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Ghiznuk

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Tout ce qui a été posté par Ghiznuk

  1. GÉANTS traduit de L’Univers du Neuvième Âge Les géants vivent en petits groupes dans les vallées les plus isolées des régions montagneuses. Si leur véritable nature et taille adultes demeurent sources de spéculation et d’effroi, comme nous le savons, les jeunes membres de leur espèce se retrouvent chez tous les autres peuples, dans toutes les régions du monde. Ces jeunes géants sont souvent intégrés dans les cultures de leurs hôtes auxquelles ils s’adaptent à un degré surprenant. Cet attachement au mode de vie autochtone des régions où ils vivent découle certainement de leur nature éminemment sociable et de leur désir de trouver des amis. Comme en attestent de nombreux commandants militaires, cette même amabilité et intelligence puérile rend les géants hautement imprévisibles au combat. Ils peuvent être mus par une loyauté démente, mais sont tout aussi prompts à de catastrophiques colères lorsqu’ils sont fâchés ou ont été blessés. Quant à moi, je considère les géants comme les âmes les plus pures et les plus douces en ce monde cruel. Si je n’ai jamais trouvé la force de coucher par écrit ma propre expérience, il me suffit de dire qu’il s’agissait d’une amitié qui a profondément affecté le cours de ma vie. Le présent ouvrage est à jamais dédié à mon vieux compagnon, Maurice. Ce monde ne méritait pas ta bonté. +++ « Le Cycle des géants » 1. Naissance Les parents élèvent les petits géants dans les montagnes. –> 2 2. Voyage Les jeunes géants ressentent une soif naturelle de découvertes et se mettent à explorer le monde. –> 3 3. Association Les géants rencontrent d’autres êtres qui les traitent bien et nouent des liens d’amitié, s’adaptant à leur nouvelle culture. –> 4 4. Départ Après plusieurs années, le géant s’en va subitement, soit qu’il a perdu son intérêt pour ses nouveaux amis, soit qu’il est à nouveau gagné par la soif de voyage. –> 2 ou 5 5. Retour au pays À partir d’un certain âge, le géant ressent un désir profond de retrouver les siens. Il retourne à son lieu de naissance et fonde une nouvelle famille. –> 1 – Extrait de De Monstri Corporis Fabrica, par Grégoire Kleber
  2. Les crocs derrière le masque Texte de présentation du Conclave vampirique sur le site C’est dans l’ombre des cauchemars de l’humanité que se terre une menace invisible, cachée derrière le masque de la civilisation. Les maîtres de la non-vie, les seigneurs assoiffés de sang, tirent les ficelles, manipulant les morts comme les vivants, menant dans le plus grand secret leurs luttes pour le pouvoir, faisant sortir des armées entières du tombeau. Restez dans la lumière, de peur que vous ne tombiez sous l’emprise du Conclave vampirique. Ranimés par la magie noire, les tués de la veille comme les morts depuis longtemps oubliés se lèvent pour servir. D’épouvantables fantômes hantent les ruines des châteaux abandonnés, d’horribles monstres morts-vivants pourchassent la chair des vivants. Tous autant de pantins qui accomplissent la volonté des seigneurs vampires, les plus dangereuses des créatures de la nuit. ++++++++++ traduction de L’Univers du Neuvième Âge De tous les pouvoirs terrifiants dont disposent les vampires, celui de la nécromancie est le plus connu. Il faut cependant comprendre que les cadavres ne sont pas réanimés par la seule magie. La manipulation d’une telle quantité d’amas de chair ambulants est en effet un tour de force inimaginable, dont seuls les dieux seraient capables. Pour vivre, les morts ont besoin de leurs propres instincts et pulsions : pour cela, une âme doit être insufflée dans la matière. Les morts-vivants mineurs ne requièrent que des âmes simples au comportement correspondant : celle d’un simple animal domestique suffit. Plus complexe l’entité, plus raffinée l’âme requise. Les vampires et autres nécromanciens échangent entre eux des individus de valeur destinés à un usage futur, ou luttent entre eux pour se les arracher. Lorsque le besoin s’en fait sentir, ils peuvent collecter des centaines, voire des milliers d’êtres pour générer des âmes qu’ils pourront manipuler afin de lever leurs armées de serviteurs. Il existe une seconde catégorie de morts-vivants, souvent plus menaçants que tout cadavre réanimé : ce sont les âmes qui résistent à l’attraction du Voile, refusant ou incapables de le traverser. Au lieu de rejoindre l’au-delà, ces esprits conservent une attache dans le Royaume mortel jusqu’à ce qu’ils aient obtenu satisfaction, ou qu’ils en soient bannis. Formant des corps éthérés, ils peuvent traverser les murs comme les armures, aussi mortels que n’importe quelle lame. +++ Un Chasseur vint un beau jour, tôt le matin, « Suivez mes ordres, tenons les vampires au loin ». Les sages scrutèrent les parages, Les fous devinrent festin. « Ils ne respirent, ne mangent, ne meurent, Ne vieillissent – et leur magie est leurre. Mais en plein jour perdent bravoure : Pour les vaincre, choisissez bien l’heure. » « Méfiez-vous : ont don d’asservir, Privez-les du sang qu’ils désirent. Apprenez leurs secrets, leur nature dévoilée, Aux lois du sang doivent obéir. » « Ils n’entreront si point n’invitez, Visez le cœur, coup assuré. Par le fer et le feu, alliés précieux, Frappez ! Ils partiront en fumée. » « Broyez les poussières qui restent, Les grands vents vous en délestent. Enterrez-les, mais veillez : Ils reviendront, gage funeste. » « Protégez-vous, parez-vous à l’instant Des symboles divins, écus brillants. Leur regard fuit tout ce qui est béni, Le salut certain de nos enfants. » – Comptine, « L’étranger vint en ville » +++ Les vampires semblent être des prodiges de magie innée : non contents de maîtriser les Arts les plus courants, ils déploient également de nombreux pouvoirs uniques découlant de leur nature. L’illusion est un facteur commun : je comprends que leur véritable apparence est tout à fait monstrueuse, mais qu’ils ne se trouvent que rarement sans un masque. De nombreux rapports font également état d’une capacité à changer de forme et à contrôler les esprits de façon hypnotique. Leur organisme guérit des blessures plus rapidement que tout autre être mortel, bien que ce pouvoir dépende fortement de leur consommation de sang, la grande Soif qui englobe tout. Les vampires sont souvent comparés à des dieux, tout particulièrement par leurs laquais et sycophantes. Et pourtant, ils démontrent une vive antipathie envers toute divinité ou créature du Royaume immortel. Peut-être que s’étant liés de façon irrémédiable à notre plan mortel, ils ne peuvent appréhender la perspective de traverser le Voile sans en ressentir un sentiment d’horreur. Quelle qu’en soit la raison, ils éprouvent souvent un inconfort en présence de symboles religieux, certains étant même incapables de pénétrer un sanctuaire béni de leur plein gré. +++ Pourquoi parler de « Conclave » ? C’est la plus grande des innombrables énigmes concernant cette soi-disant « aristocratie de la nuit ». Les vampires sont essentiellement des prédateurs solitaires qui protègent jalousement leur terrain de chasse et ne choisissent leurs nouvelles « recrues » qu’avec le plus grand soin. Dans ce cas, pourquoi choisiraient-ils de former une alliance si complexe ? La réponse se perd entre le mythe et l’histoire. Depuis l’Âge de la Mort, des chroniques et des légendes font état de plusieurs évènements au cours desquels cette race de suceurs de sang a fini par être révélée au grand jour en conséquence de ses conflits internes, qui ne pouvaient dès lors plus échapper à l’attention des dirigeants mortels. Pour chaque récit parlant d’un vampire régnant au vu et au su de tous, il en existe deux narrant la manière dont des loges ou des lignées entières ont été exterminées par une alliance des vivants. C’est pourquoi aujourd’hui, à l’insu de la plupart des gens, les vampires composent la société secrète la plus élaborée et la plus fructueuse du monde. Ils exercent leur influence sur les naïfs et les naïves qui leur servent de pions, recrutés parmi les grands et les puissants de ce monde, et emploient les plus nobles des institutions comme couverture pour leurs loges. Ils rivalisent les uns avec les autres pour les positions hiérarchiques, le prestige et l’accès à de nouvelles couches, de plus en plus complexes, de mystère et de savoir interdit. Mais surtout, ils ne permettent jamais que leur présence devienne trop connue, et s’appliquent à semer le doute à ce sujet. La preuve de leur réussite est que, pour la plupart des gens, mes paroles seront prises pour les élucubrations d’un fou. – Ludovico di Capri, Sous la peau, 702 A.S. L’auteur a mystérieusement disparu peu de temps après la publication de son ouvrage. +++ Les vampires. Suceurs de sang. Pâles gueules. Sangsues. Croquemitaines. Ils ont autant de surnoms que j’en ai tués. Ils se cachent derrière des légendes, ils se fondent sur des racontars pour semer la peur et la confusion. Leur force et leur rapidité sont fatales : mal avisé, le chasseur qui leur fonce dessus tête baissée. La façon la plus sage est de prendre le temps de déceler leur point faible. Ce qui concerne la plupart du temps leurs associés. Je classe ces faiblesses en trois groupes : Les rivaux : tels que d’autres nécromanciens, qui sont comme des vautours tournoyant au-dessus des loups. Là où vous les voyez s’installer, vous pouvez être sûr que le véritable prédateur s’y cache. Ils sont souvent prêts à négocier pour préserver leur propre vie, avant de se carapater et de laisser le Comte subir l’épreuve du feu. Les laquais et autres esclaves : peu de chance de coopération, étant donné qu’ils préfèreront traverser la Mer brisée à la nage plutôt que de dénoncer leurs seigneurs et maîtres. Mais ils ont tendance à être passionnés, au point où cela leur fait tourner la tête, et ils commettent souvent des imprudences. Suivez-les, vous trouverez leur chef. La nourriture : c’est le facteur le plus difficile à employer. Les sangsues se croient toujours trop rusées pour être prises au piège, mais on ne vit pas pendant des siècles et des siècles sans finir par adopter une certaine routine. Si vous parvenez à découvrir quels sont les habitudes et les goûts de votre proie, vous devriez pouvoir la prendre au piège. Correctement équipé, bien entendu. – Malthius Heitmann, chasseur de vampires +++ Les nouvelles lignées sont fondées par les quelques rares individus qui parviennent par eux-mêmes au vampirisme par voie de sombres rituels. Chacune de ces lignées est dotée de traits uniques qui seront transmis à leur progéniture de génération en génération, bien que peu nombreux soient leurs rejetons qui parviendront à égaler en puissance leur fondateur ou fondatrice. Les lignées les plus actives de nos jours sont les suivantes : Sangréal De purs guerriers, qui aspirent aux plus hautes prouesses militaires, s’adonnant souvent à des duels avec les membres de leur propre confrérie. Née en Équitaine, cette lignée s’en tient à son propre code d’honneur, et se délecte de grandes batailles. Stryges Véritables cauchemars, ces vampires se repaissent de la peur qu’ils lisent sur le visage de leur proie. Plus ancienne des lignées, tapie aux marges de la civilisation, elle incarne la peur que les humains ont du noir. Les stryges sont fortement liés à leurs domaines, qu’ils enveloppent de superstitions et de légendes. Lamianes Marionnettistes, manipulatrices, araignées… Avec leur art du subterfuge et leur influence inégalés, ils se nichent souvent comme un cancer au cœur des grands empires. Agissant par l’intermédiaire d’autrui, ne se révélant qu’à l’heure du triomphe, ils emploient la beauté et le charisme comme des armes finement aiguisées. Vétala Nobles même parmi les autres Comtes de la Nuit, ils mettent un accent particulier sur l’hérédité, sans doute parce que leur lignée est une des plus jeunes de toutes. Chacun d’entre eux trouve sa place parmi les aristocrates ou les dignitaires, exerçant un contrôle sur leur domaine de façon plus ouverte et directe que d’autres vampires. C’est leur capacité à commander aux masses qui définit leur règne. – Pantelis Nicolidès, nécromancien et érudit myran
  3. Mise à jour du fluff Équitaine suite à la révision de leur lore
  4. Histoire La Bataille de Camavon 836 A.S. Eugène Delacoupe, huile sur toile, 102 pouces sur 78 Eugène Delacoupe (804-869) était un peintre reconnu de la période avrantique dans les écoles destrienne et æturienne. La Bataille de Camavon est son œuvre de jeunesse ; elle commémore le célèbre combat, traditionnellement daté de l'an 9 A.S., au cours duquel le chevalier rebelle Uther a « vaincu » le puissant Gilles de Raux, Premier Nécroprince du Royaume impérissable et Seigneur éternel des Grands Mystères. Uther fut ensuite couronné premier roi mortel d’Équitaine. Le style de ce tableau a des tendances avrantiques à l'exagération et à l'émotion, avec les feux de la bataille qui illuminent et mettent en valeur le héros humain, se dressant au-dessus du corps gisant de son ennemi sans tête. L’Uther historique provenait d'un duché plutôt éloigné et sans importance du nord de l'Équitaine ; rien ne prouve qu'il ait accompli quoi que ce soit d'important avant de rejoindre la croisade de la Sainte à l’Épée flamboyante, profitant largement de la renommée qu’Elle s’était taillée en Orient. L’artiste se plie à la propagande équitaine traditionnelle sur le statut du nouveau roi en tant que champion de la Dame (bien qu'il ait passé la majeure partie de sa vie à fréquenter des puissances étrangères). Rien dans les récits de l’époque ne suggère que le Chevalier d’émeraude ait été présent à Camavon, comme le représente l'artiste, ni qu'une fleur de lys chatoyante soit apparue spontanément sur le bouclier d'Uther. Aussi célèbre que soit le travail de Delacoupe, les meilleures études suggèrent qu'il s’est laissé leurrer par la mythification des grands évènements de l'histoire équitaine. Les archives démontrent que c'est en fait bien à Gilles, Roi Passé et Futur, que revient le mérite de l'édification de cette nation. C'est lui qui a protégé les peuples éparpillés de l’antique Regio Equitatem face aux hordes de la Vermine, qui les a rassemblés en un seul royaume, qui a fondé les traditions chevaleresques et qui a maintenu la paix sur ce territoire, permettant au pays de prospérer pendant les siècles qui ont précédé la naissance d'Uther. Pour une interprétation plus juste et plus honnête du règne de Gilles l'Impérissable, nous recommandons à nos visiteurs libres penseurs d’aller contempler le Triomphe du Roi noir de Péricault, exposé dans la Salle des Cérémonies. – Plaque descriptive d’un tableau présenté au siège de la Guilde des tisserands à Guênac, club de gentilshommes et société fraternelle possédant des loges dans toute la Vétie occidentale
  5. SI CHEVALERIE M’ÉTAIT CONTÉE Guide du Royaume d’Équitaine Traduit du parler équitain en langue moderne par Dieter Frucht, Université d'Eichtal Responsable de la faction : Peter G. Orfanos Chef de l’Équipe background : Edward Murdoch Co-auteurs : Sebastiaan Follens, Charlie Lloyd, Henry P Miller, Edward Murdoch, Peter G. Orfanos, Glenn Patel, Matt Perriss, Alessandro Vivaldi, John Wallis, Calisson Rédaction : Peter G. Orfanos, John Wallis Expertise linguistique : Ghiznuk Mise en page : Kacper Bucki Traduction française : Thraedor, Ghiznuk, Aenoriel Très cher Abou Zafar, En cette heure où tu pars en voyage, plein d’espoir, je profite de l’occasion pour te dispenser ces quelques conseils. Mon neveu, tu évolues à présent dans des cercles dont on chante les louanges. Tes vaillants efforts au nom de notre déesse nouvellement adoptée, notre Dame bénie, t'ont valu de grandes éloges de la part de la Mère Patrie et une invitation de Sa Majesté. Malgré tout, tu es le premier de notre colonie à voyager en Équitaine depuis notre avènement, et cela comporte des dangers. Je suis certain que le roi Henri reconnaîtra en toi la grandeur de nos gens, et notre place au sein du Royaume en sera assurée. Mais tu marcheras dans un véritable nid de vipères des sables, où ton moindre faux pas les verra empoisonner l'oreille de Sa Majesté en ta défaveur. Ce voyage est pour toi l’occasion de te préparer, d’apprendre, de connaître nos correligionnaires aussi bien qu'ils se connaissent eux-mêmes. Je t’offre cette collection de parchemins qui sera pour toi, j’en suis convaincu, la meilleure des armures au cours de cette quête. Porte-la bien, et fais honneur à nos ancêtres. Nos titres peuvent ne pas signifier grand-chose pour les Vétiens aujourd’hui, mais avec le temps, ils apprendront à nous connaître et sauront notre valeur. Va en paix, et que le succès rencontre tes pas. – Mansour al-Hafiz Lettre envoyée au tout nouveau duc d’Équitaine, depuis la colonie de Tahouat en-Ounser
  6. DRAGONS traduit de L’Univers du Neuvième Âge La Société impériale considère les dragons adultes comme les créatures les plus puissantes jamais rencontrées dans le Royaume mortel. Même si certains érudits remettent cette notion en question, il ne fait aucun doute que ces bêtes merveilleuses font partie des atouts militaires les plus recherchés, et jouent un rôle de premier plan dans l’imaginaire collectif d’à peu près toutes les cultures du monde. Les dragons nichent dans toutes les régions du monde ; certaines races sont particulièrement adaptées à un type d’habitat en particulier. Étant donné qu’ils peuvent vivre plusieurs siècles, ils sont pratiquement toujours considérablement plus âgés que leur compagnon humain ou même elfique. Ils sont particulièrement remarquables pour leur affinité pour la magie. Tout comme les surnaturels et créatures comparables, les dragons peuvent manipuler la magie sans effort pour produire des effets spectaculaires, tels que leur capacité à voler, leur feu intrapulmonaire, et même parfois quelques sorts qu’ils ont appris d’eux-mêmes. Quand bien même cela paraîtrait biologiquement impossible, toutes les données confirment que ces êtres sont bel et bien par nature des créatures mortelles, composées essentiellement de chair et de sang. +++ Chacun d’entre nous possédait ses propres ressources et avait son propre domaine de recherche spécialisé. Nous aimions nous répéter que nous avions une stratégie ou un plan à long terme, mais tout ce dont je me souviens de nos réunions était que nous échangions des informations tout comme d’autres échangent des pierres précieuses. Oglethorpe nous a parlé de rituels de reproduction aussi violents qu’inoffensifs. Da Quino nous a fait le résumé d’un grimoire occulte qui tentait de catégoriser les trésors célèbres : la plupart des dragons collectionnent l’or et les joyaux, mais beaucoup d’entre eux collectent aussi des objets beaucoup moins familiers ; certaines collections draconiques sont tout à fait ésotériques. Nous avons étudié leur habitude de « sommeiller », qui consiste à passer de longues périodes de dormance et de récupération pouvant s’étendre sur des décennies, particulièrement après avoir subi de graves blessures. Le plus fascinant pour nous était le travail réalisé par Khozemi sur leurs grandes assemblées. Nous fûmes fascinés par ce sujet pendant de nombreux mois. Malgré tous nos efforts, nous ne parvenions pas à établir la périodicité exacte de ces terribles réunions de dragons. Elles se produisent en moyenne une fois tous les cent ans dans chacune des grandes régions du monde. Mais nous comprenions encore moins quel en était le but. S’il paraissait établi qu’elles avaient pour objet la discussion, nous n’avions pas la moindre idée de quoi pouvaient bien discuter ces immenses créatures. Je doute de ce que nous autres, mortels, l’apprenions jamais. Mais le sentiment général parmi notre groupe était que les dragons ont certainement des plans qui dépassent de loin notre compréhension primitive. – Mémoires d’une membre d’un « Club d’appréciation des dragons » +++ Nous ne savons toujours pas si les rumeurs concernant l’œuf de dragon qui serait conservé par la famille régnante de Zmayevatz sont véridiques. Rappelons donc certains faits, sans nous départir de la plus grande prudence. Les dragons n’atteignent leur pleine stature qu’après de nombreux siècles. Les chasseurs d’œufs sont parfois parvenus à contrôler de jeunes dragons pendant dix ans ou plus avant que leur instinct de domination naturel ne brise tous les liens de domestication. Mes sources abondent toutes dans le même sens : il n’y a qu’une seule manière d’effectivement monter un dragon, et c’est lorsqu’il choisit de son plein gré un partenaire mortel. Ce qui est rare. Les raisons de cette décision restent obscures. La plupart des compagnons ainsi choisis sont des elfes (nous ignorons pourquoi), mais ils ne se limitent pas à cette seule espèce. Qui plus est, on n’a jamais vu de dragons se combattre l’un l’autre hormis ceux qui ont accepté un cavalier. En toute autre occasion, on dit des dragons qu’ils abhorrent les affrontements entre eux. Peu nombreux sont les dragons non associés à un simple mortel qui se mêlent des affaires des peuples inférieurs. Une notable exception à cette règle est l’Empereur du Tsouan-Tan. Je dois cependant souligner le fait que tous les dragons sont des êtres hautement intelligents. Ils sont même capables de parler : on dit d’ailleurs que toute conversation avec l’un d’entre eux est une expérience éprouvante et qui change souvent entièrement la vie de la personne concernée. Ils sont de nature variée, mais ont tous la fierté en commun. En outre, ils sont rarement francs dans leurs interactions. Mon avis en ce qui concerne cette affaire est qu’un jeune dragon sorti de l’œuf serait un énorme atout pour Zmayevatz pour un certain temps, mais qu’au final, il risque tout autant d’entraîner d’irrémédiables pertes à ses possesseurs que de leur profiter. – Rapport au Comte de Coslingen
  7. p.1 LE IXe ÂGE BATAILLES FANTASTIQUES SPLENDEUR ET EFFROI Guide des Elfes noirs p.2 LE IXe ÂGE BATAILLES FANTASTIQUES SPLENDEUR ET EFFROI Guide des Elfes noirs Auteurs principaux : Daniel Eugui, Scott Jones Responsable de la faction : Marko Lukić Chef de l’Équipe background : Edward Murdoch Co-auteurs : Henry P Miller, Alessandro Vivaldi Relecture : John Wallis Mise en page : Kacper Bucki Traduction française : Nitch, Mad Otter, Thraedor, Ghiznuk, Ænoriel Première édition, avril 2021 p.3 Rapport de mission – Inquisiteur Première classe Elmar Lorca CLASSIFICATION : SUB-ROSA – À DESTINATION DE : ÉTAT-MAJOR 948 AS, le 27 damose La situation qui prévaut à Avranne est celle d’une scène de guerre. Les forces de la république du Dathen ont provoqué des dégâts considérables et les habitants se sont réfugiés dans les villages des collines environnantes, mettant à rude épreuve les infrastructures locales. Edmund Readwalde, Comte d’Avranne, a accepté l’offre d’aide impériale. Je crois que c’est en partie pour hâter une réaction de la part de la Cour d’Équitaine, le comte y étant en disgrâce (source locale). Nous estimons que sa coopération avec Aschau est une tentative de tirer parti de la paranoïa de la Couronne à l’égard des motivations impériales dans la région. Nous conseillons de maintenir cette approche. Les forces ennemies ont recouru à la tactique caractéristique des Daebs. Des témoins oculaires ont rapporté avoir vu se lever un brouillard soudain et impénétrable provenant de la mer, duquel ont émergé des masses flottantes, de la taille de maisons. Il est probable que les elfes avaient préalablement effectué une mission de reconnaissance des lieux ; ils ont fait preuve d’une surprenante intelligence des routines de la gardes, du fonctionnement de la ville et des horaires des marées locales. L’attaque a été précédée par des éclaireurs, vraisemblablement des Capes noires. Nous supposons que ces agents se sont fait passer pour des marchands arandais lors des dernières semaines dans le but de recueillir des renseignements. Des personnes inconnues prétendant venir de Celeda Ablan (source locale) ont en effet été aperçues dans la ville. Cependant, mes contacts au sein de la flotte marchande des Hautes Lignées affirment ne pas connaître d’individus correspondant à leur description, ni leur navire (source fiable). Cette action à Avranne est d’autant plus inquiétante qu’on a rapporté ces dernières semaines des activités suspectes similaires le long de la côte impériale. Elles présentaient les mêmes caractéristiques que celles décrites ci-dessus. Plus troublant encore, les forces qui se sont abattues sur la ville sont commandées par une aristocrate daèbe dont la réputation n’est plus à faire (nom de code : « Rose noire »). C’est une soldate remarquable ayant suivi une formation militaire conventionnelle par choix, et qui est encore plus redoutable dans le domaine de l’espionnage. Nos renseignements actuels suggèrent qu’elle aurait pu infiltrer les échelons supérieurs de la Cour des Hautes Lignées avant sa nouvelle prise de fonction. Nous ne sommes pas encore parvenus à identifier les individus susceptibles d’être sous son emprise. Nos agents au sein de la sphère diplomatique d’Aldan ont été informés de la situation ; nous nous attendons à recevoir d’autres nouvelles prochainement. Rose noire est influente au sein de la faction sénatoriale « Mère-Patrie » dont l’étoile s’élève à Rathæn. Cette faction constitue une menace existentielle pour l’ensemble de la Vétie, particulièrement pour Sonnstahl. La mémoire elfique remonte en effet à des temps immémoriaux, et mes recherches suggèrent que de nombreux membres de la faction « Mère-Patrie » ressassent encore leur défaite en Vétie à l’époque de la fondation de l’Empire. J’ai demandé à mes agents dans le secteur nord de prêter une attention particulière à toute activité maritime. L’Inquisition recommande que tous les commandants de garnison reçoivent l’ordre de redoubler de vigilance et de s’assurer que les infrastructures et les services locaux soient en mesure de prêter leur concours à une mobilisation rapide. Cette affaire est maintenant de la plus haute priorité. Veuillez vous attendre à recevoir d’autres rapports. J’ai joint à cette missive plusieurs documents, fruits de mes recherches, susceptibles de vous intéresser. Sunna Libera Nos ! E. Lorca Postscript : le Comte semble disposé à jouer le rôle d’informateur de l’Inquisition. Je recommande de suivre ce contact de très près.
  8. p.4 INTRODUCTION Un atlas authentique ne peut être qu’un simple recueil de cartes et une description de terres plus ou moins lointaines : il cherche à faire l’inventaire de la totalité du monde. Et quel meilleur sujet, de ce point de vue, que les peuples qui l’habitent ? Dans le présent ouvrage, j’expose un assemblage de mes propres notes et d’extraits écrits par d’autres auteurs que j’ai acquis au fil de mes recherches. J’ai cherché à réunir des pièces présentant un intérêt particulier ou des informations notablement éclairantes au sujet des nombreuses puissances et races qui luttent pour le contrôle du monde, ou du moins pour l’influencer. Certains auteurs qualifient le Neuvième Âge d’« Âge de l’Humanité ». On ne peut en effet nier le fait qu’au cours des siècles qui se sont écoulés depuis que Sunna est venue reprendre Avras — véritable symbole de la grandeur humaine en Vétie —, notre race est sortie de l’ombre de ses aînées, plus vieilles, plus grandes et plus fortes. Cela est vrai en maintes régions et contrées. Mais, en vérité, cet âge n’appartient ni à une seule nation, ni à une seule race. De fait, le trait peut-être le plus marquant de notre époque est l’intensification des communications et des relations entre des peuples vivant aux quatre coins du monde. Ces interactions sont tout aussi souvent pacifiques que violentes. Aucune année de cet âge ne s’est écoulée sans que n’éclate l’une ou l’autre guerre sur chaque continent. Les humains, race dite ascendante, passent leur temps à guerroyer entre eux dans toute la Vétie et au-delà, même s’ils sont tout aussi prompts à s’allier face à leurs ennemis communs : la terrible menace de la steppe et des Désolations à l’est, les armadas elfiques venant de l’ouest, et les morts-vivants, la vermine et les serviteurs des Dieux Sombres endéans nos propres frontières. En outre, les nations humaines ont beau se targuer d’avoir acquis les marques de la civilisation, peu d’entre elles peuvent affirmer avoir complètement pacifié les tribus barbares de bêtes, d’orques, de sylvestres et de sauriens qui occupent des pans entiers de leur territoire. Ces menaces sont présentes en tout lieu où les humains ont posé le pied, c’est-à-dire partout dans le monde. Car à peu près toutes les grandes factions de notre époque sont des puissances mondiales, même si elles ne sont pas toutes organisées de façon si centralisée que les elfes des Îles blanches, à la tête d’un empire sur lequel, dit-on, le soleil ne se couche jamais. Nous avons entendu parler de colonies vermineuses en Silexie, sans doute établies là il y a bien longtemps par des individus cachés dans les cales de grands navires, ayant rompu tout lien avec leur Avras ancestrale, mais s’accrochant toujours vraisemblablement à des versions déformées de leurs mythes fondateurs. Les ogres, dont la force se trouve dans les montagnes et les steppes d’Augée, fondent également de modestes mais irréductibles royaumes sur d’autres continents, où ils apprennent les coutumes autochtones sans pour autant mettre de côté certains éléments inaliénables de leur propre nature. Les gobelins, dit-on, disposent d’un réseau d’espionnage extrêmement complexe, englobant le monde entier, leurs « jardins » se transmettant des informations qui leur confèrent un incroyable pouvoir de prescience. La stratégie gobeline, rusée, coïncide souvent avec une résurgence de leurs alliés de toujours, les orques, capables de débouler presque n’importe où en grand nombre et sans le moindre signe avant-coureur. Tant les seigneurs vampires que les agents des dynasties immortelles parcourent le monde, tentant en secret de diriger le cours des vies mortelles. Tous les êtres vivants tremblent à l’idée de devoir affronter les armées implacables qu’ils déploient pour accomplir leurs insondables desseins. Même les nains, qui forment la plus immuable et inflexible des races, entreprennent continuellement de longs périples entre leurs forteresses en Vétie, en Taphrie et dans les pics des Jötuns, renforçant leur adhésion à une culture commune, tandis que leurs cousins orientaux, qui dominent la Plaine foudroyée d’une main de fer, maintiennent leurs propres comptoirs commerciaux dans la Mer médiane, en Taphrie et au-delà. Les elfes se sont divisés en trois grandes factions, cherchant chacune à étendre son influence aussi loin que possible à la surface du monde. Les elfes des Hautes Lignées et ceux de Silexie restent les deux plus grandes puissances maritimes, possédant des villes, des plantations, des bastions et des centres de recherche sur de nombreux rivages exotiques. Si les humains se sont récemment lancés dans l’aventure coloniale, les elfes maîtrisent l’art de l’empire depuis des millénaires. Pendant ce temps, leurs cousins aînés, qui vivent dans la Sylve, maintiennent leur pouvoir divin dans la forêt de Wyscan, mais emploient une mystérieuse et archaïque magie arboricole pour se projeter dans les autres grandes forêts et jungles du monde, rappelant leur primauté aux tribus sylvestres locales. Tout comme il existe d’innombrables tribus et royaumes humains vivant en toute indépendance en de nombreuses contrées — la plupart méconnues des érudits vétiens —, on rencontre également des groupes de nains, d’elfes et d’autres races vivant en de lointaines terres barbares, sans le moindre contact avec les grandes puissances que sont les Forteresses, les Citadelles infernales, le Trône de perle ou les Trônes d’obsidienne. Au vu de ce foisonnement et de cette diversité de cultures et de peuples, la désolante ubiquité de la guerre paraît inévitable. La plupart des races conservent une méfiance et une répugnance innées des autres, et il est rare de voir plusieurs d’entre elles partager un même territoire ou vivre côte à côte en toute harmonie. Rare, mais certainement pas inouï. De nombreuses grandes métropoles abritent une population merveilleusement bigarrée : penons pour exemple le ghetto gobelin de Zmayevatz, les marchands nains de Guênac, l’ambassade arandaise à Aschau, la redoute des mercenaires ogres à Myra , et même le barrio saurien de Port-Roig. Mais la palme du cosmopolitisme revient bien entendu à la cité où le présent âge a été inauguré : la sainte ville d’Avras, « Joyau de l’humanité », qui accueille en son sein un nombre incalculable de voyageurs, artisans, commerçants, soldats et espions de toutes les races imaginables, de sorte que les humains eux-mêmes s’y trouvent en minorité dans plusieurs quartiers. Son symbolisme s’est peut-être transcendé : il s’agit désormais d’une grandeur qui dépasse la seule humanité. Elle est l’incarnation même du Neuvième Âge. – Un Nouvel Atlas du IXe Âge, par Johannes Strabo
  9. Hello ! @Magnan XXIII Les fiches sont-elles à jour pour les Elfes noirs et les Nains infernaux ? Y a de la demande
  10. L'ÉPOPÉE DE KIBOTESH Aujourd'hui, nous sommes fiers de vous présenter l'Épopée de Kibotesh, une merveilleuse découverte littéraire parvenue jusqu’à nous depuis l’antique civilisation naine, traduite en français ! 36 pages de pur plaisir littéraire, au fil desquelles nous suivons le grand roi nain Kibotesh et son conseiller, Lugar. N'hésitez pas à nous faire part de vos retours ! ? Lien vers le portail des téléchargements du Neuvième Âge : LIEN Lien de téléchargement direct : LIEN
  11. p.78 Citadelles des Nains infernaux Dans la Plaine foudroyée, vous ne trouverez pas de gouvernement central. Chacune des citadelles lève et équipe ses propres troupes. Cependant, ces armées se regroupent fréquemment pour affronter certaines menaces puissantes. D’après mon expérience, ces forces se distinguent surtout par les différents dieux païens auquels elles ont prêté allégeance. J’ai eu l’occasion d’interroger une citoyenne infernale sur ce sujet. Et, si ses dires sont véridiques, ces nains barbares vénèrent un panthéon de tout juste quatre dieux appelés les Vanebs, un mot qui signifierait simplement « la Flamme ». Trois de ces dieux (c’est-à-dire tous, sauf Lugar qui se serait élevé au rang de divinité que dans une ère plus récente) se manifestent sous plusieurs formes ou aspects divins ayant chacun leurs propres noms et attributs. Pour un étranger, ces derniers peuvent facilement passer pour des dieux inférieurs. Il existe, par exemple, Ashuruk le Scribe, Ashuruk le Porte-soleil et Ashuruk le Mage, pour ne citer qu’eux. Ils se nomment respectivement « Kabu », « Nerkar » et « Ura », et sont des représentations distinctes d’un seul et même dieu. Chaque citadelle se vante d’abriter des temples de chacune des quatre divinités mais généralement, elles tendent à ériger le culte d’un aspect mineur d’un des dieux au-dessus de sa position habituelle dans le panthéon. Dans de nombreux cas, la cité et sa divinité titulaire finissent par se confondre, profondément interconnectées au fil des siècles. Si bien que lorsque l’on affronte une armée infernale, on peut déterminer sa citadelle d’origine par les icônes religieuses qu’elle brandie en guise de bannières. Ci-après vous trouverez des bannières que j’ai pu rencontrer. Ce n’est qu’un petit échantillon et elles ne représentent pas forcément les citadelles les plus puissantes de la Plaine, pourtant elles hantent encore mes cauchemars. – Capitaine émérite Urs Bödeker, Légions de fer de Myra ––––– Sakumesh La citadelle de Sakumesh contrôle un des rares lieux du territoire infernal où l’on peut pratiquer l’agriculture conventionnelle. Elle est dédiée à Gantar, une représentation de Shamut le Vengeur, figurée par une déesse guerrière liée au sexe et à la fertilité. Dans la mythologie naine, Gantar fut capturée et tuée dans les limbes avant de revenir à la vie. Ce symbole du cycle de la vie est partagé par beaucoup de cultures à travers le monde. Les nains orientaux voient généralement dans l’histoire de Gantar une parabole qui condamne la vie sous terre, telle qu’adoptée par leurs cousins occidentaux. L’emblème de Gantar est un lion en laisse. Gar-Shakhub De nos jours, c’est la citadelle la plus proche de la Fournaise, bâtie sur l'un des refuges créés lors de cet antique cataclysme. Au fil des ans, les descendants de ces survivants ont développé une force d’esprit et une dévotion sans égale au mythe nationaliste de la supériorité infernale. Gar-Shakhub a tenté à plusieurs reprises d’unifier la Plaine foudroyée depuis la création de la Fournaise, sans succès. Ses citoyens vénèrent Mikrash, une représentation primordiale et mystique d’Ashuruk associée à la foi et aux serments. Dans sa citadelle il est considéré comme le dieu de la nation. Sa bannière arbore une hache enveloppée de flammes. Nekek-Nelem Perchée sur la crête d’une montagne fortement boisée, Nekek-Nelem est une citadelle sombre et troublée qui n’a jamais étendu son autorité, mais qui ne fut jamais conquise non plus, grâce à sa position très facile à défendre. Sa déesse tutélaire est Dame Reshal, nom donné à Nezibkesh le Fossoyeur, gardienne respectée et crainte des profondeurs où les morts demeurent. D’après les vieilles légendes, l’entrée du Monde-du-dessous, Runalla, se trouverait sous les fondations même de la cité. Les bannières de Nekek-Nelem portent une unique bande noire représentant à la fois la mort et le charbon, minerai sacré de Reshal. Dedushak Symbolisée par un grand éclair, la citadelle de Dedushak voue un culte à Kadad, déesse du ciel et avatar de Shamut l’Ailé. Bien que Kadad est sensée contrôler les évènements météorologiques de manière général, elle est le plus souvent associée aux orages, qui sont les manifestations de ses violentes étreintes avec Nezibkesh le Défaiseur, Huzid. Dedushak est une citadelle militariste dominée par le clergé de Shamut, et où l'on peut trouver plus de taurukhs que dans les autres citadelles. Les voyageurs racontent que les énormes cornes de bronze érigées par-delà ses remparts projettent des éclairs à travers la Plaine foudroyée quand la citadelle part en guerre. Kubnut-Bebit La plus orientale des citadelles, Kubnut-Bebit, est influencée par les cultures et les traditions de l’Extrême-Orient. Elle est fabuleusement riche, profitant de la Route de l’acier comme aucune autre citadelle, sauf peut-être Vanekhash. En théorie, cette citadelle est le lieu sacré de Ura, la déesse de la magie, mais récemment les bannières de Kubnut-Bebit s’ornent de l’étoile de Tazda, une divinité étrange, androgyne, qui ne provient pas clairement des Vanebs. Son culte, inspiré des religions orientales, est pratiqué de manière presque monothéiste, à la limite de l’hérésie. Tazda semble être une divinité de vérité et de pure « bonté », du mieux que je puisse traduire le terme abzhaghab. Zetivak Une citadelle ancrée dans l’orbite de Zalaman-Tekash, Zetivak est aussi connue sous le surnom de « Bibliothèque de Zalaman ». Il s’agit du plus grand lieu d’apprentissage de la Plaine foudroyée, disposant du plus grand registre de tablettes et de parchemins conservés par une armée de scribes. De fait, son patron est Kabu, Ashuruk le Scribe, réputé pour son savoir et sa sagesse. C’est une divinité mineure, puisque, hors des murs de Zetivak, Lugar a usurpé depuis longtemps la plupart de ses attributs. L’armée de cette citadelle n’est pas très importante mais elle contribue à fournir aux forces de Zalaman ses plus puissants magiciens. Ces derniers sont identifiables grâce au croissant de lune, symbole de Kabu. Nedzhid Nedzhid est parfois appelée la « Citadelle de la nuit » à cause des fumées opaques qui s’élèvent de ses fabriques, dissimulant le ciel pour tous ceux qui ne vivent pas dans les plus hautes ziggourats. Positionnée au nord de la mer de la Soif, il s’agit probablement du plus grand bastion des industries infernales. C’est une citadelle relativement récente, fondée au cours de la guerre contre les précédents occupants de la mer, les Arandais. Les guerriers de Nedzhid portent sur leurs étendards un engrenage de Ninarduk, un aspect de Nezibkesh l’Inventeur, patron des ingénieurs.
  12. p. 76 Char à kadims Approchez. J’ai beaucoup appris du prisonnier. C’est un invocateur de dieux des peaux-d’acier. Dans son arrogance, cet insensé m’a conté bien des choses. Oui, celui-là, le captif qui conduisait le chariot infernal. Beaucoup ont péri pour ce fait d’armes… Il a chanté pour nous son histoire, et nous avons appliqué les couteaux pour la lui faire chanter encore, chanter plus vrai. Chacun de ses chants était pétri dans le mépris et la haine, mais jamais le chant n’a changé. Son mérite : jamais il n’a montré la peur, même après avoir été désarçonné, même après avoir été cloué à terre par nos lances, par nos haches et nos épées. Je croyais qu’il était en proie au délire de ceux qui se fient à des dieux et à des esprits, mais maintenant, je n’en suis plus certain. Il a affirmé être celui qui a invoqué ces horreurs qu’ils appellent kadims : des déités de feu liées à l’acier. Il a raconté son voyage vers l’Œil-de-feu dans les Grandes Désolations pour y conclure son pacte. Folie, il a invoqué une déité pour tirer son char à la guerre. Arrogance, il pense que seul un Inné est un attelage digne de lui. Insensé, comment ne peut-il voir que c’est le kadim qui en retire toute la gloire et non lui ? Il sait manier les armes, il sait manier les sortilèges, mais comment peut-il penser que son histoire soit suffisamment digne d’être chantée ? Tous se rappelleront l’Horreur-de-flammes, et non le peau-d’acier caché derrière elle. Son propre discours le trahit : il nous a parlé des runes et de ses subterfuges qui le protègent des flammes de la déité. Insolence, il pense que nous ne pourrons jamais délier la trame de ses mensonges, même en cent générations. Voyez la vérité cachée : même les peaux-d’acier redoutent ces horreurs qu’ils prétendent asservir. Ce ne sont ni leurs guerriers, ni leurs champions, ni leurs invocateurs que nous devons craindre. Pas même leurs sorts ni leurs lames affutées. Mais le char lui-même… En cercle. Écoutez bien, jeunes-cornes, la raison pour laquelle vos pères ont souffert. C’est un chant que vous devez apprendre, si vous ne voulez pas partager leur destin, si vous voulez leur offrir leur vengeance. Apprenez. Gagnez la sagesse de nos blessures, car cette connaissance fut acquise au prix de nombreuses pertes parmi les nôtres. Ces chars ressemblent aux nôtres, mais tirés par des choses de feu noir qui sentent la haine et la colère. Forgés, comme des lames de métal, pas en bois, pas en corne, pas en os, car tous ces matériaux seraient consumés par leurs flammes. Façonnés en des formes cruelles et mauvaises : l’un est un taureau, l’autre est un karkadan, ou n’importe quelle autre bête, mais toujours enveloppés de détestables flammes noires. Brûlants, les kadims qu’ils contiennent sont attachés et contraints, brandons en furie. Puissants, brisant les boucliers et fracassant les os, ils font voltiger les corps comme vous jetteriez le noyau d’un fruit. Et malheur à qui tombe sous leurs sabots : leurs flammes brûleront aussi bien leur esprit que leur chair et leur fourrure. Les flammes qui les embrasent ne s’éteignent pas avec la mort, les esprits brûlés ne peuvent rejoindre nos totems. Et chacune de ces pertes nous affaiblit. Dans les plaines de Grandgrain, cette horreur mit fin aux récits du chef minotaure Bras-de-bronze. Ce fut une longue journée de bataille, nos haches tranchaient leurs esclaves et leurs soldats. Loups et gobelins étaient impuissants face à nous. Les cornes-cachées n’ont pas tardé à détruire les machines derrière leurs lignes. Leurs géants tombèrent face au gortach. Seul leur centre tint bon : volonté de fer et expertise aux armes. Les meilleurs d’entre eux, les Immortels. Ils n’hésitaient pas, ils ne criaient pas, ils ne provoquaient pas, ils ne fanfaronnaient pas. Il pleuvait sur eux javelots, flèches et rochers de cyclope. Ils n’ont pas reculé. Les fières-cornes les ont chargés, et ont été repoussés. Ils enduraient. Bras-de-bronze savait que s’ils ne fuyaient pas, c’est qu’ils devaient mourir. Les minotaures ont chargé, les longues-cornes tenaient leur flanc face aux peaux-de-fer plus faibles. Nous avons mis un terme à la vie de ces anciens, et nul n’a fléchi dans la harde de guerre. Enfin, alors que nos cornes percutaient les Immortels, que nous faisions mentir leur nom, le char hurlant a surgi. Les flammes infernales et le hurlement du métal ont percuté la harde du chef de guerre, dispersant les longues-cornes et ses frères minotaures, tels les oiseaux dans le champ quand ils aperçoivent le chat. J’étais présent, et j’ai vu le baroud d’honneur de notre grand chef. J’ai vu les flammes et la fureur le consumer. Il n’est plus que cendres… – Homélie du chamane Corne-de-pierre, traduite par Manfred von Jornburg
  13. p. 72 Kadims 12 auguste On les appelle kadims : esprits surnaturels de terre et de feu maintenus dans le monde matériel par les arts arcaniques des nains orientaux. On dit que les plus grands d’entre eux, les « titans », ont la force d’un millier d’hommes et sont capables de réduire en poussière des cités entières pour leurs maîtres. On appelle « avatars » ceux de taille plus petite, et s’ils n’ont pas la même carrure, il ne faut pas sous-estimer leur capacité à répandre la fureur des flammes sur leurs adversaires. C’est un principe, à mon avis, qui s’applique aussi bien à tous les barbus en tant qu’espèce. Les nains de l’est ont depuis longtemps compris que le savoir faisait le pouvoir. Et à travers ce pouvoir, ils exercent un contrôle irréfutable sur leurs terres par le feu, la foi et la magie. Depuis plusieurs âges, les érudits du temple d’Ashuruk ont découvert qu’il était possible de lier les kadims à leur volonté par l’établissement de contrats, un secret qui leur fut volé par les autres temples. Aujourd’hui, le temple de Lugar est considéré comme ayant surpassé les prêtres-juristes d’Ashuruk dans leur maîtrise de cet art. Hormis ces deux clergés, peu sont arrivés à mettre en place de tels pactes. Je fais aujourd'hui serment de mettre un terme à ce monopole détenu par les nains. Les kadims serviront quiconque aura suffisamment de volonté et de connaissance des lois. Une fois ces esprits guerriers sous mon commandement, mon pouvoir sera immense. Mes ennemis feront face au même choix que celui que les nains donnent à leurs vassaux : soumission ou incinération. J’ai passé des années à apprendre tout ce que je pouvais au sujet de ces kadims. Quand le savoir des humains s’est révélé insuffisant, j’ai voyagé à l’est pour apprendre ce que je pouvais des nains. J’ai récupéré bien des informations des textes qu’ils m’ont permis d’étudier après une donation considérable d’esclaves et d’or au temple de Lugar. J’ai bien tenté de marchander, mal m’en a pris : le prix fut encore plus considérable. 2 tandembre Au cours de mon étude, j’ai trouvé que les inscriptions murales finement ouvragées, gravées sur les murs de la bibliothèque du temple, étaient plus fascinantes que la plupart des tablettes et des parchemins sur le sujet. Elles représentent des kadims bataillant contre de nombreux ennemis, que ce soit des rebelles orques ou des serviteurs des Dieux Sombres. On y trouve aussi des scènes dans lesquelles ils construisent des villes, rendent hommage à des despotes nains, voire témoignent de procédures judiciaires. Il semblerait que les nains considèrent les kadims comme des agents de la loi divine, opposés au désordre, que ce soit en temps de guerre ou en temps de paix. Quel que soit leur rôle, je sens que j’ai appris tout ce qu’un étranger comme moi peut obtenir des nains. Le temps de l’étude touche à sa fin, place à l’action. Un groupe de disciples a quitté la ville il y a trois jours. Ils se sont dirigés au nord, vers la Fournaise. Leurs chariots étaient chargés de lourdes caisses, sans aucun doute les réceptacles qui permettent de lier les kadims à ce monde. J’ai engagé secrètement un groupe de mercenaires guerriers-nés pour les poursuivre. Bientôt, les kadims seront à moi. Je trépigne d’impatience. 18 tandembre La bataille fut féroce mais j’ai vaincu. Le combat fut plus serré que je m’y attendais. Je ne sous-estimerai plus les talents martiaux des nains. Les disciples se sont battus avec force ténacité mais ma magie et le poids du nombre apporté par les mercenaires ont pu en venir à bout. Mes efforts portent enfin leurs fruits ! J’ai récupéré des réceptacles capables de recueillir l’essence d’un kadim. Certains sont des structures de métal tandis que les autres sont des statues de pierre sculptées. Ils ont la forme d’horribles démons ou de monstres des légendes de l’Augée. Les symboles arcaniques inscrits sur eux sont sans nul doute les termes du contrat prévu par les nains. J’ai aussi ce grimoire, encore plus précieux, porté par le plus âgé des disciples. Il décrit le rituel dans ses moindres détails, même si le langage est archaïque, ce qui le rend quelque peu ambigu. Je détiens maintenant les clefs pour lier un kadim à ma volonté ! Je me prends souvent à rire sans véritable raison. 22 tandembre Nous nous sommes dirigés au nord, vers la Fournaise. Sa flamme infernale diffuse une lueur omniprésente à l’horizon. La nuit ne semble jamais tomber sur cette terre maudite, et les étoiles sont totalement invisibles à l’œil nu. J’ai peur qu’il ne devienne impossible de poursuivre notre route. Des nuages d’orage surnaturels s’amassent à l’horizon, fouettant le sol d’énergie magique. Certains des plus petits gobelins sont tombés raides morts à la suite d’une petite exposition au phénomène. Mes talismans sont en train de prouver qu’ils valent bien le prix que j’ai eu à payer à l’époque. 25 tandembre Cela fait maintenant trois jours que nous errons sur cette terre dévastée, et les orques s’agitent de plus en plus. Les provisions s’épuisent, et le peu qu’il nous reste commence à être contaminé. Pire, nous avons évité de justesse une patrouille naine. Il semble qu’ils possèdent une armure qui les protège de l’influence maléfique qu’exercent ces terres sur le corps. Je vais devoir trouver très prochainement un kadim ou libérer les mercenaires de mon service. Ces brutes sont tout prêt de se mutiner. Pire, leur nombre augmente les chances de se faire repérer par les nains. Je dois trouver la gloire maintenant ou me préparer à un échec déshonorant. Inconcevable ! 26 tandembre Enfin ! Le Grand Mage est maître de la flamme immortelle ! J’ai accompli ce que les autres disaient impossible. Pas un, mais trois kadims sont désormais soumis à ma volonté ! Dans un éclair de génie, j’ai ordonné une dernière marche vers la Fournaise. Étant donné qu’ils ne sont pas vraiment de notre monde, les kadims ne peuvent pas s’aventurer très loin de la magie qui les alimente : ils sont donc plus souvent proches de la source. Juste au moment où mes talismans commençaient à se corroder et se décomposer, que les orques étaient au comble de l’impatience, nous les avons vus : trois masses de magma animées, se déplaçant sans but apparent. Retrouvant mon autorité naturelle, je leur ai intimé d’écouter mes paroles. J’ai déjà marchandé avec des démons et lié des djinns à ma volonté, mais les kadims sont des créatures extraplanaires tout à fait différentes. Ils étaient impénétrables, totalement étrangers et leur présence était comme froide. Ils semblaient curieux quand je leur ai mentionné les réceptacles que je leur avais apportés, et comment ils leur permettraient de s’aventurer dans le monde extérieur pour peu qu’ils acceptent de se mettre à mon service. J’ai parlé longtemps, détaillant copieusement tous les termes du contrat, sa durée, la nature des services et la rémunération accordée, et ainsi de suite. Mes paroles furent d’abord accueillies par le silence. J’ai commencé à douter qu’ils m’aient entièrement compris, mais ils finirent par s’approcher doucement. L’un des kadims s’exprima d’une voix profonde et distordue, pareille au rugissement d’une chaudière : « Nous acceptons. » Il toucha de sa flamme le contrat que j’avais préparé dans la langue des lois naines. Le parchemin flamba, et je sentis ses runes brûler sur ma peau tandis que le corps des kadims chatoyait. Le tout ne dura que quelques instants. Leur magma s’écoula dans les réceptacles, qui prirent vie dans une lumière flamboyante. C’est fait. Par les termes du contrat, leur pouvoir est désormais assujetti à ma volonté. Je fus tenté de leur commander de détruire le reste des mercenaires, mais j’eus trop peur de recevoir une flèche noire gobeline dans le chaos du combat qui s’ensuivrait. 34 novembre Le voyage du retour fut long et ardu. J’ai lancé un sort de dissimulation pour éviter les représailles naines, et j’ai finalement pu revoir les rives de la Mer médiane. Arrivé à la maison, j’ai lié les kadims à mon sanctuaire, à l’intérieur de cercles d’invocation conçus pour retenir des êtres bien plus puissants qu’eux. Ils y resteront tant que je n’en ai pas besoin. Ce sera un bon test de patience pour eux comme pour moi. Mon esprit bouillonne de nouvelles idées quant à l’usage de ce tout nouveau pouvoir ! 19 ullose Les kadims s’agitent dans leurs cercles. Ils ont commencé à émettre des demandes, m’accusant de ne pas respecter les termes de notre contrat. Mon majordome me rapporte qu’ils ont tenté de se défaire des entraves magiques par la force, ce qui a ébranlé les fondations de mon manoir. Je dois réviser les sorts qui les maintiennent en place, juste au cas où. Mais je ne crains rien. Ils ne peuvent pas défier ma volonté. – Fragments de journal brûlé retrouvés après le Grand Brasier d’Amarhaq qui a dévasté une portion notable de la ville en 879 A.S.
  14. p. 68 Disciples de Lugar 10e jour de februar Chère Maman, C’est le cœur lourd que je t’écris, de l’intérieur de ma cellule. La gastronomie locale se limite au plus infâme des gruaux, la compagnie est maussade et renfrognée, et le personnel, on ne peut plus malveillant. C’est sur un plancher de bois que je repose ma carcasse endolorie : le confort des prisonniers est, de toute évidence, le dernier des soucis des maîtres de la Citadelle. La ruse qui m’a permis d’échapper à la fabrique ne m’a apporté qu’un bref répit. En fait, ma situation n’a fait qu’empirer. Les miliciens municipaux (créatures monstrueuses, fruit de l’hideuse fusion d’un nain et d’un taureau) ont découvert ma supercherie à force d’interrogatoires, et ont fini par me traquer jusque dans ma cachette. Dire que je pensais avoir trouvé la « planque » idéale : l’ambassade tsouandanaise nouvellement ouverte accueillait un afflux constant de nouveaux serviteurs, et les nains semblent peu habiles à distinguer une variété d’« humain étranger » de l’autre. C’est d’autant plus dommage que je pense avoir fait plutôt bonne impression au chef de la délégation : comme Papa aime tant à le dire, il n’y a pas de meilleure amitié que celle forgée sous le feu de l’ennemi ! J’ai été condamnée à trois ans de labeur dans une mine de fer. Après avoir discuté avec un autre ayant reçu le même verdict, j’ai vite compris qu’il ne me faudrait pas espérer arriver vivante au bout de ce terme. Plein d’amertume, mon voisin m’a expliqué qu’il ne connaissait qu’une seule personne ayant survécu à ces trois années, et qu’il s’agissait d’un seigneur orque à la résilience et à la force légendaires. On m’assure qu’en tant que simple humaine, le sort qui m’est destiné peut être assimilé à la peine capitale. Oh, Maman, se pourrait-il vraiment que jamais vous ne receviez toutes ces lettres que je vous ai écrites en pensée ? Je continue à les rédiger dans mon imagination afin de conserver une part de lucidité, mais je crains bien que la fin de mon voyage ne se profile. 11e jour de februar Ma foi, en voilà un rebondissement inattendu ! J’ai été sauvée ! En toute légalité ! Une étrange naine, dont la peau avait la couleur de charbon (et, d’ailleurs, également la texture du charbon) est arrivée dans ma cellule pour m’annoncer que ma condamnation avait été le fruit d’une incompréhension bureaucratique, et que c’est à dessein que j’avais en fait été transférée à l’ambassade. Dès lors, je me retrouvais absoute de tout reproche, et on m’ordonnait de me présenter au plus vite à mon lieu d’affectation. J’ai eu assez de bon sens pour attendre que nous nous soyons assez éloignées des gardes avant de m’enquérir de cette libération inopinée. Tout en laissant échapper de petites volutes de fumée de sa bouche, la naine m’a signifié qu’elle s’appelait Nezira, disciple de Lugar, dieu infernal de nombreuses choses, dont le domaine qui m’intéressait tout particulièrement : la liberté et les avocats. Elle m’a également informé de ce qu’elle avait été engagée pour produire les documents relatifs au transfert qui démontraient que j’appartenais désormais à l’ambassade, que je serais avisée de ne pas demander une deuxième fois quel jour exactement cette mission lui avait été confiée, et qu’en cela, elle agissait pour le compte de dame Khezek, laquelle estimait de ce fait avoir intégralement remboursé sa dette envers moi. Faisant certainement preuve d’imprudence, je n’ai pas pu m’empêcher d’insister sur la manière dont ce contrat avait été mené à bien. Nezira m’a alors tirée à l’écart dans une ruelle sombre. De ses yeux est jaillie une flamme incandescente, à la chaleur cinglante. Elle m’a signifié qu’elle n’appréciait guère mes insinuations, et qu’elle n’était certainement pas entrée par effraction dans la salle des archives pour y introduire un faux acte de vente antidaté d’une semaine, contrairement à ce que certaines parties voudraient bien faire croire. Il est concevable que je me sois ensuite simplement contentée de bredouiller quelques bribes de mots, tétanisée que j’étais face au soudain embrasement de son regard. Mais un instant plus tard, elle était de nouveau tout sourire, m’expliquant fièrement que son aspect inhabituel était le résultat d’une bénédiction divine. Plus précisément, elle m’a fait comprendre qu’une créature élémentaire de feu résidait (je ne sais comment) dans son corps. Apparemment, cette curieuse pratique a été inventée par les adorateurs de Lugar ; ceux qui atteignent le rang de Disciple se lient parfois aux génies ignés connus sous le nom de « kadims », jouissant d’une plus grande force, d’une plus grande vigueur, d’une protection surnaturelle et d’une maîtrise de leur « feu intérieur ». Évidemment, il a fallu que je m’enquière des raisons qui pouvaient bien motiver un avocat à lier un monstre de lave à son for intérieur. Nezira a émis un petit rire, avant de m’indiquer que je considérais le problème sous le mauvais angle : « Qui d’autre qu’un avocat oserait inviter un esprit démoniaque à résider en son propre corps, sans le moindre contrôle hormis les clauses stipulées dans un contrat personnel négocié par lui et correctement formulées ? » Je n’ai su que répondre à cela. Peu de temps après, nous avons atteint l’ambassade. Votre fille aimante, Olivia. 33e jour de februar Chère Maman, Jamais auparavant je n’avais ressenti une telle sympathie pour la pauvre Marguerite, même si je l’ai toujours trouvée très assidue et que j’ai toujours cherché à lui épargner des travaux inutiles. Les cheveux de l’Ambassadeur nécessitent encore plus d’heures de brossage que les miens, car les hommes du Tsouan-Tan prédilectionnent un chignon hautement élaboré qui contorsionne et froisse la chevelure sous-jacente. Mes bras s’en trouvent tout endoloris chaque matin. J’ai revu plusieurs fois Nezira et dame Khezek. Cette dernière aurait négocié mon sauvetage avec l’Ambassadeur, laissant Nezira se charger des termes exacts du contrat. Il est bon de voir qu’elle a pu recouvrer la position qui était la sienne auparavant. Elle a profité de l’occasion pour pratiquer un peu de sonnstahlien avec moi, tout en m’informant de l’état actuel de notre relation. « Vous m’avez délivrée des mains des Daebs. À mon tour, je vous ai délivrée d’une mort certaine ordonnée par les autorités de Vanekash. Si vous aviez pris votre mal en patience à la fonderie, j’aurais pu vous faire libérer. Mais comme ils ont appris que vous travailliez ici, je n’avais d’autre choix que de vous confier à l’Ambassadeur. » Toujours est-il que je suis heureuse de me trouver ici. Les quelques trucs que j’ai appris en aidant Papa à prendre soin de ses faucons m’ont été fort utiles, car l’Ambassadeur avait grand besoin d’une personne apte à soigner son compagnon ailé. Tchiang-Jou est une créature insolite, mais douce, dont l’aile a été brisée par une explosion. Il m’a été difficile de lui confectionner une attelle, mais je suis néanmoins parvenue à adapter un des modèles employés par le fauconnier. Ces quelques semaines passées avec le kilin m’ont aussi donné la possibilité d’en apprendre un peu sur la langue de son pays. Je suppose que cela aussi aura son utilité. Hier soir, tandis que j’apportais son dîner à Jou, j’ai aperçu un étrange nain se faufiler dans sa chambre. Je l’ai rapidement intercepté pour lui demander en quoi je pouvais l’aider. Je savais en effet que personne n’était attendu à cette heure tardive. Il a fait mine de s’offusquer, affirmant être un médecin, ce qui était clairement un mensonge, puisqu’il n’avait sur lui aucun instrument. En revanche, j’ai remarqué le pistolet caché dans sa mallette. Je l’ai dénoncé de vive voix, assez fort pour réveiller Jou, dont les yeux grands ouverts se sont mis à jeter des éclairs. Mais Jou ne pouvait m’être d’aucun secours : je savais à quel point il était faible. Me maudissant en abzhaghab, l’assassin s’est dépêché de se saisir de son arme. Je voyais le blanc de ses yeux, la rage et la haine qu’ils contenaient. Je sentais son haleine, à l’odeur de… de cannelle ! Un coup de feu a retenti. Il s’est effondré. J’avais été la plus rapide. Car dame Khezek, soucieuse d’être entièrement quitte de sa dette envers moi, m’avait fourni une arme à feu dissimulée, tout en m’enjoignant d’en tenir l’existence secrète. Je loue Sunna de m’avoir préservée, car je suis certainement loin de l’image que l’on peut se faire d’un guerrier. Mais comme Papa le dit toujours : « Aie confiance en la Déesse, et garde ta poudre au sec ». Et aussi, bien entendu : « Au besoin, tire depuis la hanche ». Ce n’est pas la partie la plus féminine de mon éducation, mais je suppose qu’il a eu raison : ce monde est décidément bien dangereux. N’oubliez pas de le remercier de ma part. Jou et moi sommes d’avis que je ne resterai plus très longtemps propriété d’autrui. Votre fille sincère, – Olivia
  15. p. 65 La Fournaise Il nous a fallu trois jours en train pour atteindre Vanebvikh, la première et plus importante des bases logistiques et scientifiques consacrées à l’exploration des Désolations depuis leur création. Au fil des années, ce site s’est développé jusqu’à devenir une petite forteresse, gérée par un conseil dans lequel chacun des Temples est représenté. Le plus grand danger ici est la mort par bureaucratie. Quoi qu’il en soit, il est impossible d’approcher de Teviktelet sans les services que l’on trouve à Vanebvikh. Ni, bien entendu, sans l’autorisation et les laissez-passer du Conseil, signés en trois exemplaires, devant être présentés aux divers barrages qui se succèdent sur la route. Notre arrivée était attendue, même si les missions du Temple d’Ashuruk sont relativement rares. Les autres opérations menées ici sont essentiellement du fait des lugarites et des nezibkeshites. Ils ne cachent d’ailleurs pas leur dédain pour notre quête : de leur point de vue, la recherche historique n’a pas d’intérêt hors des débats académiques, sans la moindre application pratique. Avec leurs vues à court terme, ils sont incapables d’appréhender le fait que les principes de la Loi se fondent sur le passé. Je n’ai pas même pas tenté de leur expliquer à quel point leur influence politique serait accrue par l’éventuelle découverte d’antiques pactes commerciaux et diplomatiques conclus entre Teviktelet et Nevaz Derom au temps de l’Âge d’Or. Aux yeux du commun des mortels, le voyage jusqu’à Zanib [terme équivalent à celui de « Forge infinie », NDT] est un cauchemar allant crescendo. Une vision du désastre le plus total, un passé et un futur de ruines. Ils ne peuvent concevoir que ce puits sans fin de destruction à l’état brut pourrait également s’avérer être notre ressource la plus précieuse. Même à Vanebvikh, la magie est déjà assez puissante pour enflammer le derme des races inférieures. Rien ne pousse sur ces terres, pas même les plantes les plus opiniâtres qui s’accrochent tant bien que mal aux crevasses parsemant la Plaine foudroyée. Dès que l’on se met en route, le ciel semble s’assombrir, tandis que l’horizon s’emplit de fumée. Bientôt, on ressent la saturation, comme une brise vrombissante et toxique. On n’en perçoit pas directement les conséquences, mais des expériences ont démontré qu’un humain ou un elfe périra en moins d’un mois, à mesure que sa chair se liquéfie et se gorge de tumeurs. Malgré tout, certains membres de notre groupe ont ignoré la consigne officielle selon laquelle les équipements de protection doivent être portés dès qu’on quitte la citadelle. Le deuxième jour, nous avons enfin aperçu les ruines de l’antique cité de Teviktelet. Le ciel était à présent entièrement couvert d’une noire fumée. À partir de ce stade, l’usage du kelikshemrut devient obligatoire : il s’agit du meilleur instrument conçu pour mesurer la quantité et la qualité de la magie ambiante, dont le fonctionnement repose sur l’acide tiré du suc du cactus kebishamem employé en tant que réactif. Il me faut à présent décrire ces ruines elles-mêmes. Il ne se trouve nulle part plus grand monument témoignant de la puissance du Peuple. Il n’existe aucun autre plus grand symbole de notre quête de la puissance infinie, débridée, magique et physique, qui constitue la clé de voûte, l’essence même de notre civilisation. En vérité, il s’agit là d’une vision que tout nain et toute naine doit pouvoir contempler ne serait-ce qu’une fois dans sa vie. Teviktelet, plus puissante citadelle de notre passé et de notre présent, tout à la fois bénie et maudite par l’orgueil du Grand Inventeur. Il est dit que la plus haute ambition ne peut s’exprimer qu’au cours de la pire crise. Et effectivement, les expériences réalisées par le prophète Vezodinezh sont la parfaite illustration de cet axiome, lui qui désirait connaître la terrible puissance de l’Immortel, contrôler la marche du monde, et jeter à bas tout ennemi… À travers lui, nous avons appris ce fabuleux enseignement : la destruction, y compris l’autodestruction, est le plus grand outil à notre disposition dans la quête du savoir. Nous sommes passés à travers les pierres noircies de ce lieu sacré, dont les murs se dressent toujours, même après un millénaire d’érosion par les forces arcaniques. Et tout à coup, il était là, devant nous : l’immense cratère, tel un œil de feu et de magie à l’état brut, brûlant pour l’éternité, les énergies de son cœur agité et fondu projetant une lueur cramoisie sur le ciel noir. Même de loin, il s’en dégageait cette sensation de distorsion, cet air de fausseté scintillante qui assaille l’esprit. Impossible de nous avancer plus près : l’intense flux magique se faisait ressentir, formidable pulsation qui menaçait de nous ravager le corps. Il paraissait d’emblée évident qu’aucune créature ne pouvait survivre bien longtemps ici, peu importent la force de ses protections et la vigueur de son anatomie. Tout à coup, les directives fixant la durée maximale de notre séjour dans les parages ne nous parurent plus superflues. Nous avons trouvé les restes des camps d’expéditions précédentes, en particulier les engins amenés là par le Temple de Nezibkesh dans l’espoir de découvrir de nouvelles technologies géomantiques… ou de redécouvrir d’antiques savoirs perdues. Toute la zone est jonchée de cadavres enflammés. Les personnes qui meurent ici ne se décomposent pas ; les flammes qui les consument ne s’éteignent jamais. C’est une cité d’ossements calcinés, dont l’air est lourd de l’âcre puanteur du sang bouilli. Chaque mur recèle une nouvelle menace : démons en maraude, maçonnerie vacillante, sans parler de nos rivaux parmi les nains. Le contrôle du Conseil de Vanebvikh a beau être strict, il n’empêche que les exigences de la politique et le tempérament propre à notre race entraînent parfois de fâcheux incidents qui, dans les pires des cas, peuvent se solder par des actes de violence. La ziggourat de Vezodinezh, à moitié détruite, surplombe tout ce paysage. Elle se trouve au centre même de ce saint cauchemar. À mes yeux, elle est comme un gigantesque autel à la gloire de la puissance du feu et du magma. Il n’en reste plus que la partie sud, monolithe attestant de la suprématie de la Grande Flamme. L’emplacement de son flanc nord est aujourd’hui occupé par le cratère vociférant, là où l’immense édifice a été frappé par le cataclysme. L’objectif de notre mission était une structure de son voisinage, plus petite, mais néanmoins fort imposante en soi : les Maisons du Savoir, la grande bibliothèque où étaient notamment entreposées les archives de Teviktelet. La plupart des ouvrages qu’elle contient ont déjà été emportés par les siècles, mais un grand nombre demeurent encore. Tandis que nous examinions les antiques tablettes à la recherche de celles que nous cherchions, j’ai aperçu un autre groupe à travers une brèche dans le mur. C’est là que j’ai observé pour la première fois un authentique Baptême du Feu. Certes, c’était loin d’être la première fois que je croisais les disciples de Lugar. Mais il est extrêmement rare d’assister à la création de l’un d’entre eux, fusion d’un membre de notre espèce avec un esprit kadim. On dit des lugarites qu’ils peuvent invoquer ces êtres ignés qui peuplent les profondeurs du puits de lave. Mais le plus souvent, les kadims peuvent être trouvés vagabondant à l’air libre dans les ruines de la ville et dans le territoire avoisinant : créatures de lave ambulante à la couleur habituellement rouge vif, mais virant parfois au bleu, voire au blanc, pour les plus chauds d’entre eux. Le pacte a été conclu dans un cercle de flammes au sol, dont les plumes adoptaient d’étranges colorations en raison de la saturation de magie. Le disciple a tendu une tablette de pierre sur laquelle le contrat était déjà inscrit. Chaque lettre avait été gravée, puis la rainure remplie d’acier. Ayant ôté ses gantelets, le nain s’est entaillé la paume de chaque main au moyen d’un scalpel rituel, versant son sang directement dans le feu. Dépourvue de protection, la chair de ses mains commençait déjà à se boursoufler. Il s’adressa au kadim, invoquant le nom de Lugar, et énonça clairement son intention, le prix qu’il s’apprêtait à payer à l’esprit pour son service, ainsi que les autres clauses de la convention. Un tel contrat ne peut être aisément résilié : une fois conclu, ni le nain, ni l’esprit ne peuvent y renoncer tant que l’ensemble des conditions n’ont pas été satisfaites. Le disciple a tendu les bras. La créature s’est alors avancée et – je n’ai pas pu m’empêcher de pousser un cri de surprise – l’a entièrement enveloppé sous sa forme fondue. Très vite, le flamboiement s’est estompé pour adopter la forme du nain, à mesure que le feu spirituel se répandait sous sa peau, projetant des éclats à travers ses yeux, sa bouche et les plaies sur ses mains, qui se sont refermées tandis que j’observais. L’armure du disciple est tombée d’elle-même, et il s’est tenu là, nu, haletant, glorieux, sa peau devenant aussi noire que du charbon, désormais immunisé à la déferlante de magie ambiante qui l’aurait tué quelques instants plus tôt. Captivée par ce rituel, je réalisai tout à coup que j’avais perdu un temps précieux. Il ne nous restait plus qu’une demi-heure à passer à Teviktelet avant de dépasser la limite prescrite d’exposition au champ de magie. Toute chancelante, je suis retournée à mes étagères de tablettes, dans une dernière tentative désespérée de trouver le document susceptible de transformer ma carrière du tout au tout. Luttant contre l’épuisement surnaturel qui, je le savais, s’empare fréquemment des personnes qui s’aventurent près de ce site, je me retrouvais en proie aux hallucinations : de brèves visions d’un autre monde, où les confins du nôtre sont soumis à une irrémédiable épreuve. Je trébuchais, tandis que les étagères, le bâtiment, paraissaient se mouvoir et se tordre. C’est alors que j’ai entendu le feulement d’une bête dans les ténèbres rougeoyantes entre les monticules de tablettes. J’étais terrifiée, mais je me suis accrochée. Feignant de ne pas avoir entendu la sirène signalant qu’il était l’heure de partir, je me suis mise à fouiller frénétiquement, renversant des piles d’antiques écrits, survolant des lignes de runes composées alors que le monde était encore jeune. Subitement, je me suis écriée : je venais d’entrapercevoir la rune Derom. J’ai fourré dans ma sacoche la tablette en question, ainsi que tout ce qui se trouvait autour, je me suis retournée, et j’ai tout à coup reçu un coup qui m’a propulsée contre les étagères, en éparpillant le contenu en une avalanche d’argile. Tout ce que je distinguais devant moi, c’étaient des bras titanesques et d’effroyables mandibules. La chose a poussé un hurlement comme jamais je n’en avais entendu auparavant. Mais à ce moment précis, la créature s’est effondrée sous une pluie de robustes haches. Mes camarades du Temple, ayant constaté mon absence au point de ralliement, étaient providentiellement arrivés à ma rescousse. Hélas, sœur Barzak est tombée à ma place, son dos brisé par le démon. Nous avons pris la fuite, abandonnant là sa dépouille. Tandis que nous nous éloignions en courant du lieu le plus toxique de Talam, je me suis retournée pour en contempler la majesté une dernière fois. On aurait dit que le tout-puissant œil de la Fournaise me fixait lui aussi, de son regard imperturbable. À présent que je suis rentrée à Vanebvikh, j’ai eu le temps de songer à mon expédition. Elle a certainement été l’une des expériences les plus intenses et les plus marquantes de ma vie. Un pèlerinage on ne peut plus astreignant, prélevant sa part considérable de vies, de ressources, éreintant pour la santé mentale, exigeant toutes sortes de sacrifices tant personnels que collectifs. Barzak connaissait les risques. Comme nous tous, elle était volontaire, et est passée par mille démarches pour pouvoir faire partie du voyage. Quant à moi, j’ai le sentiment d’avoir enfin et pleinement compris la vraie nature et la raison d’être du peuple infernal. Mon peuple. – Journal de sœur Herek, prêtresse d’Ashuruk
  16. p. 64 La Mer de la Soif La mer de la Soif est si vaste qu’il est impossible d’en voir les côtes depuis un bateau qui se trouverait au centre. Dans l’ancien temps, ses eaux étaient vénérées sous l'aspect d'une déesse qui aurait donné vie aux premières civilisations. C’est autour de son littoral que s'est développée l’ancienne culture thalassienne de l’Âge d’Or. Cette dernière disputait la domination régionale avec l’Empire nain et le Naptesh. Comme ces autres États, l’Empire thalassien s’est éteint au début des Âges de la Ruine. Les nombreuses catastrophes naturelles du début de l’Âge de la Mort ont déstabilisé les royaumes thalassiens du Nord et du Sud, et dans ces circonstances, ces derniers n’ont plus été en mesure de gérer correctement leurs ressources. Mais le point culminant du désastre advint lorsque la mer fut empoisonnée magiquement par un procédé qui demeure mystérieux à ce jour. C’est dans ce contexte que la mort arriva en Thalassie, et que les vampires corrompirent chacun des deux royaumes. Nombreux sont ceux qui appellent encore cette région le « Tombeau des civilisations ». Peu d’histoires sont avérées concernant l’époque qui suivit la disparition du premier Conclave, mais la mer est restée inféconde depuis lors. Si elle n’est plus saturée de magie aujourd'hui, l’eau reste hautement toxique à cause de son exceptionnelle concentration en sel. Il se raconte que les riverains de la mer de la Soif sont capables de boire l’eau de l’océan tant elle est pure en comparaison. Mes investigations ont révélé qu’il s’agit plus d’un concept poétique pour décrire la dure réalité qu’un fait pratique. Pourtant, l’infertilité de la mer de la Soif en a fait un emplacement stratégique particulier. Pendant longtemps, la Compagnie marchande sagarikaine d’Aldan essaya de s’accaparer les marais salants locaux. Les minéraux extraits étaient utilisés pour concocter des potasses et pour fertiliser des cultures exotiques dans certaines parties tempérées des Îles blanches. Cette entreprise privée bénéficiant de l’accord tacite du Trône de perle mais pas de son soutien déclaré, elle fut forcée de négocier avec les puissances régionales pour maintenir des accès aux routes commerciales. Le contrôle de la mer par les elfes cessa lorsque les nains infernaux prirent possession du territoire par la force au cours du Neuvième Âge. Le conflit entre les deux puissances s’est conclu par un statu quo des plus tendus. Les nains colonisèrent les côtes septentrionales où ils fabriquent du bitume et de l’asphalte dans leurs nouvelles usines construites autour de la citadelle de Nedzhid. Guglielmo di Torenza, ce poète arcaléen fantaisiste, devait certainement penser à cette région quand il inclut la strophe suivante dans le onzième chant du Signore Giovanni : La terre s’agite, l’eau frémit Le sel irrite l’appétit Le ciel s’assombrit, la route métallique Notre temps exquis n’est pas fini Les colonies des Hautes Lignées sont toujours présentes au sud de la mer de la Soif, autour de Gan Harod où elles ont de fréquents accrochages avec les forces daèbes escortant les navires esclavagistes du golfe. Plus au sud, des colonies humaines subsistent, peut-être les descendants de peuplades antiques. Elles se disputent le territoire avec les hardes bestiales du désert : des espèces humanoïdes à tête de caprin, ou peut-être de coyote, qui errent dans les dunes et les canyons. On peut aussi citer parmi les puissances régionales les royaumes gobelins des Monts arides dont les oligarques sont bien connus des marchands vétiens tant ils nuisent au commerce. Ils contrôlent un certain nombre d’avant-postes à l’ouest et au nord de la mer, où leurs nombreuses bêtes apprivoisées protègent leurs cachettes. – Johannes Strabo, extrait d’Histoire et géographie
  17. p. 62 Esclaves infernaux Si on ne pourra jamais qualifier de « panoramique » la vue de l’intérieur d’un tank à vapeur, il faut quand même dire qu’elle a le mérite de vous faire voir l’ennemi de près. J’ai toujours adoré le regard de terreur qui point sur leurs jolis minois juste au moment où j’appuie sur le dernier levier pour leur faire manger un bon boulet dans la face. Oh, comme ils couinent en voyant la Vieille Furie leur foncer dessus ! Une fois sur deux, ils détalent sitôt que j’entame mon concert d’hymnes martiaux à travers les valves. Les elfes, les ogres, les sauriens… Tous les ennemis de l’Empereur chantent de leur plus belle voix pendant qu’elle valse avec eux. [Rires] Et parfois, moi aussi, je me mets à beugler pour les accompagner. [Rires] Les gens disent que je suis bizarre, vous pensez que ça me touche ? Pourvu qu’on me laisse conduire mon engin, ça roule ! Moi, j’ai dit bizarre ? Comme c’est étrange… Pourquoi aurais-je dit… Tiens ! Ça me rappelle un jour – c’était il y a des années – nous étions partis dans l’Est, de l’autre côté des montagnes, donner aux nains de feu un petit avant-goût de la justice de l’Empereur. La Veille Furie et moi, on nous avait relégués à l’arrière-train, et ça ne nous plaisait guère. Mais voilà tout à coup que débarque un coursier qui nous avise que l’avant-garde venait de se faire taillader. Et le Maréchal de me hurler de monter sur le pont pour tenir les petits salopiauds. Il n’avait même pas fini de s’égosiller que j’avançais déjà à toute berzingue ! En approchant du pont de pierre, j’ai vu nos chasseurs en train de se replier. Ils avaient l’air content de me voir ; mais moi, j’étais surtout content de voir l’ennemi : il était temps ! Les roues d’acier de la Vieille Furie faisaient jaillir des étincelles sur les dalles, les tromblons d’en face faisaient tinter sa coque de leur grêle de plomb, pendant que je remplissais les réservoirs six et sept, prêt à souhaiter le bonjour à quiconque se pointerait face à nous. Dans le périscope trois, j’apercevais les nains amasser leurs troupes pour se lancer à l’assaut. Qu’ils y viennent, que j’me dis. J’ai glissé un filtre sur le ‘scope pour y voir de plus près. Pas des nains ! Des orques. Chacun plié sous un lourd fardeau, attentif au moindre besoin des nains, comme s’ils étaient au chevet de l’Empereur lui-même. Jamais rien vu d’aussi… bizarre ! Et tout ce temps, ils se passaient de main en main une espèce de pichet d’où ils avalaient un breuvage contre-nature. Il était clair que quelques-uns n’y tenaient pas plus que ça, mais une gifle bien sentie, emballée dans un gantelet de fer, paraissait adoucir le nectar. Tout cela pendant que les fouets leur claquaient sans arrêt dans les oreilles, bien entendu. Ma Vieille Furie et moi, les orques, ça nous connaît. Je ne compte plus le nombre de fois où on a dansé avec eux. Mais c’est la première fois que je les voyais comme ça : tout calmes, tout tristes, l’air tout résigné. Soumis. J’en ai vu des choses… bizarres dans ma vie, mais ça, ça m’a carrément fichu la frousse. Je leur ai balancé un boulet, histoire de les égayer un peu. Une poignée d’orques s’est retrouvée réduite en charpie, je me suis dit : allez, ils vont se mettre à courir maintenant. Si pas pour prendre la fuite, du moins vers moi. Mais non, ils sont juste restés là, comme ça. Un tambour s’est mis à battre, et ils ont avancé en traînant les pieds, sans manifester le moindre signe de frayeur – ce qui est normal pour des orques –, mais sans le moindre enthousiasme non plus. Pas même un petit rugissement. Et puis, je ne pouvais pas non plus m’empêcher de remarquer qu’ils n’avaient pas non plus la moindre arme digne de ce nom – toujours aussi bizarre ! Qu’est-ce qu’ils comptaient nous faire ? Déboulonner nos plaques de blindage avec leurs ongles ? En fait, il n’y avait qu’une seule manière de le savoir : la bonne vieille méthode ! J’ai enclenché la valve neuf, et la Vieille Furie s’est élancée. [Rires] – Transcription d’un entretien avec feu Fritz Delph dit « Braillard », pilote du Marteau de Sunna, mené par Marius von Luntzburg peu de temps avant que le sujet ne décède au cours d’une bagarre de taverne
  18. p. 60 Vassaux, deuxième partie Ma chère maman, J’espère que cette lettre vous trouvera, Fatja et toi, en bonne santé. Ma sœur devra attendre l’hiver pour revoir son tendre époux, Imran. On nous a informés que l’unité de conscrits dont nous faisons partie est requise jusqu’à la fin de l’année. Ne vous faites pas trop de soucis pour nous. Entre l’esclavage et le vasselage, le choix est facile. Mosnarat peut dormir tranquille sachant qu’elle est à l’abri des attaques de Zalaman-Tekash, tant que ses fils combattent pour en assurer la prospérité. La conscription est un faible prix à payer pour cela, nous sommes tous deux volontaires. Le Despote est un individu particulièrement effrayant, qui jouit d’une loyauté à toute épreuve de la part de ses soldats, et d’une obéissance inflexible de la part de ses vassaux. Si jamais nous lui déplaisons, les hobgobelins affirment que ma famille et notre maison seront effacées de la face du monde. Je crains plus le Despote que toute horreur que je pourrais affronter sur le champ de bataille. Étant donnée la diversité des peuples sur lesquels règne le Despote, les autres conscrits sont de toute forme et de toute taille : des orques à la peau sombre venant des terres du sud, des envoyés du lointain Tsouan-Tan, et même quelques ogres. Mais les plus nombreux sont les hobgobelins. Ils ont la même stature et la même nature que les autres gobelins que j’ai déjà rencontrés, mais leur peau a généralement l’air plus sableuse, tant par la teinte que par la texture. Ils sont extrêmement grossiers dans leur usage de notre langue ; Imran me prie de ne pas prêter l’oreille à leurs obscénités. J’ai hâte d’être bientôt de nouveau à tes côtés chez nous à Mosnarat. – Sorkhil Ma chère maman, Cela fait des jours que nous marchons. Les hobgobelins me disent qu’il se trouve un vassal indiscipliné au nord, que le Despote souhaite châtier à titre d’exemple. Je ne mange pas à ma faim, d’autant plus que je suis épuisé de marcher chaque jour toute la journée. Les hobgobelins bénéficient clairement d’un traitement de faveur. Même leurs montures hirsutes sont mieux nourries que nous. Ils prétendent que c’est parce que la vie de leurs horribles loups baveux vaut plus que la nôtre ! Nous avons été rejoints par des chameliers du sud de la Mer de la soif. Ces guerriers, enveloppés de tissus destinés à les protéger des vents du désert, peuvent tirer une flèche avec précision du dos d’un chameau au galop. Je les ai vus s’exercer dans le camp. Ces nomades, tout comme les hobgobelins montés sur leurs loups, jouent le rôle d’éclaireurs et de messagers pour notre armée, faisant de nombreux va-et-vient le long de notre colonne. Si je suis à nouveau conscrit l’an prochain, j’apporterai Rougecrin pour me joindre aux unités montées, surtout si cela signifie que j’aurai une meilleure ration. Je te prie de faire en sorte qu’il soit chaussé pour mon retour, cet hiver. Dis à ma sœur que le moral d’Imran est toujours au plus haut, et qu’il souhaite qu’elle sache qu’il pense beaucoup à elle. – Sorkhil Chère mère, Nous avons enfin atteint notre destination. Je n’ai jamais été si loin au nord de ma vie. Bien que nous soyons au cœur de l’été, l’air d’ici n’est pas brûlant comme celui de Mosnarat. Le chef de ma division est un hobgobelin à la carrure phénoménale, nommé Gorba. Il ressemble en fait beaucoup plus à un orque, mais il chevauche l’un de ces gros loups poilus que les gobelins apprécient tant. Quoi qu’il en soit, il jouit du respect de ses troupes, et reçoit ses ordres directement du Vizir. Hier, il nous a informés de l’identité des adversaires que nous sommes venus combattre. Il a lourdement insisté sur la fourberie de ces vassaux réfractaires, qu’il nous a présentés comme des rebelles animés de mauvaises intentions. Je relève toutefois l’ironie de notre situation, en tant qu’humains envoyés par nos maîtres nains aux côtés d’orques et de hobgobelins pour combattre d’autres humains à l’autre bout du monde. Nous autres, vassaux, formons une unique division au sein d’une cohorte plus large : divers irréguliers ont été répartis en contingents à la structure mal définie, en fonction de leur race et de leur origine. Les hobgobelins disent que c’est pour permettre aux nains de déterminer plus facilement quels seront les familles et les pays à punir au cas où nous fuirions le combat. J’apprends à ignorer la plupart des ragots colportés par les hobgobelins. Néanmoins, je ne souhaite pas t’apporter la ruine, ni à Fatja, ni à Mosnarat. J’accomplirai mon devoir aux côtés d’Imran, même si je dois tuer d’autres humains. – Sorkhil Ma chère maman, J’ai une terrible nouvelle à t’annoncer. Imran est mort. Nous avons engagé le combat avec les rebelles dès l’aube. Nous faisions partie de la première vague envoyée assaillir la ville. Juché sur son loup grondant, Gorba nous a exhortés à pénétrer dans l’enceinte à travers une brèche dans les remparts. Aucun quartier n’a été accordé aux rebelles. Nous nous sommes heurtés à l’ennemi dans les ruelles étroites, il s’ensuivit une mêlée désespérée. Imran, le premier à se hisser au travers de la brèche, combattait comme un lion lorsque je l’ai rejoint dans la lutte. Il a abattu un grand nombre de robustes défenseurs par des frappes rapides de sa lance. Mais tout à coup, surgie de nulle part, Imran a été submergé par une conflagration ardente. L’embrasement m’a rejeté contre un mur de pierre. Lorsque je suis revenu à moi, il ne restait plus d’Imran que quelques restes calcinés. Sa mort a été rapide, j’en suis certain. Le chef des rebelles m’est apparu à travers le tourbillon de chaleur : un grand conjurateur du feu, paré d’une impressionnante robe vermillon. Il a levé son bâton pour lancer une deuxième décharge de magie, et j’ai goûté l’odeur nauséabonde du soufre. Je me suis accroupi derrière mon bouclier, m’attendant à ressentir une vague de chaleur incandescente m’engloutir à mon tour. Mais au lieu de ça, c’est notre ennemi qui s’est retrouvé noyé sous un violent déluge d’acier, de griffes et de crocs. Gorba et ses cavaliers lupins avaient rejoint le combat et mené leur propre charge. Le mage a soulevé un terrible mur de feu, mais le chef hobgobelin a bondi à travers lui et transpercé le conjurateur du fer de sa lance, tandis que son loup lui arrachait la jugulaire. Les rebelles restants ont pris la fuite. Dis à ma sœur que nous avons vengé son mari. Notre paix avec Zalaman-Tekash a été payée d’un terrible prix. – Sorkhil – Correspondance découverte par l’érudite avrasienne Tzilla Zlato parmi les plus anciennes possessions de sa grand-mère
  19. p. 58 Vassaux, première partie 6e jour de februar Chère Maman, Mon sort a connu un tournant décisif, pour le mieux. Non pas que, à la réflexion, on eût pu s'attendre à ce qu'il prît une autre tournure. La gratitude d'une amie étrangère s'est avérée indigne du papier sur lequel elle n'avait pas été écrite, car j'étais certainement coincée ici, et où donc était passée l'amitié de dame Khezek ? En l'absence d'une aide de sa part, ou de cette méchante dame Fortune, je me trouvais condamnée à l'abîme inébranlable. C'est-à-dire, les flammes et les fumées de la fabrique. Oh, mais je m'attarde sur des questions dont j'ai déjà traité. Permettez-moi de m'expliquer. L'atelier vit au rythme d'une routine compliquée. Les changements de pauses s'entrelacent de manière ordonnée, même si la plupart des prisonniers se contentent simplement de suivre le claquement du fouet. Toutefois, par une observation attentive, je déterminai que l'ordre normal des choses avait été bouleversé : quelque éminent personnage était clairement en route, car notre cadence ralentit fortement à la faveur d'une vaste opération de nettoyage et de polissage de surfaces jusque-là généralement négligées. Cette inspection imminente était visiblement si importante que des renforts nous furent amenés : des femmes libres. Des femmes humaines, en effet, bien qu'elles fussent locales par leur apparence et par leur maîtrise de la langue infernale. Des temps désespérés appellent des mesures désespérées. Observant attentivement les gardiens pendant notre quart, je me cachai dans une zone où les femmes libres étaient sur le point de commencer un deuxième passage de nettoyage approfondi. C'est là que je sortis mon plus grand trésor. À partir de morceaux de tissu arrachés à d'autres vêtements et cousus à l'aide de tout ce qui m'était passé par la main, j'avais produit un double des accoutrements portés par ces femmes que j'avais vues travailler dans les bureaux de l'usine. Il s'agissait d'un ouvrage brut, primitif, d'un déguisement dérisoire dans des circonstances normales. Je versai donc un seau d'eau savonneuse sur moi, et gémis. Ma pratique récemment acquise, mais largement inutilisée de la langue locale me fut d'un grand atout : les jurons que je proférai, relatifs aux chèvres, aux taureaux et aux feux éternels, me firent passer pour une femme libre véritablement malchanceuse, en quête d'un uniforme de rechange. J'eus la chance de croiser un soldat gobelin plutôt qu'un humain. Il me regarda et tenta de reconnaître mon visage, mais, bien que je sois plus pâle, plus blonde, et que j'aie plus de taches de rousseur que les gens locaux – eh bien, tout comme les gobelins et les orques sont tous identiques à nos yeux, je crois qu'en retour, eux-mêmes ne voient aucune différence entre le faciès d'une Sohnstahlienne et celui d'une Orientale. Certes, j'avoue qu'après cela, je rencontrai tout de même quelques difficultés. M'étant évadée de la fabrique, je me retrouvais privée de tout bien notable, à part mon uniforme contrefait et détrempé. J'inventai une histoire, bien sûr : c'était mon premier jour, la grande ville était si déroutante, et ainsi de suite, au point que je suscitai la pitié de quelques-unes de ces vassales, et que j'obtins d'elle un nouvel uniforme sec. Ah, oui, les vassaux des Infernaux, parlons-en. Je devrais expliquer : les non-nains libres (ce concept s'exprime par un unique mot dans leur langue) doivent allégeance aux nains, selon un système compliqué. Je ne prétends pas en comprendre tous les détails, mais j'ai eu l'occasion d'écouter mes « consœurs », occupées à jacasser en observant les beaux hommes en uniforme qui défilaient devant nous. Je devrais peut-être prendre un moment pour décrire la compagnie à propos de laquelle elles se pâmaient ainsi ; à mes yeux, leur tenue était absolument immorale. Des armures délacées, révélant leur peau effrontément nue, des tuniques courtes qui induisirent moult spéculations concernant le dessus de leurs cuisses, et des bottes polies à un point tel qu'elles en luisaient comme des miroirs, permettant à celles qui avaient le regard le plus perçant parmi les domestiques de résoudre une partie du mystère. Leurs barbes étaient uniformément fournies : il semble que le métier de barbier n'ait pas traversé la mer aussi rapidement que moi. En fait, je crois même que certains d'entre eux portaient des extensions. Ces soldats humains doivent fidélité aux nains. En effet, ils escortaient le fonctionnaire venu inspecter la fabrique. Une dîme en sang et en or est exigée d'une nation qui dépasse pourtant de cinq fois la population de cette citadelle, et qui s'en acquitte volontiers. Ces soldats paraissaient assez fiers ; je me souviens que Père avait dit un jour qu'en dernier recours, on ne se bat pas pour le devoir, pour l'Empire ni pour la déesse, mais pour l'homme qui se tient à côté de vous. Ces mots me revenaient tandis que j'observais leur ordre de marche, les lances relevées. Leurs armes n'étaient certainement pas de la plus haute qualité que la citadelle pût fabriquer. Je n'ai peut-être passé que quelques semaines dans la fonderie, mais je me considère déjà comme une experte en artillerie infernale, et leur escouade faisait rouler une pièce nettement inférieure. C'était une arme à torsion assez curieusement conçue, à mi-chemin entre la baliste et la catapulte. Ils l'ont apportée à l'ingénieur de la fonderie, peut-être pour des réparations. Un autre des commentaires de Père résonnait dans mon esprit : « Les officiers ne se soucient jamais autant de l'équipement du soldat que le soldat lui-même ». Si cynique est cette vérité, elle s'avère bien universelle. Votre fille dévouée, Olivia Post-scriptum : ils portaient ce qui me parut être des outres de vin, mais quand j'ai soulevé le sujet, on s'est bien moqué de moi ! Il s'avère que ces outres ne sont pas remplies d'alcool, mais d'huiles soigneusement traitées qui sont immensément inflammables. Pouvez-vous l'imaginer ?
  20. p. 56 Le Code de Kemurab Aujourd’hui encore, après tant d’années, c’est avec honte que je me remémore mon ancienne vie. Tant de cupidité, de vanité… à quoi bon ? Tout mon or n’a pas suffi à m’éviter les mésaventures dont j’ai souffert. Mes bijoux, mes tonneaux de vin épicé, mes produits exotiques… Aucun n’a pu me libérer de l’horreur que j’endurai dans la lointaine citadelle de Nedzhid. Même les mercenaires que j’avais engagés au cours de mon périple vers l’Orient s’avérèrent impuissants face au monstrueux demi-taureau qui nous accueillit à notre arrivée à la citadelle. C’est à ce moment précis que je réalisai avec une sourde terreur à quel point j’avais été insensé de vouloir faire des affaires avec les nains infernaux. Mon espoir envolé, je brandis le laissez-passer arborant le sceau du despote de la citadelle, lequel fut inspecté dans ses moindres détails. Enfin, un prêtre coiffé d’un casque à cornes s’avança et déclara que ce document ne concernait expressément que les marchandises voyageant en train, et n’avait donc aucune valeur étant donné que j’avais été contraint d’emprunter la route. Ils me conduisirent jusqu’à une grande ziggourat, où ils m’enfermèrent dans une cellule de fer et de pierre. La chaleur suffocante et la puanteur du soufre y intensifiaient ma peur et ma confusion. Après un délai dont j’ignore absolument la durée, je fus amené, ainsi que d’autres prisonniers, dans une grande salle remplie de braséros, présidée par trois personnages à l’air sérieux et menaçant, assis sur un grand podium. Au centre de cette salle se dressait un grand pilier de roche noire, gravé d’innombrables runes et symboles. Le premier prêtre proclama qu’il s’agissait du code de Kemurab, d’après lequel j’allais être jugé. Bien des années plus tard, j’appris que Kemurab avait été le dirigeant de Zalaman-Tekash, il y a mille ans. Après l’ouverture de la Fournaise et la perte de leurs marches septentrionales, Kemurab joua un rôle fondateur dans la reformation de l’identité des nains orientaux, désormais qualifiés d’« infernaux ». Personnalité acclamée, il étendit grandement l’influence de sa propre cité, faisant d’elle la capitale de facto que nous connaissons aujourd’hui. Plus qu’à tout autre, c’est à lui que revient la paternité du système culturel et politique qui me causa tant de souffrances. Réputé pour sa grande érudition et sa modestie, Kemurab assura sa base politique en adoptant le titre non pas de roi, mais de « curateur des runes ». Sa réalisation la plus célèbre et la plus durable fut la réforme des systèmes juridiques et écrits des nains. Le grand législateur ne se doutait certainement pas que son maudit code (resté essentiellement identique à l’original) me serait appliqué, un millénaire après sa mort. Ma crainte ne fit que croître lorsqu’un autre haut prêtre entreprit d’interroger les accusés un par un. De temps à autre, il levait la main, et un troisième prêtre lisait le châtiment prévu par le Code sur la colonne noire. Tout citoyen qui vole la propriété d’autrui dans la rue lui remboursera cinq fois la valeur de l’objet volé, et ses enfants serviront d’esclaves à la partie lésée pendant un mois pour chaque objet volé. Tout esclave coupable de parjure contre son maître verra ses enfants subir un nombre de coups de fouet égal à leur âge. Ainsi de suite. Les premiers défendants, qui étaient sans nul doute les plus chanceux, furent emportés, enchaînés. Un nain barbu à la peau sombre fut amené au banc des accusés. Le prêtre qui occupait le centre de l’estrade se mit à le questionner, d’un ton accablant, tandis que d’autres peignaient des runes sur son corps au moyen d’un étrange onguent noir. Cette fois, le crime était plus grave. Je ne compris pas bien de quoi il s’agissait, si ce n’est qu’une précédente condamnation n’avait pas été purgée comme il se devait. La peine était dès lors la plus sévère prescrite par le code : il devait être sacrifié pour la gloire d’Ashuruk et l’honneur de Ninarduk. Les deux autres prêtres sur l’estrade saisirent chacun une torche et se tinrent aux côtés de la victime, psalmodiant des hymnes gutturaux tout en approchant la flamme de plus en plus près de sa peau. Le corps sombre et vigoureux du nain s’enflamma tandis que retentirent ses cris de douleur ; la pièce tout entière fut emplie de la puanteur du souffre et de la chair brûlée. Je ne sais combien de temps dura ce tourment : chaque fois que le nain hurlant semblait enfin rendre l’âme, les runes goudronneuses luisaient et le ramenaient à la vie, jusqu’à ce qu’il ne restât plus de lui qu’une pile de cendres fumantes. Frappé de stupeur, il me fallut de longues minutes avant de réaliser que tous les regards dans la salle étaient désormais tournés vers moi. Le haut prêtre répéta lentement le chef d’accusation, afin de s’assurer que j’avais bien compris la situation. On me reprochait de conspirer contre le clergé d’Ashuruk et d’espionner pour le compte des ennemis de la Citadelle. Sachant que je n’aurais que peu de chances de prouver mon innocence, j’attendis une pause dans cette litanie juridique avant de tenter de lever la voix. Telle était ma frayeur que je ne parvins qu’à balbutier quelques paroles sans le moindre sens, assez cependant pour que les prêtres s’interrompent et m’accordent leur attention. Je me râclai la gorge avant de protester, demandant de comparaître devant le despote Zadbuk, dirigeant de Nedzhid, qui avait apposé son sceau sur le laissez-passer censé me permettre d’établir des relations commerciales avec ma cité. Le prêtre, me lançant un regard noir, pointa le doigt en direction du grand trône vide qui surplombait l’assemblée. Il était clair que le Despote n’était pas dans la Citadelle, à moins qu’il ne fût tout simplement pas informé de la tenue de ce procès. Après quelques questions supplémentaires, plus par souci de respect du protocole que de clarification, le verdict me fut lu : d’après le code de Kemurab, et considérant que je venais d’un pays étranger, toutes les marchandises que j’avais amenées dans la ville seraient confisquées au profit du clergé d’Ashuruk ; les mercenaires et les serviteurs qui m’avaient accompagnés seraient vendus comme esclaves au bénéfice du Temple ; quant à moi, je servirais les Cerbères de la Citadelle pour une période de six fois dix mois. Je ne dirai rien de mon asservissement, car il s’agit d’une douleur que seuls les dieux peuvent apaiser. Mais aussi longtemps que je vivrai, jamais je n’oublierai jamais ce moment où mon destin fut scellé. Le jour même de la fin de mon « service », on me remit dix pièces d’argent et une lettre adressée aux princes de ma cité, et je fus jeté hors des murs de la Citadelle. Lorsqu’enfin je rentrai chez moi, après bien des périples sur la route, j’avais perdu ma position, tous mes biens et ma famille. Voilà comment j’ai appris que l’or et le pouvoir ne sont pas tout dans la vie, chère enfant. Écoute bien les paroles de ce pauvre vieillard, et tiens-toi à distance des nains infernaux. - Récit consigné par Adria de Myra, d’après les paroles du doyen des domestiques de son père
  21. p. 52 La Route de l'acier « Hé, pétaradeur ! » cria le ferrailleur lorsqu'il passa sa tête dans l’abri pour me lorgner la tête. La puanteur qui émanait de ses dents jaunes me retourna l’estomac. « Le Gros là veut savoir si ta boîte esploziv’ elle va marcher ou pas. Pasque si non, on va te bouffer bientô – ooohh ! » Le compagnon ogre de la créature, Nöying, balança nonchalamment le ferrailleur en l'air et se baissa pour me rejoindre dans l’abri. Il gloussa d’une manière qu'on eût pu décrire comme fraternelle. « Mon camarade fait bonne blague. On mange grand héros, grand ennemi. Si bombe à toi pas explose, juste on jette toi à tigre. » Après plusieurs semaines à apprécier l’hospitalité rude mais généreuse de ces créatures, je commençais à mieux comprendre quelles menaces de démembrement releveaient de la plaisanterie et lesquelles étaient mortellement sérieuses. Le sonnstahlien de mes hôtes s’était amélioré bien plus nettement que mon ghyengghetat depuis le début de notre coopération, ce qui m’embarrassait un peu. Mais à cette occasion, il était particulièrement difficle de lire l’humeur de Nöying. « Je peux vous assurer, messires, sur mon honneur de diplômé du Collège d’ingénierie de Westerhafen, que les charges et les détonateurs sont de première qualité. Le cylindre principal est chargé de fulminate d’argent pour… » Le ferrailleur, tout en se frottant la croupe, pencha la tête et fit une grimace. « Mais pourquoi un si brillant humain des villes viendrait dans montagne fabriquer boîtes qui esplos’ pour ogres ? » Je rougis. Nöying en parut grandement amusé. « Ah. Il y a eu ce regrettable quiproquo, impliquant la femme du recteur, et, hum, elle s’avérait aussi être la fille du magistrat en chef… — Ha ! ha ! ha ! Alors minus pense être homme pour femme ! Tu dois faire attention ici, » Nöying m'enfonça son doigt massif dans le ventre. « Peut-être jolie ogresse tombe amoureuse et veut bien montre toi comment ça faire. Si elle pas mange toi avant. Ha ! ha ! ha ! » L’exposition de l’idée me fit tressaillir, quand soudain retentit l’appel d’un cor de guerre démesuré. Le grondement assourdissant occasionna une interruption bienvenue. « Bien ! En avant ! C’est heure carnage ! » Nöying vociférait tout en brandissant son hachoir à la lame plus large qu’un pavois. Il aboya dans sa langue un ordre aux deux douzaines de brutes qui s’étaient tapies dans la tranchée derrière nous. Le mince espoir qu’il me restait de rester à l'abri disparut alors que mon interlocuteur m’attrapait par la peau du cou pour m'entraîner à sa suite, malgré mes prétextes bien vains. « Viens ! Tu dis que tu étudie fabrication gros trucs ? Alors tu veux voir ça ! » Il me lâcha sur le sol poussiéreux, probablement plus rudement qu’il ne l'avait escompté. Je clignai des yeux, pas tant à cause de la chute que du spectacle que m’offrait la Route de l’Acier. Et notre cible au milieu. C’était plus facile à imaginer quand ce n’était qu’un point sur la carte : un entrepôt-forteresse conçu pour protéger le chemin de fer passant dans cette région montagneuse. L’endroit servait aussi de dépôt de ravitaillement et de maintenance ; enfin, son emplacement était stratégique car il se trouvait à l'une des quelques entrées des parties souterraines du réseau. Le dépôt était bien défendu. Après toutes ces années à étudier les engins de guerre, j’étais enfin sur le point de constater leurs effets sur le terrain. Des rangées d’artillerie bien alignées se mirent à tirer des salves à une cadence rapide, les obus sifflaient autour de moi, les éclats volaient en tous sens. C’était au-delà de tout ce que j’avais imaginé. J'étais incapable de bouger, le regard rivé sur l’armement infernal, la terreur qu’il inspirait marqua mon esprit à jamais. Ma situation ressemblait de façon troublante aux gravures que notre confesseur utilisait pour nous faire peur lorsque nous nous comportions mal étant enfants : des âmes damnées piégées dans la gueule de l’Abysse. Devant moi se dressait un grand pont d’acier, aisément aussi large qu’une demi-douzaine de portes de mur d’enceinte. Il s’arc-boutait par-dessus le gouffre, et sur chacun de ses côtés s’alignaient des postes de tir fortifiés, certains équipés de batteries de roquettes. Les fortins grouillaient de nains et crachaient une épaisse fumée, produites par les machines à l'origine de l’alarme stridente. Mais le principal des fortifications n’était pas ces postes de garde. De l’autre côté du pont, d’énormes murs d’acier noir recouvraient la montagne. De nombreuses cavités dans les flancs de la gorge, naturelles ou non, vomissaient un brouillard malsain, comme autant de portails vers l’enfer. Enfin, sur la demi-douzaine de chemins de fer grondaient les bêtes métalliques que les ogres nomment « mammouth d’acier » : d’énormes locomotives de métal noir traînant d’innombrables wagons blindés. Je m’interrogeais, et pas pour la première fois, sur l’origine de la force motrice de ces monstrueux engins. Il ne faisait nul doute de la présence de quelque force arcanique : j’avais déjà eu le privilège de voir à l’ouvrage les plus puissantes locomotives à traction de Nevaz Athiz, mais ces dernières se mouvaient deux fois moins vite et avec une charge bien moindre. À moins que que les ingénieurs des forteresses naines n’aient fait qu’effleurer le véritable potentiel des machines à vapeur. J’ignore encore laquelle de ces hypothèses me perturbe le plus. À se retrouver en présence d’espèces plus grandes, il se produit un curieux effet d’échelle. On s'habitue à sa propre petitesse. J’imagine qu’il en est de même pour les gobelins et les nains parmi les humains. Après plusieurs semaines aux côtés avec des ogres, j’ai pu obverser de quoi est capable leur corps massif et j’en avais conclu qu’il leur serait facile de se frayer un chemin dans une forteresse infernale pour peu que ma bombe créer une brèche dans les défenses. Mais ça ! Ils n'en avaient jamais parlé. Je fus horrifié car je réalisais que mon calcul de charge était complètement erroné. Il était impossible que le dispositif qu’on m’avait commandé pût entailler les courtines du dépôt. Et encore eût-il fallu que les ogres arrivent jusque-là ! La ligne de bataille ogre chargeait le long du gouffre en direction de l’entrée, tandis que l'artillerie naine clairsemait sans pitié leurs rangs depuis la forteresse et les tours du pont. Aussi puissants que soient les ogres, ils ne pouvaient espérer survivre à un tel déluge de feu. Ils furent soufflés, découpés en morceaux, tranchés en deux par d’énormes éclats d’obus ou encore brûlés vifs dans des flambées si intenses qu’on pouvait sentir leur chaleur depuis les derniers rangs. Mais les ogres continuaient à avancer ! Je jetai un œil à mon compagnon, cherchant désespérément le moment d’inattention qui me permettrait de fuir sans que ma couardise ne fût remarquée. Mais il semblait calme, sinistrement calme malgré le carnage. Il marmonnait une mélopée guttural que je pense être un moyen de méditation. Ou une prière aux défunts. Une occasion se présenta et je commençais à pivoter, mais Nöying tourna subitement la tête. Mon cœur battait la chamade. Mais il ne regardait pas exactement dans ma direction : il avait repéré un drapeau rouge flottant à peine visible dans le vent chaud, de l’autre côté de la gorge. L’ogre se tourna vers moi, un grand sourire aux lèvres. « Trois… Deux… » Et une immense explosion retentit. Mais très loin de la forteresse. Bien au-dessus du bord opposé du gouffre, bien au-delà des tours de guet du complexe. Un panache de fumée et de poussière s’éleva et des fragments de roches commencaient à tomber en toutes directions. L’avalanche continua sans jamais sembler s’arrêter. L’écho des détonations résonna sur les rebords métalliques du tunnel, qui ressemblaient désormais à une sorte de trompette démoniaque ; je me bouchai les oreilles. Nöying, lui, resta debout à contempler la bouche d’acier en contrebas, rugissant de triomphe. Un nuage de poussière et de cendre surgit du tunnel, qui engloutit rapidement le pont. Finalement tout le champ de bataille fut plongé dans le noir. J’aperçus vaguement deux des mammouths d’acier s’extirper hors de l’ouverture, leurs freins faisant pleuvoir des étincelles dans l’espoir d’un arrêt pas trop brutal. Tous leurs wagons étaient déformés ou écrasés par d’énormes rochers. La poussière voltigeait de toute part lorsqu’une main inhumaine attrapa mon épaule. « Très bien ! Tu as paye. On y va ! Vite ! » Encore secoué par les événements je luttai pour me remettre sur pied. Après avoir toussé de tous mes poumons, je m’enfuis dans le sillage de Nöying. Arrivé à la tranchée, je tombai littéralement dedans, atterrissant sur un ogre qui beugla et me dégagea d’un brusque mouvement irrité. Une petite main gluante tiraillait avec insistance sur mon pantalon. Je jetai un coup d’œil en direction du ferrailleur qui dansait à petits pas, piaillant d’excitation. « Superbe esplozion ! Ces fichus nains ont mordu la poussière ! Les gros rochers ont tout aplati les bêtes de métal. Fais-en plus ! Plus ! Héhéhéhéhéhé ! » J'errai maladroitement à travers le camp, dans la poussière qui commençait à peine à retomber, jusqu’à retrouver Nöying. D’un coup sec de son hachoir, il venait tout juste de trancher la jambe broyée d’un de ses guerriers. Une douzaine de ferrailleurs s’affairait à chauffer à blanc un grand tison pour cautériser la plaie. Étonnamment, quelques instants après avoir hurlé de douleur, la créature blessée avait l’énergie de me montrer du doigt et même m’aboyer quelque chose qui ressemblait à un compliment. Mon camarade qui appliquait le tison brûlant ma parla par-dessus son épaule de façon tout à fait décontractée, comme s’il n’était pas en train d’effectuer une opération délicate. « Achdag dit que ça être bon travail. Fais plus bombes comme ça. Peut-être bientôt, toi célèbre et ogres pense à manger toi ! Ho ho ho ! » Son patient poussa un cri de douleur, la légendaire résistance à la douleur des ogres atteignant ses limites. Nöying hocha la tête, comme pour approuver son travail, puis se tourna vers moi. « Tu as questions ? » Bien des questions traversèrent mon esprit, mais seule une franchit le seuil de ma bouche. « Vous n’avez jamais eu l’intention d’occuper la forteresse pour demander une rançon. » Nöying renifla d'un air moqueur. « Agent ogre a dit ça ? Pff. Il est plus stupide que je pense. Même ogres pas essaye plus gros morceau chaîne casser. Beaucoup gardes, beaucoup canons. Mais ils pensent ogres stupides. Ils pensent ça ogres veut faire, oui. » Il se tapota la tampe. « C’est comme chasse au mammouth. Ogres courageux fait du bruit, attire mammouth avec grosses défenses, pendant chasseur se cache… » Il représenta l’action, faisant marcher ses doigts le long de son bras jusqu’à son poing. « … et jette petite flèche dans œil mou. » Évidemment, le fait que la flèche en question était gros et épaisse qu'un trait de baliste brouillait un peu la métaphore, mais l’exemple était suffisamment clair. « Donc l’assaut était une diversion. Sacrément coûteuse, il semblerait. » L’ogre haussa les épaules, balaya du regard les alentours, les blessés gisant ça et là. « Ils prend or, ils connait jeu. Comme toi. Mais pas pareil. — À ce propos, il était question d’un supplément en cas de succès de la mission… » Le regard de Nöying se durcit. « Comme khan dit : bombe explose, tu as or pour temps et pour bombe. Pour reste… on voit si trou est gros comme tu as vendu. — Comprenez cependant que j'avais calculé en prenant en compte que la bombe devait faire exploser un – » L’ogre leva la main. Je sus qu’il valait mieux ne pas continuer. Il héla une créature plus jeune et plus mince, qui partit à toutes jambes. Il revint quelques minutes plus tard, visiblement porteur d'un message qui satisfait Nöying. « Très bien. Tout plafond tombe avec charge principale, toutes six pistes sous tas de rochers. Frappe devant un mammouths d’acier et lui explose. C’est plutôt bon résultat. On paye tout. Il faut une semaine pour réparer. » Je déglutis bruyamment. J’avais entendu parler de l'ardeur au travail des nains infernaux, mais cela semblait incroyable d’être capable de réparer les dégâts infligés par ma bombe en si peu de temps. « Mais… » commençais-je. « Si la route sera opérationnelle d’ici une semaine, qu’est-ce qu’il y avait à gagner… » Nöying éclata de rire. « Par gosier de Yakha, humains lents comprendre ! » Il approcha son visage tout près du mien. Même après tout ce temps passé en sa compagnie, je ne m'étais toujours pas entièrement habitué à la puanteur de son haleine. Dans son large sourire, sa dent en or scintillait à la lueur du feu. « Pendant une semaine, tous convois direction Huafeng pas utilise cette route mammouths d’acier. Ils utilisent passe de Tchougaï. Notre route. — Hum, et je suppose que, hasardai-je, il y aura… un petit droit de passage. » Son sourire s’élargit encore. « Tu apprends vite. Une semaine de péage. Ça paye en or membre tribu perdu aujourd’hui, dix fois même. Ça pas marche toujours bien, défenses des nains bien. Mais quand ça marche… Ça rapporte beaucoup ! » Le potentiel économique du chemin de fer me surprenait encore. Je savais pourtant qu’il formait un vaste réseau reliant le Sagarika, le Tsouan-Tan et toute la richesse de l'Orient. J'avais même entendu parler de nouvelles branches en direction de la Taphrie à l’ouest. Malgré ma propre condition de mercenaire, je ne pus m’empêcher d’être bouleversé par ces vies sacrifiées à la faveur de cette logique froide et mercantile. Nöying remarqua mon malaise et me donna une sacrée claque dans le dos, la bourrade m’étala à terre. « Bienvenue sur Route d’acier, ami ! Viens, on a encore travail et route. Après repas, bien sûr ! » – De Voyages à dos de cheval à travers les steppes orientales, les mémoires de Holgar Ormerudde, ingénieur mercenaire
  22. p. 50 Mécanique infernale Le pire, c’était l’attente… De l’autre côté du champ de bataille boueux, nous parvenaient les secousses d’une terrible machine, comme si elle était en train de percer le sol, prête à surgir à tout moment d’en-dessous de nous. La ferme que nous occupions pour protéger le flanc gauche de notre ligne de bataille se mit à trembler autour de nous. De la poussière tomba en flottant des chevrons du toit. Certains de mes camarades jetaient des regards de tous côtés, comme fous. D’autres scrutaient avec convoitise la porte arrière de la ferme, seule chance d’évasion… Mais nous restâmes, et nous attendîmes… Le pire, c’était l’odeur… La plupart des fermes sentent le renfermé, et celle-ci était abandonnée depuis des semaines. Des excréments d’animaux, de la viande pourrie et des latrines de soldats nous assaillaient les narines. Et à travers ces puanteurs familières se fit sentir l’odeur âcre de soufre et de la poudre noire. Une épaisse fumée s’infiltrait à travers les planches avec lesquelles nous avions barricadé les fenêtres, empestant la cendre, nous brûlant l’odorat. Nous nous enveloppâmes le visage de tissus, et nous attendîmes… Le pire, c’était le bruit… Des cliquetis, des claquements, des sifflements ; nous réalisâmes que ces sons s’étaient follement accrus, au point de noyer le vacarme de la bataille. La sentinelle sur le toit cria un avertissement pour attirer notre attention, mais était-ce bien nécessaire ? À présent, le grondement des roues qui approchaient était omniprésent. Le grincement strident des engrenages faisait claquer nos dents ; de la vapeur jaillit avec un bruit rappelant la clameur des âmes arrachées à l’au-delà. Par-dessus le vacarme, nous ne nous entendions plus. Une lueur rouge transparut à travers les briques du mur extérieur. Nous nous arc-boutâmes, et nous attendîmes… Le pire… Nous le savons, à présent. L’impact envoya valser la moitié de notre groupe, en même temps que le mur cédait. Des gaz sulfureux emplirent nos poumons, nous toussâmes et râlâmes, le souffle coupé. Les étranges échos s’étaient mués en un tonnerre assourdissant, assaillant nos sens, nous faisant tomber à genoux, les mains sur les oreilles. C’est alors que nous appréhendâmes la source de nos problèmes. L’acier le plus noir, façonné en une masse terrifiante de métal ; une cruelle machine de destruction aux membres virevoltants qui broyaient la pierre et la chair avec un égal mépris. Les énormes morceaux de maçonnerie happés par ses tambours furent pulvérisés en quelques instants, tels des grains de blé dans un moulin. La ferme qui avait enduré pendant des siècles le vent, la pluie et les pillards se mit à ployer. Notre régiment bien ordonné, occupant une forte position défensive, avait été réduit à un ramassis de racaille apeurée, les hommes se bousculant les uns les autres pour s’extraire des portes et des fenêtres… C’est alors que le bâtiment s’écroula. Quelques instants plus tard, nous étions là, à contempler les débris de notre ancienne fortification. Deux étages de pierres avaient enseveli la moitié de nos effectifs avec notre terrible assaillant, enterré sous des tonnes de roche et de bois. Pourtant, ce silence ne devait pas durer : des gémissements mécaniques émanaient de sous la pile. Les poutres s’entrechoquèrent, et l’engin vrombissant émergea de la ruine, soulevant d’énormes nuages de poussières et de cendres. Sur ce, nous nous dispersâmes, l’épouvante derrière nous, sachant que pour nous, la bataille était perdue. D’ailleurs, aucune arme dont disposait notre armée ne pouvait l’arrêter,. Seuls deux d’entre nous survécurent à cette terrible journée ; l’un est devenu prédicateur, renonçant à tous les biens de ce monde, tandis que j’ai opté pour la vie d’écrivain et d’érudit. Tout pour éviter de vivre une autre bataille. Je bondis encore de ma chaise à chaque fois que j’entends une porte claquer. – Souvenirs d’un soldat raté, par Albrecht Weider
  23. p. 48 Bastion infernal Nous avions été ravis de trouver les nains installés en rase campagne. Mais le lendemain, nous fûmes réveillés par l’alarme. Sous le couvert de l’obscurité, l’ennemi avait construit ce que je ne peux décrire que comme des tours de siège. Deux grands monolithes d’acier, plus hauts que les murailles d’Avras, nous attendaient impassiblement de l’autre côté de la plaine. Les nains se positionnèrent en une formation profonde, prête pour la bataille. Nos reîtres initièrent l’engagement en sondant les lignes naines. Ils se trouvèrent rapidement sous le feu des tours qui gardaient les flancs de la ligne de bataille ennemie. Les nains bénéficiaient du couvert de leurs créneaux, tandis que leur position élevée empêchait mes hommes de s’approcher suffisamment pour retourner le feu sans subir de lourdes pertes. Comprenant cela, j’eus une claire vision de ce qu’il me fallait faire. Je commandai à mes chevaliers une charge en bonne et due forme sur le flanc gauche. Mais à mi-chemin de la plaine, alors que nous n’avions pas encore atteint le plein galop, nous fûmes pris pour cible par la tour la plus proche. Bien que la cadence de tir ne fût pas insoutenable, les tirs étaient précis et mortels. L’élan de nos chevaux eût sûrement brisé leur formation, mais à quel prix ? Menant la charge, j’inclinai mon destrier vers le coin de la tour, là où se trouvait l’extrémité de la ligne naine. Les tirs cessèrent à notre approche : les nains s’emparaient de leurs haches et rejoignaient le combat de leur position surélevée. Dans la confusion des combats, il me semble me souvenir d’avoir remarqué que le capitaine Kreuger avait mené ses reîtres à l’appui, et qu’il fondait maintenant sur les nains par l’arrière. Sans les tirs de couverture de la tour sur ce flanc, la ligne ennemie était vulnérable. Mon espoir était de briser le flanc gauche, avant de partir sur le flanc droite. Malheureusement, les nains tenaient obstinément, et nous étions en train de nous enliser. C’est alors que nous nous sommes à nouveau retrouvés sous le feu, mais cette fois par la droite. Je me rappelle m’être dégagé de la mêlée afin de mieux examiner la situation. À mon horreur, la tour de droite s’avançait à travers l’avant de sa ligne, et les nains faisaient à nouveau pleuvoir le plomb d’en haut. En quelques secondes, la tour frappa notre formation de flanc. Un grand bélier s’abattait sur nos rangs, les plongeant dans la confusion. Le mur d’acier venant sur nous nous repoussa. La terreur s’empara des hommes et des chevaux. Nous ne nous attendions pas à ce que de si grandes constructions fussent capables de se mouvoir sans relâche. À notre honte, nous avons battus en retraite, n’en réchappant que grâce à la vigueur de nos montures. Malgré leur fatigue, elles nous ont emportés loin du champ de bataille. J’attends de nouvelles instructions. - Rapport de terrain. Maréchal Von Strickland, 17e division de cavalerie expéditionnaire, 904 A.S.
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