[Samedi] Epître de François Villon

[Invité Absalom]

Bonjour !
Comme promis, voici une nouvelle chronique du Samedi. J'ai choisi de vous présenter un poème de François Villon,.

[center][b]François Villon :
1431- ?
[/b][/center]Auteur de lais et de ballades, François Villon est également connu pour sa vie de mauvais garçon. Etudiant sans le sou et ne pouvant prétendre à une charge ecclésiastique, il traîne dans les ruelles parisiennes. On l’imagine oisif, se livrant au chahut et autres plaisanteries étudiantes (notons qu’en 1453, les cours furent suspendus tant le public était dissipé...comme quoi nos jeunes n’ont rien inventé contrairement à une légende solidement ancrée). Il appartient à la bande des Coquillards et sans doute vit-il de menus larcins. François sombre dans la misère et se marginalise.

En 1455, [b]il assassine en pleine rue Philippe Sermoise[/b], un jeune prêtre qui l’aurait pris à partie. Villon doit fuir Paris. En 1456, les poursuites sont annulées (la victime ayant pardonné son meurtrier avant de décéder et Villon n’ayant jamais été condamné auparavant. Sans doute les tribunaux ecclésiastiques dont il relève de par son statut de clerc étaient-ils particulièrement cléments. C'est l'Ancien Régime, ne l'oublions pas).

En 1457, il est impliqué dans [b]le cambriolage du collège de Navarre [/b]et doit à nouveau fuir la capitale.

En 1461, il est [b]emprisonné à Meung-sur-loire [/b]pour un motif que l’on ignore, mais surtout [b]il est déchu de ses droits ecclésiastiques [/b](peut-être pour avoir rejoint une troupe de saltimbanques, ce qui est interdit à un clerc. Ces "amis" seraient cités dans l’Epître ci-dessous). Cette déchéance est une catastrophe pour le poète car elle est définitive et le place désormais sous une juridction civile. Le 2 octobre, il est libéré à l’occasion de l’entrée de Louis XI dans la cité.

Dans les mois qui suivent, François est emprisonné à plusieurs reprises pour vol. Il est même torturé et finalement [b]condamné à être « étranglé et pendu » [/b](la justice civile, elle, ne rigole pas). Le 5 janvier 1463, la sentence est cassée. [b]Le 8 janvier Villon disparaît des livres d’histoire pour entrer « tout vif et tout joyeux dans la légende » [/b](dixit Claude Thiry dans l’édition en Livre de poche-Lettres Gothiques des poésies complètes)

Cette vie de voyou a bien sûr contribué à l’édification du personnage, et ce presque indépendamment de ses poèmes. C’est une erreur.
Je me suis obstiné à lire ses oeuvres complètes (si si) mais le texte de Villon est assez obscur. En fait je n’aurais quasiment rien compris sans le travail d'édition (Livre de Poche).

Le propos est souvent satirique, mettant en scène des supérieurs ou des camarades de Villon. On y trouve aussi des textes plus personnels, à la teneur plus angoissée même si la parodie n’est jamais très loin. On imagine que ses textes devaient circuler au sein de la bande des Coquillards et étaient sans doute appris par cœur. Brassens en a adapté quelques-uns (mais je ne conseille pas leur écoute tant la musique et la voix de Brassens ont tendance à effacer Villon au profit de la forte aura du chanteur).

Villon joue avec une langue qui n’est plus la nôtre, déformant les noms des personnes, des lieux, multipliant les double sens, les clés de lecture. Ca semble souvent drôle, méchant et sacrément bien troussé. L’appareil de notes s’avère utile (selon l’édition, l’orthographe peut également être plus ou moins modernisée).
[b]J’ai retenu cette épître [/b]car Villon y évoque avec beaucoup d’ironie le triste sort qui fut le sien. Malgré l’outrance de l’appel à l’aide qui peut et qui doit faire sourire, malgré les attaques perfides auxquelles Villon se livre contre ses amis, contre ses ennemis, on devine dans ces vers le portrait sans pudeur d’une époque qui ne fut certainement pas tendre avec ses misérables.

Villon fut, peut être malgré lui, le représentant de cette foule d’anonymes crevant de faim et de froid. C’est sans doute tout aussi naïf que d’en faire une canaille héroïque, maltraitant les convenances et les institutions mais qu’importe...c’est l’image que je veux garder de mon « pauvre» Villon..


[center][b]Espitre
[Epître à mes amis]
[/b]

Aiez pictié, aiez pictié de moy,
A tout le moins, s'i vous plaist, mes amis !
En fosse giz, (non pas sous houx ne may),
En cest exil ouquel je suis transmis
Par Fortune, comme Dieu l'a permis.
Filles amans jeunes gens et nouveaulx,
Danceurs, saulteurs, faisans les piez de veaux,
Vifs comme dards, agus comme aguillon,
Gousiers tintant clair comme gastaveaux,
Le lesserez là, le povre Villon ?

Chantres chantant à plaisance, sans loy,
Galans riant, plaisants en faiz et diz,
Coureux alans francs de faulx or, d'aloy,
Gens d'esperit, un petit étourdiz,
Trop demourez, car il meurt entandiz.
Faiseurs de laiz, de motés et rondeaux,
Quand mort sera, vous lui ferez chaudeaux !
Où gist, il n'entre n’escler ne tourbillon :
De murs espoix on lui a fait bandeaux.
Le lesserez là, le povre Villon ?

Venez le voir en ce piteux arroy,
Nobles hommes, francs de quart et de dix,
Qui ne tenez d'empereur ne de roi,
Mais seulement de Dieu de paradiz ;
Jeûner lui faut dimenches et merdiz,
Dont les dents a plus longues que ratteaux ;
Après pain sec, non pas après gasteaux,
En ses boyaux verse eaue à gros boullon ;
Bas en terre, table n'a ne tresteaux.
Le lesserez là, le povre Villon ?

Princes nommez, anciens, joulvenciaulx,
lmpetrez moy grâces et royaux sceaux,
Et me montez en quelque corbillon.
Ainsi le font, l'un à l'autre, pourceaux,
Car, où l'un brait, ils fuyent à monceaux.
Le lesserez là, le povre Villon ?



[/center]
Voilà. J'espère que vous avez apprécié la lecture de cette chronique. N'hésitez pas à poster vos commentaires ! Modifié le 10 décembre 2011 par Absalom

[SonOfKhaine]

"Villon. Notre dieu à tous", comme je disais à un ami pas plus tard qu'il y a quelques jours.

Au passage, "Je, François Villon" de Teulé est une vraie perle.

[url=http://www.youtube.com/watch?v=cDDl01I5KA4&feature=related]http://www.youtube.com/watch?v=cDDl01I5KA4&feature=related[/url] : belle interprétation de la Balade des pendus par Ferré, aussi. La superposition avec une de ses chansons dilue un peu le poème par contre, je n'ai jamais compris pourquoi il avait fait ça... Modifié le 9 décembre 2011 par SonOfKhaine

[Invité Absalom]

Merci pour ton com et merci pour le lien (j'écouterai à l'occasion).
J'aurais pu choisir les pendus qui sont dans la même veine pathétique mais je trouve que ce poème cache un peu l'oeuvre.
Il n'empêche le "[u]Frères[/u] humains qui après nous vivez, n'ayez les coeurs ..." me transperce le coeur à chaque lecture.

[quote name='SonOfKhaine' timestamp='1323471242' post='2045255']
"Villon. Notre [u]dieu[/u] à tous", comme je disais à un ami pas plus tard qu'il y a quelques jours.
[/quote]
Je reconnais bien là ton emphase, Fils de Khaine mais "Dieu" choque un peu l'humaniste et le lecteur attentif que je suis. "Villon, notre [u]frère[/u] à tous", voilà un titre qui lui convient mieux.

Le livre de Teulé m'intéresse. Je ne le connaissais pas et comme Teulé a bonne presse, ça m'intrigue.
A+ Modifié le 10 décembre 2011 par Absalom

[Lord Paladin]

Hey, merci. Je dois avoir un article assez long de Villon qui traîne dans les recoins de mon ordinateur. A l'occasion je la mettrez après un petit dépoussiérage et une adaptation à la version informatique (il est actuellement écrit pour un article dans la revue de mon ancienne école donc les intro//conclusion sont à modifier) enfin bref. Je trouve l choix du poème un peu dommage car il est plutôt long et moins fort que d'autre pas forcément aussi connus que la ballade des pendus. Je pense notamment à certains passages du [u]lais[/u] et à la [u]ballade de bonne doctrine à ceux de mauvaise vie[/u]. J'aime aussi pas mal la [u]ballade des proverbes[/u] mais bon.
Ca fait toujours plaisir de lire du Villon.

Pal'

[Invité Absalom]

Merci pour ton com et ravi de voir que tu refais surface après tes exam's !
[quote name='Lord Paladin' timestamp='1323804190' post='2047624']
Je dois avoir un article assez long de Villon qui traîne dans les recoins de mon ordinateur. A l'occasion je la mettrez après un petit dépoussiérage et une adaptation à la version informatique (il est actuellement écrit pour un article dans la revue de mon ancienne école donc les intro//conclusion sont à modifier) [/quote]
Tu pourrais en faire un deuxième Samedi !!!
[quote name='Lord Paladin' timestamp='1323804190' post='2047624']
enfin bref. Je trouve l echoix du poème un peu dommage car il est plutôt long et moins fort que d'autre pas forcément aussi connus que la ballade des pendus. mais bon.[/quote]
C'est volontaire. Les pendus sont trop attendus.

Mais je ne crois pas que l'épître soit moins forte. Villon met en scène la précarité de son existence face à l'indifférence et la frivolité de ceux qui l'entourent.
Malgré le côté un peu farce du texte, j'y vois un appel à l'aide sincère. Comment ne pas trouver cela "fort" alors qu'on ne sait rien de ses dernières années ?
La [b]répétition[/b] de l'apostrophe "Le lesserez-là, le povre Villon ?", cette [b]troisème personne [/b]pour parler de lui-même, [b]l'article[/b] devant le nom propre, [b]l'adjectif[/b]...ça accentue son isolement. Alors oui c'est farce dans l'excès, dans le pathétique (il compare ses amis à une bande de [b]pourceaux[/b] dans les derniers vers) mais je crois que le désarroi est sincère et l'appel à l'aide authentique. On a un Villon inquiet dans ce que je crois être un de ses derniers poèmes. Impossible de rester de marbre.

[center][b]Le lesserez-là, le povre Villon ?[/b][/center]

[quote name='Lord Paladin' timestamp='1323804190' post='2047624']
Je pense notamment à certains passages du [u]lais[/u] et à la [u]ballade de bonne doctrine à ceux de mauvaise vie[/u]. J'aime aussi pas mal la [u]ballade des proverbes[/u] [/quote]

Je ne sais plus et je vais de ce pas les relire (mais tu devrais en faire un Samedi!!! ) Modifié le 13 décembre 2011 par Absalom