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Mon nom est...


Granville

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Bonjour,

 

Petit texte à nouveau issu d'une idée, celle de parler du garde impérial qui se fait tuer en arrière-plan pendant que votre Space Marine héro-du-jour récupère toute la gloire pour lui tout seul. De manière générale, j'aime bien me pencher sur ces sujets un peu mis au rebut, donc j'espère que ces quelques pages réussiront à vous plaire. J'ai tenté un exercice un peu particulier et je comprendrais qu'il ne plaise pas tant que ça, du coup je serais curieux de voir le ressenti extérieur que l'histoire donne :)

(Oh et mes excuses pour le format forum qui galère un peu).

 

               Dans les ténèbres d’un lointain futur, il n’y a que la guerre. Mais il y a celle qu’on glorifie, qui porte un nom, qui est menée par ceux dont l’Histoire se souvient à plus ou moins brève échéance…et celle dont on ne parle pas, pleine d’anonymes souffrances, d’invisibles désespoirs, d’héroïsmes cachés et de sacrifices inutiles. De telles histoires n’inspirent ni joie, ni satisfaction, et seule transpire une abnégation résignée face à la cruauté d’un univers qui ne peut survivre et se souvenir dans le même temps des petits actes soutenant les grandes entreprises. Ce soldat inconnu, c’est moi, c’est vous, c’est tout-un-chacun dans cette immensité où rares sont ceux qui font la différence.

 

Mon nom est....

 

               Un simple chargement…Une lueur dorée filtre entre les immenses tours de lithobéton d’une petite cité-ruche, sur une planète frontalière perdue dans un secteur immense au coin d’un Segmentum. Son nom ? Rares sont ceux qui le prononceront en-dehors de ses habitants ; et encore. 

               Dans ce décor urbain lourdement chargé se trouve une grande place commémorative où s’alignent des statues de héros, et sous leurs regards de pierre vides attendent les carlingues sombre d’immenses vaisseaux d’embarquement, dont les moteurs au repos fument avec le froid tombant d’un soir tardif. Un homme se tient sur la rampe de l’un d’entre eux, puisant un peu de réconfort dans le fait de garder comme dernière image de sa planète natale ce rare kaléidoscope de couleurs chaudes qui tombe directement sur sa peau pâle. Il est harnaché dans un uniforme impérial réglementaire, rehaussé d’une armure pare-balle, et accompagné de tout ce dont le parfait garde impérial a besoin pour faire la guerre au nom de l’Empereur, là-haut dans les étoiles.

               Tout en s’imprégnant de ce dernier paysage, il capte les paroles d’un agent du Munitorum s’entretenant avec un officier du personnel de bord. Celui-ci le tance pour un retard de plusieurs journées, ce qui met à mal son planning de déploiement parfaitement millimétré. L’officier rétorque que le précédent chargement a provoqué des incidents à bord du vaisseau de son maître, et qu’il a fallu le passer au radoub pour effectuer des réparations. Apparemment, la discipline ne leur avait pas été correctement inculquée, et le premier voyage warp les avait perturbés au-delà de ce que le commissariat de bord était capable de gérer. Il termine en espérant que ce chargement-ci aura été mieux formé et préparé à ce que l’espace avait à leur offrir.

               Notre conscrit rigola. L’espace, il ne l’avait jamais vu. Il n’avait même jamais vraiment vu le ciel, auparavant. Seuls les riches des hautes-spires avaient ce luxe, car dans les sous-ruches où vivent quatre-vingt-dix pourcents de la population, même lorsqu’il n’y a pas de plastacier ou de lithobéton au-dessus de ta tête, les fumées de pollution cachent son apparition la majeure partie du temps.

               Il n’avait pas été privilégié, ni n’avait eu la moindre chance, que ce soit à sa naissance ou au cours de sa jeunesse. Les Schola miteuses des quartiers défavorisés lui avaient tout juste enseigné à lire, et il savait écrire suffisamment pour signer des papiers de travail, ou des papiers d’enrôlement. Ouais, il n’y avait pas besoin d’être très éduqué pour rejoindre la garde impériale. Pas plus que ça n’avait été nécessaire pour travailler pendant plusieurs années dans les fabriques civiles qui l’avaient employé pendant la majeure partie de sa vie ; depuis qu’il était enfant, même.

               Le jeune homme, qui cherchait depuis longtemps un moyen d’améliorer sa paye et quitter son répétitif et débilitant travail, était tombé sur une affiche de propagande à la sortie d’un troquet. Cette affiche exhortait à une mobilisation massive afin de libérer un secteur voisin ; elle arguait que sa planète serait sinon la prochaine à tomber entre les griffes d’un ennemi lointain et terrifiant. Embrumé par un mélange d’alcool et de vapeurs de Nocturna, il avait senti monter en lui un mélange conflictuel de patriotisme impérial, d’espoir d’une meilleure situation dans la Garde et d’un voyage qui lui ferait quitter les ombres d’un paysage urbain déprimant. Il s’est alors dit qu’il n’avait pas grand-chose à perdre. Adossé au mur opposé, les premières gouttes d’un orage acide tombant d’un ciel lourd et chargé, il avait cuvé sa soirée en faisant tourner et retourner dans sa tête l’insistante idée qu’était devenue celle d’aller à la rencontre d’un inconnu destin à des années-lumière de son monde. Après tout, était-ce vraiment pire que de mourir prématurément dans un accident de machinerie lourde à son travail ou comme perte collatérale d’un règlement de comptes entre gangs ? Ou bien intoxiqué par les vapeurs nocives des industries impériales ? Ou encore s’éteindre d’ennui après une vie morne, uniquement agrémentée du goût d’une drogue ou d’une autre dans laquelle il fallait forcément tomber pour tenir au jour le jour ?

               Ses amis avaient d’abord rit de sa suggestion, lorsqu’il leur en parla le soir suivant. Mais ils comprirent vite qu’elle n’avait rien d’une blague. L’un d’entre eux abonda en son sens, disant qu’il l’aurait suivi s’il n’avait pas eu ce pied-bot. Un autre haussa les épaules et tira un peu plus sur son verre de bière sale. Le dernier grommela qu’il y avait probablement mieux à faire que de mourir pour si peu dans un lieu éloigné, et qu’on ne se souviendrait pas forcément plus de lui comme cela, mais ne chercha pas à l’en empêcher.

               Il lui fut plus dur d’en parler à sa petite sœur et à sa vieille grand-mère. Cette petite dame douce et voûtée avait veillé sur eux pendant des années, après la mort de leurs parents, exécutés par l’Arbites à la découverte de la succursale d’un culte hédoniste planquée sous leur lieu de travail ; dans la plus pure démonstration de leur finesse, personne ne fut épargné par une descente aussi rapide que brutale ne cherchant pas à différencier les innocents des coupables. Depuis, ils avaient été confiés au bon soin de l’ancienne ouvrière en sidérurgie pour laquelle chaque jour qui passait se faisait dans la souffrance d’une intoxication aux métaux lourds. Il savait qu’entre deux quintes de toux elle n’approuverait pas ce choix, mais qu’elle ne l’en empêcherait pas non plus. Sa petite sœur, c’était une autre histoire.

               Née plus tardivement, elle ne commençait qu’à peine à comprendre les rigueurs de la ruche, malgré que la dureté générale de la vie ici-bas l’ait rendue déjà assez mature pour ne plus s’alarmer des coups de feu ou des hurlements quotidiens qui déchiraient leurs journées. Elle pleura beaucoup, et c’est à cet instant plus qu’à d’autres qu’il remit en cause sa décision. Il savait, cependant, que sa solde améliorerait leur quotidien à toutes les deux, et permettrait peut-être à la jeune fille de recevoir une meilleure éducation, afin de moins connaître les rigueurs d’une existence pauvre.

               Encore maintenant, debout sur cet escalier vers l’inconnu, c’était ce souvenir qui lui déchirait le cœur, plus que tout autres de son ancienne existence. Il risqua un dernier regard vers l’immense foule qui bordait la cérémonie, où se pressaient femmes, enfants, maris et parents ; tous fiers, tristes et résignés de voir leurs proches s’aligner en ordre de bataille et marcher au pas vers un futur incertain de violence, d’horreurs, de douleurs et de mort ; et peut-être de gloire, mais si peu. Il savait sans pouvoir la distinguer qu’elle était là, et c’est une pensée qu’il supportait difficilement.

               Il remit son masque, celui qui le rendait si semblable à tous les autres soldats, réajusta la bandoulière du fusil laser sur son épaule, et retourna dans le rang au moment où sa compagnie se mettait en marche vers les entrailles du vaisseau d’embarquement.

 

               Aujourd’hui, il était devenu un garde impérial.

 

*

*     * 

 

 

Quelques semaines plus tôt.

 

                 Le bâtiment d’enrôlement était une vieille gare de transport ferroviaire dans un style architectural alliant le gothique impérial au colonial pré-Dîme, lorsque la lumière de l’Empereur était descendue sur ce monde sous la forme d’immenses croiseurs menaçants ne laissant aux habitants aucun choix sur leur futur. C’était un temps ancien, fait de considérations bien différentes ; les forêts avaient laissé place aux manufactorums, les squares s’étaient transformés en centrales géothermiques, et les fleuves d'ornement s’étaient taris face aux incessants besoins de l’industrie lourde. On ne parlait plus de ce temps, il ne convenait pas aux discussions plus primordiales sur l’avenir économique de la planète, ainsi que sa place toujours croissante dans l’interdépendance entre les systèmes proches et ceux plus éloignés qui lui fournissaient son blé et les ressources de première nécessité à sa population. La volonté de l’Empereur-Dieu pour ce monde était de soutenir ses domaines dans les entreprises de l’Adeptus Terra ; c’était, en tout cas, ce que les prêtres du culte impérial prônaient dans leurs sermons, et les nobles s’acquittaient de cette tâche avec diligence, instruisant la population dans ses devoirs envers le Trône d’or.

               Beaucoup de ses concitoyens étaient également venus remplir le leur, le jour où le jeune homme se décida à franchir le pas. Aucun ne semblait très riche ou noble, d’ailleurs, et le mieux qu’il pouvait voir était quelques vestons de couleur, ou des broderies en col et manches d’un tissu doux mais commun qui se vendaient à un prix légèrement plus élevé que les frusques civiles se rencontrant à tous les carrefours. Certains n’étaient pas assez fortunés pour seulement avoir mieux que leurs vêtements de travail, et tous avaient les traits tirés, au mieux résolus.

               Il choisit une ligne sur les dix qui se rangeaient sagement face aux bureaux d’incorporation. A tous les coins du grand bâtiment se tenaient des gardes impériaux en uniformes impeccables, amidonnés à en tenir debout leur propriétaires, qui paradaient leurs armures rutilantes et leurs fusils neufs. Tout aussi impassibles, de nombreuses statues dorées d’illustres inconnus imageaient des dictons appelant à soutenir l’effort de guerre, à s’enrôler pour l’honneur, au sacrifice de soi et à la gloire de la victoire. Dans le même ton, au sommet de poteaux marquant la large arche d’entrée, une série de vox-parleurs diffusaient des appels à rejoindre l’Astra Militarum qui portaient bien au-delà des murs du bâtiment, et se faisaient entendre dans la rue suffisamment fort pour couvrir le brouhaha des passants. 

               Dehors enfin, au centre de la grand-place qui jouxtait le bâtiment, une statue plus grande que les autres représentait l’un de ces anges de l’Empereur-Dieu dans son imposante armure, bouclier et épée en mains, ceux dont on racontait les histoires en cours de catéchisme et dont ses parents lui avaient lu les exploits avant de dormir. Il ne pouvait citer personne qui, à sa connaissance, en avait déjà vu un, et les pix les représentant étaient rares. Ils étaient tel un mythe lointain, une vérité à la fois certaine et incertaine ; on disait que les rencontrer revenait à avoir un aperçu de l’Empereur-Dieu lui-même. Pour le moment, seule l’ouslite imperturbable des monuments à leur gloire lui donnait la sensation de les connaître, ou du moins connaître un reflet de ce qu’ils étaient.

               —   Votre numéro de service militaire sera AM-703-45-56. » terminait l’officier recruteur qui enregistrait l’homme devant lui. « Vous pourrez abrévier une fois que vous aurez rejoint votre unité, mais gardez les quatre derniers chiffres en tête pour le moment, ils indiquent votre régiment et compagnie d’assignation. 

               Il hocha doucement la tête et prit le papier qui lui fut tendu.

               —   Vous vous enregistrerez dans trois cycles à la porte 5 de la caserne du 28ème FDP. Je vous rappelle que vous venez de signer un contrat, alors un défaut de présentation sera suivi de sanctions telles que listées dans les décrets de conscription du Munitorum. Bonne journée, recrue, et bienvenu dans la garde.

               Sans plus de discussions, l’homme quitta le bâtiment. Puis, ce fut à son tour. L’officier posa négligemment sur le comptoir un formulaire estampillé des sceaux de l’Administratum, et s’affaira à pianoter sur son cogitateur.

               —   Monsieur ? » tenta-t-il de l’interpeller. « Vous ne me demandez pas mon nom, ou ce que je fais là ?

L’officier releva la tête avec un regard mi-surpris mi-irrité.

               —   Pourquoi faire ? Vous êtes venu dans un centre de recrutement de la garde pour me demander des directions ou un ticket de rationnement ? Non ? C’est bien ce que je pensais, alors indiquez ça sur ce papier et remplissez-le. J’ai autre chose à faire que d’apprendre à connaître tous les paumés qui nous rejoignent…» Voyant qu’il hésitait, il ajouta rapidement : « Si vous ne savez pas écrire, ne mettez rien, ça ne change pas grand-chose. J’ai surtout besoin de votre signature. Le reste n’est qu’un ramassi de formalités qui seront réglées à l’incorporation. Bien sûr, vous devrez me laisser vos documents d’identification, ils vous seront rendus à l’enregistrement. Maintenant dépêchez-vous, j’ai des quotas à remplir, moi.

               Il ne savait pas trop à quoi s’attendre en entrant ; et au final, le désintérêt du petit fonctionnaire était sans doute préférable. Avec un soupir, il signa le document, laissa ses papiers sur le comptoir, et l’officier lui tendit le même petit ordre d’incorporation jaune qui avait déjà été donné à son prédécesseur. Le reste des instructions glissèrent sur lui comme une rengaine parfaitement apprise, alors que l’univers se réduisait à ce court instant pendant lequel le formulaire disparaissait dans les classeurs métalliques, scellant son destin. Le sang s’était mis à battre ses tempes et obscurcissait sa vision, devenue un tunnel bruyant dans lequel la voix rauque de son interlocuteur résonnait en lettres de feu. Au son du “recrue” qui lui fut adressé, il sursauta doucement, hocha la tête, et partit. 

               Dehors, le temps s’était gâté. Les yeux du grand guerrier semblaient le regarder, mais ils semblaient aussi regarder tout le monde en même temps. Pour ce qu’il en savait, ce guerrier-ci avait été originaire de son monde, et y était devenu un symbole de dévotion et de force ayant accédé à la divinité. Mais avec le temps, tout le monde l’avait oublié ; il n’était que machinalement reproduit, et son nom variait selon les places, les villes et les régions. Qu’était-il, lui, si personne ne pouvait se rappeler de la véritable identité d’un demi-dieu ? Si le temps faisait tomber les plus grands héros de l’Imperium dans l’oubli, quelles abysses étaient promises à ceux qui ne pouvaient au mieux réaliser qu’une fraction de leurs exploits ? Mais peut-être…peut-être l’oubli était-il le grand égalisateur ; à l’échelle de l’univers, étaient-ils bien différents ?

               Quel terrible destin, d’avoir fait tant pour si peu, se dit-il en détaillant les pupilles vides du Space Marine ; elles eurent l’air de lui renvoyer un regard, cette fois-ci, alors que l’orage grondait et que commencèrent à glisser sur l’or patiné de ses paupières les premières gouttes de pluie.

 

*

*    *

 

               L’Astra Militarum imposait aux nouveaux régiments une période d’entraînement dont le déroulement étaient établis par les bureaux locaux du Munitorum. Ces formations étaient généralement les mêmes au sein d’un système, voire d’un sous-secteur selon le degré de coordination, mais variaient grandement à l’échelle de l’Imperium. Elles étaient aussi assujetties à la disposition des gouverneurs locaux envers la dîme impériale, car rien ne les obligeaient à fournir des soldats parfaitement entraînés ; ils devaient juste savoir tenir un fusil et tirer droit, encore que l’importance de ce dernier point soit généralement relative.

               Ici, une majorité de la contribution à l’effort de guerre se faisait en capital humain plutôt que matériel. Les ressources planétaires étaient maigres et avaient déjà été en grande partie réduites à peau de chagrin, laissant la population dépendante aux approvisionnements extérieurs et forçant le gouverneur à rediriger ses efforts industriels sur la production des biens de consommation de première nécessité. En conséquence, sa bonne volonté se limitait au minimum requis, car une augmentation de la dîme financière indisposerait la classe dirigeante ; les centres de recrutement avaient alors fleuri, et les efforts de conscription faisaient du chemin dans les décisions exécutives.

               Les recruteurs impériaux écumaient désormais les rues et les bars, comptant sur l’euphorie ou la misère pour faire miroiter une nouvelle vie de voyages, d’aventures, et de promesses de soldes. Certains étaient plus agressifs dans leur démarche, et n’hésitaient pas à profiter de telles situations pour faire signer contre leur gré les pauvres hères les plus perdus qu’ils pouvaient trouver. Le type qui avait tremblé en recevant son arme devant lui correspondait en tous points à cette description : deux castigateurs l’avaient récupéré et traîné au camp d’entraînement malgré son regard ébahi et ses protestations ; là, il fut surpris d’apprendre qu’il s’était enrôlé pour vingt années solaires dans la garde. Bien sûr, la signature était définitive, et aucun retour en arrière n’était possible. Les vigiles sous commandement du Commissariat qui surveillaient le camp s’assuraient que personne ne tourne les talons en cours de route, car les doubles-grillages et les miradors étaient érigés pour s’assurer que personne ne rentre, mais c’était là une considération toute officielle.

               Assis sur son lit de camp, notre conscrit fraîchement intégré observa longuement l’arme posée sur ses genoux qui lui avait été fournie. C’était un fusil laser modèle Kantrael type 1, avec mire mécanique intégrée et sélecteur de tir. Ils étaient produits localement et n’alimentaient que les nouveaux régiments, ce qui n’en faisaient pas des armes de première qualité. Celle-ci n’était même pas neuve, car il n’était pas rare que l’on refile aux nouvelles recrues les armes des morts et des disparus, rapatriées par le Munitorum pour économiser les ressources d’une planète. 

               —   Hey, » l’interpella une voix au bas gothique haché. Il releva la tête de sa contemplation et tomba sur son voisin de lit qui l’observait. C’était un homme courtaud mais charpenté, éborgné mais dont l’unique œil gauche avait une étincelle que lui n’avait pas. « Ça fait un moment que tu regardes ce truc, tu sais au moins c’que c’est ?

               —   Ouais, j’ai pas été raflé par un recruteur, j’suis là de mon plein gré.

               —   Oh ! Alors toi aussi t’es là par vrai devoir patriotique ! On pourrait bien s’entendre, mon gars.

               —   C’est surtout pour me casser d’ici et voir du pays, mais hé, ça peut pas faire de mal de servir l’Empereur dans le même temps, hein ?

               —   C’est toujours mieux que la majorité des clampins. C’est quoi ton nom ?

               —   J’m’appelle….

               —   Fini de glander, les bouseux ! » Rugit la voix de leur sergent-instructeur qui pénétra en trombe dans la tente-dortoir. « Je vous veux en rang dehors dans deux minutes avec votre paquetage, et s’il manque à l’un d’entre-vous ne serait-ce que sa gamelle, vous ferez tous des tours de camp à en cracher vos poumons ! Allez !

               L’agitation dans la tente atteignit son paroxysme. Toutes ces recrues sans expérience s’échignèrent maladroitement pour préparer leur équipement à temps, et il ne fut pas en reste. Une boucle de son sac résista et le borgne prit un instant pour l’aider à la fermer ; son propre sac était déjà fait, signe d’une certaine habitude face à l’urgence. Du regard il le remercia, et ils remontèrent tous deux les colonnes de lits pour sortir.

               Dehors, des lignes se formaient sous les instructions hurlées par les officiers. Tout le camp était mobilisé pour une inspection, et le manque d’habitude à ce genre d’exercice se faisait sentir. Un fourmillement massif agita les allées jusqu’au lieu du rassemblement, une vaste place au centre du casernement qui pouvait accueillir presque tout un régiment. Leur tente en était proche, alors ils furent parmi les premiers à s’aligner ; tout devant, même.

Après plusieurs minutes, le calme commença à régner. Un silence se fit sous les injonctions des officiers, qui se mit à planer lourdement sur les soldats en attente. Les rares velléités d’échanges furent promptement étouffées, et au bout de ce qui sembla être une éternité, alors que les sacs devenaient lourds sur les épaules fatiguées, les pieds meurtris et les armes pesantes, un groupe apparu, remontant la première ligne avec lenteur.

               Lorsqu’il put les distinguer, il identifia l’un d’entre eux comme ce que l’on appelait un “commissaire”. Il avait entendu parler de ces hommes et femmes, représentants politiques de la volonté de l’Empereur, durs et impitoyables, qui possédaient toute latitude pour faire régner l’ordre et la discipline. Les histoires de ce qu’ils faisaient sur les champs de bataille pour faire avancer les récalcitrants étaient courantes, sources d’une haine tenace mais résignée des soldats envers eux, chose dont ils n’avaient cure.

A ses côtés se trouvait une figure impériale majestueuse, drapée d’une cape longue à haut col en cuir épais rehaussé d’un gorgerin ouvragé. Il était engoncé dans une armure carapace de parade toute de gravures et de fioritures, et une grimace sérieuse déformait ses traits en fronçant ses sourcils épais. Autour d’eux se trouvaient différents officiers d’état-majors, soit de la garde soit des forces de défenses planétaires, ainsi que plusieurs adeptes de l’Administratum et du Munitorum de divers rangs. Tous discutaient mais leurs voix ne portaient pas très loin malgré le silence qui s’était fait dans le camp. Un officier plus haut gradé que les autres restait à leur hauteur ; il avait ce regard inquiet et fébrile qu’ont les personnes contrariées mais contraintes.

               —   …ous n’y pensez pas ! » finit par entendre de lui notre conscrit. « La plupart de ces compagnies viennent tout juste d’être intégrées. Les escouades ne sont pas encore formées, et ils savent à peine entretenir leur fusil. Les décrets du Munitorum imposent qu’ils passent encore au moins deux ou trois semaines à recevoir leur instruction militaire de base !

               Disant cela, il s’était retourné pour obtenir une approbation, si ce n’était vocale au moins visuelle, des gratte-papiers qui suivaient le cortège. La plupart hésitèrent de manière gênée, se regardant les uns les autres et murmurant à voix basse ou entre eux ; une masse de robes qui se déplaçait sur une chaise autoportée à pattes d’araignées commença à élever la voix, qui filtra au travers d’un vox-parleur.

               —   Les lois locales telles qu’approuvées par le gouverneur de secteur en personne, notamment l’édit d’incorporation TGI-405 au paragraphe 46, alinéa 756, disposent que…» Il fut interrompu par une main autoritaire et la voix profonde du général.

               —   Cela suffit ! Ne me citez pas les édits militaires comme si je ne les connaissais pas ! Ces lois ne sont d’aucune valeur face aux exigences d’une croisade, et vous le savez tout aussi bien que moi.

Ils étaient maintenant au niveau du jeune homme, qui se sentit écrasé par l’autorité naturelle du vieil officier et le faste de cette escorte. Un cordon de Tempestus Scions gardait un œil vigilant sur les environs, et plusieurs bullgryn gardes-du-corps en armure lourde faisaient légèrement trembler le sol à chacun de leurs pas. 

               —   Tous ces hommes et femmes sont prêts à servir l’Empereur si vous leur posiez la question, et nous avons besoin d’eux pour que sa lumière soit enfin restituée à toute une frange de systèmes qui ne pourront être libérés sans de nouveaux renforts. Le trajet sera le moment idéal pour combler ces lacunes, et je sais que le Munitorum est suffisamment préparé pour une telle tâche.

               L’un des adeptes accepta le compliment avec un hochement de tête respectueux mais forcé. 

               —   Ou oseriez-vous remettre en question à la fois le courage de ces nouveaux gardes impériaux et la compétence des plus hautes institutions impériales ? » adressa-t-il ensuite à son collègue en un reproche que notre conscrit n’aurait pas aimé avoir à encaisser.

               —   Non, non, bien sûr que non ! » Il avait pâlit. « J’ai toute confiance dans le Departmento Tacticae et les décisions du maître de guerre. 

               —   Bien. Alors c’est décidé. Le temps presse, je veux que les premiers bataillons soient prêts à partir d’ici une semaine, et que les trois régiments soient déployés avant la Saint-Drusus.

               Ainsi, ces quatre semaines de formation initiale se transformèrent en trois, puis en deux. La guerre appelait ses enfants, et il serait impoli de la faire attendre.

 

*

*    *

 

               Tout le monde au camp d’entraînement numéro trente-cinq senti peser au cours des jours qui suivirent la pression d’un départ anticipé plus vite que prévu. Les sergents-instructeurs voulurent précipiter toutes les bases essentielles de leur formation. Il apprit à démonter et nettoyer un fusil laser au cours d’une demi-journée ; charger, viser et tirer avec les différentes armes légères et lourdes d’une compagnie en deux ; tailler et estoquer à  la baïonnette ne pris que quelques heures éparses qui furent toutes suivies d’entraînement au corps-à-corps désarmé, et on jugea secondaire l’apprentissage des premiers secours en milieu hostile. Gagner la force physique nécessaire pour une vie dans la garde fut plus dur que tout le reste, et les courses matinales s’égrenèrent de malaises et d’abandons qui finirent pour certains à l’infirmerie du camp. Près d’une dizaine de recrues moururent d’épuisement ou dans des accidents liés à l’entraînement au sein de son seul peloton, et il devint rapidement évident que ceux qui seraient vraiment prêts à une bataille rangée étaient rares.

               L’un d’entre-eux était une petite rousse au regard sévère, dont le physique sec et musclé valut à plus d’un homme trop entreprenant de finir allongé au sol, les dents serrées et le souffle coupé par un coup bien placé et fort peu gracieux. Le jeune homme ne s’était jamais aventuré à de telles avances, et préférait rester loin de ce charme sauvage et inatteignable. Malgré tout, il s’était parfois risqué à quelques oeillades, et devait bien reconnaître avec un soupir que ce brin de femme méritait toute son admiration. Elle était par ailleurs la plus douée de son peloton, aidée par un passé de ganger et une détermination à toute épreuve, forgée dans le creuset d’épreuves qu’était la sous-ruche ; plusieurs tatouages tribaux encerclaient ses bras, dont un qu’il était sûr d’avoir déjà vu un jour, et elle arborait une large cicatrice au travers du dos dont personne n’osait demander la provenance.

               —   J’ai la sainte tâche de faire de vous des gardes impériaux ! » Avait rugi leur sergent-instructeur au premier jour, un homme aussi grand que large avec une moustache épaisse. « Croyez-moi quand je vous dis qu’à vous regarder, j’ai aucune foutue idée de comment je vais bien pouvoir faire en aussi peu de temps sans me parjurer envers l’Empereur ! Vous êtes le ramassi de marginaux le plus pitoyable de tout ce camp et si vous tirez aussi droit que vous tenez debout, je plains le fusil que vous porterez au combat !

Il marchait furieusement devant la première rangée en imprimant de profondes traces de bottes dans la boue du camp.  Son chapeau s’agitait à chaque cri de gorge qui marquait les syllabes de sa diatribe, et il passait son regard sur chaque recrue avec une fureur à peine voilée.

               —   Mais la croisade sera votre grand baptême du feu, » Avait-il continué, « et du moment que vous réussissez à grimper la rampe du vaisseau d’embarquement, vous pouvez tout aussi bien ne pas savoir lacer vos chaussures que ça m’en toucherait une sans bouger l’autre. Du coup, vous n’aurez pas le privilège de connaître mon nom et vous vous contenterez de m’appeler “sergent” à chacune de vos phrases ! J’exige de vous une obéissance totale, et quiconque osera remettre en question le moindre de mes ordres ira faire un tour aux bureaux du commissariat, même si cet ordre consiste à sauter par une fenêtre avec un chapelet de tubes-charges collé au cul ! C’est bien compris ?

               —   Sergent, oui sergent ! » S'étaient élevées les voix du peloton, avec des degrés divers et beaucoup de manque de coordination. Seule celle de la petite rousse était sortie du lot avec plus de force que le reste, ce qui attira l’attention de l’instructeur.

               —   Par les bijoux de famille du gouverneur, votre camarade ici a plus de couilles que vous tous réunis ! Je sens que j’aurais plus de facilité à apprendre à compter à des ogryns qu’à vous faire hurler comme de vrais soldats ! On recommence ! Me suis-je bien fait comprendre !?

               —   Sergent ! Oui, sergent ! » Notre conscrit avait crié si fort que sa voix avait déraillé et il s’était mit à tousser. Son fusil laser lui était tombé des mains malgré ses tentatives pour l’en empêcher, ce qui avait bien vite orienté l’ire du sous-officier vers lui. Alors qu’il avait réajusté l’arme à son côté, ce dernier l’avait copieusement sermonné.

               —   Toi ! Celui qui n’est même pas assez costaud pour empêcher son arme de lui glisser des mains ! Quel est le misérable nom que ta malheureuse génitrice a eu le déplaisir de t’attribuer lorsqu’elle a fait l’erreur de te mettre au monde ?

               —   Sergent, c’est….

               —   J’en ai rien à foutre ! Un soldat qui ne sait pas se tenir au garde-à-vous vaut autant qu’un soldat mort ! Comment est-ce que vous comptez charger l’ennemi sans vous chier dessus si vous arrivez pas à serrer les fesses quelques minutes par respect pour vos supérieurs, hein ?! Aller, cent pompes pour tout le monde, gentiment offertes par monsieur “mes-doigts-glissent”, et ceux qui n’y arriveront pas verront leur ration divisée par deux ce soir !

               Ce moment déplaisant n’avait pas été le seul de leur courte formation, et personne ne lui en avait vraiment tenu rigueur après coup. Chaque preuve de faiblesse était l’occasion d’une brimade ou d’une autre de la part du sergent, ce qui déclencha une forme de solidarité collective. Sous l’impulsion de la ganger, qui sans pour autant lui tenir tête réussissait à limiter les punitions en donnant de sa personne, une résistance passive faite de défiance légère et de solidarité dans l’effort se constitua. Tout naturellement, elle fut rapidement choisie comme candidate au rôle de sergente d’escouade ; et “Rousste”, telle qu’elle se faisait appeler, devint ainsi un pilier pour le peloton dans le peu de temps qu’ils eurent pour tisser des liens.

Mais très vite, on sonna l’heure du déploiement. La hiérarchie fut maladroitement dessinée par les officiers du camp, les paquetages complétés, et les insignes régimentaires arrivèrent au tout dernier moment. Prêts ou pas, il était temps pour eux de partir. Où ? Personne ne le savait ; et après tout, quelle importance ?

 

*

*     *


 

De nos jours.

 

               Le voyage avait duré longtemps. Trop longtemps. 

              Chaque jour qui passait le rendait plus malade, et il marmonnait les litanies de providence autant de fois qu’il le pouvait afin de distraire son esprit des démons qui en assaillaient les frontières. On lui avait expliqué sommairement que les voyages dans le warp n’étaient pas de tout repos et mettaient à l’épreuve le cœur et l’âme des marins, mais il n’avait pleinement saisi le sens de ces propos qu’avec les visions insistantes et les cauchemars de ces derniers cycles. Au moins, les quarts qui rythmaient les périodes de sommeil et d’éveil ne le changeaient pas beaucoup de son ancienne vie, et il n’était pas autant affecté que certains qui avaient pu prendre l’habitude d’apercevoir un peu la lumière du jour au cours de leurs quotidiens.

Son régiment avait été cantonné sur l’un des innombrables ponts du transporteur hyper-lourd chargé de les déployer en zone de guerre. C’était un lieu qui lui rappelait étrangement la sous-ruche, avec ses recoins, ses avenues, son plafond de métal et l’air épais en permanence recyclé qui flottait en volutes paresseuses autour des passants. Les bruits de moteur et des innombrables opérations que l’on menaient sur un vaisseau spatial n’étaient somme toute pas bien différents de ceux qui entouraient les citoyens du monde souterrain ; entre immenses ventilations, machineries lourdes cliquetantes, vapeurs de conduits et projections électriques, rien ne les différenciaient. Pas même l’absence de vent.

               Au milieu de ce tumulte constant, huit-mille cinq-cent hommes et femmes se partagaient un espace exigu fait de baraquements sommaires, d’une infirmerie mal équipée, d’une cantine et d’un square de rassemblement qui jouxtaient les bureaux d’administration et les quartiers des marins à cet étage ; le tout dans une promiscuité criante. Les exercices organisés pour compenser le manque d’entraînement initial gardaient les passions à un niveau acceptable, mais les altercations n’étaient pas rares et les commissaires avaient beaucoup de travail sur les bras. C’était d’ailleurs sans compter sur les frictions entre gardes impériaux et marins, les premiers ruminant contre les “cul-blancs”, et les deuxièmes crachant sur les “cul-terreux”. D’ordinaire, une saine rivalité permettait d’unir les groupes à défaut de créer du rapprochement, mais les unités étaient jeunes et inexpérimentées, bouffies d’un mélange de fierté et de peur à l’idée d’aller au front, ce qui attisait les bravades par ennui ou besoin de se défouler avant l’heure fatidique ; les murmures qui parvenaient d’au-delà de la coque ne faisaient qu’accroître un malaise déjà présent. Plus d’une fois la situation donna l’impression de dégénérer en conflit ouvert, et ils eurent vent d’une révolte dix ponts plus haut qui provoqua un bain de sang ; le régiment incriminé manqua de peu d’être purement dissous par le haut-commandement. A la place, il fut décidé qu’il serait en toute première vague de leur tout premier déploiement.

               Ce dernier, par ailleurs, était sur toutes les lèvres. Des rumeurs faisaient surface quant à cette fameuse première bataille, celle qui marquerait le régiment pour les âges à venir ; dont les futurs vétérans parleraient aux bleus qui rejoindraient leurs rangs, avec une larme de tristesse et de fierté en se remémorant ce baptême au front. Une tireuse d’élite qui s’était prise d’affection  pour un clerc et égayait ses soirées racontait qu’il avait eu sous les yeux plusieurs documents de réquisition pour des barges d’assaut orbital, et que les dossiers de déploiement prenaient tout un étage de leurs bureaux à seulement stocker. Un autre garde faisait courir le bruit que la croisade piétinait, et qu’il était question d’écraser la résistance de l’Ennemi en un assaut majeur sur un de ses mondes-forteresses. Avec le temps, la rumeur devint progressivement plus folle dans des bouches différentes, alors qui pouvait vraiment le savoir ?

               —   Quelle importance ? » Avait marmonné le borgne en triturant son cache-œil, à l’évocation du sujet. Personne n’avait jamais pris la peine de lui demander comment il s’appelait, et ce diminutif très parlant était resté, sans que cela ne l’indispose vraiment. De son propre aveu, il préférait de toute façon “se faire un nom sur le champ de bataille”. « C’est pas comme si on avait le choix, de toute manière. On ira où l’Empereur voudra qu’on aille. Point final.

Ils étaient dans une file d’attente pour recevoir de l’équipement consigné en vue de ce déploiement. Un homme devant lui se vit tendre un harnais, un lot de rations de combat pour environ une semaine, et des pastilles d’hydropurification. 

               —   T’es pas curieux de savoir où ? Et dans quoi on va se retrouver ?

               —   Ça me fera pas mieux dormir la nuit, si c’est c’que tu cherches toi.

               Ce fut le tour de notre conscrit de recevoir son paquetage.

               —   Matricule ? » Demanda machinalement l’adepte pâlot dont la voix filtrait par un vox fixé au verracier.

                —   102-45-57.

               Un grondement s’éleva soudain et les murs se mirent à trembler alors que le métal grinçait dans les cloisons. Une sorte d’onde légère traversa les hommes et femmes qui étaient présents. L’armurerie fut parcourue d’un vent de panique, mais l’agitation inconnue finit par retomber et le calme revint.

                —   C’était quoi, ça ? » Demanda notre conscrit, inquiet. L’adepte s’était mis à ricaner, pas le moins du monde incommodé ou alarmé par l’événement.

                —   Ça soldat, ça veut dire que vous allez avoir très bientôt besoin de ce que je vais vous donner.

 

*

*    *

 

               La cacophonie des moteurs de descente était assourdissante. Elle résonnait dans chaque recoins du compartiment de stockage du transport de débarquement orbital ; c’était une petite pièce conçue pour accueillir quarante soldats et leur matériel, mais l’espace entre les travées de sièges était à peine suffisant pour laisser passer deux hommes de front. Une grande rampe de débarquement les attendaient à la poupe, et chacun de ses côtés rougeoyaient sous la lueurs de lumiglobes d’avertissement, ceux qui prendraient une couleur verte criarde lorsqu’il serait temps de se jeter au-dehors pour combattre.

Tout le monde était nerveux, et les cas de nausées et de vomissements n’avaient fait qu’ajouter à l’inconfort général d’un peloton déjà éprouvé par les semaines de voyage warp. Lorsqu’ils s’étaient alignés dans l’immense hangar où se tenaient plus d’une centaine de ces vaisseaux de débarquement, les commissaires étaient sur le qui-vive pour punir les cas de désobéissance, de désertion ou de lâcheté. L’embarquement avait pris un long moment pendant lequel la fébrilité des soldats égalait en toute mesure celle des gâchettes de leurs pistolet bolters, ce qui n’améliorait certainement pas la situation.

               Notre conscrit lui-même ne se remémorait ces dernières heures avant de s’être sanglé dans son siège que d’une manière floue. La bile remontait dans sa gorge, et il avait plusieurs fois déjà manqué de régurgiter le contenu de leur repas d’avant-bataille. Il se rappelait vaguement avoir fait son sac en marmonnant une prière, la boule au ventre, avoir failli oublier son arme dans la précipitation, avoir trottiné avec plusieurs centaines de ses camarades dans les longs couloirs aux lumières grésillantes, et avoir débouché dans le vaste hangar en ne ressentant que le poids grandissant d’un moment fatidique en approche peser sur ses épaules. De la fierté à la vision de cette démentielle machine de guerre se mettant en marche sous les hymnes impériaux et le bruit des milliers de bottes claquant sur le métal, il n'éprouvait rien. Bien que le raffut autour de lui soit assourdissant entre les officiers qui criaient les ordres et les moteurs des vaisseaux au décollage, seule semblait lui importer l’écho de sa respiration filtrant dans son masque et le cône étriqué de la vision en tunnel que lui conférait la visière finement embuée, alors que son esprit hagard répétait machinalement les mouvements des soldats en face de lui. Bien que cela eusse duré près de trois heures, il n’en gardait qu’un souvenir déjà lointain et aussi effacé que s’il avait eu lieu plusieurs mois auparavant, et pas quelques minutes seulement.

               Bringuebalé dans ses attaches, il sortit une pix abîmée de sa veste sur laquelle on pouvait voir ses parents, sa sœur et lui-même, avant qu’ils ne soient tous ainsi séparés. Il se demandait qui il reverrait en premier. La jeune fille semblait sourire, et il ne se reconnaissait pas ; la vie avait prélevé son dû, arrachant leur enfance à tous les deux, mais ils avaient survécu. Et maintenant ? Grâce au danger qu’il affrontait, sa petite sœur pourrait voir de meilleurs jours dans les Schola du Militarum et peut-être s’extirper de la pauvreté pour vivre…autrement. Mais vivre sans lui. Une ombre passa sur son visage, invisible derrière le masque, invisible derrière tout le reste.

               —   Entrée en basse atmosphère, on passe bientôt à portée de l’anti-aérien, accrochez-vous à l’arrière, ça va secouer ! Que l’Empereur nous garde ! » retentit la voix du pilote dans les vox-parleurs. Les secousses de la carlingue devinrent irrégulières, et ils pouvaient tous entendre au-delà de la coque les détonations étouffées qui commençaient à essaimer autour d’eux.

               —   Ahah, on y est, gamin ! » Rugit la voix de son camarade borgne, bientôt frère dans la bataille et probablement propriétaire de nouvelles blessures. Il se trouvait sur le siège en face de lui, adossé à la coque, et son humeur était bien différente. « T’en fais pas, tu les reverras, auréolé de gloire ! 

               Une secousse plus forte que les autres lui fit lâcher son précieux souvenir alors qu’il saisissait le harnais pour ne pas être trop balloté. Une main habile s’en saisit au vol, et le lui tendit. C’était Rousste, qui se trouvait sur le siège à droite.

               —   Merci sergente, je devrais probablement ranger ça, hein ?

               —   Ouais, c’est une mignonne petite famille que t’as. La perds pas, surtout. » Il hocha la tête, incertain de ce qu’il devrait répondre. « C’est quoi ton blaze, soldat ?

               —   Première classe…

               Une explosion déchira l’air, dépressurisant soudainement le compartiment. Dans un affreux bruit de métal torturé, la coque en face de lui disparut, arrachée par un obus explosif qui emporta sans cérémonie le balafré avec la moitié de son escouade. Le siège à sa gauche se transforma en un reste sanguinolent traversé par un débris de carlingue, et Rousste, dont les attaches du harnais avaient sauté avec la violence de l’impact et un shrapnel bien placé, luttait dorénavant pour ne pas être emportée comme les autres en se tenant au siège. Il secoua la tête, comprit rapidement que la sergente ne tiendrait certainement pas jusqu’au débarquement, et attrapa une attache de son paquetage pour l’empêcher de tomber. Elle s’agrippa au bras tendu avec l’énergie du désespoir.

               —   Tenez bon !

               La vision que lui conféra l’ouverture sur la situation au-dehors était apocalyptique. Une nuée de transports comme le leur tombait du ciel en traversant un nuage dense d’explosions, de missiles et de traînées de tirs de lasers. Des affrontements lointains se déroulaient avec des chasseurs ennemis pour les empêcher de prélever leur dû sur les vaisseaux vulnérables, et la surface en approche se dessinait lentement, promesse d’un combat plus terrible encore. Beaucoup de navettes se désintégraient dans un chapelet d’explosions sous le feu des batteries antiaériennes, qui n’avaient que l’embarras du choix et pas assez de temps pour viser et descendre tous les appareils impériaux avant qu’ils ne puissent toucher le sol.

               Malgré les dommages, le pilote tint bon, et peut-être jugea-t-on par la traînée noire dans leur sillage qu’ils ne feraient que s’écraser à l’atterrissage, car il put relever le nez de l’appareil afin d’amorcer une approche finale sans qu’on ne cherche à les achever. L’arrivée promettait cependant d’être rude, et au “Accrochez-vous !” du pilote, tout le peloton retint son souffle en serrant les barres de leurs harnais. Il échangea un regard avec la sergente, qui ne pouvait faire mieux que prier en raffermissant ses prises autant que possible, puis le choc, et il perdit connaissance.

 

               —   …ortez ! Retirez vos harnais ! A la bataille ! » Les sensations lui  revenaient progressivement, sa première vision étant celle de la forme enragée du major de peloton qui haranguait les hommes en les malmenant pour qu’ils se ressaisissent et prennent leurs armes. Les lumiglobes renvoyaient toujours leur lumière rougeâtre, mais ce dernier s’approcha d’un panneau, l’ouvrit brutalement, abaissa un levier, et une sonnerie stridente retentit alors qu’ils annonçaient avec un vert vivace que la rampe allait s’abaisser. Notre conscrit parvint à s’extirper de son siège, et vit que la sergente se relevait doucement elle aussi malgré que du sang coule d’un côté de son front. Le trou dans la carlingue s’était bouché d’un tas de débris et de terre alors que leur navette s’était visiblement couchée sur le flanc, signant son dernier voyage. A l’extérieur, les balles se mirent à ricocher sur la coque.

               —   Levez-vous, bande de bons à rien ! » Dans un fracas grinçant, la rampe s’ouvrit et la lumière du jour envahit le compartiment. Le major agita le bras et leur montra la voie. « Derrière-moi ! Et suivez mon exemple !

               L’instant d’après, une rafale emportait sa tête et une partie de son torse, et il fut rejeté dans le vaisseau sous la violence des impacts. Rapidement, il devint clair qu’une position d’arme lourde avait une vue directe sur la barge de débarquement, et que plus personne n’avait dorénavant le choix. Quelqu’un cria pour se décharger de sa peur et se donner du courage, ce qui fut repris par le reste du peloton. En désordre, les soldats commencèrent à sortir, mais étaient presque tous fauchés instantanément sur la rampe avant de pouvoir trouver un couvert. Les cadavres s’empilèrent rapidement, la rendant glissante de sang et de viscères.

               Comme dans un rêve, il se releva pour suivre ses camarades. Le temps autour de lui se rétrécit soudainement. Lorsqu’il regarda dehors, une clarté dense et chaude caressa son visage au travers de la visière. Il serra la poignée de son arme, reprit le cri de guerre, et se jeta sous le feu aveuglant de cet ennemi lointain avec une dernière pensée pour le souvenir de sa famille.


 

*

*    *

 

               Mon nom est…mon nom est personne. Et tout le monde à la fois. Ce monde, ce système, cette galaxie…ont le don de vous le retirer, de le cacher sous une masse chair, de métal et de désespoir. Ils vous forcent à choisir entre un néant et un autre, avec l’irréalisable promesse d’une grandeur vers laquelle courent éperdument beaucoup d’appelés ; pour si peu d’élus. C’est cela, l’Imperium. Un empire de sacrifices, un combat pour sa propre survie qui contribue par hasard à celle de ce grand Tout que l’on nous prêche pour apaiser la peine de nos âmes.

               Mon frère l’avait compris, à mon avis. Un simple soldat de l’Imperium qui ne s’est pas enrôlé pour sauver son monde, mais pour se sauver lui ; se sauver d’une existence qui ne lui appartenait plus, pour avoir la possibilité de choisir son destin, même si cela signifiait le rencontrer plus tôt. Devenir garde impérial, c’était la promesse d’une prison que l’on porte avec soi, et il pensait, je le crois, que les horreurs pouvaient valoir cet aperçu de la liberté, cette sensation d’accomplir…quelque chose, n’importe quoi.

Son nom, également, n’aura pas eu d’importance. Il ne sera inscrit sur aucune stèle commémorative, et je ne verrais jamais son visage sur les statues du souvenir qui parsèment les mondes en guerre pour donner du sens à cette vaste folie meurtrière. Après tout, il est question d’honorer la mémoire des héros, ceux qui mettent à bas les seigneurs de guerre, les monstres de légendes et les flottes entières de ces perpétuels ennemis qui nous encerclent de toutes parts ; et ironiquement nous unissent dans une même haine, une même rage de vivre, un même désir d’exister, ne serait-ce que pendant un bref instant, quittes à porter une arme au nom d’un Empereur que nous ne verrons jamais, sauf dans la mort.

               Mon frère, lui, a péri dans les premières secondes de sa première bataille. Une mort rapide et sans autre intérêt que celui d’avoir gonflé les astronomiques pertes initiales d’un assaut orbital destiné à diminuer la résistance de l’Ennemi. Il n’aura même pas appuyé une seule fois sur sa gâchette. Je tiens ces informations d’une sergente qui avait atterrit avec lui, dans cet enfer où moins d’un garde sur vingt se releva pour poursuivre le combat. Le fait qu’elle ait elle-même survécu tient plus du miracle que des circonstances, et c’est dans ce genre de moment que l’on se demande vraiment, pourquoi ? Pourquoi lui, elle, pourquoi pas moi ?

               Je m’attends à peut-être avoir à me poser cette question, bientôt. Demain, je partirai pour cette guerre que mon frère n’aura jamais vraiment vue, parce que je comprends les raisons qui l’ont poussé à le faire. Je suis consciente que son destin sera certainement aussi le mien, mais aussi que nous vivons dans un univers où il reste peut-être la meilleure chose qui puisse nous arriver. Grand-mère n’a pas supporté l’annonce de sa disparition, et dans le pire des cas, j’irais les rejoindre tous les deux, quel que soit l’endroit où ils m’attendent, satisfaite d’avoir accompli mon devoir envers l’Empereur, si minuscule soit-il.

 

               Car c’est ainsi que l’Imperium survit. Sur ce monticule de martyrs anonymes et inconnus, de morts sans gloire, ce sacrifice ininterrompu de femmes et d’hommes dont la trace dans l’histoire n’est rien de plus qu’une goutte infime dans un océan de destruction ; cet océan sur lequel naviguent les véritables héros, mais celui sans lequel ils seraient bien en peine de mettre à bas les seigneurs de guerres, leurs flottes, leurs monstres et leurs armées.

 

               Demain, je deviendrais un garde impérial, moi aussi.

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Bonjour, j'apprécie beaucoup t'as plume. Ecrire sur un soldat sans nom et dont l'histoire n'a pas grand chose d'épique n'est pas forcément un exercice facile, et je trouve que tu le réussis plutôt bien. On ressent bien l'impuissance de la majorité des gardes impériaux sur un tel champ de bataille dans ce cruel univers qu'est 40k

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  • 1 mois après...

Salut !

Merci, tu saisis l'esprit que j'ai essayé d'instiller à cette courte nouvelle ! Elle me satisfait pas totalement, mais pour un travail effectué en un mois j'en suis à peu près content :)  L'idée c'était de créer ce "soldat inconnu" qu'est le pauvre garde qu'on ne verra jamais et qui meurt inutilement comme une grande majorité d'entre-eux. Et oui c'est pas facile de créer de l'intérêt et du rebondissement dans ce genre d'histoire, surtout lorsque le héros est anonyme...

 

Merci :)

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