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Lettres de Tolkien


Poupi

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Bonjour bonjour :)

Voici ma démarche. Je n'ai jamais possédé les Lettres de Tolkien qu'en VO, et je ne suis pas trop intéressé par leurs VF (je parviens à lire son anglais sans trop de peine). Il y a en revanche un exercice que j'ai toujours rêvé de réaliser : réaliser ma propre traduction des Lettres qui me touchent le plus, car certaines sont de véritables oeuvres. Puisque c'est les vacances et que j'ai du temps libre, j'ai décidé de réaliser ce désir, et comme ça aide de faire ce genre de boulot en ayant un peu de feedback, je vous en fait profiter. :)

Je commence donc avec la Lettre 52, envoyée à son fils Christopher en 1943. Le contexte est important, puisque cette lettre parle des sentiments de Tolkien vis-à-vis de la guerre totale (c'est dans ce contexte qu'on comprend la référence aux guerres entre la Grèce et la Perse), ce qui est l'occasion pour lui d'exprimer ses idéaux politiques (dont il reconnaît lui-même qu'il s'agit d'idéaux irréalisables).

Quelques remarques préliminaires :
-sur la forme. Je suis un traducteur purement amateur. Par ailleurs, Tolkien, dans ses lettres, manie très bien la syntaxe anglaise et les enchaînements de phrase (avec moins de lourdeur que dans ses romans, je trouve), et il m'était difficile de retranscrire des syntaxes parfois typiquement anglaises. J'ai sciemment préféré la clarté à l'orthopraxie absolue (mais comme disait l'autre : "une traduction c'est comme une femme, soit elle est belle, soit elle est fidèle"). C'est dans cette optique que j'ai réalisé le découpage en paragraphes (la lettre est écrite en un seul bloc), car si l'élégante syntaxe de Tolkien lui permet, en anglais, d'enchaîner les idées avec une grande maîtrise, utiliser le passage à la ligne m'était utile pour faire apparaître la structure de la pensée qui se déroule dans ce texte.
-sur le fond : je résiste péniblement à la tentation de vous faire un commentaire personnel de ce texte formidable ; j'espère que ma traduction vous permettra d'apprécier le génie non seulement littéraire, mais également philosophique, de Tolkien. Pour votre gouverne, j'éclaire simplement les références culturelles et autres du texte :
-vous aurez compris que Winston n'est autre que ce brave Churchill, que Tolkien ne portait pas dans son coeur (il représentait à ses yeux la guerre totale et la mainmise étatique qu'il dénonce dans cette lettre)
-nolo episcopari est une formule latine signifiant "je ne veux pas être évêque". De nombreux théologiens catholiques affirmaient que prononcer cette phrase signifiait qu'on était apte à devenir évêque.
-Tolkien fait référence aux guerres médiques, lorsque l'Empire Perse tenta jadis de s'emparer de la Grèce. Pour les Grecs, il s'agissait non seulement de résister à un envahisseur étranger, mais aussi de préserver leur systèmes de cités-états indépendantes. Ils repoussèrent les Perses à plusieurs reprises, mais ce fut Alexandre le Grand qui les vainquit définitivement ; seulement, pour Tolkien, la victoire finale sur les Perses s'est faite au détriment de la démocratie grecque qu'il s'agissait précisément de défendre (l'analogie avec WWII et la guerre totale est évidente).
-j'imagine que vous savez tous ce qu'est le régime de Vichy. Hellas est le nom que Homère donne à la Grèce ; Tolkien en fait le symbole de la civilisation grecque, dont pour lui, la culture hellénistique n'est qu'une sinistre parodie.
-les Samoyèdes sont un peuple reculé de Sibérie. En décrivant ces peuplades reculées sous l'emprise du stalinisme, Tolkien veut montrer que l'étatisme "total" étend son emprise sur toutes les populations, même les plus reculées et les plus indépendantes.
-Tolkien fait également référence aux Résistants européens, qui pratiquent le sabotage dans les pays contrôlés par les nazis, sous les encouragement de la BBC. Là où il devient assez insolent et subversif, c'est qu'il sous-entend qu'il faudrait faire de même en Angleterre...





Sur ce, je me permets humblement de vous présenter :


[b]La lettre 52 de J.R.R. Tolkien, traduite par Poupi[/b] [size="2"](qu'est-ce que c'est classe d'avoir mon nom écrit aussi prêt du sien !!)[/size]




Mes opinions politiques tendent de plus en plus vers l'anarchie (au sens philosophique d'absence de contrôle, je ne parle pas des moustachus à bombes) ou vers la monarchie « inconstitutionnelle ». Je voudrais arrêter quiconque utilise le mot État (pour parler d'autre chose que du royaume de l'Angleterre éternelle et de ses habitants, cet idéal qui n'a ni puissance, ni juridiction, ni cerveau), et après lui avoir offert une chance de se rétracter, l'exécuter s'il persiste et signe !

Si nous pouvions revenir à des noms propres, cela nous ferait beaucoup de bien. Le gouvernement est un substantif abstrait, un nom commun qui désigne le processus de gouverner et il devrait être interdit de l'écrire avec un G majuscule, ou pour se référer à des personnes. Si les gens parlaient non du « Gouvernement », mais du « conseil du roi George, de Winston et de sa bande », ils entameraient un long chemin de clarification de la pensée, et stopperaient nôtre infâme glissement vers une espèce de théocratie du gouvernement.

Quoi qu'il en soit, l'Homme est fait pour examiner tout, sauf l'Homme, et le pire travail qu'on puisse donner à un homme, même à un saint (les saints étaient d'ailleurs les derniers à vouloir de ce travail), c'est de gouverner les autres hommes. Il n'y a pas un homme sur un million qui soit apte à cette fonction, et encore moins parmi ceux qui cherchent à l'exercer. Et au bout du compte, il n'y a toujours qu'une petite poignée d'hommes qui sachent vraiment qui les régente.

Les médiévaux n'avaient que trop raison de faire du [i]nolo episcopari[/i] la meilleure raison qu'un homme pouvait fournir pour qu'on le nomme évêque. Je voudrais un roi dont la passion dans la vie serait les timbres, les voies ferrées, ou les chevaux de course, et qui aurait le pouvoir de limoger son vizir (ou quelque soit son titre), si il n'aime pas la coupe de ses pantalons. Et ainsi de suite en descendant la hiérarchie.

Mais, bien sûr, le point faible de ce système -qui est après tout le point faible de toutes les choses bonnes et naturelles dans un monde mauvais et corrompu-, est qu'il ne peut fonctionner, et n'a fonctionné, que si tout le monde utilise les mêmes bonnes vieilles méthodes humaines, qui ne se soucient pas d'avoir une rentabilité élevée.
Les Grecs, pour querelleurs et vaniteux qu'ils soient, réussirent jadis à les défendre contre Xerxès, mais depuis, les chimistes et les ingénieurs abominables ont mis un tel pouvoir dans les mains de Xerxès et de tous les anti-traditionnels, que les honnêtes gens n'ont plus une seule chance de l'emporter. Nous essayons tous la méthode d'Alexandre le Grand - et, comme l'histoire nous l'enseigne, Alexandre et ses généraux ont orientalisé la Grèce. Ce pauvre fou se croyait (ou voulait qu'on le croit) fils de Dionysos, et il mourut de la boisson. Ainsi, la Grèce qu'il entendait sauver de la Perse disparut tout de même, et devint une sorte de régime de Vichy (sic) pour Hellas, c'est à dire un régime luttant contre Hellas (qui ne put même pas se défendre), tout en blablatant sur l'honneur et la culture hellénistiques et en prospérant sur la vente des équivalents antiques des mauvaises cartes postales.

Mais l'horreur particulière du monde actuel, c'est que cette réalité diabolique nous enferme tous dans le même sac. Il n'y a nulle part où fuir. Je crains que même les pauvres Samoyèdes ne mangent plus que de la nourriture en conserve et que le haut-parleur du village ne leur chante les contes staliniens qui parlent de la démocratie et des méchants fascistes qui mangent des bébés et volent des chiens de traîneau.

Il ne reste plus qu'une lueur d'espoir : l'habitude croissante des hommes mécontents de dynamiter des usines et des centrales électriques, et j'espère que puisqu'on la qualifie désormais de patriotisme, elle pourra perdurer. Mais elle ne portera aucun fruit si elle ne s'universalise pas.

Sur ce, mon très cher fils, je vous salue toi et tous les tiens. Nous sommes nés dans un âge sombre de l'Histoire. Mais il nous reste ce réconfort : s'il en était autrement, nous ne pourrions pas savoir, ou aimer aussi fort, ce que nous aimons. J'imagine que le poisson hors de l'eau est le seul à avoir conscience de l'eau. Il nous reste donc encore quelques faibles armes. [i]Je ne m'inclinerai pas devant la Couronne de Fer, et je ne renoncerai pas davantage à mon propre petit sceptre doré[/i] [NdT : Tolkien cite ici un de ses propres poèmes, [i]Mythopoeïa[/i]]. Sus aux Orcs : avec nos mots ailés, nos [i]hilden aeddran[/i] [NdT : mot celtique désignant du matériel de guerre], nos flèches aiguisés -mais visez soigneusement, avant de tirer. Modifié par Poupi
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Salut !

Si tu veux des retours constructifs, il serait bon de mettre l'original en vis-à-vis.

Voici ce que j'ai trouvé sur le net :
[quote]
My political opinions lean more and more to Anarchy (philosophically understood, meaning
abolition of control not whiskered men with bombs) – or to 'unconstitutional' Monarchy. I would
arrest anybody who uses the word State (in any sense other than the inanimate realm of England
and its inhabitants, a thing that has neither power, rights nor mind); and after a chance of
recantation, execute them if they remained obstinate! If we could get back to personal names, it
would do a lot of good. Government is an abstract noun meaning the an and process of governing
and it should be an offence to write it with a capital G or so as to refer to people. If people were in
the habit of referring to 'King George's council, Winston and his gang', it would go a long way to
clearing thought, and reducing the frightful landslide into Theyocracy. Anyway the proper study of
Man is anything but Man; and the most improper job of any man, even saints (who at any rate were
at least unwilling to take it on), is bossing other men. Not one in a million is fit for it, and least of
all those who seek the opportunity. And at least it is done only to a small group of men who know
who their master is. The mediævals were only too right in taking nolo efiscopari1 as the best reason
a man could give to others for making him a bishop. Give me a king whose chief interest in life is
stamps, railways, or race-horses; and who has the power to sack his Vizier (or whatever you care to
call him) if he does not like the cut of his trousers. And so on down the line. But, of course, the fatal
weakness of all that – after all only the fatal weakness of all good natural things in a bad corrupt
unnatural world – is that it works and has worked only when all the world is messing along in the
same good old inefficient human way. The quarrelsome, conceited Greeks managed to pull it off
against Xerxes; but the abominable chemists and engineers have put such a power into Xerxes'
hands, and all ant-communities, that decent folk don't seem to have a chance. We are all trying to
do the Alexander-touch – and, as history teaches, that orientalized Alexander and all his generals.
The poor boob fancied (or liked people to fancy) he was the son of Dionysus, and died of drink. The
Greece that was worth saving from Persia perished anyway; and became a kind of Vichy-Hellas, or
Fighting-Hellas (which did not fight), talking about Hellenic honour and culture and thriving on the
sale of the early equivalent of dirty postcards. But the special horror of the present world is that the
whole damned thing is in one bag. There is nowhere to fly to. Even the unlucky little Samoyedes, I
suspect, have tinned food and the village loudspeaker telling Stalin's bed-time stories about
Democracy and the wicked Fascists who eat babies and steal sledge-dogs. There is only one bright
spot and that is the growing habit of disgruntled men of dynamiting factories and power-stations; I
hope that, encouraged now as 'patriotism', may remain a habit! But it won't do any good, if it is not
universal.
Well, cheers and all that to you dearest son. We were born in a dark age out of due time (for
us). But there is this comfort: otherwise we should not know, or so much love, what we do love. I
imagine the fish out of water is the only fish to have an inkling of water. Also we have still small
swords to use. 'I will not bow before the Iron Crown, nor cast my own small golden sceptre down.'2
Have at the Ores, with winged words, hildenddran (war-adders), biting darts – but make sure of
the mark, before shooting.[/quote] Modifié par Absalom
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Bah, pourquoi pas ne pas mettre l'original ici (même si j'ai peur qu'on s'aperçoive de l'amateurisme de ma traduction :whistling: )

Mais bon, ceux qui ont déjà lu les Lettres, en anglais ou en français, n'en auront pas besoin pour critiquer ma manière de traduire, et les autres, je pense que ce sujet est plus pour eux l'occasion de découvrir la prose épistolaire de Tolkien que de s'efforcer de critiquer la traduction d'un texte qu'ils découvrent à peine...
Si je poste mon "travail" (c'est plus un passe-temps ludique), c'est autant pour qu'on critique ma traduction que pour permettre à certains de découvrir ces lettres injustement méconnues, donc en gros, c'est autant pour parler de la forme (ma traduction) que du fond (ce que dis Tolkien dans ces lettres...).
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Mon commentaire ne va pas être très constructif, vu qu'il n'y a quasiment que des bonnes choses à dire ;).

La traduction est très bonne, elle colle bien avec l'image que j'avais de cette lettre. Le fait d'avoir instauré des passages à la ligne clarifie le texte, ce qui est pas mal pour que des gens qui n'ont pas (encore) l'habitude de lire du Tolkien puissent tout de même comprendre.

Mais après la lecture de la traduction quelque chose m'a frappé : " Ce pauvre fou se croyait (ou voulait qu'on le croit) fils de Dionysos, et il mourut de la boisson." et je ne l'avais remarqué dans l'original : "The poor boob fancied (or liked people to fancy) he was the son of Dionysus, and died of drink." or il me semblait de ma petite mémoire de personne aimant bien l'Histoire qu'Alexandre se faisait nommé fils de Zeus après qu'un oracle égyptien de la ville qui allait devenir la première Alexandrie le lui ait dit (contre une petite caisse rempli d'or).
C'est même pour cela que l'unité de cavalerie qui le suivait lors des batailles s'appelaient "La compagnie de l'Aigle", référence à l'animal totem du Dieu des dieux. Et il me semblait que ce même Alexandre mourut de la fièvre jaune à Babylone, maladie qu'il a contracté suite à l'ultime bataille qu'il livra contre les "Indiens" (ce sont en fait des Gangarides, ce qui est presque pareil) où il reçut de sévères blessures, affaiblit, il aurait décidé de lever le camp et de retourner en Grèce (ou Hellas). Modifié par Korwentenn
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Pour répondre à ta question "culturelle", Alexandre le Grand se prétendait descendant d'à peu près la moitié de l'Olympe :rolleyes:
Evidemment, son pseudo arbre généalogique remontait à Zeus via Héraklès, mais il y avait d'autres légendes à son sujet, dont celle que sa mère ait couché avec Dionysos lui-même.
On a également beaucoup spéculé sur sa mort, et ce dès l'Antiquité (empoisonnement, maladie, etc...). Tolkien reprend ici l'avis de certains auteurs latins qui pensent qu'Alexandre a mêlé des eaux pas très nettes à son vin.

Bon, après, ce qui compte, dans ce passage, c'est surtout la manière dont il sert le propos de Tolkien, et l'idée qu'Alexandre na vaincu l'orient despotique qu'en devenant lui-même un despote...
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[quote]mon "travail" (c'est plus un passe-temps ludique)[/quote]
[i]Otium cum dignitate. [/i]:lol:

Pour autant que je puisse en juger, ta traduction est très bonne et d'ailleurs, merci à toi pour le travail accompli.

Je ne connaissais pas. C'est indéniablement un texte important pour qui veut découvrir le personnage Tolkien.

[i]Portrait de l'auteur de fantasy en dilettante conservateur, passablement inquiet mais qui fait peut-être davantage la démonstration de son compréhensible désarroi que d'une réelle perspicacité sur son temps. [/i]

Pour ma part, je trouve ça éminemment sympathique même si je ne troquerais pas ce recueil de lettres contre, allez, un tome de Thoreau ou quelques vers de Pessoa. ^_^ Modifié par Absalom
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Tu as de saines occupations. ^_^

J'ai été très intéressé par certaines des lettres de Tolkien que j'ai pu lire, notamment celles qui précisent l'idée que lui-même se faisait de sa Terre du Milieu (il compare ses orques à des sortes de Mongols monstrueux, la civilisation de Gondor à l'Égypte ancienne...) ; c'est un peu comme découvrir ses peintures, qui sont souvent très éloignées des clichés aujourd'hui établis autour du [i]Seigneur des Anneaux[/i]. En témoigne sa vue de Barad-dûr.


[center][img]http://www.touchstonemag.com/archives/darius/images/illustrations/15-01-041-12.jpg[/img][/center]

Par ailleurs, certains passages de sa correspondance comme celui que tu as choisi révèle une pensée assez originale. Accessoirement, cela nous montre que Tolkien était un immense bavard. :lol:

Ta traduction, à première vue, me semble bonne, sans maladresse d'expression qui m'ait sauté aux yeux et avec peu de fautes. En revanche, comme beaucoup de traducteurs, il t'arrive d'altérer le sens de certaines phrases. J'ai peut-être un point de vue un peu scolaire sur la question, mais il semble que c'est à proscrire, surtout dans un texte de théorie politique comme celui-là. Compare par exemple « The mediævals were only too right in taking nolo episcopari as the best reason a man could give to others for making him a bishop. » et « Les médiévaux n'avaient que trop raison de faire du [i]nolo episcopari[/i] la meilleure raison de devenir évêque. » Tu as fait sauter « a man could give to others » alors que c'est essentiel ; la formule [i]nolo episcopari[/i] était la réponse usuelle (plus symbolique qu'autre chose) que le futur évêque donnait à ceux qui étaient sur le point de le désigner, pas un véritable argument en faveur de son élection. Problème inverse avec « Stalin's bed-time stories about Democracy » rendu par « les contes staliniens qui parlent de la vile démocratie » : pourquoi avoir ajouté « vile » ?


[quote name='Poupi' timestamp='1342523610' post='2176096']Hellas est le nom que Homère donne à la Grèce[/quote]
Plus simplement, c'est le nom de la Grèce en grec (ancien comme moderne). Modifié par Baron Guilhem
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[quote name='Poupi' timestamp='1342546288' post='2176354']
Pour répondre à ta question "culturelle", Alexandre le Grand se prétendait descendant d'à peu près la moitié de l'Olympe :rolleyes:
Evidemment, son pseudo arbre généalogique remontait à Zeus via Héraklès, mais il y avait d'autres légendes à son sujet, dont celle que sa mère ait couché avec Dionysos lui-même.
On a également beaucoup spéculé sur sa mort, et ce dès l'Antiquité (empoisonnement, maladie, etc...). Tolkien reprend ici l'avis de certains auteurs latins qui pensent qu'Alexandre a mêlé des eaux pas très nettes à son vin.

Bon, après, ce qui compte, dans ce passage, c'est surtout la manière dont il sert le propos de Tolkien, et l'idée qu'Alexandre na vaincu l'orient despotique qu'en devenant lui-même un despote...
[/quote]

Merci pour la réponse culturelle , mais ce n'est effectivement qu'un détail ;).
Mais vraiment la traduction est bien, tu voudrais pas traduire les autres lettres au passage ;).
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Au Baron :
Bonnes remarques sur ma traduction. J'ai reformulé le passage du nolo episcopari et ôté le vile à démocratie.

Sur Hellas :
je fais sans doute une interprétation un peu personnelle en disant ce que je vais dire. Mais cette lettre a été rédigée au moment où Tolkien et Lewis bossaient ensemble sur le légendaire, et où Lewis écrivait [i]Cette hideuse puissance[/i], auquel Tolkien a participé, et qui fais le lien explicite entre la lignée numénoréenne d'Aragorn et le roi Arthur. Dans ce bouquin, Lewis exalte ce que Chateaubriand ou Ernest Renan appelleraient le "génie national" de chaque peuple, et ce génie est parfois désigné sous un nom mythique. Ainsi, l'âme immortelle de l'Angleterre est désignée sous le nom de Logres (tiré des romans arthurien).
Vu le contenu de la lettre, je pense que ce qu'y écrit Tolkien est lié à ses travaux littéraires du moment, et que lorsqu'il parle de "Hellas" pour désigner le génie de la Grèce antique, c'est une référence directe au vocabulaire mythologique, et pas une simple tournure linguistique, tout comme Logres, chez Lewis, n'est pas un simple vocable celte, mais une référence directe aux mythes arthuriens.


Et sinon :
[quote]tu voudrais pas traduire les autres lettres au passage ;). [/quote]
Peut-être pas les 354, mais sans doute quelques autres :lol:
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Ah oui, aussi :

[quote]mais qui fait peut-être davantage la démonstration de son compréhensible désarroi que d'une réelle perspicacité sur son temps. [/quote]
Je vois ce que tu veux dire, mais je pense que Tolkien saisit vraiment, entre autres dans ce propos, de réelles dynamiques de son temps, qui ce sont d'ailleurs renforcées entre son époque et la nôtre. Je tâcherai de sélectionner mes prochaines cibles de traduction en ce sens :devil:
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Allez, puf, lettre suivante : il s'agit de la suivante, la lettre 53, toujours adressée à son fils Christopher (qui est pilote dans la RAF). Je la trouve assez intéressante et révélatrice du personnage de Tolkien, à la fois sur son caractère, à la fois humoristique et pessimiste, que sur son analyse de l'actualité de son temps : on le voit ici réagir aux tractations entre Alliés durant WWII. J'espère qu'Absalom saura reconnaître quelque lucidité à ces propos ^_^




[b]La lettre 53 de J.R.R. Tolkien, traduite par Poupi[/b]


Mon très cher fils,

Je crois que ce la fait une semaine ou plus que je ne t'ai pas écrit ? Je ne peux pas vraiment me rappeler, tant le temps s'est écoulé à toute vitesse.... Cela fait des semaines que je n'ai pas vu Lewis ou Williams... Le train-train quotidien et les affaires courantes- qui fournissent bien plus que le nécessaire. Aucun amusement, aucune distraction, aucune brillante et nouvelle idée, pas même une bonne petite blague. Rien à lire - et même en matière de journaux, je n'ai que le [i]Téhéran Ballyhoo[/i].

Mais je dois admettre que j'ai souri d'une sorte de grimace maladive et que « [i]je me suis presque recroquevillé sur le sol, et les procédures subséquentes ne m'intéressaient plus[/i] », [NdT : citation d'un poème satirique de Francis Bret Harte] quand j'ai appris que ce vieux meurtrier sanguinaire, Joseph Staline, invitait toutes les nations à rejoindre l'heureuse famille des gens dévoués à l'abolition de la tyrannie et de l'intolérance ! Mais il me faut aussi reconnaître que sur la photographie, notre petit chérubin national, Chruchill, paraissait de fait le pire bandit présent.

Eh bien, soit ! Je me demande (si nous survivons à cette la guerre) s'il y aura une place, même une place douloureuse, préparée pour les vieux réactionnaires de mon espèce (et de la tienne). Un petit nombre obtient la plus grosse part et le monde se contente de la plus terne ou la plus insipide. Il est en train de devenir une petite banlieue provinciale ravagée. Quand ils auront mis en place l'assainissement américaine, la décadence morale, le féminisme et l'industrie de masses à travers tout le Proche-Orient, le Moyen-Orient, l'Extrême-Orient, l'URSS, les Pampas, le Gran Chaco, le bassin danubien, l'Afrique équatoriale, le Gondwhana, le Tibet, et les villages les plus reculés du Berkshire, comme nous allons être heureux. On aura plus qu'à annuler tous nos voyages. Il y aura nulle part où aller. Donc, j'imagine, les gens y iront encore plus vite.

Knox dit qu'un huitième de la population mondiale parle « anglais », et qu'il s'agit du plus grand groupe linguistique. Si cela est vrai, j'en dis que c'est parfaitement honteux. Puisse la malédiction de Babel frapper tous les palais de tous ces gens, et qu'ils ne puissent plus qu’ânonner «baa baa». Cela reviendra au même. Je pense que je vais me refuser à parler autre chose que Vieux Mercien [NdT : vieille langue anglo-saxonne du Haut Moyen-Âge].

Plus sérieusement : je trouve cet américano-cosmopolitisme très effrayant. La raison et l'esprit dépassant les craintes maladives de la chair apeurée qui ne veut pas être abattue ou hachée par une soldatesque brutale et déchaînée (qu'elle soit allemande ou d'autre nationalité), je ne suis pas vraiment sûr que cette victoire va être le parfait idéal pour le monde entier, ni même sur le long terme, notre victoire à tous.

Je ne pense pas que les lettres de l'intérieur soient censurées. Mais que ce soit le cas ou non, il me faut ajouter avec force que ce sont là les sentiments d'un grand nombre de braves gens - et en aucun cas les symptômes d'un manque de patriotisme. Car j'aime l'Angleterre (pas la Grande-Bretagne et certainement pas le Commonwealth britannique), et si j'étais en âge de combattre, je serais sans doute en train de rouspéter au loin en première ligne, et prêt à recevoir une fin amère - tout en espérant que les choses pourraient s'avérer meilleures pour l'Angleterre que ce qu'elles paraissent.

D'une certaine façon, je ne peux pas vraiment croire que la chance extraordinaire (ou la bénédiction, comme l'on appellerait en invoquant Dieu, si on pouvait seulement comprendre pourquoi Il nous bénirait) qui a sauvé l'Angleterre par le passé soit toujours à l’œuvre.
[i]Chi vincera ?[/i] ont dit que les Italiens (avant de s'engager dans le conflit, les pauvres diables), et c'est Staline qui a répondu. Peut-être de façon incorrecte. Notre chérubin sus-mentionné peut encore jouer un coup habile – certains le devinent, d'autres l'espèrent, d'autres n'en savent rien...

Ton père affectueux. Modifié par Poupi
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Merci encore pour la trad' ^_^ . Il y a quelques coquilles mais tu les trouveras toi même en te relisant.

J'ai bien peur que Tolkien n'exprime rien qu'un anglais de son âge, de sa classe et de sa condition ne saurait exprimer. Ce qui ne veut pas dire que ce n'est ni élégant ni intelligent. J'ai deux amis anglais universitaires et je reconnais un peu leur tournure d'esprit. En fait surtout pour le plus âgé des deux. Une irrévérence pour le pouvoir en place (quel qu'il soit et c'est d'ailleurs toujours très drôle) et une foi indéfectible en l'Angleterre (et je n'ai pas dit Royaume-Uni bien sûr :lol: )

Pour revenir sur le positionnement politique de Tolkien (parce que ça serait un peu fort de tout mettre sur le compte de sa malice), je connais mal le contexte britannico-britannique de l'époque mais ça m'a fait penser au bouquin de Kazuo Ishiguro qui met en scène les atermoiements de certains membres de la haute-société anglaise avant l'entrée en guerre : "Les vestiges du jour" (bouquin génial d'ailleurs qui exploite très bien son sujet sans négliger des ressorts plus mélodramatiques). Je ne dis pas que Tolkien ait appartenu de près ou de loin à cette sphère de pensée disons pro-allemagne (je pense même le contraire et les extraits que t'as choisis sont très clairs quand à son engagement contre le nazisme) mais le bouquin de Ishiguro met en évidence une époque plus confuse qu'on veut bien le croire. Tout ça pour dire en particulier que le rejet de Churchill, par son style et par sa politique aussi, devait être assez répandu (y compris chez les conservateurs et pas forcément toujours à tord, j'imagine...j'imagine sans connaître hein. Pas pour rien qu'il est son propre biographe ce cher Winston).
Quant à son rejet de l'URSS sanguinaire, c'est très exotique pour un français :whistling: , mais pour un conservateur britannique, je ne pense pas que ce soit exceptionnel. :lol:

Bref je trouve ces lettres toujours aussi touchantes et intéressantes pour l'amateur éclairé de Tolkien mais non , je ne crois pas qu'il s'en dégage une pensée politique originale. Modifié par Absalom
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Merci pour le feedback. j'ai effectivement repéré et corrigé quelques fautes, s'il y'en a d'autres, n'hésitez surtout pas à me le signaler, c'est le genre de coquille qui me gêne beaucoup et que je veux vraiment éliminer.

Sur le fond, il me semble qu'ici, Tolkien ne fait pas vraiment étalage de sa pensée personnelle (pas autant que dans la lettre 52, en tout cas). La critique de Churchill est sans doute loin d'être exceptionnelle.
Je suis par ailleurs d'accord pour dire que les intellectuels anglais ont été très en avance sur leurs homologues français pour dénoncer le stalinisme : Huxley, Tolkien et tant d'autres décriaient le communisme à une époque où notre Jean-Paul Sartre national affirmait haut et fort que "la liberté d'expression est totale en URSS" (sic).

Mais Tolkien montre ici une conscience relativement pertinente des dynamiques de son temps, et cela me semble d'autant plus remarquable que bien des phénomènes qu'ils décrits se sont encore davantage accentués entre son époque et la nôtre : "l'américano-cosmopolitisme", le statut international de la langue anglaise qui a débouché sur une langue technique et sans saveur, ainsi que les différents phénomènes idéologiques décriés par Tolkien qui font désormais autorité en Occident.
Tolkien, ici, ne fait pas à proprement parler de prophétie, mais il montre qu'il perçoit les changements conversationnels qui sont en place ; par exemple (je dis cet exemple pare qu'il est rapide à expliquer, hein, pas de polémique), il ne prédit pas la légalisation de l'avortement, mais il perçoit la montée en puissance du féminisme. On pourrait trouver beaucoup d'autres exemples en ce qui concerne "l'américano-cosmopolitisme", etc. Plus que son regard sur son actualité à proprement parler, ce sont ces traits aiguisés vis-à-vis des changements en cours qui me semblent les plus intéressants.
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  • 2 semaines après...
Juste un com' un peu inutile pour féliciter l'auteur de e topic du travail accompli! :) A mon humble niveau, pour moi qui n'ait lu que les oeuvres majeurs de Tolkien (Sda, Silmarilion, Contes et CLI - et les Faëries tiens-), ça me permet de découvrir ces lettres et de cerner un peu plus la pensée politique d'un auteur que j'adore mais qui m'a toujours intrigué sur ce point (sans tomber dans les travers de ceux qui en font un raciste ou un absolutiste), d'autant que je suis un fervent démocrate, féministe et plutôt républicain (je suis pas J-P Sartre non plus hein! :devil: ).


Pour apporter un commentaire un peu plus constructif je suis Poupi sur l'idée que le sieur Tolkien est certainement un excellent diagnosticien des changements à venir, certes je ne partage pas toujours ses critiques envers certains d'entre eux, cela n'en demeure pas moins impressionnant...
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Merci du feedback, c'est toujours motivant. Pour preuve, voici ma dernière traduction. Il s'agit de la lettre 81, adressée à une lectrice (c'est marrant, dans la correspondance de Tolkien, on trouve plus de lettres adressées à des lectrices qu'à des lecteurs. A croire que le professeur appréciait mieux les compliments lorsqu'ils venaient du beau sexe...).
En gros, il répond à une question du type "est-ce que votre livre est une allégorie de la puissance nucléaire ?" (comme quoi, les lectures un peu plates et superficielles du SdA ne datent pas d'hier). C'est le moins de départ de plusieurs réflexions intéressantes (mais cette lettre est bien plus courte que les précédentes). Pis bon, ça m'amuse de traduire le regard de Tolkien sur l'énergie nucléaire lorsqu'elle est débattue chez nous aujourd'hui.

Voici donc ce nouvel opus, que je livre à la lecture des vieux réacs comme à celle des féministes décadents :







[b]La lettre 81 de J.R.R. Tolkien, traduite par Poupi[/b]


Bien sûr, mon récit n'est pas une allégorie du pouvoir atomique, mais du Pouvoir (exercé en vue de la Domination). La physique nucléaire peut être utilisée à cette fin. Mais ce n'est pas une obligation. Elle n'est même pas obligée d'être utilisée pour quoi que ce soit. S'il y a une seule référence au monde contemporain dans mon roman, c'est à ce qui me semble être l'idée reçue la plus forte de notre temps : celle qui veut que si une chose peut être faite, elle doit l'être. Cela me semble tout à fait faux. Les plus beaux exemples de l'exercice de l'esprit et de la raison sont des actes de [i]renoncement[/i].

Quand on dit que l'énergie atomique « nous servira toujours », ça me rappelle que Chesterton disait qu'à chaque fois qu'on lui disait cela d'une nouveauté, il savait aussitôt qu'elle serait bientôt remplacée, et qu'on la considérerait alors comme minable et dépassée. Ce qu'on appelle l'énergie atomique est évidemment bien plus grand que tout ce à quoi il pensait (il a dit cela au sujet des trams, du gaz, du train à vapeur). Mais il est d'autant plus certain qu'il nous faudra une certaine dose de [i]renoncement[/i] dans son utilisation, un refus délibéré de faire certaines choses que cette énergie permet, ou alors il ne restera plus rien de nous ! Cependant, c'est une affaire simple, un problème d'actualité, sans doute passager et éphémère.

Je ne pense même pas que le Pouvoir ou la Domination soient le véritable centre de mon récit. Ces thèmes fournissent à la Guerre un enjeu assez sombre et menaçant pour paraître à ce moment-là d'une importance suprême, mais il s'agit surtout d'un « cadre » où les personnages puissent se montrer. Le thème principal, pour moi, est quelque chose de bien plus éternel et de bien plus difficile : la Mort et l'Immortalité ; le mystère de l'amour du monde dans le cœur d'une race « condamnée » à le quitter et apparemment à le perdre ; l'angoisse dans le cœur d'une race « condamnée » à ne pas le quitter avant que son Histoire marquée du Mal ne soit terminée. Mais si vous avez maintenant lu le troisième volume et l'histoire d'Aragorn, vous aurez compris cela.
(Cette histoire est placée dans un appendice, parce que j'ai dit que l'ensemble était plus ou moins raconté par les « hobbits » ; et c'est pour cela qu'un autre point important de l'histoire pour moi est la remarque d'Elrond dans le premier volume : « Il en va souvent ainsi des actes qui font tourner les roues du monde : les petites mains les accomplissent parce qu'elles le doivent, tandis que les yeux des grands sont ailleurs. » Encore que cette remarque de Merry soit tout aussi importante : «Le sol de la Comté est profond. Pourtant, il y a des choses plus profondes encore, et pas un jardinier ne pourrait s'occuper de son jardin dans ce qu'il appelle la paix sans ces choses. »).

Si je ne suis pas « démocrate », c'est uniquement parce que l'humilité et l'égalité sont deux principes spirituels corrompus par la tentative de les mécaniser et de les formaliser, avec cette conséquence, que nous n'en tirons pas la modestie et l'humilité universelles, mais l'orgueil et la fierté universels, en attendant qu'un Orc ne mette la main sur un anneau de pouvoir - et alors nous subirons, et alors nous subissons l'esclavage.
Mais tout cela relève plutôt de la relecture. Le récit est d'abord l'histoire de ce qui s'est passé en X avant Jésus-Christ, et de ce qui est arrivé à des personnages qui étaient vraiment ainsi !

[La fin de la lettre parle des coûts d'éditions du Seigneur des Anneaux, c'est pas fondamentalement intéressant]
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