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Warhammer Forum

La saga dela Francesca


Invité Mr Petch

Messages recommandés

Bon !

La longueur du texte va ! Ni trop court, ni trop long. On s'introduit pile poil dans le texte sans que cela nous paraisse long :blushing:

Pas de fautes d'ortho, pas de frases à retoucher donc au niveau de la synthaxe, rien à redire ( comme d'hab )

Fond est pas mal du tout aussi, on voit apparaitre un nouveau personnage qui aura peut etre un role à jouer par la suite. Pour l'instant, tu maitrises et je trouve rien à redire ! Pourvu que ca dur et que ca continue comme ca !

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

Une suite, plus longue cette fois

*

Le soleil avait décliné lorsque Onatti rentra chez lui. Il passait par les petites ruelles du quartier comme un voleur, se fondant dans l’ombre grandissante des toitures d’argile. Sans cesse, il se retournait, avec un air inquiet sur le visage. Il avait passé le reste de la journée à enterrer le cadavre de la jungle, avec le gardien du port. Il ne fallait pas qu’un des habitants le voit, au risque d’attiser au sein de la ville un vent de panique. Gilliano n’avait pas à proprement parler d’autorité, il était sous la tutelle de la principauté de Remas, en Tilée, et les terres avaient été distribués au plus offrant. On considérait que le marquis de Caradras, pour des raisons de cadastre, possédait la mainmise sur la ville, sur la police et l’économie. Mais en réalité, dans la petite colonie, chacun vivotait dans son coin, se considérant comme sur n’importe quelle terre tiléenne. Ainsi, Onatti savait que la cité pouvait vite être débordée si des rumeurs d’attaques « d’esprits de la jungle » parvenaient aux oreilles des habitants. Cela pouvait se transformer en désastre et la ville pouvait imploser et disparaître.

Onatti supposait que le pauvre bougre qu’il avait enterré avait, pour une raison quelconque, décidé de se rendre dans la jungle, et qu’il s’était enfoncé trop loin, bien trop loin, là où les dangers devenaient évidents pour quelqu’un de non-expérimenté. Tant de choses qu’Onatti savait sur la jungle, et qu’il taisait, peut-être par pudeur, peut-être pour ne pas raviver de mauvais souvenirs.

Il parvint au seuil de sa villa et ouvrit la porte. L’odeur agréable de vieux bois sec envahit ses narines, et des relents de cuisine se dégagèrent entre les effluves poussiéreuses. Francesca devait être en train de cuisiner. Onatti se dirigea vers sa bibliothèque, et chercha un livre. Il entendit soudain derrière lui Francesca, lui parlant d’un ton partagé :

« - Que se passait-il ? Vous êtes sorti longtemps.

Sans se retourner, la main toujours plongée au milieu des livres, il répondit sur le ton jovial de la conversation :

- Un détail à régler avec mon camarade Pizzi.

- Quel genre de détail ?

Onatti se retourna et surpris une pointe de curiosité au coin du regard de Francesca. Il en fut gêné et ne su pas quoi répondre. Balbutiant, hésitant, il n’était pas très à l’aise face à l’attitude inquisitrice de Francesca :

- Je… Ce n’est pas… Ce n’est pas très important !

Puis il replongea le nez dans ces livres et s’empressa d’enchaîner :

- Et vous ? Pas trop de soucis ?

- Relativement peu. Les jumeaux dorment comme des anges. Pietro est un peu agité, mais j’ai réussi à le calmer.

- Personne n’est venu ?

Onatti trouva le livre qu’il cherchait et commença à le feuilleter. Francesca ne répondit pas tout de suite, mais attendit un petit temps :

- Il y a quelqu’un qui m’observait de la rue. Au début, je n’ai pas pu voir son visage, car comme vous le savez, la fenêtre de ma chambre ne donne pas directement en bas.

Onatti fouillait toujours dans son livre, comme s’il cherchait une page précise. Francesca continuait :

- Alors je me suis déplacée dans la chambre d’à côté, je voulais absolument savoir sa tête… Et je l’ai reconnu. C’est un des hommes de main de… de l’endroit où je travaillais. Un des sbires de Lupo.

- Lupo ? Vous croyez qu’il nous surveille ?

- Je ne sais pas quoi en penser… Il est resté un petit moment dans la rue et comme il ne me voyait plus, il a rebroussé chemin.

Onatti lui sourit :

- Ne vous en faites pas, il n’oserait pas nous attaquer en plein quartier riche.

- Je l’espère… »

Francesca s’apprêta à retourner dans la cuisine. Elle en franchit le seuil, et à cet instant, Onatti la surveillait encore. Lorsqu’il s’aperçut qu’elle avait disparu, il sortit de sa poche un petit objet plat. C’était l’une des pointes fichées dans le cadavre. Elle luisait encore d’un éclat nacré, comme si le poison y avait apposé une empreinte éternelle.

*

Au fil des jours, et malgré l’apparition d’un homme de Lupo à la fenêtre, Onatti laissa de plus en plus souvent Francesca seule dans la villa.

« Vous n’avez pas forcément besoin de ma présence encombrante, je n’ai pas à être sur votre dos toute la journée » avait-il dit avec un demi sourire qui laissa planer dans l’esprit de Francesca un léger doute. En effet, à date régulière, le vieux capitaine allait retrouver à la capitainerie le commandant Pizzi et en profitait pour se rendre sur le grand marché de Gilliano au cas où Francesca aurait voulu un objet particulier – mais elle ne demandait jamais rien, et ce silence semblait croître depuis quelque temps. En effet, Onatti l’avait remarqué plus distante. Elle ne le laissait plus toucher librement Pietro et Federico, parfois même elle lui interdisait l’accès à la chambre. Il croyait lire dans ses yeux une sorte d’accusation latente. Mais il ne s’en inquiétait pas outre mesure, car la jeune femme continuait de faire la cuisine et le ménage dans la grande villa.

Et puis un jour, Onatti prévit de passer la nuit à la capitainerie. Il devait aider Pizzi à organiser un convoi de marchandises jusqu’en Tilée. Il prit bien soin de fermer la porte à double tour, allant même jusqu’à demander à son voisin Luigi de Pozzo de surveiller la villa durant son absence, au moins e sa fenêtre.

Francesca attendit qu’il soit sorti, le regarda filer à travers les ruelles du quartier et se dirigea vers le couloir. Elle suivit un parcours bien précis jusqu’au palier du premier étage, et chercha là du regard une boîte accrochée au mur par une paire de clous. Elle l’ouvrit. Dans la petite niche se trouvaient plusieurs clefs suspendues à des crochets. Elle pendaient là en attendant leur heure. Francesca tendit la main et ses doigts se resserrèrent sur le contact froid d’une des clefs, une vieille clef de couleur noire enfouie dans un coin du tableau. Délicatement, elle la retira de son crochet, puis referma la boîte une fois qu’elle l’eut entre les mains.

Elle s’engagea dans le couloir, et entra dans la chambre d’Onatti. La nuit étant tombé, la pièce était très sombre. Plus encore que les autres car cette chambre n’était, le jour, éclairée que par une fenêtre donnant sur une cour intérieure. Un immense palmier couvrait complètement le cadre et empêchait la lumière du soleil de filtrer par la vitre. De nuit, les ombres dansantes du palmier étaient encore plus effrayantes, surtout qu’un vent humide s’était levé et que les immenses palmes projetaient leur image chancelante sur un des murs comme la main aux doigts crochus d’un effrayant géant. De chaque côté, les portraits lumineux de la femme d’Onatti étaient sujets au même phénomène. Comme toute la pièce remuait sous les ombres – et le vent sifflant sa gigue macabre ne faisait qu’accentuer cette impression – les silhouettes lumineuses semblaient danser, et leurs pupilles pâles regardaient Francesca comme un intruse, la montraient du doigt. Sur chacun des murs, des portraits dansants, et tous de reprendre leur pas dans une inquiétante sarabande de femmes entières, de bustes de femme, de demi femmes ou de femmes assises encerclant Francesca qui pénétraient à pas feutrés dans la pièce avec une torche enflammée. Le brandon entraîna aussitôt de nouvelles danseuses, et il y eut tout autour de la pauvre femme un bien curieux ballet féminin, faits d’ombres, de silhouettes et d’illusions, de regards entrecroisés et de vent dans les plis des robes, de la stridulation d’insectes nocturnes et de la mélodie moite du vent grinçant.

Francesca se hâta. Elle ne pouvait se tourner vers les murs sans avoir la sensation d’être observé, et devait sans cesse fixer ses pieds. A un moment, elle crut apercevoir quelqu’un d’autre dans la chambre. Elle s’arrêta. Puis elle se carra dans un coin, contre une armoire. Le vent reprit sa chanson de plus belle, mais à part cela, rien que le silence nocturne. Pas un souffle de vie dans cette pièce. Francesca supposa qu’un des portraits en pied, plus vrais que nature – en particulier celui qui trônait au-dessus du lit comme un ange veillant sur son public – avait du l’impressionner. Oui, sans doute, ce devait être cela. Et elle reprit son chemin dans la pièce.

Elle n’était plus très loin. Elle faillit pousser un cri de soulagement en voyant la poignée dorée camouflée derrière une grande toile bleue. Onatti lui avait montré cette porte en lui disant qu’il était inutile de l’ouvrir. Telles avaient été ses paroles, mais son regard, insistant et lourd de sens, signifiait qu’il ne fallait pas l’ouvrir. La porte du bureau d’Onatti. Y allait-il seulement ? Elle l’ignorait. Mais sa place, derrière la tenture de lin, la transformait en un mystère planant qui avait, au fil des jours, poussée la curiosité de Francesca. Comme une gamine désobéissante, elle allait franchir l’interdit.

Il n’y avait pas que la curiosité qui poussait Francesca à agir de la sorte. Chez Onatti, il n’y avait pas que cette porte derrière la tenture qui était mystérieuse, non, une grande part de l’homme restait cachée aux yeux de la jeune femme. Elle l’avait souvent interrogé sur son passé d’aventurier. Il lui avait raconté des aventures, aux confins de mondes inconnus, dans des terres plus lointaines et plus effrayantes encore que les profondeurs de la jungle, sur des océans infestés de monstres et de dangers. Et puis, discrètement, insidieusement, Francesca s’était particulièrement intéressé à ses expéditions dans la jungle. Il en avait fait deux. Une en partant de « la côté des cactus », et en longeant la lisière de la forêt. Ils y avaient pénétrés sur quelques mètres, avaient découverts un temple en ruines orné de symboles étranges que le savant du groupe avait calqué. Et puis un sorcier qui participait à l’expédition avait eu une vision, une vision d’horreur, de mort et de désolation, et leur avait dit qu’il fallait partir. Et comme ce sorcier avait une grande influence auprès des soldats, tous étaient retournés au bateau, ancrés sur la plage, et l’expédition avait pris fin. A cette époque, Onatti était un jeune mousse que l’érudit – celui qui calquait sur son manuscrit les glyphes gravés à même la roche du temple – avait pris sous son aile, lui ayant appris la lecture et lui ayant donné le goût des récits. Pour lui, les craintes du sorcier n’étaient que des calembredaines de vieillard sénile en mal de reconnaissance. La jungle lui apparaissait comme un immense terrain de jeu, il rêvait à des immenses cités construites dans les arbres, ou sur les ruines des temples de pierres – une civilisation disparue, supposait-il alors – ou encore à des comptoirs commerciaux visant à l’appropriation de nouvelles terres. Il serait bien resté, à tenir le manuscrit de l’érudit, si ce dernier ne lui avait pas soufflé à l’oreille : « Il vaut mieux partir. Il se peut que ce vieux fou ait raison ». Alors, le jeune mousse s’était retourné vers la jungle, et n’avait rien vu d’autre que le silence et le néant. Le vide et l’inconnu.

Il n’était ensuite pas retourné dans la jungle pendant plus de trente ans. Jusqu’à sa deuxième expédition, qu’il n’avait qu’effleuré du bout des lèvres, malgré les insistances de Francesca à la connaître. Car elle n’avait pas oublié. Il y a un près d’un an, son valeureux marin, le père de ses enfants, dans les yeux duquel elle avait cru lire une étincelle d’amour, alors qu’il ne devait s’agir que de désirs bruts, avait franchi les limites de la lisière de la forêt. Et n’était pas revenu. Pourtant, elle l’avait guetté. Tous les soirs, pendant neuf mois, alors que dans ses entrailles grandissait la marque de leur union, elle avait attendu à la lisière des ombres, assise sur son rocher. Elle avait espéré, oui. Mais rien, jamais rien n’était sorti de cette jungle qui restait stoïque et silencieuse, la narguant presque, la prenant de haut en lui disant : « Vois cet homme que tu as aimé. Pour toi, il ne daignât pas rester. Pour moi, il restera. ». Elle aurait tant voulu gagner son combat contre la nature, et revoir le visage de celui dont elle ne connaissait que le prénom : Giacomo. La jungle avait tant de moyens de le retenir, des griffes vivantes, des poisons et d’autres dangers plus cruels encore. Alors qu’elle, simple humaine, n’avait que ses robes et ses beaux atours. Au début, elle y avait cru ; puis son sentiment d’espoir s’était mué en crainte, crainte de la mort de celui qu’elle aimait ; et enfin, la pire des choses avait fait son apparition dans son esprit : le doute. Elle s’était mise à douter de la sincérité de son amant d’un soir. Et s’il n’était venu, comme tous les autres, que pour voler son plaisir comme un brigand pénètre dans une maison luxueuse pour s’en approprier les richesses ? Après tout, pourquoi différerait-il des autres ? Parce qu’il lui avait laissé un souvenir qui pesait dans son ventre ? Non, cela ne voulait rien dire, elle était trop sentimentale. Mais comme ce doute était encore plus douloureux que la crainte, elle préférait encore attendre que la jungle renvoie le corps de Giacomo comme la mer charrie le corps des marins perdus dans la tempête. Neuf mois à attendre, malgré le temps, face à une jungle toujours plus méprisante.

Elle avait daté précisément la seconde expédition dont lui avait parlé Onatti. Et elle correspondait parfaitement à la date du départ de Giacomo dans la jungle. Il était apparu évident qu’Onatti avait participé à l’expédition de Giacomo. Elle ne l’avait pas interrogé plus avant sur cette expédition, espérant découvrir dans la pièce secrète des détails intéressants.

La clef tourna lentement dans la serrure. Il y eut un claquement sec, et un léger nuage de poussière s’échappe de la serrure. Francesca se couvrit les yeux. Puis elle avança progressivement dans la pièce. La lumière puissante de son brandon transformait le bureau en une antre de géant, et elle se dépêcha de trouver un autre système pour étudier l’endroit. D’un coup d’œil rapide, elle aperçut plusieurs bougies de cire à côté d’elle. Elle en alluma plusieurs à l’aide de sa propre source de lumière, et peu à pu parvint à installer un climat plus sain dans la pièce empoussiérée. Elle laissa la porte de communication avec la chambre ouverte car elle avait du mal à respirer. On devait très peu souvent pénétrer là-dedans. Elle s’y reprit à deux fois, et dut une fois pour toutes ouvrir la fenêtre de la chambre d’Onatti ouverte pour laisser passer encore plus d’air – même si l’air du dehors était peu respirable et que la mélodie du vent était de cette manière encore plus puissante.

Les bougies éclairaient les différents endroits. Il y avait là une multitude d’objets, suspendus au mur ou bien posés sur des tables ou des planches de bois entremêlées comme les branches d’un arbre. Le bureau du vieux marin était une immense remise où s’entassaient des antiquités vieilles comme des souvenirs. Un fanion de navire, une ancre grosse et brillante comme un dragon de mer dont les écailles seraient la colonie de patelles et de coques qui y avait trouvé un refuge, un gouvernail en bois vermoulu posé horizontalement sur un élément d’accastillage, un morceau de voile en lambeaux qui s’étendait dans toute la pièce comme une grande aile déployée de toute son envergure, une immense plaque d’ardoise sur laquelle était inscrit le nom d’un bateau, encore des signes que Francesca ne pouvait lire, un hublot opaque et des centaines d’autres accessoires et objets incongrus, tous sortis de l’imaginaire d’un génie de la mer : pointe de mât, sextant, cabestan, câblage, ornières et poulies de bois et de ferraille, uniformes de marin, sabres d’abordage, cimeterres, arcs et arbalètes, rapières et dagues rouillées ornées de quantités de rubis, épée large, targe, rondache et pavois lourd, cravache et nerf de bœuf usés jusqu’au manche, morceau de roche, d’obsidienne, de saphir, de rubis ou même d’or, pique de corail rougeoyant et autres trophées maritimes : espadon empaillé, coquille de bénitier aussi grosse qu’une cabine de marin et dont la crénelure des bords faisait penser à l’immense mâchoire d’un monstre édenté, raie manta suspendue par un filin, et la carcasse d’une dentition de requin tigre aux dents innombrables, toujours menaçant même figé dans la mort et le dépouillement, et enfin, le clou du spectacle, servant de bureau posé au centre de la pièce, comme l’autel sacré d’un temple animiste, la proue d’un vaisseau, en forme de grand serpent de mer aux ailes repliées contre le corps, et la gueule ouverte comme crachant du feu. Francesca s’en approcha et caressa l’intérieur de la gueule béante. Elle remarqua un signe inscrit le long de l’aile droite, et que l’on retrouvait symétriquement à gauche. Ce devait là aussi être le nom du navire. Mais elle ne put le lire.

Dans tout ce fourbis, Francesca fut vite perdue. Sur le bureau-serpent était posé un porte-plume et une goupille d'encre, ainsi que plusieurs manuscrits vierges. Et il y avait deux tiroirs qui ne demandaient qu’à être ouverts. Francesca remarqua qu’une des pages étaient récemment couvertes de mots. Ainsi, Onatti pénétrait quelque fois dans cette antre. Elle ouvrit le premier tiroir. Il contenait une série de cahier reliés. Elle les prit un à un, et les feuilleta. Ils contenaient des pages et des pages manuscrites, accompagnés de quelques dessins au charbon. Sans doute le carnet de bord qu’il tenait pendant les voyages. Elle était noyée sous les mots incompréhensibles, et ne put continuer ses recherches. En trombe, elle sortit pour revenir dans la chambre, où dansaient les ombres. Rapidement, elle revint.

Cette fois, elle prit d’assaut le second tiroir. Il était plus difficile à ouvrir, comme si les glissières étaient usées. Elle essaya un dernier coup de force, et, dans un grand fracas, tout le contenu du tiroir s’étala sur le sol. C’était encore des cahiers, des dizaines de cahiers de notes. Elle se dépêcha de tout remettre en ordre, vérifia une dernière fois si un élément, n’importe quel indice dissimulé à l’intérieur aurait pu l’aider, mais sans succès. Et elle parvint à refermer le lourd tiroir.

Elle s’agenouilla alors et vit que, à gauche des deux tiroirs se trouvaient une niche, et que dans cette niche se trouvaient un bateau. Une reproduction précise d’un grand voilier, en miniature. Elle rapprocha sa bougie de la maquette pour l’étudier de plus près. Il y avait même des petits personnages en cire à l’intérieur. Elle regarda bien tout, sa structure, ses voiles, et se souvint : c’était le navire qui avait amené Giacomo à Gilliano. La Pieta. Elle était venue le voir au port après son départ – et un jour, il avait disparu mystérieusement. Il lui avait dit qu’il tenait une place importante dans ce navire… capitaine, amiral, ou quelque chose comme ça, elle ne savait plus bien. Onatti aussi lui avait parlé de ce bateau… Mais aucun autre indice. Les petits bonshommes de cire ne parlaient pas, et aucun d’eux n’étaient assez expressifs pour l’aider à retrouver une preuve du lien entre Onatti et Giacomo. Mais elle était persuadé qu’il y en avait un, et tout indiquait qu’il s’agissait de ce voilier.

Elle se leva, fourbue, face au bureau. Les feuillets écrits récemment étaient maintenus entre eux par un clou planté dans le bois du bureau. Francesca regarda la plume posée sur le côté, puis le goupillon, une petite bonbonne en verre large comme le creux de la main disposée sur le coin gauche. Francesca la saisit. Elle vit un nuage blanc s’échapper alors de la table et retombé comme une plume sur le sol. Elle se pencha. Ce n’était pas un nuage, c’était un mouchoir de soie. Francesca le prit entre ses mains, étonnés de la présence d’un si petit objet dans un endroit aussi démesuré. Elle le toucha, il était frais et si blanc, si doux. Puis entre sa paume, elle le déplia. Et là, elle vit avec stupeur la lettre F entrelacée d’une ancre de marin, tissée au fil rouge. Elle hurla de surprise, et fit quelques pas en arrière, rapprochant sa tête de la gueule du requin. Elle avait souvent espéré revoir cet objet, mais en une toute autre circonstance. Elle se souvenait encore du regard de Giacomo lorsqu’elle lui avait donné. Il souriait. Ce pouvait-il que… Que Giacomo fut… Non, c’était simplement improbable, impossible, inimaginable… Mais comment expliquer autrement la présence de ce mouchoir dans cette pièce ?

Soudain, une ombre immense apparut dans l’embrasure de la porte ouverte. Francesca sursauta et chuta au sol. Elle eut du mal à se relever et vit face à elle le visage effaré d’Onatti. Il balbutia :

« - J’étais revenu récupérer un livre que j’avais oublié, et j’ai entendu un cri en haut alors je suis monté…

On avait l’impression que c’était lui qui était pris en faute. Mais Francesca était elle aussi bien coupable : elle était adossée contre un des murs – un des rares espaces dénué d’objets – et regardait Onatti avec un regard désespéré. Son esprit faisait sans doute des vagues entre les traits patauds, burinés, du vieux capitaine et ceux, plus tendres et gracieux de l’homme qu’elle avait aimé. Et puis, comme elle ne trouvait rien à dire, elle tendit devant elle le mouchoir comme un bouclier. Onatti la fixa avec stupeur.

- Ce mouchoir…Je… Evidemment, tu devais finir par connaître la vérité…

Francesca tremblait, elle n’était plus elle-même, la poussière, le fatras d’objets hideux à ses yeux, et la voix d’Onatti, ses hallucinations qui superposaient les deux visages, elle manqua de s’évanouir, mais comme elle glissait au sol, Onatti la retint par les épaules.

- Je vais tout t’expliquer, mais pas ici… »

Il la prit par la main et l’emmena à toute vitesse. Il claqua derrière lui la porte du bureau et donna un coup dans la serrure avec la clef restée plantée à l’intérieur. Tous les trésors de la mystérieuse pièce s’éteignirent aussitôt.

Onatti posa Francesca sur le lit de la jeune femme. Il voyait son pauvre cœur battre la chamade sous sa robe blanche, et son air épouvanté. Il la calma en lui parlant tout doucement, comme à une enfant :

« - Tu n’as rien à craindre, je vais t’expliquer, je vais tout t’expliquer…

Francesca le fixa, et peu à peu, son regard devint moins tendue, alors Onatti enchaîna :

- J’ai longtemps travaillé au service d’un amiral et armateur tiléen, propriétaire de nombreux bateaux, dont La Pieta. C’était le condottiere Caglioscoli, propriétaire d’un château à l’est de Remas, en Tilée. Mais un jour, il prit sa retraite et confia la gestion de son empire maritime à son fils, Giacomo (à ce nom, Francesca fut pris d’un spasme violent mais bref). J’assistais en tant que capitaine à sa première, et seule expédition à ma connaissance. Il devait faire escale avec La Pieta ici, à Gilliano, puis partir explorer la jungle. Lors de l’escale, il trouva une jeune femme à son goût, et lui fit sans le savoir deux enfants, des jumeaux, avant de s’évanouir dans la jungle. Il me laissa le mouchoir de cette femme en rentrant le soir même. Et cette femme, c’est toi, Francesca.

La jeune femme se calma. Elle cessa de trembler et regarda Onatti, puis le mouchoir qu’elle tenait dans sa main. Elle avait trop de questions à poser qu’elle ne pouvait le faire maintenant. Elle rentrerait dans les détails plus tard. Le seul réflexe qu’elle eut fut de se détacher du regard d’Onatti, et son visage se tourna naturellement vers la fenêtre. Lentement, en détachant chaque syllabe, d’une voix presque mortifiée, elle déclara :

- De cette fenêtre, on peut voir la lisière de la forêt. Je me souviens du jour où tu étais parti avec le gardien du port. Je t’avais vu là-bas, tu transportais le cadavre d’un homme avec ton ami, et vous l’enterriez. J’ai eu très peur ce jour-là. J’ai eu très peur de toi, je voulais savoir ce que tu étais…

Le tutoiement était venu simplement, comme si d’un seul coup, elle s’était sentie plus proche de lui, le connaissant depuis toujours.

- Et puis je me suis dis aussi que c’était de là que tu avais pu me voir, le soir où tu me recueillis et me fis accoucher…

Onatti s’approcha d’elle et lui dit à l’oreille :

- En réalité, je te guettais depuis longtemps. Je savais qui tu étais. Dès mon arrivée, je t’ai cherchée et j’ai tout de suite compris que tu étais la femme que je cherchais lorsque je t’ai vu, à attendre comme une épouse de marin, à la lisière de la forêt. Je savais ce que Giacomo t’avais fait et te faisais encore subir. Alors j’ai voulu t’aider. C’est pour toi que je suis revenu à Gilliano, pour réparer l’erreur d’un amiral trop peu consciencieux.

Francesca se tourna vers Onatti, et, d’un regard à la fois tendre et suppliant, un regard émouvant gonflé de larmes, et lui lança:

- Parle-moi de lui… Et parle-moi enfin de toi… »

Et toute la nuit, ils parlèrent. La bougie resta allumée dans la chambre de Francesca, et on pouvait y voir deux silhouettes noires qui se comprenaient.

Modifié par Mr Petch
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su

Vu que le sujet est sous entendu, je pense qu'il faudrait accorder.

moins e sa

Il manque une lettre

Comme une gamine désobéissante, elle allait franchir l’interdit.

Ca me rappelle une autre histoire cette porte qu'on ne doit pas ouvrir.

Bon sinon le fond est pas mal, mes remarques sur la forme sont terminées avec ce qu'il y a au-dessus ^_^ Bon c'est pas mal, ce que tu nous as fait ! Les liens commencent a se tisser et tout se raccroche ! :blushing: C'est bien.

La description de la pièce est bien trouvée aussi, beaucoup de détail ! J'avais l'impresion d'y etre ! Alors suite ! Vite !

@+

-= Inxi =-

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Invité Mr Petch

*

Le premier anniversaire des jumeaux arriva avec la première tempête. Les pêcheurs du large commençaient par annoncer que les bancs de poissons, si nombreux dans la première des baies, disparaissaient et s’éloignaient vers les eaux plus froides du nord ou du sud. Ils rentraient bredouille de leur pêche, et déjà, le doute s’instillait dans l’esprit des habitants. Puis c’était au tour des marins du port, ou des patrons de comptoirs, qui voyaient les oiseaux affluer en quantité, des mouettes, ou des albatros retournant à l’intérieur des terres en poussant de grands cris effrayés. C’était parfois même des nuages entiers d’oiseaux criards qui volaient au-dessus des têtes et allaient se nicher dans les falaises non-exposées au sud. Et enfin, petit à petit, les pêcheurs désertaient leur barque, les navires venant d’outre-Flaque n’arrivaient plus, les quais se vidaient progressivement. Tous se doutaient alors de l’imminence de la tempête, et tous se barricadaient à grands renforts de planches de bois. Chaque année, c’était la même chose : le marquis de Caradras réunissait sous son drapeau tous les hommes forts du village pour construire une immense digue, en charriant le sable des dunes qui séparaient Gilliano de la forêt, et en renforçant le tout avec des troncs d’arbres, on parvenait à construire une protection suffisante. A ce niveau-là, pauvres et riches étaient dans le même bateau. Le marquis était à ce sujet intransigeant : « Ceux qui n’aident pas alors qu’il le pourrait mériterait de disparaître à la première rafale avec tous leurs biens ! » avait-il crié pour galvaniser ses hommes.

Le marquis était un homme bientôt quinquagénaire, mais néanmoins bien bâti, avec de larges épaules de soldats et les jambes cintrées de celui qui avait passé toute sa vie dans les rangs de l’armée. Il était très apprécié à Gilliano à cause de sa carrière exemplaire : fils de soldat, il était naturellement entré dans l’armée, avait gravi un à un les échelons jusqu’à se faire anoblir par le seigneur de Luccini, qui lui avait donné des terres en Tilée sur le flanc des montagnes, là où les vignes pouvaient pousser en abondance. Il n’avait alors que trente ans, et le cœur encore plein d’espoir d’aventures. Alors il avait refusé les terres, ou plutôt les avait revendu au plus offrant, gardé malgré tout le titre de marquis et avait embarqué sur un bateau vers l’ouest, et les côtés de nouveau monde qu’on disait alors riches et fertiles. Une fois débarqué à Gilliano, il avait racheté une bonne partie de la ville (dont le quartier pauvre qui lui appartenait entièrement), s’était trouvé une femme et avait décidé cette fois de se poser. C’est lui qui avait organisé la milice de la ville, fondé la capitainerie, aidé le commerce et aussi construit la dune qui les séparait de la jungle. « Car, avait-il dit, il fallait que ces braves gens aient le cœur tranquille pour dormir et travailler convenablement au bénéfice de la cité ». Il ne cachait pas son ambition, qui était de faire de Gilliano la colonie la plus florissante de toute la côte de Lustrie. Entreprise tout à fait probable quand on voyait que la plupart des comptoirs ne tenaient pas dix ans.

C’était donc lui qui, à chaque saison des tempêtes, réunissait toute la ville dans une seule et même œuvre : lutter contre la colère de la nature. Cela permettait d’affirmer devant tous que l’homme était plus fort que les choses naturelles et qu’il parviendrait un jour à contrôler tout ce qui subsistait en ce bas-monde – et par cela, il voulait parler de la jungle qui effrayait encore pour le moment la plupart des habitants.

Onatti avait naturellement été convoqué pour participer. Compte tenu de son âge, et de sa stature plutôt peu athlétique, le marquis lui avait donné le choix entre transporter le sable avec les autres ou bien superviser l’aménagement de la digue. Il avait préféré la seconde option et s’était joint à ceux qui travaillaient du côté de la mer, et donc les plus près de la tempête.

La construction de la digue avait duré huit jours. Pendant ces huit jours, Onatti avait pu voir le ciel s’assombrir vers l’est, et le vent souffler de plus en plus fort. De plus, des rouleaux imposants venaient s’écraser contre la jetée. Ce n’était encore rien par rapport à ce que serait la tempête, mais cela augurait déjà bien des choses horribles. Evidemment, plus aucun oiseau ne venait garnir le ciel, et la mer était devenue presque noire. Certains pêcheurs superstitieux disaient que c’était le sang des poissons qui mourraient au large. Mais le marquis s’arrangeait pour faire taire ces rumeurs et pour galvaniser les hommes. Toutefois, les rouleaux devinrent de plus en plus gros, plus épais encore que les années précédentes – l’an dernier, on avait échappé à la tempête par miracle – et ce terrain était propice à ranimer les rumeurs de toutes sortes : tel vieux pêcheur disait que c’était le grand dragon gardien des mers qui faisait régulièrement la démonstration de sa colère en charriant vers la cité des litres et des litres d’eaux avec ses deux grands ailes déployées comme des voiles de bateau ; d’autres encore évoquaient les pouvoirs magiques des sorciers elfes qui vivaient loin au nord, dans de sombres cités aux toitures en forme de lames de couteau, avides de sang et de sacrifices, et qui déchaînaient leur puissance sur les flots pour que la mer amène sur leur côté dévastée des naufragés encore agonisants pour leur faire subir les pires souffrances au nom de leurs divinités impies ; beaucoup, enfin, ne manquaient pas de raconter les vieilles légendes des esprits de la forêt, des lézards aux cornes nacrées et aux écailles brillantes comme de l’or, qui savaient aussi commander à la mer et qui désiraient chasser les humains de leurs terres. A ceux-là, le marquis disaient : « Fuyez si vous le souhaitez ! Fuyez par la mer si vous pensez que ça calmera vos esprits fantômes ! ». Mais évidemment, aucun ne voulait partir parce que l’océan se déchaînait de plus belle. Aucun de tout ceux qui parlaient de ces légendes n’avaient vu de dragons, d’elfes ou de lézards. Mais ils y croyaient pourtant de bonne foi, et cette bonne foi était le pire ennemi du marquis qui voulait finir la digue à temps.

Mais par chance, la construction se termina avant l’arrivée de la tempête. Le marquis organisa en sa demeure une grande fête, et il ne restait plus qu’à attendre la suite de l’aventure.

Onatti s’était réveillé tôt ce matin. Il dormait peu depuis quelques jours, et d’ailleurs en ville, personne ne dormait sur ces deux oreilles avec la crainte latente qu’un raz-de-marée ne vienne détruire toute forme d’existence. Il n’avait pas ouvert les rideaux, car il savait que cela ne servait à rien. Le ciel était bien trop noir et même le jour, on n’y voyait goutte. Mieux valait allumer tout de suite des bougies à chaque coin de la maison.

Il s’était installé sur la table du salon, un livre à la main. Tout était silencieux dans la maison, et aussi au-dehors, car depuis plusieurs jours, on entendait plus ni le piaillement des oiseaux, ni le brouhaha de la foule, ni même la cloche du temple de Myrmidia car le grand prêtre avait été foudroyé par une fièvre soudaine. Toutes les prêtresses étaient donc en deuil, et un silence mortel formait comme une cloche autour du temple, que les habitants évitaient. La tempête était un trop gros malheur pour que l’on se soucie de la mort d’un prêtre.

Onatti lisait donc avec attention son ouvrage. Des marins pris dans une tempête aux larges des côtés des Terres du Sud. Cela le calmait profondément, de parcourir le destin de ces hommes dans la tourmente d’un malheur qui n’était pas le sien. Cela le distrayait véritablement, et le faisait oublier que lui aussi allait peut-être devoir subir l’affront d’une tempête. Il en était arrivé à la mort du mousse qui se démenait, pendu par les pieds à un cordage à quelques centimètres des vagues déchaînées. La corde menaçait de rompre à chaque instant et son agonie était cruel. Mais le cuisinier avait entrepris de le sauver, et arrivait pour l’aider avec une corde et un couteau. Onatti savait déjà qu’il n’y parviendrait pas, et qu’il verrait le pauvre mousse tomber dans l’océan sous ses yeux, en appelant sa mère et tous les dieux qu’ils connaissaient.

Soudain, on frappa à sa porte. Un coup sec d’abord. Puis un autre coup plus puissant. Et très vite, comme il tardait à arriver, une série de coups martelés. Il ouvrit la porte et eut face à lui le visage trempés jusqu’aux os de Pizzi, emmitouflé dans un manteau de laine, les deux yeux écarquillés. Derrière lui se tenait un jeune garçon calme et muet, qui serrait fermement de ses deux mains la bride d’un cheval qui, lui, au contraire, fulminait et rageait dans tous les sens, battant des sabots sur le sol sableux, et faisant voltiger sa crinière dans les airs. Onatti constata que dehors, il pleuvait, d’une petite pluie très fine qui tombait sans aucun bruit mais qui annonçait à coup sûr l’arrivée de la tempête. Le gardien du port fut comme surpris de le voir, et lui lança aussitôt :

« Elle arrive ! Elle arrive ! Prépare-toi bien, elle arrive ! »

Onatti n’eut pas le temps de répondre, Pizzi était déjà en train de tambouriner à une autre porte comme un prophète apocalyptique, et le jeune garçon le suivait, toujours aussi tranquille.

Le capitaine mit un peu de temps avant de réagir. Il était encore en compagnie de son mousse, au milieu de la tempête qui faisait rage au large des côtes des Terres du Sud. Mais bien vite, il comprit les paroles du gardien du port. C’était la tempête qui, enfin, se décidait à venir.

En effet, Pizzi, malgré son âge, possédait une excellente vue. Et à ce titre, le marquis l’avait nommé « gardien de la tempête ». Il allait donc se poster tous les jours dans une petite cabane juste au bord d’une des falaises qui s’avançait dans l’océan comme la gueule d’un dragon endormi. Il restait là guetter l’arrivée de la tempête. Comme il ne courait plus aussi vite que dans le temps, on lui avait assigné le cadet du marquis de Caradras, le jeune Bernardo âgé de quatorze ans et un cheval fougueux. Dès que la vieux voyait la tempête arrivé, il enfourchait le cheval en compagnie de Bernardo qui le faisait galoper jusqu’au village. En temps ordinaire, on sonnait la cloche du temple de Myrmidia, mais cette année, cela s’était avéré impossible. Alors Pizzi et Bernardo faisait du porte à porte pour annoncer la nouvelle. Mais il suffisait de sentir dans l’air l’odeur de souffre qui venait de la mer pour se douter que la tempête était toute proche. Il ne restait plus qu’à espérer que la digue ne cède pas et que l’océan ne vienne pas inonder toute la cité.

Onatti ferma la porte et alla chercher dans ses tiroirs un énorme cadenas, qu’il accrocha à la poignée et sur un des pignons de la maisons. Puis, il tira la table du salon et la plaqua contre la porte. Ceci étant fait, il se saisit de plusieurs planches de bois qu’il commença à clouer à toutes les fenêtres du salon. La pièce fut plongée dans une obscurité encore plus intense, seules trois bougies l’éclairaient faiblement par de petits halos de lumière tamisée. Onatti se reposa dans son fauteuil pour souffler un peu. Ce silence, et cette obscurité l’oppressait. L’attente de savoir un désastre proche le paralysait presque. Il vit dans un fauteuil à côté le livre qu’il était en train de lire. Doucement, il se leva et le rangea dans l’armoire. Puis, comme pris d’une envie soudaine, il se mit à monter quatre à quatre les escaliers.

Il se hâtait plus que d’habitude, et les marches tremblaient à chaque pas. Il arriva sur le palier et ouvrit la porte de la chambre de Francesca, un chandelier à la main. Il faisait entièrement noir, il n’entendit que le doux ronronnement de la jeune femme dans son lit, ainsi que des petits soupirs très légers qui devaient provenir du berceau. Il posa le chandelier sur la table de chevet et se pencha doucement vers le visage de Francesca. Elle dormait fort paisiblement, comme si elle ignorait tout du danger qui allait les accabler. Il n’osa pas la réveiller au début. Elle était si tranquille, souriant dans son sommeil, son visage ovoïde comme une pleine lune entourée par les ténèbres de ses cheveux. Ses paupières fermées frémissaient sous la lumière concentrée de la bougie, et le reflet de la flamme ondulait dans ses cheveux si lisses. Elle serrait fortement le drap blanc comme un linceul, d’où émanait une véritable tranquillité. La tranquillité du sommeil, peut-être… A moins d’autre chose.

Onatti resta en admiration face à ce spectacle pendant un bon moment. Il n’entendait pas, au dehors, le vent violent qui se levait en de grandes bourrasques et faisait claquer les volets de la chambre. Il ne fut réveillé de sa contemplation que par un cri aigu dans son dos. Il se retourna aussitôt, et constata qu’il venait du berceau. Pietro, dont la toison noire de nourrisson se fondait dans l’obscurité, pleurait ardemment, les mains serrés contre les barreaux de son berceau.

Onatti se précipita. Il essaya de le caresser mais le bébé repoussa sa main d’un violent coup du bras, sans cesser de hurler. A côté, son frère jumeau, Federico, était encore couché, mais se trémoussait dans son sommeil comme lors d’un cauchemar. Onatti ne savait pas quoi faire pour que Pietro se taise. Il commençait à taper des pied, à geindre comme un cochon qu’on égorge.

« - Que se passe-t-il ?

Onatti se retourna. Francesca avait levé la tête et écarté son drap. Elle observait d’un regard épouvanté Onatti penché sur le berceau. Celui-ci la rassura :

- Ce n’est que Pietro. Il a peur.

Francesca se leva et alla rejoindre Onatti.

- C’est sans doute l’orage qui l’effraie comme ça. C’est naturel.

La jeune femme sortit Pietro du berceau. Il se laissa faire et cessa de pleurer lorsque sa mère l’eût blottit contre son giron. Onatti restait sans rien faire, puis lança soudainement :

- Je suis venu boucher les fenêtres.

Francesca le regarda, encore plus épouvantée :

- La tempête ?

- Oui. Pizzi est venu me prévenir qu’elle arrivait. Il faut se préparer. »

Le vieux capitaine lut dans les yeux de Francesca un inoubliable effroi. Que signifiait pour elle la tempête ? Elle dont la demeure n’était qu’une cabane de planches empilées sommairement, et prête à s’écrouler à la moindre brise. A chaque tempête, le quartier pauvre était le plus détruit. Tout les habitants partaient et se réfugiaient dans les hauteurs des dunes, tous, grelottant de froid, leur bébé vociférant entre leurs bras, les chiens aboyant, les vieux tremblant et les malades agonisants. Ils savaient qu’ils allaient perdre leur maison, c’était inévitable. Mais il reviendrait le lendemain la reconstruire comme si rien ne s’était passé. Ils attendaient, comme une troupe de mouettes attendant la fin de l’orage au sommet d’une falaise. Personne ne se plaignait, à part les enfants, mais ils apprendraient vite à vivre à la dure. Personne ne versait la moindre larme en voyant s’effondrer les toits des cabanes, personne n’aurait pensé à consolider les maisons, comme faisaient les riches, car personne n’en avait les moyens. Et puis pourquoi pleurer pour une vie aussi misérable ? Pour eux, la tempête n’était qu’un malheur de plus dans l’immensité de leur misère. Ils n’avaient rien à perdre, à par leur vie, et c’était ainsi le seul bien qu’ils protégeaient. Les riches, eux, se seraient fait pendre plutôt que de laisser à la merci du vent la moindre cuiller en argent.

Lorsque Onatti lui annonça la tempête, ce furent tous ces souvenirs qui refluèrent dans l’esprit de Francesca. Les journées passées sur les dunes sous la pluie, à constater les dégâts et à surveiller à droite et à gauche si aucun voisin ne venait voler la nourriture qu’ils avaient emportés. Mais cette fois, elle se trouvait dans le camp opposé, chez les riches, où la nourriture était le cadet des soucis. Elle craignait pour sa vie et ne supporta pas l’idée d’être enfermée dans une maison qui allait supporter le poids de la tempête. Son intuition la poussait à craindre.

Pendant ce temps, Onatti avait déjà cloués trois planches sur la fenêtre. Il tendit un maillet et des clous à Francesca et lui dit :

« - Vite, va mettre ça autour des fenêtres de la cuisine, et les pièces du rez-de-chaussée. Je m’occupe du premier étage.

- Et les enfants ?

- Pose Pietro dans le berceau, il pleurera jusqu’à ce que la tempête s’arrête, mais dis-toi qu’il faut le protéger à tout prix. »

Francesca plaça en hâte l’enfant à côté de son frère, qui gesticulait en silence dans son sommeil. Puis elle prit les planches, le maillet et les clous et descendit les marches. Pietro pleura de plus belle.

Au bout d’un moment, lorsqu’ils eurent terminés de protéger toutes les fenêtres, Onatti et Francesca se retrouvèrent dans la chambre.

« - Combien de temps cela peut durer ? demanda Francesca.

- Je l’ignore. C’est la première fois que j’affronte la tempête.

Francesca le regarda. Il avait l’air si calme, si sérieux, presque courageux face aux déchaînements des éléments. Pourtant, au-dehors, on entendait le vent qui frappait contre les planches de la fenêtre, comme s’il voulait entrer. Francesca grelotta un peu. Onatti alla chercher le drap et l’en enveloppa. Il précisa :

- Pizzi m’a dit que certaines tempêtes duraient toute une journée, parfois moins, cela dépendait. C’est lui qui m’a dit pour les planches et qui m’a fourni les clous.

- Tu as déjà connu des tempêtes en mer, pourtant… Bien pire que cela…

Onatti la regarda. Il avait fallu un an pour qu’ils se tutoient. Ce n’était plus une question de familiarité, mais de nécessité. Pour se comprendre et se soutenir.

- Oui, en effet… dit-il. Mais… ce n’était pas la même chose. Déjà, j’étais plus jeune. Et puis on s’activait sur le bateau. Il fallait sans cesse empêcher les marchandises de tomber à l’eau, empêcher les autres de tomber à l’eau, resserrer les cordages pour baisser les voiles, surveiller les brèches et les voies d’eau. C’était des tempêtes héroïques, où la lâcheté était impossible. Mais là… Nous ne pouvons qu’attendre que cela passe sans rien faire. Il n’y a plus rien d’héroïque à cela, notre seule agissement aura été de construire une digue contre l’inondation. A part cela, dans ce village, nous ne sommes tous plus que des lâches au milieu de la tempête, nous ne sauvons que nos propres vies, et nous prions les dieux. Tout cela est pathétique.

Francesca se tût. Elle ne comprenait pas toutes les paroles du capitaine. Mais elle devinait sa peine. Entre ses bras, elle avait serré Pietro pour qu’il ne pleure pas. Federico s’était réveillé et était maintenant debout dans le berceau, regardant la fenêtre d’où sortaient les voix violentes du vent et des éléments déchaînés. Son regard n’était pas effrayé, non, juste curieux.

- Cela va faire un an que tu es avec moi… fit Onatti.

- Oui, c’est exact.

- C’est un drôle d’anniversaire, pour eux, cette tempête.

Francesca ne répondit pas, alors il continua :

- Je voudrais vraiment te remercier d’être restée avec les jumeaux… C’est vraiment formidable de ne plus être seul…

- Je comprends… Moi aussi, je suis content que tu sois là. »

Comme un père, Onatti serra Francesca entre ses bras. Elle reposa sa tête contre l’épaule du capitaine. Dehors, le vacarme régnait toujours en maître.

« - Je crois qu’on a frappé… dit soudainement Francesca.

- Non, tu te trompes, c’est le vent.

- Si, je te jure, écoute !

Onatti tendit l’oreille. Oui, c’était bien des coups de poings à la porte qu’on distinguait entre les élancements du vent.

- Attends moi ici !lança Onatti en descendant les marches. »

Mais Francesca le suivit, pleine de curiosité, Pietro blotti contre sa poitrine.

Onatti commença à retirer la grande table qu’il avait posé en travers de la porte. A présent, c’était sûr, on frappait à la porte. Puis, il fallut encore ouvrir le cadenas. Francesca, pendant ce temps, criait : »On arrive ! On arrive ! ».

La porte s’ouvrit d’un seul coup, poussée par le vent. Par chance, elle n’était pas dégondée. Mais il fallait faire vite. Le vieux Pizzi apparut, tel un fantôme dans son drap blanc. Il était tout camouflé sous sa laine, et semblait avoir rapetissé. Il dut crier pour se faire entendre car le vent couvrait sa voix :

« - Il faut que tu viennes, Onatti ! Pour la digue !

Dans la rue, les gens couraient tous en direction du port. Onatti remarqua que le balcon de la demeure de Luigi Pozzo avait été arraché et que sa chambre apparaissait à l’air libre comme sur un cadavre écorché vif. Toutes les autres maisons étaient consolidées dans tous les sens avec des planches que le vent malmenait.

- Quoi ? Pour la digue ?

- Oui, ajouta Pizzi. Amène toutes les planches que tu trouveras et viens, il faut tout consolider !

Malgré la situation critique, la gardien du port jetait des coups d’œil dans la demeure d’Onatti et croisa plusieurs fois le regard de Francesca, empreint de curiosité.

- D’accord, j’arrive, je vais chercher les planches. »

Onatti rentra dans sa maison, suivit par Francesca. Pizzi attendit sur le seuil. Une fois dans l’écurie où il avait entassé les planches, Onatti dit à Francesca :

« - Je dois absolument y aller. Reste ici et surveille les enfants. Dès que je suis parti, barricade la porte et surtout, n’ouvre à personne. Je ne serais pas de retour avant la fin de la tempête, je pense.

Francesca acquiesça, et lorsque Onatti partit rejoindre Pizzi, la seule chose qu’elle trouva à lui dire fut :

- Bonne chance… »

Enfin les hommes se décidaient à sortir de leur lâcheté, et à affronter les éléments. La peur avait été trop grande, et il leur fallait agir, ne serait-ce que pour mourir pour une cause héroïque. Ce n’était pas la tempête qui leur faisait peur, c’était la lâcheté.

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la crainte latente qu’un raz-de-marée ne vienne détruire toute forme d’existence

Je viens de comprendre l'intégralité de ce passage avec cette phrase. Je ne sais pas cela fait combien de temps que tu as l'écrit mais il me rappelle certains événements récents !

Bon c'est une de ses seules remarques instantanées que m'inspire la première lecture du texte. Bon, niveau ortho, j'ai rien à dire : parfait. A continuer, je suis sûr que tu n'as même pas besoin de relire...

Ici, on a plus un petit passage sur l'Homme face à la nature qu'un développement de leur relation. On a aussi un petit passage psychologique sur la lacheté humaine. Enfin bon ! Pleins de qualité qui font que j'attends une suite !

@+

-= Inxi =-

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J'ai enfin rattrapé mon retard et, comme je n'ai que peu de temps, je te dis tout simlement en résumé de ma pensée: Gé-nial.

Les personnages, les descriptions, l'apparition d'une trame, tout contribue au plaisir du lecteur.

Continue de même, Mr Petch.

P.S: Pour Feist, c'était juste que ton style et ton imagination me faisait penser à lui par certains côté. Voilà, c'est tout.

Si tu veux le découvrir....Il a écrit la Trilogie de l'Empire et les chroniques de Krondor.

Sur ce, amicalement et respectueusement,

Le Warza(To work I'm gone and still alone... )

Modifié par Warzazatt
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Invité Mr Petch

Note: une petite mise au point. Je retiens l'argument déjà évoqué qui veut que Francesca parle trop bien pour une enfant des rues. C'est une évidence, mais je considère la chose de la façon suivante: le récit doit relater les faits avec précisions, clairement et de préférence d'une façon romancée, tout cela pour l'esthétique de l'histoire. Pour cela, j'ai choisi de faire comme si les paroles de Francesca étaient "retraduites" dans une langue plus lisible et plus poétique. Sur ce, place au récit...

Onatti courait sans réfléchir. Le vent lui cinglait les oreilles et la pluie rendait les rues boueuses et spongieuses, si bien que les habitants qui déambulaient dans les rues, comme des silhouettes somnambuliques cherchant leur chemin, semblaient encore plus désemparés, perdus au milieu des éléments déchaînés.

Pizzi, au contraire, montrait une étonnante agilité, se frayant un chemin au milieu des trottoirs encombrés de déchets et de débris divers. Il furetait comme un lézard dans la jungle, emmitouflé dans sa capeline qui prenait peu à peu une couleur grisâtre. Partout, les gens qui les entouraient allaient vers le port, et toute cette foule formait comme une seconde vague s’écoulant le long des rues à toute allure, alors que dans le fond, le raz-de-marée préparait sa grande offensive. Tous les sons étaient masqués par la pluie et l’orage, parfois, un coup de tonnerre faisait trembler le sol, et il s’ensuivait un lointain éclair qui illuminait la cité assombrie par les nuages. Tout semblait pourtant converger vers le port, point de rencontre inévitable entre la nature et la civilisation.

Lorsque Onatti et Pizzi arrivèrent en vue de la digue, ils firent face à l’ampleur du phénomène. Ils se trouvaient dans la rue qui descendait vers le port, un surplomb par rapport au niveau de la mer. Cette situation offrait une immense perspective sur toute la baie, et sur les quais et l’océan. La mer n’était plus qu’un brasier aquatique déchaîné, les vagues comme autant de flammes plus hautes encore que les maisons, jaillissant de la source vers le ciel en charpie, déchiré de longues traînées violâtres de nuages en lambeaux. Le ciel avait cette couleur grisonnante de la mer, avec quelques nuances de violines et de roses par endroit, comme autant de traces sanguines lacérant les cieux et les eaux. Etait-ce les dieux qui montraient leur puissance ? Fallait-il prêter l’oreille aux rumeurs – qui, face à la taille toujours grandissante de la catastrophe ne semblait que des réflexions humaines bien futiles – circulant de par et d’autre de la ville ? Et l’orage qui martelait le monde de ses coups tonnants, la pluie qui mitraillait méchamment le sol à une vitesse vertigineuse, provoquant comme des roulements de tambour annonciateurs sur les tuiles en terre cuite des riches villas. Et les vitres où s’engouffrait un vent sifflant, grinçant, sonore. Les hommes, eux ne parlaient pas, laissant les éléments communiquer entre eux dans ce fantasmagorique dialogue céleste.

Onatti ralentit un peu le pas. Là, la foule s’intensifiait, grossissait, prenant une ampleur impressionnante. Tous participaient à l’effort et venaient renforcer la digue avec tout ce qu’ils avaient pu trouver, planches, cartons, troncs d’arbres arrachés par la tempête, meubles encore solides. Et il n’y avait pas que les riches, non, la consolidation de la digue semblait concerner aussi ceux du quartier est. C’était une scène à la fois apocalyptique et merveilleuse que de voir tous ces hommes unis, là, plongeant leurs mains dans la terre stagnante de la digue. Et derrière, l’incendie marin, le ballet des flots en furie, déchirant sur leur passage la hampe des rochers, se heurtant avec violence aux longs mats des falaises granitiques. Onatti resta cloué sur place en voyant un pan entier de falaise être arraché et tomber dans la mer avec un grand fracas, et une gigantesque éclaboussure provoquant une vague plus gigantesque encore. Tout cela semblait loin, du côté de la baie. L’urgence était la digue.

« Vite ! Amène-toi, il reste un espace à boucher, là, à droite !»

Pizzi avait crié comme un forcené pour se faire entendre, sans quitter sa cape protectrice. Sa silhouette s’effaça vers la foule affairée. Onatti, un peu perdu, chercha son chemin dans le tumulte humain. Il distingua alors la cambrure flamboyante du marquis de Caradras, hurlant plus fort que le vent, donnant des ordres. Il avait revêtu un uniforme de soldat et il ressemblait à un chef de guerre exhortant ses hommes au combat. Il fouettait l’air avec un sabre, donnant dans le vent de grands coups circulaires. Un éclair qui zébra le ciel à cet instant le plaça dans la lumière, alors même qu’il levait les bras vers le ciel, son regard décidé tourné vers les hommes. Il était dans une admirable posture, parfaitement maître de la situation, analysant méthodiquement les faits et distribuant les tâches avec une précision toute militaire.

« Vous deux, avec le mât ! A gauche, il y a une brèche ! Et toi, amène donc les briques ici ! Amenez des renforts ! On a besoin de renforts à droite ! »

Onatti l’entendait de là où il se trouvait. Il y avait une ferveur, une passion dans cette voix, une telle volonté qu’elle bravait les puissances divines. Mais le capitaine avait perdu Pizzi. Il lorgna à droite. Le commandant se démenait entre la foule avec ses planches. Onatti courut le rejoindre.

« - Place cette planche, là, et prend les pierres pour la bloquer !

Pizzi donnait des ordres brefs à Onatti qui obéissait. Au pied de la digue, le danger semblait plus proche que jamais. On entendait les gémissements de la mer, les grognements colériques de l’océan de l’autre côté de l’immense mur. Il se créait là une sorte de familiarité avec l’événement. Une familiarité qui perturbait les esprits. Comme si les plaintes venus des flots touchaient le cœur des hommes sensibles. Mais il y avait aussi l’urgence, l’urgence à gagner la bataille face à la tempête, à survivre avant tout. Plus question de reculer dans cet engrenage naturel.

Onatti souleva avec difficultés la planche, soufflant comme un bœuf en plein effort. Soudain, le poids de l’objet lui fit perdre l’équilibre, et il tomba à plat ventre sur le sol glissant. Pizzi avait disparu, sans doute était-il allé aider un autre groupe. Le capitaine essaya de se relever, mais le sol était trop humide, et la planche, étant retombée sur son dos, lui bloquait ses mouvements.

C’est là qu’il vit se tendre une main, face à lui. Elle était sale, pleine de boue, mais aussi de moisissures, de cloques et d’ampoules. Onatti leva le regard. L’homme qui voulait l’aider était édenté, on lui aurait donné soixante-dix ans avec sa barbe immense et grise. Ses yeux ne vivaient plus, le bleu ciel de l’iris s’étant mêlé au blanc opaque du contour. C’était un regard vide, inexpressif, désabusé. Et pourtant l’homme semblait vouloir aider Onatti.

Le capitaine se saisit de la main salvatrice qui l’extirpa de son cloaque. Ce devait être un homme des quartiers pauvres, il fit pourtant preuve d’une force prodigieuse. Onatti fixa longtemps ce regard vide comme la fatalité du destin, puis l’homme disparut soudain, comme un fantôme.

Onatti s’acharna pendant toute la durée de la tempête à consolider une partie précise de la digue qui menaçait à chaque assaut des flots de tout détruire. Il devait sans cesse renforcer les planches de bois disposées en linteau pour amortir les chocs. Il n’était heureusement pas seul, et la grande foule fluctuante des habitants accouraient pour l’idée. Un homme qu’il connaissait pour être un marchand de fruit des quartiers riches resta longuement avec lui. Il ne lui parla pas, mais Onatti sentit dans son regard l’envie d’être avec quelqu’un, simplement pour lutter contre la peur, pour que la honte de fuir l’oblige à rester sur place, à balancer du bois contre de l’eau, de toutes ses forces et avec sa volonté débordante. Onatti lui jeta souvent des coups d’œil, parfois, il croisait les siens et les détournait aussitôt pour retourner à son travail. L’homme était plus jeune, robuste et vigoureux que le vieux capitaine, et il lui fut d’une grande aide pour transporter les planches.

D’autres personnes, encore, circulaient à droite et à gauche pour s’assurer de la bonne marche des travaux. C’était pour la plupart des villageois engagés dans la milice des quartiers riches. On les reconnaissait à leur casque plat et à l’arme qui pendait à leur ceinture, sabre ou pistolet pour les plus riches. Il intervenait lorsqu’il voyait que les forces faiblissaient à un endroit, rassemblant toute leur puissance musculaire pour épauler des villageois en difficultés. Ils vinrent souvent pour secourir Onatti et le marchand de fruits.

Enfin, il y avait aussi tout ceux qui se reposaient à l’écart et attendant de pouvoir relayer quelqu’un. Ils se préparaient avec leur matériel, lorgnant à droite et à gauche comme des renforts près à intervenir à tout instant. On les entendait soudain surgir par l’arrière, leurs pas spongieux dans la boue produisant un bruit de ventouse. Et la plupart du temps, il intervenaient judicieusement pour pallier aux difficultés.

La tempête avait adopté une tactique pernicieuse, après avoir frappé un grand coup, elle se retirait, les flots reculaient, les vagues se faisaient plus petites et la pluie moins présente. Tous les hommes, alors, espéraient que leur calvaire était enfin fini, qu’ils allaient pouvoir se reposer. Il voyait déjà leur femme qui les attendait à la maison, le feu qui crépitait dans la cheminée, le poisson encore fumant dans l’assiette. Lors de ces instants de flottement, le pire de tout était le silence qui se créait entre les hommes, laissant libre cours à leur imagination. On entendait plus qu’un grondement sourd dans le lointain, étouffé et presque apaisé. Et d’un seul coup, l’orage montrait toute sa puissance, les gouttes d’eau fouettait les dos comme des lames acérés, les vagues frappait de grands coups violents et répétés, acharnés contre la digue servant de bouclier, l’océan, par ses roulements insistants devenait le tambour annonciateur de l’assaut, et les coups de tonnerre, graves et assourdissants, semblaient comme des explosions de boulets de canon.

On apercevait parfois dans le ciel, en levant la tête – même si peu de villageois pensaient à contempler les cieux dans un tel moment – un coin d’azur perçant sous les nuages gris. Un même, à certains moments, un rayon de soleil. Ce n’était que des instants furtifs mais qui redonnaient du courage. C’était pour cela qu’Onatti regardait souvent en l’air, guettant à chaque seconde une note d’espoir dans la chape grise qui les recouvrait.

De l’eau jaillit soudainement contre son visage. Onatti recula précipitamment. Il vit son camarade, le marchand de fruits qui, sans se soucier de lui, redoublait d’efforts. Derrière lui arrivait déjà des secours. Ils se saisirent des planches qu’Onatti avait lâché dans son déséquilibre, et vinrent aider le commerçant. Onatti, lui, resta un peu en arrière, la main droite appuyée contre un poteau de bois qui tenait encore debout, sans doute le mât d’où l’on faisait flotter le drapeau de la ville. Il reprit son souffle qui lui manquait. Il n’avait pas vécu de telles aventures depuis de longues années. Il se sentait comme usé, rouillé, ses muscles ne répondaient plus à ses ordres. Cela correspondait bien sûr à son âge avancé, mais il n’y avait pas que cela. Il y avait aussi la vie faite d’habitude qu’il avait trouvé dans son petit confort bourgeois.

Soudain, un homme s’approcha de lui et lui tendit une hache. Onatti considéra l’objet, puis le visage de l’homme, un gaillard solide aux épaules larges surmontées de deux galons dorés qui indiquait son grade de sergent de milice. Voyant qu’Onatti ne comprenait pas, il lui lança :

« Aidez-moi à abattre le mat, on a encore besoin de bois ! »

Onatti prit la hache sans réfléchir et commença à rassembler ce qui lui restait de forces pour frapper contre le mât. Il tapait n’importe où et n’importe comment, et le mât ressembla bientôt à un pieu épluché. Le sergent le regarda, puis soupira. Il lui reprit la hache des mains, et lui murmura à l’oreille :

« Vous avez besoin de repos. Allez donc à la capitainerie, on y distribue de l’alcool. »

Onatti le regarda en titubant un peu, ivre de fatigue, ne pouvant plus tenir sur ses jambes. Le sergent lui tendit un index volontaire pour lui indiquer le bâtiment, accompagnant le geste d’un regard de pitié. Le vieux capitaine marcha tant bien que mal vers la capitainerie.

Le bâtiment était relativement vide. Deux femmes se trouvaient de l’autre côté du bureau transformé en comptoir, et deux hommes ruisselants d’eau et de boue prenaient une pause sur un banc. Onatti s’approcha du comptoir, et s’assit lourdement sur une chaise. En face de lui, une femme d’une quarantaine d’années au visage encore doux commença à verser un peu d’eau-de-vie dans un petit verre et le tendit à Onatti en disant :

« - Vous êtes trop âgé, monsieur, il faut vous ménager !

Onatti ne répondit pas, continuant d’haleter, ce qui ne l’aidait pas à boire son verre. La femme se retourna et fouilla sous le bureau. Elle en sortit une chemise marron :

- Changez vous, au moins, mettez cela à la place de votre vieille veste complètement embouée.

Onatti prit la chemise avec veste et commença à se déshabiller.

- Ne vous en faites pas, ils y arriveront bien. Nous sommes tous unis contre cette tempête et vous n’aurez pas démérité, vu l’état de vos vêtements. Mais pour le moment, reposez-vous !

Puis, elle ajouta :

- Nous allons gagner, je le sais, nous allons gagner contre cette tempête. »

Elle sourit, et ce sourire fit à Onatti le même effet que les rayons du soleil perçant dans le ciel.

*

Les heures avaient passées. On ne put voir le soleil revenir, car lorsque la tempête cessa et les nuages disparurent, la nuit était tombée sans que personne ne s’en aperçoive. Mais les habitants se soulagèrent au moins de l’arrêt des hostilités. Petit à petit, les vagues s’estompèrent, le tonnerre stoppa et le vent ralentit sa course. Lorsque la pluie ne fut plus qu’un crachin misérable, on sut qu’on avait gagné. Car la digue, par miracle, ou par la volonté des hommes, avait tenu face aux vagues, et le port n’avait pas été submergé par les flots.

Il y eut un instant de flottement, tout d’abord. A cause de l’obscurité, on ne savait plus bien ce qu’on faisait. Quelques personnes tenaient à la main des torches ou des bougies et couraient de groupe en groupe pour annoncer que la tempête avait cessé. Les hommes, alors, s’effondraient de fatigue dans la boue, et soupiraient, les mains pleines de terres, regardant les gouttelettes accomplir leur manège sur le sol, formant de minuscules cratères qui se bouchaient aussitôt avec un petit bruit de succion. Bientôt, la parole revint à leur bouche asséchée, soit d’avoir trop crié, soit de s’être tu. Les villageois se tournaient lentement vers leur voisin, pour s’assurer d’abord qu’il était en bonne forme, discutant alors avec lui, échangeant des paroles réconfortantes – la foule au pied de la digue fut transporté de cris comme « Nous sommes vivants ! C’est formidable ! » ou « Je ne savais bien que nous réussirions » ; et parfois, lorsque le partenaire était mal en point, on hélait d’autres hommes pour le transporter dans la capitainerie, transformée en infirmerie de fortune.

On vit aussi les femmes et les enfants qui étaient restés en retrait sortir des portes des maisons, pour accompagner leur mari, fils, frère, sœur, mère, oncle ou tante. Tout le monde se rendait utile ; on mandait les enfants de différentes missions, transmettre des messages, aller chercher des onguents pour soigner les blessés ; certains s’improvisaient médecins, distribuant les rasades d’eau-de-vie comme une panacée universelle ; ceux qui possédaient encore quelques forces commençaient à remettre sur pied les tonneaux poussés par le vent, ramassaient les tuiles tombés des toits ou les poutres bouchant le passage ; d’autres enfin, cherchaient plutôt le repos, le réconfort, auprès des autres, se joignant aux conversations, cherchant leur famille dans la foule. Chacun avait quelque chose à faire au milieu des quais dévastés. Chacun cherchait à se rendre utile. Mais cette fois, l’orage avait bel et bien cessé. Et malgré la nuit, les gens vivaient comme en plein jour, à la lueur de grand torches ou de brasiers incandescents faits à partir des branches d’arbres que le vent avait mené de la jungle jusqu’ici. Trois grand feux marquaient les principaux points de rassemblement, et on se relayait pour les faire durer et illuminer encore plus le port sous le choc.

Au milieu de ce chantier, Onatti allait de groupes en groupes pour chercher le commandant Pizzi.

« - Pizzi ! Dites, avez-vous le commandant Pizzi, le gardien du port ? demanda-t-il à un marin aux prises avec une poutrelle envahissante.

- Pizzi ? La dernière fois que je l’ai vu, il était du côté gauche de la digue. Avec le marquis.

Onatti le remercia. Avant qu’il ne parte, le marin lui lança avec un clin d’œil :

- Quel homme ce marquis. Sans lui, je ne préfère pas imaginer où nous serions ! »

Onatti se dirigea dans la direction indiquée. En effet, à l’extrémité gauche de la digue, là où le mur de boue rejoignait la haute falaise, il aperçut la frêle silhouette de Pizzi, discutant avec l’honorable marquis de Caradras, dont l’uniforme était à peine tâché. Il se joignit au petit groupe. Pizzi l’accueillit chaleureusement :

« - Ah ! Te voilà, Onatti ! J’ai eu peur pour toi, je ne t’ai pas vu pendant la catastrophe. Heureux de voir que tu t’en es sorti !

- Moi aussi Pizzi, j’ai eu peur pour toi !

Le commandant se tourna alors vers le marquis et lui dit :

- Marquis, je vous présente l’ex-capitaine Onatti. Un fameux marin, et un homme d’honneur !

- Je vous salue, capitaine ! fit le marquis en tendant sa main à Onatti.

Ce dernier, un peu gêné face à la stature quasi divine du marquis, avec ses dorures et ses médailles, répliqua avec humilité :

- C’est un honneur pour moi de vous voir !

- Il paraît que vous avez adopté une jeune femme des quartiers pauvres.

Cette question surpris Onatti, qui balbutia quelques mots inaudibles en réponse. Mais le marquis continua :

- Je vous félicite pour cet acte généreux. Cela prouve votre valeur.

- Merci, marquis.

Onatti s’inclina respectueusement, et ajouta avec empressement :

- Mais ce que vous avez fait durant cette tempête vaut mille fois ma bien piètre aventure.

- Il n’y a pas de petit mérite, capitaine. Vous le savez bien. »

Le marquis avait retrouvé une certaine froideur militaire dans cette dernière réplique. Onatti prit presque peur de ce regard autoritaire.

Sur ces entrefaites arriva la jeune Angelina, fille du marquis. Elle marchait au milieu des décombres avec la grâce d’une nymphe sortit des eaux, posant ses petits pieds pour ne pas salir. Elle portait une longue robe de lin blanc, presque transparente, ses cheveux tombaient en cascade sur ses épaules, et elle tenait dans sa main une ombrelle faisant office de parapluie. Arrivant près du petit groupe, elle se jeta dans les bras de son père :

« - Bravo papa ! Vous avez encore vaincu la mer !

Puis, elle se tourna vers Onatti et Pizzi et leur prit les mains :

- Et bravo aussi à vous deux, je ne doute pas que vous avez été courageux ! Quand je vois vos redingotes sales et vos chausses maculées de boue ! Et vos mains, là, ce ne sont pas des égratignures que je vois ?

Elle se pencha sur la main noueuse de Pizzi. Le vieux gardien du port lui sourit :

- Merci bel enfant. Mais ce dut être difficile pour vous, aussi, éprouvant, sans doute.

- Oui ! lança-t-elle en écarquillant les yeux. Je n’ai pas pu dormir à cause du bruit, et ce n’était pas agréable que de rester cloîtré chez soi, dans cette chambre glauque aux volets cloués de planches… c’était vraiment nécessaire papa ?

Elle avait pris un petit air suppliant, et faisait une moue attristée et néanmoins espiègle vu la situation.

- Oui, ma chérie, sinon, le vent serait venu détruire les carreaux.

- Hé bien, s’il le fallait… Mais tout de même, ce n’était pas drôle…

Puis, reprenant un sourire ensoleillé, elle lança à son père :

- Tu vas faire un discours, papa ? Qu’ils voient bien tous que tu les as sauvés !

- Oui, ma chérie. Je vais tous les féliciter pour leur courage et leur ténacité. Je suis fier des habitants de Gilliano.

Il se tourna vers Pizzi et lui ordonna :

- Allez raccompagner ma fille à la maison, je vais rassembler la population. Et vous capitaine Onatti, bonne chance, et bon courage ! »

Onatti resta seul. Il vit d’un côté Pizzi repartir en minaudant avec l’adolescente, et de l’autre le marquis s’élançant vers la gloire. Il se tiendrait là, au sommet de la digue, faisant face aux habitants qui l’acclamerait, et les féliciterait avec ardeur. Les nouvelles couraient vite dans la ville, il y avait peu de morts, moins d’une dizaine, et les blessés étaient efficacement soignés. La foule serait transportée alors d’un sentiment de victoire, de grandeur, de toute-puissance. Mais Onatti ne s’intéressait pas à ce discours. Il avait des choses plus urgentes à faire. Il fila vers l’intérieur de la ville.

Dans les rues dévastées, des habitants s’affairaient pour tout ranger. On constatait les dégâts, on riait parfois, pour se moquer de cette « ridicule » tempête, arguant qu’on avait connu bien pire à Gilliano. Onatti courait sans s’en apercevoir. Il arriva en vue de sa villa. Par miracle, tout semblait intact de loin. Les planches du premier et du second étage avaient tenu, et le toit paraissait quasiment intact – peut-être quelques trous sans importance, le grenier était sans doute inondé mais il ne s’y trouvait rien d’important. Il visait surtout la fenêtre de la chambre de Francesca, même s’il ne pouvait pas la voir de là où il arrivait. Il espérait alors que tout allait bien.

Il accéda ainsi à la porte, et sursauta. Elle avait été complètement défoncée. Il s’approcha pour constater les dégâts. La porte, en effet, se trouvait quelques mètres plus loin dans la rue. Elle avait été emportée par le vent. A l’intérieur, les meubles qui devaient servir à la bloquer étaient sur le côté, effondrés. Un flot d’argenterie s’écoulait d’une commode en ébène. Le salon était entièrement dévasté par la pluie, les tentures servant de tapisseries rongées par l’acidité de la pluie et les étagères de bibliothèques couchées au sol à cause de la force du vent. Des tableaux était éventrés, dispersés sur le sol, la grande table centrale avait valsée contre la porte de la cuisine. Onatti regarda la porte qui gisait sur le trottoir. Elle avait été non pas dégondée, mais comme arrachée, par un bélier. Il y avait un immense trou en son centre comme la marque d’un boulet de canon. Onatti s’en étonna. Qu’est-ce qui avait pu causé un tel impact ?

Mais il y avait plus urgent. Il s’élança dans l’escalier et l’escalada quatre à quatre. Le palier était désert et silencieux. Il s’arrêta pour écouter, à l’affût d’un bruit suspect. Mais rien, rien d’autre que la tintinnabulis de la pluie sur les tuiles. Il frappa à la porte de la chambre de Francesca et l’appela par deux fois. Comme il n’avait aucune réponse, il entra le cœur battant.

Francesca se tenait sur son lit, recroquevillée sur elle-même, serrant entre ses bras ses genoux dénudés. Elle tremblotait et posait sur Onatti un regard effrayé, terrorisé. Le capitaine se précipita vers elle et la serra dans ses bras. Il l’entendit sangloter sur son épaule.

« - Ne pleure plus, c’est terminé. L’orage est passé, n’entends-tu pas ?

Mais elle continuait de sangloter, sous le choc. Onatti s’en inquiéta :

- Que s’est-il passé ? Tu as eu peur à cause de la porte arrachée ?

Elle apposa des mots les uns à côté des autres, prise de spasmes :

- Ils… ils sont.. venus… Oui…

- Qui ?

Onatti la fixa de son regard paternaliste. Elle reprit peu à peu ses esprits en voyant le visage rassurant du capitaine :

- Je les ai reconnus. J’entendais des vois, au-dehors. Des gens discutaient sous ma fenêtre. Et on a frappé à la porte. J’ai fait comme tu as dit, je n’ai pas ouvert, en me disant qu’ils partiraient. Soudain, j’ai entendu comme un grand fracas, et là, j’ai compris : ils essayaient de défoncer la porte. Avec un tronc d'arbre, où je ne sais quoi.

La parole la libérait. Un torrent de mots sortit de sa bouche comme l’onde limpide d’une source :

- J’ai pris peur, je savais, je me doutais pourquoi ils étaient venus. Pour moi. Je n’avais pas besoin de les voir pour comprendre. Il m’a fallu chercher une cachette pour les enfants, tout d’abord. Par chance, j’avais déjà remarqué que l’armoire avait une sorte de double fond, et je les ai planqué là. Pietro pleurait encore quand je suis sorti de la pièce. J’ai prié pour qu’il cesse de pleurer, pour qu’ils ne les trouvent pas ! Et j’ai couru alors pour me sauver moi. J’entendais leur voix au rez-de-chaussée. Je crois bien qu’ils m’ont vu m’enfuir vers le second étage. J’ai juste pu saisir la trappe qui menait au grenier, l’escalader à toute allure et me cacher là-haut. J’entendais leur pas précipités dans l’escalier, et leurs voix, leurs voix qui ne trompaient pas. Je reconnus le ton éraillé de Girolamo, un des plus féroces hommes de main de Lupo.

Onatti soupira. Il avait peur d’avoir bien compris la situation.

- Au grenier, j’ai vu qu’il y avait une tuile détachée, et que la pluie pénétrait par cet endroit. Mais au moins, je me sentais plus en sécurité que dans la maison. Mais j’entendais leurs voix, plus fort encore à mes oreilles que le tonnerre, la pluie et le vent réunis. Ils durent comprendre où je me trouvais, et je pris peur, je hurlais. Là, la chance m’a sourit. Une branche d’arbre énorme a déboulé, crevant le toit, et bloquant la trappe définitivement. Ils ont bien essayés de l’ouvrir, mais leurs efforts furent vains.

« J’ai du attendre si longtemps dans ce grenier. Au-dessus de moi, les éléments se déchaînaient. Quand je voyais la foudre au loin, je priais pour qu’elle ne tombe pas sur moi. La pluie chaude me fouettait la peau, et l’eau atteignait bientôt mes chevilles. Au bout d’un moment, je ne pouvais plus rester. Je déplaçais le tronc d’arbre, rendu plus léger une fois submergé par l’eau, et j’ouvrais la trappe, en espérant qu’ils soient partis, et qu’ils ne me guettent pas, dans l’ombre d’une porte. Je serais bien resté, mais il fallait que je trouve les jumeaux. Que je sache ce qui leur était arrivé. Je descendais les escaliers à toute vitesse vers ma chambre. Les deux sbires de Lupo étaient partis.

Onatti la pressa soudain, la secouant un peu :

- Et les enfants ?

- Je les ai trouvés, sain et saufs. Pietro ne pleurait plus, et Federico m’attendait. Ils dorment dans le berceau.

Onatti serra Francesca contre sa poitrine. Il sentit les larmes venir à ses yeux, et ne pu se retenir de pleurer. Il étreignait Francesca, pour constater une fois encore qu’elle était bien vivante. Si la décence ne lui avait pas empêché, il l’aurait bien embrassé avec amour.

- Je n’aurais jamais du te laisser seule… Tu as été courageuse, je suis fier de toi !

- J’ai peur, Beppo… J’ai peur qu’ils reviennent…

Onatti sanglota, puis retira son étreinte. Puis il la regarda dans les yeux :

- Je pense savoir qui peut nous aider… »

Dehors, le miaulement du vent se fit entendre. La ville s’enfonça encore plus dans la nuit.

Modifié par Mr Petch
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et sur les quais et l’océan

Il y a un "et" que tu pourrais éviter.

carton

Je ne sais pas depuis quand c'est inventé mais là ca me parait quand meme plus recent par rapport à l'epoque.

Bon, c'est tout ce que j'ai a noter sur la forme ! J'ai meme pas reussi à trouver une faute de frappe ou d'orthographe :wub:

Bon venons en au fond. Celui est pas trop mal et je n'ai que deux remarques. La première est que il faut que tu ralentisse le passage de la tempete. Je sais que ca montre la precipitation, je sais que ca crée un contraste avec le retour a la normal mais on comprend pas trop et tu perds pas mal de détails au passage..

Sinon, la deuxieme concerne la suite :D J'arrive pas a savoir qui sont ces gens meme si j'ai une toute petite idée !

Allez suite !

@+

-= Inxi =-

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Bon ben moi je poste surtout pour dire que je continus à lire :wub:

Quand aux critiques, c'est toujours les mêmes qui se répète alors à quoi bon? :D

Bon franchement, j'adore toujours autant et j'attend vivement l'intervention des hommes-lézard car je suis sur qu'il y en aura une, on en entend trop parler depuis le début.

Alors @+ :D

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Invité Harald Durakdammaz

je vais juste me contenter de monoligner : bravo! J'adore ce texte, et dès que je peux je vais lire la suite... Félicitations ! J'apprécie beaucoup ton style, et surtout l'atmosphère que dégage ce récit.

Vivement le prochain épisode !

Harald Durakdammaz Grumbakirikson, nain pressé

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Invité Mr Petch

Note: une suite, plus courte car j'en ai profité pour éditer le postage précédent, la scène de la tempête méritant en effet d'être élargie et donc améliorée.

*

Lupo donnait des ordres dans une petite pièce sombre. On ne voyait que sa silhouette mince de furet et sa voix aiguë et injonctive dans le silence.

« - Toi, transporte-moi cette caisse dans le salon privé. Et ce tonneau, là ! J’avais dis de le virer dans les cuisines !

Une jeune fille vêtue d’une robe à traîne pourpre fit son apparition, une bougie à la main. La flamme dessinait des figures flottants à la surface du tissu fin, et laissait apparaître certaines parties du corps de la demoiselle par transparence. La forme allongée du lumignon mettait en valeur l’ovale de son visage et ses cheveux tressés et tirés en arrière jusqu’à former une longue et unique natte blonde. Sa peau avait la pâleur du lait, à l’exception de petites joues rendues roses, peut-être par l’agitation de la tempête qui venait de se terminer.

- Ah ! Ma chère Giovanna ! Tu es toujours la première à m’aider.

Lupo caressa de façon obscène le dessin des hanches de la jeune fille. Elle lui sourit, comme pour s’assurer que tout cela n’était qu’un jeu, malsain peut-être.

- Va donc allumer les autres bougies dans le reste de la pièce, que nous puissions voir tout ce qui se passe. Ce devrait être le grand salon ! Avec toutes les dorures, les tapisseries, les objets de luxe que j’ai acheté. Et regardez ! On dirait une cave malfamée, vide et sombre, à cause des planches clouées.

Puis, il ajouta hystériquement à travers la pièce :

- Qui devait me retirer ces fichues planches ? Si ça trouve, le jour est levé et je n’en sais rien.

- Non, seigneur Lupo, le jour n’est pas levé.

Lupo toisa l’homme qui devait lui parler. Un jeune garde fraîchement arrivé, qui n’avait pas encore seize ans. Le frère cadet d’une des filles, des enfants orphelins que Lupo avait « amicalement » recueilli.

- Alors prouve-le moi en retirant ces planches. »

Le jeune homme trembla mais obéit face au regard d’aigle de Lupo.

Le propriétaire de la maison close sentit une présence derrière lui, un linge fin lui caressait l’épaule. il sentit le souffle froid de la voix de Giovanna lui murmurer à l’oreille :

« - Tu n’es pas trop fatigué, Lupo ? Peut-être devrais-tu aller te reposer ?

Entre les lèvres rehaussées de teinture pourpre, ces mots avaient une connotation quasiment érotique. Le petit homme répondit sur le même ton doux, mais toujours aussi grinçant :

- Tu es bien gentille de te préoccuper de ma santé. Mais va plutôt chercher les autres filles. Il en manque ! Il en manque encore et toujours ! Toutes ne sont pas comme toi… aussi belles que dociles… »

La jeune fille émit un petit rire discret, et s’éclipsa par la porte.

Lupo chercha un fauteuil pour s’asseoir. Le bruit provoqué par l’adolescent qui retirait les planches le perturba, il râla un peu avant de s’affaler dans le coussin moelleux du fauteuil, les deux mains fermement posées sur les accoudoirs. Il sourit. Par chance, la tempête de la journée avait fait très peu de dégâts à son lupanar. Il était assez éloigné du port pour que es principaux dangers soient amortis par les autres bâtiments peu solides, sur lesquels le vent s’acharnait au lieu de s’attaquer à la masure solide qu’il s’était fait construire. Les murs étaient à peine craquelés, et seules deux fenêtres au troisième étage n’avait pas tenues le coup. Lupo s’en félicita intérieurement.

Un de ses hommes de main s’approcha alors de lui, un peu tremblant, et lui annonça d’une voix mal assurée :

« - Il y a quelqu’un qui voudrait vous parler, seigneur Lupo…

Lupo le regarda avec mépris, et lança :

- Dis-lui de partir, j’ai assez de travail comme ça.

L’homme resta immobile, regardant tout autour de lui, comme perdue dans ses pensées. Voyant cela, Lupo l’interrogea d’un ton âpre :

- Qu’est-ce qu’il y a ? Vas-y, andouille !

- La personne a bien insisté… C’est…

L’homme se pencha et murmura quelque chose à l’oreille de Lupo, qui le fit sursauter, et dessina un ride hideux sur son visage angulaire.

- Mouais… Fais la entrer. »

L’homme quitta vite la pièce et repartit dans l’entrée. Lupo s’assura du regard qu’il ne restait pas de chaises pour s’asseoir dans la pièce, il disposa les bougies de façon à mettre son interlocuteur face à la lumière. Puis revint s’asseoir dans le fauteuil confortable.

La silhouette massive de Miranda entra dans la pièce. Lupo fixa son regard décidé, mais s’en détacha vite, craignant de se trahir. Il se trouvait dans l’ombre et comptait bien en profiter. Miranda chercha une chaise du regard, mais, constatant qu’il n’y en avait aucune, resta debout face à Lupo.

« - Je suppose que tu connais le but de ma visite.

- Non répondit sèchement Lupo. Parle.

- Francesca. Je t’avais dit de la laisser tranquille.

Lupo fit semblant d’être étonnée.

- Ah ? Et alors, je l’ai laissée tranquille.

Miranda s’avança brusquement, elle s’approcha tellement de Lupo qu’elle quitta la zone enluminée parles bougies, et elle ne devint plus qu’une ombre surplombant la face inexpressive de Lupo.

- Tu sais très bien ce que je veux dire. Ne fais pas l’innocent. Deux de tes hommes sont venus la chercher pendant la tempête. Je peux même te dire que l’un d’eux étaient Girolamo.

- Je…

Lupo, ne tenant plus ses nerfs, cria :

- Girolamo ! Manolete !

Miranda entendit des bruits de pas lourds sur le sol derrière elle, mais ne réagit, elle continuait de fixer le regard fuyant de Lupo.

- Je te rappelle que nous avons un contrat. Je ne dis rien aux autorités de tes trafics. Je me tais auprès des familles qui pensent que les filles sont ici comme des princesses, alors que tu leur en donnes la parure mais leur en retires la vertu. En échange, je répare tes bêtises.

Lupo souffla et ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt, comme une bête prête à mordre. Miranda ajouta :

- Je suis la seule femme dans cette ville capable de les faire avorter sans les tuer. Tu n’as pas le choix, c’est tout. Alors j’ajoute une ligne de plus au contrat : tu laisses Francesca tranquille, sinon, je dis tout aux intéressés. Le marquis de Caradras m’écouterait sans doute avec la plus grande des attentions.

- Si tu fais ça, lança Lupo comme un serpent crachant son venin, je te tue sur le champ de mes propres mains !

Miranda fondit sur Lupo en un instant, et le cloua par les épaules contre le dossier du fauteuil. Il eut un regard surpris. Derrière l’accoucheuse, un des gardes accourut et faillit la tirer par le col. Mais Lupo l’arrêta :

- Non, attends Manolete. Conduis poliment cette dame jusqu’à la sortie.

Miranda relâcha un peu son étreinte, Lupo continua :

- D’accord, je ne m’occupe plus de Francesca. Je te concède ça. Mais méfie-toi tout de même, vieille chouette.

Miranda se remit dans la lumière et suivit Manolete. Lupo chercha du regard Girolamo, qu’il avait appelé. Il n’était pas là. L’accoucheuse dut s’apercevoir de ses manœuvres car elle lança en guise de salut :

- Si tu cherches Girolamo, je l’ai vu entrer avec Giovanna dans la chambre jaune. »

Lupo tiqua à cette remarque, mais Miranda avait déjà disparue.

Les couloirs de la masure étaient toujours sombres. On entendait toujours le jeune garçon qui s’échinait à retirer toutes les planches. Lupo avançait à grands pas, bousculant les hommes qui travaillaient pour lui. Il arriva dans la chambre jaune et l’ouvrit dans seul coup.

La première chose qu’il vit fut Girolamo, allongé sur le dos, sur le grand lit à baldaquins aux tentures jaunes, qui le regardait du regard hagard des drogués. Giovanna, qui le surplombait, entièrement nue sous les draps de soie s’était retournée presque en même temps, et son visage de poupée de cire s’était figée dans une expression d’horreur intense.

Lupo était devenu complètement rouge, il vibrait de colère et sa main droite s’était crispée à sa ceinture. Girolamo se dépêcha de sauter du lit pour trouver ses habits, Giovanna était paralysée par la terreur. Mais avant que l’homme nu n’ait pu trouver ses vêtements, Lupo sortit son pistolet de sa ceinture, et, avec un geste ample et violent tira un grand coup qui tonna dans la pièce sombre. Giovanna poussa un cri. Cette fois, ce fut Girolamo qui se trouva immobilisé, allongé au sol sur le ventre, un mince filet de sang s’écoulant de sa chair au niveau de l’omoplate. Lupo se mit alors à hurler de toutes ses forces, et même pour lui qui criait souvent, il y avait dans cette vois tout un cortège d’émotions contradictoires, de la colère, mais aussi de la peur et de la frustration, comme si par le canon du pistolet était sorti toute ses émotions contenues :

« Espèce de saleté ! Pourriture ! Déchet humain ! Non seulement tu ne trouves ni la fille, ni les gamins, mais en plus, tu te permets de baiser mes filles sous mon toit ! Cretino ! Brutto shifoso

Lupo était devenue une boule de nerfs. Il vociférait des insultes, en sautant à pieds joints sur Girolamo qui agonisait sur le sol. Le tapis jaune citron commençait à prendre un teinte rouge écarlate. Aux cris hystériques de Lupo s’étaient joints les hurlements suraigus de Giovanna, et les rumeurs des hommes de main et des femmes qui avaient accourus, attirés par les cris comme des mouches autour d’un tas d’immondices. Tous étaient épouvantés, des soupirs s’élevèrent lorsqu’on entendit craquer les os de Girolamo, dont les plaintes étaient largement étouffés sous le vacarme incessant.

Et puis Lupo s’arrêta, essoufflé, débout sur Girolamo. Il brandit son arme vers l’homme :

« Tu ne mérites même pas d’agoniser tellement tu transpires la bêtise et la stupidité »

Le coup partit. La balle vint frapper le crâne de Girolamo qui explosa sous les yeux horrifiés des témoins. Giovanna hurla de plus belle. Et puis, tout doucement, reprenant son souffle, Lupo enjamba le cadavre, évitant la flaque de sang qui s’était formée sur le tapis. Il rangea son arme à sa ceinture. Son regard injectée de sang, profondément bestial retrouva son calme initial. Il nettoya une tache de sang sur sa veste d’un geste de la main, et lança à l’assemblée :

« Giovanna et les autres filles, vous nettoyer la pièce, je veux qu’elle soit propre avant le lever du soleil. Et sinon, des volontaire pour porter le corps. On va le jeter dans l’océan. Il s’est prit une poutre pendant la tempête et il est tombé à l’eau. Compris ? »

En même temps que son calme, il retrouva son autorité. Tous étaient terrorisés comme des lapins entre les mains d’un loup féroce. Son regard fit le tour de l’assemblée qui s’éparpilla comme une volée de moineau, obéissant à ses ordres.

Modifié par Mr Petch
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parles

Une petite faute de frappe :wub: Mais sinon c'est que du bon et du parfait ! Une grande maitrise quand on voit que tu travailles sans l'aide de correcteur orthographique ! Bon bah comme d'hab : perseveres :D

Le fond, je n'ai pas trop de reproches, il faudrait plus insisté sur le caractère cruel du personnage au debut, il est presque gentil. Par contre, à la fin, c'est vraiment comment on l'imagine ! :D Sadique !

Après, ce paragraphe introduit plus un nouveau personnage qu'il ne fait avancé le texte malgré la présence du pacte entre les deux qui a mon avis ne durera pas ! Bon, je suis à court de truc à dire, mis à part l'éternel : suite !

@+

-= Inxi =-

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« Espèce de saleté ! Pourriture ! Déchet humain ! Non seulement tu ne trouves ni la fille, ni les gamins, mais en plus, tu te permets de baiser mes filles sous mon toit ! Crétin ! »

Tu aurais dus mettre les injures en italien, ça aurais rendus tellement mieu :wub:

je veux qu’elle soit nickel avant le lever du soleil

Nickel fait un peu tache dans le récit, j'aurais plutôt dit impeccable ou un truc du genre.

Voila c'est tout, j'ai rien de constructif à dire alors j'en resterai là ( :D )

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Invité Mr Petch

Note: Il est possible que dans les jours qui viennent, je stoppe brutalement la saga pour me reposer un peu. Ne vous étonnez donc pas si jamais une longue absence survient ! :) Sur ce, bonne lecture... 'j'ai modifié certains points relevés par Otaji au passage :skull: )

*

Tous avait déjà oublié les méfaits de la tempête. Les graves blessures s’étaient refermées : on avait réparé les toitures, reconstruit les pans des murs écroulés, nettoyé les rues des déchets répandus, réhabilité le port et le quai. Pendant près de trois mois, tout le village de Gilliano n’avait été qu’un immense chantier sous l’égide du marquis de Caradras, qui épaulait et finançait de nombreux travaux. Le bonheur était peu à peu revenu dans les âmes meurtries par la cruelle expérience du déchaînement des éléments, et l’on en riait à présent que tout les habitants pouvaient s’affranchir de la crainte d’avoir tout perdu. Certains racontaient leurs mésaventures en forçant le trait, décrivant des combats épiques entre eux et les flots, des scènes dramatiques intenses, traduisant par le verbe des émotions qu’ils n’avaient même pas ressentis, inventant, créant, autour de la simple évocation d’un nom toute une histoire tout droit issue de leur imagination. Les habitants de la petite cité tranquille s’étaient faits poètes, conteurs, artistes, pour que jamais ne se perde la mémoire de cette grande victoire de l’homme face à la nature. On avait déjà oublié les craintes initiales, on avait oublié les histoires de dragon ensommeillé, d’elfes cruels ou de dieux vengeurs, et les légendes évoquant des créatures-lézards commandant aux choses de la nature avaient été rangé au placard des croyances absurdes. Protégés à présent de tout ce qui avait pu l’effrayer, les habitants en oubliaient tout leur mythes et s’abandonnaient dans des récits glorieux et épiques, ou l’héroïsme humain était exacerbé, loué, ou la nature était réduite à l’état d’ennemi asservi.

Les bars étaient plein à craquer de ses hommes et de ses femmes qui, entre deux verres de rhum, improvisaient des chants fabuleux et optimistes. La joie de vivre était pour de bon revenu à Gilliano, le soleil brillait, haut et fier dans un ciel dégagé de toute menace, les falaises érodées réapparaissaient, solides et volontaires, montrant bien haut le fanion de leur végétation florissante, des orchidées rouges, des fleurs de pavots rosées, des arums déployants leur longues corolles jaunes aux rayons du soleil, des magnolia, des rhododendrons, des actinidias dont les fruits, de savoureux kiwis à la texture douce, tombaient déjà des branches sur le sol – il n’y avait plus qu’à se baisser pour les ramasser et se réjouir de leur chair pulpeuse et juteuse, légèrement acidulée et poivrée qui évoquaient la fraîcheur de la vie – et l’on voyait des rangs entiers de passiflores pousser d’eux-mêmes au bord des précipices rocheux, bravant le vide et s’en suspendant par leurs crampons au-dessus du gouffre, et étalant leurs fleurs à la splendeur de corolle violacée et végétale. Ces prolongations fleuries de la jungles, qui s’étendaient comme les grandes ramifications d’un arbre gigantesques et venaient frapper au seuil de la cité n’effrayaient personne, et faisait rêver par leur beauté.

Dans les assiettes et dans les étals des marchands, c’était un véritable arc-en-ciel, des papayes, des goyaves, des fruits de la Passion, des épis de maïs gros comme le bras, des tomates juteuses et des sacs de patates douces. C’était la saison des cueillettes. Tous les habitants y participaient, même les plus pauvres des quartiers défavorisés, exploités certes par les riches bourgeois mais participant aux réjouissances. Et il y avait aussi l’odeur de la canne à sucre fraîchement coupée qui bouillonnait dans les cuves exhalant une odeur enivrante de rhum. Beaucoup de ces produits devaient partir pour la Tilée, et cela augmentait l’arrivée des navires, qui s’arrêtaient bien souvent longtemps pour se reposer avant de repartir, leurs cales abondant de denrées fruitées et odorantes. La cité de Gilliano n’était alors plus cette parcelle de terre tiléenne transportée à des milles de distance et oubliée par les cités-états, elle devenait le grenier exotique de toute une nation, la fierté d’un peuple, et abondait de commerçants tous plus riches les uns que les autres, prompts à payer des fortunes pour goûter à ces fruits extraordinaires et féeriques. On les voyait défiler dans les rues, s’arrêtant à chaque boutique, non pour regarder, mais pour acheter. On leur parlait, on les poussait à évoquer et à flatter la Tilée, pour le souvenir des origines – même si une grande partie des habitants de Gilliano n’avait jamais mis les pieds dans leur nation d’origine. Tout le monde souriait, tout le monde était heureux. On pouvait même croire parfois que les pauvres allaient pouvoir quitter leur précarité, et même s’il n’en était rien, ils en rêvaient en voyant tout ces riches parcourir leur rues. Saison de l’espoir à Gilliano, on oubliait la tempête, on oubliait la jungle et son cortège de peur. Pire, on la bravait en se réjouissant sur son territoire.

Dans le foyer d’Onatti, dans cette petit villa aux tuiles rouges, on partageait aussi cette joie. Pietro avait fait ses premiers pas sur deux jambes, il se lisait dans ses yeux une fierté intense d’avoir réalisé un tel exploit. Dès à présent, il fallait le surveiller, faire attention qu’il ne décide pas d’aller explorer toute la maison. Federico, lui, était plus tranquille, plus posé. Il en était encore à la phase d’observation, scrutant le monde de ses deux yeux inquiets. Il était aussi parvenu à se mettre debout, mais plus tard que Pietro, et avait ressenti cette découverte comme l’arrivée de nouveaux soucis : il mesurait et évaluait chaque pas avec une rigueur mathématique étonnante et évoluait prudemment. Francesca et Onatti s’amusait de ces deux bambins aux aptitudes étonnantes. Les jumeaux poussaient les deux adultes à se montrer heureux de vivre, et ils y croyaient presque. Francesca en oubliait ses déboires avec Lupo, qui ne semblait plus donner signe de vie depuis son dernier assaut pendant la tempête, et Onatti riait enfin, après tant d’années de solitude et d’une vie morne dans le souvenir de sa femme et de sa formidable vie de marin. C’était une nouvelle vie qui commençait enfin pour lui, en compagnie de Francesca, de Pietro et de Federico, qu’il aimait à appeler « ses trios enfants ».

Ce soir-là, à l’heure où les rues se vidaient, où les marins, trop saouls pour rentrer à leur bateau, montaient se coucher dans les chambres des auberges du port, il y avait encore de la lumière à la fenêtre de la chambre de Francesca. Elle avait été rebaptisé « chambre rouge » depuis que la jeune femme avait demandé à Onatti de faire fabriquer par Luigi Pozzo, le drapier, des grand rideaux rouges en soie pour pendre à la fenêtre. Elle aimait se réveiller avec la lumière du soleil arrivant teinte de reflets sanguins sur le visage. Et cette nuit-là, donc, la chambre rouge était illuminée de l’intérieur, comme une petite loupiote dans le firmament de la cité.

Francesca était allongée sur le lit, vêtu d’une simple robe blanche très fine, un grand sourire éblouissant son visage. Contre sa poitrine se trouvait Pietro, blotti contre les seins comme contre un oreiller moelleux, béat et admiratif. En face, Beppo Onatti, sur sa chaise, un livre à la main. La reliure était simple et usée, et on pouvait lire sur la couverture Journal de bord. Les usures n’étaient pas que celles du temps, mais aussi celles de la mer et du voyage. Federico était assis sur les cuisses épaisses du vieux capitaine et l’écoutait avec une ferveur toute religieuse. Et Onatti parlait dans le silence, lisant à la lumière d’une lampe à huile suspendue au-dessus de son crâne. Il lisait à peine ses notes, comme si chaque détail de ses expéditions était gravé, là, quelque part dans son esprit.

« - J’eus à peine le temps de rejoindre les barques abandonnées sur la plage, je voyais tout autour de moi mes compagnons d’infortune courir en tous sens, et j’entendais derrière les hululements féroces des combattants arabiens. Ce fut la débandade dans nos rangs alors qu’ils nous abattaient à distances avec leurs sagaies, et nous fûmes peu à rejoindre le bateau. Mais moi, j’étais sain et sauf, et j’avais appris que dans certaines conditions, il est bon de ne penser qu’à soi…

Il referma le livre en le faisant claquer, laissant un peu de poussière s’échapper dans l’air. Francesca souriait avec admiration.

- C’est incroyable comme tu as pu avoir une vie trépidante, Beppo.

Le vieux capitaine sourit à son tour, en réponse. Un sourire un peu amer mais néanmoins assez gai, comme l’exigeait la situation. Et puis Francesca, caressant le crâne brun de plus en plus chevelu de son fils, lança :

- Mais parle-moi de Giacomo.

Beppo fut surpris de cette demande, il posa tranquillement le livre sur la table de chevet, puis parut réfléchir.

- Je t’en ai déjà parlé, assez à mon goût…

- Je veux savoir plus de choses ! S’il te plait !

Elle le suppliait comme une gamine capricieuse, jouant du charme de ses yeux de poupée. Beppo était bien embêté – quel sentiment l’animait alors ? la crainte, la jalousie, la pitié ? – mais il croisa alors le regard accusateur de Pietro et répondit :

- D’accord, je vais te parler de Giacomo.

Il prit sa respiration. Pietro se carra entre les seins de sa mère.

- Il ressemblait peu à son père. Plutôt à sa mère, une femme orgueilleuse et cruelle. Elle était morte lorsqu’il avait seize ans, et à cet âge-là, les enfants ont besoin de reconnaissance. Il l’avait trouvé en s’adonnant au plaisir de la vie mondaine, en se montrant dans les banquets, dans les soirées et les fêtes. Je me souviens qu’il était connu à Remas comme le plus jeune coureur de jupons de la ville, mais aussi le plus doué. A vingt ans, on lui attribuait déjà une centaine de conquêtes féminines. Il avait fait de sa séduction un art de vivre, et avait atteint un degré de charisme et une réputation insensée. Le condottiere de Caglioscoli n’était d’ailleurs pas vraiment fier de lui, mais comme c’était son fils, il l’aimait et le laissait faire.

« Je me souviens de l’affaire des parfums de Luciano qui avait défrayée alors la chronique et donnée matière à d’énormes ragots. Une confrérie de marchands de Luciano avait fait passer en fraude dans toute la Tilée des fioles de parfums en affirmant qu’il s’agissait d’extraits de grenadille, ce qui triplait leur prix. De nombreux commerçants de Remas étaient mouillés dans cette histoire, pour avoir contribué à la circulation de ces marchandises illégales. Beaucoup furent condamnés et chassés de la ville. Une des rumeurs disaient que Giacomo Caglioscoli avait organisé des ventes de ces produits lors de nombreux dîners mondains, en prenant bien entendu un pourcentage sur la recette, et que son père avait « forcé » les magistrats de Remas à étouffer l’affaire. Comme toutes les rumeurs, certains y croyaient et d’autres non, et il était impossible de la vérifier. Alors elle circulait, mais comme il s’agissait d’une rumeur et que le condottiere était célèbre dans la ville, elle disparut bien vite. Seulement, à l’inverse de toutes les autres rumeurs, elle était vraie, et je le savais car ça avait été un immense sacrifice pour Caglioscoli que de corrompre les juges, il ne s’en était pas remis et c’est à cette époque qu’ont commencé ses problèmes de santé.

- Et à présent, qu’est-il devenu, Giacomo ?

- Je l’ignore. Lorsque nous avons regagné Gilliano avec ce qui restait de l’expédition – nous étions cinq : un était atteint de la fièvre des marais et l’autre avait sombré dans la folie – nous ne nous sommes pas posés de questions et nous avons embarqué dans le premier navire pour la Tilée. Le malade a succombé à sa fièvre durant la traversée, et l’armateur a bien failli nous jeter à l’eau parce qu’il craignait la contagion. Nous sommes rentrés sains et saufs à Remas, et je suis allé annoncer au condottiere la disparition de son fils. Je ne l’avais pas vu mourir mais pour moi, il était mort. Et lorsque je suis reparti de Remas jusqu’à Gilliano, il n’était pas rentré et Caglioscoli en a tiré de funestes conclusions qui l’ont fait mourir de chagrin. J’ai quitté Remas avec ma femme peu de temps après. Depuis, je serais bien incapable de vous prétendre qu’il est en vie. Il ne faut pas non plus se faire des illusions, Francesca.

- Je le sais, répondit-elle simplement. Je ne m’en fais plus, tu le sais bien.

- Tant mieux alors. Il vaut mieux que tu tires un trait sur Giacomo. La mort de sa mère l’a beaucoup affecté, et il en est devenu suffisant, prétentieux, irascible. Il avait en lui le même instinct que son père, celui qui pousse à la réussite, mais il l’a utilisé égoïstement, il a ruiné son père au sens propre comme au figuré. La vie lui avait forgé un caractère en oubliant de lui donner de la compassion, il ‘était incapable d’éprouver des sentiments réels. Je n’ai pas à le critiquer, ni-même à lui en vouloir, il est excusable. C’est pour cela que tu dois l’oublier, car je ne veux pas que tu le haïsses parce qu’il t’as abandonné…

Francesca prit un air plus peinée :

- Tout de même… Il m’a considéré comme… comme un objet de plaisir…

- Tu as juste eu le tort de t’attacher à lui, tu es en colère car tu as cru voir de la sincérité là où il n’y avait que de la froideur. Cet homme portait en permanence un masque pour cacher ses sentiments. J’ignore même s’il pouvait en avoir, mais dans le fond, peut-être… »

Francesca se tut, un peu déçue. Pietro se blottit de plus belle contre elle et commença à fermer les yeux.

Et puis, lentement, la jeune femme se tourna et s’appuya contre le coussin. Elle bailla un grand coup et allongea ses jambes dans toute la longueur du lit afin d’être à l’aise. Beppo la vit s’endormir. Alors il se leva, alla porter Federico dans son berceau, puis tenta de saisir Pietro. Mais ce dernier lui montra les dents comme un chien en colère, allongé contre le ventre chaud de sa mère.

« Du calme, petit diable ! Je ne te dérange pas, si tu le souhaites, reste avec ta mère… »

Le vieux capitaine replia les draps blanc sur les deux corps serrés l’un contre l’autre, puis éteignit la lampe avant de sortit de la pièce.

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Invité Alberthaën

Je n'ai rien à redire par rapport à ce qui a été dit jusque là... L'histoire est vraiment prenante, et j'espère que la suite paraîtra bientôt...

Ceci dit, dans ce qui est des injures en italien que tu as ajoutées, il y a une faute...

cretinismo veut dire "imbécillité", tu devrais remplacer par "cretino"... De plus, ça fait très soft comme insultes pour quelqu'un qui vient de tuer... Je meterais plutôt "bastardo", ou "brutto schifoso"...

Voilà, c'étaient les finesses de la langue de Dante :)

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dans cette petit villa aux tuiles rouges

Il manque un "e" à petit.

« ses trios enfants »

Je crois que tu voulais plutôt dire: « ses trois enfants ».

il ‘était incapable d’éprouver

Un apostrophe en trop devant était.

Voila, pour les insultes en italien j'ai faillis t'en proposer quelques unes mais vue mon orthographe médiocre dans les langues étrangère j'ai préféré m'abstenir :skull:

Sinon ben t'est qu'un vilain, quel idée de marquer une pose maintenant, juste quand on en apprenais enfin plus sur Beppo! :)

Bon ben repose toi bien et revien nous avec une belle suite digne du début ^_^

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Bon et ben c'est pas mal !

Tu t'eclipses en laissant un beau chapitre ! Bon parlons de la forme vite fait : rien à dire à part quelques fautes de frappes déjà indiquées.

Bon sur le fond j'ai pas de remarques particulières ! Je vais juste signaler ce que j'ai bien aimé ! Donc pour commencer le passage avec les enfants qui apprenent à marcher avec celui qui regarde, qui s'informe: j'ai vraiment trouvé ca bien !

L'autre que j'ai bien aimé c'est quand tu racontes comment les gens parlent de la tempete se ventent et grossissent le truc ! C'est tellement vrai :)

Bon une suite ( dans longtemps je sais ) mais rapide !

@+

-= Inxi =-

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  • 4 semaines après...

Je m'absente un petit moment et je ne comprends plus rien à la section ! Bref, voilà la suite de la saga :wink:

Le commandant Pizzi tournait le dos à la jungle, et malgré cela, il avait l’impression que la jungle le regardait. Il n’osait pas se retourner, de crainte d’apercevoir un œil, une pupille, ou même de confondre le pistil d’une orchidée avec la pupille fine d’un quelconque observateur. Le frêle et chétif gardien du port ne se sentait pas vraiment à l’aise face aux énormes branches dont la circonférence était bien souvent dix fois plus grande que son tour de taille. Il avait donc appris à éviter le regard fatal de la forêt vierge, de faire comme si elle n’existait pas, de l’ignorer cordialement, non par mépris, mais plutôt au contraire pour lui montrer son allégeance, pour bien lui faire comprendre qu’on la considérait au-dessus de tout. Car c’était cela qu’il fallait faire avec la jungle, Pizzi, qui vivait à Gilliano depuis plus de vingt ans le savait bien.

Il avait pourtant lui aussi quelque chose de végétal. Peut-être à cause de ses os obliques et de sa peau ridée qui formait comme une surface noueuse, ou à cause de ses doigts fins dont les phalanges ressortaient sous une chair transparente et qui ressemblaient aux racines des jeunes pousses qui apparaissent souvent, à la belle saison, à la lisière de la forêt comme les favoris duveteux d’un vieux marin. Et puis il avait ce regard d’iguane, ce regard qui observent et étudie plus qu’il n’agit, pouvant rester des heures immobiles face à l’horizon, au vent et à la chaleur encramponné dans la falaise ; et puis malgré cette apparence, il pouvait être aussi vigoureux et alerte qu’une liane souple, toujours aussi vert malgré son grand âge. Pizzi était bel et bien quelqu’un de très végétal, sans doute comprenait-il mieux la forêt que quiconque, et pour cela, il savait qu’il fallait lui tourner le dos pour ne pas ombrager son orgueil et rester humblement sous la grande silhouette qu’elle projetait sur le sable blanc à l’aide du soleil.

Pizzi marchait donc à reculons pour cueillir quelques pousses de passiflore, dont les vertus médicinales étaient reconnues. On disait à Gilliano que quelques grains du pollen de cette fleur promettaient une longue et paisible vie à celui qui les consommerait régulièrement, au rythme d’un gramme par pleine lune. Le commandant y croyait, il suivait d’ailleurs consciencieusement les préceptes de cette légende et force était de constater que cela lui allait très bien. Il fallait juste accepter d’avaler ce pollen au goût tellement amer qu’il râpait la gorge et la rendait insensible aux saveurs pendant près d’une journée. Le brave commandant, armé d’une petite machette rouillée, s’échinait à détacher les grains de pollen de la fleur et les déposait dans une petite bourse en cuir couleur noisette. Ce faisant, il sifflotait entre ses dents – dont certaines étaient pourries et menaçaient de tomber – un vieil air de marin. Le vent chaud soulevait les quelques mèches de ses cheveux trop absents – une grande partie était tombé récemment, à cause d’une vague de froid qui avait déferlée – et cette chevelure blanche prenait l’apparence soyeuse des pistils plumeux des linaigrettes, ces plantes qui poussaient au bord des marais proches – où personne n’osait s’aventurer, encore moins que dans la jungle. Malgré ce vent, l’air était plutôt agréable, la mer à l’horizon s’était calmée après une grande tempête soudaine qui les avait surpris quelques jours auparavant. D’un autre côté, Pizzi bénissait cette tempête car c’était uniquement par temps humide que les passiflores s’ouvraient et qu’on pouvait ramasser le pollen. D’un geste vif, Pizzi fit glisser un peu du pollen le long du pétale jusque dans sa bourse.

Soudain, son pied cogna violemment contre un objet dur. Il poussa un petit cri aigu, et en lâcha sa machette qui retomba en silence sur le sable. Doucement et prudemment, il se retourna vers le motif de sa douleur, se massant la plante du pied à travers sa sandale. Ses deux grands yeux verts se posèrent sur un morceau de caillou gris, gros comme son pouce. Il se pencha un peu pour essayer de le saisir entre ses mains, puis s’aperçut alors que ce n’était qu’une petite partie d’un plus gros rocher. Furtivement, il jeta des coups d’œil à droite et à gauche, suspectant un éventuel guetteur – aussi bien du côté de la ville que du côté de la jungle – et finit par gratter avec ses doigts fins le sable qui enserrait le rocher comme une gangue. Il arrivait parfois qu’après de grandes tempêtes, la géographie des lieux changent, et que du sable des criques alentours viennent se déposer au pied de la jungle. Certains rochers pouvaient ainsi se retrouver complètement masqués sous plusieurs mètres de sable fin. Il continua de gratter frénétiquement, comme s’il suspectait un éventuel trésor caché sous ce monticule.

Une fois qu’il eut tout déblayé, il remarqua que le rocher faisait un bon mètre de haut, et il s’étonna de tout le sable qu’il avait charrié en un monticule assez semblable au termitière qui poussaient dans certaines clairières. Pizzi grogna un peu, comme un enfant satisfait de son œuvre, et ramassa sa machette. C’est à ce moment-là qu’il remarqua une sorte de tissu rouge qui ressortait juste sous la pierre. Toujours aussi intrigué, il se pencha pour tirer dessus. Le tissu était fermement accroché, et il ne voulait pas – et n’aurait pas pu – soulever la roche. Alors il continua simplement de gratter le sable pour arriver cette fois au niveau du tissu rouge.

Après plusieurs tentatives, il constata que le tissu rouge était une sorte de robe brodée, avec du fil doré sur les côtés. Toujours plus heureux de cette découverte, il continua. C’est là que le magot lui apparut. Alors qu’il tira violemment la robe, produisant une sorte de déchirement bref, des pièces d’or et des bijoux de valeurs tombèrent sur le sable. Pizzi resta un long moment à les observer, ne comprenant pas trop ce qui lui arrivait. Puis, méthodiquement, il ramassa les pièces et les plaça dans sa bourse à pollen. Lorsque celle-ci ne put contenir la totalité des pièces et des bijoux – des bagues, des pendentifs, des chaînettes, des bracelets, des boucles d’oreille, des diadèmes, des torques, des broches, tous d’aspect doré et satiné, luisant sous les rayons brûlants du soleil, et se confondant parmi les grains de sable mats – il pris son grand chapeau de paille et le remplit à ras-bord de ces merveilles. Ses yeux pétillaient de bonheur, il se sentait revivre avec ces bijoux entre les mains, se rappelant les épopées maritimes de sa jeunesse, lorsque l’on découvrait au hasard d’une île abandonnée ou d’un autel en ruines des flots de pièces d’or. Vérifiant qu’il ne restait rien sur le sol, il prit la robe, la roula en boule dans le chapeau et quitta la lisière de la forêt pour foncer dans les rues actives de Gilliano.

Il croisa plusieurs personnes dans sa course, certaines le saluèrent et d’autres durent s’interroger sur les raisons de cette course, d’autant plus qu’il prenait bien soin de plaquer son trésor contre ses vêtements. Mais il ne leur répondit pas, absorbé dans sa course et dans sa joie.

Il parvint à la maison d’Onatti. La seule personne avec laquelle il pouvait partager sa découverte. Il frappa plusieurs coups répétés, de plus en plus forts comme personne ne venait, jusqu’à tambouriner avec toute la violence dont il était capable. Il haletait après sa course épuisante, et continua de taper ainsi jusqu’à ce que la porte s’ouvre enfin.

Il eut un petit mouvement de stupeur. C’était Francesca qui lui avait ouvert. Certes, il avait appris avec le temps à s’habituer de la présence de la jeune femme lors de ses séjours chez Onatti. Au début, elle se cachait, restant enfermé dans sa chambre à l’étage, et Onatti parlait peu d’elle. Et puis de jours en jours, elle finit par descendre lorsque le vieux commandant venait, discutant et partageant un verre de liqueur avec les deux vieux marins, écoutant leurs anecdotes et riant de plus belle, elle apportait ainsi dans la vieille maison trop bien rangée d’Onatti une petite note de gaieté et de fraîcheur. Et Pizzi aimait beaucoup la voir rire et s’amuser avec eux. Toutefois, Onatti lui autorisait cet écarte uniquement avec son vieil ami, car il lui faisait confiance et l’appréciait énormément. Il n’aurait pas encore permis à Francesca de sortir dans la rue et de se montrer à tous. Depuis les trois ans qu’elle vivait à présent ici, elle n’avait pas du franchir le seuil de la villa. On ne savait pas si c’était par timidité ou parce qu’Onatti la cloîtrait comme une nonne dans sa chambre. Pizzi aurait plutôt penché pour la deuxième solution, sachant que n’importe quelle jeune femme normale ne supporterait pas de rester ainsi enfermée. Mais il ne disait rien, même s’il voyait que Francesca était plus que ravie de lui parler, de le voir, lui qui était un des éléments de cette extérieur où elle ne pouvait aller. Souvent, lorsqu’Onatti partait en cuisine faire cuire des biscuits à l’orange ou faire bouillir le café, elle l’interrogeait sur les rumeurs de la ville. Il lui racontait les frasques sentimentales d'Angelina, la fille du marquis de Caradras, qui, du haut de ses vingt-trois ans, faisait tourner la tête de tous les garçons de la cité, et son père avait bien du mal à résoudre les démêlées qui s’en suivait ; ou encore les tentatives de Luigi le drapier pour écouler son stock et retourner en Tilée, on disait que ses prix étaient si bas qu’il vendait même aux habitants du quartier est. Et Francesca riait en entendant ces histoires pourtant si simples. Pizzi, lui, était un peu attristé de constater que le doux visage de la jeune femme ne visse pas plus souvent la lumière du jour. Mais c’était ainsi, la volonté d’Onatti, et nul n’y pouvait rien.

Pour cette raison, il fut surpris lorsqu’il vit le frais minois de Francesca lui ouvrir la porte.

« - Bonjour Pizzi ! lança joyeusement la jeune femme. Entrez vite, je ne peux pas rester sur le seuil de la porte trop longtemps.

Le commandant pénétra dans le salon, sans lâcher son trésor. Il y avait une bonne odeur de galette de maïs qui embaumait la villa. En refermant la porte, Francesca continua :

- Je vous ai vu arriver à toute allure de la fenêtre de la cuisine, alors j’ai ouvert. Beppo est parti faire des courses, au marché. Il ne devrait plus tarder.

Voyant que son hôte ne bougeait pas, et ne disait rien, elle lui demanda :

- Qu’est-ce qu’il y a, vous me paraissez soucieux…

- C’est que… J’aurais voulu parler à Onatti.

- C’est pour une affaire personelle peut-être… Dans ce cas…

Mais Pizzi la coupa aussitôt et lui lança :

- A vous, je peux bien vous le montrer. Débarrassez la table…

Francesca s’exécuta sans trop comprendre. Elle retira les piles de livres de la grande table du salon, et les feuillets sur lesquels Onatti avait travaillé jusqu’à tard dans la nuit. Soudain, Pizzi présenta ses mains contre la table et y déposa un flot de bijoux, ainsi qu’une robe déchiré. Francesca poussa un cri de surprise que Beppo interpréta mal.

- C’est fou, n’est-ce pas ? J’ai trouvé ça sous un rocher ensablé, à la lisière de la forêt !

Mais c’était au tour de Francesca de rester sans voix comme paralysée. Pizzi crut la voir sourire à moitié sous son visage hagard. Elle mit les mains au milieu des bijoux et les pétris comme une pâte à galette. Puis, elle caressa le tissu de la robe et l’observa sous toutes les coutures.

- Le butin… balbutia-t-elle… Vous avez retrouvé… Le butin…

- Expliquez-vous, fit Pizzi, qui ne comprenait toujours rien.

- C’est que… en m’échappant de chez Lupo, j’ai pris une grande partie de mes bijoux, ainsi que cette robe rouge. Pour la plupart, c’est du toc, du bronze plaqué or, mais ils sont du plus bel effet et certains valent malgré tout une belle somme. J’ai du les cacher quelque part et puis… Avec cet accouchement, j’ai oublié. Ensuite, lorsque je m’en suis souvenu, je n’ai pas voulu en parler à Onatti, pensant que tout avait été trouvé par un voyageur quelconque. Je n’imaginais pas que… Que tout cela était resté en place en quatre années !

Pizzi s’assit. Il dut réfléchir à toute allure dans sa tête. Et puis Francesca le prit entre ses bras et lui déposa un baiser sonore sur son front dégarni.

- Pizzi ! Vous êtes génial !

- C’est que… Bien sûr, tout ceci vous revient de droit. Je vous le rends…

- Prenez ce que vous voulez, après tout, vous l’avez trouvé !

- Non. Je me contenterai de la robe.

- Elle est déchirée.

- Je sais, mais ma fille arrive bientôt, elle est couturière et saura la réparer.

- J’ignorais que vous aviez une fille.

- Oh, vous savez, c’est une longue histoire. Vous savez, je n’ai jamais été marié, et quand on est un jeune marin célibataire, on se permet quelques aventures lors des escales. Un jour, j’ai rencontré une fille dans les bazars de El-Amra, un port arabien, loin derrière l’océan. J’y suis retourné quatre ans après, et la fille m’a dit en me mettant dans les bras une gamine aux yeux noirs : « Tiens, voilà ta fille. Je l’élève comme mes six autres enfants, mais je voulais qu’elle connaisse son père. » C’est comme ça que j’ai eu Fatma. Par la suite, je suis souvent retourné à El-Amra. Et là, j’ai reçu une lettre par bateau me disant qu’elle arriverait par le navire suivant. C’est à dire dans deux mois.

- J’en suis ravie pour vous, commandant !

- Moi aussi. Elle restera vivre à Gilliano. Et elle vient avec deux de ses enfants, son aîné de vingt ans et sa petite dernière, qui a l’âge des jumeaux.

Francesca souriait, mais d’un sourire un peu amer. Pizzi se demanda à quoi elle pensait. Elle se contenta de répondre :

- Oui, vraiment, je suis heureuse pour vous. Et vous pouvez bien sûr garder le robe ! Et prenez ce collier aussi, vous lui offrirez à son arrivée.

Elle lui tendit un grand collier à la chaîné doré bordée de ce qui ressemblait à du lapis-lazuli. Francesca le regarda droit dans les yeux, enfin, et lui demanda :

- Une dernière chose. Une dernière promesse… Jurez moi que vous ne parlerez pas de ce trésor à Beppo. Ca restera notre petit secret, d’accord ?

Elle s’était accroupie devant lui et lui prenait les mains. Son regard était implorant, ses yeux clairs fixant ceux du vieillard. Il hésita un peu. Mais le contact chaud des mains de la jeune femme le poussa à répondre doucement :

- D’accord, pas un mot à Onatti. Ce sera notre petit secret…

En répétant ces deux derniers mots, il vit Francesca sourire, et il sourit à son tour. Il avait l’impression d’être retourné un demi-siècle en arrière, à l’époque des promesses douces et des chuchotements. Il retira ses mains de celles de Francesca et se leva.

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ET bien c'est pas mal!

En plus, coincidence ou pas, pas plus tard que hier, je me disais que ca faisait longtemps que j'avais pas lu ton texte !

Bon la forme est toujours irreprochable donc je vais toujours pas m'atarder dessus, a moins que tu veuilles des compliments :wink:

Sinon, pour le fond, c'est pas mal ! Le sable a protégé du temps les affaires, c'est bien trouvé ! Tu developpes un peu le capitaine en tant que personnage :P Tout avance et moi je veux la suite !

@+

-= Inxi =-

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La porte se ferma doucement, derrière le vieil homme. Francesca resta seule dans son grand salon, debout face à la table où gisait les richesses. Elle prit un à un les bijoux entre ses doigts. Chacun était le témoin d’un souvenir bien particulier. Cette broche là, lui avait été offerte par une de ses amies de la maison close de Lupo, elle se rappelait encore le visage enfantin de la jeune femme qui était morte quelques mois après, terrassée par une violente maladie. Et puis là, cette bague ornée d’un rubis de nacre où était gravées les initiales de Lupo, c’était un de ses rares cadeaux, ceux qu’il donnait « pour se faire pardonner », comme preuves de sa feinte gentillesse, mais aussi pour bien leur montrer qu’elles n’avaient pas d’autres valeurs en dehors des murs chauds de cette maison. En réalité, bien entendu, ces trophées ne leur appartenait pas, ils étaient tous propriétés de Lupo. Mais malgré tout, il y avait toujours cette éternelle coquetterie féminine qui les poussait à se parer comme des reines, c’était peut-être même la seule chose qui leur permettait de rêver, et de posséder un espoir éphémère d’être autre chose. Francesca observait donc ces bijoux avec une immense nostalgie. Elle pensait à toutes ses amies qui étaient encore là-bas, alors qu’elle avait pu s’enfuir. Elle s’assit un moment pour continuer sa réflexion. Elle regarda les étagères de livres, et la fenêtre du salon qui donnait sur un jardin herbeux. Onatti n’y cultivait aucune plante.

S’enfuir, oui… Elle se souvenait de son départ précipité. Elle s’était saisie de tous les bijoux possibles. Ceux qu’elle avait dans sa chambre, bien sûr, mais aussi tous ceux qu’elle avait pu chipé dans les couloirs, et dans certaines salles pendant sa fuite. C’était pour cette raison que Lupo lui en voulait, évidemment. Elle en avait vendu pour vivre, pendant un petit moment, jusqu’à l’accouchement… Elle se tourna une fois de plus vers les différents meubles de la grande pièce, puis sur les livres qui jonchaient le fauteuil. Un des bijoux glissa de sa main vers le sol, la bague, dont l’écrin se brisa, et la pierre de nacre roula sous le grand fauteuil. Elle ne s’en soucia même pas. Elle pensait à autre chose… Depuis son accouchement, et sa rencontre avec Onatti, elle n’avait pas bougé de cette villa. Elle avait quitté une prison pour en rejoindre une autre. Et même si les manières de Beppo étaient bien plus enclines à la bonté que celles de Lupo, elle ne pouvait s’empêcher de faire le rapprochement. La demeure de Luppo était sombre, illuminée par endroit par quelques maigres chandelles, mais il y régnait toujours cette atmosphère obscure, inquiétante, mystérieuse, où à chaque porte l’on pouvait craindre un danger. Et puis ces odeurs puissantes, des mélanges de parfums trop écœurants, senteur de rose ou de jasmin jointes à celle de la chaleur humaine, de la sueur asphyxiante des corps des marins. Chez Onatti, c’était le temps qui marquait l’endroit de son empreinte, avec tout ces livres, avec cette odeur de poussière et de sciure humide. C’était presque aussi étouffant.

Elle reprit ses esprits rapidement… Il ne fallait pas dire cela… Onatti avait été la gentillesse même avec elle, il avait tout fait pour l’aider, il élevait ses deux enfants, il l’habillait et la nourrissait depuis trois ans maintenant. Comment pouvait-elle la comparer à Lupo… Mais c’était comme si ses sens se séparaient en deux camps, et la troublaient plus de que de raisons. Elle rassembla rapidement tous les bijoux dans un grand sac de toile qui traînait. Rapidement, il n’y eut plus aucune trace du passage de Pizzi. Elle replaça les livres comme avant sur la table et monta les marches quatre à quatre.

Dans la chambre, tout était sombre. C’était l’heure de la sieste des jumeaux et elle avait l’habitude de fermer les volets dans ce cas, pour que la pénombre facilite leur sommeil. Le silence la força à faire le moins de bruit possible. Elle chercha dans l’obscurité le rebord de son lit qu’elle trouva sans peine. Puis, elle se pencha et glissa le sac de toile sous le matelas. Un petit cri la fit sursauter.

Elle se retourna et ne vit rien, au début. Même pas une pointe dans l’obscurité de la pièce. La porte était entrouverte et laissait passer un filet de lumière. Une ombre furtive glissa le long de ce rai lumineux. Il y eut un léger grincement, c’était la porte qui se fermait petit à petit. Elle entendit quelques uns de ses bijoux qui glissaient sur le plancher. Elle recula pour se placer contre le lit, les deux mains plaquées sur les draps froids. Elle scrutait tout autour d’elle sans trop comprendre, sans trop savoir ce qu’elle cherchait. Il n’y avait maintenant plus un cri, plus un bruit dans le noir, juste un voile d’obscurité envahissant la pièce. Et la fenêtre close ne laissait échapper aucune lumière du dehors. Là, à l’angle du mur devait se trouver les deux lits des jumeaux. Onatti les avait fait faire sur mesure lorsqu’ils avaient grandis.

N’y tenant plus, elle se hâta de gagner cet angle, passant le long de la fenêtre. Elle ignorait encore ce que pouvait être cette ombre qu’elle avait aperçu, et l’impression d’être observée. Elle passa devant le rai de la porte qui était devenu presque invisible, un simple trait à la craie blanche sur le sol. Instinctivement attirée par la lumière, elle jeta un coup d’œil vers la porte. Rien, pas une ombre, de nouveau le silence.

Elle accèda aux deux lits, sentant perler sur son front une petite goutte de sueur. De quoi avait-elle peur, dans ce calme apparent ? Elle sentait bien qu’il y avait quelqu’un dans cette pièce, qui la cherchait du regard et qui guettait ses déplacements. Il attendait peut-être qu’elle sorte pour lui sauter dessus. Alors d’abord regarder les lits.

Ses mains cherchèrent fébrilement le rebord des couvertures. Celles-ci, dont elle pouvait voir les reflets un peu rouges, c’était celles de Federico. Ses doigts sentirent en tâtonnant la petite peau douce et chaude. Elle souffla un peu. Elle sentit les draps fins se soulever tout doucement au rythme de la respiration de l’enfant, bien plus tranquille que les battements de cœur saccadés de Francesca. Elle se pencha alors sur celui de Pietro.

Avec horreur, elle constata que les draps étaient vides, ouverts en grand. Elle cria, épouvantée, et un fois de plus se tourna dans tous les sens au milieu des ombres, sans rien voir. Ses yeux s’habituaient à peine à l’obscurité – peut-être avait-elle mis trop de temps à s’en détacher, si bien que la plus simple absence de lumière devenait pour elle le néant le plus abyssal – et elle distinguait à peine les contours flous des autres meubles. Elle chercha dans sa mémoire comment s’en sortir, estimant que la fuite par la porte était bien trop risquée.

Elle se souvint d’un chandelier qu’Onatti lui avait donné pour s’éclairer. Ses mains se mirent à le chercher juste face à elle sur une étagère, de même que les baguettes de souffre pour l’allumer. Elle le trouva, toujours sans se retourner, la crainte la clouait sur place.

Ses doigts vibraient en allumant les bougies. Le crépitement du feu se fit bientôt entendre comme un comptine rassurante. Les cinq bougies du chandelier décrivaient des petites danses devant les yeux de Francesca. Lentement, elle se retourna pour illuminer la pièce.

Elle sursauta et cria une dernière fois en voyant l’ombre, celle qu’elle avait déjà aperçue dans le rayon de la porte. Une ombre de petite taille qui la toisait avec insistance. Les flammes projetaient la silhouette jusque sur les grands draps blancs. Elle tendit un bras, formant sur le mur une longue traînée de charbon. Francesca saisit la petite main et chuchota :

« Tu m’as fait si peur Pietro… Je vais te remettre dans ton lit. »

Elle prit l’enfant dans ses bras. Il se blottit tendrement et ferma les yeux. Lentement, Francesca le replaça entre les draps et le borda. En sortant de la pièce, elle voyait encore les deux yeux noirs qui la fixaient, de plus en plus intensément.

Elle avait encore le chandelier dans les mains en sortant. Elle souffla les bougies une à une, la fumée se répandit autour d’elle et l’enveloppa de fines volutes grisâtres. Puis, elle s’échappa comme un fantôme capricieux par d’autres extrémités. Elle posa le chandelier sur une petite table basse et rangea ses cheveux en désordre. Il y avait du bruit au rez-de-chaussée.

Elle descendit doucement les marches. Onatti était au salon, dans une position étrange, penché en avant. Il se leva en voyant Francesca arriver.

« - Ah… Bonjour Francesca, tu vas bien ?

- Oui, ça va… Et toi ?

- Je suis allé au marché, et je t’ai ramené des feuilles de menthe…

Il exhiba une botte de menthe odorante. Le parfum parvint jusqu’aux narines de Francesca, dans l’escalier. La voix de Beppo était un peu lasse.

- Il n’y a eut personne pendant mon absence.

Sûre d’elle, Francesca répondit :

- Non, personne.

Beppo plongea son regard dans celui de la jeune femme, un mètre au-dessus d’elle (elle n’avait pas quitté l’escalier et s’appuyait contre la rambarde, prête à remonter ) :

- Tu es sûre ?

- Certaine, oui…

Onatti détourna aussitôt son regard, sans laisser d’explications à Francesca. Elle ajouta simplement :

- Je monte voir si les jumeaux dorment bien…

- D’accord. »

Elle monta les escaliers. Onatti la suivait du regard, tout en tournant entre ses doigts dans la poche de sa veste une petite boule de nacre.

Pour la seconde fois, Pietro était sorti de son lit. Après avoir sauté le grand ravin qui le séparait du sol, il s’était essuyé son genou droit un peu endolori, puis avait continué sa course sur le plancher. Les lattes du parquet résonnaient sous ses petits pas de bébé, sa marche était volontaire et efficace, presque trop rapide pour un enfant de trois ans. Il progressa ainsi un bon moment, invincible face au silence et à la nuit. Ses cheveux était d’un noir profond et il se mêlait de cette manière aux ombres environnantes comme un caméléon habile. Son regard sombre était celui du louveteau qui apprend à chasser.

Il devait connaître par cœur cette chambre, car il stoppa net en arrivant au bord du lit. Là, il se mit debout sur la pointe des pieds et entreprit de se faufiler dans les draps. Il sautait du mieux qu’il pouvait, et en déployant des efforts considérables, il arriva enfin à agripper de ses petites mains un pli du drap pour pouvoir se hisser au-dessus du lit. Alors il commença à tâter autour de lui, et à renifler, comme s’il cherchait quelque chose. Ses doigts se glissaient dans les innombrables plis du matelas. Il fouillait consciencieusement.

Ce petit manège dura jusqu’à ce qu’il se saisisse d’une grosse toile et qu’il la tire de toutes ses forces. Aussitôt, un tapis de bijoux se répandit par terre dans un grand fracas métallique. Il resta interdit face à cette démence de richesse. Dans le noir, des joyaux qui resplendissaient tout plus violemment les uns que les autres et semblaient l’envoûter. Il entra dans une sorte de transe, se mit debout sur le lit et marcha jusqu’au bord. Il sauta ensuite dans la mer de diamants et d’or. Une fois sur le plancher, il observa un à un les bijoux de sa mère, les caressant comme ses enfants. Il était véritablement fasciné par leur éclat incroyable, et ne pouvait plus tenir. Il n’avait jamais vu autant d’étoiles sur le sol, autant de lumière dans l’obscurité.

La porte s’ouvrit soudain, ne perturbant pas Pietro dans ses recherches et Francesca apparut.

« Mon Dieu Pietro ! Qu’est-ce que c’est que ce bazar ? »

Elle regarda son enfant et le souleva. Il agrippa au passage certaines pierres que sa mèe lui retira des mains. Elle le gronda gentiment :

« Pietro ! Il ne faut pas faire ça ! Il ne faut pas toucher à ça ! D’accord ? »

L’enfant acquiesça et se blottit de plus belle dans le giron de sa mère. Elle le berça doucement. Les bijoux produisaient une lueur étonnante qui éclairait la scène par en dessous, faisant luire les yeux d’ébène de Pietro et de Francesca qui se regardaient en souriant. Après sa berceuse, Francesca alla replacer dans son lit le corps endormi de Pietro. Elle le caressa une fois de plus, et murmura :

« Dors bien, mi angelo. De l’or, tu en auras plus tard, je te le promets. »

Puis, à l’adresse de Federico dans l’autre lit :

« Et toi aussi dors bien. »

Et elle le caressa, puis se mit à ranger les bijoux dans le sac, qu’elle plaça cette fois sous son oreiller. Enfin, elle sortit sans rien dire de la pièce.

Elle ne vit pas les yeux clairs du petit dormeur qui la regardait partir, des yeux inquiets dénués de sourcils. En réalité, il ne dormait pas. Il avait observé la scène en silence, de son lit. Son frère sortant du lit, le déluge de bijoux, et leur mère pénétrant dans la pièce. Il avait regardé tout ça avec attention derrière les barreaux de son lit. Il se tourna entre ses draps pour essayer de trouver le sommeil perdu.

*

Onatti marchait le long des rues. Il guettait chacun des passants d’un œil attentif. Parfois, il les saluait de sa main gauche, en soulevant son petit couvre-chef, tandis que sa main droite triturait nerveusement dans sa poche la petite boule de nacre. Il avait l’air un peu crispé, et se calma en voyant qu’autour de lui, les passants se faisaient moins nombreux, à cause du soleil sur le point de se coucher.

Il connaissait par cœur les rues de Gilliano, et avait désormais acquis une bonne notoriété auprès des habitants. Chacun appréciait ce petit homme tranquille qui ne dérangeait personne dans le silence de sa villa, et qui n’hésitait pas aider les autres. Les plus médisants le jugeaient trop effacé, d’autre disaient qu’il était simplement discret. Toutefois, la discrétion, à Gilliano, était une qualité qu’il valait mieux se garder de posséder, car dès qu’un mystère trop épais planait sur une personne, les rumeurs fleurissaient à toute allure. Et bien souvent, l’intéressé, reclus dans sa tranquillité, ignorait tout de ce qui se disait.

En trois ans, les gens du quartier « connaissait » Francesca. Seul Pizzi l’avait approché, mais tous disaient l’avoir vu au moins une fois, à la fenêtre de sa chambre – on décrivait ses petits yeux tristes, ou bien son allure de bohémienne – ou bien lors d’une visite chez Onatti. Les enfants restaient un mystère plus épais, même si on savait qu’ils existaient. Luigi le drapier racontait partout qu’il les avait vu, Onatti lui ayant demandé de faire des vêtements sur mesure. Mais comme tous connaissait le goût du drapier pour les mensonges, on faisait semblant d’ignorer cette nouvelle, même si tous rêvaient de pouvoir apercevoir un des jumeaux. Surtout que la vie à Gilliano était bien trop calme ces temps-ci. Depuis la grande tempête, deux années auparavant, il n’y en avait pas eu d’aussi forte. De plus, les bateaux se faisaient étrangement rares, comme si les richesses de Lustrie n’attiraient plus personne, comme si leurs dangers n’effrayaient plus les aventuriers amateurs de sensations fortes. Il y avait même eu, au début de la saison chaude, une expédition qui s’était montée, uniquement d’habitants de la cité. Comme elle n’était pas revenue, on avait continué à craindre la jungle avec le même respect, malgré le manque de héros courageux à vénérer. A cause du manque de navires et de marins, les nouvelles venant de Tilée s’amincissaient, et les riches bourgeois de la cité ne pouvait plus suivre les démêlées des princes tiléens. Si bien que beaucoup envisageaient de partir, comme Luigi le drapier qui répétait à qui voulait l’entendre qu’il embarquerait dans le prochain bateau vers la Tilée. Le marquis avait bien organisé des jeux récemment qui avaient mis en émoi toute la communauté, mais ils n’avaient duré que quelques jours, et le calme quotidien était revenu.

Onatti passa avec méfiance devant la boutique de Luigi. Les volets étaient mi-clos. Aucun doute qu’il observait. Il se hâta de gagner la rue voisine et s’arrêta devant une porte surmontée d’une enseigne aux lettres d’or : Cesare Guillornette, 0rfèvre. Il frappa et entra.

C’était sûrement la boutique la plus riche de toute la ville. Son aspect extérieur ne laissait pas présager les richesses intérieures. Toutes protégées par de grands vitres, car Guillornette était un homme méfiant. Mais il y avait ici plus d’or que dans un palais arabien (certain disaient que le bijoutier commerçait en secret avec les étranges lézards de la jungle, car il possédait de nombreuses pièces étranges et d’origines inconnues…). Onatti ne s’en soucia pas. Il alla droit au comptoir où se tenait le grand bijoutier. C’était un homme assez âgé mais à la carrure néanmoins imposante. Etrange pour un homme qui n’avait jamais quitté sa boutique. Il parlait d’une voix forte et en bougeant les mains dans tous les sens.

« - Chez ami, que puis-je faire pour vous.

Puis, il ajouta en voyant la face inquiète d’Onatti :

- On ne vous voit pas souvent par ici.

- Oui… Je voudrais juste vous montrer un objet.

Il déposa sur la table la boule de nacre. Le bijoutier la regarda d’abord de loin, puis la prit délicatement avec une pince – il était étonnant de voir comme de si grosses mains pouvaient être aussi habiles. Il l’étudia sous toutes les coutures, avant d’ajouter en riant fort :

- Elle ne vaux rien ! C’est de la nacre ! On en trouve partout sur les criques !

Onatti eut l’air un peu contrarié.

- Alors vous ne pouvez pas m’en dire la provenance ?

- Non, je regrette. N’importe qui pourrait se faire un tel objet. Ce que je peux dire, c’est qu’elle se trouvait dans un écrin. Après…

Il l’observa une nouvelle fois et son œil perçant repéra un détail intéressant.

- Attendez… Il y a quelque chose de gravé… Deux secondes.

Il chercha une petite loupe sur son bureau, et ayant regardé la boule à travers la lentille grossissante, il annonça :

- On a gravé : Lupo. Sans doute le nom du propriétaire.

Onatti resta muet. Lupo… Est-ce que ça voulait dire que Lupo était venu ? Il reprit la boule à toute vitesse et lança en sortant :

- Je vous remercie !

- Mais de rien, mon prince ! »

Mais Onatti était déjà dans la rue.

Il ne pressa pas le pas pour arriver jusqu’à chez lui. Il réfléchissait à l’existence de cette boule de nacre. Ces derniers temps, il sentait une sorte de tension chez Francesca. Il avait du lui interdire à plusieurs reprises de descendre lorsque des invités venaient – seul Pizzi l’avait déjà vue. Il fallait la protéger, elle et les enfants. La protéger du moindre danger. Pas en faisant entrer le loup dans la bergerie.

Il ouvrit la porte. L’odeur des galettes de maïs qu’il avait mangé tout à l’heure persistait dans le salon. Francesca était assise sur le grand fauteuil. Elle feuilletait un livre.

« - Tu sais lire, maintenant Francesca ?

- Non, répondit-elle en levant le nez de son ouvrage, mais il y a de jolies gravures. Et puis l’histoire, je la connais déjà par cœur, tu me l’as tant racontée !

Onatti reconnut le livre. Terre et mer. Un ouvrage où une jeune femme attendait son amant parti en mer, car elle voulait s’en aller avec lui. Il en vint au vif du sujet :

- Tu m’as menti tout à l’heure en me disant que personne n’était passé.

Francesca en eut le souffle coupé… Onatti aura croisé Pizzi, et le vieux commandant lui aura tout dit, les bijoux, le secret… Elle posa le livre sur la table et se leva brusquement. Ses lèvres cherchaient un début d’explications. Onatti continua :

- Explique-moi pourquoi Lupo est passé ici… S’il t’a encore attaqué, il faut me le dire.

- Lupo ?

Francesca se rassit et balbutia :

- Je ne comprends pas…

- J’ai trouvé ça, fit Onatti, et il posa la boule de nacre sur la table.

Francesca regarda l’objet. Son esprit fit très vite le lien entre les évènements. Et maintenant, Onatti pensait que Lupo était venu. Il la regardait avec une sorte de méchanceté qu’elle n’avait encore jamais vu, et croisait les bras en signe de reproche. Vite, trouver une explication…

- C’est… Il a pu la laisser lorsqu’il est venu, il y a deux ans… Il y avait un tel bazar que…

Elle retint sa voix soudainement, coupant son souffle. Elle avait failli dire « tu n’avais pas pris le temps de regarder sous le fauteuil », mais ce détail l’aurait irrémédiablement trahi. Elle attendit sagement la réponse d’Onatti. Ce dernier baissa un peu les yeux :

- Tu me jures que Lupo n’est pas venu ici ?

- Oui, je te le jure ! Je te le jure !

Francesca força un peu sur ses larmes pour les faire sortir. Elle savait que cela attendrirait le vieil Onatti. Il annonça, battant en retraite :

- Soit. Je te fais confiance. Mais il ne faudra rien me cacher, Francesca ! Rien ! Tu comprends, je ne veux pas te perdre pour un détail ! Le moindre petit détail.

La jeune femme acquiesça en essuyant ses larmes.

- Oui, je te le promets… »

Onatti ramassa la boule et la rangea dans sa poche. Il se rendit à la cuisine. Francesca ramassa son livre et se carra dans son fauteuil, rassurée. Elle avait évité le pire. Elle se replongea dans l’histoire de cette femme qui attendait son marin et fantasma sur la scène où ils s’embrassaient. Depuis combien de temps n’avait-elle pas embrassé un homme ? Etrange, destin pour elle dont cela avait été le métier. Elle se rendit compte qu’elle n’avait vraiment jamais connu l’amour, comme la jeune femme patiente du livre.

« - Tu sais que Pizzi a une fille ?

- Non…

- Elle vient bientôt, dans quelques mois. Et elle amène une petite de trois ans avec elle.

- Ah.

- Comme les jumeaux. Je me suis dit… Ca leur ferait une petite camarade de jeu…

- Oui.

- On peut bien leur faire confiance, c’est la famille à Pizzi ! »

Francesca ne répondit pas, cette fois absorbée par son livre.

Modifié par Mr Petch
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de livre

Hesitation, mais au pluriel ?

Elle accèda au deux lits

Pareil, mais pas sur !

Il y a aussi une faute de frappe que j'ai oublié de relevé :blink: Mais ca gache en rien la qualité du recit :ermm:

Bon l'histoire avance un peu, avec une mini dispute entre les deux protagonistes Bon, c'est la seule veritable avancée donc j'attends une suite pour completer -_-

@+

-= Inxi =-

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Salut à toi, Mr Petch!

C'est juste pour dire que je n'ais pas laissé tomber ton texte, mais juste que, comme son rythme est plus lent que d'autres, je laisse couler l'eau sous les ponts avant de le copier coller sous word et de le lire d'une traite: c'est à mon avis, le vrai moyen de rendre justice à ce genre de texte (long et prenant).

Donc, pour le commentaire, il faudra attendre encoire un peu. Mais je sais quand même ce qu'il vaut à peu près, alors je t'encourage vivement à continuer sans relâche! :blushing:

Le Warza (lecteur à long terme)

Modifié par Warzazatt
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Invité Mr Petch

*

Une grande foule s’était massée sur le quai. Depuis la rue qui descendait vers le port, on pouvait voir cet incroyable attroupement humain, tous ces regards tournés vers un océan clément. Le temps était resté au beau fixe depuis plusieurs jours, la belle saison revenait, et elle signifiait aussi le retour des bateau de commerce dans la ville. Du moins était-ce ce qu’espérait les commerçants. Et ce matin, on avait été prévenu de l’arrivée imminente d’un navire, La Trinidad. Il venait d’Estalie, une contrée frontalière de la Tilée. Il longeait les côtes depuis plusieurs jours et les habitants de Mejillon, le comptoir estalien, avait prévenu Gilliano d’une prochaine escale. Il y avait une grande solidarité parmi les différents colons, quelque fût leur nationalité. Ils formaient entre eux comme un royaume à part entière, avec des règles si différentes que dans le Vieux Monde…

La Trinidad transportait des soldats, en majorité, et avait malgré tout accueilli des passagers. Après avoir dépassé Gilliano, et s’être ravitaillé, le navire allait repartir plein sud à l’aventure, dans le continent inconnu. Evidemment, la présence d’aventuriers prêts à tout émoustillaient les habitants qui était venu nombreux assister au débarquement.

C’était une foule hétéroclite qui s’était massé devant la capitainerie. Certains étaient prêts à partir, la valise à la main, pestant contre le vent absent qui devait faire ralentir les bateaux. Ils avaient rassemblés tout leur bien, toute leur richesse, dans le but de revenir en Tilée, craignant que Gilliano ne devienne un port désert. D’autres étaient là simplement par curiosité, parce qu’ils voulaient une fois dans leur vie côtoyer de véritables soldats, plein de courage, pour s’en abreuver et lire dans leur yeux l’absence de peur. Peur qui constituait l’apanage de leur vie, avec les ombres de la jungle comme menace quotidienne. Quelques jours auparavant, on avait parlé d’une petite cité portuaire, à un jour de marche vers le sud, entièrement rasée par une armée que nul n’avait vu. Mais on disait qu’il s’agissait de farouches créatures reptiliennes mangeuses d’hommes. Dans tout les cas, le port n’existait plus, et un commerçant qui faisait la navette entre les deux ports était revenu effrayé, parlant d’un véritable carnage, et décrivant sans cacher sa terreur les puits remplis de sang humain et les dagues poignardées contre les portes. Des dagues faites dans un métal verdâtre qui luisait au soleil. Il n’avait pas voulu les toucher, ni même les regarder de plus près, par crainte d’une malédiction qui jetterait le mauvais œil sur Gilliano. Cette destruction et la rumeur de malédiction était le principal sujet de conversation à Gilliano. Jusqu’à l’arrivée de La Trinidad. Une fois de plus, le soulagement venait de l’extérieur.

Assis dans un fauteuil en chanvre, le commandant Pizzi regardait la scène de liesse villageois d’un œil amusé. Il ne voyait plus l’horizon et l’océan à sa fenêtre mais plutôt des masses humaines bruyantes et fluctuantes. Son grand bureau était vide. Il regarda les grands dessins de navires épinglés au mur. Navire dans la tourmente, navire à quai, navire au large… Un petit navire sculpté dans du bois, et même une grosse ancre recouvertes d’algues sèches, et de coquillages en tout genre. Il était également fier de sa grande corne de brume qui trônait juste au-dessus de la porte. Un buccin énorme, de la taille d’un crâne humain qui possédait cette texture nacrée si caractéristique. Tout ici, reflétait la mer, jusqu’aux odeurs de varechs et d’algues, une odeur poisseuse et salée qui collait aux doigts et à la peau comme le sable mouillé.

La petite clochette surmontant la porte sonna. Pizzi leva son regard sur Onatti, qui venait de pénétrer dans la capitainerie. Il avait un air un peu grave – mais à vrai dire, Pizzi lui trouvait cet air grave depuis plusieurs mois – et salua à peine son ami, d’un simple sourire résigné.

« - Je t’en prie, Beppo, prend une chaise.

Pizzi, toujours assis dans son fauteuil, lui désigna un petit tabouret. Onatti s’y assit, et regarda Pizzi. Les lèvres ridées se crispèrent un peu lorsque le commandant eut à surmonter ce regard. Son instinct lui conseilla de trouver un sujet de conversation rapide :

- Tu as vu un peu cette foule ! C’est toujours comme ça quand on annonce un bateau… Et celui-là, en plus !

Pizzi émit un sifflement d’admiration, puis fouilla dans ses papiers.

- J’ai eu des informations par les gars de Mejillon. Le capitaine est un vieux pirate repenti au service du royaume estalien. Le genre de gars qui connaît l’océan comme sa poche. Et puis les soldats, là-dedans ! Rutilants ! Des armures comme de l’or, et des grands fusils. Ca va en impressionner plus d’une ici ! J’ai hâte de voir ça, en tout cas !

- Toi aussi, tu t’intéresses à cette mascarade ?

Pizzi regarda son ami, et son visage soucieux. Il était prêt à lui demander pourquoi il venait ici, si ce n’était pas pour voir l’arrivée du navire, mais se retint. A la place, il alla chercher sous son bureau une bouteille d’eau de vie et en servit un verre à Onatti.

- C’est amusant, continua-t-il tout en regardant l’alcool couler en un filet épais dans le verre, voir débarquer ici, une fois par mois, des gens qui risquent leur vie tous les jours, alors que nous restons prostrés dans notre port, comme une impasse emmurée. Tiens, même les pêcheurs ne vont pas si loin que ça ! Et dépassé le rocher du serpent, ils sortent tout leurs talismans et leurs gris-gris.

- Toi aussi.

- Evidemment, je me compte parmi eux…

Il attendit un peu avant de continuer :

- J’ai déjà pas mal voyagé – tu connais ça aussi – mais c’est vrai que sur mes vieux jours… J’aimerais bien faire une dernière virée en mer !

Onatti but son eau-de-vie cul sec et répondit :

- Moi pas. Je suis très bien ici. Le reste du monde est déjà assez dangereux comme ça.

- Tu ne changeras jamais, Beppo !

Et il rit un peu.

- Que veux-tu dire ?

- Hé bien… Tu es étrange. Je t’ai toujours connu casanier, comme si c’était dans ta nature. Je me demande pourquoi tu es devenu marin.

- Il y a eu un temps où j’ai eu envie de rêver. D’aller voir de moi-même s’il n’y avait pas une extrémité au monde… Et ça m’a passé…

- On parle comme deux vieux singes désabusés ! Pourquoi on ne profiterait pas un peu de la vie ? Allez, ressert-toi, je n’aime pas ça, de toute manière.

Il lui présenta la bouteille mais Onatti la refusa poliment.

- Merci, ça me suffira.

Silence. Derrière eux la foule et ses cris. Une corne annonçait que La Trinidad avait dépassé le phare de la baie principal. Les plus proches du bord dans la foule devait commencer à apercevoir quelques voilures à l’horizon. Quoique, avec l’absence de vent, les voiles devaient être repliées.

- Francesca aurait bien voulu voir le bateau. Et même amener les jumeaux.

On entendait la rumeur qui montait, et qui traversait, par vagues successives, l’immense foule. Les mâts devaient être visibles comme des aiguilles plantées dans la mer.

- J’ai refusé, évidemment. Trop risqué. Il y a sûrement des sbires à Lupo dans cette foule. Ne serait-ce que pour racoler les marins.

C’étaient des clameurs à présent, des clameurs d’impatience. Pizzi, de son bureau, pouvait voir des bras se lever, des têtes se hisser dans la houle de la foule. Il entendait les piaffements de quelques badauds, et des voix qui criaient : « C’est lui ! Je vois un drapeau » « Mais non, c’est un nuage qui… Attends, je vois mal » « Je l’aurai cru plus gros, je suis déçue. » « Ce sont des estaliens, ne leur demandez pas trop, ma chère ! ».

- J’ai bien vu qu’elle retenait ses larmes. Elle aurait voulu le voir, ce bateau.

- C’est pour ça que tu es là ?

De nouvelles clameurs, de nouveaux hurlements de joie. Le navire ne devait plus être loin.

- Je ne sais pas…

A cet instant, la porte s’ouvrit. C’était le jeune Bernardo de Caradras, une longue-vue à la main, qui pénétrait en trombe dans le petit bureau. De sa voix encore jeune et enfantine, il cria :

- Le voilà ! Il accoste ! Le voilà !

Puis il referma la porte et courut s’enfoncer au milieu de la foule. Pizzi se leva et mit sa casquette de marin, un vieux morceau de tissu usé par les marées et le vent du large. Puis, il enfila une large veste noire galonnée.

- Tu veux voir le capitaine ? demanda-t-il à un Onatti toujours plus morfondu.

- Non merci, répondit ce dernier. Je pense que je vais me balader un peu dans les rues. Elles sont vides. Ca va me faire du bien. »

Pizzi était peiné de voir son ami ainsi. Il l’aurait bien accompagné dans son errance, mais il devait accueillir le capitaine. Et Beppo semblait vouloir être seul. Il sortit donc du bureau sans dire au revoir.

Lorsqu’un grand cri s’éleva dans le public, Pizzi sut que La Trinidad avait accosté pour de bon. Il prépara sa plume et son encre et frotta sa chemise. La foule, en se fendant en deux, rejeta un homme jusqu’à la porte de la capitainerie. Pizzi le vit à travers la vitre. Il était grand et roux, ses cheveux étaient aussi orange que la chair d’une mangue, et arborait une grand moustache qui lui masquait la lèvre supérieure. Mais l’on voyait qu’il riait et qu’il était heureux. Il avait retiré son bicorne et le portait à la main, laissant ses longs cheveux sales s’écouler sur ses épaules. Son uniforme était celui des soldats estaliens : rouge et blanc, avec des épaulettes en métal, et le fusil à la ceinture, à gauche. Mais sur la droite subsistait le bon vieux sabre d’abordage, caché dans fourreau d’ivoire mais que Pizzi devinait rouillé par le temps. Il ne devait plus beaucoup servir, de plus en plus, les marins comme les pirates préféraient le combat à distance au corps à corps.

Le grand rouquin souriant poussa la porte de la capitainerie et fit retentir la clochette. Pizzi fixa les sourcils broussailleux. Il remarqua vaguement la présence d’une femme, à droite du capitaine. Une brune à la peau bronzée, et aux traits tirés, qui avait bien atteint la quarantaine. Elle avait un grand foulard bleu qui lui masquait la moitié inférieure du visage, et deux yeux verts jade sur lesquels Pizzi ne s’attarda pas. Il ne l’avait pas reconnue.

La capitaine propulsa sa voix forte dans les oreilles de Pizzi.

« - Vous devez être le commandant Pizzi… On m’a parlé de vous à Mejillon !

L’homme avait un petit accent quand il parlait, il roulait les « r » et possédait une voix un peu gutturale.

- En effet, je suis humblement le gardien de ce port… Vous devez être le capitaine de La Trinidad… (Pizzi fit mine de chercher dans ses notes alors qu’il fouillait dans sa mémoire). Le capitaine Portazar ? Jaime Portego ?

- Exactement ! Jaime Portazar, dit le Diable Rouge, à ma grande époque…

Portazar partit dans un grand rire qui fit tressauter ses moustaches de bas en haut. Il continua sans laisser la parole à Pizzi :

- Et j’ai un cadeau pour vous, commandant Pizzi !

Il se détourna pour désigner la femme qui l’accompagnait sans rien dire depuis le début. Elle retira son voile et découvrit sa bouche pulpeuse et son menton court. Pizzi n’eut qu’à l’observer quelques secondes avant de s’écrier :

- Fatma ! Mais… Tu es… Tu es Fatma !

Pizzi se leva de sa chaise. La femme le regardait profondément, comme une amie reconnaissante. Elle attendit que le commandant se lève et la serre dans ses bras.

- Ma petite Fatma, c’est toi ! Tu es arrivé plus tôt que prévu !

Le vieil homme arrivait tout juste au cou de sa fille. Il dut se lever pour l’embrasser sur les deux joues…

- Oui, finalement, j’ai trouvé un navire qui allait directement à Gilliano en Estalie ! Je suis bien contente !

- Et tes enfants ? Où sont-ils donc ?

- Malik aide les marins à décharger les marchandises, et la petite Leïla doit être en train de les regarder faire. Elle a très bien supporté la traversée, je suis fière d’elle !

- Une future navigatrice !

Pizzi riait et blaguait avec sa fille, qui lui répondait avec sérieux, même sil elle laissait s’échapper parfois une ridule d’amusement au coin de sa bouche. Le capitaine Portazar regardait cette scène de joie avec grand intérêt. Mais voyant que Pizzi ne décollait pas du cou de sa fille, il frappa la paume de sa main contre le bureau et lança :

- Bon ! Si on passait à mon bateau, maintenant ? »

Modifié par Mr Petch
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des bateau
espérait les commerçants
C’était une foule hétéroclite qui s’était massé
(Pizzi fit mine de chercher dans ses notes alors qu’il fouillait dans sa mémoire)

Bon, les trois premières, c'est des fautes. Et pour la dernière, c'est quelque chose de perso mais j'aime pas trop les parenthèses... Surtout que tu pourrais les enlever !

Sinon, cote forme, c'est excellent rien à redire ! L'arrivée de la fille et du capitaine changent les données de l'histoire ! Ca fait du nouveau sang :zzz: Mais c'est bien, c'est pas un reproche !

On aime bien tout tes persos ca prouve qu'ils sont bien décris ! On ressent leur sentiments à la perfection :blink:

@+

-= Inxi, suite =-

Modifié par Inxi-Huinzi
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Invité Mr Petch

Sans vouloir jouer les modestes, j'ai l'impression de perdre un peu la forme depuis mon retour... Fausse impression ou réalité ? :zzz: En attendant, je vous livre la suite pieds et poings liés.... (mmh, oui, je l'avait déjà faites celle-là... :blink:

*

Francesca s’était assoupi sur son lit. Le soleil tapait aux carreaux comme s’il voulait entrer dans la pièce, et plombait l’atmosphère de sa chape brûlante. C’était une chaleur étrangement sèche, peu habituelle à Gilliano, qui asphyxiait autant qu’elle consumait. Son bras droit pendant négligemment sur le côté, un livre ouvert tombé au sol, Francesca somnolait dans la chambre. Elle avait commencé la lecture d’un des ouvrages détenus par Onatti, depuis quelques semaines elle avait entreprit d’apprendre à lire, mais cet exercice s’avérait plutôt difficile. Pour le moment, elle fonctionnait plus avec sa mémoire, se rappelant les mots et les expressions tant de fois entendues, cherchant à les associer aux étranges symboles sur les pages.

Il dut y avoir comme du bruit à sa fenêtre, car elle se réveilla, ouvrant petit à petit ses deux yeux fatigués. Elle se mit assez vite sur pied et se dirigea vers la fenêtre.

Elle aperçut un petit attroupement, donc elle ne distinguait pas tous les protagonistes. Il y avait au moins Pizzi – elle ne put se tromper en voyant la silhouette tordue et osseuse, même s’il arborait un élégant uniforme – et il y avait à ses côtés un homme qu’elle ne reconnaissait pas. Il était trop vieux pour être Bernardo de Caradras, « l’adjoint » de Pizzi à la capitainerie. Et ce ne pouvait être un des commerçants du quartier, ils avaient tous un ventre imposant et non une silhouette aussi athlétique. Elle ne pouvait voir que de dos ce mystérieux étranger, et remarqua l’abondance de ses cheveux noirs, qui couvraient sa nuque, ainsi que ses habits colorés dans des teintes bleutés, une grande robe qui lui masquait complètement le corps – elle l’aurait d’ailleurs pris pour une femme s’il n’avait pas eu cette prestance, cette musculature toute masculine. Elle s’attarda longuement sur lui, sans jamais pouvoir apercevoir son visage. Il restait immobile, un grand sac de toile orangée pendant de son épaule en bandoulière. Elle ne pouvait même pas savoir s’il était vieux ou jeune – même si la noirceur de ses cheveux semblait indiquer une jeunesse relative – car il ne se retourna pas. Elle eut envie d’ouvrir la fenêtre et de le saluer, juste pour voir son visage, mais n’en fit rien, craignant la réaction d’Onatti qui devait se tenir dans les parages. Elle pensait même entendre la voix de ce dernier, à moins que ce ne fût une illusion.

Comme les silhouettes disparurent de son champ de vision, elle s’écarta de la fenêtre. Se baissant, elle ramassa le livre qu’elle posa sur la table de chevet et se dirigea vers l’armoire. Ses deux enfants dormaient dans leur lit. La chaleur devait eux aussi les assommer, elle retira un peu les draps qui les recouvraient jusqu’au cou. Pietro suçait son pouce tout en ronronnant doucement à la façon d’un gros félin. Federico était plus calme, simplement couché en chien de fusil. Maintenant qu’ils avaient grandis, on avait peine à dire qu’il s’agissait de jumeaux, tant Pietro était brun, et Federico blond.

Alors qu’elle fouillait dans son armoire, à la recherche d’une robe élégante, Francesca entendit des voix au rez-de-chaussée. Elle se rapprocha de la porte. Il y avait bel et bien des visiteurs dans la maison d’Onatti. Et elle était prête à parier qu’il s’agissait de Pizzi et de l’homme mystérieux. Elle se hâta de trouver une tenue acceptable, et dès qu’elle l’eût enfilée, ouvrit sa porte en silence.

On parlait beaucoup en bas. Elle reconnut surtout la voix grinçante de Pizzi, et celle, plus ronde, moins anguleuse, d’Onatti, qui parfois se contentait d’acquiescer, et parfois partait dans de longues et lentes explications. Elle marcha à pas de loups sur le palier jusqu’à atteindre la rambarde de l’escalier. Là, elle se baissa pour regarder.

Face à elle se trouvait Pizzi, à une extrémité de la table, qui gesticulait et ne semblait pas la voir, absorbé par les paroles qu’il adressait à Onatti, sis à sa droite, et dont le visage – heureusement – tournait le dos à Francesca. Un pan de l’armoire cachait une partie de la table, mais elle se douta qu’il devait s’y trouver quelqu’un, car Pizzi y lançait parfois des regards. Quant à l’extrémité opposée au commandant, l’homme mystérieux y était assis. Elle reconnut les longs cheveux noirs et la robe qu’il avait un peu retroussé. Son gros sac orange était posé juste à côté. Mais une fois de plus, il lui tournait le dos.

Avait-elle produit un petit cri, ou bien avait-elle dérapée sur le parquet de quelques millimètres ? L’homme qui lui tournait le dos se retourna doucement, en dehors de la conversation qui se déroulait sous ses yeux – et d’ailleurs, personne n’y fit attention. Petit à petit, Francesca vit son profil, un nez assez pointu, allongé comme la quille d’un bateau, et des yeux aussi noirs que ses cheveux. Il avait de plus une peau mate, plus bronzée que la majorité des habitants, ce qui fit imaginer Francesca qu’il venait d’ailleurs – mais d’où ? elle n’avait jamais d’homme aussi bronzé, avec cette peau sableuse et dorée, qui semblait chaude, et ce teint mat comme une charpente lustrée. Elle ne réagit pas lorsque les deux yeux noirs, tirant légèrement sur le violet à cause d’un trait de maquillage très fin, se posèrent sur elle. Elle réalisa simplement que l’homme devait avoir une vingtaine d’années, peut-être un peu plus, sa peau bronzée et tendue le rajeunissait un peu. Il portait au coup un pendentif en forme de scarabée, avec une pierre brillante qui devait être du lapis-lazuli en son centre et sur les élytres, comme si l’animal était prêt à s’envoler vers l’horizon. L’homme lui sourit. Elle n’entendit pas vraiment lorsqu’il déclara d’une voix chaude et rocailleuse :

« - Je crois que votre fille arrive, capitaine Onatti…

Tous les regards se tournèrent vers elle, et c’est à cet instant qu’elle réagit, et qu’elle recula son visage de la rambarde, transportée par la honte. Toutefois, il était trop tard, tous l’avaient déjà remarquée, et elle n’avait plus qu’à descendre les escaliers, baissant la tête. Ses oreilles aux aguets entendirent tout de même une réponse d’Onatti, dans laquelle elle crut percevoir un pincement agacé :

- Ce n’est pas ma fille… Je…

Elle lui coupa la parole, à peine arrivée dans la pièce, et d’une voix assurée, lança :

- Je suis sa nièce. Francesca.

Elle souriait à pleines dents. C’est là qu’elle vit les deux autres étrangers présents. Une femme à la peau aussi bronzée, et des cheveux tout aussi noir que le jeune inconnu, maquillée d’un rait de khôl au-dessus des yeux qui s’étendait près des oreilles, et sur ses genoux une petit fille qui attendait sagement, portant le même maquillage que celle qui devait être sa mère.

- Enchanté, déclara la femme.

Francesca reconnut un accent éminemment étranger, qu’elle n’avait même jamais entendu. Un accent un peu sensuel et franchement exotique. Arrivant à la dernière marche, elle croisa le regard furieux d’Onatti. Il n’était pas à proprement parler furieux, mais la jeune femme savait reconnaître les expressions du capitaine, et celle-ci montrait tout sauf de la sympathie. Pizzi, lui, était un peu désemparé, il regardait tour à tour son ami et Francesca, ne sachant que faire. La jeune femme profita de son avantage temporaire :

- Moi aussi. Je vous souhaite la bienvenue à Gilliano.

Une formule qu’elle avait apprise auprès d’Onatti, le si aimable Onatti. Ce fut Pizzi qui continua les présentations :

- Francesca, voici Fatma, ma fille chérie ! Elle est venue de très loin pour vivre ici. Et voici ses deux enfants, Leïla et Malik.

La petit fille sourit à Francesca qui l’embrassa sur le front. Malik se leva de sa chaise et la salua en se courbant en deux et en déclamant une formule de politesse dans sa langue. Francesca le regarda faire avec attention.

- Ils ne parlent pas tiléen mais ne demande qu’à apprendre fit Pizzi en souriant.

Onatti ne disait rien, laissant la scène se dérouler sans intervenir. Francesca sentait qu’il se contenait. Elle demanda en continuant son rôle de maîtresse de maison :

- Vous avez trouvé un lieu pour vous loger ?

- Non, fit Pizzi à la place de sa fille, pour le moment, ils dorment dans les locaux de la capitainerie.

- C’est dommage ! lança Francesca d’un air attristé. Il me semble que nous aurions des chambres de libre ici…

Onatti leva la tête. Ce qui avait été le jeu innocent d’une enfant semblait devenir une attaque en règle. Il voulut ajouter quelque chose, mais Fatma répondit :

- Nous… Ne voudrions pas déranger…

- Mais vous ne dérangez pas du tout, n’est-ce pas mon oncle ?

Les relations entre Francesca et Onatti s’étaient un peu tendues ces derniers jours. Le capitaine laissa passer l’orage, il répondit humblement :

- Je ne sais pas, Francesca, il faudrait les nettoyer un peu, et retaper les lits…

- Peu importe, mon oncle, je le ferai ! Ca me fera un peu de compagnie, pour une fois !

Fatma discutait avec ses enfants, alors que Pizzi, lui, était gêné. Il se sentait l’instrument d’un bien inégal combat. D’où venait d’un coup l’agressivité de Francesca ? Et pourquoi jouait-elle ainsi ? Puis il étudia les regards de la jeune femme, qui se dirigeaient vers Malik. Il comprit alors qu’elle interprétait un rôle face à lui, face à ce garçon qu’elle ne connaissait que depuis quelques minutes. Il annonça alors :

- Je… Merci de ta proposition, Francesca, nous allons y réfléchir… Je crois que nous devrions y aller, Fatma, j’ai du travail à la capitainerie, et il faut que je te montre quelque chose…

- Bien… fit la femme, et elle se leva. »

Onatti se leva un peu, comme soulagé. Il remercia son ami du regard. Il attendit que tout le monde se soit levé et les accompagna jusqu’à la porte qu’il ouvrit. Tout le monde se dit au revoir de la main, et Pizzi sortit avec sa famille. La porte se referma violemment. Le silence se fit dans la grande pièce qui était encore parfumé d’un encens étrange, relent du parfum d’herbes que devait porter Malik, et que Francesca respirait avec ardeur.

Pizzi traversait les rues en compagnie de sa famille. Il tentait de parler le plus possible, en retrouvant les intonations gutturales et sifflantes de l’arabien.

« - Tu vois, Gilliano est vraiment une petite cité paisible ! Tu t’y plairas, c’est sûr…

- La proposition qu’a fait cette jeune fille… Non que je veuille m’imposer, mais elle pourrait être utile… La capitainerie est étroite, ce serait bien. Ne serait-ce que pour Malik et Leïla.

- Oui, mais… ça reste délicat tu comprends…

- Tu crois qu’il refuserait ? La jeune fille semblait tellement sûre d’elle. Et si accueillante.

Accueillante alors qu’elle n’était pas chez elle, pensa Pizzi.

- Il faudrait voir ça avec Onatti… Je ne peux pas te promettre pour l’instant.

- Seulement pour mes enfants… Tu peux bien essayer, papa !

Pizzi se retourna et sourit de toutes ses dents. C’était la première fois qu’il entendait ce mot, « papa », il en était tout ému. Même si sa fille avait quarante ans passés, il sentait poindre en lui un sentiment nouveau qui le rajeunissait, celui de la paternité.

- D’accord ma fille, je lui demanderait…

Puis, il ajouta d’un air rieur :

- Alors tu ne te plais pas dans ma capitainerie ?

- Non mais… Tous ces bateaux… On dirait ce que ce sont des monstres qui me regardent…

- Des monstres… Pourtant ces bateaux, ma fille, c’est ma vie, toute ma vie ! Mais je veux bien croire qu’ils ont l’air effrayant comme ça… »

Il continua de plaisanter sur le sujet, et Francesca et Onatti s’éloignèrent peu à peu. Mais alors qu’il arriva devant la porte de la capitainerie, il se demanda tout de même… Que s’était-il passé après leur départ ?

Modifié par Mr Petch
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