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[Background] Armées du 9e Âge : livre complet Elfes sylvestres


Ghiznuk

Messages recommandés

p.8

 

Contes de fæs

 

TOME I
SOUS LES FRONDAISONS
Un conte de Thomas le Barde
Rédigé de la main de Mathys Dufour
Sous le commandement du Duc Reynaut d’Aven

Traduit du parler équitain en langue moderne par Dieter Frucht, Université d'Eichtal
957 A.S.


 

Maintes fois sollicité par les jeunes de notre grande cour pour conter mes histoires, j'ai chargé mon vieux corps de les consigner pour la postérité, afin qu'ils puissent me survivre quand je serai parti. Je le fais pour rendre au duc Reynaut la gentillesse qu’il m'a témoignée durant ces longues années.
 

Peut-être avez-vous déjà entendu les chansons, écouté les histoires et appris les légendes sur les fées des bois qui habitent dans les bosquets cachés et aux humains inaccessibles.

Un voile de mystère s’étend de la taïga glacée de l'Åskland aux jungles fumantes de Taphrie, en passant par les maquis arides d'Arcalée. Les quelques témoignages existants s’enchevêtrent dans la superstition et la peur, car les enchantements imprègnent les terres elfiques, et un simple murmure des chasseurs à cornes peut conduire un humain à la folie. Écoutez attentivement ces paroles et ne doutez pas de leur véracité, car elles racontent ce que j'ai vu. Cela, je le jure par tous les dieux.
 
Il y a fort longtemps, avant la gloire, avant la fortune, je gagnais mon pain au service du duc Matéo de Corante. Mes prestations étaient de qualité mais les goûts de mon seigneur n’étant pas des plus raffinés, je pinçais vainement les cordes de ma harpe d'argent. Notre destinée fut bouleversée lorsque vint Henri Heaume-de-Lion, prince d'Équitaine. Lors de la célébration en son honneur, je jouai avec une telle fougue, un tel instinct, que le Lai de Perceval lui fut d'une grande inspiration.

Devant toute l’assemblée, le prince proclama une quête contre le si redouté Roi de la Sylve. Il allait traquer la légende et tuer le dieu. Mon cœur bondit quand on m'annonça que je l'accompagnerais, lui et ses chevaliers, pour témoigner de son exploit. Je ne me souciai guère des mises en garde de mes aînés ; si je chantais cette épopée, l'or, les femmes et le vin seraient miens. Pleins de faste, nous chevauchâmes vers l’est, à l'ombre des Montagnes blanches, jusqu’au véritable rempart d'arbres qui marquait la lisière de la forêt de Wyscan.

Nos fanfaronnades nous avaient rendus aveugles au danger, et nous n'avions prêté attention ni aux os blanchis qui dépassaient çà et là de la terre, ni aux crânes vides et écorchés depuis longtemps qui nous épiaient, accrochés aux branches. Le soleil achevait sa course alors que nous entrions dans l'ombre des sous-bois, notre moral aussi étincelant que l'épée d'Uther. Mais ce bel enthousiasme ne dura point ; dans la pénombre de cette forêt étrangement silencieuse, les hommes se turent et les chevaux s'affolèrent. Un sentiment inquiétant m’envahissait. Au moment où nous allumâmes nos torches, les bois se mirent à murmurer. Des yeux étaient sur nous. Des yeux que nous ne pouvions voir mais dont le regard perçait jusqu’au tréfond de nos âmes. Forts de la prière de la Dame sur nos lèvres, nous avançâmes lames tirées.
 

Combien de temps nous passâmes en ces bois, je ne le sais. Des jours, peut-être. À quatre reprises nous bivouaquâmes, dans une obscurité permanente. Nous étions perdus, traqués tels des proies. André fut le premier à nous quitter. Apercevant une lumière au milieu des arbres, il chargea mais ne revint jamais. Isidore et Mathias disparurent lors de la veille suivante, laissant armes et armure derrière eux. Reynard, Marcel, Eudes et Serge, assaillis par de terribles visions, finirent par se mutiler en vociférant dans une langue surnaturelle. Nombre de nobles maisonnées perdirent ainsi leur héritier avant que le voile ne se lève sur nos bourreaux. Sur les cent chevaliers qui avaient suivi Henri dans sa quête, moins de la moitié avait jusqu’ici survécu.

 

Nous finîmes par arriver à une grande clairière baignée par la clarté de la pleine lune. Notre ost y trouva un abri – si l'on peut dire. Il y avait au centre de cette trouée, dressé sur un monticule, un groupe de grandes pierres sculptées de motifs sinueux. Nous avions prévu d’y attendre les lueurs de l’aube, mais le destin en décida autrement. Un sifflement, et la mort surgit des hautes herbes. Des flèches noires fusèrent, transperçant hommes et chevaux. Au même moment, des cavaliers bondirent hors des fourrés. À ma grande honte, je me recroquevillai dans un creux au pied de la pierre centrale. Figé par ce cruel spectacle, j'observai le massacre des miens des mains de ces sauvages. Jamais en effet n'avais-je rien vu de tel. Car ce n'était point à une bataille que ces elfes des bois étaient venus, mais à une partie de chasse.

 

Constatant que ma dernière heure était venue, la muse me fit la grâce de paroles dont je ne me souviens point. Elle me força à m'avancer, sortant de ma cachette pour rendre hommage sur ma harpe au trépas de la fine fleur de la chevalerie équitaine. J'étais comme une bougie allumée au centre de la tornade, enhardissant tous ceux qui pouvaient entendre ma voix à des faits de bravoure toujours plus grands, jusqu'à ce que seul le Prince restât. Il était aux prises avec un guerrier paré de vêtements de la couleur du jade et portait un casque dont les ramures rivalisaient avec ceux du légendaire Cerf blanc.

 

Le Lion et le Cerf s'affrontèrent sous la lune. Bien que ma raison me hurlât de prendre la fuite, je ne pus détourner mon regard de ce duel épique, enchaînant infatigablement un vers après l'autre.

 

Je m'effondrai au sol subitement, un dernier mot s'échappant d'entre mes lèvres. Avant de sombrer dans le noir, mes yeux m'infligèrent un dernier chagrin. Car Henri le Brave, Lion de la Dame, fierté de l'Équitaine, gisait occis devant moi.

 

 

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p.9

 

Le Père de toute chose

 

Cadaron, le Chasseur
Yema, le Tentateur
Wymaig, le Roi.

Trois aspects d'un seul et même dieu : Amhair, le Père de toute chose, lui qui règne sur le panthéon sylvestre aux côtés de sa Reine. Il personnifie les luttes de la tentation qui assaillent tous les elfes. Déchiré entre le devoir, l'appel de la chasse et les frissons charnels, il passe une grande partie de son temps loin de son trône, mais, au tournant des saisons, revient pour rendre hommage à Moritaur.

 

– Emerentius, Discours sur les dieux, presses de Narrenwald, 907 A.S.

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p.9

 

Le lai de Perceval

 

Soir de solstice, éclairé d'une lune
pleine, féconde et basse,
Tambours, bois s'allume,
Une lueur fugace.
Du trône de chêne le roi se lève,
Yeux d'émeraude, cornes, sabot, sève !
Porteur de lance et d'un grand arc,
Souple et rouge bois d'if, flèches de nacre.

 

Lignée de Perceval,
dans les bois périr ;
le monstre rugit « Laissez courir » !
Fæs sauvages, par clairons appelés,
Le code du chasseur, jamais oublié ;
Collines, vallées, clairières et marais,
Pour écorcher noble gibier !

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p.11

 

Le monde était bien jeune, le temps tout juste né,
Lorsque les fées dansaient en ronde sur la rosée.
Vinrent les écailleux avec griffes et épées
Apporter la tristesse sous la canopée.

Chassées par la froide fureur des écailleux,
Les fées, de toutes leurs forces, prièrent leurs anciens Dieux.
Et la nuit se changea en un éclat radieux :
Le feu divin consuma ces êtres odieux.
 
 
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p.12

 

Seigneurs de la Sylve

 

Je n'appris mon destin qu'en revenant à moi, surpris d'être toujours en vie. De toutes les horreurs que j'avais pu imaginer jusque là, celle de me retrouver tel un rossignol en cage ne m'avait jamais traversé l'esprit. Il semble que mes ravisseurs me considéraient comme une nouvelle acquisition exotique destinée à les divertir ; un trophée de plus parmi les dizaines qui pendaient des poutres de cette vaste salle, enfermé dans une prison de ronces. Il ne faisait aucun doute que mon nouveau maître était un seigneur parmi les fæs. L'espace d'un moment, je crus même qu'il pût être le redoutable Roi de la Sylve, une créature de mythe et de terreur. Il tenait sa cour au cœur d'un énorme saule dont la taille surpassait celle du castel d'Aven. Des elfes venus de très loin, à en juger par leur accoutrement inhabituel, venaient lui rendre hommage. Pendant tout le temps que je passai dans la Sylve, jamais je n'appris le nom de ce seigneur. Le seul terme que je parvins enfin à distinguer dans ceux qui étaient employés pour s'adresser à lui fut celui d'« Ameneur », un titre honorifique dont je ne compris que bien plus tard la signification.

 

Je passai tout ce temps à me torturer les méninges pour tenter de me rappeler du moindre élément susceptible de me sauver la vie. Je connaissais certes les chansons sur les elfes de la forêt, mais difficile de dire quelle était la part de vérité qu'elles contenaient, tant il est rare de rencontrer ces êtres dans le vaste monde, contrairement à leurs indiscrets parents d'au-delà de la mer.

 

D'après les anciennes épopées, les elfes furent les premiers à chanter ; ils méprisent les nains, et ne se soucient guère des évènements qui se déroulent hors des frontières de leurs domaines isolés. Ils sont également dépeints comme espiègles, capricieux et cruels. Ma vie ne tenait plus qu'à un fil, et rien de ce que je savais n'était de très bon augure. Pourtant, la voix de mes ravisseurs avait une tonalité étrangement apaisante ; la grâce de leurs gestes apportait une joie complètement déplacée au vu de ma situation.

 

Eussé-je été seul, cet ouvrage aurait été bien plus court qu'il ne l'est, et je serais resté bien ignorant, sans l'aide des enfants perdus de la forêt. D'apparence sans âge, ces gens avaient été enlevés des terres avoisinantes pour servir la noblesse elfique. Ce sont eux qui accomplissent les tâches subalternes que les fæs considèrent comme en-dessous d'eux. C'est d'eux que j'appris mes premiers rudiments de la langue elfique, si différente de la nôtre. De ma cage de ronces, j'observais et apprenais, me persuadant avec chaque jour qui passait de comprendre un peu mieux ce que disaient mes nouveaux maîtres.

 

Ces gens, ces « Trewis », comme ils se nomment, avaient beau m'être totalement étrangers, ils m'étaient aussi curieusement familiers. Tout comme les nôtres, leurs nobles sont grands, fiers et élégants. Cependant, parmi un peuple aussi beau que le sont les fæs, ce n'était ni ce maintien, ni leurs vêtements qui les distinguaient des roturiers, mais les égards qui leur étaient réservés et la panoplie d'armes qu'ils portaient. À mes yeux, ils se comportaient plus comme les premiers parmi leurs pairs, les meneurs d'une meute mortelle, que comme les aristocrates en titre des terres des hommes.

 

Avec le temps, j'appris qu'il existait de nombreux tels seigneurs et dames (car le sexe n'a que peu d'importance dans les terres elfiques) à Wyscan comme dans le monde au-dehors. La plupart d'entre eux, tout en faisant allégeance au Roi ou à la Reine de la Sylve, suivent néanmoins leur propre voie, allant même jusqu'à se combattre entre eux, tout comme le font les humains.

 

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p.14

 

Enchanteurs sylvestres

 

En contemplant une sorcière sylvestre à l'œuvre, vous encourez le risque d'y laisser votre cœur. Ses gestes mouvants, le son de sa voix… Ces souvenirs hanteront mes rêves jusqu'à la fin de mes jours. Elles sont en effet tout à la fois capables de tresser délicatement les arbres autour d'elles pour en faire des formes dont la seule limite est leur imagination ou d'invoquer la fureur d'une ourse qui défend ses petits. Peu sont les magiciens capables de rivaliser avec elles en art.

 

Les autres sorts à leur disposition peuvent semer la confusion parmi les intrus, envahir leur esprit d'hallucinations, les poussant au suicide ou pire encore. Ceux qui ont la chance de ne pénétrer que dans une toile d'enchantements mineurs ne feront que percevoir le passage du temps à un rythme plus lent, pensant que des jours ou des semaines se seront écoulées alors qu'ils n'y auront passé que quelques heures. Une myriade de dangers ensorcelés sont tapis aux abords des bosquets des elfes ; nombreux en sont les récits qui m'ont été chuchotés par les enfants perdus.

 

Mais le véritable pouvoir des magiciens de la forêt se trouve dans les charmes desquels ils couvrent leur territoire. Des sortilèges plus vieux que le temps empêchent le passage des saisons dans leurs clairières et leurs bosquets. C'est ainsi que des poches de printemps éternel sont éparpillées à travers les forêts du monde. Au beau milieu de mon premier hiver de captivité, au cours d'une longue chasse, je fus autorisé à me reposer pendant un moment dans une de ces trouées, où j'observai la neige tomber d'un ciel de plomb sans que jamais les flocons n'atteignissent le sol jonché de fleurs. Abasourdi, je me pris à rêver des récoltes que nous pourrions obtenir en Équitaine si seulement nos Damoiselles étaient dotées d'un tel savoir. Mais une telle puissance n'est pas sans danger. Les légendes d'un hiver éternel sont là pour mettre en garde les élèves imprudents ou insensibles, de peur qu'ils ne cherchent à exploiter ces secrets avant d'avoir obtenu l'assentiment de leur enseignant.

 

Mais le tour de magie le plus extraordinaire dont je fus le témoin fut accompli par un sinistre enchanteur lorsque vint le moment de retourner à la cour de mon maître. Faisant appel aux secrets liés à sa race, il invoqua une brume surgie de nulle part, dans laquelle on me fit entrer. La sensation de marcher à travers un nuage était étonnante. Je sentis mes pieds quitter le sol et perdis tout sens de l'orientation. Lorsque je trouvai à nouveau la terre sous mon poids, nous étions revenus à Yshwythal, à la cour du Seigneur. Nous avions parcouru un périple de plusieurs jours en à peine quelques minutes.

 

 

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p.14

 

La Reine des illusions

 

Moritaur, la Reine des illusions, représente tout ce que les elfes ont à offrir à leur société. En tant que Naram, la Mère, elle est porteuse de la promesse de fertilité et de l'espoir de renaissance. Tula, la Vieille, profère la sagesse des millénaires, des elfes qui sont depuis longtemps passés derrière le Voile. Enfin, Beccam, la Guerrière, dont le pouvoir protège le cœur de la Sylve contre les assaillants. Aimante, elle attend ardemment le retour de son Roi ; en son absence, elle préserve son foyer tout au long du rude hiver.

 

– Emerentius, Discours sur les dieux, presses de Narrenwald, 907 A.S.

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p.16

 

Milice sylvestre

 

Nous nous trouvions à trois jours de marche à l'ouest de Pontefreddo. Nous revenions du sac du monastère de Monte Falcone, avec son arbre aux pommes d'argent. Nos coffres étaient remplis de plus d'une centaine de ces fruits magiques : une véritable rançon de roi, qui contribuait à maintenir notre moral au plus haut, malgré la chaleur torride de cet après-midi d'été. Mais les bonnes choses ne durent que rarement dans la vie des gens de guerre. Sans le moindre signe avant-coureur, une brume surnaturelle envahit la plaine à partir du sud. Le vent nous apportait le son des clairons et les aboiements des chiens, qui glacèrent le sang des plus braves de nos hommes. Les vétérans dans nos rangs ne savaient que trop bien ce qui arrivait. Ils tournèrent bride et fuirent, laissant le reste de la colonne dans le plus grand désarroi.

En l'espace de quelques battements de cœur, les fées étaient sur nous, vêtues de tenues olive. Le capitaine Cosimo tenta d'organiser une ligne de combat, mais il était déjà trop tard. Des groupes d'archers fondaient sur nous tandis que de vifs cavaliers se faufilaient entre les hommes, semant la mort. Quelques-uns d'entre nous formâmes une tortue et tentâmes de riposter, en vain : autant chercher à lutter contre le vent. Chaque fois que nous avancions, l'ennemi reculait ; et lorsqu'il frappait, nous mourions. C'était comme brandir une lame contre les démons de fumée du Qassar tout en étant arrosé d'une grêle de fer.

Je survécus en me cachant sous les corps de mes camarades tombés. Lorsque j'osai enfin bouger, le lendemain, je constatai, à ma grande surprise, que les coffres étaient toujours là. Pourquoi ils nous avaient attaqués, je ne le sus jamais. Mais la peur me donna la force de traîner ces coffres jusqu'à Pontefreddo.

La leçon que je retiens de ce jour est que, lorsque retentit le clairon des elfes, mieux vaut avoir soit une ligne de bataille déjà prête, soit, à défaut, un cheval sous la main.


– Capitaine Andrea Barbiano, De l'art du métier, 948 A.S.

 

 

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p.17

 

Les protecteurs des bois

 

Cela prit du temps, mais mon maître m'autorisa finalement à me promener hors de ma cage. Lors des premiers jours, il y avait toujours des regards sur moi. De mes flâneries à travers les bosquets proches, j'appris que les elfes ne sont pas belliqueux par nature. Cependant, certains perçoivent le « Chant de Nyb » plus fort que d'autres, et s'acheminent alors sur la voie de la Lance. Ces elfes consacrent leur vie à la protection de leur peuple contre les dangers du vaste monde. Ils sont les gardiens des palais de leurs seigneurs, chargés du maintien de la paix dans les bosquets, véritables murs de lances sur le champ de bataille. Bien que respectés et honorés pour leur service, la plupart des Trewis se tiennent à distance d'eux, car c'est à ces elfes qu'il revient de faire observer les lois coutumières de la Sylve et d'en appliquer les peines, aussi terribles qu'elles puissent être.

 

Je n'ai jamais posé les yeux sur l'élite de ces protecteurs, mais on me conta en long et en large leurs exploits. Pour des raisons que j'ignore, un elfe renonce à sa lance et à la compagnie des siens et abandonne les bosquets pour monter la garde, le glaive à la main, dans les endroits les plus dangereux de la forêt. C'est à ces guerriers intrépides qu'il revient de juguler les invasions tandis que le reste des fæs se rassemblent pour la guerre. Lorsque les elfes sylvestres marchent sur les terres étrangères, c'est, une fois de plus, autour de ces soldats que le seigneur établit sa ligne de bataille.

 

Une nuit, ayant été ému par le récit de ces elfes vivant au service d'une chanson des dieux et séparés de leurs parents, j'ai moi-même composé ma propre mélodie reflétant les émotions que j'imaginais ressenties par de si nobles guerriers. Sans fausse modestie, j'estime être en droit de dire qu'il s'agissait d'une œuvre de grande qualité, que je n'ai malheureusement plus récitée devant le moindre public depuis sa première et dernière représentation. J'introduisis la pièce à la cour du Seigneur en utilisant les quelques mots de langue elfique que j'avais appris, et me lançai dans un chant aussi envoûtant que tragique. Je ne puis définir avec certitude lequel de ces deux facteurs me poussa à mettre un terme prématuré à mon récital, des éclats de rire des spectateurs ou du regard de marbre du Seigneur sylvestre. Je me défilai, me sentant complètement perdu. Que pouvais-je bien espérer offrir à mes ravisseurs, sinon mon art ?

 

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p.18

 

Les yeux dans les fourrés

 

Il est naturel que tous les elfes sylvestres, nés et élevés sous les frondaisons, soient des chasseurs talentueux et des archers extraordinaires, capables de s'aventurer seuls dans les recoins les plus sauvages de la Sylve pendant plusieurs semaines d'affilée. Mais même ainsi, les simples elfes font pâle figure comparés aux quelques-uns qu'on nomme « Sentinelles ».

 

Maîtres ultimes de la survie dans la Sylve, ils sont issus des meilleurs détachements d'archers, formés en tant que chasseurs de monstres et éclaireurs. Ils sont souvent équipés de poisons virulents avec lesquels ils enduisent la pointe de leurs flèches pour terrasser les ennemis susceptibles d'inspirer la crainte et de briser les lignes des forces derrière eux. C'est également ce qui leur permet de mettre leurs compétences de chasse au service des leurs ; les Sentinelles aiguisent leurs talents face aux grandes bêtes de la Sylve aussi bien qu'aux intrus venus du monde extérieur. Ils sont de redoutables adversaires au combat, de véritables vétérans, incomparables exemples de la tactique peu orthodoxe que les elfes sylvestres ont perfectionnée jusqu'à en faire un art véritablement létal.

 

Les rares individus qui survivent et s'épanouissent au cours de ces longues journées passées au cœur de la Sylve peuvent être invités à rejoindre les rangs d'une troupe de Pisteurs, personnification même de la mort silencieuse, des elfes pour qui le moindre trait rappelant de près ou de loin la civilisation est contre nature. Leur vie est plus proche de celle d'une meute de loups que de celle des autres elfes : une existence nomade, avec pour seul gîte une tanière ou le faîte d'un arbre. Mais en dépit de ces dehors sauvages, ils occupent une place de grande estime dans la communauté les rares fois où ils se présentent dans un bosquet ou à la cour d'un noble.

 

Malgré les récits de tireurs d'élite toujours aux aguets, capables de transpercer un œil à plus de cent pas, qui emplissaient mes cauchemars, j'observais au fil des jours, dans ma vie éveillée, mes gardes devenir de plus en plus laxistes à mon égard. Je profitai de l'occasion pour m'évader : je m'enfuis du palais à la faveur de la nuit noire. Me hâtant le long des sentiers à travers la forêt dense, je commençais déjà à me croire complètement libre.

 

Après une demi-heure le long du sentier, ayant emprunté ce que je supposais être la direction du nord, je m'arrêtai net. Une flèche aux plumes blanches était posée en travers du sentier devant moi. Je levai le pied pour franchir ce projectile abandonné, mais les poils de ma nuque se hérissèrent tout à coup, et je me ravisai. Me retournant, j'avisai une autre flèche par terre derrière moi, qui n'avait pas été là quelques instants auparavant. Aucun être vivant ne pouvait se mouvoir si furtivement, si silencieusement, sans laisser la moindre trace. Je me mis à frémir. Je connaissais désormais la vérité : on m'avait autorisé à m'éloigner quelque peu, mais mon escapade s'arrêtait là. Tout au long des jours qui suivirent mon retour au bercail, je fus persuadé d'entendre partout dans mon dos de joyeuses moqueries.

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p.19

 

Les descendants terrestres

 

Même pour la plupart des elfes, les dieux sont de distants êtres célestes. Cependant, certains d'entre eux marchent à travers les arbres, foulant de leurs pieds la même terre que nous, quand bien même leur sang vibre d'une puissance venue de l'au-delà. Le plus grand d'entre eux est Cadaron, le roi de la Sylve, meneur de la Chasse sauvage et avatar du Chasseur – à moins qu'il ne s'agisse véritablement de ce dieu lui-même fait chair. Il règne sur les forêts aux côtés de sa reine Amryl. De leur union sont nés les deux jumeaux : Sura, le Faiseur de printemps, et Cyma, la Princesse de l'hiver.

 

– Emerentius, Discours sur les dieux, presses de Narrenwald, 907 A.S.

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p.20

 

Chevaliers faucon

 

Depuis ma plus tendre enfance, je rêve de la magie céleste du vol, de la sublime sensation de pure liberté octroyée à ceux dont les pieds n'ont jamais été liés à la terre. Je n'avais jamais pensé pouvoir connaître un jour cette expérience en-dehors de mes rêveries éveillées, jusqu'à cette singulière journée passée parmi mes ravisseurs. Mon maître avait trouvé souhaitable de me prendre avec lui pour témoigner d'une escarmouche au cours de laquelle ses forces s'apprêtaient à combattre une harde bestiale largement supérieure en nombre. Il me donna pour instruction formelle de rester caché parmi les arbres. C'était cependant sans compter sur ma soif de pouvoir observer de plus près le déroulement des évènements.

 

Il existe chez les Trewis une classe de chevaliers qui vont au combat portés par des montures ailées. Ces énormes rapaces ressemblent à des faucons de taille inhabituelle, élevés et entraînés dans le seul but de la guerre. Leur taille et leur vitesse en font de terribles adversaires, ce à quoi il faut encore ajouter la précision des archers montés sur leur dos. J'ai pu constater l'effet psychologique causé par ces créatures géantes sur leurs ennemis.

 

C'est à une guerrière parmi ces chevaliers que l'on avait confié ma garde pendant la bataille. Je m'impatientais là, irrité par son regard sur moi, lorsque son attention se recentra tout à coup sur un minotaure rugissant, criblé de flèches et aveuglé par la rage, qui saccageait tout sur son passage. Vive comme l'éclair, ma gardienne bondit sur sa monture et s'élança au-dessus de la canopée, debout sur le dos du volatile, comme si la fureur des vents d'altitude et le rapide battement des ailes de l'oiseau n'étaient rien de plus qu'un léger balancement. Je n'attendis pas qu'elle abattît le monstre, préférant profiter de cette occasion de m'approcher pour mieux suivre le théâtre des opérations.

 

Je m'avançai en direction des meuglements, convaincu de m'être fait aussi discret que possible. Mais subitement, j'entendis à côté de moi un hideux halètement. Un homme-bête fondait sur moi, son grand hachoir levé haut. En cet instant où je crus mon heure arrivée, une hampe aux plumes blanches apparut tout à coup dans le poitrail de la créature. Ma tutrice m'avait sauvé d'un tir parfait en plein cœur. Sur ce, son faucon m'agrippa entre ses puissantes serres et je fus instantanément emporté dans les airs, grimpant en flèche jusqu'à une distance inconcevable par-dessus la forêt, par-dessus le conflit qui y faisait rage, tandis que les dernières Bêtes tombaient.

 

La vue me coupa le souffle. L'Équitaine se dessinait en contrebas, bien moins loin que je ne l'aurais imaginé. Je fus envahi par la nostalgie du foyer. Je distinguai Corante et, juste derrière, le fleuve Guêon, étincelant comme le front orné de joyaux de la Dame elle-même. Nous volions si bas au-dessus de l'orée de la forêt, que j'entrevis même la route que j'avais empruntée pour y pénétrer, si longtemps auparavant. Nous survolâmes ensuite une clairière dominée par un grand rocher sculpté en forme de sanglier, avec une plateforme et un escalier qui y montait. Je prévus de me renseigner plus tard sur la nature de cette pierre, mais cette idée fut bientôt balayée par l'exaltation de l'envol.

 

Mes rêves d'enfance se sont donc concrétisés, et bien plus, tandis que nous percions les nuages et frôlions les cimes des arbres, encore et encore. De tout ce que j'ai vécu parmi les fæs, la gloire de ce vol est sans doute l'expérience qui m'apporta la plus grande joie. Aujourd'hui encore, lorsque je sens venir le danger, c'est, par-dessus tout, le souvenir de ce trop bref moment de transcendance qui me redonne la sérénité.

 

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p.20

 

Les Sœurs divines

 

Trois filles sont nées de l'amour entre le Roi et la Reine ; chacune d'elles a trouvé sa place dans le cœur des elfes sylvestres. Amryl, Reine de la Sylve, engendrée de Yema et Naram, qui règne sur Wyscan, ne retournant au Royaume voilé qu'au plus fort de l'hiver. Meladys, la Grande Maîtresse, enfant de Wymaïg et Tula, assoiffée de connaissances ; car ce sont elles qui la rendront digne d'un jour monter sur le trône de son père. Nyb, la Corneille écarlate, issue de l'union de Cadaron et Beccam, sous l'auspice de laquelle les grandes armées elfiques marchent au combat.

 

– Emerentius, Discours sur les dieux, presses de Narrenwald, 907 A.S.

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p.23

 

Danselames

 

En Équitaine, la danse est une glorieuse frivolité : nous dansons pour ressentir l'exaltation du mouvement, pour exceller en art, pour séduire autrui. Mais pour les Trewis, il s'agit de tout autre chose. Là où les bardes tels que moi-même pincent le luth, leurs interprètes manient des lames aiguisées. Ils dansent à la cour comme sur le champ de bataille ; à ceci près que tandis que je suis, dans l'ensemble, un hôte respecté dans les palais des nobles, ces Danselames y étaient une présence étrangère. Porteurs de la faveur d'un des dieux elfiques (peut-être même de l'ensemble de leur panthéon), leur chorégraphie ne fait pas que transmettre une information, mais, en un certain sens, la concrétise, la matérialise, d'une façon que même la plus délicieuse des chansons ne peut le faire. Il y avait dans leurs mouvements une magie fæerique.

 

Ils connaissent toutes sortes de pas : vifs ou mesurés, joyeux ou tragiques. Ils communiquent rarement par des mots, bien qu'ils en soient capables. Leur façon de parler est posée, leurs regards pensifs. Tous les considèrent avec un mélange de respect, d'honneur… et de crainte, bien que je n'aie jamais été le témoin d'une scène qui justifierait cette peur. Les quelques fois où j'ai pu observer des Danselames en chair et en os, ils étaient toujours on ne peut plus aimables dans leurs rares interactions personnelles – comme s'ils concevaient toute chose autour d'eux comme fragile et transitoire.

 

S'il est vrai que je ne les ai jamais vus sur le champ de bataille, j'ai néanmoins eu la chance de contempler leur ballet, une nuit à la cour sylvestre. Quoiqu'aucune explication ne me fût donnée, l'atmosphère elle-même en cette veillée avait un air prophétique. Le silence régnait déjà dans la cour lorsque la danse commença. Je fus pleinement absorbé par la grâce de leurs gestes, l'enchevêtrement de leurs membres souples, dont l'intrigue paraissait se graver sur ma rétine. La profondeur de l'hiver, suggérée par des motifs sombres, cédait la place à la joie printanière, aux pointes légères et aux arabesques élevées. Et lorsque la torpeur sensuelle de l'été emplit les corps entrelacés, mon visage prit une teinte écarlate provoquée par ce plaisir impudique.

 

Enfin vint l'automne et avec lui, un nouveau revirement. Les gestes qui, l'instant d'un moment, avaient exhaussé mon cœur, adoptèrent à présent des nuances sinistres. La danse atteignit son point culminant : une des enfants perdus, mes compagnons de captivité, fut amenée sur scène. Conduite ça et là, son visage se mua en un masque de terreur lorsqu'elle se vit confrontée à un autel de chair elfique, sur lequel l'artiste fit mine de lui trancher la gorge. Pleinement immergé dans le rituel, je laissai échapper un cri. Il me fallut un bon moment pour réaliser que l'enfant était restée indemne, puisque la main du danseur était vide. Mais l'appréhension de ce moment subsista, et je résolus, une fois de plus, à trouver une issue hors de ces bois inquiétants.

 

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p.24

 

Chasseurs sauvages

 

De tous les elfes que j'ai rencontrés au cours de ma captivité, nuls n'étaient plus étranges ni si farouches que les chasseurs assermentés du Roi de la Sylve. Chose curieuse chez les elfes sylvestres, ils semblent ne pas admettre la moindre femme en leur sein, bien que cela soit la norme pour nos ordres de chevalerie. Ce n'est d'ailleurs pas là la seule similitude, car ces guerriers sont, par leur tempérament, des plus lunatiques et belliqueux, même de l'avis des autres elfes, et, en apparence, ils sont sauvages au point de toucher à la barbarie.

Ils vont partout torse nu, arborant des fétiches d'os et de corne qu'ils façonnent eux-mêmes. Et lorsque vient pour eux le temps de partir au combat, j'ai entendu dire qu'ils se parent de masques effrayants et ne communiquent plus qu'en poussant des grognements et mugissements bestiaux. Leur art de la lance est, dit-on, tel que nulle proie repérée ne peut jamais échapper à la Chasse sauvage. Il est certain que le commun des elfes, y compris les nobles, n'approchent qu'avec la plus grande prudence ces guerriers sauvages, Chasseurs du Roi. Les seuls à pouvoir soutenir leur regard sont ces étranges Danselames et les émissaires de la Reine.

Ils paraissent ne posséder aucune noblesse intrinsèque telle que les hommes la conçoivent, mise à part celle qu'on pourrait attendre d'un bon chien ; ils sont de toute évidence peu aptes à accomplir le moindre travail, si ce n'est le combat et la traque. Je fus témoin de leurs fréquents festins et des grands brasiers sur lesquels ils rôtissent nonchalamment leur viande. C'est autour de telles flambées qu'ils s'asseyent et boivent leur hydromel à la couleur du cuivre, tout en narrant des récits triviaux avec force animation, fréquemment interrompus par les railleries et les éclats de rire de leurs pairs.

Ce fut à ces Trewis que je crus pouvoir confier mon sort, pensant qu'ils possédaient la même cupidité qui rend les hommes malléables. Je leur contai la légende des trésors équitains attendant leur acquéreur dans les ruines hantées de Doum-Corin. Peu effarouchés par ma présence, ils parurent suivre mon histoire avec un vif intérêt. Je répondis à toutes leurs questions, faisant de grands efforts pour trouver les mots qu'il fallait dans leur langue, jusqu'à ce que je me rendisse compte qu'ils ne faisaient en réalité que badiner, échangeant les uns avec les autres des sourires carnassiers, se délectant visiblement de ce petit jeu à mes dépens. Ils finirent par me donner un sobriquet, « Delyn », m'expliquant que c'était là un terme d'affection. Ce n'est que bien plus tard qu'un de mes gardiens me révéla que ce terme signifiait en réalité « Sanglier ».

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p.25

 

Servantes de la Ronce

 

À deux reprises, j'ai rencontré les plus singulières et les plus ravissantes des dames de la Sylve. Bien qu'en vérité, il me fallut un bon moment avant que je ne pusse leur attribuer une origine terrestre, car au premier regard j'étais certain que les portes des cieux s'étaient ouvertes et que des déesses en étaient tombées.

 

Elles chevauchaient dans la rosée du matin printanier, se faufilant à travers la forêt aussi légèrement et silencieusement que le crépuscule. Tout ahuri que j'étais par leur approche, si différente de celle de la Chasse sauvage, mon inquiétude fit rapidement place à l'émerveillement. Tandis qu'elles se mouvaient, la forêt elle-même semblait tendre les bras à ces êtres célestes : de nouveaux bourgeons apparaissaient et éclataient, des herbes surgissaient de la terre nue et les branches s'épaississaient et vrombissaient, comme prises d'une vive agitation.

 

Je me trouvai pris au piège, entravé par les vrilles et les racines. Mais ce n'était là que malice, sans la moindre hostilité de ma première expérience. Tandis que je luttais pour me libérer et qu'elles s'éloignaient aussi mystérieusement qu'elles étaient arrivées (on aurait dit qu'elles lévitaient), l'une d'entre elles me lança un regard par-dessus son épaule. Jamais je n'ai vu sourire plus espiègle et plus affriolant : dussé-je écrire à son sujet pendant un millier d'années, jamais je ne pourrai lui rendre justice par des mots.

 

Empli de désir, je tentai d'en apprendre plus sur ces fées envoûtantes. En guise de réponse, je n'obtins que des soupirs exaspérés ou de sévères avertissements, que je ne pouvais comprendre. La peur n'était pas une émotion que je parvenais à associer à la vision dans le bois printanier. Je résolus de faire des recherches par moi-même. Lorsque se présenta enfin l'occasion d'y voir plus clair, nous étions déjà à l'automne. C'est à travers la pluie de feuilles rouges et dorées que je poursuivis une apparition à moitié entraperçue.

 

Ce ne fut que lorsqu'elles se retournèrent que je réalisai toute l'étendue de mon erreur, que lorsqu'elles m'encerclèrent de leurs regards qui lançaient des éclats comme un orage en gestation, avec la pointe de leurs lances qui me pressaient, que je compris le danger. La terreur me prit alors : ces ravissants minois, pleins d'une humeur complètement étrangère, qui disaient que je serais brisé aussi facilement qu'une frêle brindille. Je fermai les yeux, m'attendant à ne plus jamais les rouvrir. L'instant suivant, je me trouvai à genoux dans une clairière vide, frémissant d'une irrépressible vague de soulagement. Prends garde à toi, voyageur qui t'aventures sous la verte ramée : sache que la beauté et le danger, souvent, s'entrelacent.

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p.26

 

Les Gardiens de la nature

 

Tout ce que voulait Matéo, c'était l'attention de son père. Matéo désirait tant mériter son respect. Or le Duc ne lui témoignait jamais la moindre tendresse. C'est à l'époque où il me courtisait qu'il prit à cœur de capturer un grand cerf de Wyscan, se disant qu'une telle prise le rendrait enfin digne de la considération paternelle.

Cette partie de chasse fut un désastre. Nous ne revîmes jamais plus les traqueurs qu'il avait mandés. Bientôt, c'est nous qui devînmes les proies. Les flèches d'archers elfiques invisibles me contraignirent à changer notre peau en pierre. Une heure après le début de la « chasse », nous ouîmes un profond brâme devant nous. Matéo nous haranguait, nous poussant toujours de l'avant. Nous arrivâmes finalement dans une clairière, au centre de laquelle deux arbrisseaux étaient plantés. Il était évident qu'il s'agissait là d'un lieu sacré. Quels imbéciles avions-nous été.

Un rugissement nous ébranla. Il était si puissant que j'en eus le souffle coupé. Et de l'autre côté de la clairière, je l'aperçus.

Un Père des arbres, fusion déchirante d'elfe et de dendron, émergea du bois. Impossible de savoir s'il s'agissait d'un mortel vêtu de bois, ou d'un chêne animé. J'ai beau avoir vu des hippogriffes renverser des bataillons entiers, devant cette créature, je tressaillai d'effroi. Ses mains étaient d'énormes masses noueuses ; il fonçait sur nous à grandes enjambées. Matéo, le brave Matéo, le chargea, juché sur son destrier.

Ils s'affrontèrent au centre de la clairière. Nous le suivîmes, formant une ligne derrière lui. Le Père des arbres leva son gigantesque poing, prêt à frapper. Matéo tira son épée d'acier enchanté, un héritage familial.


« Halte ! », cria Matéo, sa voix de ténor perçant l'air limpide. Alors, à notre grand étonnement, le Père des arbres s'arrêta, le bras toujours brandi, comme un tronc suspendu, prêt à nous écraser. « Si tu avances, tes enfants mourront ». Je réalisai alors avec horreur que les arbustes que Matéo menaçait de sa lame arboraient les mêmes proportions que leur père.

J'ai rarement vu une telle rage, un tel chagrin. L'arbre vivant se pencha, lentement, de toute sa masse, jusqu'à ce que son visage arrivât à la hauteur de Matéo. Il le sonda de son regard noir et profond. L'épée de Matéo fendit l'air avec un éclat de lumière, tranchant plusieurs doigts à la créature. « Flèches enflammées ! Maintenant ! »

Et, avec la discipline typique de gens d'armes bien entraînés, les gens de son escorte, qui se tenaient déjà, arcs bandés, torches allumées, décochèrent une salve qui embrasa l'écorce de ce géant sylvestre. Le sol sous nos pieds s'entrouvrit et des racines en jaillirent, transperçant les hommes qui m'entouraient. Courroucé et provoqué, le Père des arbres gifla Matéo d'un gigantesque revers de la main qui l'envoya rouler dans l'herbe. Il s'avança pour protéger les arbrisseaux de ses robustes jambes, balançant les bras pour faucher les archers, les chevaliers, les chasseurs qui se trouvaient trop près. Les flammes avaient beau le brûler, il tenait bon, faisant sortir de terre de nouvelles racines qui formèrent comme une barrière naturelle autour de lui.

Nous prîmes la fuite. Le destrier de Matéo lui permit de se sauver, mais la plupart de ceux de notre groupe n'eurent pas la même chance. Nous dépassâmes les cadavres de bon nombre des éclaireurs qui nous avaient devancés, empalés à l'orée de la forêt. Ils étaient certainement morts avant même que nous n'eussions pénétré la sylve. Il s'avéra enfin que, contre toute attente, dans tout le tumulte de cette confrontation, Matéo était parvenu à s'emparer d'un des doigts du Père des arbres. Il le présenta à son père comme une sorte de trophée. Celui-ci n'y accorda pas le moindre intérêt. Ce jour-là, je fus témoin d'un véritable amour parental, mais pas dans le monde des hommes.

Souvenirs de l'été 894 A.S., transcrit par Thomas le Barde, d'après le récit qui lui en a été fait par la Damoiselle à la Rose blanche en l'année 919 A.S.

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p.28

 

Dryades

 

Je n'ai pleuré que trois fois au cours de ma vie adulte. La première fois lorsque mon père, le grand duc, est décédé. La deuxième tandis que tentais de consoler mon fils de la perte de sa mère, ma chère épouse.

 

Et la troisième en ce jour, où un barde de la cour a changé devant moi une assemblée grivoise en statues de marbre, tirant des notes mélancoliques de sa guiterne qu'il pinçait comme s'il avait touché au plus profond de nos âmes. Pas un œil qui ne soit resté sec en ma salle des banquets.

 

Je te remercie, Thomas, d'avoir avivé les cœurs de tant d'hommes.

 

– Duc Guillaume de Brezanne

 

Ces aimables paroles sont du duc Guillaume, pour qui j'ai joué la Lamentation du Veilleur, la plus grande œuvre musicale que j'aie jamais composée. Elle est si émouvante que je suis incapable de la produire plus d'une fois par an. Dès ses premières notes, mon cœur frémit ; la seule façon dont je peux la terminer est de fermer les yeux pour contenir mes larmes envers et contre tout. Mais ce faisant, je me retrouve à chaque fois transporté pour revenir au moment qui a servi d'inspiration à ce requiem, une histoire que je conte ici pour la première fois.
 
Les dryades arboricoles sont les plus curieuses des créatures. Contrairement aux formes des mortels, la leur n'est pas fixée. Les troncs des grands arbres de la forêt ne sont pour elles rien de plus que des rideaux, qu'elles traversent aisément, en y produisant une sorte d'ondulation. En ce jour fatidique, elles étaient d'apparence aussi gracieuse et ravissante que les jeunes filles elfiques, avec qui on aurait pu les confondre, n'était-ce la couleur vert clair de leur peau et leur agilité troublante. Mon guide me les décrit comme étant « en chasse », ce qui me fit pouffer de rire ; l'humour des Tréwis m'était encore étranger. Au vu de mon évidente incrédulité, mon guide décida que nous suivrions ces êtres sylvestres. Ce n'est que lorsqu'elles parvinrent en vue de leur proie que je compris la véritable nature des dryades.
 
L'intrus n'avait pas été difficile à trouver. Un nain à l'orée de la forêt, certainement égaré, assis devant un feu de camp, une hache posée sur les genoux, à côté d'une pile de bois fraîchement coupé. Je ne sais ce qui aviva le plus leur courroux : le bois coupé, la hache elle-même, le feu, ou la créature à l'origine de ces trois causes. Le feu fut le premier à mourir, éparpillé dans une furieuse pluie d'étincelles. Après cela, les ténèbres me privèrent de la plupart des détails, ce dont je leur suis à jamais reconnaissant.
 
Face à la violence sanguinaire qui suivit, le courage du nain fut indéniable. Hache à la main, le dos droit, il affronta la mort avec honneur. Mais celle-ci fut longue à venir, car les dryades s'amusèrent longtemps avec lui. Par deux fois il parut s'échapper, par deux fois également il sembla trépassé. Mais à chaque fois, il survivait un peu plus longtemps. Puisqu'il était de toute évidence condamné, je suppliai mon gardien de mettre un terme rapide à son tourment. Mais la clémence dont mes maîtres avaient fait preuve à mon égard n'était pas à l'ordre du jour. Dos à un rocher, le nain semblait accepter son destin. Son sang se répandait sur la pierre, s'écoulant en ruisselets le long de chaque sillon.
 
« Le sort que méritent les tueurs d'arbres ». Ces mots, prononcés d'un ton aussi détaché que sinistre, résonnaient encore dans ma tête lorsque je me mis à composer ce soir-là. Aucun sommeil ne me vint deux nuits d'affilée. Lorsque finalement je réussis à m'endormir, j'avais écrit un chef-d'œuvre, et priai de l'avoir oublié lorsqu'arriverait le matin. Je savais alors que, d'une façon ou d'une autre, mes jours parmi les elfes de la Sylve étaient comptés.
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p.30

 

Dendrâmes sauvages

 

« Je n'crais ni brin que c'soit ne bonne idée », marmonna Tim le Nerveux. L'angoisse lui faisait se frotter les mains, tandis qu'il observait Guiaume et Josette ramasser du bois pour le feu.

 

« P'têt bin qu'si tu n'nous avais point tant atardés, on n'aurions point à passer l'neutée din c'te biale forêt au fond d'les dieux seuls savayent où, lui répliqua Josette, menaçant Tim d'une branche, lequel se mit à trembloter. Quant à moé, ej'mourisse ed'fraîchou, et q'les diables m'emportent si j'n'ai point n'brulot pou'm'achaudurer c'soér. »

 

Je décidai qu'il ne valait pas la peine de soutenir l'un ou l'autre camp, même si, à dire vrai, je partageais l'inquiétude de Tim. La forêt dégageait une sensation palpable d'hostilité. Je n'aimais pas la manière dont les arbres paraissaient me lancer des regards.

 

Nos compagnons finissaient d'assembler le petit bois pour l'allumage. Nous nous assîmes pour les observer, tournant le dos à un fourré impénétrable d'épines et de plantes grimpantes. Ce fut notre première erreur. Notre deuxième erreur – celle qui nous fut fatale – fut de laisser Guiaume sortir sa boîte à amadou.

 

« Attinds donc !, cria Tim.

 

— Oh, quai qu'y a core ? lui aboya Josette.

 

— Les arbres…, gémit le jeune homme. Argardez-les. I nous détessent. I détessent el'feu. »

 

Guiaume pouffa de rire. « Veux-tu donc que j'vas leur d'mander poliment ? »

 

Si je me sentais tendu, Tim était, lui, au bord des larmes. Il se mordit les lèvres et ne dit plus rien. C'est à ce moment que Guiaume, qui secouait encore la tête, ne pouvant croire que son camarade fût si peureux, fit jaillir une étincelle de la pierre à feu. La forêt fut instantanément parcourue d'un frisson. On entendit alors comme un rugissement venu de très loin, qui se faisait de plus en plus sonore. Même Guiaume et Josette avaient l'air inquiets à présent.

 

L'amadou qu'il avait allumé tomba de ses doigts au milieu du petit bois. La lueur du feu se répandit tout autour de nous, au fur et à mesure que les flammes gagnaient en puissance. Mais cette lumière, plutôt que de nous éclairer, ne fit qu'approfondir les ombres… des ombres qui se mouvaient, qui convergeaient. Terrifiés, nous nous retournâmes, lentement, pour faire face au fourré derrière nous.

 

Ce n'était plus le fouillis végétal qui s'était tenu là quelques minutes auparavant. Les branches s'étaient regroupées pour former une sorte de bête à l'air épouvantable. Elle avait au moins deux fois la taille d'un homme, avec des bras épais comme ceux d'un ogre, faits d'un bois aussi noueux que sinueux. Et il émanait d'elle une aura de pure fureur sauvage, que je n'oublierai jamais.

 

Tout fut fini en l'espace d'un instant. Nous étions trop pétrifiés pour bouger. Tim avait perdu toutes ses couleurs. Guiaume émit un hideux cri de désarroi, qui fut rapidement interrompu par la créature. Celle-ci n'eut à faire que deux gigantesques pas pour traverser la clairière. D'une enjambée, elle fit éclater le crâne du pauvre homme comme une coquille d'œuf ; d'une autre, elle oblitéra notre petit feu de bois.

 

Après ça, il fut impossible de distinguer clairement ce qui se passa. À en juger par le gargouillement douloureux qui me parvint, Josette fut la suivante à recevoir un coup mortel. Quant à Tim le Nerveux, je n'ai jamais su ce qu'il était advenu de lui.

 

J'étais déjà bien trop occupé à courir.

 

– Extrait des Contes merveilleux et véridiques de Samuel Le Pépin, pèlerin et raconteur professionnel

 

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p.32

 

Cheval elfique

 

D'aucuns affirment que les coursiers des elfes sylvestres sont les ancêtres de tous les chevaux sur Terre ; d'autres racontent qu'ils sont le fruit d'une ancienne alliance entre les chevaliers humains des temps passés et les enfants-fæs de la forêt. Quelle que soit la véracité de ces contes, le fait est que ces nobles bêtes ont l'ossature plus fine que n'importe quelle monture équine des royaumes humains. Aussi vives que des goupils, elles galopent à travers l'enchevêtrement de racines et de branches aussi sûrement que dans les prairies du vaste monde. Avec un cavalier elfe sur leur dos, elles deviennent la terreur des ennemis de la Sylve, permettant aux archers au regard d'aigle de s'enfoncer loin derrière les lignes adverses et aux agiles lanciers de harceler les flancs de leurs adversaires, comme les loups autour des brebis.

L'intelligence, l'endurance, l'agilité et la beauté de ces créatures sont telles que de nombreux jeunes chevaliers d'Équitaine sont prêts à encourir le courroux des elfes pour pouvoir se procurer un poulain et ajouter à leur propre écurie un peu du sang féerique des troupeaux sylvestres. D'intrépides aventuriers pourraient gagner ainsi une véritable fortune ; toutefois, l'amour que portent les elfes à toutes les créatures de leur royaume est si fort que de tels actes risquent bien d'attirer sur eux la foudre des grands seigneurs de la Sylve.

 

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p.33

 

Aigle royal

 

« Où il y a le ciel, il y a un aigle ». Ce vieux proverbe sylvestre se vérifie à travers tout leur domaine, des pics montagneux les plus escarpés aux clairières ouvertes, en passant par les larges espaces sous la canopée des parties les plus anciennes de la forêt. Leur pigmentation et leur stature varient d'un endroit à l'autre, en fonction des conditions qui leur sont imposées par leur environnement. Certains sont grands et larges, tandis que d'autres sont graciles et agiles ; mais ils sont universellement reconnaissables par leur queue effilée, leurs serres puissantes et leur bec cruel. On dit qu'ils peuvent comprendre la langue des elfes et que, lorsque le devoir les appelle, ils vont au combat en portant de grands guerriers sur leur dos. De tels liens sont cependant bien plus rares que ceux qui sont noués entre les combattants communs et les faucons sylvestres, plus petits. Les personnes jugées dignes de leur service par ces fiers prédateurs sont en général les dirigeants ou les guides de la petite communauté ayant élu domicile dans les arbres au-dessus du sol forestier. Qu'ils servent de leur propre volonté ou qu'ils soient soumis à un maître, les aigles royaux sont toujours d'habiles chasseurs, capables de fondre soudainement sur une cible peu méfiante pour l'emporter jusqu'à leur lointain perchoir.

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p.33

 

Grand cerf

 

Il est vrai que certains elfes montent des cerfs tout comme les hommes montent des chevaux. C'est notamment le cas des chasseurs du Roi de la Sylve et des suivantes de la Reine. Ces bêtes ne ressemblent que fort peu aux cerfs que nous connaissons – autant, du moins, qu'un chien de race ressemble à un loup. Ces créatures, qui se déplacent à travers la forêt aussi silencieusement que des âmes errantes, sont la monture de prédilection des plus puissants et plus farouches des seigneurs. Elles sont terrifiantes à contempler sur le champ de bataille : leur puissant corps tendu, leurs yeux étincelants, leurs larges ramures aussi aiguisées que des rasoirs osseux, leur approche annoncée par leur brame profond. Les lignées de ces bêtes imposantes sont aussi protégées et secrètes que celles des prestigieux destriers de nos ducs. Leur apprivoisement est une source de grand prestige. La charge d'un seul grand cerf sur le champ de bataille peut briser les lignes de défense les plus solides ; mais plus effarant encore est la cavalcade des chasseurs sauvages assoiffés de sang à la suite d'un grand cerf beuglant.

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p.33

 

Licorne sylvestre

 

Les licornes vivent à la lisière entre deux mondes, partagées entre le monde commun et le royaume du Voile. Il semble que les seuls endroits où ces deux mondes se rencontrent pour permettre l'existence de ces animaux mythiques sont les forêts des elfes. Le visiteur est époustouflé par le nombre et la diversité des licornes vivant côte à côte avec les elfes sylvestres : chaque teinte, du blanc le plus pur au noir le plus sombre, chaque couleur du monde naturel et de nombreux tons qui n'existent qu'en rêve. Des robes qui reflètent l'essence même du cosmos ou évoquent le fracas des vagues sur des rivages lointains ; des cornes d'ivoire luisant d'une puissance à peine contenue… Seuls les plus puissants mages elfiques peuvent espérer nouer et maintenir un lien avec ces esprits équins.

Quand bien même les licornes paraissent paître, elles se nourrissent en réalité de magie à l'état brut. L'étroite proximité d'une telle créature pour une période prolongée peut d'ailleurs drainer l'âme de l'enchanteur qui lui est lié. Néanmoins, nombreux sont les elfes prêts à faire ce sacrifice pour dompter une telle bête, si grands sont le prestige que procure leur amitié et la protection qu'elles offrent contre les sortilèges hostiles. Encore que l'on chuchote de sombres rumeurs faisant état de licornes aussi vieilles que le temps, capables de parler aussi bien que les elfes ou les hommes et conservant le souvenir d'ères passées. Ainsi, il apparaît que, comme pour toute autre chose dans le royaume des elfes sylvestres, l'amitié d'une licorne ne soit pas sans un prix à payer.

 

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p.34

 

Fuite

 

Ma dernière nuit dans la Sylve eut lieu vers la fin de l'automne. Les Tréwis se rassemblaient pour une sorte de grande fête de retrouvailles. Des réunions de ce type ont lieu tout au long de l'année, mais celle-ci semblait être particulièrement importante, car elle marquait le jour de Waryba. Toute la communauté s'était retrouvée pendant une semaine autour d'un grand cercle de pierres dressées. Tout comme nombre de visions contemplées pendant mon séjour, cette assemblée était époustouflante.

 

La foule étonnait par sa diversité. Flânant parmi les arbres et les tentes, je réalisai vite qu'il m'était impossible d'appréhender l'exacte ampleur de ce congrès. J'eus beau marcher une journée durant, à chaque nouveau détour, je découvrais un nouveau groupe d'elfes devisant, chantant, commerçant ou s'entraînant au combat. C'était tout à la fois un grand marché, un bal fastueux et la plus exotique des foires. Dans la forêt près du cercle de pierres, une structure similaire à une cathédrale était suspendue entre les faîtes des arbres. Elle était toute entière faite de cordes tressées et entre-nouées, autour desquelles les elfes grimpaient, s'asseyaient et chantaient. Mon cœur avait grand mal à soutenir la vue de tant de magnifiques êtres réunis en un même lieu. C'était comme si toutes les forces vives de leur royaume défilaient devant moi.

 

Une grande quantité d'esprits sylvestres, d'ordinaire si farouches, s'étaient joints aux festivités. Je les observais, les yeux écarquillés, se mêler aux elfes agiles. Je contemplai des Pères des arbres à l'écorce aussi blanche que celle des bouleaux, et des dryades composées de fougères. Chaque nouvelle forme me laissait bouche bée, leur verdoyante variété supérieure même à celle des elfes. Peu de choses sont plus belles en ce monde qu'une matriarche florissante chantant aux arbres pour en faire éclore les boutons ; rien n'est plus féérique que la vue d'un doyen dendrâme menant son troupeau au pas traînant à travers la brume matinale. Tout comme le gui pousse sur les branches des grands arbres, j'aperçus de nombreux esprits mineurs formés d'un arbre orné de plus petites plantes accrochées à eux. Ces passagers semblaient à l'occasion former des armes, de prestigieuses parures, voire de curieux vêtements.

 

Malgré tout cet émerveillement, mon esprit était toujours occupé par l'idée de mon évasion, épris d'un désir ardent de retrouver les miens. Là où je ressentais habituellement le poids de regards invisibles, il semblait ici que même les Pisteurs étaient occupés à bavarder avec les autres Tréwis. Je ne pouvais imaginer meilleure occasion : les elfes étaient tout occupés à se préparer pour leur chasse au sanglier rituelle, la « Blaut-Delyn ». Poussé tout à coup par la témérité et par le désespoir, je volai un des précieux coursiers elfiques et me mis a galoper tête baissée jusqu'à la lisière de la forêt. Ce n'est que peu avant de retrouver l'Équitaine, en traversant la clairière que j'avais aperçue autrefois, que je compris. La Chasse au Sanglier, la statue de pierre dans la clairière : la Chasse allait certainement se diriger par ici. Je piquai des deux, et fis couvrir à ma gracieuse monture plusieurs lieues de terrain boisé en à peine quelques minutes. Mais une fois arrivé hors du bois, alors que je me croyais déjà tiré d'affaire, le cheval parut tout à coup se moquer de ma prétendue autorité et me projeta violemment à terre, avant de s'en retourner parmi les fourrés, où il disparut.

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p.35

 

Dragon sylvestre

 
De tous les grands chasseurs du royaume elfique, un seul occupe le sommet de la pyramide : le dragon. Même les seigneurs de la Sylve s'inclinent devant cette créature redoutable. Contrairement à leurs cousins avides et prétentieux qui hantent le vaste monde au-delà des frondaisons, les dragons de la forêt sont des bêtes intelligentes, dévouées au maintien de l'ordre naturel. Ce qui ne veut pas dire qu'ils soient entièrement dépourvus de la vanité de leur race : j'ai entendu de nombreux récits de tributs versés pour apaiser leur fierté, parmi lesquels des trésors et des sacrifices de créatures vivantes. Seuls les plus puissants des seigneurs et des druides peuvent espérer rechercher l'attention des dracs sylvestres et conserver la vie sauve.

Leurs écailles sont aussi dures que le diamant ; on dit d'elles qu'elles changent de couleur selon leur environnement. Ils ont des dents longues comme des épées, des griffes capables de renverser les murailles des châteaux ; leur souffle est cauchemardesque. Alors que la moindre flamme est source d'inconfort pour les habitants de la Sylve, l'exhalaison d'un dragon peut engendrer des brasiers capables d'entailler profondément la forêt, se propageant à une vitesse inquiétante. Mais des cendres de l'incendie naissent les jeunes plantes ; ainsi les dragons sylvestres créent-ils une vie nouvelle, issue de la mort de l'ancienne.
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