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Sang et Poussière


Enmerkar

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Bonsoiiiiiiiir !

J'ai encore raté le dernier concours d'écriture, mais j'ai continué mon texte tout de même, voici le résultat, offert à votre lecture. En espérant que ça vous inspirera quelque commentaire...
En tous cas, voilà ce qui arrive quand dans la même semaine, on visionne la trilogie Underworld et qu’on visite le musée de l’Acropole, à Athènes…

[b]Sang et Poussière[/b]
[i]
Citadelle de Kittâvropolis, à l’est du Mont Balkan, an 1077 de l’ère chrétienne.[/i]

Eleftherio faisait les cent pas dans la caverne qui servait de salle de réception aux visiteurs du Clan. Le jeune et brillant officier, l’un des favoris à la cour impériale, n’en menait pourtant pas large, au vu de la difficile tâche qui l’attendait.
D’anciens candélabres dorés à l’or fin illuminaient la grotte. Sur les parois de pierre, quelques icônes religieuses côtoyaient des trophées guerriers tels que des boucliers scythes, un glaive cimmérien, un cor hun. Sur un guéridon en bois d’ébène, de la myrrhe d’Alep se consumait lentement.
Le sol, en simple terre battue, contrastait violemment avec l’opulent décor de la pièce. Des tapis, le Clan pouvait s’en offrir des dizaines, et de la plus haute qualité. Mais ces objets, les farouches Coureurs n’en avait cure, bien évidemment : ils ne s’agenouillaient pas et leurs chaussures, si l’on peut dire, étaient d’acier.

Ce vestibule, pourtant de dimensions honorables, sembla rétrécir lorsque deux Coureurs entrèrent. Eleftherio reconnu le premier : massif, un torse nu bardé de cicatrices, un torque de bronze païen, une crinière et de longues tresses blanches entrelacées de fils de soie verte, la couleur du Clan : c’était Itexès, maître forgeron et garant des Lois. Sa voix profonde, impétueuse et froide comme le grand Danube, ses yeux bleus comme le ciel de Grèce et la hache aux fers d’or, hast ornée de perles et d’ivoire qu’il brandissait, tout cela inspirait un respect bien plus tangible que celui des couronnes et des églises.
Et la seconde, puissante, blanche et roide, le commandant ne l’avait jamais vue. Ses traits étaient aussi fins et fermes que ceux des Doriennes, mères des légendaires guerriers de Sparte. Ses yeux avaient la clarté troublante des yeux des femmes thraces et ses cheveux, fins, noirs et brillants qu’encadraient un visage d’albâtre évoquaient les filles des rois de la Mer, noms mystiques et anciens de Crète, Délos ou Chypre.
Ce visage, oui, Eleftherio le connaissait, il l’avait déjà contemplé. Impossible de se rappeler où, ni quand. Mais Seigneur, qu’elle était belle ! Cette créature, cette… Cette femme !
Non, ça n’était pas une femme, loin s’en fallait. Pourtant…
Itexès rappela brutalement le messager à la réalité, à sa mission.
« Commandant Eleftherio » tonna-t’il, « votre requête sera entendue. [i]L’Archistratre [/i]a été prévenu et se dirige en ce moment même au grand galop vers la Citadelle.
- Au nom de l’Empereur et de l’Eglise, noble Itexès, soyez remercié. » Déclara Elefthério en s’inclinant.
« J’ai pour tâche de vous escorter jusqu’à la salle du Conseil, Commandant » intervint la jeune Coureuse. « Mon nom est Alexandra Olaki [i]Proarkhein[/i], » reprit-elle comme le messager s’inclinait à nouveau. « Nous y attendrons mon père ainsi que Maître Itexès et les autres sages.
- Je gage, ma Dame, que nous pourrions avoir besoin de la présence et des avis de l’estimé Salaminas, le Forestier.
- Je vois, » répondit Alexandra avec un sourire dissimulé. « Peut-être, en cheminant, pourriez-vous me donner quelque indice sur la mission que souhaite confier notre bien-aimé Empereur à ses plus puissants auxiliaires ? »

Le Clan des Marches du Nord était le dernier clan de Coureurs dans cette partie du monde. Peut-être même était-il le dernier, tout court. Mais si son territoire avait diminué au fil des siècles, son orgueil était demeuré intact. Eleftherio le savait ; il connaissait le Clan et ses usages. La mission requérait autant de puissance martiale que de sagesse, autant de brutalité que de maîtrise, autant de vitesse que de bravoure et cela, seul le Clan des Marches du Nord pouvait lui offrir.
Il ramassa donc le coffret contenant l’urne, marqué du sceau du [i]Basileus[/i], sortit pour prendre sa monture par la bride et rejoignit la fille du chef.
Mais les membres fins de l’animal apeuré tremblaient. Ses grands yeux liquides contemplaient avec appréhension le roc dans lequel on lui demandait à présent de pénétrer. Rien à faire.
Alexandra s’avança et de sa main gauche, leva vers son visage le museau de la jument. Ce fut comme si quelque chose passait entre elles.
« Elle acceptera d’entrer sous terre, ne vous en faites pas, Commandant, » déclara la Coureuse. « Elle a du sang arabe, mais elle est bien plus grande et bien plus forte, c’est étrange. S’agit-il d’une nouvelle race ? Elle est magnifique, en tous cas. »
Toi aussi, se retint de répondre Eleftherio.

Sur un geste d’invitation de la jeune guerrière, il monta en selle puis talonna pour rattraper son guide. On ne les appelait pas Coureurs pour rien ! Et quelle étrangeté que de chevaucher dans les longs couloirs de cette citadelle !

Ils parvinrent bientôt à une grande cour à ciel ouvert. Architecture byzantine, légère et féminine, qu’agrémente, ici et là, une branche de lierre ou de vigne vierge. Quelques hommes s’affairent à réparer la maçonnerie. Ce sont des Bulgares, sans doute des prisonniers.
Désireux de se montrer plein d’égard pour sa monture, Eleftherio met pied à terre, la guidant de nouveau par la bride vers un abreuvoir emplit d’une eau cristalline.

Il en profita pour se rafraîchir également.
Alexandra échangea quelques mots avec un combattant qui était venu à sa rencontre. Le guerrier portait une armure de cuir bardée de disques de fer, de lourdes sacoches sur les flancs, un arc à double courbure dans le dos et de longues flèches à l’orientale dans un carquois serti de verreries. Des pièces de cuir et de bronze protégeaient ses membres inférieurs, musclés et racés. Les tatouages tribaux, sur son visage, étaient souillés de boue, de poussière et de sang. Sous son bras droit, il tenait un heaume à nasal à l’aspect farouche. Son bras gauche brandissait toujours, peut-être inconsciemment, un bouclier. Eleftherio nota que le Coureur avait renoncé au lourd bouclier rond traditionnel de la tribu pour adopter celui, en forme d’amande, des aventuriers nordiques qui s’étaient emparés récemment de la Sicile. Sa forme convenait, il est vrai, parfaitement à la morphologie des membres du clan.

Alexandra adressa un regard interrogateur au commandant byzantin qui se remit en selle. Le Coureur ne salua pas Eleftherio mais il eut un hochement de tête approbateur à l’attention de la [i]proarkhein[/i], au passage de son invité. Soit il appréciait, lui aussi, la beauté de la monture métisse, soit il voyait d’un bon œil le fait que son cavalier montât sans selle, en tous cas cela paraissait de bon augure pour la suite.

Quittant la cour, ils suivirent un couloir plus étroit que celui qu’ils venaient d’emprunter et qui montait en pente douce vers le cœur de cette forteresse taillée dans la pierre.
Cheminant, Eleftherio eut le regard attiré par une caverne ronde, dans laquelle il vit la chose la plus étrange qu’il lui fut donnée de voir : deux Coureurs se trouvaient agenouillés, ou plutôt couchés et c’était bien la première fois qu’il voyaient des Coureurs dans une posture autre que debout. Il compris bientôt : un crucifix surplombait le porche menant à ce qui devait donc être une chapelle.
Il talonna encore pour rattraper son guide.

Deux portes majestueuses s’annoncèrent enfin : la salle du Conseil. Une guérite taillée à même le roc en défendait l’entrée. Eleftherio reconnu le gardien : Megarias, l’ancien Porte-étendard du clan qu’une jambe raide condamnait désormais à une quasi immobilité.
Pour l’heure, il régnait tel un despote sur le bastion miniature qui lui avait été confié. Alexandra s’entretint brièvement avec lui et à nouveau, le byzantin pu entendre sans vraiment les comprendre les syllabes archaïques, sans doute originaire de Grèce centrale, du dialecte propre à la tribu.
Megarias actionna un levier et les portes commencèrent à s’ouvrir d’elles-mêmes, mues par un mécanisme invisible. Elefterio s’offrit une dernière contemplation d’Alexandra. Il redevenait en cet instant le messager officiel de l’Empereur Michel Doukas Parapinace.

Le commandant, toujours monté, pénétra seul dans la salle. Les lourdes portes se refermèrent sur lui. Bravement, il s’avança à la lumière des fosses à feu qui conférait un air brutal, barbare, à l’assemblée. Les flammes se reflétaient sur les lames accrochées aux murs et sur les armures des Conseillers. Oh oui, le Clan vivait avant tout par et pour la guerre.
Ici, comme partout ailleurs dans la citadelle, aucun siège n’était visible, mais une tribune centrale, séparant les édiles des visiteurs, appelait le plaidant. Celle-ci était flanquée de deux gardes d’élite. Le premier, en armure complète de cataphractaire, tenait son visage dissimulé dans l’ombre de son casque. Le second était Salaminas, éminent pisteur, archer hors pair et réputé pour connaître chaque sentier de Patras à Samarkande. Il adressa un signe de tête à Eleftherio qui le lui rendit, heureux de sa présence.
Itexès le Sage ; Katak Olaki, [i]Archistratre [/i]du Clan des Marches du Nord et accessoirement père d’Alexandra ainsi que trois autres vénérables Coureurs constituaient donc ce conseil.
Tout en cheminant, le messager avait bien réfléchi à la manière dont il devait présenter la chose. Il n’avait pas droit à l’erreur et il le savait.
Les Coureurs avaient beau être abrupts de réputation pour ne pas dire brutaux, mais ils avaient tout de même un sens du protocole avec lequel il fallait compter. Ainsi, tandis qu’Alexandra amenait Eleftherio, par des chemins détournés, à la salle du conseil, Itexès s’y rendait par des voies plus directes. Et soit Katak était déjà en armes, soit il avait eu le temps de s’équiper avant de venir.
Tête nue, en armure lourde, il incarnait toute la majesté équine, la puissance et la vitalité de sa race. Assez étrangement, il avait adopté une cuirasse constituée de larges bandes d’acier aux rivets rehaussés d’or qui rappelait l’ancienne [i]lorica segmentata[/i] des légions romaines. Un manteau de pourpre, privilège accordé par l’empereur lui-même, était accroché au niveau du cœur par une broche sertie d’une énorme émeraude et passait sur l’épaule et revenait sous le bras droit.
Ses yeux, brillant d’une dureté adamantine, étaient plus ronds et plus sombres que ceux de sa fille mais ils se ressemblaient manifestement.
Une féroce barbe noire, à présent striée de fils d’argent, complétait le portrait de ce seigneur de guerre.
Pendant qu’Eleftherio avançait vers l’estrade, Itixès, sur un ton grandiloquent, jouait les hérauts. Ça n’était pas nécessaire, mais cela semblait l’amuser.

« Alors Commandant, » tonna Katak Olaki, « explique-nous ce que tu attends des Coureurs. »
Eleftherio ne répondit pas. Il posa le coffret qu’on lui avait confié, brisa le sceau et produisit son unique contenu : une petite urne en argent, à deux anses, qu’ornait une unique inscription et le signe de la Croix.
Pour Katak et les autres, pas besoin d’en dire plus.
Ce fut Salaminas, pourtant habituellement taciturne, qui déclara l’inévitable sentence.
[i]« Memento, homo, quod pulvis es, et in pulverem reverteris »[/i]
Dans la salle, un silence de mort régnait, seulement trouble par le crépitement des fosses à feu et parfois, le raclement nerveux d’un sabot sur les dalles de pierre. Pourtant, la même question brûlait les lèvres des sept Coureurs présents. Ce fut Itexès qui, privilège de l’âge, parla.
« Les seigneurs de la nuit jouissent d’une protection impériale perpétuelle en vertu d’un pacte signé par Justinien lui-même. Pourtant, l’actuel Basileus réclame l’exécution de l’un d’entre [i]eux[/i]. Nous accomplirons donc l’ordre qui nous est donné et te permettrons, Eleftherio fils de Savataki, de ramener à Byzance la poussière témoignant de la destruction du vampire ! »
Katak et les autres sages approuvèrent d’un grognement unanime cette déclaration.
« Je vous remercie, noble seigneurs, » entonna Eleftherio en retour. « Nous n’en attendions pas moins de vous et je suis heureux de constater que vous êtes toujours à la hauteur de votre réputation de bravoure. » On y était. Presque.
« La bête qui a rompu notre confiance, » reprit-il, « plonge les villages sous notre protection du sud de la Valachie dans l’effroi le plus total, rappelant la violence sanguinaire qui régnait dans les âges sombres. Ses mignons ont de plus massacré nos garnisons de Nicopolis et Ardani, elle représente donc un trop grand danger.
- Elle ? S’étonna Salaminas.
- Allez, Cavalier, » coupa Katak, « prononce le nom de celui que nous devons abattre !
- Salaminas, tu es toujours aussi perspicace. La tâche ne sera pas aisée, Seigneur, mais elle est nécessaire. » Il était temps de jeter les dés ; Eleftherio prit une grande inspiration.
« Il s’agit d’Anastasia. »
Stupeur totale.
Katak leva la main droite paume vers le ciel, le petit doigt et l’annulaire repliés, les autres écartés en un geste plus à sa place sur le marché aux poissons de Syracuse que dans une salle de conseil, mais ce mouvement spontané exprimait parfaitement l’incrédulité.
« Attends, Anastasia… [i]Anastasia[/i], tu veux dire ? »
L’un des sages, Memnianis, vétéran borgne en général plutôt enclin à la modération, éclata d’un rire énorme.
« Oui je sais, » admit platement Eleftherio. Je parle en effet de la fille de l’empereur Staurakios qui régna il y a plus de deux cents cinquante ans. Bien que chassée de la Cour lorsque son père abdiqua, elle continua de servir l’Empire en se taillant un petit domaine en Bulgarie. C’est peut-être grâce à elle que nous avons pu récupérer ces territoires, conquérir le royaume bulgare et résister jusqu’à présent aux coups de buttoir des Mahométans. Cela dit, comme je vous l’ai déjà indiqué, ses troupes échappent à tout contrôle.
- Je ne peux nier ma surprise, jeune commandant, mais nous avons déjà accepté la mission de l’Empereur. Je vais mobiliser une compagnie immédiatement.
- Si vous me permettez, Seigneur Katak, » intervint Salaminas le forestier, « nous aurions tout avantage à attendre trois jours pour lancer notre assaut. En effet, si nous partons immédiatement, la lune croissante sera exactement pleine quand nous arriverons en territoire dace. Comme vous le savez, Anastasia sera un adversaire redoutable, aussi, si nous devons combattre en plus des vampires les loups-garous, je crains que notre compagnie ne soit éradiquée.
- En fait, » intervint Eleftherio en serrant les dents, « c’est précisément à cause de ce danger que j’ai été envoyé vers vous. Le pouvoir d’Anastasia est si fort qu’elle contrôle désormais plusieurs meutes de loups-garous. C’est en fait de la fédération de ces meutes que vient le problème. Elle a du choisir un meneur complaisant, l’assujettir par un charme et éliminer ses rivaux de sorte que même si elle disparaît, les lycanthropes continueront leurs ravages et leur nombre augmentera de manière exponentielle. Leurs éclaireurs pourraient parvenir jusqu’ici au prochain hiver si on ne les arrête pas avant.
- ça jamais ! » Eclata Katak Olaki. « Tu vas venir avec nous, Cavalier, et tu témoigneras devant tous que chaque lance, chaque hache et chaque sabre du Clan aura bu le sang impie de ces monstres. Erebos ! » Gronda-t’il en se tournant vers le Coureur en armure qui se tenait à la gauche du Commandant. « Rassemble sur le champ cent des meilleurs guerriers du Clan. Equipe-les en fonction des dangers qui nous attendent. Je veux aussi quelques chevaliers sarmates qui assureront notre arrière-garde. Cavalier, tu as un autre équipement n’est-ce pas ?
- Oui Seigneur, » répondit Eleftherio. « J’ai laissé mon cheval de bât à l’entrée de la Citadelle avec tout mon équipement. J’ignorais en outre qu’il existait encore des Sarmates.
- Va le chercher, tu en auras besoin. Quant à ces humains auxquels je pense, s’ils montent comme des Sarmates, combattent comme des Sarmates et s’appellent Sarmates, moi ça me suffit pour les nommer ainsi en retour. D’autres questions ? »

Le rassemblement des Coureurs et leur préparation au départ se fit à une vitesse ahurissante, témoignant du fait que si les puissants guerriers s’étaient sédentarisés, ils n’en demeuraient pas moins marqués par des millénaires de nomadisme et de guerre éclair contre les humains ou toute autre créature hostile qu’ils pouvaient rencontrer.

Au son des cors de guerre, la colonne s’ébroua et parti moins d’une heure après que Katak eût donné ses ordres. L’[i]Archistratre[/i], le dénommé Erebos et Eleftherio menaient la marche. Salaminas les quitta bientôt pour partir en éclaireur. Deux heures après le départ, un contingent de ces prétendus Sarmates rejoignit les Coureurs. Ces cavaliers d’élite semblaient avides d’en découdre avec les créatures de la nuit et de mesurer leur habileté à celle des Coureurs.

Les lieues défilaient à un train d’enfer, et la colonne, telle une meute en chasse, n’hésitait jamais sur son orientation, comme si elle savait déjà où se trouvait sa proie. Bientôt elle atteignit les premiers villages qui avaient subi les attaques des sbires d’Anastasia. Les récits qui étaient parvenus à Byzance étaient en fait bien loin de la réalité apocalyptique qui s’était abattue sur les serfs impuissants. Eleftherio sentit son cœur se serrer plusieurs fois tandis que son cheval passait près de quelque charnier pourrissant à ciel ouvert.

On s’arrêta dans une clairière alors que la nuit tombait. Des torches furent distribuées par les intendants et les aumôniers, ceux-là mêmes que le jeune Grec avait vu prier en arrivant à la Citadelle, s’occupèrent de bénir de l’eau en quantité. Les Sarmates, quant à eux, avait frotté leurs armes et leurs protections d’ail pour affoler les vampires, comme le préconisait la croyance populaire, au grand dam des Coureurs et des chevaux, à l’odorat plus sensible.

Dwìnan, la jument d’Eleftherio, tenait bon, malgré la vapeur fumante qui se dégageait de ses flancs en sueur. Les destriers sarmates, aux jambes plus courtes n’en menaient pas plus large mais ils étaient accoutumés aux campagnes éprouvantes.
Pendant que certains guerriers préparaient un repas frugal, d’autres taillaient de longues et lances dans un bosquet de jeunes frênes qui fut dépouillé pour l’occasion.
On mangea puis on repartit. A présent, Salaminas dirigeait la colonne, l’arc à la main.

La lune fit son apparition, pleine, énorme. On ralentit, marchant au pas.
Des hurlements hideux s’élevèrent, bien différent du cri pur, gracieux et solennel des vrais seigneurs de la nuit.
Les combattants suivaient désormais une route bordée de pupilles assoiffées de sang.

Et l’assaut survint peu après minuit.

Forçant sur leur vue perçante, les archers Sarmates décochaient leurs traits mortels sur des cibles aussi furtives que des ombres, fauchant leurs cibles jusqu’en plein bond. Des jappements furieux accueillaient leurs flèches et bientôt cette colère se transmis à l’ensemble de la meute.
Tandis que les Coureurs se tenaient immobiles, de part et d’autre de la route, scrutant les fourrés, lourde lance octogonale à main gauche ou dans le dos, la main droite brandissait javelines ou arcs ornés, les Sarmates montaient et descendaient la double colonne, toujours en mouvement.
Les assauts isolés ne donnaient rien. Alors les créatures s’élancèrent toutes en même temps.
Réagissant instantanément, les Coureurs lâchèrent leurs projectiles et chargèrent.
Les pointes effilées, poussées par un vivant mur d’acier et de muscles lancé au galop, déchirèrent chairs et fourrures, brisant les os et les crânes des monstres sans pitié. Les lignes se replièrent sitôt l’assaut délivré.
Les Sarmates, eux, tenaient le centre et couvrirent la retraite de leurs alliés.

La victoire était totale et aucun mort dans le détachement byzantin n’était à déplorer. Pourtant, Katak Olaki était mécontent, car les vampires ne s’étaient pas montrés.
On ramassa les cadavres qu’on brûla, les blessés furent pansés puis on reprit la route tandis que le jour se levait.
La troupe se reposa dans un village abandonné.
Lorsqu’Eleftherio se réveilla, de vilains nuages gris emplissaient le ciel, masquant le soleil.

En fin de journée, Salaminas revint, portant en croupe un manant blessé. Ce dernier fut amené auprès de l’[i]Archistratre [/i]et interrogé. L’horreur qu’il décrivit les glaça : l’homme, par une sorte de miracle, avait pu échapper à une mort certaine puisqu’il faisait partie du troupeau qu’avait rassemblé Anastasia pour nourrir ses mignons et les monstrueux loups-garous qu’elle avait transformé en mâtins. Et cette grotesque assemblée, parodie infernale de la cour byzantine, siégeait d’après le Bulgare en un ancien fort barbare désormais en ruines et à l’écart de tout.
C’était là que la princesse devenue vampire commettait ses expériences atroces et c’est là que le dernier acte de ce drame devrait se dérouler.

Eleftherio faisait face à un cas de conscience : si un loup-garou l’attaque, il doit se défendre, c’est son droit de rester en vie. Lui, en tant que soldat protecteur du peuple, peut bien sûr attaquer un loup-garou puisque ces monstres ne pensent qu’à tuer.
Mais que devait-il faire face à un loup-garou sous sa forme humaine ? Celui-ci devait à priori être inoffensif et passait donc dans la catégorie des gens qu’il devait, en théorie du moins, protéger. C’était comme les gens possédés par un démon, en fait, puisque le corps était séparé de la conscience. Mais pour ça on pouvait recourir à l’exorcisme, mauvais exemple. Voyons, Anastasia était une princesse, mais même un roi ou un empereur peut être déposé quand il va trop loin. Donc ce que nous faisons est au final plus important que ce que nous sommes. Le message du Basileus, finalement, était clair : personne n’est à l’abri de la justice, qu’elle soit temporelle ou divine. Bien. Mais ça ne résout pas la question du Changeforme.
« Vous avez l’air soucieux, Cavalier ! »
Eleftherio se retourna sur sa selle, stupéfait. Alexandra se tenait juste derrière lui.
« Alexandra, que faites-vous là, cette mission est trop dangereuse ! »
La Coureuse parti d’un grand éclat de rire.
« Eleftherio, vous vous inquiétez pour moi ? » Ses yeux brillaient de malice et ses lèvres trahissaient un petit rictus moqueur.
Ses traits redevinrent graves et accusèrent la même dureté que ceux de son père.
« Je suis jeune en effet, mais loin d’être inexpérimentée et ma lance a déjà ôté la vie à de nombreux loups-garous. C’est d’ailleurs pour ça que Salaminas m’a choisie. En fait, » et l’ironie, l’insouciance charmante de la jeunesse refirent surface, « vous et Père êtes les seuls à vous être invités. Tâchez de ne pas trop nous encombrer, tous les deux. »
Et là-dessus elle fit volte-face, repartant vers l’arrière de la colonne.
Eleftherio nota distraitement qu’elle était équipée, contrairement à la plupart des guerriers du clan, de cuir souple et non pas du lourd acier qui paraissait le meilleur choix pour affronter de si terribles adversaires. En fait, elle ressemblait ainsi au combattant qui n’avait pas voulu le saluer, dans la cour de la citadelle, la veille. Etait-il son maître d’armes ? Son amant ? Et où ; bon Dieu de bon sang, où avait-il déjà vu ce visage ? Chez Katak, oui, mais ça n’était pas ça. Ça n’était pas lié aux Coureurs mais plutôt à son enfance, à lui.
Soudain, Eleftherio se frappa au visage de son poing gantelé. Eleftherio, la mission ! Oui, elle était là, avait certainement tué son lot d’adversaires et la veille et de toute façon, si Salaminas avait jugé… Une autre idée traversa soudain son esprit : si je vois un serpent sur le sentier, est-ce que je le tue ? Moi certainement, par peur. Mais Salaminas, lui, probablement, le lancerait dans quelques fourrés loin de la piste. [i]Vivre et laisser vivre[/i]. Nous en sommes là où nous en sommes par l’action de ceux qui nous précédés. L’expérience. Ce qui ne l’ont pas doivent l’acquérir, ou acquérir un savoir suppléant auprès de ceux qui peuvent le dispenser. Mais comment être sûr de ne pas répéter une erreur ? Peut-être simplement en discutant. Comment cela m’aide-t’il avec mon loup-garou ? Discuter, cela revient peut-être à juger. Et un sage, ne peut pas juger et encore moins tuer ou faire tuer un homme parce qu’il peut se transformer en monstre, car dangereux. En effet, dans ce cas, tous les hommes sont potentiellement dangereux et capables de tuer, parfois pour rien. Vivre et laisser vivre.
Bon, d’un autre côté, les dégâts causés par le loup-garou ne sont pas comparable à ceux qu’un homme moyen peut causer. Mais comme dans le cas de la possession démoniaque, le Changeforme n’est pas responsable de ses actes seulement pendant deux ou trois nuits par lune, alors ? Alors il faut l’identifier et quand la pleine lune approche, s’assurer qu’il est enfermé.
Eleftherio était fier de son raisonnement.
Ça sonne un peu « sécuritaire », tout de même.

Puisque la nuit n’était pas encore tombée, la colonne n’avançait pas en ordre de marche stricte, le risque qu’une force de cette taille soit attaquée étant quasi nul. Ainsi, tout en réfléchissant, Eleftherio s’était éloigné de la piste et cheminait seul, hors de vue du reste de la troupe mais toujours à portée de voix.
C’est alors qu’il arriva dans une petite clairière. Deux humains, entièrement nus, dormaient sous un arbre.
« Hého ? » appela machinalement Eleftherio en descendant de selle. Il s’approcha. Ils s’éveillèrent. Le jeune Grec jura, réalisant son erreur. C’était un couple. La femme se tenait en retrait, cachant sa nudité. L’homme grogna comme si ses cordes vocales n’avaient pas repris leur forme normale après la dernière transformation.
La sueur perla sur le front d’Eleftherio ; il tira son épée. L’homme, adoptant une attitude agressive, lança un borborygme à mi-chemin entre l’aboiement et le cri. La femme gronda, elle aussi.

La lame ensanglantée, les yeux dans le vague, Eleftherio remonta en selle et s’éloigna tristement du lieu du carnage qu’il avait perpétré.
Le son d’une cavalcade survint. C’était précisément le fameux Coureur à l’armure de cuir. Il n’eut pas besoin d’aller voir ce qu’il s’était passé. Il prit avec circonspection les rênes des mains du commandant en catalepsie et le ramena en douceur vers le reste de la compagnie.
Eleftherio bu machinalement à une gourde qu’on lui tendait. On lui enleva peut-être son épée.
Il retrouva ses esprits au bout d’une heure, peut-être. Il était donc conscient quand la colonne arriva en vue du fort abandonné.

Tout était calme, bien sûr : il faisait encore jour. Un jour timide, humide, poisseux, mais jour tout de même.

Le siège présumé de la cour vampirique d’Anastasia n’avait aucunement été dénaturé par ses nouveaux occupants. L’ancienne forteresse, ou ce qu’il en restait, s’étendait sur et autour d'un éperon rocheux isolé qui conférerait aux ruines un aspect des plus sinistres. Il était aisé de comprendre pourquoi la princesse déchue avait choisi ce site : l’endroit, naturellement à l’écart des routes actuelles, semblait truffé de grottes et de cachettes à l’abri de la lumière du soleil. En outre, même si les tours et les murailles, d’une étrange couleur ocre étaient défoncées, éventrées, l’endroit paraissait malgré tout facile à défendre et propice aux embuscades.

Katak, Erebos et Salaminas tinrent conseil sur une butte qui faisait face aux ruines pendant que les plus hardis des combattants exploraient le site.
D’ici peu de temps, la nuit tomberait. Il paraissait raisonnable de croire que vers le crépuscule, les Changeformes se rassembleraient, attendant que la lune et leur maîtresse se montrassent.

Quelqu’un siffla d’une manière impérieuse. Ça venait des ruines, de l’intérieur. Comme attiré malgré lui, Eleftherio se dirigea vers la provenance de ce bruit. Il mit pied à terre et escalada une portion de mur effondrée grâce à laquelle il se retrouva bientôt sur le chemin de ronde d’un antique rempart. De là, sa vision embrassait l’ensemble de la cour intérieure.
Celui qui avait sifflé, un Sarmate, avait été rejoint par deux de ses compagnons et tous trois considéraient un escalier recouvert de mousse qui s’insinuait sous terre, vraisemblablement sous le donjon. L’un des hommes arma un grand coup de hache qui arracha des étincelles à une lourde chaîne. Il fallut plusieurs coups pour qu’enfin elle cédât. Une torche fut allumée, celui qui la brandissait descendit en premier, l’épée tirée. Une femme, armée d’un arc, flèche déjà encochée, le suivit. Puis ce fut le tour de l’homme à la hache.

Eleftherio se surprit à retenir son souffle. Si jamais ils étaient attaqués…
Un mouvement derrière lui le fit sursauter : seulement une chauve-souris, annonciatrice du crépuscule, et elle était déjà loin.
Le jeune Grec reporta son attention sur l’escalier. Il entendit une exclamation. Tendu, il attendait.
Les trois Sarmates revinrent bientôt et ils n’étaient plus seuls : ils étaient suivis par une cohorte d’humains, tous plutôt bien bâtis mais hagards, maigres et pauvrement vêtus. Ils paraissaient totalement inoffensifs et ressemblait assez au serf qui avait guidé la colonne impériale là.
Eleftherio fit un geste pressant d’invite à Katak puis, des yeux, chercha un chemin plus commode pour faire entrer les Coureurs dans la forteresse. L’une des tours s’avéra être creuse, comme fendue de part en part par un gigantesque coup de lance. Il indiqua donc ce chemin aux massifs guerriers. Ceux-ci ne purent passer que l’un après l’autre et il fallut laisser les bagages à l’extérieur.



Salaminas et son protégé s’avancèrent vers les prisonniers. Ils échangèrent quelques mots pendant qu’Eleftherio rejoignait Katak.
Manifestement, il devait s’agir du « troupeau » constitué par Anastasia et ses sbires. Pourtant, Katak ordonna que ces prisonniers soient attachés, à l’extérieur de la forteresse, jusqu’au départ de la colonne. Les pauvres hères acceptèrent d’autant qu’on leur donna à manger et qu’on alluma des feux tout autour d’eux.

Erebos disposa les combattants du mieux qu’il put.
Et la nuit fut là.

En hauteur, les Sarmates, démontés, patrouillaient. Dans la cour, sereins, les Coureurs étaient prêts. Eleftherio avait choisi de rejoindre le Clan, il combattrait donc à cheval.

Un air glacial, surnaturel, souffla soudain les torches.
Ça commençait.
Tournant la tête, à droite, à gauche, au gré des bruits étouffés qui leur parvenaient, les Coureurs semblaient exclus du spectacle : des ombres sans nom effleuraient les Sarmates, qui désemparés, frappaient dans le vide en une danse arythmique, désespérée.
Il y eut un bruit sourd. Katak baissa avec un grognement son bouclier dans lequel une flèche venait de se ficher. Pris d’impatience, il ordonna à ses combattants de se mettre en mouvement et de courir toute la nuit s’il le fallait. Quel étrange ballet ! Les Coureurs tournaient pendant que la lune lentement apparaissait, surnaturellement proche.

Un Sarmate se trouva soudain éjecté du rempart qu’il occupait mais il parvint à atterrir sans trop de mal dans la cour. Hélas ! L’un des spectres déjà fondait sur lui.
Eleftherio le vit et le chargea, fantôme guerrier, la robe de Dwìnan brillant dans la douce lumière lunaire.
Dans cette pénombre, impossible de frapper sans risquer de blesser le Sarmate. Alors le Grec se redressa sur ses étriers et jeta à la volée une outre d’eau bénite qui explosa en heurtant les deux corps luttant. Un hurlement de rage et de douleur s’éleva aussitôt.
De l’autre côté du mur, les chaînes des prisonniers s’agitaient. Quelques Coureurs sortirent en trombe prêter main-forte à leur compagnons qui étaient restés en arrière pour surveiller les humains et les bagages. Mais d’humains en cet instant il n’y en avait plus guère et, forts de leur puissance bestiale, les loups-garous achevèrent leur transformation en brisant leurs attaches. Un archer sur un mur hurla aux Coureurs de revenir mais bien sûr, il était trop tard.

Pendant ce temps, d’autres créatures, sans doute libérées par un signal secret, jaillissait des entrailles de la forteresse maudite. Une bête, noire comme la nuit, velue comme un ours et de la taille d’un taureau chargea pour briser le cercle formé par les Coureurs. L’un des guerriers fut percuté de plein fouet et projeté, malgré son poids énorme, à plusieurs mètres de là. Katak et Eleftherio avisèrent ce colosse en même temps et chargèrent.

Les loups-garous de l’extérieur, qui avaient massacré leurs gardiens, tentèrent de rejoindre la bataille en passant par la tour creuse mais au milieu de celle-ci, rutilant dans son armure de cataphractaire, Erebos, tête nue, leur interdisait le passage. Qui bondissait se heurtait à son lourd bouclier de bronze et s’y brisait le crâne. Qui tentait de lui faucher les jambes finissait piétiné par les puissants sabots. Et sa double lame d’argent, pendant ce temps, virevoltait en répandant le sang.

Dwìnan sauta en frémissant par-dessus le corps massif d’un coureur auquel un vampire s’abreuvait. Eleftherio le larda d’une javeline au passage mais malheureusement manqua le cœur.

Un monstre rugissant, presque aussi gros que celui que Katak allait donc affronter seul, prit Dwìnan en chasse aussi Eleftherio lui fit faire volte-face et dégaina son épée. Il inspira un grand coup et intima l’ordre à sa monture de bondir, le byzantin et le lycanthrope se portèrent chacun un coup titanesque en plein vol. Le casque d’Eleftherio vola au loin. Le monstre, fou de douleur, avait le crâne à moitié fendu duquel s’échappaient un flot noir, voulait à présent se soulager dans le sang.
Un cri de guerre archaïque, chtonien, fit vibrer les vieilles pierres de la forteresse. Involontairement, Le jeune commandant en chercha l’origine. C’est ainsi qu’il vit le seigneur Kalak Otak se cambrer, dressé de toute sa grandeur sur ses membres inférieurs puis les abattre sur celui qui devait être le chef de meute. Le bruit des sabots frappant la chair, explosant la cage thoracique du monstre fut comme une détonation que les anciens occupants de ces ruines eurent révérer comme émanant du dieu du tonnerre lui-même.
Katak encore se pencha et avec un râle bestial, extirpa le cœur énorme de la cavité fumante et le brandit à la vue de tous. Mais il en fallait plus pour arrêter ces créatures surnaturelles.

Dwìnan, épouvantée par ce cri, fit bravement face à l’adversaire d’Eleftherio, luttant pied à pied avec le colosse et permettant à son maître de lui porter de larges coups de taille.

Pourtant, à un moment, la puissante encolure se redresse, les oreilles frémissent, le jarret hésite. Le loup-garou blessé, mystérieusement, se retire.
L’instinct parle, Eleftherio se retourne.
Du coin de l’œil, il voit qu’il est fait : une bouche délicate entrouverte d’où saillent deux crocs proéminents, un œil brûlant, pupille rouge sang ; la monture du Grec a un vampire en croupe.
C’est fini. A moins que…
Appuyant de tout son poids sur son étrier gauche, les épaules plongeant à senestre pendant que l’épée décrit une énorme volte, emportée par sa propre masse. C’est le baiser du Parthe, une botte d’initié, qui, correctement exécutée, permet à un cavalier de décapiter un passager inopportun. Hélas, ça ne marche pas avec eux : la dextre, fulgurante, du vampire jaillit, emprisonnant dans son frêle étau le poignet musclé du combattant. Au même moment, du côté gauche, la lame fourbe d’un poignard pointe sur l’aine, insuffisamment protégée, du cavalier.
Le vampire, se rapprochant de sa proie émit ce curieux petit bruit de bouche que l’on réserve habituellement aux enfants pour manifester un désaccord, une interdiction.

C’était une voix de femme. Eleftherio se retourna à nouveau et cette fois il prêta plus attention aux traits de son ennemie, indiscutablement féminins. Cela ne pouvait être qu’elle.
« Anastasia » souffla-t’il.
« Bonsoir, Eleftherio fils de Savataki, » dit-elle suavement.
Elle l’aurait lâché qu’il n’aurait pas bougé d’un pouce, déjà sous son emprise.
« Pardonnez-moi, Princesse, mais je dois vous tuer. » En cette réplique absurde, presque pathétique, résidait toute la volonté, ou ce qu’il en restait, du Commandant.
« Mais pourquoi ? » Demanda-t’elle d’une voix de petite fille. Eleftherio serra les dents.
La sueur perlait sur son front.
« Parce que, Madame, vous êtes un monstre. »

Ainsi, vision surréaliste, les deux ennemis conversèrent, tels des amants prolongeant dans la quiétude une nuit fiévreuse pendant que le monde, autour d’eux, tourbillonnait, tonnait, brûlait et mourait.

« Mais enfin Commandant, – et la voix du vampire paraissait si chagrine, pleine de regrets qu’Eleftherio sentit de la pitié l’envahir – de nous deux qui est le plus monstrueux ? Vous tuez pour vous nourrir de chair, comme moi.
- je ne mange, » articula-t’il avec peine, « aucun enfant de Dieu.
- Oh non, c’est vrai. » la voix avait perdu toute tonalité enfantine et c’était un souffle rauque, haineux et sarcastique qui l’avait remplacé. « Vous vous contentez de les tuer, comme ces deux innocents, nus, que vous avez massacré avec cette épée, aujourd’hui même. Comme cet empereur – la voix, chargée d’une colère longuement contenue, gagnait en puissance – oui, cet empereur que vous avez presque tué et forcé à abdiquer.
- Staurakios a été grièvement blessé à la bataille » la colère, lentement, l’emportait sur l’impuissance, conférant au Grec la volonté de défier le vampire. « Et c’est à cause de vous, monstre, de ce que vous êtes, de la honte que vous représentez, qu’il a abdiqué. »
La poigne de fer d’Anastasia s’empara de la mâchoire d’Eleftherio, le forçant à se tourner vers elle. Il soutint son regard. Et il continua même, implacable :
« Nous n’avons jamais cessé d’honorer sa mémoire pour cet acte de noblesse. » Il regardait Anastasia droit dans les yeux, à présent, et pu même, fugacement, regarder derrière elle. Il sourit.
Elle feula.
« Et c’est pour tuer un monstre que vous êtes allé chercher le Clan des Marches du Nord ? Est-ce sérieux ? Ils n’en sont pas moins des monstres, eux aussi, ces barbares brutaux et sanguinaires ! Vous les appelez « Coureurs » mais quel euphémisme est-ce là ! Ces créatures, comme moi, ne sont pas des enfants de Dieu. Ouvre les yeux, voyons, Eleftherio, ce sont des CENTAURES ! »
Eleftherio ferma les yeux, toujours souriant, confiant. Il se rappelait, à présent, ce visage, à la fois doux et compatissant, à la fois sévère et juste. Fougueux mais sage, combatif et raisonné, ouvert et posé. Une statue, enfant. L’ancienne déesse Athéna.
Il eut le temps de dire, en matière d’adieu :
« Tu as raison, ce ne sont pas des enfants de Dieu, mais des enfants des Dieux. Toi tu n’es qu’une fille du diable, qui nous a été volée. »

Un choc énorme les percuta en cet instant, manquant de renverser Dwìnan qui poussa un hennissement désespéré. Eleftherio sentit plusieurs côtes se briser et la lame d’Anastasia glisser sous les mailles et lui entailler profondément la cuisse. Une poussière acre se mélangea à son sang, couvrant son visage, entrant dans ses narines, sa bouche, ses oreilles. Sa cuirasse d’acier, défoncée du côté droit, lui brûla les chairs. Puis plus rien.

Eleftherio était toujours en selle, à demi retourné. Il s’essuya le visage. Il était vivant.
Un pieu long de dix empans avait fracassé sa cuirasse mais ne causant que des blessures superficielles. Avec un tout petit peu moins de maîtrise, il était empalé.
A l’autre bout du pieu, en extension complète, le visage, fermé par la concentration, d’Alexandra s’illumina.
« Vous allez avoir besoin de votre urne, Cavalier ! » Déclara-t’elle avec un sourire. Modifié par Enmerkar
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  • 2 semaines après...
Pas mal !

Original comme texte. J'en ai pas lu énormément (voire pas) des textes qui se situaient à l'époque post gréco-romaine. En tout cas j'ai bien aimé et la qualité de l'écriture est vraiment au rendez vous ! Maintenant j'attends la suite !!!

@+
-= Inxi =-

EDIT : Je voulais dire pré greco romaine !! Modifié par Inxi-Huinzi
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[quote name='Inxi-Huinzi' timestamp='1332074512' post='2099640']
Pas mal !

Original comme texte. J'en ai pas lu énormément (voire pas) des textes qui se situaient à l'époque post gréco-romaine. En tout cas j'ai bien aimé et la qualité de l'écriture est vraiment au rendez vous ! Maintenant j'attends la suite !!!

@+
-= Inxi =-
[/quote]


Hum, l'époque post-gréco-romaine, ç'a sappelle le Moyen-Age, ça n'est pas si rare ! ^_^ (bon après dans un contexte païen oui c'est moins commun)
merci Inxi pour ton commentaire ! Je ne prévoyais pas de suite, mais qui sait, peut-être trouverais-je quelque nouvelle mission pour mon capitaine byzantin...

Ah sinon, ça m'intéresse : avais-tu compris ce qu'étaient les Coureurs avant qu'Anastasia ne le dise ?
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  • 1 mois après...
Oki, c'est parti, une première critique très rapide et à chaud, mais j'essaierai de développer lorsque j'aurais un peu plus de temps.

C'est vrai que le moyen-âge oriental est au final très peu connu. Pourtant tu sembles en tenir un rayon sur la question (au passage, des références à me conseiller ?). Dans l'ensemble, le texte est bien maîtrisé est à l'énorme avantage de suivre un scénario complet et intéressant. Ainsi que de se baser sur de bonnes idées bien calibrer.
Par moment cependant, ton style d'écriture fait que l'on décroche complètement de l'action et c'est dommage. Je pense que je développerais plus ce point dans un deuxième temps.

Quelques défauts récurrents : tu passes beaucoup d'information au cm² surtout au début du texte et c'est assez perturbant, surtout que tu nous places dans un univers sommes toutes très mal connu : déjà le basileus c'est lointain, mais l'archistratre et autre on est rapidement paumé surtout que tu rassembles tout ça dans un premier paragraphe un peu lourd.
Ensuite je trouve que tu as du mal à nous plonger dans l'action. C'est certains que ce n'est pas le plus facile mais tes combats sont très brefs, et très propre j'ai l'impression. Là aussi, je pense qu'un développement plus précis serait nécessaire.
Enfin, il y a quelques très bonnes idées dans le texte -- le questionnement d'Eleftherio sur la justice par exemple -- qui me paraisse amenée un peu artificiellement, de même le "meurtre" des deux paysans sur la route. L'idée est bonne mais elle arrive un petit peu comme un cheveux sur la soupe et il faudrait que tu dilue un peu plus pour ne pas simplement donner l'impression que tu colles tes épisodes les uns à la suite des autres.

Pour terminer ce premier jet :
[quote]avais-tu compris ce qu'étaient les Coureurs avant qu'Anastasia ne le dise ?[/quote]
Oui, mais j'ai triché, j'avais lu ta question avant le texte. On voit que tu fais un certain effort pour le cacher cependant, ce n'est pas forcément nécessaire. Laisser plus d'indices (même s'il y en a déjà pas mal c'est vrai) ne serait pas forcément dommageable à l'atmosphère du texte.

Sur ce, je vais quand même bosser un peu et je reviendrais commenter un jour :

Pal'
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