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Ghiznuk

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Messages posté(e)s par Ghiznuk

  1. Chevaliers

     

    Mon fils,

     

    Lorsque vous lirez ces lignes, vous serez chevalier. Vos jours en tant qu’écuyer à la cour du seigneur Crispin sont terminés, vous devez rentrer en toute hâte pour reprendre mes fonctions de seigneur intendant de notre domaine pendant que je serai parti en croisade. Une fin abrupte et sans cérémonie pour votre vie d’écuyer, c’est certain. Le titre de chevalier se gagne généralement par des actes méritoires, mais, parfois, la nécessité prévaut. Je suis certain que votre futur verra moults actes héroïques pour une centaine de chevaliers. J'espère que sa Grâce a veillé à ce que vous suiviez les rites traditionnels : les serments sacrés, la veillée nocturne et le dernier coup. Que ce soit la dernière fois qu'un homme vous frappe sans conséquence, car un chevalier ne souffre point le déshonneur.

     

    Je comprend que vous soyez déçu de voir un évènement aussi important de votre vie se dérouler à la hâte dans un petit sanctuaire avant d'être renvoyé sans cérémonie. À mon retour, je vous en dirai plus sur mon ascension au rang de chevalier, comment j'ai été élevé à ce titre par une froide nuit d'hiver dans un champ boueux, entouré de tous côtés par des maraudeurs åsklandais. La plupart des écuyers élevés à mes côtés avaient déjà trouvé la mort avant le coucher du soleil. Être fait chevalier était un honneur pour lequel ils étaient heureux de donner leur vie. Leurs actes n’ont été récompensé de nul éloge, nul festin somptueux. À bien des égards, ils étaient de plus vrais chevaliers que beaucoup de ceux qui portent ce titre aujourd'hui.

     

    Rappelez-vous qu'un chevalier n'est pas fait par l'opinion des autres, mais par son cœur et ses actes. Un homme qui aspire à la gloire et à l'adulation sans le mériter par ses actes n'est pas un chevalier, mais un fanfaron. Avec le temps, vous recevrez les honneurs que vous méritez, mais vous devrez d'abord être mis à l'épreuve.

     

    Dans les mois à venir, réfléchissez aux serments que vous venez de prêter : agir en accord avec les vertus sacrées de la religion. Efforcez-vous de vivre selon le code du chevalier. Nombreux sont ceux qui peuvent citer les sept principes : excellence, tolérance, générosité, justice, vaillance, honneur et foi. Cependant, comme vous le savez sans doute, il existe de nombreuses listes de ce type, et les véritables qualités du chevalier ne peuvent être prescrites aussi aisément. Après toute une vie d'épreuves et de réflexions, j'en suis venu à comprendre la voie du chevalier de la manière suivante :

     

    – Dites toujours la Vérité, car une vie bâtie sur le mensonge ne peut mener qu’à la ruine. Traitez vos compagnons et le monde avec bonté et compassion, comme il sied à un chevalier, et vous gagnerez leur respect et leur amour. Soyez un bouclier pour ceux qui ne peuvent se défendre. Avant tout, soyez fidèle à vous-même, de crainte d’être faux envers autrui.

     

    – Être courageux, c'est être fort, mais le vrai Courage exige plus que la force physique. Trouvez la force intérieure pour défendre vos convictions et la volonté de résister aux tribulations de la vie. Opposez-vous aux malfaiteurs où que vous les trouviez. Ne cherchez pas les querelles oisives, mais si vous vous retrouvez dans l'une d'elles, assurez-vous d’être redouté par vos adversaires. Soyez l'épée de la justice qui ne s'abat que sur ceux qui méritent son courroux.

     

    – Ne craignez point les Épreuves. Faites preuve de vaillance et de miséricorde dans la guerre, et de magnanimité dans la paix, et maintenez toujours la foi. Défendez notre terre et notre peuple, même jusqu'à la mort. Si vous échouez en cours de route, cherchez à vous racheter par vos bonnes œuvres et vos prières. Personne ne possède les qualités nécessaires pour réussir pleinement dans une telle entreprise. Vous lutterez et vous échouerez : c'est ce qui vous rendra digne. Rachetez-vous aux yeux de la Dame pour devenir plus que ce que vous étiez avant l’épreuve. Certains sont broyés par la défaite, d'autres sont rendus humbles par la victoire. La grandeur réside dans ceux qui peuvent emprunter ces deux voies avec grâce.

     

    – L'équilibre entre votre Devoir seigneurial et le respect des principes de la chevalerie est l'un des combats les plus difficiles auxquelles vous serez confronté dans cette vie. Un jour, vous serez peut-être confronté à un choix où vous devrez renoncer à l'honneur du chevalier pour le bien général du Royaume. Veillez à ne pas vous égarer trop loin sur le sentier de l'opportunisme au détriment de l’honneur, comme l'ont fait de nombreux faux chevaliers.

     

    Protégez et guidez vos sœurs. Veillez à ce que les plus jeunes soient assidues dans leurs études. Gwenaëlle est toujours aussi zélée et têtue. Elle mettra votre patience à l'épreuve et fera un pied de nez à votre nouvelle autorité. Ne la laissez pas vous décourager dans vos fonctions de seigneur, mais ne la jugez pas trop sévèrement non plus. N'oubliez pas que les liens du sang sont sacro-saints et que la famille est tout. Je prie pour que les lettres que je lui adresse vous épargnent le pire de sa colère.

     

    Les bourgeois de Bréval pourraient vous demander le droit de cultiver les terres au nord de notre domaine, espérant ainsi profiter de mon absence. Refusez catégoriquement toute demande de ce genre. Les forêts et les lacs proches du Valpéril sont des lieux sacrés, au même titre que n'importe quel sanctuaire. Piller ces terres sacrées dans un souci de profit égoïste serait un grave péché, porteur de ruine. Une trêve délicate existe avec les fées qui ont élu domicile dans ces bois changeants. Ne sous-estimez pas leurs caprices. Je reviendrai sur ce sujet lorsque j'en aurai le temps.

     

    Par la grâce de la Dame, je vous donne ma bénédiction. Puissions-nous nous retrouver après cette guerre, et puissions-nous tous deux être renforcés par nos épreuves dans les mois à venir.

     

    Votre père, le seigneur Pelleas des îles. [sceau apposé sur la lettre]

     

    – Lettre découverte dans les affaires du seigneur Gawain le Bon, à sa mort à l'âge de 97 ans
     

  2. Castes


    Mes très chères sœurs bien-aimées, vous qui êtes au plus près de mon cœur,


    Depuis fort longtemps déjà, notre royaume est gouverné par et pour les trois états qui nous ont été indiqués par Sa volonté, ce précepte sacré étant observé depuis l’époque d’Uther le Sanctifié. Dans sa clairvoyance, le premier vrai roi a énoncé la manière dont les humains devraient vivre et se gouverner. En cela, il suivait les commandements de la Reine des coupes : faites preuve de Courage, parlez en toute Honnêteté, et endurez avec Constance.


    Ainsi depuis ces jours nous répartissons-nous. D’aucuns sont nés de la terre, pour œuvrer et servir. D’autres sont nés pour la bataille, doivent porter les armes et risquer leur vie. Enfin, il y a ceux et celles qui perçoivent Son appel et qui ressentent en leur cœur l’émoi de la prière et de l’étude. Nous devons être de fiers exemples de ce troisième pilier. Soyez assidues à l’ouvrage, soyez attentives aux leçons de vos enseignants, car votre esprit doit être aussi affûté que la lame d’un chevalier, et aussi vif que la flèche d’un sergeant. Pour vos protégés, vous serez plus qu’une simple protection contre les arts noirs : vous servirez aussi de guide spirituel pour leur conscience sur leur chemin de vie.


    Une fois votre formation achevée, vous devrez prolonger vos études, où que vous alliez, chaque jour de votre vie. Cette sagesse vous sera indispensable : continuez à la rechercher. Mettez-vous en quête de ce qui est Vrai, car nulle sagesse ne peut venir du mensonge. Vous devez être une lueur dans les ténèbres. Vous devez mettre à jour ce qui est caché. Vous recourez à la Vérité pour guider les clercs qui se tourneront vers votre autorité morale. Nous devons être leur cœur. Nous devons orienter leurs études. Car nonobstant les serments faits envers leur roy, leur duc ou leur seigneur, c’est en nous autres, Damoiselles, qu’ils placent leur foi, et nous devons nous montrer à la hauteur de cette tâche. Les sénéchaux, les clercs, les érudits, les maçons, les soignants… tous se tourneront vers vous, en tant que compagnes de la Dame, afin de connaître Sa volonté.


    À leur tour, ceux qui prient et ceux qui étudient serviront les manants comme la noblesse. Ils soigneront les blessés, panseront leurs blessures, instruiront les jeunes gens, prodigueront leurs conseils à tous et à toutes. Et tandis qu’ils s’adonnent à ces tâches, il vous reviendra de déceler parmi eux, peu importe la hauteur ou la bassesse de leur naissance, ceux et celles qui vous paraissent dignes de s’élever au-dessus de leur condition pour rejoindre un Ordo. Recrutez ceux et celles se démarquant par la vivacité de leur esprit et la profondeur de leurs réflexions, tout comme vous en avez vous-même fait la preuve. Démarquez-les de leurs pairs en leur offrant une place en nos lieux d’apprentissage, pour peu que leur suzerain en convienne.


    En outre, n’oubliez pas que c’est à vous qu’il incombe de rendre justice pour les pénitents. Vous devez leur fixer leur peine, trois fois équivalente au poids de leurs péchés, afin qu’ils et elles puissent regagner leur place dans le monde. Ils viendront à vous pour demander l’expiation, et c’est avec une grande résolution que vous accéderez à cette requête. Gardez-vous des sentences trop légères, et souvenez-vous que vous pouvez les employer à vos propres fins, car tant qu’ils vous servent, ils servent la Dame éternelle elle-même. Envoyez-les parcourir des lieux sombres, confiez-leur de terribles missions, soumettez-les à l’épreuve pour faire ressortir leur véritable valeur, qu’ils en reviennent en héros… ou qu’ils n’en reviennent pas. Préserver, c’est gâcher.


    Gardez ces paroles en mémoire, gravez-les dans votre cœur, et façonnez le monde selon Son bon vouloir.


    – Damoiselle Alize, de la schola du Triflemont
     

  3. 4e DE COUVERTURE


    Protégés par leurs hautes murailles, et plus encore par leurs sévères lois, les maîtres de la chaîne et du fouet émergent des ruines fumantes de la Plaine foudroyée. Du haut de leurs puissantes ziggourats, ces architectes d’un nouvel ordre mondial redoutable et despotique proclament leur détermination d’acier au visage de leurs innombrables ennemis. Tous sont appelés à servir – ou à succomber– face aux Nains infernaux !

  4. p. 112

     

    Épilogue

     


    Chère Maman,

     

    J’espère que vous avez bien lu toutes mes lettres dans le bon ordre, quand bien même elles vous sont parvenues ensemble, fourrées dans une même lourde enveloppe, couchées sur papier au cours de la même semaine.

     

    Je dois dire que ce voyage a été on ne peut plus instructif. J’ai vu bien plus du monde que ce que je ne l’avais jamais rêvé le jour où vous me permîtes de quitter notre domicile pour aller étudier à Friedrichsberg. Je me suis vue assimiler de vastes connaissances en cartographie, histoire, linguistique et ingénierie. La sténographie couturière m’a été d’une valeur inestimable pour me rappeler de la plupart d’entre elles. Je suis à peu près certaine d’avoir doublé ma consommation annuelle de plumes et d’encres en l’espace de ces trois jours passés à retranscrire mes notes et lettres dans un format plus conventionnel. Triplé même, si l’on compte également mes traductions du journal de l’Ambassadeur. Il était plutôt impressionné par la démonstration que je lui ai faite de ma maîtrise du tsouandanais formel, et il estime que nos deux récits sont entrelacés.

     

    Mon séjour à Vanekhash touche à sa fin. Son Excellence Bao m’est fort, fort reconnaissant d’avoir sauvé Jou, qui a réclamé que l’on m’affranchisse. Connaissant à présent les coutumes de cette cité, je me suis assurée d’obtenir un acte écrit de cette décision. En échange des services que je lui ai rendus en tant que garde du corps, l’Ambassadeur me propose, en tant que citoyenne libre, de l’accompagner dans sa prochaine mission. Toute plébéienne que je pusse paraître, me voilà donc embauchée ! Je servirai désormais de traductrice officielle à Son Excellence, étant donné que je manie à présent un certain nombre de vocables qu’il ne connaît pas.

     

    Il semble penser pouvoir bientôt faire bon usage de mes talents, que ce soit à Long-Tsing tout comme à son prochain lieu d’affectation.

     

    Lors de mon séjour à la fonderie, j’ai tiré de nombreux enseignements du mode de production de la technologie infernale. Leur mépris de l’humaine étrangère et ignare que je suis me sera bien profitable : je n’avais jamais pensé au métier d’espionne, mais je chéris ces occasions qui m’ont été données d’en apprendre plus sur les rouages internes, si je puis dire, de leur société.

     

    J’ai accepté de retranscrire mes notes et mes mémoires de mon séjour dans cette fabrique pour le compte de l’Ambassadeur. J’ai eu le bonheur de recevoir du papier digne de ce nom afin de pouvoir recopier les modèles que j’ai observés. Je dois dire que je suis impressionnée par l’ingéniosité de Khezek et de Nezira, qui sont parvenues à acquérir le papier en-tête officiel de l’usine. Mes amies naines s’entendent décidément comme larrons en foire avec Son Excellence ; je me demande bien quel peut être l’objet de leur conspiration. En guise de paiement pour cette transaction, je me suis vu offrir une garde-robe entièrement remplie de nouvelles robes. Le style tsouandanais dénoterait certainement à Fuhrberg, mais la soie en est d’une exquise qualité, et après les affreux haillons que j’ai été contrainte de porter depuis mon arrivée en Orient, je me sens positivement rajeunie.

     

    J’ai même eu la chance d’afficher mes nouveaux atours en public ! L’Ambassadeur m’a menée, bras dessus bras dessous, au grand bal donné en l’honneur de la divinité locale, Vaumkerutash, afin de fêter la victoire sur Gar-Shakhub. Oh, Maman, vous auriez été si fière ! Ayant enfin levé le nez des pages de tous ces volumes indignes d’une dame, voilà que je me suis retrouvée à séduire tous les prophètes, y compris le vieux diable qui m’avait achetée. Je pense qu’il ne m’a pas reconnue, tant je resplendissais (à moins que ce ne soit en raison de sa myopie !). J’ai même dansé avec le commissaire de police, lequel a paru amusé et charmé par le fait d’avoir trouvé une partenaire bipède à sa taille. En vérité, je n’ai dû ce succès qu’aux « semelles pot-de-fleur » qui sont le dernier cri de la mode tsouandanaise, et même avec cette aide, une plus courte que moi eût échoué. Au final, nous avons donné là un spectacle assez cocasse.

     

    C’est chargée de cicatrices que je quitte Vanekhash. Celles que m’ont laissées les fers du vaisseau corsaire, celles que m’ont causées les substances nocives employées dans la fabrique, les marques des coups portés par le gourdin du geôlier… et les cicatrices de l’âme. C’est un pays âpre et cruel. Je me dis que notre Empire est bien plus plaisant, mais je me demande si Marguerite en jurerait de même. Devrais-je juger Vanekhash par l’ambiance de son port et de ses fonderies, ou par celle de sa Grande Ziggourat ? Le palais impérial est-il plus représentatif de la vie sonnstahlienne que le bas-peuple des hameaux de Fuhrberg ?

     

    Si je ne regrette pas de quitter cette cité, dame Khezek et Nezira, en revanche, me manqueront. Ce sont des personnes modernes et progressistes, que toute nation devrait envier. Nous avons passé toute la nuit dernière à débattre du meilleur mode de gouvernement, et je n’ai pas l’impression que leur intérêt était purement théorique. Dame Khezek n’a d’ailleurs pas manqué de me questionner abondamment sur le fonctionnement de l’Empire et d’Avras. En fait, je pense que vous l’aurez rencontrée un peu avant de lire cette missive, puisqu’elle m’a promis de vous la délivrer en mains propres. Je lui fais entièrement confiance, même si j’ai la certitude qu’elle ouvrira mes lettres pour les lire chemin faisant. Elle refuse toujours de me révéler le véritable motif de son voyage, mais je suis heureuse d’avoir acquis un facteur aussi sûr pour pouvoir vous transmettre toutes ces nouvelles me concernant.

     

    À ce propos, chère Khezek, si je ne me suis trompée, je te prie de bien vouloir apposer ta signature au bas de ce document. Je pense par ailleurs que tu projettes de mener une expédition à Avras une fois de retour de l’Empire. Si tel est bien le cas, pourrais-tu en parler à Maman, en lui offrant quelques renseignements de plus sur ton peuple afin de compléter sa collection ? Elle te repaiera en te fournissant quelques contacts inestimables dans cette ville.

     

    Avec tout mon amour,

     

    – Olivia von Fuhrberg, traductrice auprès de S. E. l’Ambassadeur du Tsouan-Tan à Vanekhash,

     


    Bien joué, Olivia. Bien joué. Baronne Caroline, j’espère que vous apprécierez à sa juste valeur cette mine de renseignements que je vous confie ici au sujet de mon peuple – et de votre enfant unique.

     

    – Émissaire Khezek Imar

  5. p.82

     

    Langue

     


    On rencontre bien des compagnons intéressants lors des pèlerinages. Peu de temps après que Josette et moi nous fûmes lancés sur le Camino de Santinigo, nous passâmes une soirée autour d’un feu de camp avec un vieil homme à l’air morne, portant d’affreuses marques de brûlure sur tout le côté gauche de son corps, y compris le visage. Lorsque je lui proposai mes services comme à l’accoutumée, il me répondit qu’il n’avait aucune pièce à m’offrir en échange de mes histoires.

     

    « Mais peut-être accepteriez-vous ceci à la place ? » dit-il, me tendant une sorte de brochure toute froissée. Une lueur s’entrevoyait dans son regard hagard. « Vous êtes un voyageur. Vous vous intéressez certainement aux langues. »

     

    Je feuilletai les pages tachées et usées.

     

    « C’est un guide du langage inf–

     

    — Ne prononcez pas ce nom », m’interrompit-il, réprimant un frisson. Ses yeux se mirent à inspecter furtivement les ténèbres qui nous enveloppaient. « C’est le dernier souvenir que je garde de ces horribles épreuves. Ce livre m’a été fort utile en son temps. Je prie que vous n’ayez jamais à vous en servir. »

     

    Les cicatrices sur sa joue gauche parurent se contorsionner et danser dans la lueur des flammes.

     

    – Extrait des Œuvres complètes de Samuel le Pépin, pèlerin et raconteur professionnel

     

    –––––

     

    Extrait du Chapitre 1 : Introduction

     

    Les nains d’Orient se nommaient autrefois abzhagevish, le « peuple de l’Acier ». Cependant, après qu’ils se soient voués à la Fournaise, ils prirent le nom de vanebevish, le « peuple de la Flamme », que nous appelons « infernal ». Le premier terme reste employé pour décrire les nains et les géants de façon générale, et la langue infernale s’appelle toujours « abzhaghab ».

     

    Extrait du Chapitre 2 : Bases

     

    Pronoms personnels :
    anak, je
    atat, tu (masculin)
    atti, tu (féminin)
    ash, il
    ashi, elle
    ninak, nous
    attu, vous (masculin)
    atta, vous (féminin)
    shunu, ils
    shina, elles

     

    Nombres :
    zarat, zéro
    vanat, un
    gekh, deux
    kubash, trois
    erish, quatre
    kherub, cinq
    ghush, six
    sizam, sept
    bitak, huit
    silam, neuf
    velash, dix

     

     

    Extrait du Chapitre 3 : Commerce

     

    Vocabulaire
    valib, nm. pièce de monnaie
    vezlib, nm. monnaie, devise
    tetar, nm. prix
    idnaz, adj. élevé
    idzhur, adj. bas
    bazak, v1 tr.accepter
    ghebkar, vtr. échanger

     

    Phrases
    Gu atat bodzhvak vu di vezleb ? Quelles devises acceptez-vous ?
    Gu di atatshe tetarute but ? Quel est votre prix pour cet article ?
    Gu tetar idzhur ! Ce prix est trop élevé !

     


    Extrait du Chapitre 4 : À l’auberge

     

    Vocabulaire
    amum, nm.couverts
    dadnush, nf. chèvre
    kamaum, v5 itr. fêter
    kekdakh, nm.couteau
    kerutash, nf. chien
    kimemi, nf. invité
    kimum, nm.nourriture
    nakaum, v5 tr. organiser (un évènement)
    nekem, nm. hôte
    nenem, nm. festin
    otmerub, nm. oiseau
    segish, nf. serpent
    zadish, nf. viande

     

    Phrases
    Ribshaudzh anak …, Donnez-moi …
    Ribshaudzh vu anak am dadnushte zadnish, Donnez-moi de la viande de chèvre
    Sarapte gekh vashenvab, Deux carafes d’eau
    Ribshaudzh vu anak am sarapte gekh vashenvab, Donnez-moi deux carafes d’eau
    Nakaum vu nemem am…, Organiser une fête pour…
    Gu anak nakdzhan zidalab vu nenem ama kavir ban, Je vais organiser une fête pour l’honorable vizir ce soir.

     

     

    Extrait du Chapitre 8 : Hiérarchie

     

    Dans les listes ci-dessous, les membres du clergé sont systématiquement donnés avant les titres civils. Nous le faisons uniquement dans un souci de facilité ; en fait, le dirigeant suprême de toute Citadelle est son ou sa despote, et les autorités civiles sont techniquement distinctes de la hiérarchie religieuse. Cependant, la relation entre les deux n’est pas toujours des plus limpides. Pour éviter d’offenser qui que ce soit, prenez grand soin d’employer le titre et le marqueur honorifique qui conviennent à chaque personne.

     

    Titres
    gurish, prophète
    vatshak, prêtre
    kavidnaz, despote
    dzhabar, vizir (en fait il existe de très nombreux titres pour les personnes que nous appelons « vizirs », mais celui-ci est le plus fréquemment rencontré)

     

    Honorifiques
    Ces marqueurs suivent les noms et les titres. Tout rang social au-delà d’un simple citoyen requiert l’emploi tant d’un titre que d’un marqueur honorifique.

     

    aram, pour les hauts membres du clergé, tels que prophètes et les membres du conseil des Mages
    en, pour le bas clergé
    shar, pour les despotes
    ban, pour les vizirs et bureaucrates de rang intermédiaire
    tur, pour les citoyens
    lan, pour les nains non-citoyens
    uk, pour les non-nains non-citoyens
    ilim, pour les vassaux
    pi, pour les esclaves

     

    Exemples :
    Khazlub-Tur, monsieur Khazlub (simple citoyen)
    Shalban-Ilim, monsieur Shalban (un vassal)
    Vudzhinesh Gurish Aram, Sa Sainteté le prophète Vudzhinesh
    Kavidnaz Shar, Son Éminence le despote

     

     

    Extrait du Chapitre 15 : Guerre

     

    Vocabulaire
    kazhlauk, v5 atr. escarmoucher (avec)
    kedikh, nf. épée
    kednukh, nf. guerrier
    kevish, nf. bouclier
    kezhlak, nm. escarmouche
    nazhlauk, v5 atr. faire la guerre (avec)
    nezhlek, nm.guerre
    sheluk, nm.soldat
    vagaush, nf. protéger
    vegish, nf. armure
    zhaluk, nm.arme
    zhelik, nm. bataille
    zhilegi, nf. ennemi
    erutesh, nf. assaut
    rutash, v2 atr. attaquer
    turush, nf. fuite, retraite
    tarush, v2 itr. fuir, battre en retraite


     

    ÉCRITURE

     

    Extrait d’un Manuel de la langue infernale à l’usage des marchands, par Severina Di Mercurio

     

    Caractères étroits

    Caractères mixtes

    Caractères larges

     

    L’écriture infernale est organisée en unités syllabiques. C’est-à-dire que chaque glyphe dans le système d’écriture représente une syllabe à part entière, et non pas un son unique comme dans notre alphabet avrasien.

     

    Comme vous pouvez le remarquer, il n’y a pas moyen d’écrire une consonne sans une voyelle associée. La convention est d’écrire toutes les consonnes isolées au moyen du glyphe « -u ». Ainsi, « X » peut être lu soit « t », soit « tu ». Malheureusement, il n’y a aucune manière de savoir de quelle manière lire ce glyphe sans connaître le mot en question. Mais rassurez-vous : à mesure que vous vous familiariserez avec cette langue, vous serez bientôt à même de comprendre quelle lecture est la plus probable dans un mot donné.

     

    Les mots sont séparés les uns des autres par une espace, bien que ces espaces aient considérablement varié en largeur avant l’invention de l’imprimerie moderne.

     

    Les phrases sont séparées par un trait vertical :

     

    Voici quelques exemples de l’usage de cette écriture :

     

    Gu anak sugtshub, Je suis une marchande

     

    Am shatvak hannap, Je suis venue en bateau

     

    Il est également possible de rencontrer une écriture d’un style plus ancien, à l’air plus compact, dans lequel les traits adjacents sont fondus ensemble en un seul « bloc », les rendant assez dissemblables à l’œil non averti. Ces glyphes sont assez rares ; ils apparaissent surtout sur d’antiques textes gravés sur la pierre. Ne vous laissez pas décourager : il suffit d’imaginer des traits plus fins à la place des « blocs » pour y voir les glyphes sous leur apparence moderne.

     

    Par exemple :

     

    Comme vous pouvez le voir, ils sont bien distincts, mais n’ayez crainte : vous ne devriez pas rencontrer ces glyphes très souvent, à moins que vous n’ayez pour habitude de fouiller des temples et ruines des temps anciens.

     

  6. Ils voulaient nous voir trépasser,
    Mais nos colonies croissaient.
    Occuper. Purifier.

     

    D’Ablan, la jalousie frémit :
    Terres et maisons, leur vilenie.
    Diviser. Séparer.

     

    Arrogantes troupes étincelantes
    Avons combattues sans défense.
    Brûler. Unifier.

     

    Ces traîtres sur la mer, se replièrent ;
    Enfin libres, régnant sur nos terres.
    Élever. Transcender.

  7. IIII

     

    La semaine dernière, mon noble hôte m’a emmené à une partie de chasse au-delà des limites de son domaine. Tout était déjà préparé ; chaque chasseur et esclave connaissait son rôle. Un grand nombre des nobles de la région nous accompagnaient dans cette marche en direction des contrées sauvages, mon cousin et moi-même en tête. Après quelques heures, nous nous sommes arrêtés dans une clairière. Nous avons pris le petit déjeuner servi par les esclaves domestiques, jusqu’à ce qu’un éclaireur revienne : il avait localisé un vieux cerf dont la ramure comptait douze andouillers. Nous avons poursuivi ce gibier et l’avons acculé. Mon hôte m’ayant accordé l’honneur de l’achever, je me suis exécuté d’un coup bien assuré en travers du poitrail.

     

    Alors que le soleil se couchait et que nous versions le sang de la bête pour offrir à Cædhren les libations appropriées, un étrange cortège s’est approché. Une demi-douzaine de silhouettes montées étaient soudainement apparues dans l’obscurité, à la limite de la lumière du feu. Tout le monde s’est tourné vers mon cousin. Il a pris un large couteau pour arracher une des pattes du cerf, qu’il a déposée sur un rocher à proximité. Trois esclaves ont chargé le reste sur une charrette et, dans le plus grand silence, notre bande a emprunté le chemin du retour.

     

    Une fois sortis de la forêt, l’humeur de mon cousin s’était améliorée. Je lui ai alors demandé ce qu’il s’était passé. Il m’a expliqué ce que j’avais déjà deviné : les personnages que nous avions rencontrés étaient des acolytes de l’une des nombreuses communautés de hors-la-loi qui parcourent les bois sombres de la frontière. Ces elfes sans foi ni loi, à demi civilisés, sont dirigés par des mages aux pouvoirs terribles : les sorciers. Le groupe que nous avions rencontré servait une telle maîtresse : une sorcière blême connue sous le nom de « Dame de l’Ombre ». Puis mon cousin a gardé le silence.

     

    Une fois revenus au domaine, j’ai interrogé un garde à ce sujet. Si ce qu’il m’a dit est vrai, mon cousin s’était allié à la Dame de l’Ombre il y a quelques années alors qu’il combattait une grande harde d’hommes-bêtes. Depuis lors, ils étaient convenus de respecter leurs territoires mutuels. S’étant assuré que personne ne nous écoutait, le garde s’est rapproché et m’a confié que son maître, séduit par la sorcière, avait un temps envisagé de l’épouser, avant d’être ramené à la raison juste à temps : les sorciers ont une mauvaise réputation, unanimement honnis par tous les honnêtes Daebs, car ils descendent de mages renégats d’Aldan, qui ont toujours refusé de se soumettre ou de s’associer au peuple supérieur daeb.

     

    De retour dans mes quartiers, j’ai réfléchi à tout ce que j’avais entendu sur ces mystérieuses communautés frontalières. On dit de ces parias qu’ils se sont tournés vers les arts sombres il y a bien longtemps, dans le chaos de la guerre civile, mais qu’ils avaient été reniés, d’abord par Aldan, puis par Rathæn, puisque leurs expériences avaient fait la majorité de leurs victimes parmi nos courageux rebelles. Les sorciers avaient quitté les Îles blanches en emportant de nombreux trésors et grimoires magiques qui n’ont jamais été confiés à l’étude des érudits du Dathen. Encore de nos jours, bon nombre d’entre eux demeurent bien plus puissants que les mages des Temples ; néanmoins, ces secrets occultes ont déformé leur appréciation de la société civilisée et de la stratégie militaire, les laissant indifférents aux postes de commandement – postes pour lesquels ils ne pourraient de toute façon jamais être acceptés.

     

    Aujourd’hui, il semble que les sorciers ont trouvé une sorte d’équilibre précaire : ils ne sont pas citoyens de la République, mais sont autorisés à habiter les territoires à ses marches. L’État les surveille de près, et est connu pour faire usage de leurs pouvoirs à des fins militaires lorsque cela sert la République. Il arrive que certains épousent les fils ou filles de familles nobles, ou échangent des connaissances théoriques et pratiques avec les Temples de Rathæn ; j’ai d’ailleurs déjà vu des lames forgées par ces sorciers même sur mes propres terres. Pourtant, malgré ces contacts hésitants, le préjugé que j’ai clairement perçu dans les paroles du garde prouve que la plupart des Daebs ne feront jamais plus que tolérer la présence de ces parias.

  8. Transcription de l’interrogatoire – Inquisiteur Première classe Elmar Lorca

     

    Sujet : Mlle Annabelle MÜLLER


    948 AS, le 1er acrobre

     

    Archiprélate Hildeguthe : Pouvez-vous continuer ?

     

    Mlle Annabelle Müller : Oui, Révérende Mère, je me sens mieux, pardonnez-moi.

     

    Hildeguthe : Nul besoin de demander mon pardon, mon enfant. Peu de gens échappent aux elfes silexiens ; encore moins nombreux sont ceux et celles qui parviennent à regagner leur pays natal, avec la détermination de raconter leur histoire. Elmar, voudriez-vous commencer aujourd’hui ?

     

    Inquisiteur Lorca : Très bien. Dans votre position de domestique…

     

    Müller : D’esclave, monsieur. J’étais esclave ! Pas besoin d’être poli.

     

    Lorca : Tout à fait, mes excuses. En tant qu’esclave personnelle de votre maîtresse et donc témoin de premier plan, avez-vous à rapporter des éléments qui puissent nous permettre d’améliorer notre compréhension de leur culture ?

     

    Müller : Ils se soucient les uns des autres. Ils s’aiment et sont aimés, et semblent accorder une grande valeur à la vie. Cela en est même écœurant, compte tenu de la cruauté avec laquelle ils traitent les individus qui ne sont pas des leurs. Je veux dire ceux qui ne sont pas des elfes. J’en veux pour preuve le deuil qui a touché mon maître et ma maîtresse.

     

    Lorca : Parlez-nous de ce deuil.

     

    À ce point de son témoignage, Mlle Müller est visiblement bouleversée, mais refuse d’ajourner la séance.

     

    Müller : C’était lors de la seconde année de ma captivité. Je n’étais déjà plus que l’ombre de moi-même. Je consacrais toute mon énergie à éviter les punitions et à convenir en toutes circonstances à mes maîtres. Il le fallait afin que je puisse rester dans le confort tout relatif du foyer. Les travaux des champs auraient eu raison de moi en un mois à peine. Vous ne pouvez imaginer à quel point ils sont cruels. Je viens d’une famille fière, mais ils m’ont brisée et ont fait de moi un chiot pitoyable dont la seule préoccupation était de constamment leur plaire.

     

    C’est à cette période que le fils de mes maîtres est parti combattre les barbares – chasser des indigènes de leurs terres, pour ce que j’en ai compris. Je me souviens qu’il était vêtu d’une armure et qu’il portait un bouclier et une lance. Il y a eu une célébration en son honneur. Le maître et la maîtresse portaient également une armure et avaient les larmes aux yeux. Ils pleurent ! Pouvez-vous le croire ? Je me rappelle qu’ils avaient également versé des larmes lorsque leur fils était revenu de l’Académie, juste après mon arrivée au domaine.

     

    Cette fois-ci, ce fut différent. Il avait été tué. C’est son cadavre qui a été ramené au domaine. C’était un spectacle écœurant ; le corps avait été… éviscéré. Pour ma part, j’étais heureuse : le jeune était cruel, même pour un Daeb. Il aimait s’entraîner à l’épée sur les ouvriers blessés, ceux qui étaient trop mal en point pour pouvoir reprendre le travail. S’il ne réussissait pas à les tuer d’un coup vif en dégainant de son fourreau, il laissait exploser sa rage… Même les autres elfes le craignaient. Quand il est mort, le maître et la maîtresse sont devenus inconsolables. Ils donnaient l’impression de ne pouvoir réussir à surmonter leur deuil, s’effondrant constamment dans les bras l’un de l’autre. L’intendant du domaine a dû faire appel à un apothicaire pour leur administrer une concoction afin de les apaiser. Il ne semblait pas inconvenant pour l’homme de la maison de céder ainsi à son chagrin, à l’inverse de ce qui s’observe dans l’Empire. Les Daebs ne semblent pas se soucier de ce genre de détails.

     

    Un bûcher a été érigé dans la cour. Divers citoyens ont assisté aux funérailles. Le clergé était lui aussi présent : des prêtresses terrifiantes, l’une vêtue d’une cotte de mailles, l’autre d’une robe pourpre. Les assistants des prêtresses et la maîtresse ont préparé le corps. À peu près tout le monde était en armure ; beaucoup portaient une lance, quelques-uns une arbalète. Ceux qui avaient une arbalète se tenaient à l’écart ; ils semblaient être de rang inférieur. J’ai reconnu certains d’entre eux que j’avais croisés lors de mes corvées quotidiennes. Il semble que la plupart des citoyens du Dathen soient également soldats. Et pas une milice dépareillée, vous comprenez. Ils avaient l’air tout aussi sinistre et aguerri que vos gardes à l’extérieur.

     

    Les funérailles ont commencé. La prêtresse en armure a tout d’abord fait une sorte de sermon. Elle a entonné une mélopée à laquelle tout le monde a répondu en criant et en faisant claquer ses armes. Puis la prêtresse en rouge et ses accompagnateurs ont allumé le bûcher. Je trouvais curieux que tous les esclaves de la ferme soient présents ; on les a fait se mettre en rang tandis que les acolytes du temple se tenaient derrière eux. La prêtresse en rouge semblait arriver à un point culminant…

     

    Mlle Müller est de nouveau en détresse. Elle prend un peu d’eau-de-vie.

     

    Hildeguthe : Prenez votre temps, ma pauvre petite.

     

    Müller : D’un seul coup, les acolytes ont sorti des poignards. Ils… Ils ont tranché la gorge des ouvriers agricoles. Ils ont recueilli leur sang. Ils étaient sacrifiés, pour le fils mort.

     

    S’étant recueillie, Mlle Müller reprend son récit.

     

    Leur sang a été collecté dans des récipients, et leurs corps ont été placés sur le bûcher. Il y a eu d’autres incantations… et toujours le même vacarme des armes. J’ai été la seule adulte épargnée. La maîtresse m’a contrainte à regarder la scène. J’ai tenté de détourner le regard, mais alors, elle a saisi sa cravache en cuir pour me châtier. Elle était en pleurs, tout comme moi. Elle m’a hurlé dessus, m’ordonnant de faire preuve de respect, et que je n’avais qu’à maudire mes parents de m’avoir fait naître pour être témoin de ce drame. Elle a dit qu’il n’y aurait pour moi que souffrance si j’osais à nouveau détourner le regard. Je crois que… cette cruauté était sa façon d’exprimer son chagrin.

     

    Ils ont festoyé pendant que le bûcher consumait les corps. Le lendemain matin, les cendres de leur fils ont été recueillies par les assistants du prêtre. Ils les ont placées dans une urne ornée de bijoux et nous sommes allés à un ruisseau voisin où elles ont été dispersées, avec le sang des sacrifiés… Là aussi, il y a eu des prières. Par la suite, j’ai appris que le domaine avait été vendu et que le maître et la maîtresse s’apprêtaient à déménager en ville. Le maître s’agrippait à l’urne vide comme un homme qui se noie s’accroche à une épave. C’est alors que les sombres guerriers sont arrivés… et que nous avons été laissés à nous-mêmes.

  9. III

     

    C’est ainsi que nous avons entamé notre voyage vers la maison ancestrale de ma famille, où mon cousin et moi-même avions été élevés et éduqués en tant que fiers citoyens de la République. Les paysages familiers remplissaient mon esprit de souvenirs. De longues décennies s’étaient écoulées depuis la dernière fois où j’avais posé mon regard sur ces collines et ces plaines, mais jamais mon cœur ne les avait oubliées. La brise descendait des collines et faisait onduler les blés où les esclaves peinaient sur de vastes plaines fertiles. Au loin, le large fleuve Tietha tranchait le paysage d’un horizon à l’autre. L’eau s’étendait, large et puissante devant nous, s’écoulant des frontières indomptées du nord et de l’ouest où règnent les bêtes et les sauvages, jusqu’à son estuaire à l’est, foyer de notre civilisation.

     

    Poursuivant notre voyage, nous avons traversé plusieurs beaux domaines dominant les champs environnants. Le bruit des lames à l’entraînement et les ordres hurlés par les officiers affirmaient la force du cœur du territoire silexien, tout en offrant un avertissement sinistre aux esclaves. Les souvenirs de ma formation à l’Académie me sont revenus en mémoire. Si je me souviens à peine du jour où le magistrat m’a emmené à la caserne avec les autres enfants, je me rappelle très bien les conditions extrêmes de notre formation. Ce sont là les termes du contrat passé avec l’État : combattre pour la République pour gagner l’honneur de la citoyenneté. En observant les dernières recrues, je me suis remémoré l’un de mes plus grands moments de fierté, ce jour où mon entrée parmi les Lances de la République avait été finalement approuvée par le vote de mes aînés.

     

    J’ai été tiré de ma rêverie par mon cousin, qui me demandait où en étaient les vignobles de mon domaine. J’ai répondu que le millésime de cette année serait bon.

     

    « J’ai apporté une douzaine de mes meilleures bouteilles pour toi, aussi douces et raffinées que nous autres, Daebs.

     

    — Dans ce cas, je préfèrerais boire de l’eau comme les esclaves, a-t-il répondu, et nous nous sommes tous deux mis à rire.

     

    Je lui ai posé des questions sur ses propres plantations, et il a entrepris de vanter la prospérité de ses quatre domaines : sa dernière expédition en Taphrie avait été couronnée de succès, ce qui lui avait permis d’étendre ses terres à l’ouest et de renforcer les défenses le long de sa frontière avec l’arrière-pays. Il avait même obtenu une licence d’exploitation pour une mine de charbon à l’est, même si cela nécessiterait encore plus d’esclaves.

     

    « Tu vois, a-t-il poursuivi, les esclaves que tu aperçois dans ces champs ne sont pas adaptés aux mines. J’ai besoin de spécimens plus robustes, mais pas trop grands, à même de transporter des pierres dans les tunnels. Des orques pourraient convenir, même des hommes-bêtes si je leur coupe les cornes, mais rien de plus grand. Les vermines sont les meilleurs de tous : ils ne sont guère endurants, mais ils sont habitués à mener une vie difficile loin de la lumière du jour.

     

    — Ils ne vivent pas assez longtemps, ai-je répondu, mais il s’est contenté de glousser.

     

    — Quand tu auras besoin d’esclaves, viens me voir. Je te ferai un bon prix. Je garde toujours la meilleure qualité pour mes camarades Daebs, pas comme les charognes que je vends à l’étranger. »

     

    Quelques heures plus tard, nous étions sur ses terres. Autour de nous, un océan d’or s’étendait sur la plaine. Nous approchions de la seule colline à des kilomètres à la ronde, où se dressait toujours la maison fortifiée de mon enfance. J’ai constaté que les bois sauvages dans son dos étaient plus éloignés aujourd’hui que dans ma jeunesse. Mon cousin m’a dit que la limite avait été repoussée quelques années auparavant, après avoir vaincu une grande harde d’hommes-bêtes descendue des montagnes. Pourtant, une importante garnison s’entraînait toujours dans la cour d’exercice lorsque nous sommes arrivés. La présence de ces hommes, ainsi que les remparts fraîchement rénovés, suggéraient que la paix n’était pas entièrement assurée.

     

    « Notre terre se trouve à la frontière même de la République, a dit mon cousin. Ici, le conflit n’est jamais vraiment terminé. Nous devons rester vigilants. Mes contacts auprès des colonies de parias qui vivent dans les bois m’ont récemment averti d’une nouvelle hausse du nombre de barbares. Je crains qu’une guerre n’éclate, telle que n’en avons pas vu depuis l’époque de nos parents. Tu te souviens ? »

     

    Mais j’étais déjà perdu dans mes souvenirs, d’une époque que je croyais avoir oubliée.

  10. Panthéon daeb


    Moïthir
    La Reine fantôme

    Naram
    La Mère

    Bagheïm
    La Guerrière

    Tila
    La Vieille


    Æmar
    Le Père divin

    Yéma
    Le Séducteur

    Cædhren
    Le Chasseur

    Umæg
    Le Roi


    Goïren
    Le Maître de la terre

    Harag
    La Sorcière des tempêtes

    Darag
    Le Forgeron divin

    Æmrel
    La Reine de la Sylve

    Nabh
    La Corneille de la guerre

    Madhlis
    La Grande Maîtresse

    Feredh
    La Prophétesse

    Ceïnran
    Le Roublard

    Urlaïn
    Le Conquérant


    Les Jumeaux divins

    Sura
    Le Faiseur de printemps

    Cyma
    La Princesse
     

  11. Écoute moi, pourriture naine.

     

    Nous sommes les héritiers d’Æmbeghen, fondateur de notre république éternelle. Nous n’usons pas de ruse, nous ne trichons pas ; toute notre puissance est dirigée vers nos ennemis, car la terreur est notre arme. Nous sommes des prédateurs qui chassons nos proies avec honneur et sans pitié. Pour vous, l’honneur est d’être chassé par nous. Mais pour nous échapper, vous devrez user de stratagèmes, car votre force n’est rien face aux parfaits tueurs que nous sommes. Plus puissant est le gibier, plus grand sera notre gloire.

     

    Pensez-vous que vos menaces de torture m’effraient d’une quelconque manière ? Nous sommes la peur incarnée. Nous ne craignons pas la mort, car la Reine de la mort nous accompagne dès notre naissance.

     

    En tant que shethim d’Urlaïn, je prévois en Son nom notre victoire prochaine et vos cadavres pourrissant déjà sur le champ de bataille. Cette terre est nôtre, c’est notre devoir de la reconquérir et de la purifier de votre immonde présence, au nom du pacte conclu avec nos dieux.

     

    Les shethims de Nabh éveilleront la soif de sang de nos guerriers en leurs prêchant les saintes paroles. Les shethims de Cædhren sélectionneront nos prochaines proies. Les shethims de Moïthir s’empareront de vos âmes. La Consule des cérémonies elle-même préparera un triomphe, au nom d’Æmar, pour nos commandants victorieux. Nous avons foi en notre domination, car la république du Dathen est consacrée par le Père divin. C’est en son triple nom que nous déclarons les guerres et c’est sa fille, la Corneille écarlate, qui guide nos lames au combat tandis que ses fils jugent les vils et les perfides.

     

    L’encens brûle dans nos temples, une multitude d’esclaves est sacrifiée tandis que nos guerriers se rassemblent, de plus en plus nombreux. Les portes du temple de Nabh sont ouvertes : elles ne se refermeront qu’une fois que chacun d’entre vous aura rencontré son destin.

     

    Les Trônes d’obsidienne approuvent cette campagne, car elle est sacrée pour tous nos dieux. Les dévots, ainsi que les grands prêtres des Temples, mènent nos troupes sur le champ de bataille, guidant leurs mains, conseillant nos commandants, accomplissant la volonté des dieux de la République. La victoire ou la mort est certaine, car tout Daeb, homme comme femme, sait que le Dathen et les Halles des dieux ne font qu’un.

     

    La seule chose que vous devez savoir, est que vous ne serez pas épargné. La Reine fantôme réclamera vos âmes. La Sorcière des tempêtes propulsera nos flottes. Cædhren pourchassera vos espoirs. Nabh écrasera vos ambitions tout comme vos armées. Urlaïn approuvera notre victoire sur vos crânes, vos os et vos bannières. La peur que nous provoquons à nos ennemis accroît la puissance de nos Temples ; les échos de vos souffrances se répandront dans toute la Vétie. Les cités humaines seront renversées, les forteresses naines assiégées par la terreur elle-même.

     

    –––––


    Prétendue provocation lancée par les forces daèbes aux nains de Nevaz Vanez lors de la grande invasion de Vétie, dans l’espoir de les inciter à livrer bataille dans des conditions défavorables. J’émets de sérieuses réserves quant à la paternité de cette lettre. Nos honteux parents ne sont jamais aussi… verbeux, mais ce que nous connaissons d’eux, de leur religion ou de leur philosophie militaire, suggère que si le format et le style ont pu être contrefaits, le fond, lui, est typiquement daeb.

     

    Les observations de nos agents au Dathen confirment qu’il y existe deux formes d’institutions religieuses : les Temples et les cultes. Les Temples sont approuvés par l’État, dirigés par des cadhads, des shethims et desrathims, qui sont les trois principaux grades du clergé. Certains cultes sont déclarés officiellement au sein du système des Temples, tandis que d’autres échappent au contrôle des autorités. Tout comme c’est le cas dans notre propre noble tradition, leurs dieux ont plusieurs attributs et, en général, chaque Temple ou culte ne vénère qu’un unique aspect de ce dieu. C’est ainsi que le Père divin, mentionné dans cette lettre, en possède trois. Chacun de ces aspects revêt à son tour plusieurs facettes ou spécialités. Ainsi, le culte de Yéma le Séducteur présente des croyances et des pratiques différentes de celles de Yéma l’Embellisseur.

     

    À titre d’information, j’ai décrit le panthéon daeb ci-dessous. Il est identique à de nombreux égards à celui des elfes sylvestres et au nôtre, bien que la priorité accordée à chaque dieu diffère. Notez que les Jumeaux divins, gardiens de Wyscan, ne sont vénérés que par les Tréwis, tandis qu’Urlaïn le Conquérant (appelé « Olaron » en Orient) jouit d’une adoration particulière au Dathen.

     

    – Extrait du Manuel de formation pour les cadets veilleurs gris

     

  12. L’Âge d’Or, amitiés détériorent ;
    Notre race attendait l’aurore.
    Attendre. Suspendre.

     

    Archers cachés, des forêts suzerains :
    Nous nous dressâmes contre nos cousins.
    Assaillir. Trahir.

     

    Des avides nains, la grande guerre vint :
    Batailles dans montagnes et ravins.
    Frapper. Hériter.

     

    Traversant le grand océan,
    Les lourdes chaînes de l’Empire brisant.
    Protester. Révolter.

  13. II

     

    Le voyage avait été long depuis ma demeure en Virentie. Lorsque j’ai finalement débarqué dans le port bondé de Cæn Dracin, j’ai voulu faire route en direction des rues anguleuses de la cité. Mais avant même d’avoir fait un pas, j’ai été abordé par une esclave qui m’a conduit à son maître : mon cousin et vieil ami Loræc. Celui-ci m’a réservé un accueil chaleureux, me saluant à la manière des Daebs, le bras droit en travers de la poitrine. Il m’a fait asseoir sur un banc sur une élégante terrasse, d’où nous avons pu profiter de la vue sur le port et de la senteur de l’océan.

     

    Je n’étais pas venu ici depuis de nombreuses années, et je n’ai pu m’empêcher de faire remarquer que beaucoup de choses avaient changé.

     

    « Je suppose que tu as raison, a-t-il répondu. Cette ville est toujours bondée, et le flux constant de personnes et de marchandises la fait constamment évoluer.

     

    — Vos concitoyens sont différents de ceux de mon pays. Il y a ici une variété saisissante de vêtements, de coiffures et de mœurs. Les corsaires et les jeunes qui naviguaient avec moi avaient les cheveux rasés sur les côtés ou entièrement coupés. Dis-moi cousin, est-ce la marque d’un culte ?

     

    — Certaines sectes obligent leurs adeptes à se raser, c’est vrai. Mais ceux que tu as vus ne sont que de jeunes idéalistes avides de liberté. Vois-tu, une fois sortis de l’Académie, ils ne sont plus obligés de porter leurs cheveux en une longue tresse ou crinière, comme le veut la vieille tradition chez nos soldats. Ils les coupent alors pour signaler leur indépendance, et entament alors une nouvelle carrière loin du regard de l’État, en tant que corsaires ou esclavagistes.

     

    — Il me semble, mon ami, que nous sommes tous deux trop vieux jeu pour comprendre. »

     

    Nous avons terminé nos boissons, puis nous sommes promenés du port jusqu’au marché, sis au centre de la ville, près de la fontaine de Harag. Poursuivant notre conversation, comme j’étais toujours intrigué par ces jeunes elfes, je lui ai demandé comment ils étaient traités par l’État. Ce qui nous a fait aborder le sujet de la politique.

     

    « Trois grandes factions politiques se partagent le pouvoir dans la République, m’a-t-il expliqué. Nous appelons la première la faction “Terre-Mère”. Il s’agit principalement de descendants d’anciennes familles, ces premiers colons abandonnés et trahis par les dirigeants arandais, il y a bien longtemps, et qui cherchent aujourd’hui à raviver l’ancienne guerre avec les Hautes Lignées et à reconquérir l’Empire elfique par la voie militaire ou diplomatique. D’autre part, les descendants des elfes qui ont fui la Vétie après les guerres de la fin de l’Âge d’Or constituent le noyau de la faction “Mère-Patrie”. Ils considèrent la Vétie comme notre foyer ancestral, et veulent rétablir notre domination sur ce continent. Les puissantes familles qui animent ces deux partis avaient l’habitude de considérer les jeunes que tu as mentionnés comme des parvenus, sans guère leur prêter attention, mais ils ont à présent crû tant en nombre qu’en puissance. Si bien que depuis de nombreux siècles, ces démagogues et chercheurs de fortune forment la troisième faction, les “Esclavagistes”, qui préconise d’oublier les antiques rancunes pour assumer la position de force acquise par le Dathen au fil des siècles afin de le faire prospérer. »

     

    En approchant du marché, j’ai admiré les hauts murs de la citadelle intérieure et la célèbre statue de Dræcarion, héros déjà légendaire bien avant l’indépendance du Dathen. Bientôt, nous étions entourés des parfums et des voix du marché. De longues rangées d’esclaves marchaient avec lassitude, fraîchement débarqués du port.

     

    « Tu vois, a repris mon cousin, c’est là la vraie richesse du Dathen : le monde entier mis en coupe réglée. À quoi bon les fables et les rêves de terres lointaines, quand nous avons l’océan au bout des doigts, l’abondance de la Silexie qui s’offre à nous ? C’est, du moins, ce que l’on lit dans les pamphlets des Esclavagistes… »

  14. JOURNAL D’UN NOBLE ELFE DE VIRENTIE

     

    Extraits présentés à la Société d’exploration océanique par un bienfaiteur anonyme, origine inconnue.

     

    I

     

    Comme à chaque fois que je navigue sur l’océan, mon cœur s’emplit d’une joie incomparable et d’un sentiment de liberté. C’est peut-être là tout le sens de l’âme daèbe : notre lien fatidique avec l’écume et les embruns.

     

    Quoi qu’il en soit, le voyage a été agréable, même s’il a été long. Un cycle lunaire complet s’est écoulé depuis que je me suis embarqué sur ce chemin détourné en direction du grand Dathen, quittant ces rivages lointains de la petite république qui est mon foyer. La première étape du voyage s’est déroulée dans le calme, entre les eaux virentiennes et la Mer brisée. Mais à partir d’ici, la protection de Harag s’est avérée insuffisante pour assurer la sécurité de notre flottille. La tempête a été aussi soudaine que violente. Deux trirèmes et trois galères rapides ont été englouties par les eaux féroces ; leurs coques aux courbes élégantes n’ont pas résisté.

     

    Nous avons dérivé loin dans le Grand océan. Une fois l’inventaire fait, j’ai été étonné et soulagé de constater que la majeure partie de ma cargaison était toujours en sécurité : trois cent vingt-deux barils de vin raffiné, trois celliers pleins de poisson salé et d’huîtres, deux cent quatre-vingts esclaves et deux belles manticores qui avaient été promises à un belluaire de Cæn Dracin. Après ce décompte, mon humeur s’est nettement améliorée. Nous n’avions perdu que sept esclaves, devenus fous, et qu’il a fallu abattre.

     

    Ce matin, je me suis promené sur le pont du Vent glacial, ma fière trirème. Il bouillonnait d’activité. Les corsaires supervisaient les réparations, en plus de leurs tâches habituelles, lesquelles consistent à s’occuper du gréement et des voiles. La majorité d’entre eux sont de jeunes elfes têtus, dont beaucoup viennent à peine de sortir de l’Académie ; mais on trouve aussi parmi eux des guerriers et guerrières endurcis, ainsi que des marins expérimentés, lecteurs incomparables de l’humeur de Harag dans le ciel, et tout aussi compétents pour étriper leurs ennemis de leurs lames d’acier. Ces vétérans sont craints et respectés par le reste de l’équipage, leurs larges capes en peau de monstre marin symbolisant leur statut.

     

    J’observais la trirème la plus proche, le Croc du Serpent. Je pouvais y voir les dresseurs de bêtes que j’avais engagés auprès de l’une de nos meilleures écoles de domptage afin de surveiller les manticores. J’étais inquiet d’avoir à transporter des bêtes aussi puissantes, mais ces experts méritent leur réputation : leur extraordinaire savoir-faire vaut bien chaque barre d’argent déboursée.

     

    Remplissant mes poumons de l’odeur salée de l’océan, j’ai contemplé les vagues qui caressaient les coques de notre flottille. Nous avions perdu beaucoup de temps en raison de la tempête, mais les trirèmes naviguent vite grâce à la toile du navire et à la rame de l’esclave. En de tels moments, je me sens pleinement vivant.

  15. À la naissance, grande fut défiance :
    Les Sauriens régnaient de leurs lances.
    Étouffer. Enchaîner.

     

    Combat s’ensuivit, jour et nuit,
    Pour briser leur hégémonie.
    Déchirer. Décapiter.

     

    Aux heures sombres, nos ancêtres en nombre
    Du véritable pouvoir firent montre.
    Tuer. Écorcher.

     

    Nulle pitié ne fut accordée :
    La violence, nécessité.
    Prospérer. Perpétuer.

  16. VÉTIE

     

    Toutes les routes mènent à Avras, dit le proverbe. Le joyau de l’humanité (ou le cloaque de l’humanité, c’est selon !) a beau demeurer la cité la plus imposante et la plus importante du continent le plus petit du monde et le plus civilisé (même si ce dernier qualificatif est sujet à controverses), mais son influence est loin d’être incontestée. Même si ni Fontaine, ni aucun sénateur ne pourrait l’admettre, la capitale de Sunna n’est guère plus qu’une cité-État parmi une multitude en Arcalée, quand bien même elle joue un rôle de premier plan dans le commerce, la religion, l’érudition et, bien entendu, en tant que symbole.

     

    Les côtes nord de la Mer médiane sont un entrelacs d’insolubles intrigues politiques et familiales, un système de cités libres contrôlées par les Couronnes de fer qui s’efforcent de se tenir mutuellement en échec. Toute dynastie de princes, doges et banquiers cherche à surpasser ou, du moins, à remporter l’allégeance de toutes les autres. C’est leur or qui finance les compagnies qui protègent les routes qui leur permettent d’acquérir encore plus d’or.

     

    La péninsule orientale, dont une grande partie est inféodée au sénat d’Avras, s’appelle la Glaucie, une terre à la riche histoire. Un archéologue entreprenant n’a qu’à se mettre à y creuser n’importe où pour mettre à jour, en strates successives, les ruines de la Restauration arcaléonienne, de l’Empire vermineux, de l’Empire avrasien, de l’Hégémonie ogresque, du Grand Empire nain, des républiques glaucanes et des citadelles proto-elfiques ; sans oublier les brèves incursions de Sonnstahl de la Volskaïa, de l’Équitaine et même de la Khassibie. Mais cela serait également ne pas faire justice aux plus antiques de toutes les ruines : les installations sauriennes de l’ ge de l’Aube, que l’on retrouve éparpillées dans le monde entier. De nos jours, la Glaucie est surtout peuplée de braves paysans et de moins braves princes, aux côtés des gorgones, des drangues (faiseurs d’orages ailés) et autres farfadets qui errent dans les endroits sauvages.

     

    De l’autre côté de la mer des Sirènes s’étend l’Æturie, péninsule centrale de la Vétie méridionale. Elle a été unie à la Glaucie, culturellement du moins, et dans sa résistance contre le joug de la Vermine, par le héros légendaire Arcaléone au début du Neuvième  ge. L’Æturie est une mosaïque de principautés aux champs bien entretenus, plantés de cyprès et d’oliviers, bien connue pour ses guildes aux artisans inventifs, ses précepteurs, ses financiers et ses explorateurs. Le siège du Prélat suprême se trouve aujourd’hui à Réva, dans les collines occidentales, même si Sunna plus communément vénérée en Arcalée sous la forme de Thémésis, une interprétation mystique révélée par Fra Nicolò après qu’il eut affirmé avoir trouvé le véritable Livre des Askars, il y a près de cinq siècles.

     

    Les connaissances arcaléennes dans le domaine de l’alchimie sont sans pareilles à l’ouest du Tsouan-Tan, pouvant compter, tout comme les beaux-arts, sur l’appui de riches mécènes pour produire des trésors de médecine, de magie et d’art militaire. D’aucuns vont jusqu’à affirmer que les arrogants inventeurs de Santa-Regina auraient appris les secrets du vol (à moins qu’il ne s’agisse de l’invisibilité ?) aux côtés d’un millier de variétés de pierres philosophales et d’une dizaine d’espèces de golems, dont les applications vont de la divination à l’armée. D’autres soutiennent que la moindre découverte est le fruit d’une manipulation secrète par une cabale de vampires qui tirerait les ficelles dans tout le pays. Il faut effectivement dire que les Seigneurs de la Nuit y sont démasqués plus souvent que partout ailleurs en Vétie. Après tout, c’est à Myra qu’est née la lignée lahmiane.

     

    Le territoire des Couronnes de fer elles-mêmes s’étend d’une extrémité de la Mer médiane à l’autre, de la capitainerie ogre à l’est de Myra (réputée pour ses mercenaires augéens et locaux) aux forts des corsaires de la péninsule destrienne : un vaste réseau parcouru d’un bout à l’autre par les soudards et l’or. Depuis l’unification du nord et de l’est de la Destrie, les couronnes (bien dorées, celles-là !) de Haute Destrie et de Terremelle poussent en direction du sud pour absorber ou conquérir de nombreuses principautés indépendantes, bien que certaines résistent farouchement à toute tentative de les incorporer dans ce qui pourrait être qualifié, à tort ou à raison, d’« empire de Destrie », comme il a été connu pendant un moment. Cependant, il faut noter que ce titre a été abandonné dans la plupart des déclarations officielles, sous la pression de Sonnstahl, pour qui son statut de seul et unique « Empire » de Vétie est une matière de la plus importance : c’est en effet cette position qui lui permet de se présenter comme successeur d’Avras, héritage qui lui aurait été légué par Sunna elle-même. Bien entendu, Sa Majesté Sophie conserve son titre d’« impératrice », vu qu’elle est mariée à l’empereur Matthias.

     

    Abstraction faite de ces questions d’hégémonie politique, la Destrie reste en grande partie ce qu’elle a été depuis sa « Reconquista » contre les vampires Sangréal qui l’oppressaient jadis et rôdent peut-être encore en coulisses – un tel chiendent est en effet des plus ardus à éliminer pour de bon ! Parmi ses nombreux cultes rendus à Sunna, à Genoveva et à toute une armée d’autres saints, celui de Carnivus est sans doute le plus répandu ; il est si apprécié par la population que même l’Impératrice ne peut rien faire à son encontre. Carnivus est un dieu splendidement fataliste, qui ne commande que des festivités aussi fréquentes et aussi longues que possibles, poussant ses adorateurs et adoratrices à des actes d’un hédonisme extrême qui causent souvent des décès. Chaque ville, chaque région a son propre calendrier festif. Dans les pires des cas, le tribut à Carnivus est connu pour avoir causé l’anéantissement de villages entiers par suite de l’exténuation de leur population.

     

    On trouve de nombreuses îles dans la Mer médiane. Certaines sont revendiquées par de grandes puissances, comme les avant-postes commerciaux que les Nains infernaux ont installés sur un petit archipel des Îles fracassées. D’autres sont des repaires de trafiquants, cultistes ou barbares. Et immanquablement, comme la plupart des régions côtières de la Mer médiane qui se seraient bien passées d’une telle attention, certaines de ces îles ont été la cible de croisades équitaines, en particulier celles réputées pour abriter des sites sacrés.

     

    Même si on écarte ses tendances belliqueuses, l’Équitaine est loin d’être un pays de tout repos. Tout comme c’est le cas dans le lointain Tsouan-Tan, sa religion populaire vénère l’eau et la purification ; ce qui est quelque peu ironique, quand on considère la quantité phénoménale de magie qui imbibe ses terres, renforçant la splendeur naturelle du pays tout en le contaminant. On trouve en Équitaine des fées en tous genres : satyres, lutins et autres bêtes chimériques, toutes aussi promptes à dérober les enfants des paysans ou à incendier un moulin qu’à rejoindre au combat les chevaliers bigarrés. Les seigneurs et les ordos rivalisent pour le pouvoir et l’influence dans ce territoire aux montagnes escarpées, aux forêts tortueuses, aux champs de blé incommensurables, aux collines brumeuses, aux interminables rivières et aux lacs innombrables.

     

    La vie ici est essentiellement rurale : hormis Guênac et Gasconne, les villes sont moins nombreuses qu’ailleurs, et de moindre importance. Au lieu des chapelles et cathédrales qui s’élèvent dans toute la Vétie, les ordos équitains érigent des sanctuaires à la forme circulaire représentant le royaume lui-même. Ces lieux ne sont pas utilisés pour le culte, qui a normalement lieu en plein air au bord d’étendues d’eau. À la place, les sanctuaires recèlent des tableaux, peintures et reliques conservés en tant qu’objets d’adoration à partir desquels le peuple apprend ses propres histoires. L’héroïsme équitain a des connotations un peu trop mélodramatiques à mon goût ; c’est un endroit charmant à visiter, mais je ne vous recommande vraiment pas de chercher à vous y installer.

     

    Le royaume des chevaliers est séparé de son voisin impérial par les Montagnes blanches au sud, et par l’impénétrable forêt de Wyscan au centre. Dans le nord, les villes de la région connue, selon le camp, sous le nom d’Henguelau oriental ou de Vosenland occidental (dont la majorité est actuellement occupée par l’Empire depuis la dernière guerre) changent de mains si souvent que peu d’entre elles sont tenues par la moindre allégeance durable ; certaines sont même parvenues à négocier un certain degré d’indépendance. L’absence d’une voie de communication facile entre les deux nations explique peut-être leur extraordinaire manque d’intégration culturelle et technologique. Syrefus a proposé une thèse alternative, selon laquelle les divergences entre les deux pays ne sont pas uniquement le fruit de la géographie, mais sont tout bonnement inhérentes à l’opposition drastique entre leurs deux cultures et philosophies. Cependant, elle a manqué d’inclure dans son traité les amendements que je lui avais suggérés à titre gracieux, ce qui fait que je ne peux tout à fait vous en recommander la lecture.

     

    Une chose est sûre : l’Empire comme le Royaume font tout leur possible pour rester à bonne distance de la Grande Forêt. La réputation de Wyscan n’est en effet plus à faire : depuis l’ ge de l’Aube, elle est l’indomptable cœur de la puissance sylvestre dans ce monde, lieu de naissance à jamais mystérieux de la civilisation elfique. Certains auteurs affirment que sa situation actuelle, encerclée de tous côtés par des nations humaines, est du fait de sa propre volonté. D’après eux, les Tréwis auraient toléré, voire encouragé l’établissement de ces peuples humains en tant que barrière face à la cupidité des Arandais et à l’ambition des Daebs. Quelle que soit la vérité, tout ce que nous savons du domaine du Roi de la Sylve est ce qui nous a été rapporté par les quelques individus qui ont été expressément autorisés à en réchapper vivants..

     

    L’Empire est la plus grande nation de Vétie. Contrairement à la croyance populaire, cette nation n’a pas été fondée par Sunna, mais bien plus tard, quelque deux cents après sa mort, par des personnes se réclamant de son héritage, nommant leur pays du nom de son épée légendaire : le Sonnstahl, ou Épée-Soleil. La déesse de l’Aurore joue toujours un rôle central dans la politique et la culture de l’Empire ; même si elle est également adorée dans d’autres pays, c’est ici que réside la véritable base de son pouvoir, sans parler de ses cultes les plus intransigeants. Cela ne veut pas dire que les autres dieux de l’antique panthéon ont été perdus, mais simplement que Sunna y jouit d’une prédominance incontestée.

     

    ici, les prélats et inquisiteurs jouissent d’une importante autorité, des montagnes et universités du sud aux côtes nordiques où une alliance de cités portuaires et guildes commerçantes forme la Ligue des cogues, un rempart tant contre les incursions de flottes ennemies que contre les immixtions de la part des politiciens d’Aschau. Cette ligue n’est que l’une des illustrations de l’essor du tiers état : outre ses ingénieurs et techniciens militaires à l’inventivité louée dans le monde entier, l’Empire est on ne peut plus réputé pour ses marchands, banquiers et financiers.

     

    Au sud de l’Empire, au-delà des collines truffées de terriers de petermännchen (une espèce indigène de gnome), s’élèvent les hautes cimes des Montagnes blanches, où les derniers descendants et descendantes de l’antique Empire nain ont survécu aux  ges de la Ruine en se terrant dans leurs mines aux portes barrées. Chacune de ces Forteresses est d’une splendeur à couper le souffle, bien que les personnes étrangères ne sont pratiquement jamais autorisées à contempler les merveilles vraisemblablement encore plus magnifiques qui y sont recelées. Des caravanes de maîtres du savoir, d’émissaires, de chasseurs de têtes et d’escortes nuptiales traversent régulièrement les monts en suivant un impressionnant réseau de routes et de canaux, tant en surface que sous terre. Seule une infime partie de ces pistes sont ouvertes aux voyageurs humains, moyennant un péage considérable.

     

    À l’est, la chaîne de montagnes s’infléchit pour entourer une vaste dépression de collines, plateaux et marécages, formant cette grande région couramment connue sous le nom de « Marches perdues », qui échappe au giron de tout ordre civilisé depuis la chute de la Vermine, quand bien même cette province avait joué un rôle de premier plan pour l’Empire avrasien (tant sous sa forme humaine que sous la coupe des rongeurs). Certains éclaireurs affirment que des vermines survivants y maintiendraient des cités cachées le long de l’ancienne Chaussée impériale. On dit également que les gobelins y auraient un Jardin rempli de champignons luminescents à la beauté stupéfiante, tandis que de ce territoire émergent régulièrement des armées d’orques qui causent la désolation sur les nations environnantes. De plus, comme en de nombreux autres lieux de Vétie, on y trouve plusieurs sites de tertres funéraires où sommeillent des dynasties disparues, dont certaines sont aidées ou manipulées par des agents naptéens, tandis que d’autres auraient atteint leur état de non-vie par d’autres moyens, voire par accident. Enfin, toute cette région est dite infestée de créatures étranges et magiques telles que des basilics, des carabes de feu, des griffons, d’espiègles kobolds, des conclaves de sorcières, et même des dragons. Mais les pires de tous, évidemment, sont ces fichus chevaliers de la Quête venus tout droit d’Équitaine.

     

    Au nord des Marches perdues, on trouve le Zagvozd, un des petits royaumes qui séparent l’Empire de la Volskaïa. Le Zagvozd est le plus célèbre d’entre eux en raison de la terrible Guerre des morts qui y a été menée du temps de l’empereur Frédéric, lorsqu’il est apparu que la famille régnante, les Karnstein, étaient en fait un nid de vampires vétalas. Heureusement, la situation est à présent revenue à la normale : les vampires ont été exterminés, et le fief a été confié par l’Empereur à la nouvelle famille régnante, les Neitsnrak.

     

    Plus à l’est, le vaste territoire qui s’étend entre la Mer des dieux et le fleuve Volsk est la Volskaïa : un pays de forêts et de plaines… surtout de plaines, à peine moins sauvages que la steppe qui s’ouvre sur sa marche orientale. Le pays abrite d’étranges bêtes comme le nachtkrapp (corbeau de mort) ou l’horrible oupyr. Les différents boyars ont été unis il y a trois ou quatre cents ans par cinq frères et sœurs semi-mythiques, formant une puissante armée qui a sérieusement menacé l’Empire et même assiégé Avras sous le commandement d’Oleg l’Immense.

     

    Depuis lors, les mariages croisés avec les autres familles vétiennes ont permis de quelque peu apaiser les relations, encourageant l’installation d’une monarchie stable, dirigée par un tsar à la tête de tout un réseau de knèzes et voïvodes. Sunna été plus ou moins intégrée au panthéon local sous le nom de « Sountchitza », accompagnée de dieux rustiques tels que Gromovnik et Mrozomor, qui règnent respectivement sur l’orage et sur l’hiver. Pour l’Empire, qui a toujours ressenti une certaine gêne vis-à-vis de ce voisin turbulent, la menace s’est récemment fortement accrue suite à l’alliance entre la Volskaïa et l’Équitaine. Depuis son mariage à la sœur du roi Louis, Mathilde, Vladyslav de Zmayevatz passe beaucoup de temps à Guênac.

     

    De son côté, la Volskaïa est elle-même confrontée à ses propres difficultés. Citons les hardes bestiales qui occupent le grand marais au nord, les seigneurs cavaliers dans la steppe à l’est, ainsi que les autres peuples vivant dans la même zone : les ogres de la Horde d’Ambre, les gobelins de la fameuse « Cité des voiles », et les vermines qui, à ce qu’on dit, peupleraient encore certaines ruines antiques.

     

    Et bien entendu, il faut également compter sur l’omniprésente menace des Guerriers des Désolations, au-delà de la steppe. D’ailleurs, si les Dieux Sombres sont parvenus à s’insinuer dans la religion et la culture des nomades makhars, amoureux des chevaux et de leurs turuls de chasse, on peut en dire autant des païens des terres septentrionales d’Åskland, des tribus riches de leurs ressources minières et du fruit de leurs pillages. On trouve cependant des gens un peu plus civilisés au sud de l’Åskland et au nord des Désolations, des seigneurs accueillants pour les marchands et émissaires vétiens. Quel que soit le dieu dont ils cherchent à s’attirer les grâces, les champions åsklandais se mesurent aux trolls, aux wargs, aux géants et aux autres monstres des montagnes : les renards géants nommés brunnmigi, les lindworm, sortes de serpents à deux jambes, les fylgja qui exaucent les vœux, et toute une collection d’horribles monstres marins.

     

    Il nous reste à mentionner les Désolations elles-mêmes, une région à la superficie vertigineuse, rendue entièrement inhabitable par l’empoisonnement magique. Alors qu’on y trouvait autrefois une vaste prairie émaillée de fermes et de citadelles, tout cela a été anéanti en l’espace d’un instant, par une brève déchirure dans le Voile ouverte par les Nains infernaux. Des milliers d’années ont passé depuis lors, et la zone contaminée s’est graduellement résorbée, même si elle n’en demeure pas moins fort étendue. D’après les grimoires, les démons sont libres d’aller et venir à volonté au cœur des Désolations ; de leur côté, les êtres mortels succombent à diverses maladies débilitantes et autres mutations bien avant qu’ils ne puissent s’aventurer bien loin. Les seules personnes à pouvoir tolérer l’effet néfaste de la magie aussi longtemps sont, bien entendu, les Guerriers eux-mêmes, dont la protection divine leur permet de vivre en permanence à la périphérie des Désolations, allant jusqu’à voyager profondément en leur centre à l’occasion. Ils y vivent avec les terribles créatures qui leur servent de compagnie, dont la physiologie est adaptée à cet habitat toxique : les manticores à tête de lion, les ombres chasseresses mutantes, les feldraks (sorte de dragons déchus), et autres abominations forgées par les démons, fusion de chair et de métal. Mais même ces monstres ne peuvent élire domicile au beau milieu des Désolations.

     

    Avant de nous dire adieu, j’aimerais rappeler à mes lecteurs, qui pourraient se trouver dangereusement émus par tant de connaissances et d’érudition affichées au fil de ces pages, qu’il existe encore d’autres splendeurs en ce monde que je n’ai pas eu la place de mentionner. Le papier coûte si cher de nos jours, après tout, et je considère mon rôle comme plus proche d’un conservateur de musée que d’un simple catalogueur de savoirs. 

     

    Qui plus est, il nous reste évidemment tant de choses à découvrir. Malgré le remarquable travail d’exploration et la copieuse correspondance si soigneusement éclairée par l’auteur de ces lignes, la connaissance humaine n’a pas encore atteint les limites du monde connu. Les cinq continents connus peuvent encore recéler de terribles et magnifiques secrets en leurs sombres intérieurs, tandis que les vastes océans pourraient contenir des continents tout entiers où jamais encore humain n’a posé le pied.

     

    Quels nouveaux pouvoirs restent à rencontrer ? Quelles richesses, quels savoirs cachés ? C’est à la jeune génération qu’incombera la tâche passionnante de répondre à toutes ces questions – pourvu qu’elle tire comme il se doit les enseignements de ses aînés et supérieurs.

     

    Le Sage est disponible pour consultations privées du primedi au vénadi de midi jusqu’à l’heure du thé, 24B Via Urbana, Avras. 35 écus de l’heure, sans garantie de remboursement.
     

  17. SILEXIE

     

    C’est au nord de la Mer brisée que s’étendent les âpres terres de Silexie. Ce continent est encore moins exploré que son jumeau austral, du fait de la présence d’une grande puissance hostile tout le long de sa façade maritime, qui représente un obstacle considérable pour les explorateurs vétiens : la république du Dathen. Les rapports indiquent que la géographie de ce pays est fort variée : tandis que sa capitale a été bâtie dans les froides terres boréales, la majorité de sa population habite en réalité dans les plaines méridionales, où de grands champs cultivés par une main-d’œuvre servile s’étendent à perte de vue sur les deux rives du fleuve Tietha. Ces champs sont bordés au sud par un pays de marécages et de mangroves, où vivent d’étranges monstres : des hydres voraces aux têtes postiches, des êtres dont le corps massif flotte à travers les brumes qu’ils semblent tisser, et autres « délices » inéluctablement destinés aux arènes daèbes.

     

    Ceux et celles qui ont tenté de naviguer le long de la côte sud de Silexie ont dû apprendre à y survivre aux raz-de-marée et aux ouragans que génère régulièrement la Mer brisée. Bon nombre sont également tombés sous les coups des cruels pirates faisant allégeance aux Dieux Sombres qui se rassemblent sur ces berges. Néanmoins, quelques expéditions sont parvenues à l’intérieur des terres. De ce qu’elles nous ont rapporté, il apparaît que les Daebs se contentent de tenir l’est du continent ; malgré d’occasionnelles guerres d’expansion, une portion bien plus grande du continent échappe toujours à leur contrôle. Les zones frontalières sont le domaine de bandes clairsemées de pariahs elfes, dont certaines sont dirigées par de sanguinaires sorciers.

     

    Les explorateurs disent avoir vu dans ces régions des hardes bestiales d’une telle multitude qu’elles éclipsaient de loin celles de Vétie, de Taphrie et d’Augée réunies. Ces tribus d’humanoïdes à tête de bison et d’orignal présentent de remarquables similitudes avec leurs cousins de l’hémisphère oriental, adoptant pour leur société une structure semblable de hardes cachées et hardes de guerre, et ont la même obsession pour le prestige remporté par l’intermédiaire de récits sur les hauts faits accomplis. D’aucuns vont même jusqu’à affirmer que les hardes bestiales sont en fait originaires de Silexie, où la pratique du modelage utérin aurait commencé à être pratiquée à la suite du cataclysme qui a mis un terme à l’ ge de l’Aube. On trouve également dans la prairie de nombreuses autres bêtes non sapientes : des troupeaux d’ongulés tonitruants, d’impressionnants pachydermes, et maintes autres espèces encore, que d’entreprenants pasteurs mènent en direction de l’est afin de les vendre aux belluaires daebs, dont les écoles se servent de ces animaux en tant que montures, mais aussi en tant que sources de cuir et de viande.

     

     D’autres peuples abondent ici : des montagnes creusées par des vermines qui parlent d’un mythique paradis perdu appelé « Avras » ; les sauriens des canyons de Wanahtas qui patrouillent l’ouest montés sur leurs chevaux, gardiens impitoyables de leurs propres lois étranges ; des orques et des gobelins qui errent librement parmi les vastes plaines et les contreforts des montagnes de l’ouest ; et même des créatures semblables aux ogres qui paraissent entièrement indépendants de ceux que l’on trouve en Augée, n’ayant en commun avec eux que leur immense appétit. Pourtant, d’autres récits mentionnent des ogres augéens qui se seraient établis sous ces cieux en tant que brigands et pirates, comme ils le font également souvent dans nos terres de l’est. Seul le temps nous dira si leurs coutumes seront un jour adoptées par la population ogresque locale.

     

    Comme partout ailleurs, il semblerait que les tribus humaines elles aussi prospèrent ou, du moins, survivent dans ces plaines de l’intérieur. Bon nombre forment des liens totémiques avec d’étranges animaux, tels que les oiseaux-tonnerres capables de faire tomber la pluie, les serpents-éclairs à la nature vraisemblablement surnaturelle, et le corbeau de feu magique (sans doute un autre parent du phénix). On raconte que les femmes d’une tribu ont le don de se transformer en biches pour échapper aux assaillants, tandis qu’un autre groupe use de sombres rituels pour canaliser la puissance des légendaires wendigos, janus et autres sasquatchs. J’ai eu vent de débats ayant cours afin de déterminer si ces monstres sont ou non une forme de morts-vivants. J’admets ne pas avoir eu le temps de me plonger dans la littérature à ce sujet.

     

    D’autres créatures étranges habitent dans les forêts de Silexie, aux côtés des clans sylvestres qui mènent à l’occasion une guerre acerbe contre leurs noirs cousins : des ours cornus, des cerfs aux bois métalliques, et un genre de putois blanc et noir capable de plonger dans un profond sommeil tous les êtres à sa portée par l’émanation de vapeurs nocives. Une race de minuscule humanoïde d’environ six à douze pouces de haut a également été découverte dans ces bois ; les autochtones l’appellent nimerigar. Plusieurs de ces spécimens ont été miraculeusement ramenés vivants à Santa-Regina, où il a été établi que cette espèce est apparentée aux pixies d’Équitaine. Je ne peux malheureusement le confirmer, puisque mes mesquins « confrères » ont refusé de m’envoyer une invitation à leur exposition.

     

    Les survivants de la fameuse expédition Von Kramer dans les glaces du Grand Nord ont été sauvés l’été dernier, alors qu’on les pensait morts depuis treize ans. Ils disent s’être réfugiés (tenez-vous bien) chez les nains des montagnes les plus septentrionales de Silexie. Si cette histoire est véridique, il s’agit certainement de la plus distante et de la plus isolée de toutes les Forteresses ; peut-être les vieilles légendes à propos des caravanes héroïques capables de parcourir des milliers de lieues à travers la banquise en partant des pics des Jötuns possèdent-elles un fond de vérité.

     

    De l’autre côté de l’océan, au nord-ouest de l’Åskland, le ciel est illuminé par la Dame de feu, un prodigieux volcan en éruption continue depuis aussi longtemps que remontent les récits. Elle se dresse sur l’île de Terra Ultima, appelée « Eldland » par les tribus des Veskars qui vivent sur la côte qui lui fait face : une vaste terre désolée, surtout connue pour ses phénix empereurs, les plus grands de leur espèce. Ces oiseaux ignés sont férocement protégés par un avant-poste des Hautes Lignées situé sur une petite île voisine, Nedarac, habité par de véritables fanatiques qui parviennent parfois à voler un œuf malgré le terrible danger. Certains de ces œufs sont transférés à Celeda Ablan, où l’on dit que les mages conduisent de complexes rituels destinés à attirer des surnaturels qui se lieront au poussin dans sa coquille pour transmuter son feu en glace. Trouve-t-on d’autres habitants en Eldland ? Je ne me prononcerai pas sur la question. Contrairement à ce bouffon de Tigetti.

     

    Les Îles blanches abritent elles-mêmes, bien entendu, moult créatures puissantes, dont les plus célèbres sont les dragons de Rymâ, que les elfes des Hautes Lignées considèrent comme le symbole de leur ascendance supérieure (quand bien même on trouve des dragons partout dans le monde, évidemment). Mis à part ces dragons, qui n’accepteront jamais d’être mis sous tutelle, ces îles n’ont jamais connu d’autres souverains que ceux du Trône de perle et ce, depuis les temps les plus anciens, quand des elfes descendirent de leurs arbres pour la toute première fois et se mirent à construire des navires. Depuis lors, l’hégémonie de l’Empire arandais s’est répandue sur tout le Grand océan et au-delà. Outre Nedarac et Gan Dareb, on trouve encore des garnisons elfiques sur l’île paradisiaque de Caracen, qui sert de résidence secondaire à l’élite des Hautes Lignées, et sur Celed Rymain, poste isolé où les recherches les plus dangereuses sont menées dans le domaine de la magie, supervisées par des exilés politiques.


     

  18. VIRENTIE

     

     

    Cela ne fait pas si longtemps encore que les deux continents du Ponant étaient considérés comme essentiellement mythiques. Pendant des millénaires, ils n’étaient connus que des seuls elfes. De nombreux Vétiens ignares croyaient d’ailleurs que leurs vaisseaux qui disparaissaient derrière l’horizon naviguaient tout droit jusqu’au Royaume immortel. Les premières années de ce siècle ont vu la première expédition humaine connue atteindre l’Occident et revenir pour raconter ses aventures. Je parle bien évidemment de João-Pedro Cabralinho qui, ayant quitté le port de Tobranca, a découvert les îles du Bastion et, plus important encore, les vents favorables de la route septentrionale qui lui ont permis de rentrer jusqu’à débarquer sur la côte d’Équitaine. Même si les flottes belliqueuses des États elfiques continuent à dominer les océans, les dernières décennies ont vu les puissances maritimes de Vétie croître en importance jusqu’à pouvoir à présent rivaliser avec elles sur les routes de l’ouest, grâce aux prodigieux développements de la technologie navale.

     

    Ceux et celles qui ont vogué aux latitudes plus au nord ont pour la plupart rencontré un destin funeste en Silexie ou dans les eaux cauchemardesques de la Mer brisée, qui ne sont pas agitées que par les tempêtes tropicales. Mais au sud du Bastion, où se dressent encore les immenses ruines distordues des incompréhensibles machines de l’ ge de l’Aube (qui servent aujourd’hui de nids aux harpies et autres créatures répugnantes), nos flottes ont découvert un grand continent jusque là inconnu, nommé « Virentie » par les premiers explorateurs en raison de sa splendeur botanique.

     

    Contrairement aux autres parties de l’hémisphère occidental, la Virentie n’est pas sous le contrôle de la moindre grande nation elfique. Même si l’on trouve plusieurs avant-postes arandais le long de ses côtes, tandis que le Dathen possède des colonies au sud-ouest, la plupart du continent est absolument non civilisée, à l’exception d’un puissant empire humain qui s’étire sur une grande partie de la chaîne des Monts de colère, et qui bâtit des monuments spectaculaires rappelant ceux du Naptesh. Plusieurs cités pyramidales sont connues pour le massacre sacrificiel d’ennemis au cours de grands rituels ; d’aucuns sont convaincus que ces tendances sanguinaires sont le fruit d’une influence vampirique. D’après une source, le légendaire vampire tsouandanais Tchou-Ké l’éventreur aurait trouvé un moyen de s’infiltrer ici pour s’y tailler un nouveau domaine secret.

     

    Le reste de ce continent est essentiellement sauvage et rempli de dangereux barbares. Les côtes septentrionales sont réputées pour être infestées de Guerriers des Dieux Sombres, dont la religion maléfique a également infecté de nombreuses tribus autochtones. Il est dit qu’ils émergent d’un grand camp où la foudre ne cesse jamais de frapper. À l’est de ce territoire, on trouve aujourd’hui plusieurs colonies vétiennes qui s’avèrent de plus en plus profitables, malgré le risque. On ne saurait d’ailleurs dire chez qui elles génèrent le plus d’enthousiasme : les marchands, ou les missionnaires ? Les deux empires, celui de Sonnstahl et celui de Destrie, y rivalisent dans leurs efforts de colonisation. Quant à l’Équitaine, même si elle n’est pas en mesure de lancer des croisades à grande échelle de l’autre côté de l’océan, elle a néanmoins établi des consulats et des logis pour accueillir les nobles désireux de s’aventurer sur ce continent pour y établir des relations commerciales ou pour s’y mettre en Quête.

     

    À l’intérieur des terres, au-delà des plantations, s’étend une grande plaine parcourue par les raptors. La plupart des explorateurs craignent de pénétrer dans la vaste forêt dont l’orée se trouve plus au sud, car il s’agit du territoire des elfes des jungles, dirigés par un antique esprit vengeur nommé Sacháyoj, le Père des arbres. Ces sylvestres chevauchent de monstrueux toucans qui virevoltent à travers la canopée, et reçoivent parfois la visite du Roi de la Sylve via son pont de brume, qui veille à ce qu’ils demeurent fidèles à la Chasse sauvage, car il s’agit certainement là du plus vaste domaine de l’ancien peuple arboricole.

     

    La jungle s’étire à perte de vue, plus dense que toute autre de notre monde. Elle est peuplée de toutes sortes de créatures dangereuses telles que l’on n’en trouve nulle part ailleurs : des chauves-souris cauchemardesques, des essaims de colibris cannibales, des serpents change-forme nommés boiúna, et même des espèces de poissons humanoïdes qui hantent les fleuves et les lagons. Les gobelins également y ont, au fin fond de la jungle, l’un de leurs plus anciens Jardiens, qui est également l’un des plus peuplés, nommé « Bwajabwi », réputé pour la créativité dont font preuve ses habitants dans l’usage de plantes carnivores géantes. Les lianes, les troncs et les racines s’y mêlent en une sorte d’architecture désordonnée, sans que l’on ne parvienne plus à distinguer exactement bâtiments et végétaux.

     

    Mais bien entendu, les plus mortels de tous ces êtres sont les Magna Sauria, qui forment la famille de monstres la plus diversifiée du monde, et que l’on ne trouve à l’état naturel qu’en Virentie. Ces reptiles géants arborent toutes les formes et toutes les tailles, certains étant fort paisibles, d’autres beaucoup moins. Leurs œufs sont sous la protection des pacifiques gardiens de Oaxteptel, une grande et merveilleuse vallée dont aucun explorateur n’a encore découvert l’emplacement, bien que nombreux sont ceux qui sont morts en tentant de franchir les couloirs piégés aux dards empoisonnées et aux rochers roulants. Les sauriens de cette enclave emploient les Magna Sauria depuis l’aube des temps, les employant par exemple à la garde de leurs troupeaux de lamas ou comme montures au combat. Ce sont eux qui ont fait part de leurs œufs aux enclaves sauriennes qui sont leurs alliées partout dans le monde.

     

    La jungle abrite également des villages humains, dont les plus célèbres sont les Mohans, une tribu apparemment maudite pour avoir enfreint certains interdits, qui perdure désormais sous la forme d’une dynastie immortelle de guerriers-ancêtres surnaturels, vénérés par bon nombre de vivants.

     

    Encore plus au sud, s’ouvre un pays de déserts et de volcans qui inondent les terres de leur lave. Les marins disent y avoir vu des nains infernaux, venus là on ne sait comment pour y mener quelque expérimentation. C’est aussi le domaine des tchéroufés, implacables créatures de magma et de cristal, dont un simple toucher suffit à transformer un être vivant en l’un des leurs. Ils sont fort heureusement tenus à distance par une tribu de nécromanciens des plaines arides appelés les Kalkous, qui contrôlent des armées de fantômes et de tchoupacabras sauvages, ainsi que de terrifiants enfants morts-vivants nommés anchimayens. Du moins, c’est ce qui figurait dans le rapport de la Société impériale pour l’étude des sciences naturelles après y avoir envoyé des navires dans la région. Bien entendu, c’était quand ce vieux fou de Joherbaum était encore à sa tête, à peu près au même moment où ma propre candidature a été rejetée, alors qui sait à quoi étaient réellement occupées ces andouilles.

  19. AUGÉE

     


    Le grand érudit et sénateur Luco Larento est célèbre pour avoir dit un jour que l’Augée « abonde en gens, en culture, en ressources et en ennuis ». Ceci dit, il a également qualifié ma dissertation sur les sciences magiques de « confuse », ce qui révèle bien la véritable étendue de son savoir.


    L’Augée, qui est le plus grand continent du monde, et sans doute aussi le plus impressionnant, est séparé de la Vétie par les Désolations et le détroit de l’Omiphorus à Avras, et de la Taphrie par la Mer interdite, au sud. L’isthme qui relie l’Augée à la Taphrie est sujet de maintes spéculations. Il est extrêmement dangereux à traverser : même si vous parveniez à éviter les péages installés là par les croisés équitains ou les laquais chancelants de la terrible liche qui règne aujourd’hui sur l’antique royaume de Hanaphuk, il est encore possible que vous tombiez entre les mains des corsaires daebs qui paraissent hanter les côtes de cette région de façon encore plus marquée que partout ailleurs dans l’hémisphère oriental. Certains esclaves fugitifs, dont la santé mentale peut bien évidemment être mise en cause, délirent à propos d’un immense canal souterrain qui relierait la Mer médiane à la Mer interdite et, partant, à l’entièreté de l’Océan austral. Ce mythe expliquerait comment les sombres pirates qui écument les côtes du nord de la Taphrie et du sud de la Vétie parviennent toujours à, semble-t-il, s’évanouir en se repliant vers l’est, et accéder aux eaux de la Mer médiane sans jamais être interceptés par les patrouilles de Gan Dareb. Cela expliquerait également pourquoi les Trônes d’obsidienne maintiennent une forteresse navale de l’autre côté de l’isthme par rapport à la sinistre nécropole de la liche, sans que son emplacement ne soit connu avec exactitude.


    Le sud de l’Augée est dominé par deux sous-continents de taille : la Hassarie et le Sagarika. La première est, en quelque sorte, une continuation du Grand Désert : un pays de dunes desséchées et de défilés uniquement peuplés de nomades, de génies, et peut-être l’une ou l’autre enclave saurienne. Comme je le défendais d’ailleurs dans ma thèse phare, La nature de la Non-Vie (bien que des demeurés et des académiciens de moindre envergure aient tenté de la discréditer), la terre de Hassarie a partagé l’infortune du Naptesh. Même si l’antique Thalassie n’a pas été condamnée à la même immortalité dynastique que sa rivale taphrienne, son territoire demeure contesté par des armées de squelettes. En fait, je pense que ce peut être dans cette région que le Grand Chacal de la légende, le même Setesh responsable de la malédiction du Naptesh ou, du moins, l’un de ses sombres successeurs, a installé sa base secrète d’où il mène ses opérations. Riez tant que vous le voudrez, Heisermann, moi au moins, je ne passe pas mon temps à crier sous tous les toits que le Sénat est infiltré par des vampires !


    De l’autre côté du Golfe des larmes, le Sagarika offre un contraste saisissant. Cette péninsule est aussi fertile que la Hassarie est désolée. Partenaire commercial majeur de Vétie et de la Taphrie, le Sagarika fourmille de toutes sortes de gens, denrées, dieux, arts, magies et, bien entendu, plantes et animaux. D’immenses champs de camillia dominent ses parties sud et nord-est, protégées par les dernières des imposantes forteresses des elfes des Hautes Lignées, dont le nombre s’est fortement réduit depuis la fin de l’hégémonie de Celeda Ablan sur ce sous-continent. De grands fleuves s’étirent à travers les plaines et les jungles, dans lesquels ondulent des vers blancs aux dents acérées nommés skolex, ainsi que les crapauds bheki aptes à vomir des flots de flammes bleues cuisantes. Certains tronçons du fleuve Adhika sont si magiques et sacrés que les serviteurs farouches des dieux Pazu peuvent y effectuer des va-et-vient entre le Royaume mortel et le Royaume immortel quand bon leur semble. Une forêt proche est réputée pour ses grues géantes à deux têtes au pouvoir et à l’élégance sans pareils, dotées du don de parole et montées par les mystiques à la plus grande clairvoyance et bonté : c’est ainsi que le Sagarika abonde en étonnantes montures animales appelées vahana, au service des saints et saintes de ce pays.


    La plus grande partie de l’ouest et du centre du Sagarika est le territoire de l’empire de Zuratha. Même cette nation est en réalité une mosaïque de peuples et de religions, dont les seigneurs vivent dans la splendeur de palais séculaires érigés il y a bien longtemps par les moguls ogres, autour desquels s’affairent des prêtres et des guerriers à tête de tigre et à trompe d’éléphant, tout en étant épiés par les laquais des cruels vampires Vétalas et par les cultistes des Dieux Sombres dans leurs formes les plus exotiques. 
    D’autres principautés plus petites sont encore plus étranges : certains marchands font état de temples remplis de singes sacrés sachant incanter des sorts, ou de pays où les humains vivent en bons voisins avec des colonies oubliées de vermines, qu’ils traitent d’égal à égal.


    À l’est du Sagarika s’étendent les mystérieux royaumes tropicaux du Khomnan, essentiellement explorés par des commerçants impériaux et, depuis l’an passé, par les colons qu’ils y ont envoyés. On raconte qu’on y trouve des guildes d’alchimistes nomades, des hardes d’agiles dragons des rivières, des tribus d’orang-mawas massifs qui combattent les orques de la jungle, et un vénérable groupe d’elfes sylvestres dont on dit qu’ils possèdent le pouvoir d’arpenter les nuages. D’immenses cités y sont bâties sur des pilotis au beau milieu de lacs, de marais et même de la mer, à partir desquelles de formidables nuées de bateaux mettent les voiles chaque jour. La plupart de ces marins sont des pêcheurs, mais d’autres partent pour de plus longs voyages vers l’est, l’ouest et le sud, parmi les innombrables îles de la Mer du Levant.


    On sait très peu de choses sur ces îles, et peu d’entre elles ont été atteintes par les Vétiens. De mes propres enquêtes, il ressort que nombre de ces terres, si pas la plupart d’entre elles, ont été absorbées par la culture humaine aotarakoane qui s’est répandue à partir d’une île volcanique inconnue, à l’extrême sud, qui serait habitée par des oiseaux sans ailes et par une grande civilisation saurienne, bien que de moindre envergure que celle de la mystérieuse Atua. Ce dernier pays se trouve sans doute plus près de l’équateur, et servirait de capitale à la « Collaboration » mondiale entre les anciens sauriens. D’après les légendes, elle serait dissimulée par une tempête permanente, totalement inaccessible aux humains ; un désastre assuré pour tout navire qui tenterait d’y accoster.


    La plus grande puissance maritime de la Mer du Levant (laquelle, tous les cartographes s’accordent à le dire, s’étend à l’infini) est certainement le Tsouan-Tan, le pays de l’Empereur-Dragon. J’ai récemment rencontré un monsieur très poli provenant de ce royaume, du nom de Feng-Tseu, qui m’a expliqué que le grand roi Kong-Lou passe la majeure partie de son temps à sommeiller dans son Antre interdite à Long-Tsing, assuré de son pouvoir total sur les humains qui le servent, protégé par une dizaine de dragons plus jeunes de sa propre couvée qui jouent le rôle de ministres, gouverneurs et administrateurs. L’Empereur n’émerge qu’à l’occasion d’un grand festival annuel lors duquel le peuple brûle de gigantesques édifices en son honneur.


    Le Tsouan-Tan est aussi vieux que le Naptesh. De nos jours, il est de loin la plus grande nation d’Augée et, de toute évidence, une des plus importantes puissances économiques et militaires de notre monde. Mais sa véritable force réside dans la spectaculaire efficacité de sa bureaucratie, dont les armées d’archivistes et de technocrates surpassent en zèle même les nains. Les maintes provinces du Tsouan-Tan sont tenues par cette poigne de fiscalité et de paperasse ; ses chaussées et son réseau postal sont l’envie de toutes les autres civilisations.


    Les rivages de ce riche empire densément peuplé sont la proie non seulement des pirates elfes noirs, mais aussi de pillards venus des îles septentrionales d’Oshima, terre la plus orientale connue des cartographes. Malgré tout, le régime semble bien plus concerné par l’ennemi intérieur : il est encore plus dur vis-à-vis des adeptes des Dieux Sombres que les inquisiteurs de Sonnstahl. Les cultistes impies sont en effet tenus pour responsables de la guerre civile qui a précédé le règne du dragon, et restent considérés comme la plus grande menace posée à ce pays. Feng-Tseu a bien dû admettre avec réticence, même s’il ne l’a pas dit directement, qu’il est possible que des personnes innocentes y soient parfois victimes de la sévère répression.


    Comme de nombreux pays, le Tsouan-Tan est d’ailleurs menacé par les Guerriers des Dieux Sombres, qui arrivent de l’est des Désolations, même si les grandes fortifications qui longent sa frontière nord n’ont pas été dressées pour eux, mais pour contenir les hordes barbares d’hommes-bêtes et d’orques au cours des âges passés. Toutefois, le plus gros des assauts des Guerriers est refoulé par les tribus d’ogres des steppes. D’après les chroniques, il s’agirait d’une antique culture de nomades qui poursuit un mode de vie millénaire. Ces ogres seraient actuellement occupés à migrer en direction de l’ouest pour tenter de reprendre le contrôle de leur cité perdue de Hyiteng (que l’on peut traduire, en gros, par « Terre sacrée »). Il s’agissait en fait de la capitale du légendaire Tchenghet-Khan, le cruel conquérant de la majorité de l’Augée et même d’une bonne partie de la Vétie au cours de l’ ge du Fer. Nombreux sont les khans qui sont convaincus qu’elle renferme des reliques susceptibles de les rendre aussi puissants que lui.


    La Grande Steppe est une étendue sans fin d’herbes et de roches, qui abrite un écosystème qui s’étend à perte de vue et n’a jamais été domestiqué par les peuples sédentaires, à moins que l’on ne compte les villes de tentes que les gobelins des plaines appellent leurs « jardins », et dont ils parviennent, on ne sait comment, à tenir l’emplacement dissimulé aux yeux de tous. Un nombre invraisemblable de leurs cousins orques parcourent les terres tant que leurs ressources le permettent, se disputant l’espace et la viande de lonchodontes avec les bêtes, les raptors, les trolls sauvages et les almas (les redoutables hommes-ours). Tous cherchent à éviter les infâmes vers tueurs de la steppe, qui peuvent croître jusqu’à atteindre cent mètres de long et dispersent des nuées de leurs rejetons venimeux, mais aussi à s’attirer les bonnes grâces du mythique Cheval-du-vent, un être éthéré qui prodigue la bonne santé et la bonne fortune partout où il se rend.


    Au nord, la prairie fait place à de vastes forêts de sapins, au-delà desquelles s’étend la toundra : un pays aux étés extrêmement courts, où le soleil ne daigne même pas se lever pendant une moitié de l’année. Peu de voyageurs s’y aventurent ; les légendes parlent de cités vermineuses taillées dans la glace, de duchés lycanthropes, et d’un royaume sylvestre d’elfes renégats et sanguinaires dirigés par de sinistres sorciers-chamanes qui se repaissent de la chair des nains des pics des Jötunns et qui asservissent des familles entières de géants des montagnes polaires.


    De leur côté, les Pitons célestes qui s’élèvent au sud de la steppe sont mieux compris, même s’ils restent une impénétrable forêt de pierre et de glace. C’est le territoire des ogres des montagnes, les seules gens assez robustes pour supporter de telles conditions. Il s’agit d’une ramification de la culture ogre augéenne qui est née de la guerre contre les démons qui a suivi la création des Désolations. Appréciant la richesse et les dettes plus que toute autre chose, les ogres des montagnes sont des négociants inégalés, qui gardent une inébranlable mainmise sur les routes et passes cruciales traversant le cœur de l’Augée. C’est ce réseau que l’on désigne sous le nom de « Route de la soie », concurrente de la plus récente « Route de l’acier », le célèbre chemin de fer mis en place par les nains infernaux afin de priver les ogres de leur monopole, avec plus ou moins de succès.


    Des kobolds de haute altitude, des yétis et de petites tribus d’humains y vivent également, sans oublier la faune remarquable qui comprend les aurochs titanesques et les lions des neiges à dents de sabre, les mammouths voleurs de chaleur et les chiens-ours sauvages (mais néanmoins adorables). Je tiens au passage à réitérer mon opposition à la conclusion infantile de Misernach selon laquelle ces derniers seraient une créature hybride, résultat d’une fastidieuse union : l’ours-chien est bien évidemment une espèce à part entière, dont la ressemblance à l’ours et au chien est le fruit d’une pure coïncidence.


    Entre les montagnes et la Mer des dieux, à la porte des Désolations, se dresse le cratère suintant de la Fournaise, où errent les élémentaires de lave mieux connus sous le nom de « kadims ». Plus au sud, s’étend la Plaine foudroyée, rendue infertile durant les Âges de la Ruine, qui est aujourd’hui le domaine imprenable des nains infernaux. Sunna soit louée, leurs citadelles n’ont jamais réussi à atteindre le niveau de confiance mutuelle qui leur aurait permis de former une nation unie, mais les nains ne sont en aucun cas la seule race à avoir élu domicile en cette région : des cités-États, des tribus et des royaumes entiers d’humains, d’ogres, de vermines et de Fils de la guerre y vivent en vassaux des adorateurs du feu, au premier rang desquels les gobelins ayant acquis le préfixe de « hob » pour avoir abandonné la dévotion de leur race au concept de liberté et d’indépendance. De petits groupes sont toutefois parvenus à éviter l’assujettissement en se terrant dans les montagnes à l’est et à l’ouest de la plaine.


    Les Monts arides, d’ailleurs, contiennent une grande diversité de peuples insoumis, qu’il s’agisse des mystérieux cavaliers sauriens, des hardes bestiales ou des aires des lamassus dans leurs confins orientaux. La plus grande partie du sud est sous la coupe d’Ibridig, le plus grand domaine gobelin dans cet hémisphère, consistant non pas d’une mais de plusieurs puissantes cités gobelines, sur lesquelles règne le « Splendide Souverain », figure semi-mythique, ou le « Monarque gobelin », comme les humains l’appellent souvent. Au nord d’Ibridig, on découvre l'amoncellement putride des ruines de Taborenta, une ancienne forteresse avrasienne dont on dit qu’elle abrite aujourd’hui le bastion d’un culte vermineux d’adorateurs d’un abominable dieu de la maladie.

     

    Entre Taborenta et la mer s’étend le pays de Khassibie, dominé par divers rois et seigneurs humains. Je maintiens, malgré l’avis de mes détracteurs embrouillés mais à la ténacité exaspérante, que ces tribus sont en fait les descendants des royaumes thalassiens qui ont migré vers le nord-ouest pendant les  ges de la Ruine. Aujourd’hui, ils accumulent de nombreuses richesses grâce au commerce qui passe par leurs routes et leurs ports, en particulier à travers les grands ports marchands qui encadrent la « baie d’Or », où le seul culte semble être celui des espèces sonnantes.

     

    Au sud d’Avras, sur la côte qui se trouve au nord des Îles fracassées, se trouve le prétendu « Empire de Monopatea », grand surtout en nom et en vanité, mais petit en taille et en réputation. Il ne constitue en rien de plus qu’une citadelle sur une île reliée au continent par un pont, ses accès maritimes protégés par des galères de guerre. Le tribut versé à la Vermine pendant maintes années est le prix douteux qu’il a payé pour pouvoir préserver ses quinze siècles de culture.
     

  20. LE MONDE
     
    Extrait de L’Atlas Sagace et Supérieur, par le Grand Sage, Herr Sigmund Selig.
     
     


    TAPHRIE

     

    S’il est permis aux amateurs et aux imbéciles d’étudier le monde en rassemblant des passages et des notes rédigées par autrui, tout érudit qui se respecte prendra plutôt le soin de rédiger sa propre monographie d’une longueur aussi appréciable qu’il lui est possible.

     

    Lorsqu’il est question des peuples et des contrées du Neuvième  ge, d’aucuns pourraient vouloir commencer ce tour d’horizon par la vénérable Vétie, ainsi nommée d’après sa supposée ancienneté. Mais les personnes éduquées savent que notre véritable origine est plutôt à chercher du côté de la grande Taphrie. C’est ici, le long des rives sacrées du Napaat, qu’est née une des premières civilisations humaines, en un âge où seules les races aînées étaient alors capables de construire quoi que ce soit de plus prestigieux qu’une simple hutte. Et pourtant, malgré ces débuts si prometteurs et les efforts consacrés à son exploration, ce continent reste peu connu : une vaste terre, qui recèle certainement bien des secrets qui ne sont pas encore parvenus aux oreilles d’un modeste érudit tel que votre serviteur, qui ne prétend connaître que l’entièreté de nos découvertes actuelles. 

     

    La ruine de ces premières lueurs naptéennes s’observe sur les vastes lieues du désert vide qui s’étend aujourd’hui sur tout le nord-est de la Taphrie, là où le fleuve de vie charrie à présent ses flots stériles à travers une plaine poussiéreuse. D’étranges nomades entretiennent les pyramides et les colosses, tandis que les Dynasties immortelles sommeillent, enfouies, en dépit de l’acharnement de la plupart de mes collègues à nier l’évidence. Toute enquête sérieuse démontre pourtant clairement la véracité des récits faisant état de protecteurs décharnés menant une guerre perpétuelle pour les âmes de leur nation et, peut-être bien, du monde. On compte sur les doigts de la main les quelques audacieux qui ont tenté de s’emparer des richesses gardées dans ces tombeaux et qui sont revenus vivants de leur expédition.

     

    Le royaume qui fut autrefois le Naptesh peut paraître de prime abord dénué de toute vie, mais des espèces fascinantes y ont néanmoins élu domicile. Les rapports des soldats décrivent des attaques par des bêtes extraordinaires : pas seulement des crocodiles ou des vautours géants, mais aussi des scorpions, serpents et scarabées aux proportions titanesques. Certains spécimens exposés dans l’Empire ont même accrédité l’existence de bêtes chimériques telles qu’on en voit représentées sur les anciens papyrus : « serpopards », « hiéracosphinx », et même le légendaire « ammout », un lion à tête de crocodile. Nonobstant cela, et même si je ne suis pas parvenu à déceler le moindre signe de couture sur les peaux des exemplaires empaillés, je demeure sceptique.

     

    Peu de gens parviennent à traverser le désert sans encombre : certains connaissent des routes le long des côtes ou passant d’une oasis à l’autre. À l’est et au sud du Naptesh, des ogres des montagnes et des nains infernaux ont établi des colonies, tantôt rivales, tantôt partenaires des humains locaux et des nains des montagnes de la Lune. Le pilier de Keghiz-Gavem est considéré comme un site sacré pour tous les nains des Forteresses, y compris ceux de Vétie, qui y partent régulièrement en pèlerinage (toujours en grands groupes). 

     

    À l’ouest et au sud des montagnes, les plateaux tabulaires font place à la savane, qui abrite une faune extrêmement diversifiée : la variante locale du karkadan et son cousin rhinocéros, mais aussi des espèces uniques de félins prédateurs et de raptors. Des Hardes bestiales y errent en grand nombre, certaines paraissant apparentées aux bêtes indigènes que sont les antilopes, gnous et girafes. Leurs migrations influent fortement sur la vie d’une grande partie du continent, et nous connaissons beaucoup de leurs légendes, car il leur plaît de narrer leurs récits à ceux et celles qu’elles vainquent au combat.

     

    La brousse du sud-est de la Taphrie est dominée par le royaume des Vanhous nouvellement fondé, caractérisé par ses forteresses de pierre. Les marabouts vanhous ont élaboré une forme particulièrement puissante de magie protectrice ; de plus, d’après les rumeurs, tout homme et femme de ce pays est capable de communiquer avec les animaux correspondant au totem de sa tribu et de les contrôler, l’apprentissage de cette aptitude faisant partie de leurs rites de passage. Leurs plus grands alliés sont les phénix de Taphrie, cousins de petite taille, mais hautement spirituels, de ceux qui sont domestiqués par le Trône de perle. Leurs plus grands ennemis sont aussi les plus vieux des vampires, les terrifiants Adzés, dont on dit qu’ils constituent la première et la plus ancienne branche de la lignée des Stryges, et qu’ils seraient responsables de la disparition de maints explorateurs et habitants du cru. Certaines tribus sont également aux prises avec des hyènes-garous voraces, qui passent pour de simples humains pendant la journée.

     

    Cette nouvelle puissance a inspiré d’autres tribus à se consolider pour lui tenir tête : c’est, par exemple, le cas des impérieuses Reines de la pluie du Cap. On dit que les humains de Taphrie australe se font la guerre portés dans les airs par d’étranges pégases cornus, ou à partir de plateformes attachées sur d’énormes éléphants, tortues ou serpents hybrides. Les colons impériaux et originaires d’autres nations vétiennes font également partie des protagonistes, attirés dans cette région par la quête de l’or, en nombre toujours plus important. La présence des Hautes Lignées elfiques se fait elle aussi toujours sentir ici, protégeant de petits territoires établis de longue date. Cependant, tous ces étrangers y sont confrontés à maints périls. J’ai entendu des légendes concernant un énorme reptile carnivore appelé le « Ninki Nanka », grandement craint des autochtones ; mais je le soupçonne de n’être en fait qu’un Magna Sauria échappé d’une enclave saurienne.

     

    Les jungles de Taphrie centrale sont impénétrables, grouillantes de toutes sortes de merveille et de terreur. Les sauriens sauvages de N’sissiboko, qui vénèrent les panthères, les esprits aquatiques aguichants connus sous le nom de « mami wata » (une espèce de sirène ou de naïade), les cités gobelines infestées d’araignées géantes qui les protègent à l’aide de leurs grandes toiles, etc., sont autant de découvertes qui expliquent la faible progression de nos explorateurs.

     

    Il nous reste à présent à décrire le nord et l’ouest de ce continent, dominés respectivement par les Qassaris et par les Koghis. L’Empire des Koghis est un vaste royaume resplendissant, sans doute le plus riche au monde en raison de l’abondance de ses gisements aurifères et de son réseau commercial terrestre. Si ses côtes demeurent trop peu propices à la navigation, cet empire a mis sur pied une véritable « flotte du désert », protégeant les caravanes avec des légions de cavaliers chevauchant des zèbres et des rhinocéros de guerre, comptant sur des archers redoutés pour la puissance des poisons dont ils enduisent leurs flèches. Les Koghis sont également une des rares nations humaines apte à extraire la sombrepierre et à en exploiter les propriétés électriques, qui sont notamment utilisées pour charger la pointe de leurs lances et leurs fouets. 

     

    Enfin, le Qassar est mieux connu des Vétiens : ce territoire, correspondant à l’antique province avrasienne de « Taphrie proconsulaire » est une vaste terre fertile réputée pour ses épices exotiques, ses esprits ignés qui exaucent les vœux de leurs maîtres, et ses guerriers de grand talent. Les Qassaris descendent en partie des anciens Naptéens, et certains adorent encore leurs vieilles idoles, même si aujourd’hui, la majorité des habitants de cette nation est vouée au culte de Quw, Dala et Fadjar, la trinité de déesses connues sous le nom d’Alihat.

     

    La guerre civile couve toujours dans les montagnes occidentales, lesquelles sont loin d’être civilisées. Certains endroits sont même infestés de sauriens, de nains et même de vermines qui insistent envers et contre tout sur le fait qu’ils y rétabliront le règne de leur empire d’Avras.

     

    Comme tous les pays qui entourent la mer Médiane, le Qassar a subi les assauts des croisades équitaines au fil des siècles. De ce fait, plusieurs petits duchés ont vu leur terre transformée (certains diraient « empoisonnée ») par la magie. Ces seigneuries changent régulièrement de mains, étant fréquemment abandonnées par leurs nouveaux maîtres ou recapturées par les précédents. Le plus grand de ces bastions, et de loin le mieux protégé, est Port-Reynaud, à l’est, qui sert à présent de véritable tête de pont d’où lancer de nouvelles croisades.

     

    Les sultanats du Qassar sont également confrontés à la menace des impitoyables pillards daebs venus de l’ouest, et des irréductibles nomades du désert, dont un grand nombre paraissent s’être aujourd’hui tournés vers les Dieux Sombres. D’aucuns affirment que depuis les temps anciens, il existerait une « cité » magique au beau milieu du désert, où le Voile serait exceptionnellement ténu. De nombreux individus insatisfaits de leur condition, partant à sa recherche, disparaissent régulièrement dans les dunes. Et on entend des rumeurs d’armées de Guerriers armurés émergeant de l’air brûlant pour semer la désolation sur une cité ou toute une région, parfois même escortés par les diaboliques habitants de l’Enfer.
     

  21. Il y a 3 heures, Idum a dit :

    Je découvre que "cog" a plusieurs sens en anglais ! 😅

     

     

    Oui, ça nous a surpris aussi !!

    C’est à la lecture du Background Compendium (« L’Univers du Neuvième Âge ») qu’on est tombés sur ce passage expliquant que la « League of Cogs » doit son nom au modèle de navire qu’elle affecte tant, et tout à coup on est tombés des nues

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