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[Background] Univers du 9e Âge : Voyage autour de l'Abysse


Ghiznuk

Messages recommandés

VOYAGE

autour de

l'ABYSSE

 

Voyage autour de l'Abysse (953 A.S.)

 

Ouvrage prohibé,

disponible dans certaines bibliothèques mal famées

en diverses localités de Vétie

 

Modifié par Ghiznuk
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I
 
Nazario Calegari arrive aux portes de l'Enfer
 
Ayant sombré dans l'inconscience, je revins à moi pour me trouver au milieu d'un pays de roches, sombre et informe, sous un ciel qui tourbillonnait, se fondait et se fissurait, tel une rosace virevoltante composée de toute teinte, naturelle ou non. Je me levai en titubant, à la recherche d'un chemin à travers les escarpements qui m'enserraient. Derrière moi se fit entendre un grondement qui me glaça le sang (à supposer que le sang coulât toujours dans mon corps en ce lieu). Je me retournai pour contempler un grand chien à trois têtes, dont les yeux luisants étaient rivés sur moi, fermement campé sur le chemin qui menait à ma vie antérieure.

M'attendant à une attaque d'une seconde à l'autre, j'avançai, trébuchant, à bout de souffle, veillant à placer autant de crêtes entre cette bête et moi. C'est à ce moment que mon guide me trouva. Il se dressait, imperturbable, engoncé dans l'épaisse armure d'acier d'un Guerrier, paré d'une cape verte et portant la marque de Kuulima. Son visage, élégant, exprimait cependant une certaine amertume ; il me parut étrangement familier, bien que je ne susse d'où me venait cette connaissance. Néanmoins, je le remerciai avec toute la ferveur d'un frère.

« Mon bon sire, qui êtes-vous donc pour m'avoir épargné le désastre, en me rejoignant en cet instant pour partager avec moi le fardeau de ce pays désolé, auquel je suis venu mais duquel je ne puis partir ? »

Il me considéra un long moment avant de me donner une réponse. Peut-être m'évalua-t-il ainsi, à moins qu'il n'eût réfléchi à l'impératif qui l'avait amené à me porter secours. Il prit enfin la parole, comme s'il se fût adressé à lui-même :

« Tu ne peux être la frêle créature que tu parais, car les faibles d'esprit ne peuvent accéder à ce lieu, qui est interdit à la chair. Si ton désir est de survivre à ce voyage, je te suggère de recouvrer ta volonté et ta détermination. Nombre sont ceux qui n'y parviennent pas. Quant à mon nom, tel qu'il fut, il n'a pas été prononcé depuis des siècles, sauf par ceux dont le dessein est de l'écorcher de leurs langues âpres. Nomme-moi le Félon. Car c'est moi qui choisis les chaînes que l'on veut me faire porter. Viens, à présent. »

Sur ce, il se mit à marcher – du moins, en apparence. Le Royaume immortel (car c'est de ce lieu qu'il s'agissait, je le savais) se modifiait au gré de mes pensées et de mes intentions, s'écoulant d'un emplacement à l'autre ; je suivis le Félon du mieux que je le pus. Tout autour de moi, je distinguais clairement, malgré la grande distance, d'autres sphères scintillant dans le vide tournoyant. L'espace d'un instant, j'aperçus la clairière sacrée d'une divinité elfique, ainsi qu'une grande forteresse de pierre appartenant à un dieu des nains. Disparus aussi rapidement qu'ils étaient apparus, je réalisai que l'endroit où je me tenais n'en était qu'un parmi maints autres, la myriade de domaines contenue dans le même Royaume.

Des heures – ou des secondes – plus tard, nous arrivâmes sur les berges d'un grand fleuve. Je savais maintenant que chaque être perçoit à sa manière son passage dans les terres de l'au-delà. Il se présenta à mes yeux sous les traits d'un cours d'eau aussi sombre que profond, dont les tourbillons et remous ne produisaient pas le murmure des flots, mais le gémissement des âmes en peine.

Sur les rives de ce fleuve, quelque peu en amont, j'avisai un immense camp où logeaient des dizaines, voire des centaines de milliers d'âmes. Je n'eus pas la possibilité d'examiner plus en détail cette ville de haillons. J'entrevis cependant une grande diversité d'humains et d'autres espèces vaquant à leurs occupations. Nombre d'entre eux portaient la tenue des Makhars, des Åsklandais, aux côtés de toutes sortes de peuples barbares parmi lesquels le culte des Dieux Sombres est si répandu. Je présume que c'est là, en ce panorama sur l'Enfer lui-même, que ceux qui adorent les Dieux Sombres passent leur après-vie en récompense de leur foi. En revanche, les paysages dont j'allais être témoin dans les royaumes de l'autre côté du fleuve sont le domaine exclusif de ceux qui ont mis en gage leur âme en concluant un pacte avec l'un des Sept pour obtenir le pouvoir dans leur vie mortelle.

Une forme se matérialisa au centre du fleuve : une barque, qui s'avançait dans notre direction, lentement mais inexorablement, au rythme de la perche. Le passeur lui-même était un mystère. Se présentant un instant sous les traits d'une brute imposante, le suivant sous ceux d'une masse qui se tortillait dans toutes les directions. Il opta enfin pour une silhouette silencieuse vêtue d'un long manteau à capuche. La barque continuait sa progression, avec sa sentinelle qui contrôle l'accès au pays d'au-delà.

Et quel pays. Au-dessus de la rive opposée, dans des dimensions que je ne puis concevoir, encore moins décrire, sept anneaux se chevauchaient, se traversaient, se recouvraient et s'interpénétraient. Ces cercles échangeaient leur position comme les cerceaux d'un jongleur, chacun montant à la surface ou plongeant dans les profondeurs. Et sous tout ce mouvement chaotique, une puissance encore plus profonde pulsait, tout à la fois émanation de force et vide étreignant. Chacun des cercles paraissait descendre vers lui, avant d'être supplanté par un autre, puis un autre encore.

Je compris enfin la véritable nature de ma situation. Lisant sur mon visage cette prise de conscience, le Félon eut un sourire narquois.

« Peu nombreux sont les mortels à qui est donnée la chance de parcourir les chemins de l'Enfer. Si tu es fortuné, tu pourrais même être autorisé à sortir d'ici avec moi. Mais à présent, poursuivons notre route. Le Père et les Sept ne sont guère patients, et tu te tiens sur leur seuil. »

Sur ce, il monta sur la barque. Je m'armai mentalement, osant espérer que ce voyage était un signe de faveur. Car en vérité, n'eussé-je été protégé par une puissance supérieure,  comment aurais-je pu parcourir ce pays sans être annihilé par sa fournaise de magie à l'état brut ?

La barque glissait silencieusement à la surface de l'eau noire, tandis que les niveaux changeants de l'Abysse se rapprochaient de plus en plus.
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  • 2 mois après...

II

L'or terni, ou la ruine de Bettini


Posant le pied dans le Cercle de Sugulag, je sentis le sol sous moi tinter et crisser : les sons métalliques des pièces qui parsèment ce lieu, devises de toutes les nations, affichant les portraits de monarques depuis longtemps morts ou, peut-être, pas encore nés. Et pas de simples objets physiques : ces visages souriaient et criaient, gloussaient ou pleuraient, jusqu'à ce je craignisse de faire un pas de plus.

 

Mon guide me fit néanmoins signe de me hâter, dédaigneux d'un tel souci. Je fus entraîné par son allant, frémissant d'effroi en entendant les cris étouffés sous mes pieds, certain que chacune de ces plaintes était celle d'une âme mortelle condamnée à servir le Grand Collectionneur.

 

Après un certain temps, nous arrivâmes en un endroit où des âmes de forme humaine travaillaient sans relâche. Chacune poussait et transportait de lourds poids, bien que ceux-ci semblassent dépourvus de toute valeur et même de destination. Certains de ces êtres étaient nus, dépouillés de toute dignité en même temps que leurs habits, tandis que d'autres portaient les vestiges des vêtements qu'ils possédaient de leur vivant. À ma grande surprise, je reconnus le visage d'un de ceux qui se trouvaient près de moi, paré d'une robe cléricale.

 

« Alessandro Bettini ! m'écriai-je. Mon vieil ami. Quelle catastrophe t'a-t-elle donc fait venir en ce lieu ? Ta famille est connue pour être la plus dévote de tout Pontefreddo. Je n'aurais jamais imaginé que tu suivais les Dieux Sombres. »

 

Mon compagnon et confident de jadis me lança un regard incrédule, sans cesser une seule seconde son labeur éreintant.

 

« Nazario ! Comment as-tu pu venir en ce sinistre lieu, sans porter ni chaîne ni fardeau ? Non, tu es plus réel que tout esprit de cet endroit. Écoute bien mon récit, de peur qu'un jour ton âme ne s'égare dans le même bourbier.

 

« Notre belle ville avait été frappée par des temps difficiles, car nous venions de souffrir de la pire récolte de mémoire d'homme. Ma famille dépendait des céréales pour remplir ses coffres et maintenir son statut. Ayant perdu notre source de revenus, il me fallut lutter pour préserver le nom des Bettini des vautours qui n'auraient été que trop ravis de le déchiqueter. La nomination à une carrière d'église offre de grands avantages à ceux qui désirent s'élever rapidement ; je fus capable de satisfaire maintes ambitions… mais cela eut un prix. »

 

Relatant sa richesse et ses gains, Alessandro sembla emporté par une grande joie. Mais de telles émotions ne peuvent perdurer en ces lieux : son fardeau parut tripler de poids, de telle sorte que les efforts de mon ami furent bientôt à peine suffisants pour le mouvoir. Pourtant, il ne s'interrompit pas une seule seconde ; sans doute ne le pouvait-il pas.

 

« Lorsque les Doyens apprirent ce que j'avais fait, ils me frappèrent de leur vengeance. Celle-ci fut d'autant plus impitoyable qu'elle avait également pour but de cacher combien d'autres avaient pris part aux mêmes crimes. Alors que j'attendais l'exécution, un envoyé de Sugulag m'offrit une voie vers la rédemption. Si j'en faisais le serment, je pourrais me libérer de mes chaînes, soulever la ville contre les misérables qui la tenaient, et la gloire éternelle pourrait être mienne. »

 

Ceci étant dit, l'ex-évêque s'effondra sous son fardeau, continuant à avancer en rampant malgré ses sanglots. Je m'éloignai pour rejoindre le Félon sur un sentier qui sinuait entre des coffres cerclés de fer, chacun taché de sang et montrant de terribles crocs. À ma requête, mon mentor taciturne me narra le destin qui avait été celui de Bettini.

 

« Une révolte aussi éphémère que sanglante. Il était parvenu à corrompre de nombreuses personnes en secret, assez pour ébranler Pontefreddo jusqu'à ses fondations. Mais le moment venu, il manqua de la conviction nécessaire pour pousser son avantage, manqua de la capacité de vision requise pour raser la ville une bonne fois pour toutes. De si petites ambitions sont insuffisantes pour retenir l'attention de nos Sombres Maîtres. Estimer avoir atteint son but après n'avoir anéanti qu'un village, une ville, une famille, c'est prouver sa propre médiocrité. Avant que tout cela ne fût fini, Bettini n'était rien de plus qu'une bête affligée. »

 

J’acquiesçai gravement, comprenant que l'excommunication par l'Église était un bien piètre désagrément comparé au destin qui attendait ceux qui déçoivent leur Dieu Sombre. Car ici, en ce lieu de chaos et de changement, le châtiment adoptait des formes qui dépassaient les mots des mortels.

 

M'ayant enseigné cette leçon, le Félon ouvrit la voie jusqu'au bord du Cercle, où nous eûmes à franchir une étroite arche, jonchée de visions des possessions mortelles abandonnées là par quiconque désire passer de l'autre côté afin de retourner au Néant. Après quelque réflexion, je tirai mon médaillon de fonction et le suspendis au rebord de l'arche. Mon guide adopta quant à lui une approche plus… viscérale, passant une lame sur la paume de sa main pour en faire jaillir quelques gouttes de sang qu'il versa par terre. Il me sourit d'un air carnassier avant de se retourner pour traverser le portail à grandes enjambées.

 

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III

 

Des appétits insatisfaits, ou un repas en famille

 

Des nuages bruns et putrides parcouraient le ciel en spirale ; c'est ainsi que je me vis entrer dans le Cercle d'Akaan. Je ressentis l'air se charger d'humidité, celle d'une atroce averse d'un liquide noir et visqueux, qui tombait drue, souillant le sol lui-même. Nous nous abritâmes pendant un moment sous un surplomb rocheux, d'où j'observai le paysage se faire décaper et bosseler par le déluge. Je savais que seule ma raison d'être en ce lieu avait épargné à mon corps de subir un tel sort.

 

Il devint évident que ce torrent n'allait pas prendre fin de sitôt – à supposer qu'il puisse un jour se terminer. Nous nous mîmes donc en route à travers la tempête, pour explorer ce paysage aussi desséché qu'affamé. Après quelque temps, nous arrivâmes à l'embouchure d'une grande vallée. Ses arêtes étaient rehaussées de sortes de pinacles acérés. L'espace d'un instant, ma perception se modifia, et j'eus la vision d'une vaste et terrible gueule, prête à dévorer le monde. Je clignai des yeux, et ne perçus à nouveau plus que de la pierre et de la terre. Mais c'est tremblant que je poursuivis ma progression.

 

À une courte distance dans l'ombre de cette gorge, je fus confronté à des échos qui résonnaient et se faisaient de plus en plus retentissants d'un moment à l'autre. Ce bruit, d'informe et menaçant, se changea bientôt en un chœur baveux et râlant, arraché à de nombreux gosiers à la fois. Au détour du chemin, nous nous trouvâmes face à une meute de bêtes aussi troublantes d'aspect qu'elles étaient dangereuses.

 

Souvent dénommés « Mouches infectieuses », j'ai déjà aperçu leur type dans notre propre Royaume, où elles prennent des formes corpulentes dotées d'ailes si fines qu'elles défient la gravité par leur lévitation grotesque. Elles attaquent et dévorent toute créature vivante de leurs nombreuses gueules, plus nombreuses que ce qu'une seule bête devrait jamais pouvoir posséder. La nature de leur abominable physiologie est telle, que j'ai déjà vu les duellistes les plus talentueux rester perplexes, ne sachant où frapper. Et ayant enfin vaincu leur répugnance, ces guerriers qui sabraient se voyaient alors consumés par les flots de pus mortel jaillissant de l'entaille.

 

Dans le Royaume immortel, la forme de ces créatures était encore plus pénible à contempler. Il leur poussait à chaque instant une nouvelle bouche ou une nouvelle rangée de dents ; elles se mouvaient sur des pattes difformes ou des queues ondulantes, ou en flottant tout simplement dans l'air comme un aéronef composé de mâchoires aux nombreux crocs. Leur attention se porta sur nous, et elles se mirent en route dans notre direction de leur allure troublante.

 

Un bruissement derrière moi attira le regard du Félon, qui tira calmement d'une sacoche quelques morceaux de viande saignante. L'air toujours nonchalant, il les jeta d'un côté de la gorge, me menant de l'autre. Tandis que nous contournions les bêtes, dont l'appétit se portait à présent sur ce repas offert, mon guide me donna cette explication :

 

« La plupart des démons, la plupart des immortels ne peuvent se nourrir des objets de notre monde, tout comme nous ne pouvons nous nourrir de magie brute ; du moins, pas sans la protection de nos Maîtres. Toutefois, ceux qui servent Akaan sont différents. Les armes mortelles peuvent les blesser, mais ils brûlent de désir pour les miettes de ce monde que le Grand Dévoreur est si impatient d'absorber ». Sur ce, il me fit un sourire, un reflet cruel dans les yeux. « Ta propre forme charnue aurait été un véritable festin pour eux, si la raison de ta présence ici ne t'avait pas assuré une solide protection. Toujours est-il qu'il vaut mieux ne pas soumettre leur obéissance à l'épreuve de leur appétit. Car le résultat n'est jamais entièrement certain. »

 

Nous continuâmes en silence pour quelque temps. La vallée s'assombrit. Ce qui, en ce Royaume, passait pour le ciel, allait s'étrécissant, pour ne plus être qu'une mince tranche de lumière maladive. De l'obscurité devant nous nous parvinrent de nouveaux sons peu ragoûtants, ceux de la mastication répugnante de la chair crue entre des dents émoussées. Nous atteignîmes la source de ce bruit et vîmes de vagues silhouettes prendre la forme de personnages accroupis, empoignant chacun un quartier de viande. Aucun d'entre eux ne croisa mon regard ; aucun ne daigna lever les yeux du sol et de son abominable tâche.

 

La seule de ces personnes qui bougea se traîna devant nous pour arriver à la source de ce repas impie : un corps humain dont des morceaux étaient arrachés au fur et à mesure qu'ils se reformaient pour être à nouveau perpétuellement consommés. Ce n'est que lorsque je discernai finalement son visage que je fus frappé par la véritable horreur de son embarras. Car le corps duquel elle se repaissait affichait une troublante ressemblance avec elle : celle d'un parent, peut-être de sa fille. Des larmes coulaient le long de son visage, et mes propres yeux s'humectèrent avant que je ne m'arrachasse à cette atroce scène, trébuchant, m'enfonçant de plus en plus profondément dans cette gorge pour m'échapper de ce lieu infect, suivi tout le long par le sombre rire moqueur du Félon.

 

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IV

 

Une forêt abandonnée, ou les songes du Félon

 

Pénétrant le Cercle de Nukudja, je sentis le temps ralentir et s'étirer, comme si l'air lui-même avait gelé. Je sentis une léthargie m'envahir, comme un froid glacial issu de mes os, jusqu'à ce que je m'effondrasse sous le poids de l'Apathie. Même le Félon, naguère si sûr de ses actions, parut hésiter et fléchir sous ce terrible fardeau.

 

Devant nous, la source de notre manque d'énergie se fit rapidement apparente. Des silhouettes commençaient à émerger de l'obscurité de ce lieu. Des arbres de mille formes parsemaient le paysage ; des formes rabougries aux troncs et aux branches tordus, dont les nœuds et les creux rappelaient des visages déformés par l'angoisse.

 

Un grincement émis par l'une de ces apparitions attira mon attention, mais je ne pus rassembler la vigueur nécessaire pour m'avancer vers elle, jusqu'à ce que je l'entendisse prononcer mon nom. M'approchant, je perçus un murmure desséché, semblable au bruissement de feuilles fanées.

 

« Tu ne me connais pas, mais moi si, illustre Nazario Calegari de Pontefreddo, destiné à la grandeur dès ton premier souffle, alors que je n'étais qu'un humble citoyen de cette noble cité, à une époque depuis longtemps révolue. À présent tu courtises le Père, qui désirerait faire Sien tes talents, afin de répandre Sa gloire et les récits de Ses Sept. C'est dans le creux de sa main que tu marches à présent.

 

« Veille bien, Calegari, à suivre le bon chemin. Trompe-toi une seule fois, et le manteau de Père Chaos tombera de tes épaules. Ceux qui marchent dans son domaine trouvent rarement un confort dans le froid. Si tu veux échapper au désastre, rappelle-toi de ceci dans les années à venir : Sous une lune de sang, lorsque les cors retentiront et que le sol tremblera, tous devront pousser à l'ouest et frapper la menace elfique, avant que le rituel ne prenne fin. »

 

Il y eut enfin un chuchotement comme le souffle du vent, qui me fit me pencher plus près :

 

« Ne te fie pas au Félon. Son nom est bien mérité. Il recherche la faveur du Père, et ne servira loyalement que tant que cela coïncidera avec son propre dessein. Se fier à sa bonne foi, c'est rechercher la ruine, comme sa Maîtresse l'a appris à ses dépens. Mais prends garde à présent, car notre geôlier approche. »

 

Sur ce, l'arbre se tut. Je fis volte-face pour me retrouver face à un autre, plus grand et plus menaçant que toute autre chose en ce fourré. Il se dressait au-dessus du Félon et moi, immobile. Il n'avait pourtant pas été là quelques instants plus tôt, j'en étais sûr. Ce n'est que bien plus tard que j'appris à connaître le Moissonneur d'espoirs sous les formes qu'il revêt dans notre monde, qui sont toujours celles de pesantes monstruosités. Rester à proximité signifie risque de perdre et le corps et l'âme, car il sape l'énergie de ses victimes, avant de leur ôter la vie.

 

Ainsi poussé à l'action, je tirai le Félon de sa rêverie, et hors de cette forêt lugubre. Tandis que nous nous apprêtions à quitter ce lieu d'indolence, nous longeâmes une plaine de sables brûlants où des âmes chagrinées étaient contraintes d'errer en cercles éternels, ne pouvant trouver de répit à la douleur cuisante qu'en marchant continuellement.

 

Le Félon grommela à contre-cœur quelques remerciements pour le rôle que j'avais joué dans notre fuite face au Moissonneur. Je m'enquis auprès de lui des songes qui l'avaient captivé au point d'oublier notre voyage à travers ce Royaume.

 

« Un autre temps, un autre lieu. Mes terres natales ont beaucoup changé depuis le temps où j'y vivais, il y a fort longtemps. Kuulima m'a accordé l'endurance pour voir mon retour se réaliser. Ceux qui ont terni mon nom et ma mémoire mesureront bientôt toute l'ampleur de leur folie. »

 

S'ébrouant pour se sortir de sa torpeur, il m'emboîta le pas et nous nous enfonçâmes ensemble dans le Vide. L'espace d'un instant, je me remémorai l'avertissement qui m'avait été donné à propos de mon compagnon. Pourtant, je me sentais de plus en plus lié à ce taciturne Guerrier de l'Envie.

 

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V

 

L'Imposteur : apaisement, unité et division

 

Le Cercle de Kuulima était une véritable mosaïque d'iconographie et d'imagerie. J'y observai des représentations de reliques de toutes les religions de Vétie de notre époque, aux côtés d'artéfacts de panthéons depuis longtemps disparus et enterrés. Des étendards et des statues de toutes les nations ornaient des bâtiments dont l'architecture provenait de dizaines de cultures. On aurait cru visiter un musée impérial contenant des objets issus de myriades de civilisations ou, du moins, la maison d'un riche marchand, décorée plus dans un souci d'étalage que d'élégance.

 

Devant nous, la route traversait un pont doré, bordé de présentoirs exhibant des heaumes de toute forme, chacun d'entre eux fendu par un coup qui avait sans doute mis à bas son porteur, qu'il fût elfe, humain, nain, orque ou toute autre créature. Sous cette travée scintillante coulait une rivière, dont les flots étaient aussi verdoyants que répugnants. Aucune véritable eau n'a d'ailleurs jamais bouillonné et sifflé comme le faisait celle de ce cours.

 

Sitôt que nous posâmes le pied sur le pont, nous nous trouvâmes face à une horde de démons gazouillants. Escaladant les arches, se hissant sur le parapet, ils se déployèrent de sorte à nous barrer la route, tout en montrant les dents. Leur forme miroitait et se modifiait à tout moment pour adopter des éléments de mon propre aspect : la robe que j'avais enfilée le matin même, le diffuseur de parfum en bronze qui m'avait été offert par le sage Werdin, les robustes bottes que j'avais achetées selon le conseil d'un officier de cavalerie des années auparavant.

 

Il ne s'agissait que de démons très mineurs. Leur image était en mutation constante, reflet de leur manque de volonté. Ils piaillaient et grimaçaient en notre direction, faisant preuve d'une franche animosité. Mais leur attention se portait sur mon guide – à aucun moment ils n'imitèrent son visage casqué, à aucun moment leur regard ne le quitta tandis qu'ils vociféraient. Lorsqu'il daigna abaisser les yeux vers ces créatures sur son chemin, un sourire courba ses lèvres, comme s'il se contenterait de les piétiner au cas où elles ne s'écarteraient pas.

 

De l'arrière de leur foule, une onde parut parcourir ces silhouettes changeantes, qui se figèrent soudainement. Les démons adoptèrent la forme de petits soldats humanoïdes dont la peau luisait comme de l'argent. Puis, tels un banc de poissons à l'approche d'un prédateur, ils s'éparpillèrent dans toutes les directions, disparaissant de notre vue. À leur place se dressait à présent un être à l'apparence déconcertante. Un plastron doré de modèle destrien, associé à un bouclier qassari brillant, resplendissant de l'emblème de Kuulima. Un heaume comme celui d'un elfe des hautes lignées, surmonté d'un panache de crins blancs qui tombait jusqu'à un hausse-col orné de gravures.

 

Le démon lui-même avait l'air presque humain. Toutefois, aucun humain n'a jamais possédé de telles proportions, sauf dans les pires cauchemars du plus mauvais des sculpteurs. Sa tête était anormalement grande, avec des traits exagérés ; ses yeux brûlaient comme des torches, et un sourire aux dents acérées s'ouvrait bien plus largement que ce qui devrait être possible. Sa peau était d'une couleur d'argent étincelant, sa surface ondulant du fait de muscles étranges ; elle était comme fusionnée à son armure. Même l'arme qu'il arborait, une épée longue impériale d'une taille ridiculement grande, paraissait être une extension de son propre corps. Tous ces éléments incongrus auraient dû lui conférer un air absurde, celle de la plus bizarre des chimères ; mais à la place, il s'en dégageait une présence impérieuse.

 

Contrairement aux entités inférieures que nous venions de croiser, lui n'affichait pas la moindre trace d'hésitation. Ce démon était aussi sûr de lui que résolu. Il se tenait sur le pont avec une parfaite maîtrise de soi, son épée posée pointe contre terre, l'indifférence personnifiée. Seule l'intensité de son regard trahissait son faux air de nonchalance. Je me sentis absolument insignifiant, comme pris au piège ; mon compagnon, quant à lui, se hérissait sous cet examen. Les secondes s'éternisèrent, l'air parut crépiter sous la tension, tandis que les deux guerriers contractaient imperceptiblement leurs muscles et soupesaient chacun leur arme.

 

Cette circonstance fut interrompue lorsque, presque simultanément, tous deux esquissèrent un infime hochement de tête, leurs voix se mêlant l'une à l'autre :
« Félon ! » – « Imposteur ! »

 

Et comme si tout avait été dit, l'Imposteur s'écarta du pont pour adopter une posture de repos, libérant ainsi la voie. Passant devant lui, j'eus la possibilité de l'examiner de plus près, ainsi que la panoplie d'ornements qui cachait sa forme bizarre : des mains rapaces, entrecroisées de sceaux et de blasons, et où partout dominait le symbole de la mouche diabolique. Nous passâmes en silence et parcourûmes ce Cercle pour quelque temps avant que je ne m'aventurasse à troubler ce calme.

 

« À moins que je ne m'abuse, tu sers la même maîtresse que les habitants de ce plan. Cependant, les relations m'ont l'air plutôt tendues entre toi et les gardiens du pont. Les démons ne sont-ils donc pas les alliés des Guerriers ? »

 

Il fallut à mon guide plusieurs longues minutes de réflexion avant qu'une réponse ne me fût donnée. Entre-temps, nous dépassâmes un groupe de bâtiments. Chaque aspect de ces structures semblait s'inspirer d'un style architectural différent, formant une cacophonie conflictuelle, vraisemblablement prête à s'écrouler à tout moment.

 

« Tu poses des questions qui n'ont pas de réponse simple ; néanmoins, il est juste que tu devrais être mis au fait de toutes ces choses. Tu sais à quel point ceux qui choisissent les Dieux Sombres chérissent la liberté individuelle. Cela est bien connu ; c'est d'ailleurs la raison pour laquelle les Guerriers trouveront toujours un terreau fertile parmi les opprimés et les exploités. Or, parmi les démons, il est manifeste que l'autonomie est l'apanage des puissants, ou peut-être une récompense pour les privilégiés.

 

« Les Guerriers, en revanche, reçoivent cette même liberté dès le moment où ils prêtent serment, dès leur premier pas sur les Voies de l'Ascension, alors que la plupart des démons n'en connaîtront jamais le doux arôme. Inversement, les démons possèdent déjà de nature ce que les Guerriers s'efforcent d'atteindre : l'immortalité, et une place auprès des dieux. Je te laisse imaginer à quel point cette contradiction peut être source d'irritation pour les uns comme pour les autres. »

 

Le Félon se plongea à nouveau dans ses réflexions pendant un bon moment, avant de poursuivre :

 

« Et pourtant, je sers la même maîtresse que cet Imposteur. Nous partageons une nature similaire, et pourrions même soutenir les même causes dans le Royaume mortel. Je respecte sa prouesse. Je sais que dussions-nous nous battre l'un contre l'autre, il saura trouver mes plus grandes forces pour les retourner contre moi. Plus je croîs en puissance, plus il croît lui-même. Un tel être mérite toute ma considération. »

 

Nous marchâmes encore dans un silence méditatif. C'est alors que j'avisai un des spectacles les plus stupéfiants dont je fus témoin en ce lieu. Je ne compris pas immédiatement ce que je vis : des silhouettes curieusement bifurquées que j'interprétai, petit à petit, comme étant des gens, tranchés verticalement en deux jusqu'à la taille, comme par un couperet démentiel.

 

Il ne s'agissait certes pas de cadavres laissés en pâture aux charognards : chaque moitié clignait des yeux, remuait les lèvres, comme pour prononcer mon nom. Je m'approchai, m'efforçant d'ignorer les viscères qui se déversaient de cette horrible entaille. Tendant l'oreille, je perçus un léger murmure, comme un croassement perçu à travers les bulles de sang qui s'écoulaient continuellement.

 

« Prends garde… Ceux qui engendrent la division dans la vie… sont ici châtiés par leurs propres péchés… Si seulement je n'avais jamais… cherché à semer la discorde entre les frères… Laisse-moi à présent… mais n'oublie pas… notre Enfer est celui que nous nous créons… »

 

Frissonnant, je me détournai de cette âme infortunée, mais me mis à considérer le Félon avec un intérêt redoublé, m'interrogeant sur ce qui avait pu l'amener à vendre son âme à Kuulima. Avant que notre voyage ne se terminât, j'en saurais plus sur ce guide si énigmatique.

 

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VI


La fin de la gloire, le lac de sang,

ou les dividendes de l'histoire

 

L'or et la grandeur. L'argent et la splendeur. Les joyaux et la jubilation. C'était comme si toute la gloire de l'existence avait été exhibée dans le Cercle de Savar. Une exposition destinée à frapper de stupeur tous ceux qui l'apercevaient. Mais malgré toute son imposante majesté, elle faisait résonner une note qui vibrait au-delà de celle de toutes les salles du trône et de tous les trésors du monde. Car plus que simple étalage, elle visait à abasourdir, à écraser les quémandeurs sous le poids de sa suprématie, à leur faire prendre conscience de leur insignifiance tout en implantant en eux un désir d'atteindre ne serait-ce qu'une parcelle du même prestige.

 

Avec le temps, tout comme les yeux finissent par s'adapter à la nuit la plus noire, je commençai à observer des détails qui m'avaient échappé de prime abord. Aucune tenue d'apparat n'a jamais exprimé aussi ouvertement la misère engendrée par son acquisition. Les gemmes tachées de sang, les bannières en lambeaux, trophées arrachés aux ennemis, les armures et les casques fendus par de terribles coups. Il ne s'agissait pas d'une gloire méritée, mais d'un orgueil imposé à un monde trop faible.

 

Les démons qui y vivent reflètent le comportement de leur maître, aussi hautains que ce à quoi on devrait s'attendre. Notre présence n'était même pas digne d'être remarquée par ces êtres tandis que nous traversions leur royaume, simples insectes sur le dos d'une bête indifférente. Contrairement à beaucoup des créatures que je rencontrai en ce Royaume étrange, leurs formes n'étaient ni changeantes, ni floues. Leur assurance était évidente, manifestée par leur aspect inflexible, chaque tête surmontée d'une couronne, tous rois selon leur propre jugement.

 

Nous enfonçant plus en profondeur dans les terres de Savar, nous finîmes par parvenir à un grand lac rempli d'un liquide rouge et noir, et duquel émanait une terrible chaleur. De sa surface bouillonnante émergeaient nombre de monticules. Venant plus près, nous vîmes qu'il s'agissait en réalité de têtes, à peine visibles dans la vapeur. Leurs bouches étaient déformées dans une agonie silencieuse. J'avisai leurs oreilles pointues, leurs longs cheveux soyeux et leurs yeux pâles, leurs pommettes saillantes et leur peau fine, tous ces traits déformés par la douleur.

 

Remarquant mon intérêt, le Félon me rejoignit au bord de l'étendue, observant la scène avec un rictus condescendant.

 

« Ceux-là croyaient que leur sang était la marque d'un rang élevé. Je les soupçonne de ne pas apprécier à sa pleine valeur l'ironie de leur embarras. L'humour de Savar n'est jamais au bénéfice de son sujet. Il y en a même parmi eux qui doutent du fait que les elfes puissent jamais se laisser corrompre. Quelle sottise. Toute créature vivante a des désirs, et le désir est la porte d'entrée des Dieux Sombres. »

 

Méditant ces paroles, j'eus une pensée pour les innombrables âmes de l'Abysse. Il est certain que l'humanité y est fortement représentée. Mais quand bien même les soi-disant « Races aînées » se lamentent de la faiblesse des hommes, aucun peuple n'est à l'abri des promesses du pouvoir. Pendant mon voyage, j'observai non seulement des elfes, mais aussi des nains, des ogres, des hommes-bêtes, des orques, et toutes sortes d'autres créatures, chacune ayant voué son âme aux Dieux Sombres et, à l'heure du trépas, contrainte d'en payer le prix.

 

Perdu dans mes pensées tandis que nous cheminions, je faillis ne pas entendre chuchoter mon nom. Je me trouvais dans une forêt de statues, chacune sculptée de façon plus exquise que l'autre. Il s'agissait là non pas de flatterie artistique : chaque défaut, chaque imperfection était parfaitement rendue. Je reconnus immédiatement un visage familier, même si je ne m'attendais pas à le voir ainsi taillé dans le marbre. Glauco Carbo avait été un banquier d'une lignée aussi vieille que la ville de Pontefreddo elle-même. Sa famille prétendait être à l'origine de la première pièce d'or reconnue et mise en circulation en Vétie. Malgré tout, la fortune des Carbo vint à son terme, et Glauco, tentant de sauver les apparences, se mit à tricher sur les pièces ; lorsque cet acte fut découvert, la famille perdit son statut à tout jamais.

 

Étudiant la statue, il me fallut un bon moment avant de saisir ce qui n'allait pas. Ce n'est que lorsqu'ils clignèrent que je réalisai qu'il s'agissait bien des yeux du même Glauco que j'avais connu, il y avait si longtemps. Et de la bouche ouverte de l'effigie sortit la voix ténue que j'avais entendue avant, à peine audible, clairement implorante.

 

« Nazario… Tu vas librement, là où je n'aurais jamais cru voir un visage familier… Dis-moi, ma famille est-elle toujours aux affaires ? Mon nom est-il toujours mentionné ? Mes pièces, se les échange-t-on encore ?

 

Apercevant mon hésitation, ses yeux s'écarquillèrent – c'est la seule expression qu'il pouvait encore prendre, au vu de sa position.

 

« Si tu rentres, par pitié, dis à ma famille que tout ce que j'ai fait, je l'ai fait pour eux. Dis-leur de citer mon nom, que je puisse prendre ma place dans la Grande Galerie. Je t'en supplie, ne laisse pas mon nom disparaître… »

 

Il y eut un craquement. La statue s'effondra, poussée par l'épaule armurée du Félon. Il contempla un moment les restes du banquier et son œuvre, et un sourire cruel s'épanouit sur son visage. Puis il me fit signe d'avancer, et nous poursuivîmes notre route en direction des limites du Cercle de Savar.

 

« Certaines âmes en ce lieu conservent un semblant de dignité et d'identité. D'autres, comme ce ver pleurnichard, ne sont plus que des ombres. Pas étonnant qu'il ait échoué aux épreuves du Guerrier. L'Ascension n'est offerte qu'aux individus dotés d'une volonté de fer. Nombre de ceux qui se croient puissants ne sont qu'à un pas de la déchéance. »

 

Livré à mes pensées, je songeai à la chute d'une dynastie, et à la question qui me taraudait depuis. Quels défaites le Félon avait-il donc subies ? Qu'est-ce qui avait donc pu l'amener à parcourir les Cercles de l'Abysse, où tous paraissaient le connaître ? Il demeurait pour moi une énigme – une énigme que je comptais bien résoudre.

 

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  • 1 mois après...

VII

Le vent noir, la glace et le feu,

ou un piège séduisant

 

Sitôt que nous franchîmes le seuil du Cercle de Cibaresh, nous fûmes plongés dans des ténèbres qui nous enveloppaient et s'accrochaient à nous comme du satin. Un vent noir tourbillonnait tout autour de nous, transportant sur ses rafales des grognements d'extase et d'agonie, accompagnés d'un souffle aussi glacial que l'étreinte de la tombe.

 

Nous finîmes par émerger de cette obscurité, titubant, dans un paysage teinté de violet et de pourpre. Une sorte de brume était comme accrochée dans l'air ; je sentais mon esprit s'engourdir un peu plus à chaque inspiration, tandis que je partais à la dérive, ballotté d'une pensée à l'autre. Le temps lui-même parut se courber et s'étirer.

 

Dans ma stupeur, je me vis bientôt quitter le sentier pour me diriger vers un groupe de silhouettes à moitié entraperçues dans cet obscur brouillard. Elles se contorsionnaient pour adopter des formes déconcertantes et attirantes, me hélant et me narguant, toujours on ne peut plus proches, mais hors de portée.

 

Un semblant de réalité revint, accompagné d'un éclair de douleur. Un gantelet d'acier glacial enserrait mon épaule. Mes doigts plaintifs s'allongèrent pour tenter, une dernière fois, d'effleurer mes soupirants vaporeux. Mais la poigne du Félon me tira violemment en arrière. Bientôt, nous étions en un lieu où l'air était plus limpide, et où je parvins à réordonner mes pensées. Je me sentis poussé contre une surface gelée. Mon sauveteur recula d'un pas, avant de me regarder d'un air désapprobateur, hochant sombrement la tête. Il fixa un point derrière mon épaule, et son expression se figea en un sourire cruel.

 

Ce que je vis en me retournant me fit bondir en arrière. Un bloc de glace, au sein duquel on discernait des corps nus, convulsés dans des poses érotiques, à quelques pouces l'un de l'autre, mais congelés, le feu de leur passion figé à jamais. Je savais, sans qu'on ne dût me le dire, que chacune de ces âmes était toujours bien consciente de son sort. Je fus pris d'un frisson, aussi bien en raison du froid ambiant que de l'agonie de ces désirs inassouvis.

 

Au cours de notre déambulation à travers cette sphère grisante, je fus témoin d'une multitude de tableaux de débauche : la fornication sous toutes ses formes imaginables, partout un enchevêtrement de douleur et de plaisir pêle-mêle. Cette odieuse exhibition usa tant mes sens qu'au final, je me trouvai complètement indifférent à cette interminable parade charnelle.

 

Une fois parvenus au bord extérieur de ce Cercle, je me sentais comme soûl. Ma tête chancelait, la route était floue. Jamais auparavant n'avais-je été si incertain de la trajectoire à suivre. Ce ne fut qu'une fois échappés que mon esprit retrouva sa clarté. Cibaresh n'offre pas ses joies sans dessein. Dans son domaine sont rejetés tous ceux à qui le dévouement fait défaut, ceux à qui manque la volonté de s'emparer des tentations sur leur route pour façonner le monde selon leurs désirs.

 

Ayant traversé le plan de la Séduction, je décidai, quand bien même cela n'engageait que moi, que j'avais suffisamment de détermination pour parvenir à la fin de ce périple. Car même alors, où je demeurais dans le vague quant à son éventuelle conclusion, je savais avec certitude que le temps que j'aurais à passer dans le Royaume immortel était compté, et que mieux valait ne pas y demeurer plus longtemps que je n'y avais été invité. J'espérais seulement qu'il me serait permis de ramener avec moi ne fût-ce qu'une portion du pouvoir qui m'entourait ; de la plus infime fraction de cette puissance, qui me suffirait pour me distinguer à jamais de mes rivaux.

 

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  • 2 mois après...

VIII

 

La Voie barrée, la Tour du Flambeau, ou les Gueules de l'Enfer

 

Pénétrer dans le Cercle de Vanadra revient à mettre le pied dans un brasier. L'air même y pique la peau. Quelle que soit la position que j'adoptais, je ne trouvais nul soulagement. Je sentais mes mains se serrer involontairement, ma mâchoire se crisper, mon cou se tendre… À la première sensation de mouvement, je me retournai subitement sur le Félon, le poing levé.

 

Il parut déconcerté pendant un long moment. Puis il éclata d'un rire tonitruant, aux éclats rudes et grinçants, titubant tout en se tenant les côtes. Il haletait, à bout de souffle, de toute évidence déjà acclimaté à cette chaleur qui m'accablait. Enfin, il retrouva la voix :

 

« Qui eût pu se douter que cette chiffe molle possédât des dents ! Je t'ai presque cru sur le point de me heurter… Et pourtant, j'imagine que nul ne sait mieux que moi qu'il ne faut jamais se fier à qui que ce soit. »

 

Sur ce, il se perdit dans le silence, comme pris d'une rêverie, un lointain regard dans les yeux. Je choisis ce moment pour examiner les environs, soucieux d'éviter d'être une fois de plus tourné en ridicule par mon guide. Au loin – pour autant qu'un tel concept pût s'appliquer à un tel lieu –, on distinguait une grande tour, surmontée d'un flambeau incandescent. Et derrière cette tour, une forme se mouvait. Une forme insoutenable…

 

Sans que je ne le susse, mes pieds avaient déjà commencé à emprunter le chemin qui menait à cette prodigieuse structure. Des graviers crissaient sous mes pas. Je n'avais jamais auparavant vu pareils galets : blanchis et lisses, mais irrégulièrement fracturés. Me refusant à songer à leur origine, je résolus de fixer toute mon attention sur ma destination, laissant mes jambes trouver seules leur itinéraire.

 

Je passais sous une arche lorsque, de derrière moi, me parvinrent les échos de la foulée du Félon. Eus-je été plus conscient de mon environnement, j'aurais pu mieux observer les entités qui peuplaient en ce lieu, montant la garde au-dessus du portail de pierre rouge sombre. Un fracas métallique me fit faire volte-face. Une lourde herse d'airain et de fer barrait le passage que je venais d'emprunter. Le Félon se tenait de l'autre côté, sa contenance plus impassible que jamais. Cependant, l'expression de son visage traduisait du mépris, de la colère et… quelque chose d'autre. Quelque chose qui eût pu être interprété comme de l'inquiétude.

 

Ce n'est qu'alors que j'aperçus, suivant des yeux le regard de mon compagnon taciturne, les êtres qui défendaient les remparts. Des diablotins aux gueules vociférantes, dont les griffes entaillaient la roche, grondant et glapissant en direction du Guerrier en contrebas. Parmi leurs vocalises gutturales, je commençai à distinguer des bribes de mots, poussées au travers de rangées de dents acérées.

 

« Félon ». « Sans foi ». « Te lacérer ». « Vanadra t'aura ». « Traître ». « Bientôt ». « Donne ton âme« ». « Sortiras jamais ». « Goût de ta traîtrise ».

 

Comme leurs cris allaient crescendo, ils furent rejoints sur les murs par une créature plus impressionnante, véritable masse de bronze ondulante, dont le mouvement me rappela celui d'une bête imposante. Lorsqu'elle approcha du parapet, les petits démons se turent, s'écartant sur sa trajectoire. Elle se laissa choir de cette hauteur pour tomber lourdement de mon côté du portail, faisant face au Félon. Sa voix tonna comme la cloche d'un grand temple, retentissant avec force échos.

 

« Tu n'aurais pas dû venir, traître. Tu connais le sort réservé aux tiens. Tôt ou tard, Vanadra prend toujours ce qui lui revient. Le passage t'est fermé. Le chemin du retour également. L'Adversaire a collecté son dû. »

 

Ses paroles glissèrent sur la silhouette cuirassée de mon compagnon, qui se tenait droit, les bras croisés, comme pensif.

 

« Jorguuk, n'est-ce pas ? » Le Félon sourit lorsqu'il vit le démon faire un geste de recul, visiblement surpris d'entendre prononcer son nom. « Je n'oublie jamais une aura. Soyons clairs. Je suis ici sur ordre de Celui qui est au-dessus de nous, supérieur même à ta Maîtresse. Penses-tu vraiment que je viendrais visiter ce… ce trou, sans y être poussé par quelque motif impérieux ? À présent, libère la voie, si tu ne veux point La voir perdre en faveur. »

 

J'observai en silence Jorguuk passer par une succession de métamorphoses, gagnant en stature à chacune d'entre elles, avant de se fixer sur la forme imposante d'un géant en armure prêt à charger. Mais au moment même où je m'étais convaincu de l'imminence de la confrontation, il céda. Toujours sans un mot, il revint à sa première apparence, avant de s'enfuir en galopant dans le paysage. Au-dessus de nous, les bêtes piaillantes s'égayèrent dans toutes les directions. Nous nous retrouvâmes seuls, une fois de plus.

 

Maugréant, mon compagnon s'accroupit et souleva la lourde herse. Il la franchit en quelques pas, la portant à bout de bras, avant de la laisser pesamment retomber derrière lui.

 

« La réalité a beau être façonnée par la volonté en ce Royaume, l'esprit mortel continue à ne percevoir et à ne ressentir que ce à quoi il s'attend. Même après des siècles d'accoutumance. Mais un jour, je façonnerai moi-même ce lieu comme le font les Puissances. Peut-être même adviendra-t-il bientôt. »

 

Reprenant notre route, je me remis à examiner l'homme à mes côtés. Son port était celui d'un chef, d'un seigneur, d'un individu qui forçait le respect. Je m'efforçai de mettre cette remarque en adéquation avec son allégeance à Kuulima. Quel genre de personne ou d'être cet homme pourrait-il envier ? Et pourtant, quelque chose l'avait poussé à faire ce serment, à s'aligner sur la Reine des mouches. Je sentais que le moment de découvrir la clé de cette énigme était à portée de main. Il parla une fois de plus :

 

« La forteresse de Dal-Magoth. Nous sommes maintenant proches de la fin. »

 

Tout comme si la distance qui nous en séparait s'était subitement évaporée, nous nous tenions au pied de la tour que j'avais aperçue plus tôt. Autour des murs de ce formidable pic de pierre, le légendaire bastion de Vanadra, s'enroulait un escalier, montant en décrivant une spirale qu'on eût dite infinie. Mais je ne pouvais consacrer le moindre coup d'œil à la recherche d'une éventuelle issue, car mon attention était inexorablement attirée par une ombre colossale, qui s'élevait du sol pour se perdre dans l'obscurité tout en haut.

 

Je ne me souviens que peu de cet être redoutable. Comme si j'avais dévoré tout un livre d'une traite, comme si je voulais tenir de l'eau entre mes mains, cette vision m'échappe sans que je ne puisse la fixer. La taille a beau ne pas être le meilleur indicateur de la puissance d'un démon, le fait pour cette entité de dominer ainsi tout ce cercle de l'Enfer était absolument prodigieux. Les plus infimes souvenirs d'une pointe en forme de griffe, de l'extrémité d'une arête osseuse appartenant peut-être à une aile, sont tout ce dont se rappelle mon esprit. Sans doute s'agit-il là d'un mécanisme naturel destiné à me préserver de la folie.

 

Néanmoins, un détail reste gravé de façon indélébile dans ma psyché. Trois gueules, côte à côte, béantes et sans échappatoire. Immenses, mais néanmoins enserrantes. Dans les deux gosiers de part et d'autre, des figures se contorsionnaient. Si j'ignore la nature précise de l'agonie qu'elles enduraient là, il est clair qu'elle était autant immuable qu'éternelle : un interminable tourment.

 

La gueule centrale était vide, un abysse caverneux et dilaté qui réclamait son occupant. Revenant peu à peu à moi, je réalisai que je n'étais pas le seul à me trouver comme hypnotisé par ce spectacle. À côté de moi, le Félon était lui aussi tout absorbé ; on lisait sur son visage l'expression d'une frayeur, d'une peur telle que je ne l'aurais jamais cru capable d'éprouver. Une authentique et sincère épouvante. Il percevait là quelque chose qui faisait vaciller son inébranlable assurance.

 

À ce moment, toute notre attention retenue par le titan face à nous, ni moi, ni mon guide n'eûmes la présence d'esprit de réaliser que nous avions été rejoints par autrui. La voix de Jorguuk dans notre dos nous fit tous deux bondir, le Félon tirant sa lame si vite qu'elle parut se matérialiser dans sa main.

 

« Tu la vois maintenant, n'est-ce pas ? Ta fin. Même si ce lieu tout entier n'existe que pour punir les parjures, un destin tout particulier attend ceux qui se sont montrés coupables de trahison envers l'ensemble de leur race. Reconnais-tu les deux autres ? Voici le pontifex Ursino del Mastro, qui ouvrit les portes d'Avras à Gaius Dexion. Et là, de l'autre côté, Scrottin, le chef gobelin qui renia le Grand Orque de l'Âge d'Or. Mais une place t'est toujours réservée, ô toi, la pièce maîtresse de cette collection de renégats.

 

Tu n'as pas prêté serment à Vanadra. Pas plus que ces deux misérables. Une fois leurs dettes payées, et leurs maîtres ayant recueilli leurs âmes, penses-tu qu'il se trouvât quiconque pour refuser à ma Dame ce qu'Elle désirait ? Quel qu'en soit le prix à payer – et soyez certains qu'il est toujours très élevé –, Elle raffole des traîtres les plus illustres. Sachez-le : tôt ou tard, lorsque la mort vous trouvera, Elle vous attendra. Et moi aussi, je prendrai du plaisir à La contempler vous dévorer ! »

 

Enfin, l'emprise fut brisée, et mon compagnon, se ranimant, passa à l'action. Me poussant vers les escaliers, il s'interposa face au démon de bronze.

 

« Je ne suis pas encore mort, Jorguuk. Cela fait tout un Âge que d'autres tentent de me vaincre. Ils ont échoué. J'ai bien l'intention de faire de mon retour à l'Abysse un véritable triomphe. L'heure du jugement approche, mais ni toi, ni ta maîtresse ne siégeront à la place des juges. À présent, dis bien à ta Dame qu'elle ne m'aura ni en ce jour, ni — si tout se passe selon mes plans — en aucun autre ! »

 

Ceci étant dit, nous gravîmes les escaliers à toute vitesse. Derrière nous, un puissant rugissement d'indignation faisait trembler la pierre sous nos pieds. Je dus plaquer me les mains sur les oreilles pour atténuer la douleur qui battait dans mes tempes. Nous poursuivîmes sans ralentir pendant un temps qui me parut interminable, une marche après l'autre, sans que je n'eusse quoi que ce soit d'autre à l'esprit. Enfin, l'air se fit plus léger, signe certain de la fin de ce long voyage, annonçant mon retour à un monde que jamais plus je ne percevrais de la même manière.

 

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  • 2 mois après...

IX

Nazario revient en Vétie, ou le Félon démasqué

 

Ayant gravi une côte sans fin, j'émergeai soudain sur le flanc de la même colline où je m'étais endormi, semble-t-il, des siècles auparavant. Le vert pâturage sous mes pieds, le ciel azur au-dessus de ma tête, le doux zéphyr soufflant sur mes joues, le gazouillis des oiseaux dans mes oreilles… Je me trouvais vraiment en un lieu idyllique. Mais ce qui me frappa le plus, était l'abrupte banalité du monde qui m'entourait. Beau, mais prévisible ; plein de vie mais, d'une certaine manière, terne. Si je me retournais pour regarder derrière moi, les choses étaient toujours comme je les avais laissées : tout restait identique. Même les ondulations de l'herbe soufflée par le vent paraissaient bien immobiles en comparaison du royaume que j'avais laissé derrière moi.

 

Le lourd pas à mon côté me rappela que je n'étais pas seul dans ce tableau figé. Le Félon examinait les environs, impassible, clairement inébranlé par une transition qu'il avait déjà accomplie de nombreuses fois auparavant. Pourtant, il se dressait le visage relevé, comme pour s'abreuver d'air frais. Je m'attendais à ce qu'il m'abandonnât immédiatement, mais il s'attarda. Lorsqu'il prit la parole, ce fut avec une passion qui me surprit, tant je m'étais accoutumé à son indifférence.

 

« La Vétie. Cela fait si longtemps que je n'avais plus respiré son air. Voilà des siècles que je différais mon retour au pays qui m'exila. Mais le temps de ma mise à l'épreuve est bientôt révolu. Pour le meilleur ou pour le pire, le monde se souviendra de mon nom. Les Askars se rappelleront leur ascendant. Le Solicide foulera de nouveau la terre de ses pieds. »

 

Sur ce, je me voyais enfin remis la clé de l'énigme. L'identité de mon guide m'étant connue, je compris l'honneur qui m'était conféré. Immédiatement, j'entrepris de composer dans mon esprit les nombreux récits que j'écrirais, le présent ouvrage étant le premier d'entre eux. L'occasion exigeait bien quelque solennité.

 

« Félon, je te rends grâce de m'avoir guidé à travers ce périple. Je conçois à présent le chemin tracé pour moi par le Père. Je répandrai le bruit de Sa magnificence, et appellerai de nombreux autres à gonfler Ses rangs. Toute âme vouée à Sa cause sera informée de ta légende. Je te souhaite la bonne fortune lors des prochaines étapes de ton voyage. »

 

Le Félon me considéra un long moment. Enfin, un renâclement rompit le silence.

 

« Puisse le Père me garder des poètes. Très bien, Nazario. Je te souhaite, à toi aussi, le succès. En vérité, je m'étonne que tu aies survécu à cette traversée. Tu as démontré posséder la volonté nécessaire à ton épanouissement. Apprends comme il se doit les leçons de cette expédition, et prêche la cause à tous ceux dotés de la force de l'entendre. »

 

Ceci ayant été dit, il partit à grands pas, et avant même qu'il ne se fût tant éloigné, je ne voyais déjà plus de lui la moindre trace. M'ébrouant, je me préparai à rentrer à Pontefreddo. J'avais à présent un but, une cause à laquelle me consacrer. Attendez-vous dès lors à ce que la prochaine fois que vous entendrez prononcer le nom du Félon, ce sera en conjonction à de grands évènements. Les épreuves du Père sont rarement frivoles : Sa volonté enverra des vagues parcourir la surface du monde.

 

FIN

 

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