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Les Portes du paradis


Kayalias

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Je ne voudrais pas donner l'impression de truster les " premières places du forum ", c'est un hasard si je poste maintenant alors qu'un peu de vie semble revenir. Si vous n'appréciez pas : laissez filer. Bonne lecture tout de même ;)



[size="5"][center][b]Les Portes du paradis[/b][/center][/size]




L'après-midi est belle. Très belle. Les eaux placides du lac de Gerardmer semblent plus accueillantes que jamais. Quelques athlètes ont revêtu leur fidèle maillot en fibre de carbone - spécialement destiné aux triathlons, qui leur fera gagner de précieuses microsecondes. Je ris en imaginant la fierté sur leur visage, lorsqu'ils demandèrent au vendeur intérimaire décathlon de dédicacer leur nom sur la fesse du maillot. Les concurrents sont surexcités. La plupart habituent déjà leur corps aux eaux fraîches du lac. Ils brassent vite et de loin, l'on dirait des mouches marines.
A ma gauche, se tient Antoine. Initialement, c'est moi qui lui ai proposé de se lancer dans le triathlon mais très vite, son enthousiasme débordant a surpassé le mien. Il court un peu. Je nage un peu. Être triathlète fait bien sur un CV et en plus il avait deux vélos. Toutes les raisons étaient réunies pour nous inscrire, comptant essentiellement sur la jeunesse pour palier au déficit d'entraînement.

Jen' s'approche de moi et vient m'enfiler le bonnet de bain vert immonde qui traînait au fond de ma commode. Je ne comprends pas trop pourquoi elle insiste pour que je le porte. Jusqu'à preuve du contraire, il n'est pas obligatoire. Je la soupçonne d'avoir traficoté quelques enchantements vaudou avec sa mère pour augmenter mes chances. Soit. Je l'enfile, même si j'ai l'impression de ressembler à un poireau. Derrière moi, j'entends toute la clique qui est venue pour nous encourager. Ils chantent, ils crient et ont même improvisé une petite chorégraphie en notre honneur. Marrant et décalé. Ils sont géniaux. Une voix d'outre-tombe interpelle les participants qui se pressent à la berge. Le départ est imminent. Jen' m'embrasse longuement. Je lui pince les fesses. Il faut dire qu'elles sont si fermes et si dodues que j'ai bien vite admis cette théorie fumeuse qui consiste à légitimer l'attrait des hommes pour les formes rondes, y compris ( et surtout ) lorsqu'elles se situent chez la gente féminine. Elle me lance son petit regard malicieux que j'aime, comme à chaque fois qu'elle feint le mécontentement. Le second appel se fait entendre et résonne dans la vallée. Cette fois, il faut y aller. Les retardataires se hâtent. Je tape dans la main d'Antoine mais très vite, nous sommes séparés par la foule. J'entends toujours les potes qui nous encouragent. Leur chant se dilue dans le vacarme.

Je m'approche de la berge, le plus possible. Il faut jouer des coudes, l'esprit de compétition est bien présent dans la tête de chaque participant. Je pénètre dans l'eau. Bon dieu qu'elle est froide ! A ma gauche, un type s'étire et agite ses bras, menaçant. A droite, un autre ne cesse d'aspirer de l'eau, puis de la recracher par la bouche tel un auroch du Nil. Il m'agace, j'ai envie de le gifler. Le micro grésille, pour lancer le départ cette fois. Dès cet instant, les mouches marines se jettent toutes comme une nuée et l'eau grouille de leurs battements d'ailes, réguliers, mécaniques qu'on appelle Crawl, si je ne m'abuse. Je ne fais pas exception et suis bien vite happé malgré moi par cette formidable dynamique. Je reçois autant de coups de pieds que de coups de coude et pour ma propre survie, je dois en distribuer également. Les deux cents premiers mètres permettent aux véritables athlètes de distancer la queue de peloton. Pour ma part, je suis dans le premier quartile. Je me demande toutefois où est Antoine et s'il a pris autant de coups dans la gueule que moi. Je poursuis sur cent mètres supplémentaires, mais l'effort de sprint nécessaire pour échapper au troupeau m'a épuisé. Déjà, je sens la contraction de mes poumons qui réclament de l'air.

Peu importe, je passe en respiration tous les deux mouvements, au lieu de trois. Cela ne change rien, au contraire. Le manque d'oxygène se renforce et mes poumons semblent se vider de l'intérieur. Il me reste deux cents mètres avant d'atteindre l'autre rive. Soudain, une violente crampe au bras gauche me saisit. Une douleur intense me fait hurler de douleur. Seules quelques bulles férocement expirées en témoignent. Tout mon bras s'engourdit et je sens mon cœur bondir et rebondir dans ma poitrine. Ce n'est pas la première fois que je fais de la tachycardie, mais je sens que cette fois [i]quelque chose[/i] est en train de se passer. La douleur s'intensifie d'avantage. Un voile noir recouvre mes yeux. Je sombre puis, plus rien.

Lorsque je semble revenir à moi, je flotte au dessus de mon propre corps. Quelle étrange sensation. Je ne me sens ni inquiet, ni endolori. Je flotte simplement. Un homme en gilet de sauvetage appuie en rythme sur ma poitrine. Ma tête pend sur le côté. Je n'avais jamais vu ce grain de beauté, juste au dessus de l'oeil droit. Deux personnes arrivent en courant. Je crois que l'une est Jen'. Je veux lui dire qu'elle ne doit pas s'inquiéter, que tout va bien, mais elle ne m'entendrait pas. Un troisième homme vient la saisir. Elle pleure et se débat. Tout va bien, n'ai pas peur. Mon corps est recouvert de plusieurs branchements. Je le vois sauter brusquement sur le sol et ressent un léger crépitement au fond de moi. Mon corps saute une nouvelle fois, puis encore, puis encore. A mesure qu'il sursaute, le crépitement que je ressens s'affaiblit. Inéluctablement, mon âme s'éloigne. Les hommes frappent de leur poing contre le sol, puis me débranchent. Jen' se débat plus férocement encore. C'est terminé. Antoine lui, ne le sait pas. Bien sur que non. Il doit être sur la route, en train de pédaler, plus raccroché à la vie que n'importe qui. Comment apprendra-t-il la nouvelle ? Est-ce qu'il saura trouver les mots pour Jen' ?


[center][b]***[/b][/center]


Mon âme s'est engourdie d'avantage. Je n'ai vu ni tunnel, ni lumière. Je me suis simplement senti flotter encore et encore, quelque part perdu dans le vent. J'ai longuement dérivé, au gré des courants. Ces derniers m'ont porté loin au dessus du lac, si haut que les nuages se confondirent entre eux. Je pouvais presque sentir leurs gouttes s'égrener sur mon âme. Ils s'écartèrent progressivement de ma route, peu avant qu'une île s'impose à mon regard. Elle semblait perdue, au milieu d'un océan bleu dont les reflets moirés scintillaient de toutes parts. Mon âme se dirigea mécaniquement sur ce lopin de terre. Un tipi Indien, comme ceux dans lesquels je rêvais de vivre étant plus jeune était dressé, en son centre. Lorsque mes pieds touchèrent terre, je ne ressentis pas l'impact attendu. Je marchais toujours mais mes pas ne produisaient aucun son, pas plus qu'ils n'élevaient de poussière. L'entrée du tipi en peau marron et ocre s'éleva devant moi, comme pour m'inciter à pénétrer en son sein. Une lumière pâle éclairait l'intérieur. Je ressentis une intense sensation d'apaisement, puis jeta un dernier regard à l'océan. Les embruns excitaient mystérieusement mes narines et de loin j'aperçus la houle. Elle se leva, projetant des nappes d'écume contre les rochers. Aurevoir, lui répondis-je à mon tour.

Le tipi ne ressemblait aucunement à ce que j'avais imaginé. Sa longueur s'étendit à perte de vue, emportant avec elle mes rêves d'enfance. La tente indienne devint un immense couloir blanc, neutre. Les murs immaculés se scindèrent pour former de multiples portes dont la poignée luisait d'argent. Si tel était le paradis, il ne correspondait pas à ce que l'on m'avait enseigné au catéchisme, pas plus qu'il ne ressemblait à cette image sinistre, imaginée par Leonora Miano. Non, je n'ai point rencontré de Martin Luther King ou de Malcolm X, dévastés du haut de leur sphère par la tournure du monde. Peut-être n'étais-ce pas ça le paradis ? Peut-être n'étais-ce pas ma cause ?

Je déambulais dans cette immense corridor qui s'étendait à perte de vue. Les contingences du monde matérielle semblaient m'avoir abandonné. Les portes lumineuses tout autour de moi m'appelaient de leurs secrets. Lorsque je saisis la poignée de la première d'entre elles, je ressentis un immense souffle de vie, qui me traversa de part en part. Ce fut une sensation forte et unique que je peine à décrire aujourd'hui ; mais dès lors, je sus que cette porte recelait bien plus que les vestiges de ma vie. Elle s'ouvrit devant moi et aussitôt, je fus aspiré dans ce qui semblait être le monde matériel que je venais de quitter il y a quelques heures ( quelques jours ? ) à peine.

Je me trouvais dans une voiture. Celle de mon amie Solène, semblait-il. Il faisait chaud. Je le voyais aux tenus que portaient les passants. J'étais assis à côté de moi-même, à l'arrière de la Laguna. Solène roulait vite et avait pris l'habitude de confondre volontairement les feux rouges avec les feux verts, sorte de daltonisme automobile. Une masse grise attira soudainement mon attention sur le bitume. Alors je me souvins. Oui, je me souvins de ce chat que j'avais déjà vu, étalé sur la route. Je m'étais interrogé lorsque cet évènement s'était produit pour la première fois.

« Que pouvait bien foutre un chat allongé au beau milieu de la route ? ».

Il ne pouvait pas être mort, il remuait la tête. Pourtant, quand ma vision s'affina, j'aperçus une flaque rougeâtre et quelques viscères répandus çà et là sur le macadam. Un ayatollah à longue barbe s'approcha de l'animal à l'agonie et le caressa d'une douceur infinie. A l'arrêt de bus d'à côté, deux pétasses geignaient sur le sort horrible de leur chat respectif, à qui il était arrivé le même sort. Cette scène était surréaliste et maintenant que je la revivais, je comprenais enfin. Cet ayatollah que j'avais jugé autrefois si détraqué ( il caressait un chat mort ! ) m'apparut tellement admirable que j'en eus pleuré si mes yeux ne furent secs. Puisque le chat agonisait, l'abdomen ouvert par le pneu et les poils ternis d'un sang grumeleux, l'homme ne pouvait faire plus qu'une seule chose : l'accompagner dans son dernier voyage.

Cette vérité acquise, mon âme fut retirée en dehors de la carlingue et rejoint bientôt le corridor aux nombreuses portes. La poignée de celle que je venais de franchir cessa dès lors scintiller et le souffle de vie qui s'en était échappé retomba, comme une brise de printemps.

Cette expérience mystique m'avait transcendé. J'imaginais que chacune des portes recelait une vérité de ma vie. Lorsque je franchis la seconde, cette musique désuete retentit à mes oreilles.

http://www.youtube.com/watch?v=nh-7sVdOQ0A&list=FLIpc5CrLPIShoy7ZEj2UiaA&feature=mh_lolz

C'était celle qui passait régulièrement à la radio allemande tandis que je scannais les articles à la caisse d'un hypermarché frontalier. Le souvenir s'était légèrement estompé, mais je reconnus le visage caractéristique de cette homme : un vieux maghrébin qui s'attardait souvent à ma caisse pour acheter du pain. Cette fois encore, il vint vers moi, muni de sa baguette. Je scanne son article, toujours le même. Il me sourit et sa moustache grise frétille. Je crois qu'il ne parle pas très bien français. Quand je lui rends la monnaie, je ne me rends pas compte de mon erreur. Le vieux revient vers moi et me donne le trop plein :  « Tiens jeune homme, sinon tu vas te faire disputer ». Et il repart, la baguette sous le bras, le dos légèrement voûté par une vie de chantier. « Merci », lui dis-je ému, tout simplement.

A nouveau, mon âme est aspirée et je retourne au couloir. La seconde poignée argentée cesse de scintiller et se verrouille.

J'ignore combien de porte j'ai franchi depuis. Certaines contiennent des souvenirs de mon ancienne vie. Je peux dès lors les revivre, tirer une leçon occultée et même influer sur eux, les changer à ma guise et suivre le nouveau cours fictif de ma vie. Ce fut le cas notamment de cet homme que j'avais entrevu, environ quatre ans avant ma mort. Il était 18h, je reposais tranquillement assis sur la banquette arrière du Tramway, qui descendait de la colline de Brabois jusqu'au centre ville. Depuis l'extérieur, je me voyais, la tête inclinée contre la vitre du tram', un casque sur les oreilles. Mes traits s'était durcis en quatre ans. Je n'en avais pas idée. Une sirène retentit. Les derniers étudiants se pressèrent, entassés le plus possible dans chaque wagon. La plupart discutèrent de chimie organique, Je les traversais sans qu'ils me perçoivent et gagnais la banquette arrière, là où mon reflet était assis. En face, un homme pauvre, vêtu de simples guenilles alors que l'hiver mordait plus que jamais, était couché transversalement. Je lus sur mon propre visage une pointe de mépris. Cet homme puait et monopolisait toute la banquette. Il se leva soudain et croisa le regard de mon reflet. Ses yeux étaient cernés et sa barbe fournie n'avait pas été peignée depuis des années. Son visage pâle et crevassé n'exprimait rien d'autre que la fatigue, une extrême fatigue de l'homme qui dort dans la rue. Je me souviens distinctement m'être demandé, quatre ans auparavant, ce que voulait cet homme pour me fixer ainsi. A nouveau mon reflet détourna la tête. L'homme portait un pantalon trop court qui dévoilait ses chevilles de la taille d'un poignet. Il somnolait et lutta tout le trajet pour ne pas s'effondrer. Quand je quittai le tram, la fatigue fut trop forte et il sombra. Mon reflet n'eut pas un regard pour sa dignité.

Au travers de cet épisode qui travaille encore ma conscience, j'entrepris de corriger tous les regrets de ma courte vie, dussé-je y passer l'éternité. J'ouvris d'autres portes, demandant pardon. Certains de mes anciens rêves furent réalisés et petit à petit, les derniers tracas et les dernières frustrations du monde mortel se dissipèrent de mon âme. Je respirais une paix intérieure profonde. Une porte demeurait cependant verrouillée. Je prenais soin de l'éviter, bien que son souffle puissant ne cessa de la rappeler à moi. Derrière elle, se terrait un souvenir enfoui. L'un de ceux qui marquèrent mon cœur de feu et de braises, de braises et de cendres. Une éternité s'écoula et petit à petit, toujours plus de portes se verrouillèrent. Je ne connaissais plus la faim, la soif ou le sommeil. Ma vie était artificiellement prolongée jusqu'à atteindre le degré de connaissance qui sublimerait mon âme.

Quand l'ennui frappait, Dante, Proust, Machiavel, Smith et Rousseau égayaient ma solitude. J'étudiais leur pensée sous toutes leurs coutures, m'imprégnais de leur vie et contredisais certains de leurs discours, notamment celui des arts et des sciences. Une dialectique intérieure s'organisait en moi. Je jouais chacun des protagonistes, appuyant ma critique en même temps que je préparais la réponse. Ces passe-temps intellectuels eurent finalement raison de moi. Je retrouvais alors le monde et ses attraits en franchissant de nouvelles portes. J'ai traversé le Rhin à la nage, des alpes Suisses jusqu'au Lac de Constance, arpenté les réserves d'Afrique du sud, partagé le quotidien de tributs Zoulou et Xhoso, escaladé le Machu Picchu en sac à dos. Je devins un médecin de renom, un économiste savant et un brillant écrivain, trouvant l'inspiration à l'ombre d'un olivier de Calabre, terre de mes ancêtres. Chacune de ces vies imaginaires m'apportait un sursis, mais lorsque l'avant dernière porte fut scellée derrière moi, une ultime poignée argentée scintillait encore. Des jours durant, je méditais, assis sur les dalles de marbre blanc. Je craignais une chose plus que tout. Derrière cette porte, je la retrouverai. Je céderai aux sirènes et chercherai à modifier notre destinée, corriger ce qui n'avait pas fonctionné. Cette obsession m'avait quitté après des années de lutte intérieure et lorsque mes doigts tremblants se posèrent sur la poignée luminescente, je sentis mon âme chahutée et tirée vers une réalité qui n'était plus mienne.

A nouveau, je revis ces instant parfaits.

Je suis mon reflet à travers la ville. Rien ne semble avoir changé. Le soleil brille haut dans le ciel, nous devons être au moi de mai. Les rayons ne sont ni trop forts ni trop faibles, tout juste parfait à baigner le visage d'une tiédeur agréable. Ma main en tient une autre. Nous marchons tranquillement. Les passants semblent tous souriants, je ressens une intense sensation de bien être, comme si le monde avait conspiré à mon bonheur. Nous passons devant un kiosque. Je vois l'annonce sportive : a cette époque, Roger Federer était encore numéro un du tennis mondial. Savait-il que cela serait sans doute sa dernière année de domination ? Je contourne sans un bruit les amoureux. Ils ne me voient pas, ne se doutent pas que mon âme existe indépendamment de leur idylle qui, autrefois, était la mienne. Je me passe rapidement en revue, mais c'est surtout [i]Hélène [/i] que je contemple. Ses traits sont restés les mêmes que dans ma mémoire. Des cheveux lisses, noirs, banals en quelque sorte. De petits yeux noisettes et quelques tâches de rousseur sur sa peau laiteuse parachèvent son visage dont nul n'aurait deviné les origines espagnoles. Je m'approche d'elle sans oser la toucher. Je sens son parfum qui flotte dans l'air, transporté par une légère brise. La volonté me quitte.

Je jalouse mon propre corps qui tient à cet instant la main que j'ai le plus aimé au monde. Je m'approche d'avantage et l'investis, naturellement, sans douleur. La sensation est semblable à une vague chaude. Lorsque je reprends mes esprits, mon âme s'y confond. Hélène me demande si tout va bien, je réponds que oui, légèrement ahuri. Il me faut quelques instants pour me réhabituer à l'enveloppe et supporter son regard. Elle passe sa main dans mes cheveux, la sensation est agréable. Moins que dans mon souvenir, pourtant. Cela doit être du au changement de plan, dont le choc émotionnel fut important. Dès lors, je m'attelle à la tâche obsessionnel qui a hanté mes nuits des années durant : l'empêcher de partir. Je choisis mes mots avec soin, connaissant déjà ceux à ne pas prononcer, mais quelque soit mon intervention, elle finit toujours par m'échapper. Même lorsque je crois avoir réussi à la convaincre de ne pas s'abandonner aux mauvais choix, un détail m'échappe et toute mon entreprise s'effondre. Le château de cartes s'effondre, mais je recommence encore et encore, la suppliant, la séquestrant presque par moment. Une force invisible semble sans cesse la ramener à ce nœud de décision où l'unique réponse est de me quitter. Systématiquement je me retrouve à fendre l'obscurité, à courir à perdre haleine, sous le chant des oiseaux de nuit.

Je cours d'avantage pour oublier cette sensation de vide intérieur, qui tordit mes organes lorsque j'entendis pour la première fois son dernier «  au revoir ». La perdre revenait à abandonner les plus beaux instants de ma vie. Hélène avait été un bonheur à retardement. Je courrais encore lorsque cette pensée traversa mon esprit. Elle me fit réaliser qu'à cet instant, mes boyaux ne se tordaient plus et que mon crâne ne cogitait plus à un énième moyen de la récupérer. [i]Hélène avait été un bonheur à retardement[/i], répétais-je, convaincu que si elle finissait toujours par m'échapper, il me fallait accepter l'idée qu'à un moment les choses nous échappent. Parce que le temps réduit de notre relation avait décuplé nos sensations, je m'étais longuement imaginé que tôt ou tard, la nature conspirerait à nouveau pour nous remettre ensemble. Après tout, deux êtes aussi heureux l'un avec l'autre ne peuvent que se réunir. Tel était l'ordre naturel des choses. Telle était l'illusion qui avait bercé mes espoirs de reconquête. En cette ultime soirée, l'illusion s'était dissipée aussi naturellement qu'elle avait pris autrefois possession de moi. Il m'avait fallu mourir pour comprendre une vérité si simple. Je quittai l'obscurité comme je quittai Hélène, le cœur léger et l'âme sereine. Je n'avais plus besoin de courir désormais.

Une fois encore, je fus retiré de cette réalité alternative et regagnais le couloir aux innombrables portes. Celle que je venais de franchir se referma, sa poignée argentée si vive cessa de scintiller et le mugissement de son souffle de vie se tut. Je contemplais le corridor aux murs blancs, que pouvaient-ils signifier ? En réponse, les murs se rapprochèrent et resserrèrent l'étau autour de moi. En face, l'encadrement d'une porte brune, légèrement abîmée, se dessina. Une poignée simple, probablement faîte d'un mélange de bois et de plastique n'émettait aucune lumière. Je m'approchais tranquillement, sereinement. Et lorsque j'ai poussé la porte, j'ai trouvé Jen' allongée dans une demi-obscurité. Un monticule de couvertures la recouvrait. C'était sa manière à elle de se sentir en sécurité. Un verre d'eau et une tablette de cachets presque vide reposaient sur la table de nuit.

- Bonsoir Jen'.

Elle ne m'entendait pas, mais se tournait encore et encore en position foetale : son sommeil était agité, malgré l'effet des drogues. Je m'assis à ses côtés, entre l'espace libre laissé par ses cuisses et voulus prendre ses mains dans les miennes, mais je n'avais aucun corps à investir pour lui faire ressentir ma présence. Je restai simplement assis, observant les motifs de sa couverture de gnou que j'avais tant de fois partagé. Je sentais encore son odeur qui imprégnait le tissu. Je compris alors que l'amour qu'elle m'avait donné était pur et sincère ; que s'il ne possédait ni l'intensité destructrice ni l'euphorie ressenties pour Hélène, c'était parce qu'il était programmé pour durer.

Ses paupières tremblèrent.

- Je t'aime, murmurais-je.

Une larme roula sur sa joue.

- N'ai pas peur. Ne pleure pas pour moi. Je suis libre, maintenant.

Ses yeux s'ouvrirent brusquement. Elle tendit ses bras pour me saisir et renversa le verre dans son action. Des éclats se répandirent un peu partout dans la pièce. Peut-être avait-elle pu entrevoir ma silhouette dans l'obscurité ?

Je regagnais une dernière fois le couloir et les murs blancs me réservèrent une surprise. Ils tombèrent les uns après les autres, paisiblement. Mon âme n'était en proie à aucun tourment. La pièce qui me contenait s'ouvrit sur l'univers, tel un patron géométrique. Les corps célestes illuminèrent l'espace de leur rais rassurants. Très lentement, je sentis mon âme se disperser et rejoindre les astres. Je ne luttai pas. Ma conscience s'éclipsait progressivement. Je souris : j'étais en paix.


http://www.youtube.com/watch?v=au63WBRyCvg Modifié par Kayalias
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C'est beau, bien écrit, on plonge dans ce texte pour n'en ressortir qu'à la fin, bref, j'aime.
Sur la forme, le début est perfectible stylistiquement je pense, il y a un petit problème de temps me semble-t-il (tout premier paragraphe). A par cela, rien ne m'a choqué. Sur le fond, on se laisse porter posément, ça casse pas trois pattes à un canard, mais c'est sympa :)
Bref,j'ai passé un moment agréable, comme toujours avec tes textes, merci !
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  • 3 semaines après...
[quote]Dès cet instant, les mouches marines se jettent toutes comme une nuée et l'eau grouille de leurs battements d'ailes, réguliers, mécaniques qu'on appelle Crawl, si je ne m'abuse.[/quote]

Le "si je ne m'abuse" est inapproprié, nous lui disons donc [i]au revoir[/i].

[quote]Tout va bien, n'ai pas peur[/quote]

n'aie

Hormis les habituels problèmes de concordance des temps, que du bien à formuler sur ton style. Concernant cette fichue concordance : c'est bien simple, si tu n'es pas sûr de toi, utilise le truc du Passé-Composé-Marque-d'Action-Révolue, ça fonctionne dans la plupart des cas (sauf ceux que je m'empresserai de pointer du bout de ma baguette sadique, gniark....)

L'intensité de la course jusqu'à la survenance du premier rebondissement est bien rendue : bon point pour la narration.

Après, nous basculons dans un remake des "Choses de la vie", basé sur une accumulation de petites anecdotes, comme autant de jalons pour un parcours rétrospectif. Bonne technique du récit dans l'ensemble, sans excès dans les scénettes, touchantes pour la plupart.

Toutefois, et parce qu'il me prend l'envie de jouer les vieux cons aigris, je pointerai de ma baguette fascisante une certaine tendance au politiquement correct :

[quote]Non, je n'ai point rencontré de Martin Luther King ou de Malcolm X, dévastés du haut de leur sphère par la tournure du monde.[/quote]

[quote]Cet ayatollah que j'avais jugé autrefois si détraqué ( il caressait un chat mort ! ) m'apparut tellement admirable que j'en eus pleuré[/quote]

[quote]un vieux maghrébin (...) le dos légèrement voûté par une vie de chantier. « Merci », lui dis-je ému, tout simplement.[/quote]

Malcom X est (enfin non, "était") un gars formidable. Les Ayatollahs sont des gens formidables. Et les vieux maghrébins sont tous de braves types au dos voûté par une vie de chantier : c'est bon ça, coco, c'est vendeur ; continue et tu iras loin dans le business... ;)

Fin de l'aparté vieux con aigri, revenons aux choses sérieuses : une fois la rétrospective achevée, tu choisis de relancer ton histoire en donnant à ton narrateur le pouvoir de réécrire ses échecs passés. Et c'est là que ça se gâte, malgré le soin pris à faire monter la sauce :

[quote]Une porte demeurait cependant verrouillée. Je prenais soin de l'éviter, bien que son souffle puissant ne cessa de la rappeler à moi.[/quote]

[quote]Je craignais une chose plus que tout. Derrière cette porte, je la retrouverai. Je céderai aux sirènes et chercherai à modifier notre destinée, corriger ce qui n'avait pas fonctionné.[/quote]

Le problème est le suivant : il est difficile d'accrocher à l'histoire avec Hélène, en partie parce qu'elle n'est pas assez développée (rends toi compte, tout de même, que tu voudrais nous faire avaler en un paragraphe l'intrigue complète d'"Un jour sans fin" !) et surtout parce qu'elle étire un peu trop ton fil rouge en dehors de sa trame initiale, au risque de le rompre.

Au fait, quel est ce fil conducteur ? Le passage d'un défunt vers l'au-delà avec tous ses regrets sur sa vie passée, ou le pouvoir accordé de réécrire ledit passé ? Dans le cadre d'un roman, tu pourrais tenter d'associer les deux. Dans les limites d'une nouvelle de moins de quatre mille mots, il te faut faire un choix, camarade.

Ce qui ne t'empêche pas, au final, de retomber sur tes pieds avec une jolie conclusion sur le thème de l'amour "solide" opposé à l'amour passionnel.
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