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La saga dela Francesca


Invité Mr Petch

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Invité Mr Petch

*

Pizzi rangeait ses affaires sur le bureau, l’esprit encore préoccupé par le sort des bretonniens. Il le savait, on ne les retrouverait jamais. Les êtres de la jungle les avaient happés à jamais. En sortant de chez lui, il vit Bernardo qui attendait :

« - Sais-tu où je peux trouver Malik ? lui demanda-t-il

- Sans doute dans sa maison, sur les quais.

- Je te remercie. Je te confie la boutique en attendant. »

Pizzi marchait le long des quais agités, se réjouissant de la bonne nouvelle qu’il avait à dire à Malik. Il s’en frottait déjà les mains. Cela lui faisait presque oublier les soucis du naufrage.

Il arriva bientôt à la villa que les efforts conjugués de Malik, d’Onatti et du marquis avait presque remise à neuf. Fatma l’avait même personnalisé en y apportant des soieries d’orient, des arabesques exotiques au-dessus des portes, ou des fenêtres à arches peintes en rouge et blanc. Il n’eut pas besoin de frapper à la porte, car il n’y en avait pas, l’entrée était indiquée par une cascade de perles colorées qui produisirent un bruit limpide en s’écartant au passage de Pizzi. Fatma vint à sa rencontre :

« - Mon père ! Que me vaux cette visite ?

- J’aimerais voir Malik, s’il te plait.

- D’accord. J’étais en train de préparer des gâteaux avec quelques dattes sauvages que j’ai récupéré sur un palmier, je vais vous en servir. Avec un peu de thé, bien sûr.

Pizzi acquiesça en voyant Fatma s’éloigner. Il s’étonna en lui-même de la fraîcheur de la pièce principale, mais remarqua tout de suite qu’une large ouverture avait été creusée sur un large patio verdoyant. Certes, les plantes étaient encore à l’état d’arbustes, mais au centre, une cascade en forme de serpent arrosait le reste de jardin. Pizzi reconnut le rocher du serpent. C’était pourtant difficile de le deviner parmi toute cette luxuriance. Il s’assit donc sur une chaise qui donnait sur ce petit jardin et attendit. Fatma arriva, portant un plateau et plusieurs gâteaux. Certains était rose et d’autres plus foncés.

- Ceux-là sont aux dattes et les autres au miel. Malik ne va pas tarder.

Pizzi se saisit d’un gâteau au miel et demanda :

- C’est le rocher du serpent, là ?

- Oui. Une idée du marquis. Il me l’a fait tailler par un artisan. Je trouve que ça donne un côté sauvage au jardin !

Pizzi dégusta son gâteau, se léchant les doigts pleins de sucre collant, puis Malik arriva.

- Malik ! commença-t-il, j’ai une bonne nouvelle pour toi !

- Ah ? fit le jeune arabien étonné.

- Voilà. Il y a quelques jours, Angelo Buffone, le capitaine de La Sperenza est venu me voir. Un de ses marins était mort lors d’une expédition, et il devait absolument le remplacer. Alors voilà, j’ai pensé à toi.

- Moi ?

- Oui. C’est très simple. En ce moment, La Sperenza doit faire des repérages côtiers. Ils ont un maître cartographe à bord, et ils longent toutes les côtes. Ils reviennent à Gilliano une fois par semaine environ. Et leur travail se termine dans deux mois. C’est l’idéal pour toi : jusqu’au départ, tu auras l’occasion de tester la vie à bord d’un bateau, et si ça ne te plait pas, tu pourras toujours renoncer et reste à Gilliano !

Malik sembla réfléchir et calculer dans sa tête, puis il répondit :

- Oui, c’est une excellente idée ! Quand commence le travail ?

- Ils doivent rentrer demain. Je te présenterai au capitaine, tu verras, c’est un homme très sympathique et d’une grande culture. Il connaît bien l’Arabie, et tu lui plairas tout de suite.

- Alors c’est conclu, dorénavant, je serais marin sur La Sperenza ! J’espère que ce nom me portera chance !

Et il se mit à rire. Pizzi se demandait s’il retenait sa joie par pudeur. Malik était définitivement quelqu’un d’étonnant. Soudain, Fatma arriva, accompagnée d’une bonne odeur de plantes séchées :

- Alors fêtons ça ! J’apporte le thé !

Pizzi regarda son petit-fils dont le regard un peu sombre s’éclairait. Il savait que le rêve de Malik était de naviguer par les mers, il allait pouvoir le réaliser désormais. Ils dégustèrent les gâteaux au miel de Fatma lorsque Pizzi demanda :

- A propos… Comment s’est déroulé l’expédition avec Onatti ?

Malik retrouva sa retenue habituelle. Il se pencha un peu en arrière dans son fauteuil et baissa les yeux. Son grand-père compris qu’il ne fallait pas plus lui en parler, lisant dans les yeux noirs de Malik l’ombre froide et insidieuse de la mort, comme une image qui resterait pour toujours gravée dans son esprit. Il chercha vite dans sa mémoire une de ses histoires habituelles à raconter et les ombres se dissipèrent momentanément.

*

Non, Angelina ne pouvait pas demeurer comme auparavant. Démaquillée, laissant exposer à la chaleur du soleil son vrai visage, celui des pleurs et des déceptions, elle se tenait immobile face aux carreaux de sa chambre, ses cheveux blonds en bataille, décoiffés, sur ses épaules, lui donnant un petit air de faiblesse sauvage, celle l’animal blessé qui cherche dans la douleur et le dégoût de soi la seule issue à son malheur. Pour la première enfin, tout ses artifices rompus, rangés dans un placard, toutes ses robes de soirées, ses parures de bal, ses costumes à dentelle, elle les avait lacérés, poignardés, et ils gisaient en boule dans son armoire, comme les cendres froides d’un violent incendie.

Elle avait aussi brisée toute ses glaces, du plus petit miroir de poche jusqu’à la grande psyché en face de son lit. Poudres, fards, onguent, brûlés dans la tempête, et les bijoux tous remisés dans un sac de toile, qu’elle avait suspendu par une corde au lustre de cristal qui ornait sa chambre. Elle cognait parfois dedans pour entendre le tintement métallique des rubis, parures, colliers, bagues en or, bronze ou argent. C’était ainsi qu’elle vivait depuis son orageuse rencontre avec Francesca, enfermée comme une coupable honteuse dans sa chambre. Seule sa petite femme de chambre pouvait entrer, lui apporter une nourriture à laquelle elle ne touchait qu’en cas d’extrême faim, lorsque de son ventre venait la souffrance salvatrice.

Ce n’était pas même que ce combat, ce duel sanglant, l’avait fait réfléchir, et l’avait amené à avoir honte de son comportement de séductrice, de manipulatrice. Non, elle avait encore trop d’orgueil pour cela malgré tout, et c’était si bien inscrit dans son caractère qu’elle ne pouvait s’en détacher, ce besoin de faire du mal aux faibles, de les tourmenter. Si c’était elle qu’elle tourmentait par ses privations et ses colères, c’était bien justement parce qu’elle s’était sentie faible face à Francesca. Elle retournait depuis tout ce temps le scénario dans sa tête, repensait aux manœuvres qu’elle aurait du accomplir, à la maîtrise d’elle-même qu’elle aurait du regarder. C’était de cela qu’elle avait honte, de son incapacité, de son violent échec qui l’avait retourné comme une lame de fonde retourne le plus solide des bateaux d’une seule vague. Malik n’aurait pas du lui échapper, et pourtant, elle consentait qu’il n’y avait plus rien à faire. Mais pourquoi s’y attacher ? Tant de sentiments contradictoires se mêlaient dans la tempête de son esprit, elle ne pouvait que se laisser porter par ses pulsions, qui lui disaient en ce moment de se retirer dans la solitude pour se faire du mal. Elle voulait se punir d’avoir échoué, de ne pas avoir été à la hauteur. C’était le seul moyen de se raccrocher encore à son piédestal : se faire souffrir elle-même, comme l’ultime victime de ses caprices.

Dans la cour le jardinier qui entretenait les arbres et les parterres. Elle l’avait séduit l’année dernière, puis rejeté quelques mois plus tard. Il lui semblait trop stupide pour lui en tenir rigueur et la regardait encore comme une déesse. A cet instant, Angelina espérait qu’il tournât la tête dans sa direction, pour qu’enfin, depuis ce long isolement, un regard admiratif se pose sur elle. Mais il continuait son jardinage comme si de rien n’était, ne se sachant pas observer d’une façon aussi suppliante, presque autoritaire. Angelina vit son petit frère Bernardo qui rentrait. Sans doute de chez Pizzi. Lui avait du être ravi de savoir sa défaite, il devait même s’en réjouir chaque fois qu’il la voyait assise à sa fenêtre – oui, elle croisait parfois son regard cruel caractéristique de la fratrie. Peu importait, d’ailleurs. Pour Angelina, le jugement de Bernardo n’avait aucune valeur, pas plus que celui de son père qui la suppliait de se montrer. Depuis quelques jours il s’était calmé, Angelina avait cru comprendre qu’il avait quelques problèmes avec le gestion de la ville qui lui prenait trop de temps. Cela aussi n’avait aucune importance.

Elle avait avoir été effrayée par le regard de feu de Francesca. Il ne contenait pas de perversion ou du cruauté – une fille du peuple était bien incapable de connaître ce genre de sentiment – juste de la colère bestiale et du triomphe. Francesca, peut-être, ne lui en voulait-elle même pas… Et cela l’angoissait encore plus, de se dire qu’elle n’était plus capable de faire mal.

Elle se rongea les ongles avec virulence, s’arrachant même quelques bouts de peaux. Puis comme le jardinier semblait insensible à ses suppliques, elle se leva et alla tourner en rond dans sa chambre. Elle regarda l’assiette posée sur sa table de chevet qui contenait quelques tomates et des pommes de terre. « Vous devriez manger, mademoiselle, ce n’est pas raisonnable », lui avait dit sa femme de chambre. Ce après quoi Angelina lui avait mis une violente claque, et la petite était partie en courant dans le couloir. Faire souffrir par instinct, ça lui était revenu.

Elle prit entre ses mains la tomate et la sentit. Elle avait une odeur fraîche et savoureuse, qui ne demandait qu’à être mangée. Mais Angelina avait une autre idée. Elle ouvrit sa fenêtre, laissant entrer un air chaud et étouffant. Puis, elle se concentra pour lancer la tomate qui atterrit sur le dos du pauvre jardinier tout étonné. Il ne se retourna pas assez vite pour voir Angelina pouffer en se cachant derrière le rideau.

Elle entendit soudainement des éclats de voix derrière la porte et vint y coller son oreille. C’était son père qui criait. Certainement pas après sa mère, il en aurait été incapable, et d’ailleurs celle-ci, qui devait être ses côtés, lui répondait par son habituel ton glacé. Le marquis de Caradras semblait en colère après les notables de la ville. « Gilliano va vers la débauche, c’est la fin de tout, ils ne se rendent pas compte et n’agissent que pour leur propre intérêt ! ». Il parlait avec véhémence mais dans le vide, ces interlocuteurs n’étant pas là. Et les paroles de sa femme n’était pas là pour le rassurer. « Ce sont tous des idiots, tu le sais très bien. Je t’avais dit que nous aurions du quitter cette ville puante depuis longtemps. Tu aurais du m’écouter, une fois de plus. Ces quartiers visqueux s’étendent trop à mon goût ! » Le marquis avait repris d’une vois plus calme : « Il s’agit de ça en effet, et j’aurais besoin d’argent, de beaucoup d’argent. » « Pourquoi ne les expulses-tu pas, ces pauvres ? » « Ce ne serait pas moral… Et même pour ça que je n’ai pas une milice assez grande. »

Il y eut un silence. Le marquis devait réfléchir. Et puis les voix se firent plus éloignées, et Angelina ne put continuer à suivre la conversation. Elle s’assit à même le sol, un peu étonnée. Certes, elle avait été bien éloignée de toute les préoccupations politiques ces derniers temps, elle qui auparavant s’amusait des grâces et disgrâces des bourgeois de la cité. Et là, tout cela remontait à la surface. Elle aurait aimé comprendre.

Comme en réponse à ses interrogations, une vox lança derrière sa porte :

« - Ouvre Angelina. C’est moi.

C’était le ton autoritaire de sa mère.

- Non.

- J’ai une proposition à te faire.

La voix était nette et n’acceptait pas d’objections. Angelina écouta :

- Ton père doit partir dès ce soir pour une affaire importante en Tilée. Il emploiera un de ses frégates personnelles, il y aura peu de monde. Je pense que tu devrais partir avec lui et rester un moment là-bas, en Tilée, chez ton grand-oncle le vicomte d’Ilona. Tu devrais.

Angelina hésita. Elle aurait voulu se regarder mais il n’y avait plus de glace, alors elle ouvrit la porte de sa chambre. La figure sévère de sa mère apparut sous ses yeux de petite fille.

- Ce cher vicomte a été mon amant à une époque, nul doute qu’il acceptera sans hésiter de t’héberger. On m’a dit qu’il a un petit-fils des plus charmants. On dit aussi que c’est son seul héritier. »

*

La nuit étant tombée, on distinguait à peine les deux silhouettes qui marchaient côte à côte dans la descente menant du manoir de Caradras au quai. La frégate privée du marquis nichait dans une petite baie un peu à l’écart du port, et il fallait passer au milieu des maisons silencieuses. Le marquis de Caradras fit signe à sa fille de descendre. Elle sautilla de pierre en pierre avec une grande souplesse, avant d’atterrir sur la terre ferme. La pente continuait ensuite jusqu’à la baie.

« - Je suis content que tu aies accepté. C’est ta mère qui a eu cette idée mais je pense qu’elle est judicieuse.

Angelina ne répondit pas. Elle ne voulait pas s’abaisser à reconnaître qu’elle avait eu tort de s’enfermer. Alors elle changea la conversation :

- Pourquoi dois-tu aller en Tilée ?

Le marquis soupira :

- C’est un peu compliqué, de la politique, toujours de la politique, je ne suis pas très doué pour ça. Je dois aller exposer au prince de Remas, qui a la tutelle de cette colonie la situation qui ne tardera pas à virer au chaos. Comprends. Je suis coincé entre les bourgeois qui estiment que tout va très bien et qu’il faut continuer à vivre de la même façon et les pauvres du quartier est, chez qui je sens le vent de la rébellion. Il faut faire quelque chose d’une façon ou d’une autre, je ne contrôle plus rien.

Angelina râla un peu. Elle n’aimait pas quand son père parlait comme ça. Elle l’avait toujours trouvé trop humble et lâche (deux défauts qui, à son avis, allaient de paire). Mais elle n’était pas encore tout à fait remise pour lui envoyer une pique, alors elle demanda :

- Et que penses-tu qu’ils vont faire ?

- Disons que je vais essayer de les convaincre de me donner de l’argent pour aider les pauvres. Il va falloir jouer serré, sinon, ils enverront sans doute une milice pour étouffer la rébellion dans l’œuf, et expulser les pauvres. Mais je ne suis pas vraiment pour cette méthode. Ces pauvres gens ne méritent pas d’être expulsés.

Angelina râla de nouveau. Voilà encore des paroles qu’elle n’appréciait pas vraiment. Mais elle ne put répondre car son regard fut attiré par la maison d’Onatti, dont une des fenêtres étaient allumée, juste au-dessus de la rue. C’était peut-être celle de Francesca se dit-elle, et elle sentit un frisson dans son dos.

- Angelina, ne traîne pas ! »

Il était temps qu’elle s’en aille. Elle se hâta de rejoindre son père, remarquant au loin une lumière qui devait être celle de la frégate.

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Invité Mr Petch

*

La nouvelle du départ imprévu du marquis de Caradras fit très vite le tour de Gilliano. Chacun y allait de son avis : avait-il fuit la ville par lâcheté, ou bien était-ce réellement, comme le disait sa femme qui avait prit momentanément la suite de ses affaires, pour négocier avec les princes de Remas ? Mais le plus surprenant était qu’il avait fui avec sa fille. Nouvelle qui démoralisait un peu ces nombreux soupirants qui voyaient là partir non seulement une futur femme d’une beauté incomparable mais aussi une riche dot non-négligeable. Toutefois, il restait en ville une personne qui se réjouissait plutôt de ce départ inopiné.

Les yeux de Francesca avaient lui des étincelles de la victoire lorsqu’elle avait appris de la bouche de Malik que la jeune Angelina de Caradras avait quitté la ville pour une durée indéterminée. Elle avait alors sauté au cou de son fiancé et l’avait embrassé sauvagement, recherchant dans sa bouche le plaisir le plus intense que procure la récompense qui vient couronner une réussite, un trophée que l’on ne cesse de regarder avec avidité. Elle avait étreint Malik à plusieurs reprises, ne se tenant plus vraiment, comme une bête de la jungle. Lui était surpris d’une telle manifestation de joie, mais se laissait faire docilement.

« - Je suis heureuse ! Si heureuse Malik !

- Heureuse ? Mais pourquoi donc ?

Elle lui avait jeté un bien étrange regard, de la joie mêlé à de l’orgueil, et du désir.

- Car tu es tout à moi maintenant !

Malik ne comprenait pas vraiment, il se détacha un peu de son étreinte, et lui demanda :

- Je ne comprends toujours pas ce que tu veux dire…

- Cette fille Angelina… Sais-tu… Sais-tu… (Francesca haletait un peu, comme sous le coup de sentiments trop intenses). Sais-tu qu’elle est venue ! Oui ! Elle est venue il y a de cela plusieurs mois, maintenant, pour me demander de t’abandonner ! Elle te voulait pour elle toute seule, oui !

- Angelina ? Oui, je reconnais bien qu’elle m’a fait quelques avances mais je ne pensais pas que…

- Tu es bien naïf, dit-elle en souriant. Mais j’avais réussi à l’époque à la renvoyer dans ses filets. Je ne pensais pas que l’effet en serait aussi efficace…

Elle se frotta encore lui, plein d’affection. Lui ajouta :

- Puisque nous sommes dans les bonnes nouvelles… Sais-tu que j’ai été embauché sur La Sperenza, qui fait des repérages le long des côtes ?

Francesca ne réagit pas, encore dans ses pensées.

- C’est une très bonne chose, tu sais. Le navire a encore un mois de repérages à faire, et après, il rentre en Estalie.

- Estalie ?

Ce mot sonna comme un joyau à l’oreille de Francesca.

- Nous avions dit Estalie, c’est cela ? ajouta-t-elle.

- Oui, c’est ce que nous avions dit. Normalement, La Sperenza ne prend pas beaucoup de passagers, mais il sera facile de te faire entrer…

- Oui.

- Et là, nous irons en Estalie et nous nous installerons là-bas avec ton argent. Ça me semble parfait.

- Parfait oui…

Francesca hésita un peu et demanda :

- Crois-tu que je doive en parler à Beppo ?

- Je ne sais pas…

- Je ne sais pas s’il prendrait bien la nouvelle de mon départ. En même temps, je ne vois pas pourquoi je serais enfermée ici !

- Tu lui manqueras sûrement, il t’a beaucoup aidé, en réalité.

- Tu ne vas pas prendre sa défense ! Oui, il m’a dit lorsque j’en avais besoin, mais je suis libre tout de même !

- Et les enfants ?

- Nous les prendrons avec nous, n’est-ce pas ?

- Oui… conclut Malik, et il lui déposa un baiser sur le front.

- Dans un mois alors, je serais prête…

- Maintenant je dois partir, Francesca… Au revoir. »

Ils s’embrassèrent à nouveau au milieu du jardin fleuri qui annonçait une nouvelle saison douce et riche. Il y avait quelque chose d’un peu trop parfait dans cette étreinte au milieu des cerisiers roses. Les arbres encerclaient les deux amoureux et dans cette cage végétale, le bonheur qui transpirait des deux corps bouillonnants de Malik et Francesca n’arrivait pas à se fondre dans le décor. Peut-être faisait-il bien trop chaud pour accueillir plus de chaleur. Ou peut-être n’était-ce qu’une impression. Lâchant Francesca, Malik s’échappa rapidement par la maison. Francesca ne le raccompagna pas, elle n’aimait pas les adieux et préférait rester dans le petit patio, juste à l’endroit où ils s’étaient embrassés pour en ressentir encore le bien-être. Elle mit du temps avant de se décider à rentrer. Beppo et les enfants étaient chez Fatma. Qu’allait-elle faire seule dans cette grande maison ?

Elle avait entendu du bruit au premier étage en entrant dans le grand salon. Peut-être était-ce encore Malik, mais elle ne voyait pas pourquoi il serait ainsi resté. Elle fronça les sourcils, marchant à pas feutrés sur les grands tapis de salon. Elle écrasa la peau du puma qui recouvrait le plancher juste devant les marches, un énorme animal à la gueule béante et aux dents longues comme des poignards, puis se décida à risquer un regard en haut des marches.

Il n’y avait personne dans le couloir. Pourtant elle avait bien entendu un bruit. Et ce bruit se répéta encore, oui, un très léger murmure de voix et des pas boitant un peu. Elle recula un peu et se mit à réfléchir. Ce n’était pas la première fois que quelqu’un s’introduisait dans la villa. Des hommes de Lupo ? Ou de simples cambrioleurs ? Il ne fallait pas toujours craindre le pire… Lupo l’avait laissé tranquille jusque là, grâce à Miranda, alors pourquoi aujourd’hui ? Les bruits avaient cessé mais ce n’était pas assez pour qu’elle franchisse l’escalier. Malgré une évidente assurance, il y avait encore en elle une très légère faille, une lézarde sinueuse de crainte et de suspicion. Ce sentiment avait du naître avec sa « détention » chez Onatti. De nombreux mois à guetter si personne ne venait lui faire du mal. En somme, ce n’était que depuis l’arrivée de Malik qu’elle sentait en elle plus de liberté d’action, moins de peur paranoïde. Et cette personne au premier étage ?

Les bruits avaient complètement cessé. A peine entendait-elle de très légers tintements qui pouvait être un simple effet du vent, ou un bruit de l’extérieur. Il faisait grand jour, elle n’avait aucune raison de s’inquiéter. Au pire se réfugierait-elle dans le patio, et Beppo ne devait pas tarder. Quelle malchance que Malik soit parti trop tôt, lui aurait su quoi faire.

Elle s’approcha de la porte d’entrée de la villa pour l’étudier. Il n’y avait pas le signe d’une serrure forcée. Comment était-il entré ? Elle vérifia les fenêtres, mais toutes étaient fermées, il faisait plus frais à l’intérieur qu’à l’extérieur. Une autre étrangeté donc. S’il avait profité de la sortie de Malik, ce dernier l’aurait vu. Une image s’imposa alors dans l’esprit de Francesca comme un monstrueux fantôme. Angelina et ses mèches blondes, sa voix aiguë et ses tenues brodées de fil d’or. Elle n’était pas parti, ou alors elle était revenu d’une manière ou d’une autre ! C’était là encore une de ses fourberies, pour mieux tromper Francesca, que de faire croire à son départ. Endormir l’adversaire. Et à présent, elle fouillait dans ses affaires, l’audacieuse jeune fille ! Et si elle fouillait, peut-être allait-elle découvrir… le magot ! Francesca se saisit d’un petit poignard qui servait de coupe-papier et monta les marches à toute allure.

C’était bien sa chambre qui était ouverte. Comme une furie, elle s’y précipita, bien décidée à faire fuir l’intruse. Bondissant sur le seuil, elle apparut avec son couteau dans la main. La première chose qu’elle vit fut son trésor répandu sur le lit. Et puis ses yeux effarés se cristallisèrent sur l’homme qui l’observait avec la même stupeur – sauf qu’on sentait aussi chez lui de la crainte, alors que la rage dominait encore un peu chez Francesca malgré la surprise.

« - Qu’est-ce que c’est que ça, Francesca ? demanda Onatti.

- Que fais-tu ici ?

- Je suis rentré plus tôt que prévu. Je recherchait un de mes livres. Et en fouillant sous ton lit, j’ai trouvé… ça.

Il avait un peu hésité en s’expliquant, comme si ce n’était pas totalement la vérité. Francesca rangea son couteau à sa ceinture et répondit avec aplomb :

- Ce sont mes richesses personnelles. Elles m’appartiennent.

Beppo, incrédule, s’approcha d’elle. Elle était sur la défensive, un peu à l’écart, la main sur la hanche près de son couteau.

- Tu ne m’en as pas parlé.

- Oui, c’est vrai. C’est ce que j’ai pris à Lupo en m’enfuyant. Mais tu…

Il tenait dans ses doigts un pendentif représentant un voilier, avec les voiles en ivoire. Elle s’élança pour lui prendre des mains en hurlant :

- N’y touche pas !

Onatti déclara doucement :

- Ce pendentif… Il appartenait à mon ancien maître, l’amiral Caglioscoli. La dernière fois que je l’ai vu, c’était au cou de son fils…

- C’est le seul souvenir que j’ai de lui.

- Pourquoi penses-tu à lui ?

Elle répondit d’une façon agacée, serrant entre ses mains le pendentif comme si elle allait le briser :

- Je ne pense pas à lui… Mais tout cela est à moi !

- Tu as volé cet argent…

- Voler à un voleur. Ce n’est plus du vol, mais de la justice.

Lui était derrière le lit, les yeux roulant sur les bijoux dorés et sur les pièces de monnaie en bronze ou en argent. Elle le fixait intensément, carrée sur le seuil de la porte, attendant la moindre de ses paroles pour la parer comme une attaque.

- Tu aurais du m’en parler…

- Pourquoi ? J’ai le droit d’avoir de l’argent à moi.

- Oui, certes. Mais nous aurions pu l’utiliser pour élever les jumeaux d’ailleurs je te propose de…

- Tu ne proposes rien ! l’interrompit-elle brusquement. Je garde cet argent pour autre chose !

Onatti regarda la belle Francesca qui lui faisait face, qui le tenait en joue. Il cherchait en lui la force, mais en vain. Essoufflé, il demanda :

- Pourquoi le gardes-tu ?

Connaissait-il la réponse ? Il tremblait un peu et respirait lentement pour ralentir les battements vifs de son cœur. Il crut que la lumière baissait dans la pièce mais c’était ses yeux qui le trompaient.

- Je vais tout te dire, Beppo, même si je regrette que tu l’apprennes ainsi. Mais dans un mois, je vais partir avec Malik. Partir loin de Gilliano, pour l’Estalie sans doute. Je ne pense pas que nous ne reverrons par la suite, sais-tu. Le hasard peut-être… Fatma, Pizzi…

La dernière phrase n’était là que par justice, car cela blessait un peu Francesca de faire de la peine à Onatti. Elle voulait lui ménager un espoir, mais il ne le compris pas ainsi :

- Que dis-tu ? Partir ! Mais c’est absurde, Francesca ! Tu ne peux pas partir ! Et les enfants ?

- Nous les emmènerons avec nous. Ils auront Malik comme père.

- Tu ne peux pas faire ça ! Tu ne peux pas me laisser ici seul !

Francesca sentit une sorte de supplication dans la voix d’Onatti. Elle revit brusquement dans son esprit la multitude de portraits de sa femme, qui envahissaient les murs de sa chambre comme l’empreinte d’un fantôme évanoui. Elle revit cette femme magnifique qui, peut-être, lui ressemblait. C’était ça qu’il y avait dans la voix d’Onatti.

- Tu ne me tiens pas enfermé. Je ne suis pas ta prisonnière.

Elle avait dit ça d’un ton plus calme mais ferme. Lui semblait bouillir, ses mains tremblaient et son visage se mettait à transpirer.

- Tu me dois la vie et tu partirais comme une fille ingrate ?

- Mais… je ne suis pas ta fille, Beppo. Et Pietro et Federico ne sont pas tes enfants non plus…

De quoi avait-elle peur à présent ? Pourquoi sa main se crispait-elle sur le petit poignard. Elle jeta un regard dans le couloir vide derrière elle. Elle s’y précipita à toute allure claquant la porte derrière Onatti qui répétait encore :

- Tu ne peux pas t’en aller, pas toi, Francesca… »

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Invité Mr Petch

Gare pour les retardataires : deuxième arrivage de la journée :whistling: Bonne lecture!

*

L’ingénieur vérifiait les derniers calculs. Il les reporta minutieusement sur une vaste carte quadrillée et, comme la nuit s’imposait presque totalement, il alluma une petite lampe de chevet qui éclairait tout son établi. La lumière se fit sur le large plan représentant toute la côte. Un travail de titan qu’il exécutait depuis plus de six mois maintenant, avec l’aide de l’équipage de La Sperenza, et cela pour le compte du signore Giacomo Caglioscoli. Il payait bien pour ce travail et ça en valait la peine. Cette opportunité avait permis à l’ingénieur de quitter ses livres de compte et ses paperasses ennuyeuses de l’université, il pouvait travailler sur le terrain, étudier observer ces côtes aux découpages si sauvage, si neufs, si complexes qu’on les auraient dites tracées par quelque démon mauvais, ou par un dieu cruel. Ces découpures sinistres, comme une immense lézarde sur la carte jaunie, étaient comme la crête d’un dragon, il y avait cette force dans les rochers, cette bestialité jusqu’au pied des falaises où venaient mourir les vagues. Et la jungle en arrière-plan qui présageait et faisait penser au pire. Et rien n’est plus horrible que l’imagination humaine lorsqu’elle se met en branle. Il traça encore quelques lignes pour indiquer leur position. Aujourd’hui, La Sperenza rentrait au port pour la dernière fois. Demain, dans l’après-midi, ils repartiront pour l’Estalie cette fois, une cargaison d’armes à aller chercher pour le signore Caglioscoli. L’ingénieur admira le fruit de son travail, rangea son compas et son sextant puis alla rejoindre les hommes rassemblés sur le pont.

Le capitaine Angelo Buffone les haranguait. Un homme portant de gros favoris sur les joues qui le vieillissait, et avec un regard vert un peu perdu au milieu du bleu de l’océan. Bien que, à l’heure où l’ingénieur remontait sur le pont, la nuit avait finie par tomber, surprenant l’équipage qui n’était pas encore arrivé à Gilliano. L’ingénieur se prit à écouter le discours du capitaine :

« Je suis vraiment fier de votre travail et de votre comportement. Le voyage ne sera plus très long, et maintenant que ce cabotage est terminé, nous allons reprendre la route du véritable océan, de la pleine mer. L’Estalie et puis retour en Tilée. Vous serez payé pour votre travail une fois que nous auront accostés en Estalie. Là-bas, ceux qui voudront repartir pourront le faire. Si certains restent à Gilliano, qu’ils passent dans mon bureau pour que je leur donne l’argent. Ceci étant dit, nous avons encore une petite route avant d’accoster à Gilliano, plus beaucoup de temps. Reposez-vous bien car demain matin, il faudra être en forme pour le départ ! »

Les marins applaudirent, il y eut des cris. Buffone était un capitaine apprécié pour son calme et sa sobriété. Il se contentait de naviguer et ne dérangeait jamais inutilement ses hommes, n’empiétant jamais hors de son travail de capitaine. Et s’il prêtait main forte aux hommes parfois, c’était pourle bien du groupe.

La petite communauté des marins s’éparpilla sur le pont. Ils devaient être une trentaine, pas plus, La Sperenza n’était pas un immense navire, comme les vastes caravelles ou les vaisseaux de ligne que possédait le signore Caglioscoli. Simplement un navire d’exploration et de transports. L’ingénieur regarda le paysage, accoudé à la rambarde du pont. Il voyait très loin le phare de Gilliano, un point lumineux dans le ciel qui clignotait régulièrement. Il y avait aussi les quelques lumières de la ville, mais il était fort tard et la cité devait être endormie. Il n’avait pas vu la journée passer, il régnait sur le bateau un petit vent de nostalgie, celui du départ. Ceux qui restaient – très peu nombreux – avaient fait leurs adieux, les marins avaient organisé un petit orchestre et le travail de reconnaissance avait été très rapide – il ne restait qu’une petite baie enclavée derrière une presqu’île. L’ingénieur, qui ne faisait pas réellement parti de la bande des marins, avait bien aimé cette étrange ambiance, appuyée par l’alliance du vent et du soleil courante à la saison douce. Il avait beaucoup aimé la vie à Gilliano, un petit paradis encerclé par la jungle et l’océan. Même s’il n’était là qu’en tant qu’observateur provisoire et qu’il avait cru comprendre que la cité traversait une espèce de crise. Le marquis de Caradras, éminence de la ville, n’était pas revenu depuis un mois, et chacun l’attendait avec impatience. Qu’allait-il se passer à son retour ? Certains disaient une révolte, d’autre disaient le retour à l’ordre. Dans tout les cas, l’ingénieur n’allait plus être là pour le savoir, il allait partir pour une nouvelle aventure. Partir oui.

En marchant le long du pont, il remarqua les marins qui manœuvraient de lourdes voiles, tirant d’imposants cordages. L’un d’eux, un homme basané qui devait sans doute venir d’Arabie – que faisait un arabien à Gilliano ? Amusante situation. – se détacha du groupe et sa silhouette discrète sembla se diriger vers la cabine du capitaine. L’ingénieur le suivit des yeux. Il s’engouffra dans l’ombre d’un des mâts et disparut. L’ingénieur poursuivit sa promenade nocturne, entraîné par les cris d’encouragement des marins. Gilliano n’était plus très loin à présent.

Malik frappa à la porte de la cabine principale. Une voix grave lui demanda d’entrer. Il s’exécuta.

C’était une cabine assez large, digne d’un noble capitaine, avec une grande armoire de livres et de cartes tout au fond. Lorsqu’il entra, Malik eut l’impression que le capitaine Buffone lui dissimulait quelque chose sous une carte de navigation. Il ne le regarda pas, l’invitant simplement à s’asseoir avant de lui demander :

« - Malik… Que veux-tu, mon jeune ami ?

Buffone ne devait pas être beaucoup plus vieux que Malik. Trente ans peut-être, trente-cinq. Quarante avec ses favoris et son crâne prématurément chauve. Il reposa une plume pleine d’encre qu’il tenait à la main et attendit la réponse du jeune marin :

- Voilà, c’est très simple. Je souhaite inviter une personne à venir sur le bateau, est-ce possible ?

Le capitaine le regarda d’une façon bienveillante.

- Oui, bien sûr, pourquoi pas. Normalement, La Sperenza ne doit pas transporté des passagers, ordre du signore Caglioscoli, mais je peux faire une exception, évidemment.

- Très bien, je vous remercie. J’ajoute aussi que je m’arrêterai en Estalie.

- Soit. Nous aurons assez de marins pour terminer la route jusqu’à Remas, ne vous inquiétez pas. Et puis nous ne transportons pas d’or, les pirates nous laisseront tranquille.

- Merci encore… Je retourne au travail.

- Bien. A demain. »

Malik quitta la cabine. Le capitaine entendit la voix de la vigie qui annonçait Gilliano en hurlant. Ils allaient débarquer. Ils laisseraient les marins aller à leur guise pendant la nuit, en les prévenant bien d’être à l’heure demain matin, et en forme. Mais il se félicitait d’avoir un bon équipage, et ne craignait pas de dérapages.

Vérifiant si sa porte était bien fermé, il sortit de sous la carte une petite feuille manuscrite et commença à aligner des mots avec application sur la page. Parfois, il s’arrêtait pour réfléchir, puis continuait sa besogne. Il souriait en écrivant, comme si cette activité lui procurait du plaisir. A un moment, il se leva et alla à sa fenêtre, on voyait à travers les vitraux colorés de la poupe de la bouteille du bateau l’étendue de la mer. Pris d’inspiration, il continua à écrire.

Soudain, on frappa à sa porte. Comme pris sur le fait, il rangea le manuscrit sous la carte et lança un sévère « Entrez ». Un des marins apparut :

« - Un homme souhaiterait vous parler. Et les marins attendent les ordres pour la nuit.

- Fais-le entrer, et dis aux hommes que j’arrive après cet entrevue.

- Bien mon capitaine ».

Le marin disparut, laissant le temps au capitaine Buffone de ranger son matériel et sa plume. Il vit entrer dans sa cabine un petit homme trapu qu’il reconnut de suite. Le capitaine Onatti. Il l’avait côtoyé durant sa jeunesse pour un court voyage vers l’Estalie. Il se souvenait de ce petit bonhomme sage et discret. Il avait aussi été au service de Caglioscoli, mais du père.

Onatti s’avança, s’assit sur la chaise que Buffone lui présentait et en vint au fait :

« - Voilà. J’aurais plusieurs questions et des demandes à vous faire.

Buffone le regarda dans les yeux. Le capitaine à la retraite avait réellement l’air décidé, et un peu fâché aussi.

- Allez-y, je vous écoute.

- C’est une demanda plutôt étrange, vous allez me dire, oui. Vous n’êtes bien sûr pas obligé d’accepter si ça vous semble trop… osé de ma part. Mais c’est très simple : j’aimerais que La Sperenza parte demain matin très tôt, si possible avant le lever du soleil.

Buffone le regarda avec une surprise froide. Onatti avait pourtant l’air parfaitement conscient de ce qu’il disait.

- C’est vraiment une demande… étonnante, capitaine Onatti. Je ne sais pas si je peux vous satisfaire…

Onatti eut l’air un peu dépité. Mais pas trop, comme s’il s’y attendait. Buffone continua :

- Comprenez… J’ai dit aux hommes que nous partions dans l’après-midi… Ce serait délicat de modifier.

- Certes. Mais la mer est plus calme demain matin, j’ai pris des renseignements. Et vous ne prenez pas de passagers.

- Avez-vous une raison de me demander cela ?

- Je pense juste que ce serait mieux pour le bateau, pour la navigation. Vous savez qu’il y a des risques de tempête en mer en cette saison, surtout vers le nord. Si vous partez plus tôt, vous pourrez peut-être les éviter.

Buffone se doutait que ce n’était pas là sa seule raison. Mais il ne voulait pas insister. Onatti continua, en parlant un peu plus fort cette fois :

- Voyez, j’ai été pendant longtemps le second de l’amiral Caglioscoli. Vous l’avez connu n’est-ce pas ? Le père de votre armateur actuel.

- En effet.

Onatti attendit un moment, et, une fois de plus, étonna de capitaine :

- Que pouvez-vous me dire sur Giacomo Caglioscoli ?

- Le signore ? C’est un homme plutôt étrange. Il parle peu. Mais il possède une extraordinaire fortune. Et beaucoup à Remas le considèrent comme un héros : pensez, il s’est perdu dans la jungle et est parvenu à en sortir au terme de plus de deux ans d’errance ! C’est un survivant de la jungle. Il en parle peu, je vous l’ai dit, mais toujours est-il que son argent lui a permis d’accéder aux marché de la navigation, et il finance de nombreuses expéditions. Il est encore jeune et on pense qu’il n’aura aucun mal à entrer au service des princes de la ville à long terme. C’est un fin politicien et un excellent orateur ! Mais malgré tout, je vous le dis, il est… mystérieux…

- Alors il n’a pas trop changé… murmura Onatti.

- Vous l’avez connu ?

- Oui.

Onatti ne jugea pas opportun d’en rajouter. Il fixa le capitaine Buffone, que l’évocation de Giacomo Caglioscoli semblait avoir mis en confiance.

- Alors pour ma demande ?

- C’est délicat, mais je pense que je vais y accéder. J’ai aussi peur de la tempête et si j’ai annoncé le départ dans l’après-midi, c’est pour que les hommes se reposent le matin…

Il cherchait visiblement ses mots. Puis il acheva sa phrase :

- Mais comme un vieux marin me dit qu’il vaut mieux partir tôt dans la matinée, je vais faire le nécessaire. A commencer par annoncer aux hommes qu’ils ne peuvent pas sortir très tard ce soir. Ils ne seront pas d’accord, mais que voulez-vous !

Buffone se leva et tendit une main à Onatti qui la serra avec ardeur.

- Je vous remercie capitaine ! Oui, je vous remercie infiniment pour ça.

Comme Onatti se levait, son regard fut attiré par l’étagère de livres derrière Buffone.

- Je reconnais cette reliure… C’est un roman d’aventure…

- Oui, en effet, je suis un grand lecteur.

Onatti lui sourit.

- Moi aussi… Quel hasard ! Je pensais être le seul capitaine-lecteur.

- Hé bien non…

Buffone le regarda de nouveau. Onatti attendait qu’on lui ouvre la porte, mais Buffone eut une autre question :

- Dites-moi… Si vous lisez, je vais vous laisser un cadeau…

Il extirpa de sous sa carte le manuscrit qu’il tendit à Onatti. Dessus se trouvait un poème que l’ancien capitaine parcourut rapidement.

- Cela m’a l’air bon… Ainsi vous écrivez en plus !

- Oui… C’est un passe-temps qui me passionne. Je ne vais pas rester à la marine jusqu’à l’âge de la retraite… Sans vouloir vous offenser, capitaine.

- Il n’y a pas de mal, moi aussi j’aurais beaucoup aimé savoir écrire. Malheureusement, je n’avais que de piètres dons. Votre cadeau me touche.

- Ainsi nous nous comprenons. »

Buffone sourit en ouvrant la porte à Onatti qui sortit sur le pont obscur. Quelques marins, les plus gradés, attendaient les ordres. Onatti en interpella l’un d’eux :

« - Savez-vous où se trouve Malik ?

- Il a débarqué dès l’arrivée à Gilliano ! Il avait l’air pressé.

Onatti sourit et répondit :

- Parfait, oui, c’est parfait. »

Il sortit du bateau et regagna la terre ferme en relisant le poème de Buffone.

Je regarde dehors le ciel qui décroît

Sous les fumées grisâtres qui surplombent les toits

Un vol d’hirondelles parcourent les nuages

Et s’anime soudain vers un trop long voyage

Voyez où il nous mène, cet horizon amer

Dans des mers miroitantes, attirant les marins

Où dans le ciel salé et encore plein de mer

Il nous perd, il nous garde, tous, morts ou bien vivants

Mais moi, j’ai résisté, aiguisé mes couteaux

Vaincu la bête vile retournée dans les eaux

Je l’ai achevé enfin, créature sans âme

J’ai inscrit pour toujours son nom noir sur ma lame

Capitaine honorable, pilote de la gloire

Mes mains souillées de sang arrachèrent la victoire

Sous mes coups il a fui, terré sous les embruns

C’est moi qui l’ai vaincu, mais suis-je encore humain ?

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Invité Mr Petch

*

C’était un petit matin blême qui réveilla Francesca. Une brume de chaleur étouffait la ville comme une chape de plomb, la faisant bouillir et frémir. Ce spectacle irréel faisait apparaître sur les carreaux de fines gouttelettes de rosée, comme de la pluies, ou comme des larmes. La lumière du soleil, encore un peu blafarde, le soleil ne s’étant levé que depuis peu de temps, filtrait à travers ces gouttes et des arcs-en-ciel miniatures, brillants comme des rubis, se trouvaient enfermées dans les écrins d’eau. Comme une myriade de minuscules paradis éclatés sur le carreau.

Francesca ne faisait guère attention à ces préoccupations météorologiques, l’esprit bien trop enfiévré par des projets fous. Malik, l’Estalie… Elle y avait rêvé toute la nuit, à ces terres lointaines. Il lui semblait que sa vie n’était là que pour ça, que pour y vivre bienheureuse. Le seul moment heureux de sa vie, sans doute. Et il approchait à grands pas à mesure qu’elle enfilait sa robe, ses chausses, qu’elle se coiffait, arrangeait son maquillage et ses bijoux. Elle cala aussi un revolver à sa ceinture, précaution que lui avait dictée Malik, il craignait que Lupo la fasse encore surveiller. Elle rangea le magot dans le grand sac rouge et ouvrit délicatement la porte.

Il fallait vérifier que Beppo ne soit pas levé. Elle s’engagea dans le couloir et colla son oreille contre une des portes. Entendant le vieux capitaine ronfler de l’autre côté, elle sentit son cœur battre de plus belle, comme si enfin le rêve devenait réalité, comme si une mince porte de sortie s’ouvrait tout à coup dans sa prison. Elle descendit les marches et, une fois au rez-de-chaussée, ouvrit la porte d’entrée et sortit à l’air libre.

Elle n’aurait qu’à se faufiler à bord de La Sperenza. Malik irait ensuite lui-même chercher les enfants et s’expliquerait avec Onatti. Si besoin était, il s’aiderait de Pizzi et de Fatma. Elle devait se cacher dans le bateau, au cas où. C’était le plan qu’ils avaient convenus lorsque Malik était venu la voir, hier en pleine nuit, juste à l’arrivée de La Sperenza. Ils n’avaient pu se voir que du balcon, mais le baiser que lui avait envoyé Malik d’en bas, à la faveur de la chaleur nocturne qui déjà devenait étouffante, lui avait paru brûlant de désir. Elle s’était donc hâté de s’endormir pour être plus vite à demain.

Alors qu’elle franchissait les rues – encore calmes à cette heure – elle ne pensait qu’à ça : Malik, l’Estalie. Ces deux mots revenaient dans son esprit, elle ne pouvait les y en déloger. Malik, Estalie, Malik, Estalie, Malik, Estalie. La ritournelle étaient trop bien ancrée, et son cœur accélérait de plus belle au rythme de cette comptine. Malik, Estalie, Malik, Estalie, Malik, Estalie. Elle ne remarqua pas Luigi, le drapier qui s’apprêtait à ouvrir sa boutique. Il était lui-même encore un peu endormi et ne vit passer qu’une ombre blanche – car Francesca avait revêtu un habit clair, presque transparent, un tissu fantomatique. Malik, Estalie, Malik, Estalie, Malik, Estalie. Les quais approchaient, on les voyait à présent, mais pas en totalité, car certains maisons en cachaient encore une partie. Francesca se pressa, força l’allure malgré la sueur qui lui coulait du front – était-ce l’émotion ou la chaleur ? Malik, Estalie, Malik, Estalie. Les quais, là, à quelques pas, à quelques bonds. Le sac la gênait un peu dans ses mouvements, mais c’était sans importance. Elle chercha du regard La Sperenza, qui devait être arrimé quelque part par là. Malik, Estalie, Malik, Estalie.

Elle ne put même pas crier, pétrifiées par l’horreur de la situation. Ses mains tremblantes lâchèrent le sac, et le butin s’étala par terre. Mais il fallait se rendre à l’évidence : La Sperenza avait quitté Gilliano, elle n’était plus à quai.

Comme un dernier espoir, elle bondit sur la capitainerie et ouvrit sauvagement la porte. Bernardo y rangeait quelques affaires. Les yeux humides, des sanglots dans la voix qui noyaient ses paroles, elle lui demanda :

« - La Sperenza, où est La Sperenza ?

Le jeune garçon la regarda avec stupeur, cette femme si belle qui retenait ses larmes, dont les yeux rouges ressortaient davantage sur le teint très pâle de sa peau, dont les cheveux d’ébène mettait en valeur l’ovale du visage, créant une bien étrange couronne noire tout autour, une voile de deuil qui recouvrait son front inquiet – plus qu’inquiet, épouvanté.

- A ma connaissance, le capitaine Buffone est parti au petit matin. Le soleil n’était même pas levé.

Francesca, la main crispée sur la poignée le fixa avec une telle émotion dans le regard qu’il prit peur, et s’affola un peu avant de balbutier :

- Il… Il a laissé une lettre à la capitainerie. Je peux vous la lire…

Bernardo chercha dans les papiers un manuscrit. Francesca écoutait-elle ? Il ne savait pas, elle était cire, paralysée dans l’instant et incapable du moindre geste.

- Il dit : « Pour éviter la tempête, j’ai décidé de partir bien plus tôt que l’horaire prévu. A bientôt. Angelo Buffone. »

Comme elle ne bougeait pas, il commenta :

- C’est une décision plutôt étrange mais… Il devait avoir ses raisons.

Bernardo tenait la lettre sans savoir quoi faire de cette femme effrayée. Elle ne le fixait plus cette fois, elle était ailleurs. Et puis d’un seul coup, elle perdit conscience.

*

Manolete avait entendu un peu de bruit dans la chambre de son patron Lupo, mais il ne voulait pas le déranger, et puis peu importait. Il s’était rendormi en repensant à Francesca, la fille qui avait déshonorée son patron. S’il ne tenait qu’à lui, il l’aurait tuée depuis longtemps. Mais Lupo disait qu’elle était chaperonnée par la vieille Miranda, l’accoucheuse. Manolete n’était pas d’accord, s’il ne tenait qu’à lui, il aurait tuée aussi la vieille Miranda. Lupo lui répondait alors avec un sourire supérieur, et en levant son cou malingre de furet : « Mais tu es bien trop stupide pour comprendre quoi que ce soit aux affaires. Alors contente-toi de m’obéir. »

Manolete baissait les yeux et retournait à son travail, caressant son fidèle couteau. Ce matin donc, lorsqu’il avait entendu du bruit à l’étage en dessous, il n’avait pas fait attention au départ. Et puis avant de se lever tout ça lui était revenu : la porte d’entrée qui s’ouvre, et un silence étrange ensuite. Il avait constaté que les filles n’étaient pas levées elle non plus. Mais comme il n’avait pas d’ordre, il n’avait pas réagi. Il était donc descendu, réveiller le patron, et en chemin, il s’était mis à réfléchir. Les amabilités étranges de Lupo, son allure enjouée, même moins cynique, des phrases comme : « Mon cher Manolete, je me demande encore pourquoi je fais ce travail. Je suis entouré d’imbéciles et de feignants et les clients sont de plus en plus désagréables… Quelle vie minable… », et certaines petites discrétions encore. D’habitude, il envoyait toujours ses hommes lorsqu’il fallait se déplacer. Depuis quelques temps, Manolete avait vu son patron se déplacer lui-même. Etrange.

Arrivé devant sa chambre, il avait frappé. Une fois, puis deux. Puis une troisième fois, toujours sans réponse. Il avait ouvert délicatement l’antre de la bête et jeté un coup d’œil. Il faisait noir, mais pas assez pour ne pas voir le lit défait. Il avait fouillé dans toutes la maison, allant même déranger les filles dans leur lit au cas où le patron aurait découché pour la nuit. Il avait cherché toute la matinée, mais rien, rien nulle part, le patron avait disparu. L’évidence lui était apparue alors, aussi soudainement qu’un boulet de canon : La Sperenza partait dans l’après-midi. Lupo quittait Gilliano ! Manolete alors, avait du pousser un cri déchirant, qui avait réveillé tout ceux qui étaient encore endormis. Puis il s’était précipité au-dehors.

Il longea les quais à toute allure. Il était presque midi à présent, la brume avait disparu et laissé la place à une chaleur orageuse, guère plus agréable. Manolete était fou furieux d’apprendre la disparition de son patron. Il ne savait pas quoi faire sans lui, il voulait encore le rattraper, ou partir avec lui. Il n’était rien sans Lupo, rien de plus qu’un déchet de la société, qu’un pauvre anonyme parmi les autres. Sa place dans le bordel de Lupo lui permettait de satisfaire son penchant pour la domination. Il effrayait ces jeunes filles, il beuglait des ordres et se faisait respecter. Il savait très bien que Lupo l’avait choisi au hasard – un peu pour son habileté aux armes – et il lui était loyal comme un chien. Mais sans Lupo, il ne pourrait plus avoir cette domination sur les autres. Cette crainte le forçait donc à agir au plus vite, à retrouver son patron, le navire n’était peut-être pas parti.

Il arriva devant un barrage de la milice. Ils étaient de plus en plus violents, surtout depuis le départ du marquis de Caradras, et désormais, aucun citoyen du quartier pauvre ne pouvait se rendre de l’autre côté. Ce pour quoi aussi la clientèle de Lupo baissait ces derniers temps. Les soldats le regardèrent, l’un d’eux pointa son arquebuse et les autres sortirent leurs épées. Il leur fit signe de ne pas tirer, et à son air désespéré, ils comprirent bien que l’homme n’était pas forcément dangereux.

« - Savez-vous… haleta-t-il à leur adresse. Savez-vous si La Sperenza est parti ?

- Oui, répondit l’un en riant. Si tu espérait partir d’ici, c’est fichu. De toute manière, on ne t’aurait pas laissé passer ! »

Manolete se contint un peu. Il avait à présent la certitude que son patron était parti de Gilliano. Il savait alors ce qu’il lui restait à faire. Il avait une vengeance à accomplir. Il quitta la milice et s’engouffra dans la ville. Il connaissait les petites rues et les chemins secrets qui lui permettraient d’entrer dans les quartiers riches. Il tâta son couteau dans sa poche, la bave aux lèvres et plein d’un rage si intense.

Francesca et Bernardo le virent débouler d’une ruelle. Ils étaient en chemin vers la villa d’Onatti, le jeune homme aidait Francesca à se déplacer, elle était encore sous le choc. Bernardo, en voyant le visage féroce de Manolete compris tout de suite qu’il leur voulait du mal. Il assit Francesca, sortit son épée et cria :

« - Partez tout de suite où je vous embroche, ne touchez pas à cette femme.

Manolete, dans sa fureur, avait été plus rapide. Il dégaina un pistolet à poudre, et son cri se perdit dans le coup de feu :

- Barre-toi, avorton, elle est à moi.

Il y eut un nuage de fumée, la poussière. Francesca était encore étourdie, mais elle comprenait que la situation était critique. Elle tenta de se relever avec ses mains, et soudain, constata avec horreur que Bernardo gisait sur le sol, l’épaule ensanglantée. La balle l’avait bien atteinte. Et elle demeurait seule face à ce monstre. Elle chercha du regard un peu d’aide extérieure mais non, la ruelle était déserte. Elle manqua de s’évanouir à nouveau lorsqu’elle constata la haine de Manolete. Il avait lâché son pistolet et sortit son couteau, il l’avait traîné par le bras dans une coin encore plus sombre, et puant, et l’avait jeté dans un mélange de boue et d’excréments, sa robe blanche souillée.

Elle était trop faible pour réagir, trop faible aussi pour se débattre lorsqu’il lui tint les pieds avec ses mains et qu’il les attacha avec de la ficelle.

- Ne bouge pas sale garce.

Chacun de ses mots était acides, nauséabonds. Il émanait d’eux plus de puanteur que de la décharge où elle était allongée.

- Tu as ridiculisée le patron, hein, t’as voulu lui faire un tour de cochon, hein !

Il attachait fébrilement ses pieds à un pan de mur. Elle tentait de se lever mais à chaque fois, il lui donnait une grande claque, qui rougissait son visage pâle.

- Arrête donc de débattre, pour le moment, tu ne souffres pas encore.

Il avait dit ça d’une façon lubrique, des mots qui dans sa bouche sous-entendait bien des choses que Francesca ne voulait même pas concevoir. Elle voulut crier, mais aussitôt, il lui planta son couteau dans sa paume gauche, et lui plaqua la main contre la bouche. Elle essaya de le mordre mais ses mâchoires endolories ne voulaient pas se refermer. Et sa main lui faisait trop mal pour qu’elle puisse encore réfléchir. Malik, Estalie… la petite ritournelle revint pour la narguer. Malik, Estalie, Malik, Estalie… un mauvais tour de son esprit qui sans doute, pour échapper aux souffrances à venir, tentait de trouver d’autres motifs, de s’évader. Mais ils étaient bien encerclés, la ruelle était si sombre à cause des toits qui s’étendaient et se touchaient presque, formant comme une plaque géante au-dessus des têtes et empêchant le soleil de passer… Et il faisait chaud, si chaud…

- Allez, laisse-toi faire encore. »

Manolete voulait d’abord lui attacher les mains, mais il ne tenait plus vraiment, et commença à lui déchirer sa robe blanche déjà salie. Voyant qu’elle se débattait encore, il lui écrasa un poing rageur sur la figure, poing qui fit jaillir su sang sur la peau blanche de la jeune femme, quelques gouttes et un ruisseau qui coulait le long de son cou jusque sur sa poitrine opaque.

Malik, Estalie, Malik, Estalie. Elle sentait son sang chaud sur ses seins… et puis l’image répugnante de Manolete lui léchant les cuisses. Malik, Estalie, Malik, Estalie. Sa paume gauche la faisait souffrir, elle ne pouvait plus bouger sa main qui palissait de plus belle. Là aussi, une belle mare de sang se formait dans la boue. Malik, Estalie, Malik, Estalie. Ne pas défaillir, sinon, elle serait fichue. Malik Estalie, Malik, Estalie, Malik…

L’idée lui vint alors que son esprit vagabondait expressément dans les rêves de ce matin. Le pistolet, le pistolet que Malik lui avait donné, « au cas où ». Manolete, dans sa précipitation, ne l’avait pas remarqué. Elle glissa sa main encore valide le long de son bassin, tâtant à l’aveugle à sa ceinture. Ses yeux, de larmes mêlées au sang ne voyant plus rien. Elle trouva l’arme, n’en retira pas la moindre satisfaction, juste un très léger soulagement. Et puis elle se heurta au torse de Manolete, qui lui attachait le bras gauche. Lui ne réagit même pas, perdu dans sa fureur, il n’était plus homme, la mort n’existait plus pour lui. Francesca appuya de toutes ses forces sur la gâchette. Un violent coup de tonnerre traversa la ruelle, se répercutant en écho dans toute la ville. Ce fut le dernier cri de Manolete, qui s’effondra comme un chien dans la boue et les excréments.

*

Une bien étrange journée que celle qui avait vu le départ de La Sperenza. Quand le bateau avait quitté la colonie, elle était endormie, calme, paisible. Le capitaine avait regretté de pas pouvoir passer plus de temps dans cette cité idyllique. Mais il était parti, comme s’en vont les navires, laissant un sillage sur l’océan. Il n’aurait pas pu penser que, quelques heures après, un drame à l’issue mortelle se jouait dans Gilliano. Un drame anonyme, on déclara un viol, et la femme s’était défendue. Francesca fut amenée avec Bernardo dans un temple pour recevoir des soins. Le garçon avait prononcé le nom d’Onatti à son réveil, et le vieux capitaine avait failli mourir en constatant l’état de Francesca. Les prêtres prendraient soin d’elle, elle serait bientôt sur pied. Mais le coup de feu s’était répercuté dans la cité, on avait laissé le cadavre de Manolete croupir sur place. Personne n’était pressé de l’enterrer, une telle vermine… Et, au moment même où Onatti embrassait paternellement le front humide et ensanglanté de Francesca, qui aurait pu penser qu’à cet instant, Lupo pleurait sur le cadavre de Manolete, les deux genoux dans la boue, sa valise à ses pieds. Constatant le départ prématuré de La Sperenza, il était retourné au bordel. Et puis ne voyant pas Manolete, il l’avait cherché. Le coup de feu l’avait averti comme un glas funèbre. Il avait vu la scène finale, le dénouement entre Francesca et lui, juste avant que la milice n’arrive, et il regrettait de ne pouvoir que pleurer et maudire ce capitaine qui avait fait partir le navire plus tôt. Il maugréa entre ses dents une parole prophétique :

« Francesca, je te détruirais, toi aussi ! »

Pendant ce temps, La Sperenza avançait sur les mers. Pour un autre destin, une autre vie, d’autres aventures. Pour ce navire, le rideau s’était baissé sur Gilliano qui, déjà, n’existait plus…

Une autre époque commençait.

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Invité Mr Petch

Encore la dernière page d'un récit qui se referme. Sentez-vous la couverture qui plisse sous vos doigts ? Hé oui, j'en ai terminé pour cette partie de la saga dela Francesca... Mais si ce nouveau texte est enfin terminé, je n'en ai pas encore tout à fait fini. Donc deux ou trois petites explications (en espérant que ce discours ne vous paraisse pas trop pompeux, ou trop aigri, moi, je le trouve juste nécessaire) :

Première chose: la saga en elle-même.

Je vous entends d'ici, lecteurs, me dire : "mais, ce n'est pas possible, ça ne peut pas se terminer comme ça! Ne reste-t-il pas encore plein de choses à dire? Et de questions irrésolues : qu'est devenu le marquis? et Malik?et les jumeaux? et Francesca, comment s'en sortira-t-elle? la vengeance de Lupo s'accomplira-t-elle? et quel est l'avenir de la cité de Gilliano? et surtout, pourquoi n'y a-t-il pas de tapir dans cette histoire ????" Je suis d'accord, avec vous, et je suis tenté d'écrire "NON-FIN" plutôt que "FIN". Bref, pourquoi ai-je arrêté ici?

Il me fallait bien m'arrêter quelque part... La saga a été un projet trop audacieux, et je m'incline devant le travail qu'elle projette de me donner. Je fais une "longue pause" que ce soir clair : vous ne lirez (sans doute) pas la suite de la saga sur ce forum. J'ai essayé de limiter les dégâts en trouvant un dénouement acceptable, une coupure pratique. Je pense avoir raisonnablement trouvé ce passage qui me permet de mettre le mot "FIN". La saga n'est donc pas complètement inachevée, elle est "en l'état".

Deuxième chose: les réponses

Ai-je la légitimité de me plaindre du nombre (infime, déshonorant, ridicule, démoralisant) de réponses qu'a pu susciter la saga? Je sais que le forum récit souffre de ce manque de réponses, je sais que, malgré tout, je suis lu (combien êtes-vous, foule anonyme ?), je sais aussi que mon manque d'implication flagrant dans la communauté récits, ne lisant guère les textes des autres et n'apportant pas les réponses qui manquent aussi à ma saga. Partant de là, je n'ai pas le droit de me plaindre de l'absence de réponses,(sauf mention spéciale à Inxi, que je remercie entre tous!!! :lol: ) même si mon moral en souffre. Mais cela ne m'empêche pas de penser que, d'une manière ou d'une autre, je n'ai plus vraiment ma place sur le forum.

Troisième chose qui en découle

(tiens, vous êtes encore là... zêtes bien courageux pour lire jusqu'au bout).

D'où il s'ensuit que l'on peut considérer la saga comme mon dernier récit sur le warfo. J'aurais offert à ce forum cinq récits d'aventure, il est temps de me retirer. Voilà tout. Je ne ferai pas de remerciements, car ceux qui doivent être remerciés se connaîtront sans mal. Plus de récits sur le warfo jusqu'à nouvelle ordre, cela ne veut pas dire que nous ne nous reverrons pas ailleurs... Et puis zut, j'écourte, je me rends compte que mon départ est déjà bien trop romanesque...

Aux lecteurs, donc: que le forum continue de vivre !

Atchao

Mr Petch

Poème en quête de gloire (1)

Je suis mort un matin, une journée de mai

Alors que dans la ville, les passants endormis

Glissaient le long des rues, rampaient, somnanbulaient

Filaient sans rien y voir, d'un regard sans vie

Moi, dans mon lit de soie, je tentais de survivre

J'avais fermé les stores pour étouffer la rue

on ombre et mon espoir on cessé de me suivre

Tout est noir chez moi, et mes yeux n'y voient plus

Je suis mort sans un bruit, sans déranger le diable

Ni les anges, ni Dieu, restés là dans leurs cieux

Ni aucun des bourreaux, des juges et des coupables

Il ne me fallait pas choquer les bienheureux

Mes membres un par un ont donné leur congé

Ils se sont endormis pour un très long voyage

Sans ces masses inutiles, se sentant apaisée

Mon âme, elle, est partie, vivre dans d'autres pages

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Il ne risque pas de rajouter.

Et moi non plus.

Vous partez tous les deux? :lol:

On perd deux de nos meilleurs éléments d'un coup, là, même si par manque de temps je n'ai pas lu vos plus récents textes.

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Invité Feurnard

Non, moi je reste : je voulais juste dire par là que je n'avais rien à ajouter au sujet, surtout du fait qu'il y aurait eu trop à dire.

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Je comprends tout à fait ton choix, Mr.Petch, au vu de tes nombreuses suites sans un commentaire, ce qui est, je dois bien l'avouer, très déprimant.

Je dois avouer n'avoir lu que peu de tes textes, pour ne pas dire un seul: le Conte de l'Oasis, et quelques très courts bouts de la saga dela Francesca, et autant dire que j'ai vraiment aimé ton style.

Je comprends donc parfaitement ton désapointement au vu du faible nom de réponses, mais j'a l'impression, même si tu penses que tu n'as plus ta place ici, qu'un petit bout de la section part avec toi (je me comprends, je ne suis pas sûr d'être compris par contre).

Et pour finir, je me promets d'essayer durant les vacances de lire la saga et de laisser un avis, même si cela est vraiment trop tard, car, bien que je n'aime pas les histoires non finies, j'ai trouvé au vu de ce que j'ai lu qu'elle est bien écrite. (Et qui sait si ma critique ne sera pas lu au final :lol: )

En s'en voulant un peu de ne jamais t'avoir commenté, Iliaron

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Invité ceylandir

salut

je viens juste de finir ton histoire... ^_^

2 mots: passionnate, exellante...

juste un enorme regrèt: non fin... :lol:

bonne continuation et quand tu écrira la suite prévien nous

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Invité Kouran

Snif adieu piti Petch je m'endormirai avec tes recits a coté de moi en penssant a toi.

Mais je veux juste dire que ce n'est pas parce que l'on ne post pas a chaque fin de lecture que l'on ne te lit pas :) .

Personnelement La saga de Fransesca est devenu, mon "livre" de chevet, et pendant tous le temps de ton écriture j'attendais impatiament de voire a nouveaux les lignes que tu avais fraichement tapé.

Donc le nombre de réponse n'est pas proportionelle(en partie peut être), à la beauté, la qualité, et au plaisir que nous apporte la lecture de récit comme le tien.

Je trouve dommage que nous n'ayons plus le plaisir de te lire a l'avenir, mais comme chaqun je respect ton choix (MAIS pourquoi! pourquoi nous quitte-tu! :wink: ).

Sur ce bonne continuation à toi :D

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  • 4 semaines après...

Bon j'ai juste a faire remarquer quelques fautes, en fait, je vais en faire qu'une seule ! Celle-ci :

une vox lança

C'est vraiment bete ce genre de petite faute ! C'est ce que je me suis dit au depart mais quand j'ai vu tout ce que j'avais lu et ce que j'ai trouvé, ca me parait presque normal ! Donc pas de probleme de ce cote la !

C'est vrai que la fin me parait ne pas en être une parce qu'il reste une partir du mystère... Il faudrait rester plus vague en annoncant une probable suite. Mais c'est vrai qu'il y a encore plein de trucs a faire !

sauf mention spéciale à Inxi, que je remercie entre tous!!!

Il y a pas de problemes !! Ca a été un plaisir !!!!

Bon bah bonne continuation ! Je te regreterai !! :lol:

@+

-= Inxi qui a quand meme adoré =-

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  • 9 mois après...
Invité Feurnard

Achèvement du travail de Petch sur la section, autant j'aurai toujours un respect éternel pour l'honneur perdu de Garazi, autant je resterai toujours sans voix devant la ville de Gilliano.

Il y a d'abord que cette ville a son propre rythme, presque en-dehors de l'histoire et on s'attendrait presque à pouvoir s'y rendre à pied, à croire qu'elle existe quelque part sur le globe, parce qu'elle a tout pour exister et en premier un approfondissement dans sa description, dans ses structures, son fonctionnement, qui n'a pas d'égal.

Il y a ensuite que les personnages sont parmi les plus vivants de la section, avec leurs réactions propres, tantôt prudents et tantôt emportés, tous brûlant du même feu de l'existence, se refusant comme objet de l'autre, s'affirmant en tant que sujet actif dans l'histoire, chacun bâtissant de concert avec les autres, dans un isolement général, l'histoire de Fransesca.

L'introduction, classique, a ceci d'admirable que sans donner le nom de l'héroïne elle l'ancre d'ors et déjà dans le récit et nous avertit, pour peu qu'on y prête attention, du déroulement futur.

L'apparition de Miranda est celle de l'humanité même, d'aspect abject et de coeur admirable. Son évolution surprend, ravit, emporte ou réfrène selon le contexte, le personnage y nageant dans son élément.

Onatti, qu'on trouvera toujours trop doux, finit par être victime de la jalousie, dont il aura été finalement l'entremetteur, et en somme la cause même de sa perte. Onatti, l'ange descendu du ciel, l'ange trahi pourra-t-on dire, peut-être parce qu'il n'était pas ange, ou parce qu'il l'était.

Puis il y a Malik, et il y a Angelina, les deux démons de Francesca. L'évolution des relations, d'abord entre Angelina et Malik, puis entre Francesca et Malik, sont superbement menées. On songera particulièrement au voyage jusqu'au bateau échoué, où la jungle elle-même vient se joindre à eux et où les images se succèdent pour décrire leur relation. Et c'est cette relation qui déterminera celle entre Angelina et Francesca, celle qui permettra à Francesca de vaincre l'aristocrate.

Dans tout cela, il y a un drame humain, un drame désirable et désiré, qui ne finit bien pour personne. Jusqu'à Lupo qui reste humain du début jusqu'à la fin, plus humain encore parce qu'il est soumis à l'horreur quotidienne, à des êtres pires que lui.

C'est tout un monde qui se découvre, tout un monde qui évolue dans une cohésion parfaite, comme une boite de musique savamment réglée. Les réactions n'étonnent pas, et jusqu'au départ précipité, et jusqu'au geste de Manolete. On regrettera seulement le peu de présence, très explicable et certainement démenti si l'histoire avait continué, de Pietro et Frederico.

En comparant la saga avec la malédiction de Paxtala, on découvre le lent et net apprentissage qu'a réalisé Petch pour obtenir ce récit incroyable.

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