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[Samedi] "Bonne pensée du matin" Arthur Rimbaud


Invité Absalom

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Invité Absalom

J’aimerais vous proposer une lecture d’un poème de Arthur Rimbaud. Je ne rappelle pas la biographie du môsieur , il est largement enseigné au collège, et puis à l’heure du Wikipedia... Par contre, les détails de sa vie seront rappelés au fur et à mesure pour illustrer mon propos, si nécessaire.

Pour comprendre la spécificité des vers qui vont suivre, livrons-nous à un petit inventaire de quelques thèmes abordés par le jeune poète (c’est un peu idiot de mettre son oeuvre dans des petites boîtes mais ça va éclairer mon propos).

Il y aurait donc :

- Le vagabond qui soliloque : « Ma bohème », « Sensations »...

- Le bon-vivant , parfois gouailleur : « En Hiver », « Au cabaret vert »...

- La jeunesse bafouée (et c’est un euphémisme) : « Le dormeur du val », « le Cœur du pitre », et perso je rajoute « Les corbeaux » pour ce qu’évoque son tout dernier vers. C’est dans « le Cœur du Pitre » que l’alarme de Rimbaud atteint son paroxysme.

Voici le poème en question :

« Bonne pensée du matin

A quatre heures du matin, l’été,

Le sommeil d’amour dure encore.

Sous les bosquets l’aube évapore

l’odeur du soir fêté

Mais là bas dans l’immense chantier

Vers le soleil des Hespérides,

en bras de chemise les charpentiers

déjà s’agitent.

dans leur désert de mousse, tranquilles,

ils préparent les lambris précieux

où la richesse de la ville

rira sous de faux cieux.

Ah ! pour ces ouvriers charmants

sujets d’un roi de Babylone,

Vénus ! laisse un peu les amants,

dont l’âme est en couronne.

O reine des bergers

porte au travailleurs l’eau de vie,

pour que leurs forces soient en paix

en attendant le bain dans la mer, à midi. »

Arthur Rimbaud - Vers nouveaux

Le poème est la description d’une aube sur un faubourg.

Telle une sentinelle, le poète déploie son attention aux choses : « A 4h du matin », « les bosquets », « l’odeur ». Insistons sur la présence proche du poète, attentif quoiqu’invisible.

Prématurément, le regard se détache de ce qui l’entoure pour se porter ailleurs : « Mais là-bas »... Il y a quelque chose de très beau dans ce mouvement du poète, sans que celui-ci n’apparaisse.

Et que voit-il ? Spectacle navrant d’un lendemain de fête ? Misère du peuple ouvrier ? Que nenni ! Nulle alarme, nulle inquiétude à l’horizon !

Se déploie tout un vocabulaire précieux propre à la pastorale amoureuse : « Amour », « Vénus » « Reine des bergers », « amants », « Babylone » , ce qui constitue un imaginaire des plus précieux.

Ce lexique semble pour le moins cocasse : la scène est triviale et n’appelle pas une telle hypertrophie du style. Un registre naturaliste serait plus attendu. Il est d’ailleurs présent : « bras de chemise, chantier, charpentier, eau de vie, ouvrier » mais reste minoritaire.

Comment comprendre l’emploi de cette quincaillerie précieuse ? d’autant qu’elle n’est pas habituelle chez Rimbaud. Il y a bien quelque allégories mythologiques de-ci de-là mais ses figures titulaires sont bien plus concrètes et vulgaires (le petit peuple animal, une enseigne d’auberge, un bohémien, etc. ...).

Dans « Bonne pensée du matin », est-ce l’Emphase d’un jeune poète qui gonflerait son texte artificiellement ? Ou une Satire drolatique des envolées précieuses qui ne sont déjà plus de son Temps ?

Intéressons-nous à l’articulation de ces deux registres au travers de quelques exemples :

« Oh reine des bergers, porte aux travailleurs l’eau de vie »

Dans ce vers, les deux champs lexicaux ne s’opposent pas : le précieux (Reine des bergers) et le prosaïque (l’eau de vie) sont réconciliés et participent d’un même élan de réconfort. Il y a comme une réconciliation des deux registres.

« Pour ces Ouvriers charmants »

Pas d’opposition non plus, même si « charmant » est à comprendre au sens fort. Je ne crois pas qu’il faille y voir l’aveu d’une inclinaison de l’Auteur. Ce serait banal.

Le poète est charmé par le spectacle, apaisé à son tour par ces ouvriers qu’il qualifie de « tranquilles ». Cette réconciliation des registres de style, c’est donc aussi en Rimbaud qu’elle s’opère.

« Pour que leurs forces soient en paix

En attendant le bain dans la mer en midi. »

Dans ces derniers vers, le réconfort semble encore une fois prosaïque mais la confusion des registres m’incite à y voir bien plus que cela : comme une réconciliation avec l’Univers. Maïakovski dirait que le Poète se sent pousser un cœur prêt à aimer la Terre entière.

Etayons en puisant dans l’œuvre de Rimbaud :

Dans « Sensations », il y a ce vers

«Et l’Amour infini me montera dans l’Ame ».

Sensations

Qu’entend-il par amour infini ? Une réconciliation avec son Temps et ses semblables ? Peut être, et cela éclairerait la lecture de notre poème.

Il faut également songer aux vers du « Cœur du pitre » pour mesurer le chemin accompli par Rimbaud. Le poète y est violemment malmené métaphoriquement ou pas (l’interprétation en est controversée).

« Mon triste cœur bave à la poupe »

« Leurs insultes l’ont dépravé »

Le Coeur du Pitre

Cris d’alarme d’un poète à l’innocence bafouée.

Dans « Bonne pensée du matin », Rimbaud semble apaisé, réconcilié et a peut-être fait un pas vers cet Amour Infini. L’instant d’une aube prometteuse, tout au moins.

Encore un détail qui me servira de conclusion :

Je remarque que le poète est totalement absent à la fin du poème. Sa présence était certes ténue mais on en devinait la trace par certains mouvements de regard. Il semble totalement exclu des derniers vers.

Se fondre dans un Amour infini au prix d’un effacement de soi...

Gardons-nous des interprétations trop biographiques. Cela dit, si l’on songe au départ de Rimbaud pour l’Afrique, ou à l’interruption précoce de son œuvre poétique, on a le sentiment d’une fuite, d’une disparition.

Rimbaud, plus âgé a-t-il réussi à se fondre dans « l’Amour infini » que l’adolescent appelait ? J’en doute.

Il reste cet effacement de Rimbaud au sein de son poème , puis de sa propre biographie… C’est très beau.

C’est cruel, aussi, pour ses lecteurs. Songez à l’émoi qu’a suscité la découverte d’une photo de lui âgé d’une trentaine d’années. Au delà de l’anecdote, c’est comme si la disparition du poète, puis celle, plus tardive, de l’homme pesaient encore.

Le poids d’une absence, d’un vide …

Ce n’est pas du tout mon rayon mais je crois que les lecteurs de Saint-Exupéry réagiraient de même. Mais cela tiendrait plus aux circonstances de la disparition de l’écrivain que de la nature de son oeuvre. Chez Rimbaud, les deux semblent liés.

Confusément, c’est pour tout cela que j’ai plaisir à me remémorer ces vers.

Modifié par Absalom
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Je ne sais pas si c'est moi, mais connaissant quelques texte d'Arthur Rimbaud, je vois beaucoup d'ironie et de second degré. Il est possible que, pour ne pas changer, il est décidé d'incorporer plusieurs axes de lecture, permettant de sentir l'apaisement (comme tu le soulignes), ou la folie du monde (les ouvriers tôt le matin).

« Mon triste cœur bave à la poupe »

« Leurs insultes l’ont dépravé »

Le Coeur du Pitre

Très belle série de triolet. Même si comme tu le dis, le sujet reste assez violent.

Bonne soirée.

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