammèche, de peur d’attirer d’éventuels prédateurs ou ennemis en maraude, de sorte qu’on ne distinguait que peu de chose dans le noir. Il n’était que la chevelure d’Estë qui se détachait du reste. Hroar déboucha sa gourde et en but une longue gorgée. Le vin était bon, sec et rafraîchit par la nuit. Il rejeta la tête en arrière et apprécia un instant la vue du ciel étoilé au-dessus de lui.

- Nous devrions arriver après demain, expliqua Erion Serra. Êtes-vous sûre de vouloir rester avec nous, capitaine ? La bataille risque d’être serrée.

- Cinq de mes meilleurs matelots me protègent, Erion, répondit Estë. Et vous m’avez vu tirer à l’arc, vous savez que je peux me défendre.

- Qu’importe, répliqua Serra, durant la bataille, je veux que vous vous teniez à l’écart, et que vous soyez prête à fuir si la situation tournait mal. Vous saurez vous repérer dans le désert, cela n’est pas très différent du voyage maritime. Si vous n’acceptez pas, je me verrais obligé de vous faire ramener près du rivage, de force s’il le faut. Vous n’êtes pas un soldat, je suis désolé.

- Votre sollicitude me touche, Erion, mais ne vous en faîtes pas, je resterai à l’écart. Les batailles ne m’intéresse pas, j’avais envie de voir le désert. Et en cela je ne suis pas déçue, c’est une véritable mer continentale !

- N’avez-vous pas participé à la guerre du Vieux-Prince, capitaine ? voulu savoir Hroar.

- Oh non, la politique m’a toujours profondément ennuyée, raconta Estë. J’ai recruté un équipage au grand port du nord, et je suis partie à bord de mon [i]Dame Mynê[/i], récemment offert par mon père. Nous avons passé six ans à faire du commerce entre la Côte de Béryl, le Royaume Lagoride et l’émirat de Kraal. Je ne suis revenue à Céläastra qu’après la guerre. Et bien Erion, sourit-t-elle soudain, le célibat ne vous convient plus, à ce que j’ai cru comprendre ?

- Toi ? ricana Hroar, t’occuper de politique, et avoir une vie de famille ?

- Mhm, fit-il en avalant une longue lampée de vin, je devrais être marié sous peu. Ce qui n’est pas un mal en soit, j’ai largement l’âge de fonder une famille. La princesse est une belle femme. Mais me retrouver propulser au cœur de l’Etat me fait un peu peur, pour tout vous dire.

Estë se mit à pincer les cordes de sa lyre, et une joyeuse mélodie s’en échappa. Elle se mit à fredonner pendant quelques instants, tandis qu’Erion faisait la grimace. Elle entonna alors d’une voix aigüe et étrangement éthérée, fort différente de sa voix normale :

[center][i]Le superbe Seigneur accosta au rivage
A peine débarquer, s’en fut loin de la plage
Vers la cité blanche au fond de la forêt
Là où impatiemment son aimée l’attendait.

Et lui qui ne songeait qu’au fracas des épées
Aux guerres incertaines, de rage et d’épopées
Pour elle, abandonna les armes au matin
…[/i][/center]

- Arrêtez-vous ! s’écria Erion, je déteste cette chanson.

Tandis qu’Estë, dont la voix avait époustouflé Hroar, souriait d’un air espiègle, le guerrier elfe se leva brusquement et lui prit l’instrument des mains. Il se rassit et en pinça les cordes. Le nain vit tout de suite qu’il était moins doué que le capitaine. Il retrouva néanmoins ses repères. Un petit moment après, il marmonna quelques paroles, avant de trouver le ton juste :

[center][i]Le voici au milieu des haubans, capitaine !
Prêt du vent, dans la brume, arrogant et sans peur,
Défiant les éléments, souriant de bonheur
C’est ainsi qu’il vit, sous ses voiles sereines.

L’océan déchaîné augmente son ardeur
La mer semble teinte et d’amour et de haine
Mais c’est de l’eau salée qui coule dans ses veines
Le capitaine affronte un océan rageur.[/i][/center]

- C’est de bonne guerre ! fit Estë en riant. Mais cette chanson m’a toujours plu. Vous l’interprétez plutôt bien, Seigneur Erion.

- Connaissez-vous, Estë, [i]La Ballade des Veuves en pleurs [/i]? demanda Hroar, soudain prit de nostalgie.

- Je la connais, Hroar, dit-elle, en baissant légèrement la voix. Je l’ai jouée, un jour, pour Ivawen. La reine en a été très touchée. Voulez-vous la chanter avec moi, messires ? (Ils acquiescèrent). Cette chanson nous correspond.

- Est-ce vrai ce que l’on raconte, capitaine ? demanda Erion. L’homme que vous aimiez vous a quitté pour partir à la guerre ?

- Non, dit-elle d’une voix sourde. Cette personne m’a quittée avant de partir en guerre, et ne m’est jamais revenue. C’était quelqu’un d’exceptionnel, mais qui ne me rendait pas autant d’amour que je lui en donnais.

- Je suis désolé, marmonna Erion.

Estë lui sourit timidement. Hroar se redressa et avala encore un peu de vin. La tête commençait à lui tourner. Il se racla la gorge. [i]La Ballade des Veuves en pleurs[/i] était une chanson très triste, racontant les malheurs des femmes ayant perdu leurs époux à la guerre. Elle faisait partie d’une saga de quatre poèmes racontant les [i]Pleurs des sœurs[/i], les [i]Pleurs des veuves[/i], les [i]Pleurs des filles[/i], et enfin les [i]Pleurs des mères[/i]. Les [i]Pleurs des veuves[/i] était néanmoins l’œuvre la plus connue parmi les soldats. Estë pinça délicatement les cordes de son instrument. Il s’en échappait une douce musique, très mélancolique et Hroar senti son cœur se serrer. Ils se mirent tous à chanter :

[center][i]Ils partirent au loin vers des plaines ardentes
Ils prirent la mer au jour se levant
Ils marchèrent sous un soleil brûlant,
Et tout droit à la guerre allèrent en chantant
Pour grossir les rangs des armées triomphantes.
Aujourd’hui leurs rires émaillent les champs nus,
Nous voilà esseulées dans nos chaumières vides
Où l’attente et la peur ont un parfum fétide.
Quand pèse le silence en nos cœurs avides
Nous pleurons à jamais nos époux disparus.
[/i][/center]
La voix de Hroar se brisa légèrement en entamant le deuxième couplet. Emporté par le vin et la musique, ses yeux se perdirent dans la contemplation des mains d’Estë.

[center][i]Nous qui ne savons rien ni du front ni des guerres
Les voici nos maris, du fermier au seigneur
Pataugeant dans le sang, la boue et la sueur
Marchant dans le lointain et allant dans la peur.
Tandis qu’en son château la vile âme de pierre
Dont le cœur durci et maintenant déchu
Elabore, élabore un plan et des batailles,
Nous vivons, seules au monde et le temps nous assaille ;
Nos enfants, grandissant, leurs vies qui s’écaillent
Lorsque nous pleurons nos époux disparus.[/i][/center]

Estë monta dans les aigus. Son timbre culmina sans redescendre. Elle renifla en reprenant son souffle. Hroar cru la voir sangloter doucement. Sans lumière, il ne put dire si ses mains tremblaient ou s’il ne s’agissait que d’un effet de son imagination.

[center][i]Voilà que l’on acclame un rutilant stratège
Foudroyant, guerroyant, saluant, s’inclinant,
Décevant, affligeant, massacrant, détruisant ;
Une peine aveuglante à nos yeux larmoyant,
Toujours éperdues, sous l’hiver et ses neiges.
Nous dansons au milieu de ce jeu ingénu
Victimes malgré nous, paysannes et princesses,
Enfin sœurs, réunies sur fond de tristesse
Fatiguées, éreintées, découvrons nos faiblesses
Et pleurons à jamais nos époux disparus.

Approchez donc, Ô rois, Ô guerriers vaincus
Entendez, assassins, nos haines et nos ténèbres
Ecoutez prononcer les éloges funèbres
Voici monter les cris des morts qu’on célèbre ;
Nous pleurons à jamais nos époux disparus ![/i][/center]
La musique résonna longtemps dans le désert. Modifié par Loup Noir
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Plutôt un passage de transition celui là !

De ce passage, j'ai préféré le passage avec le vieux prince, j'ai trouvé ça plutôt original au sein de ton texte ! Vraiment bien ! Donc on s'est posé un peu, on enquête, on suit de loin ce qu'il se passe à la guerre... Voyons maintenant si on va replonger dedans ou pas ;)

@+
-= Inxi =-
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