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La renaissance du Faucon


Shas'o Benoît

Messages recommandés

héhé l'important c'est de bien ressentir la menace putride qu'ils représentent... Si ce passage t'as plu, je suis comblé. Un peu plus de temps nécessaire pour le suivant qui est aussi plus long (et plus important pour la trame du récit :wink: )... Bonne lecture !

Au matin du lendemain, le ciel s’était assombri, couvert de longues trainées roussies. Aux abords du Fleuve Vert, quelques dizaines de batraciens erraient encore, recherchant de quoi se sustenter. Les berges étaient désertes, dévastées par la horde de créatures affamées. Roseaux, joncs, vase, sauterelles, libellules, araignées d’eau, lézards, tritons, poissons : tout avait disparu, il ne restait plus qu’un courant d’eau dévalant la plaine, entre les dunes de rocs. Au sommet du promontoire, les vautours géants étaient revenus, perchés au sommet de la colline noire, laissant les premiers rayons dorer leur plumage grisonnant.

Bouclant leurs paquetages, les pèlerins se préparèrent à repartir, avalant rapidement leur frugal repas. Telic ne dit rien, mais il se rendait compte que les réserves en eau potable s’amenuisaient. Pas question, bien sûr, d’en puiser dans le Fleuve. Déjà le passage de la flotte bacrophage en avait troublé les flots, mais les ébats des crapaurochs avaient brisé tout espoir d’y trouver de quoi s’abreuver. En y regardant bien, l’onde semblait même teintée d’une teinte rosâtre, diluée par le courant rapide.

Ils se remirent donc en route en silence, de leur pas lent mais assuré. Les cinq hommes couverts de salive et de sueur amphibienne marchèrent aux côtés de leurs chevaux, qui n’acceptaient pas de tels cavaliers. Même Koralvan, malgré toute sa bonne volonté, rechignait à porter Lamenoire ; ce-dernier s’inclina devant les réticences du destrier.

Au loin au sud, une élévation se montait, comme une ligne de rochers encadrant le fleuve. Le rôdeur évalua leur distance à une quarantaine de kilomètres, ils y arriveraient donc dans la soirée. Au-dessus de ces hauteurs lointaines, d’épais nuages d’un noir de jais recouvraient le ciel chargé, comme une menace sourde. Les rafales glacées, chargées d’humidité, d’une bruine indistincte, balayaient la plaine. C’est dans ce décor maussade que la procession cheminait, aux pieds des chaînes des dunes longeant les berges. Où les hydroblastes et leurs semblables étaient partis, ils n’en savaient rien, mais n’en avaient cure. La matinée se passa sans le moindre événement pour égayer leur voyage. Ils firent une halte quand le soleil arriva à son zenith, et mangèrent ce qui leur restait comme viande mangeable. Plusieurs hommes adroits tentèrent alors d’abattre des vautours, avec plus ou moins de succès. Quatre cavaliers et deux douzaines de volontaires furent envoyés dans les collines à l’est, pour chasser tout ce qu’ils pourraient dénicher, tout en suivant la progression de la compagnie.

La marche reprit dans l’après-midi, dans univers bien différent de celui qu’ils avaient connu les jours précédents. La chaleur avait cédé la place aux vents frais du sud et de l’occident, la pluie semblait imminente. Le sol couvert d’une rosée persistante crissait sous les roues des charettes à bras, et glissait sous les souliers fatigués.

Lamenoire étudia avec soin le pied gauche de Wilsar, pour constater que la gangrène ne manquerait pas de s’installer. Secouant la tête, il remarqua sur un ton amer :

« -Désormais, tu as toi-même une raison de te rendre au sanctuaire de Zor-Glassil.

-Maudite soit mon étoile, jura le jeune homme. Je suis un fardeau pour vous tous à présent.

-Ne t’en fais pas, répondit Telic, d’ici peu tu pourras remarcher, fais-moi confiance.

-Puissiez-vous dire vrai… »

Fidèles à leurs habitudes, les rapaces suivaient la procession. Ce n’était pas les archers malhabiles qui les inquiéteraient, surtout avec un repas virtuel à portée. Puis le vent tourna, et les gyps prirent leur envol, délaissant la caravane. Tarefin observa leur départ avec inquiétude :

« -Où diable ces volatiles partent-ils donc ?

-Ils sont de mauvaise augure, commenta Lamenoire. Bon débarras. »

A quelques distances de là, le cours de la rivière semblait barré par une sorte de digue, une longue barrière de débris. Mais plus la troupe s’approchait, plus de détails apparaissaient. Cette enceinte de boue, de branches brisées, d’ordures de toutes sortes était en fait retenue par une avancée de sable dans le cours du fleuve, accrochée aux hauts-fonds. Sur ce barrage improvisé, les crapauds s’ébattaient, grattant dans la fange, sautant en tous sens.

« -Voilà où ils étaient passés, remarqua Jilguaen.

-Espérons qu’ils ne nous chercherons plus noise… » murmura Wilsar.

Lorsqu’ils arrivèrent à une centaine de pas, les odeurs fortes portées par le vent leur révélèrent l’horrible vérité : la majeure partie de la digue n’était pas formée de quelconque détritus, mais bien par des cadavres !

Des centaines de corps désossés, exsangues, effondrés sur la barrière naturelle du banc de sable. En quelques heures, un charnier immense s’était formé, amas de dépouilles défigurées, sur lesquelles les branches, les débris portés par le courant s’étaient accumulés, meurtrissant les visages sans vie. Les crapauds s’étaient rassemblés sur ce dépôt, suçant et léchant les charognes. Une peur épouvantable émanait de ce lieu sinistre, balayé par l’écume. Là, les gyps cotoyaient les hydrophages, il y avait bien assez de chair pour tous, faisandée à merveille. Se dandinant sur les membres délavés, enfonçant leurs serres dans les cadavres amollis, les rapaces plongeaient leur bec dans les poitrines éventrées, avalant goulûment de pleines bouchées de viande, la tête et le cou recouverts de sang.

Toute la troupe s’arrêta, comme statufiée, chacun sentant l’épouvante le dominer ; Lamenoire seul, après un instant d’hésitation, continua d’avancer. Telic voulut le retenir, mais aucun mot ne sortit de sa gorge nouée par l’horreur. Le rôdeur s’avançait vers la berge, ses bottes s’enfonçant dans la fange humide souillée par les flots de sang. Il devait en avoir le cœur net, il voulait savoir ce qui s’était passé. Les nécrophages levèrent la tête à son approche, à peine effrayés, se contentant de pousser des cris lugubres. Surmontant la révulsion et l’odeur entêtante, il s’arrêta à quelques mètres des premières dépouilles.

Il s’agissait d’hommes-crapauds, il n’y avait pas le moindre doute. Des dizaines d’hommes-crapauds, tous aussi morts que les pierres. Quelques pas de plus, et il s’avançait au milieu des vautours, qui sifflaient et craillaient, gênés en plein festin par cet importun. Un rapide examen montrait que ces malheureux étaient presque tous morts au combat. Quelques-uns n’affichaient pas la moindre trace de violence sur leur corps, il était évident qu’ils s’étaient noyés dans le cours rapide du Fleuve Vert. C’est donc qu’ils fuyaient devant quelqu’un ou quelque chose. Mais la plupart arboraient de vilaines balafres, qui ne pouvaient qu’avoir été causées par des armes contondantes, et non par les becs et serres des gyps ; ou encore de violents hématomes, comme s’ils avaient été broyés par des massues. Au mileu de la foule de cadavres, quelques dépouilles des anciens galériens gisaient. Maitres et esclaves avaient trouvé même destin. Le rôdeur poussa un long soupir, en jetant un regard circulaire. Il y avait peut-être la moitié des bacrophages, tous trépassés. Seuls des êtres barbares pouvaient avoir perpétré un tel massacre, et jeté délibérément les corps dans le fleuve, condamnant ainsi toutes les populations des berges à mourir de soif, ou à connaître des épidémies. Il allait s’en retourner quand il remarqua un attroupement de vautours et de crapauds à une centaine de mètres. Les volatiles batifolaient autour d’une forme inanimée, se poussant avec moult cris. A première vue, la chose était morte, mais en y prêtant plus attention, Lamenoire vit les mains du malheureux se crisper et racler le sol boueux. Non seulement ses tourmenteurs étaient affamés, mais assez lâches pour attendre tranquillement que ses dernières forces l’abandonnent. Ayant fait son choix, il courut de toute la vitesse de ses jambes vers le cercle de nécrophages , en criant :

« -Arrières, chacals à plumes et à palmes, arrière ! Ou la mort vous prendra ! »

Ils levèrent la tête, hagards, comme outrés par cette attaque. Tout en franchissant les derniers mètres, Gandacier dégaina son sabre et lui fit décrire de grands moulinets, coupant au passage plusieurs rémiges des rapaces les moins éveillés. Ils se dispersèrent en protestant, mais refusèrent le combat ; après tout, d’autres proies n’attendaient-elles pas leur bon vouloir ? Les crapauds furent dispersés à coups de bottes. Dans un premier temps, ils ne semblaient pas effrayés par le rôdeur, et il se demanda si le jus gluant qui le recouvrait y était pour quelque chose. Quoi qu’il en soit, il avait un mourant sur les bras.

Il était étendu sur le dos, les bras étalés, serrant encore dans sa main gauche un gourdin rudimentaire. Recouvert d’une couche de boue des pieds à la tête, ses habits rapiécés et déchirés, taché de sang et de vase, son était paraissait peu enviable. Quatre fers brillaient autour de ses chevilles et de ses poignets, ce qui permit au rôdeur de supposer qu’il était rameur à bord d’un des bateaux des hommes-crapauds.Cela lui fit venir une question aux lèvres : si les équipages dormaient ici d’un sommeil définitif, où étaient les galères ?

Retournant l’ancien galérien, il le souleva dans ses bras, pour constater qu’il s’agissait d’un homme-chat : son visage crasseux révélait un museau décoré de quelques moustaches pendantes, ses oreilles en triangle émergeaient de son front convert de glaise, et dessous les croûtes brunâtres recouvrant son corps passaient quelques poils d’un roux beige.

Aussi vite qu’il put, Lamenoire porta son fardeau hors de ce lieu funeste, et arriva devant la caravane. Telic regardait l’homme-bête d’un air méfiant, mais se garda de faire un commentaire. Lamenoire déposa le blessé sur le sol dans une bande d’herbe, puis l’observa. A première vue, difficile de conclure sur ses chances de survivre, avec ces plaques le recouvrant de pied en cape. Il se résigna donc à déboucher sa propre gourde en cuir et en versa d’abord sur les épaules puis les bras, frottant avec précaution ; il ne semblait pas afficher de blessures trop graves, tout au plus quelques éraflures. Le contact brusque du liquide sur sa fourrure avait du le tirer de sa torpeur, car il murmura un miaulement plaintif et supplia :

« -A boire… »

Les gouttes tombèrent une à une entre ses lèvres, frappant sa langue épuisée comme un marteau sur une enclume. Chaque coup résonnait dans sa tête, et rappelait un peu plus son esprit à la conscience. A grande peine, il ouvrit ses paupières, révélant deux yeux vert-de-gris. Il tenta de se relever, mais Lamenoire l’en empêcha :

« -Attendez encore un peu, vous avez peut-être un membre cassé ou une vilaine blessure. »

L’homme-chat le laissa faire, fermant les yeux pour essayer de se rappeler. Aussi loin que sa mémoire remontait, il trainait dans la vase, avec des formes bondissantes autour de lui, et il luttait pour rester à quatre pattes, rampant dans l’eau sale. L’homme qui s’occupait de lui le prit sous les épaules et l’aida à se soulever : aussi incroyable que cela ait pu paraître, il parvint à rester debout, prenant appui sur ses pieds fatigués. Plusieurs plaques de boue restaient encore accrochées à sa tunique déchiquetée, ou à sa fourrrure rase, mais le vent balayait les poils en bataille, comme s’il voulait laver la peau affaiblie, purifier ce vagabond aux os saillants, aux bras d’une maigreur extrême, presque un sac d’os.

« -Vous pouvez vous vanter d’avoir de la chance, lui dit l’humain. Vous n’avez pas de fractures, juste quelques blessures sans conséquences et une vilaine bosse à la tête. Ce qu’il vous faut, c’est reprendre des forces. Je m’appelle Lamenoire Gandacier. Quel est votre nom ? »

L’homme-bête, tout en acceptant le quignon de pain tendu et en y plantant ses crocs affamés, secoua son chef, cherchant à chasser son mal de crâne et à rassembler ses idées. Devant son air désemparé, son interlocuteur déclara :

« -Qui que vous soyez, vous êtes le bienvenu, n’est-ce pas Telic ? ajouta t-il a l’intention d’un autre homme un peu plus corpulent, qui les observait. Ce-dernier répondit :

« -Bien sûr, du moment que ses intentions sont bienveillantes. N’aie pas de craintes, étranger ; je suis le chef de cette expédition.

-Où suis-je ? parvint-il à bafouiller, entre deux bouchées.

-Vous êtes en compagnie d’une caravane de pélerins, expliqua Lamenoire, sur les bords du Fleuve Vert ; à quelle distance de l’embouchure, je l’ignore. Cela vous avance t-il ?

-Pas… Pas vraiment, je ne me rappelle pas ce nom.

-Ce doit être les derniers événements. Que vous est-il arrivé ?

-Si seulement je le savais…

-Bien, le mieux à faire, c’est encore de rester avec nous. Il y a pas mal de pillards, et vous serez en relative sécurité. Nous allons vers le sud, cela vous convient-il ? »

Le rescapé hocha de la tête. Cet humain était prévenant, et de toute façon, il n’avait aucune idée des régions où il devait se rendre.

Sur ces entrefaites, la compagnie, assurée maintenant de n’avoir rien à craindre des charognards, entreprit de passer outre. D’un pas lent et mesuré, pour ne pas attirer l’attention des gyps, l’avant garde dépassa les amoncellements de charognes. L’homme-chat reconnut sans difficulté les dépouilles des bacrophages, et retint un frisson d’horreur. Des visions hachées lui revenaient, il se remémorait une chute vertigineuse, et se voyait balloté par un tourbillon de cris et de coups, emporté par le courant furieux des eaux noires, entouré des corps gesticulant des hommes-crapauds, jusqu’à ce que la crête dure d’un rocher emplisse tout son champ de vision et qu’une douleur violente éblouisse tout son esprit. Tournant son regard de part et d’autre, il murmura :

« -Je me souviens… J’étais avec eux, dans les flots. Ils sont tous morts. »

Ces paroles étaient prononcées sans la moindre haine, il n’y avait que de la pitié et de l’effroi, pas de dégoût. Le rôdeur lui passa sa capeline pour abriter son corps décharné des rafales de vent et ajouta :

« -C’étaient vos bourreaux, et eux au moins méritaient un destin sévère. »

Le moribond ne comprit pas tout à fait le sens de cette phrase. Ses deux pupilles en fentes cherchèrent un moment à comprendre ce que cela signifiait, laissant son regard errer sur le spectacle terrifiant du champ de morts, puis il se détourna rapidement. La longue procession passa devant le charnier en silence, comme inquiète. Même des sauvages n’auraient pas dû connaître une fin aussi ignominieuse.

Au cours de la longue marche, Lamenoire observa longtemps leur nouveau camarade. L’homme-chat marchait comme un automate, le regard vide. Plus le temps passait, et plus des bribes de son passé revenaient. Le coup reçu à la tête avait chassé toutes ces images d’une vie de souffrance, mais elles remontaient maintenant dans son champ de vision, comme autant de spectres irréels, et pourtant véridiques.

Un banc de rameurs, éclairé par une torche tremblotante. Du bois dur et garni d’échardes, entre ses pattes, ses paumes roses couvertes de cicatrices. Une douleur dans son dos, lancinante, ravivée parfois par une caresse imperceptible, le chatouillement de violence qui passait dans sa fourrure pelée. Ramer, ramer, en retenant sanglots et miaulements. Des fers, quatre, aux chaînes pesantes. Dix maillons à chaque chaîne, comptés et recomptés. Parfois, un brouet immonde, de l’eau croupie. Mal au ventre. Le fouet monte et retombe, passant d’un forçat à un autre. Un autre galérien, à droite ; enchaîné au même banc. Un homme-lièvre borgne. Il parle. Impossible de comprendre, tout est flou. Il essaie de réconforter. C’est le miulieu du jour, les rayons passentà la verticale par l’écoutille et frappent le passage entre les rameurs. Les bourreaux sont assoupis ou mangent leur repas et partout, ceux qui osent murmurent avec leur voisin, essayant de se rappeler la vie avant les galères. L’homme-lièvre tente de le réveiller. Il dit qu’il ne faut pas s’assoupir, ne pas s’abandonner à la torpeur. Si on te trouves, tu seras considéré comme un poids mort et jeté par-dessus bord, avec pieds et poings liés. Réveille-toi…

« -Mylnar !

-Pardon ? s’enquit Lamenoire.

-Mylnar, c’est mon nom, expliqua l’homme-chat. J’en suis sûr à présent.

-Eh bien, Mylnar, enchanté de faire ta connaissance. Si tu as besoin de quoi que ce soit, n’hésite pas à nous en faire part. Dans cette compagnie, chacun aide de son mieux son prochain ; c’est le meilleur moyen de survivre dans ce monde. »

Plusieurs heures de marche s’écoulèrent, au cours desquelles on accorda à Mylnar un peu de viande et d’eau, par portions légères, pour le réhabituer à boire et à manger après ces années de privations. Plus le temps s’écoulait, et plus la barrière de rochers s’approchait, véritable mur de roc que fendait la rivière comme un couteau. De part et d’autre des flots, de minces bandes de sable et de roseaux s’étendaient, bientôt encadrées par des falaises abruptes succédant aux collines. Les méandres du fleuve bondissaient hors de cet écrin de pierre, comme catapultés par quelque machine phénoménale.

Les voilà donc arrivés aux portes du défilé, entre les murs de granit coulait le Fleuve Vert, sortant des méandres de la roche. Sous les regards pénétrants des colosses de pierre, pitons rocheux et autres concrétions calcaires, ils s’avancèrent, dans l’ombre des falaises. Un silence oppressant régnait sur ce lieu, peut-être plus menaçant encore que l’atmosphère glauque du charnier qu’ils avaient découvert le jour même. Lamenoire fit signe à ses cinq apprentis de rester à ses côtés, ainsi que Mylnar, tandis que l’avant de la compagnie passait entre les premiers piliers de pierre grise.

Modifié par Shas'o Benoît
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un bon moment que je n'étais pas passé!, mais au moins je peux tout lire d'une traite :) .

bon bon bon, j'ai adoré les batraciens, on se croirait presque entrain de gargouiller dans la vase, quelle délice!

Sinon, j'aime déjà moins les taurons, je sais pas comment dire, mais je vois mal des taureau avec des crapauds, ca jure un peu trop...

tout ce qui manque dans ce texte, c'est la suite :blink:

@+

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tout ensuivant la progression de la compagnie

Il manque un espace :lol:

pourras remarcher, fais moi confiance

fais-moi

Où diable ces volatiles parten t-ils donc

Un espace en trop ^_^

Ces parols étaient prononcées sans la moindre haine

Manque un 'e'

Alors un bon passage, on receuille un nouvel ami, peut etre survivra-t-il celui là ? :) Je l'espere ! Enfin une petite touche d'exotisme tout du moins :wink: Bon on se doute d'après les descriptions que les responsables des morts sont les taureaux et je m'étais presque attendu a ce que Gandacier le remarque :D

Bon allez, suite !!!

@+

-= Inxi =-

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  • 1 mois après...

Je corrige les fautes; quand au fond, pas mal de remarque très justes. Je m'excuse pour le retard (vacances sans ordi ) qui risque d'empirer avec la rentrée. je tâche de faire aussi vite qe cela peut l'être ( tout en restant rationnel ). Bonne lecture à tous !

Telle une procession d’un autre âge, encadrée par les murs naturels, droits, sculptés comme au couteau par les vents et les vagues, accélérées par l’engorgement. Plus le temps s’écoulait, plus les voyageurs progressaient dans ce passage, trempés par les embruns, passant avec peine les strates désossées, affleurant sous les assauts furieux de l’onde ; un son continu résonnait, tremblement indistinct, mais de plus en plus proche. Bientôt les berges disparurent, ou presque, réduites à quelques mètres de roche délavée, lisse et glissante. Déjà Lamenoire sentait un sourd pressentiment monter en lui, et se tourna vers Telic, inquiet. Ce-dernier paraissait plus tourmenté encore, jetant sans arrêt des regards en arrière et répétant à mi-voix :

« -On ne passera jamais, on aurait dû contourner… »

Tout à coup, au détour du canyon, apparurent de grandes silhouettes noires, déchirant le bleu du ciel. Les carcasses calcinées des galères échouées gisaient en travers du boyau, encastrées les unes dans les autres. Les mâts brisés, les cordes pendantes, balancées par les bourrasques, les coques éventrées, à moitié broyées, fichées dans les parois pleines d’aspérités. Les proues enfoncées dans les flancs les unes des autres, les balustrades arrachées, la structure prête à céder sous les poussées des eaux grondantes. Par mille et un trous béants dans leurs planches, le Fleuve Vert se frayait un chemin, vociférant sa colère, blanc d’écume, bavant de rage, comme des cascades multiples, des flots de lumière fusant des renflements des vaisseaux morts, comme du sang giclant d’un mourant éventré.

Sur les ponts balayés par les flots débordants traînaient des corps sans vie, des bacrophages empêtrés dans les cordes, des esclaves enchaînés et morts par noyade, tandis que sur les rochers en contrebas dormaient les dépouilles des malheureux précipités par les torrents. Le son assourdissant, clair comme des trompettes, affolait les pèlerins, pris au dépourvu. Comment l’armada avait-elle échoué là ? Pourquoi ces dizaines de bâtiments s’étaient-ils abordés les uns les autres, quelle folie meurtrière les avait poussés à s’entretuer, sans s’apercevoir que les tourbillons les entraîneraient sur les falaises ? C’était là la source du cours rapide du Fleuve Vert, d’habitude si calme. Endigué par les épaves agglutinées, il avait rapidement éclaté comme le tonnerre, submergeant les pontons, puis tombant en cascade sur les navires qui avaient résisté à ses assauts endiablés.

Telic et Tarefin, à qui se joignit Gandacier, discutèrent de leur mieux de la situation, essayant de s’entendre par-dessus le boucan. Faire demi-tour, avec les charrettes à bras et les travois en travers de la route, c’était impossible, à moins d’être prêt à risquer cent fois sa vie en les faisant pivoter, sur les rives pourtant déjà assez incertaines pour ne plus rien vouloir tenter avec. En revanche, il semblait qu’une fois le premier bateau abordé, il y aurait moyen de passer de l’un à l’autre, sans trop de peine : le cours semblait y être plus régulier, et si chacun y aurait les deux pieds dans l’eau, au moins ne risquerait-il plus de glisser. On rassembla donc toutes les cordes que l’on pu trouver.

Pendant ces préparatifs, Mylnar contemplait le barrage artificiel, craquant à chaque seconde sous les coups de boutoir des vagues. Le poil hérissé par une répulsion ancestrale vis-à-vis des grandes quantités d’eau, à la fois fasciné et terrifié par les cataractes venteuses, il restait immobile. A travers le rideau de gouttelettes mousseuses, il percevait les carcasses désossées des vaisseaux, et se rappelait les derniers instants passés à bord…

Le contre-maître et ses aides se précipite entre les rangs, tenailles à la main, en criant :

« -Prenez vos rames et défendez vos vies, larves ! Vous êtes libres, mais dépêchons-nous. C’est notre seule chance de survie, si on veut leur échapper ! »

Et d’un mouvement leste et précis, ils font sauter les chaînes et poussent les galériens vers les escaliers ; un instant désemparés, incrédules, ils se laissent guider, sans remarquer la frayeur lisible sur les traits décomposés de leurs anciens geôliers. Puis des comportements divers se réveillent. Plusieurs s’effondrent, le visage baigné de larmes de bonheur, d’autres se précipitent sur leurs compagnons encore enferrés pour les délivrer. Certains, le cœur consumé par la rage, se jettent sur leurs anciens tortionnaires et les frappent de leurs rames, les étranglent de leurs liens ou les ruent de coups. Dans la pagaille qui s’ensuit, Mylnar se laisse pousser hors de la cale, son voisin de bordée derrière lui. Il fait nuit noire, le vent mugit dans les voilures déchiquetées, se balançant dans le ciel telles des spectres, son visage est fouetté par une pluie fine.

Avant qu’il ait pu crier sa joie, un Docile transpercé par une javeline bascule sur lui, il s’effondre sous le poids. Alors que l’homme-lièvre l’aide à se dégager, les rameurs comprennent le brusque revirement de leurs bourreaux : un combat à mort ravage la flotte, les formes ténébreuses des autres bâtiments frôlent celles de la galère dans un râclement sinistre, quand un choc d’une violence incommensurable fait basculer le vaisseau sur le flanc : le naivre amiral vient de planter son étrave dans sa coque, cris et craquements résonnent. Dans la soute, les derniers esclaves combattant leurs tortionnaires meurent dans d’atroces souffrances, broyés ou submergés. La moitié des êtres encore vivants sur le pont basculent dans le vide, les survivants s’accrochent à ce qu’ils peuvent. Avant de chuter dans les flots en contre-bas, Mylnar a le temps de voir son compagnon mourir, frappé à la tête par une pierre.

« -Hep, lui lance Lamenoire, le tirant de sa rêverie, il va falloir monter là-haut avant que le jour baisse pour de bond. Tu te sens en forme ? Il paraît que les hommes-chats sont doués pour l’escalade. »

Il aquiesça, heureux de pouvoir se changer les idées. Après quelques palabres, il avait été décidé que trois volontaires se débrouilleraient pour atteindre le ponton de la galère la plus proche, et de là fixer les filins qui permettront à la compagnie de les suivre. Lamenoire, grâce à son entraînement de rôdeur, possédait les compétences nécessaires pour s’y risquer ; Mylnar, de par le sang coulant dans ses veines, pouvait aussi oser essayer. De tous les autres, seul Jilguaen se sentait le cœur à prendre part à l’ascension, et le seul qu’ils ne purent raisonner. Tous trois encordés, ils commencèrent à s’agripper aux rares prises des parois rocheuses. La montée ne se faisait qu’avec la plus grande circonspection, car la moindre erreur eut été fatale. L’homme-chat enfonçait ses griffes dans les failles trempées, observait chaque pierre arrosée par la brume avant de l’agripper d’une patte moite, puis les muscles saillants sous son pelage, se hissait à la force des bras. Ses deux camarades de cordée suivaient avec prudence sa progression.

Une fois atteinte une certaine hauteur, le ponton était encore trop éloigné, mais les échelles de corde pendant depuis le mât d’artimon semblaient à portée de main. Sur un signe de tête, Lamenoire défit le cordage le reliant à Mylnar, puis le refixa avec trois fois plus de longueur ; cela fait, l’homme-chat se ramassa sur lui-même, puis d’une détente fulgurante, bondit en direction des mailles de chanvre ballotées par la tourmente.

Un instant comme suspendu dans les airs, il s’accrocha aux filins de toutes ses forces. Après quoi, il défit la corde serrée à sa taille et l’enroula autour d’une poutre affleurante, le tout retenu par un nœud solide. Lamenoire et Jilguaen n’avaient plus qu’à sauter l’un après l’autre et à remonter, assurés par cette prise indéfectible.

Une fois arrivés sur la balustrade du vaisseau échoué, ils travaillèrent à faciliter le passage aux suivants : quatre palans rudimentaires furent édifiés, où les cordes coulissaient autour de rondins disposés en travers du bastingage. Le gréement encore intact fut mis à contribution pour réaliser des sortes de grues primitives. A la force des bras, avec l’aide des poulies, ils parvinrent à faire monter une dizaine de leurs camarades, qui prirent la relève. Bientôt un flux régulier s’installa, avec deux filins pour les valides, une chaise en corde pour les blessés et malades, et le quatrième câble pour élever bagages et paquetages. Assis sur des épaves à demi-affleurantes au-dessus du cours mousseux du torrent, les quatre alpinistes improvisés se reposaient, tout en observant l’arrivée de la compagnie. La nuit s’installait définitivement sur le monde, les ombres des flancs escarpés se mêlaient aux noirceurs de la nuit. Quelques minutes plus tard, seul le fracas des chutes et les grincements des cordages troublaient l’obscurité croissante.

Puis des gerbes d’étincelles fusèrent, s’agrippant à des brandons. Plusieurs des apprentis sorciers avaient arraché au bastinguage des planches à peu près sèches, et fait en sorte d’enflammer leur extrémité. Ces torches improvisées dansaient autour des hommes au travail, projetant leur flamboiement hésitant sur la scène ténébreuse, révélant par moment, dans un reflet de leur lumière, le vol scrutateur de jeunes vautours en maraude. Lamenoire savait que cette lumière révélerait leur position à tout observateur, mais il était aussi fou de croire qu’ils pourraient progresser longtemps sans voir où ils mettraient leurs pieds. Il réprima un sourire de satisfaction, en voyant combien son enseignement avait porté ses fruits ; réaliser du feu ne nécessitait plus ni amadou ni silex et métal, mais juste du comestible à peu près sec. Il se munit lui-même d’une torche et partit en avant, voir comment la progression pourrait se faire.

Mylnar courait devant, essayant autant que possible de rester hors de portée du liquide turbulent. Sautant de pierres en pierres, accroché aux rochers, le poil hérissé sur tout le corps, il humait l’airt en permanence. Plus encore que Gandacier, il était pressé de quitter cet endroit. L’humidité, la position dangereuse et les mauvais souvenirs concouraient à réveiller en lui un dégoût profond.

Au moment où Telic posait le pied sur le pont du vaisseau échoué, de sourds grincements résonnèrent, tandis que toute la structure du navire oscillait. Conscients qu’il pouvait céder avant peu, les pèlerins se pressèrent de monter les derniers d’entre eux. Ils venaient de terminer de monter les chevaux, à l’aide de sangles rudimentaires. Restaient quelques retardataires, plus le contingent des lépreux. Ces-derniers posaient un problème, comme on peut s’en doûter. Il fut résolu, avant que Tarefin et le chef de l’expédition n’aient envisagé la moindre hypothèse. Messire Krigor de Keloney, ainsi qu’une demi-douzaine de ses soldats lâdres, se débarassa de son équipement et saisit une des cordes à pleine main. Lentement mais sûrement, les pieds calés sur les rochers, ils montèrent à l’assaut du bâteau. Dès leur approche du ponton, les autres voyageurs reculèrent de dix pas en arrière, les laissant seuls. Krigor répartit alors ses hommes, et sans attendre qu’ils aient pu reprendre leurs forces, se mirent à assurer la montée de leurs compagnons d’infortune.

Cependant Lamenoire, qu’accompagnaient Jilguaen et Tirien, suivait Mylnar dans son exploration. Derrière le premier bâtiment, cinq ou six autres s’étaient encastrés pour former une formisable digue artificielle. Les eaux n’atteignaient pas plus d’un mètre de profondeur au-dessus des ponts, et la progression était envisageable. Seuls quelques passages s’avéraient hasardeux, entre deux coques, là où les éléments les plus petits de la flotte s’étaient retrouvés coincés et broyés, formant des gouffres hérissés de pointes. Mais l’on pouvait les franchir en restant près des flancs rocailleux, en passant sur des sortes de passerelles composées de poutres, de cordes et de blocs de basalte échoués. Seulement, après cent cinquante mètres, il n’y avait plus qu’une immense étendue d’eau rugissante recouvrant la tranchée géante, dans un rougoiement de cadavres et de boue, éclairés par la clarté tremblotante des tisons. Mylnar se tourna vers eux en déclarant :

« -On peut passer par la gauche, regardez. »

Lamenoire se concentra pour observer le côté désigné, mais il n’y voyait goutte. Se rapprochant de quelques foulées, il avança son flambeau, qui projetta ses langues de feu timides sur une grande muraille de roche. Puis il porta son attention sur ce qui n’aurait semblé au premier abord qu’être un éboulis. Mais cette cheminée naturelle était en pente plutôt douce, et somme toute une échappatoire possible. Il envoya donc Tirien prévenir Telic et Tarefin. En attendant que le reste de l’expédition n’arrive, Mylnar se lança dans la montée, bien décidé à voir où cela menait.

Lamenoire se retrouva donc seul, face au petit lac naturel qui projetait, vague sur vague, sa colère sur les carcasses des navires. Un éclat imperceptible de lumière brilla dans le noir, à deux pas de lui, au pied des murs de roche. Intrigué, il s’en approcha, la main sur le fourreau. Il y avait là quelque chose, avachi sur les rochers aiguisés. S’avançant un peu plus, il s’accroupit et observa, avant de reculer avec écœurement. Malgré son séjour prolongé dans l’eau, le rôdeur avait reconnu sans peine la dépouille du défunt Grand Chasseur Tarvrasove. La tête renversée en arrière, les orbites vides, il gisait dans la posture où la mort l’avait trouvée, le visage marqué par la souffrance, les deux mains encore refermées sur un scêptre invisible. Les blessures dont il était strié étaient effroyables, il était clair qu’il avait perdu énormément de sang, et que la plupart de ses os avaient été brisés. Le pire était qu’il n’était pas mort sur le coup ; selon toute apparence, il avait été projeté avec violence sur les récifs, où la mort était venu le prendre après des heures de souffrance, empalé sur les rocs, délavé par le courant. La bouche grande ouverte, les yeux écarquillés, il semblait hurler son martyre, et crier son malheur. Il réclamait justice.

« -Cela mène jusqu’aux plateaux, déclara Mylnar ; on peut y aller. »

Gandacier leva les yeux vers l’homme-chat ; ce-dernier dansait d’une patte sur l’autre, impatient de sortir pour de bon les pattes de l’eau glacée. Le rôdeur se demanda depuis combien de temps il était resté coupé du monde, perdu dans ses pensées. Derrière lui, la foule attendait en bon ordre. Telic avait remis son manteau épais, et plusieurs grelottaient. Rester les pieds dans l’eau n’a rien de bénéfique. Lamenoire, lui, était resté sans doute plusieurs heures, devant Tarvrasove, face à face. Il ne sentait même plus ses pieds ; se relevant avec peine, aperçut Koralvan et s’approcha de lui, lui flattant l’encolure. Le prenant par la bride, il l’engagea dans le passage en pente, l’aidant à se diriger sur les cailloux et la terre friable. La colonne se remit en route, remontant le passage. Mylnar courait à nouveau devant, débarassé de toute appréhension. Il sentait qu’un nouveau monde, fait de liberté et d’espoir, l’attendait. Jetant un coup d’œil en arrière, il vit les hommes s’échelonner avec prudence, certains poussant des petits travois. La plupart des charrettes à bras avaient été abandonnées, et plusieurs brancards avaient été assemblés. Au ciel, les étoiles brillaient plus que jamais ; minuit approchait.

Mugron jouait avec le scêptre d’or, le faisant passer d’une de ses mains caleuses à l’autre, observant avec respect les fins entrelacs rutilants le long du manche, s’agençant autour des pierres précieuses pour former un objet d’art unique. Mais le vieux chef tauron n’était pas dupe. Renifflant de son museau massif l’objet d’art, il repéra aussitôt le fin tissu de Vents Magique noué à son bout. Tel une torche, il éclairait le monde invisible, projetant son aura de sorcellerie autour de lui, araignée tissant sa toile dans les esprits. Le chaman avait décidé que cet artefact lui revenait de droit, et il ne s’était pas trompé. Il se remémorait la cérémonie de répartition du butin. Aucun inconscient ne s’était opposé à sa volonté, bien que la tradition voulut que l’on laisse le hasard choisir la part de chacun. Il faut dire que le vieux minotaure s’était montré prêt à fendre le crâne au premier adversaire assez fou pour s’élever contre ses décisions.

Dans un coin du campement, assis face à un petit foyer, Kiloug affûtait sa lance. Il regardait le chef de la horde, comme un adversaire à la fois haïssable et impossible à vaincre. Craint et respecté, Mugron était un sorcier hors pair, et le tauron rebelle savait que s’il venait à s’inféoder, il serait seul. Résigné à son triste sort, il pensa aux rapports faits par les éclaireurs. Les humains commençaient de sortir du défilé, mais à l’allure qu’ils avaient empruntée, ils ne seraient pas sortis avant l’aube, la fatigue aidant. Régler leur compte serait aussi facile que de cueillir un fruit mûr ; le moral des hommes-taureaux était au beau fixe, doppé par le succès de leur combat contre les bacrophages. De rudes guerriers qui avaient mis hors de combat la moitié des minotaures, se souvint le tauron. Mais cela n’avait même pas ébréché la confiance que son peuple vouait à Mugron. En fait, tout portait à croire que ces événements l’avaient même renforcée. Tout ne s’était t-il pas terminé par un pillage lucratif, et une orgie merveilleuse ? Kiloug fit claquer sa langue. Il sentait encore dans sa bouche le goût du sang chaud de tous les taurons dont il avait dévoré qui une jambe, qui un bras ; leur force le rendait plus dur, et un jour, bientôt, il pourrait fonder son propre clan. Alors il en aurait fini avec les ordres. S’il y avait une chose dont il était sûr, c’était qu’il avait l’âme d’un chef. Le grand chaman avait décrété que l’assaut aurait lieu peu après l’aube. Ce serait l’occasion de montrer à nouveau de quoi il était capable.

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mais les échelles de corde pendant depuis le mât

Plusieurs cordes, il me semble !

Sinon pour le fond, j'aime toujours. La, ce que je prefere, c'est la description du lieu que tu nous fais ! J'aime bien cette idée de navires constituant un barage dont ils vont se servir ! Tu as eu de l'idée !

Bon ben pas grand chose à dire à part que je sais pas trop où tu veux nous emmener et que je vais donc attendre :evilgrin:

@+

-= Inxi =-

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Il réprima un sourire de satisfaction, en voyant combien son enseignement avait porté ses fruits ; réaliser du feu ne nécessitait plus ni amadou ni silex et métal, mais juste du comestible[b/] à peu près sec. Il se munit lui-même d’une torche et partit en avant, voir comment la progression pourrait se faire.

lol, combustible :unsure: ...

Sinon, j'aime toujoursbien, mais il se remet un peu vite le minou... :evilgrin: .

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  • 3 semaines après...

Apprends un trop long retard, une suite épique :

Lamenoire ne put dormir que quelques heures, couché au pied de blocs de roche couleur suie, à l’écart du campement de fortune. Il se redressa, appuyé aux rochers, en proie aux plus grands doutes. Il ressentait une forte appréhension, une sorte de prémonition indistincte. Quelque chose en lui taraudait son esprit, et l’empêchait de sommeiller plus longtemps. Pourtant un bref tour d’horizon aurait pu le rassurer.

Tous les voyageurs dormaient dans le plus grand silence, leurs formes noires couchées frôlées par les légers nuages de la bruine naissante. Le ciel à l’est se teintait peu à peu d’un bleu plus clair, triomphant sur la nuit ténébreuse. Pourtant les grands blocs de pierre étalaient leurs ombres bienveillantes au-dessus du large éboulis.

Les dormeurs étaient regroupés en deux cercles, l’un en aval, juste à la sortie du défilé, rassemblait l’ensemble des lépreux. L’autre, en amont, à l’embouchure du passage, presque sur terrain plat, le reste de la compagnie se reposait, entre les hautes silhouettes basaltiques.

Rassemblant ses forces, la vue encore embuée par le sommeil, il se mit à arpenter le camp, d’un pas lent et silencieux. Ses chausses de cuir traînaient sur le sol poudreux, se couvrant peu à peu d’une boue grise. L’air se chargeait d’un rideau de gouttelettes tombant du brouillard, recouvrant petit à petit les sacs, paquetages et pèlerins.

Un bruissement discret au-dessus de sa tête attira son attention. Levant les yeux, il ne put voir de quoi il s’agissait avant plusieurs longues secondes. Trois paires d’yeux l’observaient. Juché sur un pilier de basalte à moitié effondré, Mylnar était accroupi, les pupilles dilatées. Malgré sa fourrure, il tremblait, le pelage scintillant de perles de rosée. A quelques mètres au-dessus de lui, perchés sur leurs serres d’acier, deux gyps aux plumes détrempées observaient les deux veilleurs, faisant claquer par intermittence leurs becs crochus.

L’homme-chat sauta au sol, les moustaches frémissantes ; toujours accroupi, il jeta un regard circulaire, observant avec insistance les sommets des pitons rocheux. Gandacier se plaça à côté de lui et demanda à mi-voix :

« -Il se passe quelque chose, Mylnar ?

- Je n’en sais fichtre rien, souffla ce dernier. L’air est lourd. Des odeurs flottent.

- Moi, aussi je me suis réveillé, interpellé par je ne sais quoi. Je suppose que c’est les Vents.

-Les Vents ?

-Je ne vois pas quoi d’autre.

-Les odeurs, cracha l’homme-chat. Cela sent la bête à plein nez.

-Peut-être bien. Avec toute cette humidité, je ne saurais même pas distinguer les exhalaisons d’un troll du parfum d’une elfe.

-Il y a des choses ici, dit Mylnar. J’ai déjà senti cela, il n’y a pas longtemps.

-Je vais réveiller Telic et les autres.

-Je ne sais pas… Je ne suis pas sûr.

-Il ne faut pas prendre de risque. »

Lamenoire marcha droit vers la forme recroquevillée du chef de l’expédition. Il ne voulait pas commettre de nouvelle erreur. Il savait trop ce qu’hésitation et négligence pouvaient engendrer. Penché sur le meneur endormi, il lui tapota l’épaule, puis comme il ne réagissait pas, il secoua avec plus d’énergie. Telic se réveilla en sursaut, criant :

« -Quoi, quoi, que se passe t-il ?

-Calmez-vous, l’apaisa le rôdeur, il n’y a rien encore.

-Mais… Que… Pourquoi… ?

-Mylnar a flairé quelque chose.

-Un danger ?

-On n’en sait rien, mais j’ai pensé…

-Ecoutez, il ne fait pas encore jour, et nous avons tous besoin de dormir.

-Nous nous sommes laissés tomber de sommeil le long de la pente. Nous aurions dû nous installer sur les contreforts, plus à l’abri.

-Il sera toujours temps tout à l’heure…

-Pas si sûr. Supposez que ce soit… »

Un long cri guttural résonna de pierre en pierre, tirant de leurs rêves tous les pèlerins ; ils pouvaient tous entendre des bruits de pas saccadés résonnant sur les pierres. D’autres cris répondirent au premier, de tous côtés. Ils étaient cernés.

« -Trop tard ! » acheva Lamenoire, dégainant son long sabre.

D’entre les volutes des brumes, des formes noires apparurent, vastes guerriers cornus. Il y avait des minotaures, des hommes-taureaux, des bêtes à cornes bipèdes ou quadrupèdes hurlant et renâclant. Certaines maniaient des haches primitives, d’autres des javelots d’acier ; les autres comptaient sur leur masse, leur force, leurs cornes. Des dizaines d’entre eux apparaissaient sur les sommets des falaises, plusieurs bandant déjà leurs arcs rustiques. Mais le gros de la bande arrivait par la plaine à l’est, en rangs clairsemés. Plusieurs taurons, véritables géants de muscles, aboyaient des ordres sur un ton monocorde. En quelques secondes, tous les humains furent en émoi. Certains se jetaient face contre terre, terrorisés ou épuisés. D’autres essayaient de se relever, ou aidaient les blessés et malades à reculer vers le centre du passage, ou à l’abri des pitons. Quelques uns, dont Jilguaen et Marsen, ramassèrent leurs armes de fortune et prirent la direction des opérations. Telic lançait des ordres à tout va, d’une voix rendue aiguë par la peur :

« -Ramassez les bagages, regroupez-vous, relevez les indigents ! Alerte ! Alerte ! »

Lamenoire observait leurs agresseurs, sans mot dire. Mylnar avait disparu dans les brumes. Quatre ou cinq gyps volaient bas, descendant des nuages pour suivre le déroulement du combat. Les rayons timides percèrent les nuées au Levant, crevant les brouillards. Les premières gouttes de pluies résonnèrent comme des coups de marteau sur l’enclume en projetant des giclées de boue, percutant le sol poussiéreux.

Les maraudeurs entonnèrent de nouveaux chants de guerre, en frappant la terre de leurs armes et de leurs sabots. Par une trouée dans la brume, le rôdeur vit une grande figure monter au sommet des falaises au nord, au milieu des archers taureaux. Puis le vent tourna et recouvrit la petite vallée d’un crachin épais. Levant leurs haches vers le ciel, les taurons donnèrent le signe de l’assaut. Un premier éclair zébra le ciel, tandis que le rideau de pluie grossissait pour balayer la pente.

Comme les traditions tauriennes le voulaient, la charge fut menée par un tauron, seul. Le plus fougueux de tous, le plus belliqueux, ou peut-être le plus assoiffé de sang, courait tête baissée vers ses proies. Le sang versé serait une obole aux dieux de la guerre, et le signe du massacre général. Lamenoire éleva sa lame, tout en observant le colosse se ruer de toute sa vitesse droit dans sa direction. Le rôdeur n’osait pas imaginer la mort qui attendrait les malheureux tombant sous ses pattes…

« -Pour la Lande, pour Malzar ! »

Aucun des spectateurs ne put comprendre ce cri, mais tous savaient que l’homme au sabre noir ne plaisantait pas. Sautant à mi-hauteur du géant cornu, il cingla le cou du tauron qui éructa quelques borborygmes avant de basculer en avant, la gorge à moitié tranchée, alors que Gandacier poursuivait son mouvement en avant. Sans attendre une seconde, Marsen et plusieurs autres se précipitèrent pour achever au couteau le géant à terre.

Mugron et tous les siens trépignèrent de dépit : le sacrifice ne s’était pas déroulé comme ils l’avaient escompté ! Dans un long meuglement déchirant, le chef chaman libéra ses hommes de leur mutisme, et la vraie charge débuta. L’eau tombait par hallebardes sur les cailloux délavés, recouverts de ruisseaux boueux. Les innombrables sabots frappaient la pierre dans un grondement assourdissant, tandis que des nuées de flèches acérées dansaient dans le ciel, pour plonger dans des sifflements menaçants ; les vautours géants s’égaillèrent, aussi surpris qu’impatients.

Lamenoire rencontra deux taurocéphales dans sa course, dont il lacéra les visages avant de se retourner. Ramassa la hache de l’un d’eux, il fracassa leurs crânes de deux coups bien placés, évita un trait qui bourdonnait vers lui, para un autre coup et abattit sa rapière en travers de la poitrine d’un autre tauron. Le sabre était trop fragile pour frapper à mort des créatures aussi robustes, mais parvenait à découper au moins le cuir superficiel, libérant des flots de sang rouge vif. Le rôdeur évita un javelot, reçut un coup de poing en plein ventre et plié en deux, roula au sol pour se relever derrière son adversaire pour lui assener un coup de hache en pleine échine. Bondissant au-dessus du corps glapissant de douleur, il se précipita vers le reste de l’expédition. Il fallait à tout prix éviter que la bataille ne tourne en combats individuels, car alors les humains n’auraient aucune chance d’en réchapper.

Wilsar avait fait relever les travois et tout ce qui pouvait servir de bouclier, et sous ce couvert relatif, il faisait progresser une partie de la troupe au pied des falaises sud. Flèches, pierres, rochers roulaient vers eux par vagues, leur arrachant à chaque fois des appels à l’aide et des cris de douleur. Jilguaen, après avoir tenté en vain, au milieu de ce déluge, de faire appel aux vents pour lancer des projectiles incandescents, menait une petite bande de volontaires qui essayaient de regrouper les fuyards, pourchassés par les fauves à cornes.

Marsen et Tirien, quant à eux, ruaient, frappaient et tapaient pour ralentir la marée d’hommes-bêtes. Femmes et enfants couraient se mettre à l’abri des rochers, tandis que la grêle de fléchettes se mêlait aux pluies.

Telic avait perdu tout contrôle de la situation et errait sans but, un gourdin à la main, défendant sa vie comme il le pouvait. Derrière lui courait Tarefin, armé d’une longue dague, dont il se servait pour éventrer les monstres qui s’approchaient d’eux. L’averse se mua en une cascade de flots étouffants, si bien que l’on ne voyait plus à deux mètres. Les formes floues des taurons seules apparaissaient à travers les rafales de gouttes, éructant des ordres de leurs voix gutturales.

Lamenoire sentait l’amertume dévorer peu à peu son cœur ; ses compagnons lui avaient fait confiance. Ils avaient cru pouvoir compter sur lui ; il représentait pour eux la sécurité et la vigilance, mais il n’avait pas joué son rôle. A grands mouvements circulaires de ses armes, il s’achemina vers le groupe le plus proche. Alors de toute sa voix, il les enjoignit à le suivre, et criant aussi fort qu’il put pour couvrir le tonnerre :

« -Il nous faut quitter ce défilé au plus tôt ! Courez vers la sortie, restez serrés ! »

Tous ceux qui l’entendirent se précipitèrent vers la sortie de la pente ruisselante, rassemblant le courage qui leur restait. Certains portaient des blessés, protégés par d’autres pèlerins devenus soldats pour l’occasion. Les taurons erraient dans la tourmente, massacrant tous ceux qui leur tombaient sous la main.

Un long feulement résonna dans les oreilles des combattants, et Mylnar réapparut. Tombant d’une colonne de pierre, il sauta sur la tête d’un des chefs pillards. Lui mutilant le visage de ses griffes et de ses crocs, il le déstabilisa tant que le monstre tomba à la renverse en tentant de l’attraper. A l’aide de la propre masse d’arme de son adversaire, l’homme-chat lui brisa alors le crâne. Lamenoire, qui guidait un autre détachement vers le bout du défilé, n’eut pas le temps de le féliciter, car Mylnar était si épuisé qu’il s’effondra au sol. Deux hommes accoururent aussitôt pour le soulever. Trois bucéphales s’approchèrent, leurs longues massues sifflant entre les bouffées de pluie crachées par le ciel. Le rôdeur blessa le premier au menton de sa hache, tandis que le bouclier d’une des créatures parait un coup du sabre. Un javelot venu de nulle part transperça les côtes du deuxième, tandis que le troisième agresseur était éviscéré par un autre coup de rapière. Puis les deux porteurs entraînèrent leur charge dans la pluie, vers les piliers de pierre voisins, hors de vue du rôdeur.

Peu à peu, les petites troupes parvenaient à remonter le long de l’éboulis. Les plus grands hommes-taureaux avaient du mal à rester debout sur le sol couvert de graviers glissants ; cependant les archers redoublaient d’ardeurs, malgré la visibilité presque nulle. Et deux bandes de taurocéphales restaient pour garder l’issue du couloir naturel harcelaient ceux qui atteignaient les extrémités du piège. Gandacier remarqua, au milieu du désordre, les chevaux affolés. Koralvan, plus habitués que ses congénères au fracas des batailles, le regardait avec intérêt. Marchant droit sur lui, le rôdeur cria :

« -Il te faudra me porter sur ton dos, fière monture, ou ce sera notre fin à tous ! »

Sans doute le déluge avait chassé les odeurs nauséabondes du marais, ou bien le destrier surmonta sa répulsion. Toujours est-il qu’il ne fallut pas plus de trois secondes à Lamenoire pour sauter en selle, lâcher sa hache pour prendre les rênes et piquer des deux. De toute la vitesse de ses quatre fers, Koralvan bondit au-dessus des premiers rangs des combattants, atterrissant entre quatre hommes-bêtes indécis. De grands revers de sabre scellèrent leur destin. Entraînés par le cavalier, les humains redoublèrent d’ardeur. Un tauron fut renversé et massacré à coups de couteau, tandis que le reste du front se débandait. Trempé par l’averse et sa sueur, Lamenoire observa ses camarades quitter en toute hâte le défilé. Puis soudain une pensée lui traversa l’esprit : ils avaient oublié les lépreux !

Aucune crainte d’être contaminés ne retint l’assaut des guerriers taureaux. Du reste, comment auraient-ils pu constater l’état des derniers humains, sous une pluie battante, au cœur de la tempête ? Les arcs ne se reposaient plus, malgré leurs cordes complètement détrempées. Soulevant leurs boucliers, les ladres avaient tenté de suivre le mouvement du reste de l’expédition. Mais les forces des maraudeurs s’étaient refermées sur eux sans pitié. Puisqu’une partie des humains réussissaient à leur échapper, les taurons avaient d’instinct décidé de se ruer sur ceux qui étaient le plus en retrait dans le passage, isolés, sans appui. Dans une seconde charge ralliant leurs soldats dispersés, les capitaines cornus avaient enfoncé les premiers rangs des hommes lépreux.

Quand Lamenoire arriva à bride abattue, Une vingtaine de corps gisaient sur la pierre, maculés de boue, broyés par les pieds d’airain des minotaures. Les survivants avaient tous reçu une ou deux blessures plus ou moins graves. Retenant un gémissement, le rôdeur renversa deux taurides sans ménagement et traversa les rangs serrés des humains pour atteindre leur chef, qui luttait contre trois bucéphales. Ces derniers, balançant leurs lourdes têtes inexpressives, protégés part leurs longs boucliers de cuivre, se relayaient par groupe de dix pour harceler les derniers pèlerins. Gandacier arriva à temps pour éborgner l’un des monstres et les bousculer par derrière, les plongeant dans le désarroi. Encadré par ses fidèles, Krigor leur sauta dessus sans pitié, et leur arracha leur dernier souffle. Le sire de Keloney salua alors le rôdeur d’un bref hochement de tête :

« -Une sacrée bataille, pas vrai ? Pas le moment de souffler. »

Vite remis de leur premier échec, les hommes-taureaux se rassemblaient à nouveau sous les ordres bourrus de leurs meneurs ; plus que jamais, les flèches et la caillasse traversaient les nuages éventrés, sans faire grand mal, ricochant sur les blasons ou les casques. Lamenoire avait déjà remarqué que nombre des lépreux portaient un équipement de soldat plus que suffisant : presque tous les hommes possédaient une cotte de maille lâche, un bouclier de bois renforcé de fer et un casque simple. Leurs armes allaient du pieu durci au feu jusqu’aux épées bâtardes affûtées. A leur fourniment efficace s’ajoutait une expérience de la guerre qui surpassait de loin celle du reste de la troupe. En rangs serrés, les pavois levés pour les protéger des projectiles, ils avançaient sans faiblir ; malgré le poids de leur armement, qui les entravait dans leur montée, ils n’avaient jamais reculé, si ce n’est lors de la dernière charge où nombre d’entre eux avaient trépassé. Le rôdeur supposa même que cette acharnement avait peut être eu pour but d’assurer aux autres un échappatoire, tandis qu’eux, les parias, retenaient le gros des forces ennemies. Et maintenant que leur tâche était accomplie, les ladres faisaient de leur mieux pour sortir eux-mêmes de ce guêpier. Ils ne pouvaient compter que sur leurs propres forces.

Un nouvel assaut mené dans l’enfer de l’orage, dans un vacarme de mugissement et de tonnerre, fut repoussé avec succès. Frappant d’estoc et de taille, les humains combattaient coude à coude, accompagnés de Lamenoire, debout sur sa selle, harcelant géants taurides et taurons enragés. Profitant de ce que le clan barbare prenait le large pour mieux lancer la prochaine attaque, Lamenoire sauta de selle, flattant l’encolure de Koralvan qui commençait à fatiguer. Un rapide tour d’horizon assura le rôdeur que leur groupe se soumettrait bientôt face à la horde. Malgré toute sa hargne, Krigor de Keloney ne pourrait pas faire tenir ses hommes face à un nouveau choc au corps à corps. Les taurons briseraient les murs de bouclier, et les pillards achèveraient les survivants. C’était inévitable.

Au–dessus de la fureur des combats, la silhouette d’un robuste chaman tauron, perché sur les crêtes de basalte déversant des flots gris, observait le cours des événements. De sa bouche partaient de longues mélopées, des chants de guerre et des imprécations faisant vibrer les cœurs. Gandacier suspectait ce monstre d’être le chef du clan, et l’âme même de la bataille. C’était lui qu’il fallait frapper s’ils voulaient s’en sortir.

Ayant pris sa décision, il s’élança vers les hauteurs au nord, bordant l’éboulis. Une salve de flèches tirées avec maladresse salua sa course, sans l’atteindre d’aucune sorte. Krigor, entendant les murmures de ses fidèles, se retourna pour constater la fuite de l’homme du nord. Son esprit s’assombrit et il remâcha en son for intérieur bien des pensées mauvaises.

Lamenoire atteignit enfin les bords des colonnes de pierre, et sauta aussi haut qu’il put, s’agrippant aux blocs de pierre lissés par l’averse. Suant et peinant, il parvint à se hisser sur une petite plate-forme à flanc de pente. Ce que voyant, le chaman pointa du doigt deux bucéphales, qui descendirent à la rencontre de l’humain pour lui barrer le passage. Les deux formes floues des agresseurs apparurent à Gandacier à travers le voile de la pluie serrée ; bondissant comme Mylnar l’aurait fait, il leva son long sabre et trancha les doigts de la main droite du premier, le privant de sa lance. Le deuxième, estomaqué par un coup de pied vigoureux, tomba de la terrasse naturelle et s’écrasa au pied du mur. Sa chute attira l’attention des guerriers taurides en contrebas, qui levèrent la tête vers les deux duellistes. Le second bucéphale ne tarda pas à rejoindre son congénère, ce qui fut salué par une vague de protestations et d’insultes de la part des hardes. Marchant avec résolution sur le sentier escarpé, renversant ou tuant les minotaures qui s’interposaient, le rôdeur s’approchait de sa cible.

Kiloug soupesa sa lance aiguë et fit mine de se placer devant l’humain, mais Mugron le retint d’un grognement :

« -Fauh t-il queuh mes guerriers me retirent jusqu’â lâ moindre proâe ? Je vais régler son comte â ce fouh, puisqu’il leuh souhaite. Laissez-le venir. »

Les taurons courbèrent l’échine, obéissant, et formèrent un demi-cercle derrière leur supérieur hiérarchique. Les archers baissèrent leurs arcs, tandis que les chefs de troupeau répétaient les ordres. La masse de pillards en contrebas stoppa aussitôt sa progression, les yeux rivés sur le petit point dansant dans la pluie, à la lueur de la foudre. Dès qu’il arriva au sommet des contreforts, Lamenoire distingua avec netteté le chef chaman : debout sur une large dalle de basalte, vêtu d’habits de peau imbibés, poisseux, couvert d’un heaume en acier luisant d’où sortaient ses deux cornes recourbées en ivoire, il portait une énorme double-hache dans sa main gauche, et un objet ressemblant à un épais bâton jaune brillant dans sa dextre. Le rôdeur finit par y reconnaître le sceptre de feu Tarvrasove.

« -Crois-tu vraiment pouvoâr meuh tuer ? demanda de but en blanc le chef tauron.

-Il me faut bien essayer. Et puis nul n’est immortel.

-L’égoïsme n’est pâs une târe quand on â pour soâ leuh destin.

-Mais nul ne sait où le mènera la providence.

-Hormis ceuh qui voient dans les rouleaux du temps.

-Si tel est le cas, tu es un être admirable. Cela ne m’empêchera pas de tenter ma chance.

-Âlors toâ aussi serais digne deuh mérite, si du moins tâ témérité neuh t’âveuglait pâs. Elle neuh teuh sauverâ pâs. »

Les deux combattants se jaugèrent un instant, cherchant à évaluer les capacités de son adversaire, et à anticiper le moment où il attaquerait. Mugron fit un pas en avant, et commença le combat, à sa manière.

La vague d’énergie psychique arracha les barrières de sa volonté comme un raz-de-marée, le projetant au sol avec une violence bestiale. Le rôdeur se remit sur pied en retenant la rage qui bouillonnait en lui : il avait en face de lui un puissant sorcier, et il lui faudrait désormais livrer aussi un combat intérieur. Tout en essayant d’ignorer les criaillements et les élancements dans sa tête tiraillée, il tenta de parer les premiers coups de hache. Esquissant un geste de sa rapière, il vit le sceptre d’or se mettre en travers de la route de la lame, et dans une déflagration de sorcellerie, repoussé le fer en arrière. Pour éviter d’avoir le bras brisé, il dût épouser le mouvement de son arme et se retrouver plié en deux devant son ennemi. C’est à ce moment que Mugron guettait qu’il abattit sa hache. Le fer tranchant fracassa la pierre dure, projetant des éclats noirs. Lamenoire s’était jeté au sol, et roulant en arrrière, zébra la cuisse du chaman. C’est à peine si le colosse cilla, ou jeta un regard vers sa jambe profondément coupée. Un nouveau moulinet de la hache meurtrière repoussa l’humain, et avant qu’il n’ait retrouvé l’équilibre, un coup du sceptre suivit le premier assaut.

Lamenoire bondit en arrière, mais trop tard. Le bâton de métal frappa à la tête, meurtrissant le front ; de la plaie ouverte dégoulina un voile de sang. Avant que le géant n’ait esquissé un sourire de satisfaction, Gandacier reprit le combat.

Le combat se poursuit de plus belle, ne s’interrompant l’espace d’une seconde que pour éclater dans une grêle de coups toujours plus rapides, toujours plus violents. Les deux combattants commencent à respirer avec peine, leurs oreilles fatiguées par les roulements du vent et du ciel. Mugron recule enfin, pour reconsidérer son adversaire. Le souffle court, il halète d’une voix menaçante :

« -Crois-tu vraiment... Pouvoir me tuer ?

-Tu ne me convaincras pas. » rétorque l’autre, essuyant le sang de ses yeux.

Et le duel reprend, terrible, impitoyable. Chacun doit user de toute sa science des armes pour esquiver les mortels moulinets. Mais Gandacier est plus agile. Dans la furie du combat, c’est à peine s’il entend encore les murmures et les chuchotis des envoûtements du chaman. Plus rapide que jamais, il est partout à la fois, et malgré ses multiples plaies et ses anciennes blessures qui se rouvrent, il parvient à atteindre son ennemi en de multiples endroits.

A présent, épuisés l’un comme l’autre, ils restent sur la défensive, les yeux dans les yeux, figés dans leur dernière posture. Puis Mugron, saigné à blanc, ou peu s’en faut, s’effondre au sol tout d’une masse. Lamenoire s’approche, un soupçon de soulagement résonnant dans sa poitrine douloureuse. Les yeux mi-clos, le chaman éructe :

« -Crois-tu vraiment…, commença le puissant tauron.

-Tu ne m’a pas encore prouvé le contraire » ricana Lamenoire, en élevant son sabre pour le coup de grâce. Il n’aperçut pas à temps le sceptre dans la main droite du sorcier, pointé sur lui comme une épée. Le trait de magie fusa comme une onde de choc et engourdit tous les membres du rôdeur, dont la vue se troublait. Les silhouettes diffuses de Midiso, Doubleserre, Ardentcourroux, Ytuzîr, affluèrent dans sa tête. Une seconde après, le second ouragan s’empara de son âme, et il tomba sur la roche trempée, tel un pantin désarticulé.

Modifié par Shas'o Benoît
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Apprends un trop long retard, une suite épique :

J'espère que tu n'apprends pas le retard, mais plutot que tu l'élimines hein! :whistling:

lol :D

Bien triste passage...

Mais qui ouvre plein de perspective :) .

Bon, sinon, le combat fait très classique, mais bon, c'est toujours aussi efficace. :)

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Au –dessus de la fureur des combats, la silhouette

Un petit problème de tiret :whistling:

Bon sinon, le premier truc qui me vient à l'esprit c'est : #{[{@#{[\{[# !!!! C'est quoi cette fin, tu veux devenir aussi pénible que moi avec le suspense :blushing: ? Par contre, un truc quio ferait gagner de la passion à ton récit... Les persos, ils vont et vient par régiment, essaye d'en garder quand meme quelqu'un pour l'histoire ! Que ca fasse des bases ^^ Du genre là les importants parmi le voyage sont : l'homme chat, les magiciens, le chef de caravane. Ca sert a rien de les faire mourir à part nous perdre 8-s

Voila tout !!

@+

-= Inxi =-

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Content que cela vous plaise toujours. Plus ça va aller, moins je vais avoir le temps de poster la suite. Alors j'en profite tant que je peux. Pour ce qui est des héros, ben, c'est sûr, un petit noyau dur va rester ( mais petit, hein ). Pour le suspense, il n'est pas prêt de retomber. Attention, accrochez-vous, on décolle.

Il n’y avait d’abord qu’une brume épaisse, sorte d’univers flou et glauque, où seule sa propre respiration hachée lui rappelait qu’il était vivant. Sa vue s’améliora par vagues successives, lui révélant peu à peu son environnement. Au milieu des nuées persistantes de brouillard, une longue plaine herbeuse s’étirait à l’infini, bornée par l’horizon, où l’on croyait deviner la naissance de lointaines montagnes enneigées.

Il courait dans la plaine, solitaire. Pas un bruit ne résonnait sous le ciel d’un bleu uni tirant sur un gris anthracite. L’air était humide, imbibé d’eau, comme après le passage de l’orage. Il baissa les yeux, et comprit qu’il ne courait pas.

Il était sur la croupe d’un lézard cracheur de feu ! Il ne parvenait pas à s’expliquer comment il avait pu se retrouver là. Fasciné, il resta en selle, écoutant les râles incessants du carnassier, qui trottait d’un pas constant. De temps à autre, un feulement sortait de sa gueule entrouverte, des jets de vapeur sombre s’exhalaient de son gosier.

Une partie de lui-même lui soufflait que tout cela ne pouvait être réel, pourtant il était là, chevauchant un monstre à sang froid. Une autre part de son esprit, dont il n’avait jamais eu conscience, lui assura que tout cela était normal. Tout simplement exact. Divisé entre ces deux courants de pensée, il sentit son âme vaciller, sombrant à nouveau dans l’oubli. Pourtant, une moitié de son esprit resta éveillée, sans qu’il en soit certain ; tandis que ses yeux se voilaient, il savait qu’il était toujours assis sur le dos écailleux de la salamandre rouge, et qu’il tenait les rênes avec fermeté.

Sa pensée voyagea dans un abîme de vagues de réflexions variées, souvenirs, idées vagues, prémonitions. Sa vie passée se mêlait à son futur sans qu’il puisse en démêler les liens. Des choses dont il n’avait jamais appréhendé les signes se montraient à lui au grand jour, sans lui laisser le temps de les lire. Le flux qui délavait sa tête s’enrichissait d’une incroyable influence des Vents de Magie, qui menaient la danse, allant et venant dans son imagination. Plusieurs personnages passèrent devant lui, tels des fantômes. Il connaissait certains par leur nom : Midiso, Ytuzîr, Nommiard… Mais d’autres ne l’avaient jamais rencontré dans la réalité, et pourtant s’imprimèrent dans son esprit : un vieillard nain à la peau parcheminée, vêtu d’un longue cotte de mailles vert-de-gris. Un fenri dans la force de l’âge, le regard dur, ses cheveux noirs descendant jusqu’à ses épaules couvertes de plaques d’armure de ferhor brillant, tenant une longue hallebarde dans ses deux mains gantées de cuir. Un elfe noir enrobé dans une longue bure noire, le visage encadré par des cheveux d’un gris métallique, ses yeux scrutateurs cherchant à deviner son nom…

Quand il eut de nouveau conscience du monde extérieur, il se trouvait accroupi au bord d’un ruisseau. Le lézard cracheur de feu s’était étendu dans l’herbe, écrasant de nombreux roseaux sous son ventre plastronné pour aller étancher sa soif. Sa longue langue d’un rose incarnat allait et venait, lapant le liquide translucide ; ses deux orbites d’un jaune mordoré le regardaient avec un air de soumission résignée.

Il ne savait pas encore qui il était. Une partie de sa vie antérieure demeurait mystérieuse. Il décida de s’appeler le Voyageur Anonyme, le temps de retrouver sa mémoire.

Peu à peu sa vue s’habitua à la lumière crue du monde, et les derniers lambeaux de brume disparurent de son champ de vision encore balbutiant ; il sentit qu’il n’était plus seul. C’était comme une présence impalpable, inséparable de son être ; comme s’il n’était plus tout à fait son propre maître. C’est quand il se leva, jetant son regard au loin, qu’il comprit.

Il n’était plus seul, en lui dansait une véritable personnalité détachée de lui, une conscience qui venait d’autre part. Elle se débattait derrière les voiles de son propre esprit, comme cherchant à y entrer. Il n'était plus un mais deux. C'est à dire qu'au-delà de sa propre personnalité surnageait un autre individu, qui semblait bien plus développé. Il ne savait pas comment cela se faisait, mais il était en quelque sorte l'hôte d'un autre esprit, le parasite mental d'un être vivant. Soudain la barrière se brisa, le temps de laisser entrer l’Autre, et le Voyageur Anonyme eut conscience que derrière cette barrière, une conscience infiniment plus grande sommeillait bien, attendant son heure. L’Autre représentait une part de lui incroyablement plus riche, plus structurée, plus solide que la sienne. L’Autre était puissant, très puissant. Le Voyageur Anonyme se recroquevilla sur ses propres reliquats de conscience, cherchant à les préserver. Le contact s’établit, un véritable coup de tonnerre dans sa tête qui manqua de lui faire à nouveau perdre connaissance. L’Autre semblait troublé par sa présence, et d’une voix aussi prudente que curieuse, demanda :

« -Qui es-tu ? Que fais-tu Céans ?

-Je suis le Voyageur Anonyme, répondit t-il.

-Cela n’est pas clair. Que fais-tu ici ? Comment es-tu entré ?

-Je n’en ai aucune idée. J’ignore d’où je viens et où je vais.

-Il me semble que je te connais, je reconnais ton âme…

-Ta marque dans les Vents ne m’est pas étrangère…

-Laisse-moi mieux t’examiner.

-Non ! Tu me soufflerais !

-Je suis chez moi, et je suis… »

L’Autre se tut, visiblement impressionné. A travers le voile des consciences, le Voyageur Anonyme crut discerner un profond bouleversement. C’était la marée remontant les plages, le vent balayant les flots, le soleil éclairant le monde. Une avancée inéluctable, souveraine, terrible, immuable. A travers les barrières survint une troisième âme, Elle, qui resplendissait de pouvoir. Si l’Autre avait eu quelque condescendance pour le Voyageur, il perdit toute sa superbe. Elle, était autant supérieur à l’Autre, que lui l’était au Voyageur. D’un regard de flammes dévorantes, Elle s’écria :

« -Qui es-tu, intrus des âmes ?

-Je suis le Voyag…

-J’ai visité les souvenirs de l’Autre, et je ne m’en contenterai pas.

-Je ne sais rien de plus !

-Je saurais bien te révéler au grand jour.

-Non… » Le refus du Voyageur n’était plus qu’une supplique, une prière pitoyable adressée à Elle. Mais Elle répondit de sa voix glaciale :

« - je suis le Seigneur et Maître, et maintenant tu vas me montrer… »

C’était plus que le Voyageur pouvait en supporter, et il sombra dans l’oubli : il s’effondra à terre, se voyant pourtant encore debout, se contemplant dans sa chute, le regard d’Elle par-dessus son épaule, et ses yeux se fermèrent, tandis qu’ils se regardaient.

Un kaléidoscope de couleurs vives éblouit son regard, perçant ses rétines closes. Une fournaise de rayons plus ou moins intenses danse dans sa tête, des éclairs de flammes vertes, bleues, rouges, sur un fond terne et gris. Les banderoles d’éclats de lumière tournoient, pivotent, serpentent comme autant de créatures folles, ballottées par quelque tornade. De nouvelles figures apparaissent, agglomérat de taches et de lignes, donnant presque l’idée d’une silhouette. Après quelques battements de cœur, les formes prirent les contours d’êtres connus de lui, remontant à son plus lointain passé. Un père aimant et joyeux, à la voix calme et aimable. Une mère douce et attentionnée, toujours à l’écoute. Et puis d’autres personnages plus ou moins distants, les uns rassurants, les autres inquiétants. L’image de la mère se fond dans la nuit, sans laisser de trace. Son père se renferme, son faciès austère cache quelque flamme interne d’une terrifiante rage. Il y a le feu, la glace, le vent, la mer, des carcasses de vaisseaux fumants, épaves dérivants sur les eaux couvertes par les glaciers du nord. Un oncle et sa femme, un cousin qu’il aimait comme un frère. Et puis un personnage étranger, un vieux voyageur aux yeux rendus à moitié aveugles par les reflets du soleil sur les plaines couvertes de neiges. Il porte une longue épée au côté, et apparaît de temps à autre, comme une résurgence dans sa mémoire d’un passé oublié.

La lumière du jour revient par vagues progressives, chassant les vestiges de ses visions, comme un cavalier traque le sanglier dans les forêts. L’avancée de la réalité prend le pas sur les ombres d’autrefois, et ses yeux mettent à nouveau plusieurs longues minutes avant de reconnaître le paysage.

Une vaste plaine s’étend autour de lui, baignée d’une lumière orangée, dorée. Le soleil empourpré par le soir descend à l’horizon, embrasant le ciel épuré, dont l’ocre parfait se transforme en une cape d’un violet de plus en plus intense. Les pics rocheux de l’est semblent vouloir recouvrir le pays de la nuit, et les ténèbres descendent leurs flancs comme un cheval au grand galop.

Le Voyageur Anonyme est monté sur le lézard, qui court dans les hautes herbes. La gueule entrouverte flétrissant les brindilles, il se fraie un passage à fond de train, déplaçant ses quatre membres robustes dans une reptation effrénée. Assis sur son dos, son long manteau de noirceur rabattu sur lui, le Voyageur tient fermement les rênes, à moitié couché sur son destrier nerveux.

Un petit village se tient au sud, au pied d’une petite colline couronnée d’arbrisseaux. Il compte plusieurs poignées de masures, dont les fenêtres laissent filtrer un peu de la chaleur intérieure. Pas un bruit ne vient troubler le calme de la prairie.

Il sent que l’Autre est toujours là, à la surface de son esprit, surnageant au-dessus de ses propres pensées. Il décide alors de se taire, et d’observer. Car par-delà les échos de la voix de l’Autre, il perçoit l’influence d’Elle. Et il n’est rien qu’il ne redoute plus qu’une autre confrontation avec Elle.

Il s’approche du village, retenant par le mors son destrier. Avisant un éboulement de pierre en forme de demi-cercle, il décide de l’y laisser. La salamandre géante, sitôt libérée de son cavalier, fait mine de s’éloigner. Une injonction impérieuse d’Elle ramène la créature à ses pieds. Quelques mots de commandement suffisent à saper toute velléité de fuite, et le lézard cracheur de feu, tapi au pied de son maître, reste docile. Le plantant là dans la poussière, le Voyageur se remet en route à pied. Il passe entre deux grands blocs de pierre explosés, et chemine le long d’une large route, où de grandes dalles de pierre usées affleurent entre les touffes d’herbe. La voie mène jusqu’au hameau, à travers une bande de terre où d’antiques ruines laissent encore dépasser quelques moellons au-dessus de la tourbe. Quand il entre dans la bourgade, il constate que les rues sont désertes. Pas un cri, pas une voix ne sort des volets claquemurés. Tout semble dans l’attente. Ramassant les volutes de son manteau immatériel, il se dirige vers la plus grande bâtisse, une bicoque de torchis au toit de chaume sèche. Quelques coups portés sur la porte tirent les habitants de leur mutisme apparent. Le battant grince de dépit, laissant se déverser un carré de lumière crue dans la ruelle. Un homme vêtu d’un sarrau rapiécé regarde le voyageur avec méfiance. Derrière le portier, deux autres paysans ont saisi leurs fourches. Il lève sa main osseuse en signe d’apaisement, et déclare de sa voix sifflante :

« -Pas de violence, nobles seigneurs, je cherche refuge pour la nuit.

-M’étonnerait, crache le portier. Ce n’est pas les abris qui manquent par ici.

-Je cherche aussi une compagnie, pour parler de choses et d’autres.

-On n’est pas bavard dans le coin.

-Néanmoins, vous écouterez mes questions. »

Sans attendre la réponse, le Voyageur passe dans la pièce, frôlant au passage le serviteur. Ce dernier réprima un frisson d’horreur à ce contact glacé. Puis sans qu’un ordre lui ait été donné, il referma la porte.

Il se trouvait dans cette pièce une longue table en bois où reposaient divers ustensiles et des bols remplis d’un brouet fumant. Les deux vilains tenaient toujours leurs bâtons fourchus, prêts à bondir. Le voyageur tourna ses yeux pour observer les autres convives. Il y avait deux femmes vêtues de haillons gris, d’un certain âge, qui le regardaient par en dessous sans mot dire. Une matriarche, prostrée sur un tabouret, au coin de la cheminée, écoutait les tisons craquer dans la cheminée. Elle n’avait pas même tourné la tête.

Le Voyageur marcha jusqu’à elle et l’Autre commença de but en blanc :

« -En ces lieux se tenait jadis une ville florissante. »

C’était plus une affirmation qu’une question. La vieille hocha de la tête longuement avant de confirmer en chevrotant :

« -Oui, une cité ancienne, fondée par des elfes autrefois.

-Par des slaqhors, il me semble.

-C’est fort possible, admit la vieille.

-Certain. Je suis envoyé par eux.

-J’ai peine à le croire. Mais il y a un moyen de le savoir. Ma mère m’a formé, tout comme sa mère l’avait entraînée, et ainsi de suite jusqu’à des âges lointains. Si tu es un slaqhor, je reconnaîtrai ton âme. Mais gare à toi si tu m’as menti. »

L’Autre ne répondit pas, il laissa la vieillarde plonger ses yeux mornes dans les siens ; de longues secondes s’égrenèrent, durant lesquels elle sonda son esprit, observant les Vents avec attention. Le Voyageur n’avait qu’une peur, s’était d’être à nouveau découvert dans les replis de la conscience de l’Autre. Mais il ne risquait rien, car elle cherchait la résonance d’un elfe, ce qu’elle trouva. Car Elle se montra à l’aïeule au grand jour, et la vieille humaine vacilla sur son tabouret. Ses lèvres fissurées laissèrent échapper dans un cri :

« -Tu n’es pas un elfe noir, mais je le vois en toi !

-Es-tu satisfaite ? » conclut l’Autre, sur un ton exacerbé. Il souffrait d’avoir révélé son état d’esclave, ç une mortelle de surcroît. Celle-ci croisa ses bras ridés sur ses genoux calleux, frissonnant encore après cette rencontre psychique. D’une voix enrouée, elle déclara :

« -Tu peux poser tes questions, Messager. »

L’Autre hocha de la tête, et s’accroupit au coin du feu, étalant son long manteau de nuit sur la pierre chaude. Sa voix glaciale résonna dans toute la pièce :

« -Mon Maître m’a envoyé ici, parce qu’il sait que vous pouvez l’aider. Il recherche un objet rare et précieux. Jadis, un seigneur nain est venu ici, et y a connu la mort.

-C’est une longue histoire, plusieurs fois centenaire. Que recherche ton maître ?

-Vous vous en rappelez ?

-Les vieux du village en perpétuent l’histoire. Ce nain a été abattu avec son escorte et les siens. Il voulait installer ici un comptoir pour les Monts de Mort. Nous avions refusé. Que cherche ton maître ?

-Savez-vous où ils ont été enterrés ?

-Dans le ventre de la colline. Quel secret veux-tu révéler ?

-Cela ne vous regarde pas ! » cria Elle, usant de toute sa supériorité spirituelle.

La vieillarde se tut aussitôt, encaissant la vague d’énergie. Les trois hommes reculèrent d’un pas en serrant les dents, et les deux femmes gémirent, les mains sur les oreilles. L’Autre attendit que l’emprise d’Elle retombe pour reprendre la parole :

« -Conduisez-moi à eux. »

L’aïeule acquiesça et fit signe aux deux femmes de l’aider à se lever. Elles la soulevèrent, lui donnèrent une longue cane sculptée d’arabesques, puis ordonnèrent au portier d’ouvrir l’huis. A nouveau, la lumière filtra dans la rue. Cette fois, elle balaya de nombreux visages fermés. Les villageois étaient rassemblés devant la maison, tenant chacun une torche à la main. La plupart avaient des gourdins, des couteaux, certains des haches ou des marteaux. La matriarche sortit en premier en clopinant, lançant d’une voix grave :

« -L’étranger est un envoyé des Maîtres, laissez-le en paix. »

Les paysans murmurèrent entre eux, reculant tous d’un pas ; certains serrèrent leurs armes, chuchotant entre eux. C’était de la sorcellerie. Un être néfaste, qu’il fallait chasser. Le Voyageur coupa court à toutes les protestations quand il sortit à la suite des trois femmes. Son aura les plongea dans un silence craintif, et tous retournèrent à leurs affaires. La vieille duègne se tourna vers son fils et son petit-fils en disant :

« -Restez ici, je vais le mener jusqu’au caveau. Mieux vaut pour vous que vous restiez là. »

Elle se mit donc en route, soutenue par sa fille et sa bru. La nuit était tout à fait tombée quand ils arrivèrent à mi-pente de la colline. Le vent soufflait entre les branches lourdes des arbres fruitiers, balançant les ramures. La plus jeune des trois femmes produisit une petite baguette de bois noir, dont l’une des extrémités était ornée d’une perle blanche, encerclée de fer. La perle se mit à briller d’une lumière d’un vert maladif, lançant des vagues d’une lueur glauque sur la scène. Un fronton de pierre était incrusté dans la terre, encadrant une dalle de pierre grise. La matriarche effleura le bloc central en marmonnant des incantations malveillantes. Il y eut un bruit sourd, comme si le sol tremblait de peur. Le bloc avait disparu, laissant la voie libre. La plus jeune des deux acolytes passa en premier, pusi venait le voyageur avec la vieillarde. La dernière femme fermait la marche, jetant de temps à autre un regard par-dessus son épaule. Le couloir s’étirait sur une centaine de mètres, descendant peu à peu dans la pierre. Une volée de marche menait jusqu’à une vaste salle silencieuse. Quatre piliers monolithiques soutenaient le plafond. La vieillarde s’appuya sur le plus proche, expliquant aux Voyageur :

« -D’autres nains sont venus peu après, pour enterrer leurs morts. Nous les avons laissés faire. Un elfe noir était là, dans le village. Il nous avait demandé de les laisser travailler comme ils l’entendaient.

-Vous avez bien fait, assura l’Autre. Vous avez toujours honoré votre vassalité.

-Toujours » répéta la vieille avec fierté.

Le Voyageur examina les colonnes, qui étaient recouvertes de runes ; la plupart étaient à moitié effacées. Il se tourna donc vers les murs. C’étaient des alcôves bouchées par des briques, sur lesquelles étaient inscrites les noms des morts enterrés. La plupart étaient sans intérêt. En lisant les patronymes, il sentit comme l’écho des âmes endormies se réverbérer dans son esprit. Les trois femmes restèrent à l’entrée du caveau, le regardant faire.

Il se tourna alors vers le fond de la salle poussiéreuse. Il y avait un sarcophage de marbre, couvert de mousse verte. Glissant jusque devant lui, il gratta la surface, observant les inscriptions. Il avait trouvé ce qu’il cherchait : la dernière demeure de Furik Altiforge, capitaine de Soumont, qui avait, sa vie durant, marché dans les pas des Quatre Orfèvres.

PS : allez voir sur le lien plus haut dans ce sujet, sur mon groupe perso hotmail, j'ai posté des règles de wargame et déjà deux codex pour jouer des armées dans mon univers. J'ai déjà testé les règles dans plusieurs parties ; les points ne sont peut-être pas très équilibrés, mais c'est sympa. Allez, la suite bientôt !

Modifié par Shas'o Benoît
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et venait, lapant le liquide translucide, pour l’engloutir dans ses entrailles ;

Tiens, c'est une remarque que je fais car on me l'a aussi fait remarquer. Moi, c'était le fait que certains de mes passages étaient inutiles :wink: Bon toi, tu as de la chance, c'est juste certaine partie de ta phrase. A vouloir trop décrire, tu en fais trop justement... Du style là, la fin de la phrase est pas nécéssaire (après translucide)

Maintenant, au niveau de cette partie même, si tu voulais nous perdre... tu pourrais pas mieux t'y prendre ! Par contre petit problème pour moi, il faudrait clarifier le passage où on doit apprendre à differencier l'Autre et Elle. Parce qu'avec les hallucinations toutes proches, j'avoue que c'est pas super bien démarqué ! A part ça, c'est parfait !! :ph34r:

@+

-= Inxi =-

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C'est vrai que ce passage est un peu confus. Je vais voir si je peux pas rendre cela un peu plus explicite. Ok pour le passage inutile, je le supprime. Et une petite suite :

Pendant que ses doigts arrachaient les touffes de racines vertes encastrées dans la pierre, ses yeux allaient d’un mur à l’autre, observant le reste de la crypte. Un murmure montait des caveaux, une sourde protestation. Enfin la dalle était nettoyée, débarrassée des plantes parasites. Il pouvait encore voir les marques appliquées dans le granit, formant de grossiers glyphes nains. Les ouvriers n’avaient eu que peu de temps pour achever le sépulcre. Il se concentra, rassemblant ses souvenirs, pour essayer d’interpréter les symboles rustiques. Il n’avait jamais appris la langue des nains, et encore moins leur alphabet. Mais il espérait percer leurs secrets par l’observation l’analyse. Les formes mêmes des lettres reflétaient leur signigfication : il suffisait d’avoir assez d’acuité pour les lire. L’Autre s’effaça alors devant la conscience d’Elle ; cette dernière s’attela à la tâche de décryptage, plongée dans sa contemplation de l’épitaphe.

Les trois paysannes reculèrent dans l’ombre du linteau de la porte, effrayées par la bouffée de terreur qui avait accompagné la venue d’Elle ; la troisième conscience du visiteur était volontaire, dominatrice, imposante. Elle s’établit avec vigueur, brisant presque toute trace des deux précédentes : le Voyageur Anonyme et l’Autre, relégués au rang de poussières, se taisaient. En revanche, des chuchotis montaient de chaque parcelle de roche taillée. Les voix protestaient, montaient, grondaient, serpentant autour des colonnes pour se rejoindre au plafond, dans une bouffée de cris stridulants. La vieille effrayée se précipita dans le tunnel, suivie par ses deux assistantes. Il resta seul, debout devant le tombeau, soumis tout entier à la volonté de Celle qui le dirigeait. Le Voyageur Anonyme, et même l’autre, tentèrent de protester. La tourmente des cris montait, inéluctable, et menaçait de balayer leurs âmes. Mais Elle n’en avait cure : si près du but, elle ne voulait pas renoncer.

Les protestations des ombres s’accrurent jusqu’à emplir toute la salle de leurs voix silencieuses. L’air semblait dilaté, encombré d’étincelles diaphanes. Ses yeux défilaient le long des inscriptions, appréhendant leur signification. Tout autour de lui, les brumes s’assemblaient, formant un brouillard opaque. Quelque part, un esprit s’était réveillé ; Elle se tourna aussitôt dans sa direction, braquant toute son attention sur lui. Il rassemblait ses forces pour le combat. Il présentait un aspect usé, fatigué, épuisé par une longue vie d’errance, et pourtant une détermination remarquable. Sa présence dans les vents de magie révéla aussitôt son nom : c’était Furik Altiforge en personne. Elle sourit, comprenant qu’elle touchait au but. Sans même ouvrir la bouche, elle déchargea une première vague d’énergie mentale.

Furik l’encaissa sans afficher la moindre fatigue. Il se tenait maintenant devant son tombeau, fantôme de fumée blanche. Nul ne pouvait le voir, mais les trois conscience surent qu’il était là, debout, prêt à défendre sa dernière demeure ; Elle ricanait, sachant que son premier assaut, destiné à éprouver la résistance du nain, avait déjà entamé ses défenses psychiques. Lançant un nouveau coup, dix fois plus puissant que le précédent, elle escomptait bien balayer ses barrières. Le nain laissa l’onde psychique le traverser, détruire le peu de souvenirs qui lui restaient de sa vie, et riposta en propulsant un trait mental. Le projectile impalpable souffla sur les murs de l’Esprit d’Elle, sans grand dommage, mais les perturbations crépitant à la surface de sa conscience lui rappelèrent l’Autre, et lui révélèrent le Voyageur Anonyme, replié dans un coin de son propre esprit.

« -Voilà qui est curieux, railla Furik. De plus, tu es libre de me porter un nouveau coup : le prochain choc détruira les derniers vestiges de ma vie, et tu auras perdu ce que tu voulais savoir.

-Je trouverai un moyen de te faire parler, spectre nain, riposta t-Elle avec assurance. Je connais des moyens insidieux et efficaces, pour pénétrer au cœur des âmes. D’ici peu, tu m’aurais dit tout ce que tu savais. Mais avant, je vais me débarrasser de cet intrus. Je ne tiens pas à partager tes révélations avec qui que ce soit. »

Le phare de sa conscience se braqua sur le Voyageur Anonyme, qui s’écrasa sous le feu de la densité spirituelle de son ennemie. Révélant toute sa puissance mentale, elle diffusa son impact psychique dans les moindres recoins de son être.

Un choc insoutenable, comme un coup de tonnerre, un ouragan, un tourbillon intérieur, puis une chute vertigineuse dans un abîme sans fond. Des flaques de couleurs de plus en plus vives, défilant à un rythme hallucinant devant ses yeux aveuglés. Il perd ses marques au réel, sombre dans une demi matérialité, se sépare de son corps dans son effondrement. Des élancements violents frappent tour à tour sa conscience, rappelant sa mémoire, son passé, sa vie. L’afflux d’émotions devient si fort qu’il se perd à nouveau dans la nuit du sommeil.

La chaleur sur sa peau. Les rayons du soleil caressent son visage, réveillant peu à peu ses muscles engourdis. Des odeurs piquantes, fumantes, montent à ses narines. Plusieurs trilles de chants d’oiseau résonnent à ses oreilles. Il distinguent plusieurs bruits de pas, des voix, des discussions. Grâce à un effort insurmontable, il décille ses paupières, accueille la lumière crue du jour, bien plus vive que les pâles reflets qui lui parvenaient dans sa semi conscience. Le visage de Tarefin apparaît dans son champ de vision. Avant qu’il ait pu parler, le musicien s’exclame :

« -Ola, compagnons, Lamenoire est revenu parmi les vivants ! »

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riposta t-Elle avec assurance

Comme 'Elle' est devenu un nom propre, il faudrait enlever le 't' avant ^^

Il distinguent plusieurs bruits de pas, des voix, des discussions

'nt' ?

Ok pour le passage inutile, je le supprime.

C'est pas ce que je voulais dire :D ( Bien que dans le fond, si :P ) C'était pour dire qu'à certains moments des descriptions, on dirait que tu rajoutes des passages juste pour faire plus long. Comme si tu avais des quotas de lignes à faire et qu'il fallait qu'ils soient comblés ( comme moi en francais :P :P ) Il faut décrire, ni trop, ni peu, pile poil et en général c'est ce que tu fais, alors ne t'inquiete pas trop :)

Sinon pour le fond, je suis content qu'il soit revenu parmi les vivants, quand c'est trop psychologique, j'en ai presque mal pour le héros. On va quand meme voir s'il en garde des sequelles :)

@+

-= Inxi =-

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Beeen... j'ai rien comrpis...

je pense que c'était voulu, ma bon...

mais bon, ca ne fait que d'ouvrir des tas de nouvelles possibilités :) .

Mais une seule question, Altiforge, il avait déjà fait quoi? il avait forgé le Donomar, c'est ca?

@+

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A Inxi :

Je corrige les fautes.

ben si le passage est inutile, je le supprime. Je n'ai pas de quotas à respecter (heureusement :P ) tu as raison, je vais tâcher de faire attention. M'enfin, si cela ne revient pas trop souvent, tant mieux ça m'évite du boulot... :) Pas encore le temps de tout revoir ligne par ligne. :D

Sinon c'est sûr que cette dernière expérience aura été traumatisante. La suite bientôt j'espère.

A Inxi(-Huinzi) :

Je corrige les fautes.

ben si le passage est inutile, je le supprime. Je n'ai pas de quotas à respecter (heureusement :P ) tu as raison, je vais tâcher de faire attention. M'enfin, si cela ne revient pas trop souvent, tant mieux ça m'évite du boulot... :) Pas encore le temps de tout revoir ligne par ligne. :P

Sinon c'est sûr que cette dernière expérience aura été traumatisante.

A the Rabbit :

Allez t'as quand même compris une ou deux choses non ? :crying:

Mouarf, c'est vrai que y'a beaucoup de personnages, et c'est difficile même pour moi de tout suivre depuis le début ( personnellement, y'a pas mal de types du début que j'ai totalement oubliés... heureusement ils sont morts :ermm::lol: )

Petit topo : Ce sont Sirîn ( le nain ), Kranit ( l'elfe des montagnes ou "unadmhor" ), l Peau-pierreuse ( la femme de pierre ) et Joyau-du-ciel ( un haut elfe ou "dimhor" ) qui forgèrent le donomâr.

Ratirk Altiforge est le capitaine nain qui a accompagné Lamenoire jusqu'à Malidan. Il avait passé sa vie à rechercher des informations sur le donomâr.

De Furik Altiforge, je n'ai encore rien dit. Mais son patronyme et le court passage précédent en disent long...

Voilà la suite :

Il était étendu sur un travois, à l’ombre d’un auvent confectionné à l’aide de quelques perches et de toile rapiécée. Un groupe d’hommes s’approcha, dans la clarté du jour. Il parvint bientôt à attribuer des noms à leurs visages : il y avait Telic, Jilguaen, Marsen. Tournant la tête, le rôdeur reconnut le ménestrel et l’homme-chat qui l’observaient en cachant à peine leur joie. Jilguaen s’assit sous l’auvent, il portait un bol fumant d’où s’échappait une odeur épicée :

« -Un peu de potage, Lamenoire. Avec des herbes que Mylnar a ramenées de ses vagabondages le long du fleuve. Il dit que cela vous remettra d’aplomb.

-Il n’y a pas de raison de ne pas lui faire confiance » murmura Lamenoire en se redressant. Une douleur violente explosa dans son crâne, et portant la main à sa tempe, il retrouva le sillon qui zèbrait son front. D’autres élancements remontaient le long de ses côtes et de ses bras. C’est à peine s’il pouvait rester assis. Marsen hocha de la tête :

« -De profondes blessures que vous avez là, vous avez de la chance d’être encore en vie.

-On dirait, admit le rôdeur, en plongeant une cuillère en bois dans la soupe.

-Vous vous êtes battu avec courage, commença Telic. Dommage que cela ait fini comme cela.

-Quel a été le dénouement ? demanda t-il.

-Ah, vous ne pouvez pas vous en souvenir. Mais Tarefin a pensé à vous.

-Oui, renchérit le troubadour, j’ai composé une chanson sur cet épique affrontement, à partir de mes souvenirs et bientôt, du témoignage de messire Krigor.

LA BATAILLE DU DEFILE

Depuis des jours les pèlerins

Cheminaient l’esprit plein d’entrain

Malgré le futur incertain,

Et les guerres courant sans frein :

Car de nombreuses aventures

Leur avaient mené la vie dure,

Mais jours de gloire au ciel d’azur

N’adoucirent point leurs brûlures :

Des pillards à l’âme endormie,

Des maraudeurs au cœur démis,

Des races du bien ennemies,

Maintes fois leur âme a frémi.

De grands éclairs zébraient le ciel,

Et la pluie tombait de plus belle,

Quand l’espoir connut son naufrage,

Secoué par des cris sauvages :

Adonc voilà qu’au défilé,

Elle se trouve interpellée,

A l’aube la troupe gelée,

Au creux d’une étroite vallée.

Epuisés par un long chemin,

Ils croyaient, ces pauvres humains,

Pouvoir dormir cœur sur la main,

Et repartir le lendemain.

Mais le sort y était contraire,

Et par sa volonté de fer,

Des hommes-taureaux sanguinaires

Entourent le camp pour la guerre.

De grands éclairs zébraient le ciel,

Et la pluie tombait de plus belle,

Quand l’espoir partit en débâcle

Devant cet horrible spectacle :

Des centaines de combattants

Se massaient sous le vent battant ;

Ils chantaient, dansaient, très contents

De massacrer les pénitents.

Ils allaient prendre un lourd tribut,

Toute leur patience était bue,

Lançant les rangs de leur tribu,

Ils chargèrent sans autre but

Que de faire tomber des vies :

Voilà donc quelle était l’envie

De ce peuple au mal asservi :

Seul un flot de sang le ravit.

De grands éclairs zébraient le ciel,

Et la pluie tombait de plus belle,

Quand l’espoir comme un vent s’enfuit

Sans faire de bruit dans la nuit :

La bataille se déchaîna,

Le chaman taureau marmonna,

Rassembla toute sa mana,

A flots coula le sang grenat.

A la lueur du noir tonnerre,

Sous un vrai déluge d’enfer

De pluies et de flèches de fer,

Les boucliers vibraient dans l’air

Sous les coups des épées amères ;

Chacun trouva son adversaire

Dans le cortège de la guerre,

La survie est la seule affaire.

Déjà la bataille commence

Dans une explosion de violence :

Dard, épée, pique, hache, lance,

Se mêlent dans la folle danse

De grands éclairs zébraient le ciel,

Et la pluie tombait de plus belle,

Quand l’espoir hélas était mort,

Occis par la loi du plus fort :

Au cœur du combat meurtrier

Vient Lamenoire Gandacier,

Tel un illustre chevalier,

Sa lame ne fait pas quartier :

Il a repéré le sorcier

Des taureaux, le front émacié,

Qui du grand monde nourricier

Puisait de quoi nous envoûter.

D’estoc et de taille, et du fer,

Il trouve un chemin sanguinaire

Par-delà la mort et la pierre,

Droit vers le sorcier mercenaire.

De grands éclairs zébraient le ciel,

Et la pluie tombait de plus belle,

Quand l’espoir partit en débâcle

Devant cet horrible spectacle :

Ils se toisent quelques instants,

Chacun mesurant les talents

De son ennemi patientant,

Puis s’avancent car il est temps…

Le ballet des armes violentes

S’éternise dans la tourmente,

Jusqu’à ce que les plaies béantes

Ecrasent une âme géante :

Une lutte jusqu’à la mort

Où le bien renverse le fort ;

Alors le rôdeur sans remords

A renversé le chaman tors.

Les grands éclairs délaissaient le ciel,

Et la pluie quittait les mortels,

Quand l’espoir à nouveau revint

Dans les rescapés du ravin.

Une poignée de vaillants cœurs

Viennent à ces lieux de douleur :

Krigor et quelques serviteurs

Soulèvent le corps du vainqueur.

Du glaive et de l’épée sanglante

Voilà qu’ils descendent la pente,

Tuant les taureaux en attente,

Les bêtes encor’ combattantes ;

Ainsi s’achève la bataille,

Les survivants quittent la faille ;

Suivant leur sort vaille que vaille,

La mort fut-elle en fiançailles…

-Après ta victoire, le chaman t’as envoûté d’une manière ou d’une autre, conclut Tarefin. J’en suis resté là pour l’instant. Mais d’autres pourront te narrer plus avant le dénouement. Messire Krigor, par exemple. »

Lamenoire tourna la tête vers le chef des lépreux, qui restait assis sur une souche, à l’écart. Il acquiesça, comme à regret, et poursuivit le récit, sa prose austère succédant aux vers dansants du poète :

- Dès que je te vis tomber à terre, je compris qu’il s’était passé quelque chose d’anormal. Tu tenais ton adversaire à ta merci, il fallait qu’un maléfice te soit échu pour que tu sois terrassé de la sorte. Invectivant mes braves, j’en décidai d’autorité une poignée à me suivre. Tandis que le gros de notre troupe poursuivait en criant les hommes-taureaux qui fuyaient en désordre à la vue de leur chef renversé, je menai le petit détachement le long des escarpements ; bien peu de taurons nous barrèrent la route, et seuls quatre bucéphales s’interposèrent au sommet de la falaise. Après les avoir étendus raides, je me suis penché sur ton corps sans vie. Interpellant deux de mes camarades, je leur demandai de te porter à l’abri. Sous notre protection, ils te portèrent sur leurs épaules. Tu tenais encore ton sabre avec fermeté, et tes mâchoires étaient serrées. Malgré le terrain en pente, nous arrivâmes bientôt à l’extrémité de l’éboulis, où la troupe nous attendait. Telic ordonna aussitôt que l’on reprenne la marche, pour mettre le plus de distance entre nous et les restes épars de la horde. C’était il y a trois nuits, et nous désespérions que tu te réveilles.

-En définitive, nous ne savons toujours pas quel mal étrange t’as frappé, remarqua Telic.

-C’était un sortilège, manigancé par leur meneur, affirma Lamenoire. Mais ses effets ont troublé mes sens. Comme si je quittais la réalité pour en voir une tout autre. Ce monde me semblait familier, proche, pour ainsi dire. Et pourtant il n’évoquait rien en moi. Dans mes souvenirs, en tout cas.

-Qu’as-tu vu ? demanda Mylnar.

-Je n’en sais trop rien, alors je préfère n’en souffler mot, tant que je n’aurai pas compris moi-même. Et le reste de la compagnie ? Ils vont bien ?

-Nous avons des morts à déplorer, mais point trop de pertes en vies. Nous avons dû abandonner presque tout notre matériel dans le ravin, l’informa le chef de l’expédition. Il nous faudra aller plus lentement désormais, car nous n’avons plus de charrettes à bras. J’ai fait presser le pas au début, mais nous nous sommes arrêtés ici hier soir. Les taurocéphales sont trop loin à l’heure qu’il est pour représenter une menace, aussi faisons-nous une halte ; nous en profitons pour essayer de nous ravitailler. Il nous reste quelques brancards de fortune et des réserves en eau et en vivres pour un ou deux jours seulement, et en se rationnant. Les volontaires que vous épaulaient on organisé des groupes de chasseurs et de pêcheurs.

-J’aimerais superviser tout cela moi-même » dit Lamenoire, en faisant mine de se lever. La douleur l’empêcha de prendre pied et il retomba bientôt, épuisé. Tarefin branla du chef :

« -Vous avez d’autres impératifs en ce moment, messire.

-D’autant plus qu’il serait délicat que vous reveniez ainsi parmi nous… ajouta Telic.

-Comment cela ? s’étonna le rôdeur.

-Vous l’avez entendu aussi bien que moi, messire. Vous avez été touché par des lépreux ; vous ne pouvez plus déambuler dans le camp, à moins que ce ne soit dans le camp des ladres. Nous reconnaissons vos mérites, dit-il encore après un temps mort. Nous ne sommes pas des ingrats, et nous vous sommes gré de vos conseils et de votre bonne volonté. Cependant la prudence nous demande de nous défier de vous, le temps que l’on soit fixé à votre sujet. Vous pouvez le comprendre ? »

Lamenoire approuva d’un signe de tête résigné. Il ferma les yeux, se demandant ce que Telic dirait si jamais il parvenait à se lever et à le contaminer d’un coup de poing… Mais il s’abstint de tout commentaire. Le chef des pèlerins croisa ses bras dans son dos et annonça :

« -Messire Gandacier, je vous prierai de ne plus vous joindre à notre compagnie, pendant encore trente-sept jours. D’ici cette quarantaine, nous saurons quel sera votre sort. Soyez assuré de notre respect et de notre amitié, quoi qu’il advienne.

-Nous ne sommes pas encore au croisement de nos routes, hasarda le rôdeur. Je devais rester avec vous jusqu’au coude du Fleuve Vert, là où un guet le traverse, et de là reprendre ma route vers le sud. Comment saurais-je retrouver l’endroit sans votre aide ?

-Rien ne vous oblige à nous quitter à l’instant. Vous pourrez nous suivre à distance… Respectueuse. Vous ne devez pas forcément rejoindre les lépreux non plus, puisque votre cas n’est pas certain. Restez à l’écart.

-A l’écart ?

-Oui, c’est tout. On vous apportera à boire et à manger.

-Qui cela ?

-Moi, affirma Mylnar. Je n’ai pas peur de t’approcher. Tu m’as sauvé la vie. Je t’en serai reconnaissant pour de nombreuses lunes, jusqu’à pouvoir te rendre la pareille. »

Telic approuva cette suggestion, puis il tourna le dos et s’en fut. Marsen lui emboîta le pas après avoir exécuté un salut respectueux. Jilguaen resta un instant, son regard allant de Krigor à Lamenoire. Il paraissait indécis, incrédule. Réprimant un soupir, il tourna les talons et sortit du champ de vision du rôdeur. Mylnar s’installa en boule à côté de l’entrée de la petite tente de fortune, les yeux mi-clos. Sa respiration était lente, d’un calme inébranlable. Chacune de ses inspirations soulevait sa fourrure rase sur sa peau maigre, révélant de profondes cicatrices. Après une vie de galérien et les derniers événements, il appréciait dans toute leur mesure ces quelques heures de repos. Krigor de Keloney, ramassant son heaume cabossé, le cala sous son bras gauche ; les plis de sa vieille cape déchiquetée flottaient autour de lui comme un halo. S’inclinant avec condescendance, il déclara :

« -Heureux d’avoir pu vous être utile, messire Gandacier.

-Merci à vous, murmura le rôdeur, essayant de s’incliner aussi. Vous avez sauvé ma vie.

-C’était tout naturel. J’espère seulement que cela ne la gâchera pas. »

Sur ce, il salua Mylnar d’une main voilée, dans un gant de cuir cachant ses plaques noires, et sortit au grand jour.

Plusieurs journées passèrent sans que la troupe ne se remette vraiment en marche. Par petites étapes de quelques heures, elle poursuivit sa lente avancée vers le midi. Les berges du fleuve devenaient plus douces, bien que le cours restât toujours aussi violent. L’eau tumultueuse se précipitait entre les bandes de sable rocailleux, avec une impétuosité renforcée par les torrents des montagnes. Ces dernières, hautaines, lointaines, brillaient au sud-est, couronnées de neiges éternelles. Elles semblaient plus proches désormais, séparées des voyageurs par une large plaine où n’apparaissaient que quelques collines plates, surmontées de petits bosquets de résineux ; après la terrible tempête, le ciel épuré était calmé pour un temps, un vrai disque d’un bleu uni reflétant la mer d’herbe verte et jaunie.

La chaleur était de nouveau omniprésente ; succédant au déluge, la canicule reprenait ses droits, buvait l’humidité du sol, s’établissait sans partage, véritable reine du pays. Le vent s’était épuisé à souffler, désormais un calme plat stagnait le long du Fleuve Vert, dont les buissons de joncs ondulaient continuellement. Le gibier se faisait un peu moins rare. Quelques poissons d’eau vive se coulaient entre les bandes de roseaux endurcis par la sécheresse. De nombreuses couleuvres se doraient au soleil, étalées de tout leur long sur les pierres ; des anguilles de rivière, certaines atteignant plusieurs mètres de long, se prélassaient entre deux eaux, remuant le limon plein de gravier pour déterrer vers et menu fretin. Des lézards colorés, à l’échine décorée de crêtes osseuses aux couleurs chatoyantes, dormaient yeux mi-clos au bord du cours tempétueux. De temps à autre, quelques oiseaux aux longues plumes rouges et bleues passaient dans le ciel, allant d’une forêt à l’autre, véritables oasis de vie dans le désert de verdure desséchée, déjà exsangue de toute rosée.

A intervalles plus ou moins réguliers, de plus hautes dunes s’élevaient au bord du Fleuve Vert, comme des gardiens contemplant son long court ombrageux. C’étaient les seuls détails sur lesquels l’œil pouvait vraiment s’arrêter, brisant la monotonie du paysage désolé.

Lamenoire, dans une certaine mesure, appréciait cet endroit. Dans son immensité silencieuse, son calme infini, il lui rappelait singulièrement son pays natal, les Landes Ténébreuses. On y retrouvait la même sérénité sauvage, le même désert naturel, le monde brut et indompté dans sa plus pure liberté, donnant tour à tour libre court à sa fougue et à sa paix. Ici, c’était le miroir exact de sa patrie, un miroir inversé : la pluie et la chaleur remplaçaient la neige et le froid. Mais les Landes Ténébreuses n’étaient plus cet asile de nature vierge qu’elles avaient été autrefois. Depuis que Nommiard avait déchaîné sa colère, sur le royaume d’Oubli d’abord, puis sur le Pays du Faucon, l’industrieuse sorcellerie avait renversé l’ordre des choses. La mort avait dépossédé la vie, le mal rongeait le cœur du pays. Ce n’était plus un désert de glace, mais une désolation.

Le rythme modéré des premiers jours de sa convalescence permit au rôdeur de suivre à distance la compagnie. Au bout d’une semaine, il était de nouveau capable de marcher à bon pas, et ses plaies semblaient en bonne voie de guérison. Seule sa blessure au front, profond sillon disparaissant sous sa tignasse couleur corbeau, tardait à se résorber. Mylnar venait au matin, au midi du jour et dans la soirée, rapporter de quoi manger et boire, et ausculter le rôdeur. Celui-ci n’avait pas vraiment besoin d’un médecin attitré pour étudier ses maux : il savait que sa blessure mettait bien trop de temps à guérir. Que depuis plusieurs jours, elle devait déjà cesser de saigner. Les élancements dans son crâne le reprenaient parfois, et le bandeau qui ceignait son front devait être changé chaque soir, pour laver la meurtrissure. L’homme-chat s’en chargeait. Il avait visiblement plus de compétences en médecine que Gandacier, à qui ytuzîr avait pourtant jadis appris quelques rudiments de pharmacopée. Seulement, marcher suffisait à épuiser l’homme du nord. Son camarade se chargeait donc de courir le pays, aux alentours de la route suivie par les pèlerins. Il ramenait quelques herbes aux vertus médicales inconnues parmi les humains, mais auxquelles il attribuait beaucoup de pouvoirs. Lamenoire, tout en ingurgitant les infusions, ne savait pas si Mylnar les préparaient pour le rassurer, ou s’il croyait vraiment à ses remèdes miracles. D’après ses dires, il ne se souvenait pas lui-même où il avait acquis un tel savoir.

« -Je sais que ça marche, c’est tout » affirma t-il encore et encore.

Les risques d’infection, voire de corruption du sang, n’effrayaient pas plus que cela le rôdeur. La véritable chose qui l’inquiétait, était la lèpre. Car être infecté par quelques maladies n’est rien, comparé à ce fléau. Il savait que la Mort Noire agissait insidieusement, sans se révéler au grand jour, jusqu’à ce qu’il soit trop tard pour l’arrêter. Y avait-il d’ailleurs, dans le monde entier, un remède capable d’enrayer les progrès des disgracieuses taches noires, gagnant peu à peu la surface pour transparaître au grand jour, marques de l’infamie ? Une fois atteint, le lépreux perdait peu à peu ses forces, pour bientôt ne plus rien pouvoir entreprendre. Il déclinait, jusqu’à supplier la mort de le prendre. Si jamais cela lui arrivait, tous ses efforts pour lutter contre le sept fois maudit Nommiard seraient brisés.

De tous les hommes l’accompagnant dans son périple, Gandacier n’en voyait plus guère. Jilguaen ou Marsen passaient parfois à quelques centaines de mètres, sur leurs chevaux, le regard grave, observant l’horizon espacé. Qu’était t-il advenu de Koralvan ? Mylnar lui raconta un soir que, comprenant que son nouveau maître avait été banni de la compagnie, il s’était libéré de son attache, une nuit. Nul ne l’a revu, mais Tarefin supposa qu’il était parti, rongé par la tristesse.

Il y avait Krigor de Keloney, seigneur du Fleuve Bleu, bien sûr. C’était un triste sire, le regard morne, désabusé. Il s’approchait parfois du rôdeur, et s’arrêtait à quelques mètres, pour s’asseoir sur un rocher. Alors, retirant son heaume, il laissait la brise du soir danser dans ses cheveux d’un châtain tirant sur le gris argenté ; posant son couvre-chef à côté de lui, il croisait les bras, ses mains gantées disparaissant dans les replis de son bliaud aux couleurs délavées par les intempéries. Il portait toujours en dessous un long haubert rapiécé, témoignant d’une vie de combat et d’une prudence constante. A son flanc pendait un long fourreau d’où dépassait la garde d’une épée ébréchée, pourtant d’excellente facture. Assis, rompu par la marche et les progrès de sa maladie, il parlait alors avec Lamenoire.

Tous deux conversaient sur divers sujets, trouvant de nombreux points communs à leurs vies respectives. Ils avaient passé la quarantaine. Tous deux avaient longuement combattu, l’un sur terre, l’autre sur mer. Issus de familles respectées dans leur région, ils avaient assumé le rôle de chef lors d’expéditions punitives chez les ennemis de leurs peuples ; puis Krigor avait commencé à accompagner les pèlerins, avec des mercenaires ralliés à sa bannière. Il parla un temps de Malzar, la ville sur le Fleuve Bleu. Lamenoire l’interrogea avidement sur les notables de la cité, et appris bien des choses. Il se rappelait toujours un visage harmonieux qu’il n’avait entrevu que quelques heures, et qu’il garderait gravé dans sa mémoire toute sa vie…

Un soir, Messire Krigor lui raconta un long conte, narrant le voyage de toute une compagnie à travers les terres hostiles du vaste monde. Il était lui-même un des héros de cette histoire. C’était un récit plein de batailles, de marches incessantes, de tempêtes, de pluies, de chasses et de poursuites. Les images successives de villages en feu, de chevaucheurs de vargs en maraude et de géants affamés défilèrent. Le conteur décrivait les faits avec une exactitude, une précision incroyable ; il avait noté le moindre détail de chaque scène, et pourtant son discours était passionant, léger, envolé, lyrique. Il peignait les combats et les voyages en couleurs éclatantes, révélant au grand jour les pensées des personnages.

Il en vint à un épisode malheureux, où sa voix se teinta d’émotion. La compagnie arrivait en vue d’une petite bourgade où le silence de la mort régnait. A quelques centaines de mètres de la cité en ruine, dont les gravats effondrés fumaient de vents noirs et épais, un campement se dressait, orgueilleux, barbare. Les étendards sanglants portaient la marque du redouté chef de guerre Knut-la-Trik. L’effroi s’était vite répandu dans tous les cœurs, et les plus braves murmuraient que l’on devait au plus tôt s’échapper, tant qu’il en était encore temps. Krigor lui-même était de cet avis, pourtant, quelque chose avivait sa curiosité : le silence, la paix infrangibles qui régnaient. Pour avoir observé dans sa vie plusieurs bandes de peaux-vertes, il savait que la concorde et la bonne entente n’était certes pas leur fort. Aux abords d’un camp orque, on ne manquait pas d’entendre cris de joie ou de dépit, disputes et jurons proférés de voix bourrues. Ici, rien de la sorte. Pourtant la horde semblait avoir vaincu le village, et d’ordinaire, si un orque est heureux à un moment ou à un autre, c’est bien lors d’un pillage !

Telic refusait de s’approcher de ces lieux sinistres, pourtant Krigor parvint à décider quelques-uns parmi ses soldats, et le petit groupe s’avança avec moult précautions. Ils passèrent sans encombre les premières arches de pierre brisées, pour découvrir de vastes allées dallées de pierre blanche. Le sol était maculé de poussière, de boue et de corps gisant sans vie, figés dans leur dernière posture. Il s’était déroulé en ces lieux une bataille acharnée, qui avait coûté la vie à tous les défenseurs. Pourtant la ville était encore debout, les bâtiments à moitié brûlés seulement. Le clan orque ne s’était pas adonné à une fouille systématique, de nombreuses façades entières élevaient toujours leurs orgueilleux frontispices. Les portes fermées gardaient leurs secrets, leurs richesses. L’odeur âcre les prenait à la gorge, mais le pire dans tout cela, était que l’effluve nauséeux ne tenait pas tant à la mort, qu’à un horrible vent planant sur les lieux comme une ombre malsaine. Aucun d’entre eux n’avait envie de traîner plus longtemps, aussi s’éloignèrent-ils en toute hâte. Sur le chemin du retour, ils passèrent au bord du camp des peaux-vertes. Il semblait avoir été abandonné avec précipitation, comme si une menace terrible avait chassé les pillards victorieux, juste avant qu’ils ne se jettent sur les trésors de la ville.

Ce n’est que quelques semaines après qu’ils comprirent : les premières marques de la lèpre apparurent sur eux, et bientôt, plus aucun doute ne fut possible. Ils durent alors s’exiler de la compagnie, mais le mal était fait. Bientôt la troupe des lépreux s’agrandit, au fur et à mesure que de nouveaux cas se révélaient au grand jour. Des mesures de confinement implacables protégèrent les autres voyageurs, et c’est ainsi que les pèlerins se retrouvèrent scindés en deux bandes. LA plupart des lépreux faisaient partie des mercenaires de Krigor, d’où l’absence presque totale de guerrier expérimenté à l’arrivée de Lamenoire…

Parmi tous les humains bien portant, il n’y en avait que quelques uns que Lamenoire avait encore l’occasion de voir : en particulier une jeune fille qui, trois fois par jour, accompagnait le groupe de volontaires qui apportaient de quoi manger aux ladres. Ils s’avançaient à distance respectable, déposant miches de pain, quartiers de viande et divers légumes sauvages. Après quoi, ils s’en retournaient tous, excepté elle qui attendait debout, les bras croisés, se mordant les lèvres. Une dizaine de lépreux approchaient alors à leur tour, chassant les quelques corbeaux venus grappiller de quoi se rassasier. Parfois, un lancer de fronde habile frappait à l’aile l’un des freux qui tombait au sol. C’était toujours autant de chair à faire cuire.

Parmi tous les collecteurs qui s’en retournaient, un restait aussi en arrière ; recouvert de tissus crasseux, puisque les lépreux n’avaient pas à se laver dans le fleuve, et le visage caché sous une écharpe d’un blanc cassé, il observait son alter ego, en silence.

Et puis au bout de quelques minutes de face à face, chacun, s’éloignait, le front bas, rejoindre les siens. Lamenoire se décida un jour et s’approcha de l’amas de provisions, suivi par Mylnar. Les lépreux vinrent bientôt, puis s’en retournèrent aussi vite. Il ne restait plus que les deux êtres immobiles, ne paraissant pas avoir aperçu le spectateur. Il fit alors deux pas en avant, et ils tournèrent la tête de son côté. Après l’avoir dévisagé un instant, la demoiselle fit demi-tour et partit d’un pas précipité, cachant son visage dans ses mains. Le ladre s’avança vers le rôdeur, tout en restant à plus d’un mètre. Le souffle chaud de midi soulevait son masque léger, laissant une partie de son visage bruni transparaître. Gandacier le salua alors avec courtoisie, et demanda :

« -A qui ai-je l’honneur, messire ?

-Un quelconque paria, maudit pour sa santé.

-Certes mais cela ne compte pas à mieux.

-Parce que vous serez bientôt comme moi, voilà tout.

-Ce n’est pas certain !

-Et vous l’espérez, n’est-ce pas ? Vous avez raison d’ailleurs. Qui serait assez fou pour accepter une telle condition ?

-Je dois la vie à messire Krigor de Keloney. Je ne pousserai pas l’ingratitude jusqu’à lui reprocher sa grandeur d’âme.

-Je veux bien le croire.

-Le silence ne sert de rien. Vous pouvez me parler.

-Eh bien, soit. Je me nomme Canutt, Canutt Froidemesne. Ce nom vous dit-il quelque chose ?

-Froidemesne… J’ai connu des Froidemesne autrefois."

Rien que ce patronyme ravivaient à sa mémoire brumeuse des bribes de passé, si lointain qu'il semblait séparé de la réalité par dix siècles de poussière. C'était au temps de sa jeunesse, quadn il n'avait encore jamais fait couler le sang.

"-Cela n’a rien d’étonnant, remarqua Canutt. Vous venez des Landes. Je suis issus d’une branche cadette, mais je suppose que mes cousins font toujours partie des sept lignées régnantes ?

-Faisaient partie. Il n’y a plus de règne dans le nord, hormi celui des Ténèbres.

-C’est le bruit qui court. Mais nous nous sommes établis en Sinoplie depuis trois générations, et aucun de nous depuis n’avait entendu un nom connu, jusqu’à ce que vous arriviez.

-Nous aurions dû converser plus tôt.

-Vous auriez accepter de discourir avec moi ? Dans mon état ?

-Que savez-vous exactement de la situation, en notre chère patrie ?

-Des messagers ont dit que Nommiard lançait une grande invasion, déchaînant pour la troisième fois sa puissance. Mais sur les bords du Fleuve Vert, seules des rumeurs ont suivi. On a dit que Malzar et Raturn étaient tombées, que le Grand Maître avait été assassiné. Les seigneurs de la côte ont tenté un débarquement, mais des flottes vikingar les ont repoussé avant même que les côtes des Landes soient en vue. Ce sont les nains de Soumont qui nous ont le mieux renseigné. Ils ont dit qu’au-delà des Monts de Mort, il n’y a plus âme qui vive qui ne soit asservie au Sorcier. Que le peuple des Landes avait été exterminé.

-Pas jusqu’au dernier en tout cas. Certains ont pu s’échapper vers Blancroc ou les Falaises, bien que les ordres aient été de tenir jusqu’au bout. Mais enfin tous ne sont pas mort, à commencer par moi ; je suis toujours là.

-Vous avez quitté notre pays, vous avez eu raison. Il n’y a plus d’espoir.

-Il en restera toujours quelques bribes, tant que je serais conscient" dit Lamenoire. Croyait t-il vraiment à ce qu'il disait ? Lui-même ressentait le besoin de s'accrocher à quelque chose, pour ne pas sombrer dans l'agonie. Sa quête, aussi insensée soit-elle, lui permettait de survivre, de surmonter la peine qui croissait en lui chaque jour.

"-Que sont devenues les familles régnantes ? s'enquit le jeune homme.

-Les Madrier et les Chassecri ont tous passé l’arme à gauche : de la famille de notre roi des Landes, le sang s’est tari. Les Guibranche étaient déjà tous dans leur tombe avant le siège de Malzar. Gandacier et Ardentcourroux, je suis l’ultime rejeton. Cependant, il est des fils et filles Porteglaive qui survivent, du moins avait t-on encore de leurs nouvelles lors de mon départ. Quant aux Froidemesne, voilà des mois que je n’avais plus entendu prononcer leur nom. »

Après avoir laissé quelques minutes à son interlocuteur, pour qu’il digère toutes ces nouvelles terrifiantes, le rôdeur soupira et demanda :

« -Combien de votre branche sont-ils encore saufs ?

-Une poignée, murmura Canutt. Il doit nous rester un vieil oncle qui est parti pour Soumont. Et puis ma sœur, que vous avez vue tout à l’heure.

-C’était elle…

-Oui, et quand la Mort Noire me prendra, ce sera le point final à notre famille. Elle ne réchappera pas à ce voyage.

-Qu’en savez-vous ?

-Vous êtes aveugle, rôdeur du nord. N’oubliez pas le dernier accrochage avec les taurocéphales. Encore un malheur de ce genre, et je ne donne pas cher de nos vies. Nous ne sommes plus en mesure de survivre au cours d’une seule escarmouche. »

Après la sécheresse renaissante s’instaura le règne sans partage de la chaleur torride de l’été. L’herbe jaunie se flétrissait même sur les berges du Fleuve Vert, dont le cours essoufflé semblait diminuer de jour en jour. Le ciel désespérément bleu refusait aux voyageurs le moindre nuage ombrageux, les condamnant à une marche harassante. Sous un tel soleil de plomb, les pèlerins avançaient lentement, s’arrêtant souvent pour se reposer.

Vers midi, toute marche devenait impossible. Il fallait planter les tentes, les auvents, et attendre que l’astre impitoyable baisse en intensité. A l’ombre étouffante du camp, les blessés et malades supportaient leur souffrance en silence.

Dans les jours qui suivirent, la compagnie fit plusieurs rencontres. Un temps si rigoureux poussait les habitants des plaines vers les points d’eau, dans l’espoir de trouver quelque subsistance. Le gibier disparaissait des bosquets brûlants, les buissons desséchés n’offraient pas la moindre baie. Les poissons, poules d’eau et autres grenouilles avaient progressivement remonté vers le nord, suivant la rivière dans sa fuite vers la mer.

La première bande à arriver de l’ouest était composée d’une dizaine de glores affamés. Les pitoyables créatures courtaudes, vêtues de haillons, armées de pieux et d’épées rouillées, ne tentèrent pas de traverser le lit du fleuve. Ils se rendirent vite compte que la compagnie était trop nombreuse pour eux. Après avoir rempli leurs outres en cuir usé, ils repartirent, le front bas. Bientôt leurs robustes silhouettes disparurent au-delà des dunes sablonneuses.

Le lendemain, la torpeur régnait en maîtresse des lieux. Telic se laissa convaincre par ses compagnons, et les hommes restèrent toute la journée au repos. Dans le ciel, quelques Gyps s’approchaient, planant sans bruit sur les vents chauds. Les flèches sifflèrent, et transpercèrent deux rapaces. Les autres s’écartèrent en croassant.

Il aurait fallu plumer et griller les dépouilles, mais nul n’avait envie d’allumer un feu. On les conserva donc en prévision de jours de plus grande famine. En désespoir de cause, on mangea des racines, ce qu’il restait de viande dans les besaces. En fin d’après-midi, Marsen annonça un nuage de poussière au levant. C’était un groupe de laganthropes, qui arriva dans la soirée ; ils se laissèrent tomber, fourbus, au bord du fleuve, baignant leurs pattes usées dans l’eau tiédie. On en comptait une vingtaine d’individus habillés de costumes amples, longues bures serrées à la taille par des ceintures en peau de lézard. Ils portaient des sagaies et des petits boucliers en bois. Telic s’avança vers eux, amical, et annonça :

« -Paix à vous, messires. Je suis Telic, chef de ce convoi.

-C’est possible » répondit le chef des hommes bêtes, sur un ton taciturne.

Il s’agissait d’un grand énergumène dont l’oreille droite avait été sectionnée à mi-hauteur. Il portait un long vêtement dont la couleur crème différait de celle de ses subordonnés. Un long sabre était passé dans son baudrier. De tous les autres, un seul différait aussi par son habillement : c’était un individu flegmatique, recouvert des pieds à la tête d’une longue toile bleu marine, et son visage basané disparaissait sous un chech roulé avec art tout autour de sa tête. Il ne portait pour toute arme qu’un long bâton de marche, dont l’extrémité supérieure, noueuse à souhait, formait une boule rugueuse et dure comme la pierre.

Le chef des laganthropes opina du chef :

« -C’est un Fils du serpent. On nous a engagé pour vous guider à travers le désert.

-Vraiment ? s’étonna Telic.

-Oui, une idée du chef bolgniam Trax.

-Nous n’avions pas besoin d’aide, s’offusqua l’humain. Nous nous sommes débrouillé jusqu’à maintenant, et…

-On a eu des échos des batailles de tantôt. Il paraît que vous vous êtes arrangé pour repousser Mugron. Mais savez-vous pourquoi vous ne l’avez pas revu ?

-Parce qu’il est mort, j’imagine !

-Non, c’est parce qu’une horde d’orques a remonté du sud, passant à moins d’une journée de marche d’ici, il y a deux semaines !

-Que… Vous en êtes sûr ?

-Et ce n’est pas tout. Avec la montée de la canicule, tout ce qui écume la région va se précipiter sur les berges du Fleuve Vert. Vous devez quitter ses abords au plus tôt.

-Si vous le dites.

-Le Fils du Serpent va nous guider à travers la Prairie Roussie, jusqu’aux montagnes que nous voyons au sud-est. Là, notre travail sera terminé. »

L’homme au bâton approuva d’un mouvement de tête, puis fit quelques passes avec ses mains. Le chef laganthropes expliqua :

« -Il dit qu’il faudra partir bientôt, pour profiter de la nuit, et que le temps presse ; ses frères ont repéré une meute de Wolfens redescendant des montagnes, il y a trois jours.

-Très bien, nous nous remettons à vous.

-J’oubliais, nous avons aussi quelques provisions. »

Les laganthropes déchargèrent leurs paquetages, révélant quelques fruits à écorce dure, des pains au froment, des dattes sèches, et quelques quartiers de chair gardés dans des sachets de sel. Ils les partagèrent de bon cœur avec les voyageurs.

Laissant le chef de l’expédition et ses adjoints répandre la nouvelle, l’homme au bâton s’aventura dans le campement, passant entre les indigents, sans rien dire. Il s’arrêtait parfois auprès d’un homme souffrant, examinait sa plaie, tâtait son pouls. On lui donnait spontanément la description des symptômes de la maladie. Les yeux fatigués de l’étranger, usés par le sable, semblaient chercher dans ses souvenirs les réponses à donner. Il portait une petite sacoche pendant dans son dos. Il en tirait quelques plantes, des feuilles sèches, ou bien des sachets portant des grains de pollen, et il les remettait au malade. Puis de quelques gestes, il expliquait comment les faire infuser.

De tente en tente, il arriva bientôt à l’extrémité du bivouac. Il vit alors les lépreux rassemblés à quelque distance, et Lamenoire à mi-chemin. Le rôdeur était étendu au pied de la forme racornie d’un vieil arbre mort, essayant de s’abriter sous les pans de sa cape, qu’il avait suspendue aux branches tordues de la carcasse de bois.

Il se releva à demi à l’arrivée du visiteur. Ce dernier s’assit en tailleur, en silence. Lamenoire se demanda comment il pouvait supporter la chaleur sous ses habits. S’éclaircissant la voix, il se risqua à expliquer :

« -Hum, vous ne devriez pas rester là, je suis peut-être lépreux. Et je n pense pas que vous souhaitiez le devenir. »

L’autre le regardait intensément, se balançant d’avant en arrière. De sa main droite, il traça des signes dans la terre poudreuse. C’étaient des cercles, des arabesques, des spirales tournant autour des brins d’herbe. Entre chaque dessin, il relevait la tête, observant le rôdeur avec attention. Il le scrutait avec intensité, intrigué.

Mylnar arriva sur ces entrefaites, sautant sur le tronc penché du vieil arbre. Gandacier le salua de la main :

« -Salut, ami ; dis, saurais-tu expliquer à cet homme les pr »cautions à garder ? Dis lui que moi et les autres nous sommes lépreux.

-Soit, je vais essayer, dit Mylnar. Mais je ne garantis rien. »

L’homme-chat se laissa glisser sur le sol et s’installa face à l’homme du désert. Celui-ci attendait, curieux de voir comment les choses allaient tourner.

Mylnar traçait une série de symboles devant lui : cercles, triangles, et quelques signes cunéiformes. L’autre répondit par une nouvelle arabesque, ample et déliée, ponctuée de dessins plus petits.

L’homme-chat resta un moment interdit, pensif. Il tentait de retrouver des bribes de souvenirs qui pourraient l’aider à poursuivre la conversation. Tout en rajoutant des idéogrammes, il marmonna :

« -Il s’y connaît mieux que moi, c’est certain. Et son mode de transcription me paraît par trop compliqué. Je vais essayer avec des idées simples. »

L’homme des sables secoua la tête à la vue de la réponse, et effaça une partie de son œuvre. Puis il la compléta, de ses deux mains, multipliant les boucles, traits, tourbillons, points et marques. Ses mains dansaient dans la poussière, remontant de temps à autre pour tracer dans l’air des signes muets.

Mylnar se renversa en arrière, complètement dépassé :

« -Fffffch, par mon pelage, je n’y comprends goutte ! »

Le doyen laganthrope arriva sur ces entrefaites, un sourire en coin. Se laissant tomber lourdement sur le sol, il lança :

« -Je peux servir d’intermédiaire, si vous voulez.

-Ah, ce ne serait pas de refus, approuva Mylnar. Je pensais me débrouiller, mais…

-Eh oui, les Disciples du Serpentaire ont mis au point un système de glyphes tellement alambiquées qu’elles ne ressemblent plus guère aux bons vieux gribouillis des plaines ; rassurez-vous, expliqua le vieil homme-bête, je m’y connais un peu. »

Il secoua le sable resté sur ses longues pattes antérieures, puis fit un signe de tête à son acolyte. L’homme au bâton reprit son discours artistique, traçant de plus belle les hyperboles, courbes et pictogrammes dans la terre desséchée. Avec un peu de retard, l’homme-lièvre suivait des yeux le tracé, sourcils froncés, et le reproduisait devant lui dans des formes épurées. Sa version était plus concise, se résumant à des colonnes de cercles, carrés, triangles, zébras, se succédant pour représenter des sons, des syllabes, et enfin des mots. Mylnar regardait par-dessus son épaule et lisait au fur et à mesure :

« -Il dit qu’il sait que vous êtes des intouchables. Il assure qu’il n’a pas peur d’attraper la lèpre, et que s’occuper des ladres fait partie de sa mission. Il dit que vous ne ressemblez pas aux autres. Il pense que vous ne venez pas de la même région.

-C’est vrai, approuva Lamenoire, vous pouvez lui confirmer. »

Le laganthrope dessina deux V majuscules côte à côte surmontés d’une vague, puis une flèche horizontale, un cercle avec un point au milieu. L’homme du désert branla du chef et reprit de nouveaux dessins, balayant les anciens des manches de son manteau bleu nuit.

« -Mais il assure qu’il y a quelque chose en vous de pas naturel. Il dit que dès son arrivée au campement, il a senti que quelqu’un ici n’était pas normal. Comme si le phlogistique était perturbé. Hum, je crois qu’il fait allusion aux Essences Mystiques.

-Les Vents de Magie ?

-Oui, c’est cela ! Il dit que vous avez un contact avec les esprits, qu’il a tout de suite perçu votre présence. Il demande si vous êtes un sorcier.

-Pas vraiment ! Répondez-lui que je suis un guerrier, comme lui.

-Mais il n’en est pas un, s’insurgea l’homme-bête aux longues oreilles.

-Il comprendra. »

Le vieux laganthrope haussa les épaules, et traça une petite pyramide, deux traits verticaux, puis trois symboles compliqués composés de flèches, de courbes, de cercles et de points. L’homme au bâton parut surpris, et regarda le rôdeur avec un intérêt renouvelé. Puis il se ravisa, dessina deux dessins et se leva, s’inclina et partit en direction des autres lépreux.

« -C’est quoi, ces deux signes ?

-Difficile à dire, maugréa le laganthrope, il les a inscrits à la hâte, sans aucune application. On dirait l’idéogramme de l’interdit, de l’intouchable, et là, celui de la certitude.

-Cela ne me dit rien de bon ; C’est un drôle d’énergumène, et peu amical » grogna Mylnar. D’un coup de pied, il effaça les deux glyphes.

Modifié par Shas'o Benoît
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  • 2 mois après...
J’aimerai superviser tout cela moi-même »

J'aimerais

risques d’infection, voire de septicémie, n’effrayaient pas plus que cela

Un jour, on m'a fait remarquer que les termes récents de la médecine était mal vu :)

Nul ne l’a revu, mais Tarefin

Après moult réfléxions, je dirais : ne l'avait revu

Bon dans la première partie du texte, on assiste au récit de ce qui s'est passé ce qui est, à mon goût, une facon originale de le narer. Je me demand eaprès cette lecture si cette blessure ne resurgira pas plus tard ! Ca serait possible :)

LA plupart des lépreux faisaient partie des mercenaires de Krigor, d’où l’absence presque totale de guerrier expérimenté à

La ; faisait ; guerriers expérimentés

jeunesse, quadn il n'avait encore jamais fait couler

...

cet homme les pr »cautions à garder ? Dis lui que moi et les autres nous 

tite faute de typo !!

Alors tu sais quoi ? J'aime bien les derniers moments de ton texte. A la fois parce que je sais qu'on entame une nouvelle étape de l'histoire ( surtout deupuis qu'il est malade, enfin peut etre ) et aussi parce que tes persos, tes lieux et tes créatures sont sans cesse plus originales les unes que les autres ! Tu mises exactement sur le contraire de moi !!! Un jour, je ferais aussi à ma sauce na !!

A part ça :

Quant à mon autre texte, j'ai déjà posté la suite... En éditant mon dernier message. Vu que je me suis déjà fait engu**ler une fois pour double-post, je préfère éviter...

Quelle mauvaise foi :D !!! Je prohibe les doubles post quand :

1) Les deux sont postés à moins d'un jour d'intervalle

2) Quand les deux ne sont pas un ajout du texte

3) Quand l'auteur fait des commantaires après le post de son texte ( exemple type : le message pouvant être résumé par up )

4) Les auteurs qui répondent à chaque fois qu'une personne répond au texte

5) Etc.. ( Mon appréciation au cas par cas )

Donc toi tu aurais pu :-|

@+

-= Inxi =-

Modifié par Inxi-Huinzi
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Bah en fait, c'est la faute à un autre modo qui apparement me prenait en grippe... Ou alors ne respecte pas les mêmes critères ! Donc dans le doute, j'ai préféré éviter...

Bon merci pour tous tes compliments, je suis content que le tour que prennent les choses te convient ( en même temps t'as pas le choix :blink: )

Je tacherai de poster la suite pas trop tard. Pendant les vacances au pire.

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Arf... passage bien sympa, beaucoup de fautes, mais bon, je crois qu'inxi les a déjà donnée...

J'ai beaucoup aimé la manière de décrire la bataille, ce qui est d'ailleurs très bien réussi, bien que ça soit quand même vachement précis(pour un chant).

Pis sinon... ben la suite(et plus vite que ça!).

(sinon ça serait sympa de faire un petit tour dans le reste de la section (ma signature entre autre X-/:blink: ))

@+

PS:

Un jour, je ferais aussi à ma sauce na !!

Et moi aussi, na!

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The Rabbit, toi non plus tu ne m'as pas oublié ! Snif, pour chacun de mes textes, il reste une paire d'irréductibles... Je suis ému. Merci les gars pour votre soutien !

Quand à visiter le reste de la section, hélas je n'ai pas beaucoup de temps libre, et le peu qu'il me reste est dévoré par mes textes, mes poèmes, mes BD ( eh oui ça aussi mais c'est trop moche pour être digne du warfo ), un peu de mmorpg aussi ( gratuit, hein, pas assez fou pour dépenser mon argent dans GW ET WoW ! :blink: )

Aussi d'ordinaire, je ne lis que les sections background 40k et SdA, et les sections général. Et parfois des textes courts, ou bien je passe en dessin ou poésie. Et puis aujourd'hui surprise ! 2h de TP physique supprimées... Je m'attelle pour cet aprèm ! X-/

Hop, hop, une suite :

Les dernières heures du jour s’écoulèrent rapidement, dans la fièvre des préparatifs. La compagnie se préparait à reprendre une marche rapide, à travers les plaines desséchées par le soleil d’été. L’astre rouge, chaud, infernal, enflammait l’horizon, dévorant les nuages filandreux. Sous les tentes improvisées, la chaleur était insoutenable, le moindre effort épuisant. Les voyageurs, prostrés sur le sol, la tête couverte par un voile poussiéreux, attendaient que la nuit vienne, enfin.

A l’écart, les laganthropes remplissaient leurs outres au fleuve, observaient les ondulations des rares brises au sommet des dunes, ou bien conversaient en traçant des dessins. Les quelques vautours géants s’étaient éloignés vers le nord. Sans doute avaient-ils trouvé une nouvelle charogne, dont l’odeur ténue était parvenue jusqu’à eux. Les gyps, redoutables fossoyeurs du désert, contrairement aux autres charognards, possédaient un odorat extrêmement développé. La moindre effluve de chair pourrie, loin de les écoeurer, excitait au contraire leurs papilles à jamais affamées.

De part et d’autre de la rivière, les formes toujours plus sombres des pitons rocheux paraissaient surveiller le cours des eaux. C’étaient de véritables flèches de pierre, sculptées par le vent, la pluie, le soleil, et restées debout tel un défi des éléments. Gardiens silencieux d’un pays abandonné, les piliers de pierre noire somnolaient dans une torpeur torride, écrasés eux aussi par les rayons brûlants du jour.

La disparition des derniers feux du couchant fut saluée par un immense soulagement. Les reflets de lumière, loin à l’ouest, empourpraient encore les lambeaux de brouillard, leur prêtant des reflets violacés. Chacun se leva bientôt, prêt pour le départ. On avala en vitesse une soupe mauvaise, sorte de mixture composée de lentilles d’eau, de racines, de morceaux de viande maigre et d’herbes rêches.

Un vent léger, froid, sec, acéré, souffla bientôt sur la plaine, survolant le Fleuve Vert indifférent. On referma les manteaux, replia les draps, sella les chevaux. Quel désenchantement : la nuit n’apporterait aucun réconfort. Laissant là les pièces de peau de lézard qu’il essayait de coudre entre elles, Lamenoire s’abrita dans les pans de sa cape, se leva en faisant craquer ses articulations, et se dirigea vers l’arrière de la colonne. Il se demandait encore comment un tel pays pouvait exister : le jour plus chaud qu’il n’aurait jamais pu le concevoir, et les nuits aussi froides que dans les steppes de sa patrie.

A la tête des pèlerins, Telic discutait avec énergie de l’itinéraire à suivre :

« -Ce ne serait pas raisonnable de s’enfoncer ainsi dans les plaines mortes, sans plus de provisions.

-Vous n’avez pas écouté ce que l’on vous a dit, rétorqua le chef des hommes-lièvres. Les orques rôdent dans les parages, on ne peut pas attendre plus longtemps ; Il faut partir vers l’est, et vite.

-Mais là-bas, il n’y a rien !

-Vous ne trouverez pas beaucoup plus ici, et justement, personne n’ira nous y chercher.

-Nous pensions continuer vers le sud, et je persiste à croire que ce serait la meilleure option.

-A votre aise, mais je ne vous donne pas plus de dix jours.

-Ah, vraiment ?

-Vous allez tomber sur tous les pillards qui convergent des quatre vents. Le fleuve est un aimant pour tout ce qui respire à des lieues, le bon comme le mauvais.

-Je pense qu’il a raison, approuva Tarefin.

-Peut-être bien, mais il y a les nains, tout de même. Ils ont un royaume aux sources, s’entêta Telic. Ils doivent bien faire la loi, protéger les routes.

-Ils ont tant à faire, répondit le vieux homme-bête en secouant la tête. Même dans les collines, les soudards sont si nombreux que seuls quelques uns parmi nous s’y risquent encore, pour les surveiller. Ce sont des fous, poussés par la faim et la soif aux pires crimes. Les atrocités qu’ils commettent chaque été sur les rares villages de la région sont dignes de faire retourner les sangs à un Wolfen. Vous tenez vraiment à continuer dans cette direction ? Là où les humains deviennent des bêtes violentes et sans pitié ?

-Certes, non, je… Soit. Nous vous suivrons.

-Très bien, nous partons tout de suite alors. Il faut profiter de la vesprée. Le froid est préférable à la canicule.

-Excusez-moi, chef, se hasarda Marsen. Le sieur Gandacier veut vous parler.

-Où est-il ?

-A l’arrière de la troupe, il vous attend.

-Ah, bon. J’arrive tout de suite. Tarefin, dirigez la tête du convoi.

-Bien sûr. »

Tandis que le chef de compagnie s’éloignait, son second se tourna vers les deux guides du désert :

« -Je suis à vos ordres messieurs. Puissiez vous mener nos pas vers des lieux plus accueillants.

-Cela, nous le verrons, opina le vieux pisteur. Enfin, vous êtes venus de si loin, nous ferons notre possible pour vous faire arriver à bon port.

-Quels principes vous poussent à vous dévouer de la sorte ? Loyauté, honneur ?

-Pas vraiment, ricana l’homme-bête. Le Fils du Serpent, là, est convaincu que c’est sa destinée. Pour tout vous dire, rien que le voir me fait dresser les poils sur mon échine. Y’a quelque chose de pas naturel dans cette confrérie. Non, pour ma part, le bolgniam Trax m’a payé largement, pour faire l’aller et retour ; alors sitôt mon pactole enterré, je me suis empressé de m’acquitter de ma tâche. Je remplis toujours mes missions le plus vite possible, avec zèle et efficacité. Mais je tiens à être clair avec vous : si les orques m’avaient demandé de vous harceler jusqu’au dernier, pour un bon prix, je l’aurai fait sans remords. Je vois à votre expression que vous n’appréciez pas les mercenaires. Vous vous dites que nous ne valons guère mieux que les brutes qui sillonnent la contrée, et vous avez sans doute raison. Mais la Barbarie est une vaste arène où seule la loi du plus fort décide du destin de chaque clan. Et je suis déterminé à vivre pour que le mien perdure. »

Le rôdeur attendait à portée de flèches, au bord de la rivière, son maigre paquetage sur le dos. Mylnar patientait en retrait, les bras croisés, ne portant pour tout bagages que ses vêtements rapiécés et quelques sacs composés de toile déchirée, dans lesquels il conservait ses plantes et autres racines. Telic s’arrêta distance respectable, et engagea la conversation :

« -Bonsoir, messire Lamenoire. Vous vouliez vous entretenir avec moi ?

-Oui, j’ai cru comprendre que vous alliez changer de cap.

-C’est exact, les éclaireurs qui viennent de nous rejoindre nous conseillent de bifurquer vers l’est, sans plus tarder.

-Alors c’est ici que nos routes se séparent. Indiquez-moi où se trouve le gué.

-C’est regrettable… Enfin, puisqu’il en est ainsi… Le Fleuve Vert va bientôt se rétrécir, mais le courant s’accélérant, je vous conseille de ne pas vous y risquer. D’ici deux ou trois jours, vous arriverez à une large courbe taillée entre les collines de granit ; vous pourrez passer par là, il y a un vieux sentier qui suit la rive et emprunte la passe, pour continuer vers le midi. A partir de là, je ne sais pas grand chose, ne m’étant moi-même jamais aventuré aussi loin. Je vous souhaite bonne chance, messire Lamenoire.

-Merci, Telic. »

Un long sifflement retentit, répété par tous les laganthropes. Leur chef avait donné le signal, et la colonne partit. Retournant les grains de sable de la berge, les pèlerins s’éloignèrent bientôt, ne laissant derrière eux que les deux hommes. La troupe de tête, guidée par les pisteurs des sables, avançait à bonne allure, s’engageant bientôt entre les dunes brûlantes, dans une végétation toujours plus sèche. Derrière se traînaient les derniers lépreux, essayant tant bien que mal de suivre leurs prédécesseurs, malgré les nuages de poussière soulevés par les pieds, les chevaux, les travois.

Lamenoire soupira, puis réajustant les courroies de son sac de fortune taillé la veille dans de la peau de varan, il lança à l’homme-chat :

« -Deux guerriers solitaires face au grand inconnu. Que demander de plus ?

-Les chants joyeux de Tarefin, supposa Mylnar en haussant les épaules.

-Et si nous nous mettions nous aussi en route ?

-Pourquoi pas ? D’ici que la nuit soit tout à fait tombée, on pourra bien atteindre ce promontoire, là-bas. »

Dans la soudaine fraîcheur nocturne, les pics de pierre semblaient bien plus amicaux, comme des fanions plantés sur leur route, et leur indiquant le chemin à suivre. Ils clopinèrent vers le plus proche, certains d’y trouver un abri pour la nuit.

La nuit était tombée depuis quelques minutes seulement quand ils atteignirent le pied de la falaise. Le soleil avait basculé par-delà l’horizon, pourtant l’air était encore clair, teinté d’un bleu profond virant peu à peu sur le noir profond. A l’ouest, le ciel restait quelques instants encore d’une lumière intense, avait de se diluer dans le reste du firmament.

Les flancs escarpés ressemblaient à des marches d’escalier géantes, se chevauchant dans un désordre indescriptible. Une poignée de seconde auparavant, les monticules de basalte semblaient encore drapés dans leur majesté, aussi acérés que des crocs. Pourtant, à y regarder de plus près, ce n’était pas leur taille qui en imposant. Ils étaient massifs, épais, aussi vastes que des véritables citadelles. Entre les fentes poussiéreuses des murailles, lichens et pousses s’accrochaient, essayant d’échapper à l’emprise du vent en étirant leurs longues racines arborescentes.

Mylnar n’était pas gêné le moins du monde par l’obscurité grandissante. Suivant un moment les pentes abruptes, il repéra rapidement une sorte d’éboulis, plus facile à escalader. Ils s’y engagèrent sans hésiter, cherchant appui sur les parois qui les encadraient. En fait, c’était une véritable entaille dans la roche géante, une sorte de couloir étroit permettant à qui le voulait d’atteindre le sommet. On devinait même, dissimulées par les éclats de pierre et l’épaisse couche de poussière et de mousse, des marches taillées dans le sol.

Qui avait pu ménager cet escalier ? Lamenoire n’en avait aucune idée. C’était un travail ancien, qui devait remonter à nombre d’années. Quelqu’un, en tout cas, s’était évertué à forer ce passage. Le rôdeur s’arrêta au bout de quelques minutes, et s’essuya le front de sa manche :

« -C’est raide, quand même. Qui a été assez fou pour venir s’installer dans cet endroit ?

-C’est un coin parfait, répondit Mylnar en se retournant.

-Je ne vois pas en quoi…

-Personne ne penserait que quiconque puisse vivre dans les parages. C’est une tanière idéale ; il y a de l’eau à proximité, et le gibier doit venir souvent s’abreuver en cet saison. Du reste, le limon accumulé sur les terrasses éboulées à l’air fertile. »

Il embrassa du regard les strates en contrebas. En y prenant garde, on découvrait quelques arbustes malingres, dont les ondes étirées trahissaient la présence. Les rares feuilles jaunies encore accrochées aux branches tordues se balançaient dans la brise nocturne.

« -Des arbres fruitiers, reconnut Gandacier, en hochant de la tête.

-A la belle saison, ils doivent produire leur comptant en victuailles, estima l’homme-chat en reprenant l’ascension.

-Mais quel cadre, reprit Lamenoire. La chaleur, le désert, le vent dur…

-Il en vaut bien d’autres, assura Mylnar. Cet endroit m’est familier. Il a un je ne sais quoi qui me touche… J’aurais pu vivre ici. Il a du charme. »

Lamenoire allait répondre, puis il se ravisa ; à quoi bon ? Mylnar était libre de penser ce qu’il voulait. Pour lui, cette région n’avait rien de bien accueillant. Il est vrai que les Landes, à ses yeux, avaient bien plus d’attraits que cette fournaise. Mais qu’aurait pensé Mylnar du Grand Nord ? Sûrement, peu de bien.

L’escalier antique débouchait sur un plateau étroit, encadré par des surélévations naturelles de la roche. Les rafales du vent sablonneux lavaient la surface du petit cirque, encrassant la bouche, les yeux, les oreilles. La nuit s’installait, et la température descendait rapidement. Les deux voyageurs s’abritèrent derrière une colonnade de coulis de pierre fondue, à la surface de laquelle des éclats de quartz et de mica apparaissaient. Lamenoire chassa les poussières qui s’incrustaient dans la blessure à son front, ravivant du même coup la douleur.

« -On ne peut pas rester là, jugea Mylnar en crachant le sable qui collait sur sa langue.

-Tâchons de trouver un refuge plus à l’abri des bourrasques, une grotte peut-être ? »

Il firent le tour du petit cratère, tout en ignorant les assauts répétés des éléments qui plaquaient leurs habits déchirés sur leur dos courbé. Après plusieurs minutes de recherche infructueuse, Lamenoire repéra une autre volée de marches, qui partait vers le sommet du piton. N’ayant rien à perdre, ils s’élancèrent sur cette nouvelle voie. Manquant de déraper sur les dalles recouvertes de poussière, ils arrivèrent ainsi devant une vaste fissure plus noire que la nuit. Une grotte profonde semblait s’étendre dans les flancs de la petite montagne, entre les coulées verticales de lave plusieurs fois millénaires. De part et d’autre de l’entrée, deux statues les attendaient. Elles représentaient des nains, apparemment. Il était difficile de se faire une idée, étant donné leur degré d’érosion. Les deux gardiens tenaient chacun une hache, qu’ils laissaient reposer sur le sol, la retenant par le manche avec nonchalance. Leurs barbes fournies, sculptées avec art, paraissaient flotter dans le vent. Celle de gauche semblait moins éprouvée par les éléments. Par-dessous les couches de crasse et de mousse, on devinait les couleurs et pigments originaux. Le regard terne évoquait encore une certaine force intérieure, une sorte de vigilance sourde. Comme si il était vivant, et les observait eux aussi.

Mylnar réprima un feulement de gêne, et s’engagea prudemment entre les premières colonnes. Le tunnel s’élargissait au bout de cent mètres, pour s’ouvrir sur une vaste caverne souterraine. Le noir était complet. Lamenoire s’approcha à grand pas, dépassant même son compagnon de route. Tout cela ne lui disait rien qui vaille. Il sentait une présence. Il aurait pu invoquer les esprits du feu pour amener un peu de lumière, mais cela aurait révélé leur existence aux éventuels occupants. Aussi essaya t-il plutôt de masquer les remous de son esprit. Même dans les Vents de Magie, on ne devait pas le sentir…

« -On aurait mieux fait de ne pas entrer » grogna Mylnar à haute voix. L’écho de cette phrase se réverbéra de longues secondes durant sur les murs de l’antre. Tant pis pour la discrétion, soupira Lamenoire. Il étendit la main gauche, la renversant vers le sol, dans le geste rituel de pronation. Puis il la retourna vers le plafond, serrant peu à peu les doigts : il fallait drainer une quantité conséquente de magie pour raviver la lumière dans cette obscurité. Avant qu’il n’ait achevé son sortilège, deux petites lucioles tremblantes apparurent sur leur droite. Les lueurs dansaient dans la noirceur, telles deux âmes dans une mer d’inconscience. Gandacier interrompit ses invocations silencieuses pour dégainer son sabre, lentement. Les lueurs restaient où elles étaient, sans doute fixées à la paroi. Non, elles oscillaient, de vrais pendules incandescents balayant les roches effritées de leurs langues de feu. Il s’avérait difficile de les regarder, car leur balancement incessant faisait passer de l’ombre à la lumière la grotte endormie. Pourtant, à travers ce clair-obscur, Lamenoire finit par discerner des formes. Deux autres statues, de nains elles aussi. Elles tenaient à bout de bras ce qui semblait être les yeux brûlants d’un dragon, dont la tête se déplacerait mécaniquement de gauche à droite. Les chaînes des lampes à huile dansaient en crissant, un bruit qu’ils n’avaient pas encore remarqué. A présent que le vent faiblissait, étouffé par les épaisseurs de roche, ils y prêtaient enfin attention. Les deux sculptures, moins abîmées que les premières, portaient encore leurs couleurs vives, bleu, rouge, jaune, dont les reflets chatoyaient dans la pénombre.

Mylnar grogna, levant la tête. Lamenoire suivit son regard, et aperçut enfin l’arbalétrier qui les observait. C’était un jeune nain à la barbe encore brune, posté sur une sorte de balcon creusé dans la roche du plafond. Un escalier grossier apparaissait sous les feux lancinants des flambeaux, menant directement au poste de tir. Le garde s’appuyait sur un petit parapet, laissant son arme posée dans un créneau. Tout portait à croire qu’elle était déjà chargée. Les deux mains sur le manche, il attendait sans doute un ordre pour les transpercer. Le rôdeur retint un juron et fit mine de lever les bras en un geste apaisant. Aussitôt, l’arbalétrier le mit en joue, et la pointe du carreau brilla dans la nuit.

« -Ne tire pas, Kalamîr ! »

La voix venait de derrière eux. Se retournant en sursaut, ils discernèrent une silhouette dans l’embrasure de l’entrée. Le nouveau venu entra avec une lenteur calculée, se révélant peu à peu dans la lumière. C’était un vieux longuebarbe, vêtu d’habits aux couleurs en partie effacées par la pluie. Il semblait las, fatigué, et pourtant incroyablement résistant. Comme de la pierre vivante, en fait. Son visage marqué par plusieurs siècles d’intempérie et d’attente présentait un mélange de peau ridée et tannée, presque entièrement cachée par la barbe et les sourcils grisonnants. Il portait une longue ceinture de cuir brun ocre, dans laquelle était passé la sangle d’un puissant cor de guerre. L’olifan avait été sculpté dans la corne d’une chèvre des montagnes, et ses parois extérieures arboraient des fresques de runes compliquées. Dans sa main droite, il tenait par le manche une longue hache au fer incrusté de trois diamants, formant un triangle équilatéral sur une des faces.

« -Etrangers, on n’entre pas dans la maison d’autrui sans frapper, déclara t-il.

-Nous ignorions que cet endroit était habité, protesta Lamenoire.

-Pourtant vous avez bien vu l’escalier, les statues… »

Les deux voyageurs écarquillèrent les yeux : le longuebarbe était précisément la statue à l’entrée, qui leur avait semblé la moins abîmée.

« -Stupéfiant, murmura le rôdeur.

-Vous n’avez encore rien vu » assura le vieux guetteur, en frappant le sol du bout du manche de son arme. Aussitôt les lampes à huile stoppèrent leur balancement, et s’approchèrent : les sculptures qui les tenaient s’avançaient, encore méfiantes. Il s’agissait de deux nains recouverts d’habits d’un gris terne, et bardés d’écailles de fer si petites qu’elle leur donnait l’aspect de bloc de roche. Leurs courtes barbes d’un noir de jais cachaient leurs torques en argent, et leurs casques solides couvraient leur tête.

« -Pourquoi êtes-vous venu ici ? demanda le chef des guerriers silencieux.

-Nous cherchions un abri pour la nuit, expliqua Mylnar.

-Nous venons de quitter une compagnie qui…

-Oui, je l’ai vue tout au long de cette journée, nota le longuebarbe. En fait, je ne l’ai pas quittée des yeux. On se méfie de tout, dans la région. Mes craintes à vos égards sont-elles justifiées ?

-Je vous assure que…

-Que vaut la parole d’un humain ? le coupa l’autre. Vous êtes prompts à rompre vos serments. On ne peut pas en dire autant des hommes-chats, qui eux, ont plutôt une forte propension à agir à leur guise ; difficile que de se fier à des inconnus. J’aurais peut-être dû laisser Kalamîr vous abattre.

-Cela peut encore s’arranger, répondit Lamenoire. Mais si vous voulez nous tuer, faites le maintenant. Je vous attends.

-Non, vous ne me semblez guère en état. Vous avez de vilaines cicatrices, pas encore bien refermées.

-Cela me regarde. Et elles ne m’empêcherons pas de défendre ma vie, si on m’offre un combat loyal.

-Et votre camarade partage votre enthousiasme ?

-Approchez, grogna Mylnar, je ne suis pas armé, mais je ne vous crains pas, nains !

-Assez, ce lieu n’est pas fait pour les querelles. Savez-vous où vous vous trouvez ? Dans un poste de surveillance de notre Haut-Roi Fulgïn, sous la loi du Thain de karak Satir. C’est aussi un sanctuaire des Philomèles. Le sang ne doit pas couler ici.

-Alors ne vous provoquez pas.

-Votre arrivée fortuite était une invitation à la méfiance. »

Le longuebarbe scruta un instant le rôdeur dans le blanc des yeux, puis hocha de la tête :

« -Tu peux désarmer ton engin de mort, Kalamîr. »

L’arbalétrier aquiesça et commença de descendre l’escalier qui menait au balcon de basalte. Les deux visiteurs le regardèrent s’avancer, encore inquiets. Le longuebarbe remarqua :

« -C’est le plus jeune de nous tous ici, il est encore un peut trop impétueux pour faire une vraie Sentinelle. Cependant je ne doute pas que d’ici quelques années, il soit passé maître dans notre art.

-Un art remarquable, reconnut le rôdeur.

-Je suis Ghulïn, fils de Luklor Œil-lourd. A votre service.

-Lamenoire Gandacier, lépreux.

-Mylnar.

-Personne n’est parfait, dit le chef des nains. Bien, il est plus que temps de se restaurer, n’est-ce pas ? Vous êtes nos hôtes. Suivez-nous.

-Capitaine, demanda l’un des porteurs de chandelle, vous êtes sûrs qu’on peut leur faire confiance ?

-Certain, Gilni, répondit son supérieur. Maintenant, ouvrez la voie. »

Le thuriféraire s’inclina et se dirigea vers un coin de la grotte. L’auréole de flammes révéla alors un passage, qui semblait ne pas se trouver là un moment plus tôt. La nouvelle galerie descendait avec une pente raide, pour arriver à un réfectoire à plafond bas. Une cheminée creusée dans une paroi abritait une grande marmite fumante. En face, une longue table de bois était placée le long du mur, plusieurs tabourets entourant ses trois côtés libres. Ghulïn posa sa longue hache sur un râtelier où plusieurs autres doloires sommeillaient, puis alla prendre sa place en bout de tablée. Le couvert était déjà mis, de larges tranchoirs de pain sec encadrés par des couverts en bois dur.

« -J’espère que vous apprécierez notre ordinaire, avoua le capitaine. La vie est dure par ici.

-Elle ne peut pas l’être plus qu’elle ne l’a été, remarqua Mylnar. »

Les autres nains prirent place, sauf le quatrième qui pendit les deux lampes à huile à des crochets dans les murs, puis se dirigea vers le chaudron. Lamenoire s’assit à l’extrémité opposée, et l’homme-chat s’intercala entre lui et les autres convives.

« -Rulni est un bon cuisinier, assura le capitaine en retirant son casque massif.

-J’essaie, à tout le moins, corrigea le susnommé, en trainant plus que soulevant l’énorme cuve, qui dégageait encore d’épais nuages de vapeur.

-Et la fumée ne révèle pas votre présence ? demanda Mylnar.

-Nous n’utilisons la cheminée que de nuit, expliqua le cuisinier. Quand c’est nécessaire. »

Les assiettes de pain furent bientôt recouvertes d’une mixture pâteuse, assez difficile à reconnaître. L’homme-chat servait d’intermédiaire pour transmettre sa part au rôdeur, qui ait d’emblée annoncé qu’il risquait de contaminer leurs hôtes. Pourtant les nains n’avaient pas fait preuve de beaucoup de réticence. De la masse bouillante ressortaient plusieurs ingrédients dont les formes ramollies évoquaient des champignons, des racines et des lambeaux de viande maigre. Rulni s’improvisa ensuite échanson et déposa deux cruches en terre cuite contenant une bière mousseuse. Puis chacun se tut pour énumérer dans sa tête les quelques prières d’action de grâce qu’il connaissait.

Tandis que les mâchoires entraient en action, Ghulïn expliqua :

« -Il est coutume ici de ne pas parler pendant les repas. Il nous faut nous habituer à la solitude pour devenir des Sentinelles à part entière. Au lieu de cela, nous lisons. »

Et son regard se porta sur le mur contre lequel la table était allongée. Les deux hôtes remarquèrent alors pour la première fois les innombrables runes, pourtant gravées en profondeur dans la surface polie. Elles s’étalaient sur des dizaines de colonnes pour former un long texte, apparemment passionnant puisque les Kalamîr, Rulni et Gilni ne le lâchaient plus des yeux.

-Ce sont les préceptes qui ont été énoncés par le père de notre Lignée, ajouta le capitaine. Une source éternelle de réflexion. »

Lamenoire esquissa un sourire : tout semblait caché ici, voilé par le secret, la discrétion. Il reporta son attention sur les inscriptions, mais renonça bientôt à les comprendre ; pour cela, il aurait fallu qu’il ait reçu un peu plus de connaissances sur le Gulkhizar, le Parler Nain.

Le repas s’acheva dans le même silence recueilli, tendu, qui les avait accueillis à leur arrivée dans les grottes. Les nains mangeaient avec une lenteur calculée, presque imperceptible. Quand ils eurent tous terminé, Gilni et Rulni débarrassèrent la table. Les autres attendirent qu’ils eurent achevé leur tâche, puis Kalamîr empoigna une torche et guida la troupe vers un escalier ascendant. Les flammes du flambeau oscillaient sur les nervures de la pierre, révélant les longs doigts coulants des trainées de lave refroidie depuis des millénaires. Les dalles, quoique irrégulières, étaient parfaitement entretenues, lavées de toute mousse ou flaques d’eau croupie.

La nouvelle caverne qu’ils visitaient maintenant rappelant à Lamenoire le Hall d’armes de Raturn, ou la salle du conseil de Malzar, d u temps de sa splendeur. Les parois lisses et sombres grandissaient dans la nuit, telsdes boucliers de géants. Le plafond granuleux disparaissait, effacé par les reflets d’ombre et de noirceur. Pourtant le lieu, vaste et ancestral, inspirait une sorte de respect, non pas inspiré par la crainte, mais par l’humilité. A l’extrémité de la grotte, une énorme masse de roche sortait du mur, véritable agglomérat de pierre, de bois et de métal forgé. Le rôdeur n’avait jamais rien vu qui y ressemblât de près ou de loin ; c’était étrange, il n’y avait pas d’autre mot.

« -Qu’est-ce que… ? »

Sa question mourut sur ses lèvres, absorbée par l’atmosphère calfeutrée. Mais Ghulïn avait compris son étonnement. S’éloignant de ses compagnons, il s’approcha de la structure hybride. C’était une masse plus ou moins structurée, d’où sortaient des tubes de tôle, des cornes d’ivoire et des bouches en pierre. Le vieux longuebarbe philomèle s’assit sur une longue dalle de pierre blanche, qui faisait office de banc, et rabattitune longue planche en bois. Elle dissimulait ce qui ressemblait à des rangées de dents en nacre. En fait, toute la chose ressemblait à quelque bête des anciens temps, oubliée dans ces cavernes depuis des lustres. Ghulïn éleva les mains, dont il avait retiré les gants de fer. Ses articulations rouillées carressèrent la surface des pièces en blanc laiteux, parcourant leur rangée, puis les doigts noueux appuyèrent sur plusieurs touches. Un son profond, lugubre, fit trembler le sol, mugi par les gargouilles, les colonnes de métal et la moindre fissure de la salle. De nouvelles notes résonnèrent, faisant vaciller les deux visiteurs. Les nains écoutaient, debout. Une musique commençait à s’agencer, après le coup d’envoi. L’harmonie s’établit peu à peu, organisant les cris et les meuglements de la pierre, pour en tisser un chant muystérieux. Bientôt les mains du philomèle couraient sur le clavier, produisant des gammes et des accords inattendus. Les statues de bronze réverbéraient l’écho de la musique, et les dalles renvoyaient aux oreilles le moindre soupir des conduits.

C’était un spectacle ahurissant. La chose chantait, comme aucune autre créature n’aurait pu chanter. Ce n’était pas quelque chose de vivant, et pourtant cet instrument prenait vie, sous l’impulsion du vétéran des montagnes. Les sons grandirent, renforcés par leur union, montant et descendant sans cesse. Des images se formaient dans l’esprit des spectateurs, à mesure que le chant évoluait et s’étirait. Les épreuves passées et à venir n’étaient rien, comparé à cette merveille. Les notes bondissaient comme autant d’aigles, pourchassant les étincelles des chandeliers contre les murs polis. L’air lui-même semblait participer à la mélodie, s’effaçant sur le passage des mots entonnés à pleine voix par les bouches métalliques.

Gandacier ne sut jamais combien de temps il avait écouté cette musique fantastique. Il se rendit compte que les notes avaient cessé, que le couvercle du clavier avait été rabaissé, et que Ghulïn s’était tourné vers eux. Pas le moindre sourire ne vint éclairer son visage grisonnant, mais on pouvait voir au fond de ses yeux fatigués un renouveau, le retour d’une étincelle de paix. I lavait retrouvé le goût de la vie.

« -Il commence à se faire tard, messieurs. Gilni va vous raccompagner jusqu’à vos quartiers. Que vos rêves soient riches en trésors.

-Que le soleil vous sourie demain, répondit Lamenoire.

-On préfère ici ne pas prononcer le nom de l’Ennemi, Gulezeq.

-Alors que la joie vous soit fidèle, corrigea l’homme.

-Que paix et honneur vous accompagnent », ajouta Mylnar, à mi-voix, les yeux tombant déjà de fatigue.

Le capitaine nain hocha de la tête, et fit signe à Gilni, qui s’inclina et prit une des torches qui étaient au mur. Lamenoire et son ami lui emboîtèrent le pas. Les couloirs qu’ils franchirent formaient un petit village tortueux de salles, de corridors et de galeries. Gandacier ne souhaitait qu’une chose, c’est que l’un de leurs hôtes leur montre le chemin du retour le lendemain, sans quoi, ils seraient complètement perdus.

Leur guide ouvrit une petite porte donnant sur une pièce carrée, meublée par deux paillasses rembourrées de foin, une table basse et un vieux coffre à moitié pourri par le temps et les vers. L’apprenti cuisinier s’excusa :

« -Vous savez, cet avant-poste a vu sa garnison fondre comme neige au soleil… C’est ce que nous avons de mieux à vous proposer.

-Cela fera très bien l’affaire, assura Lamenoire. J’ai connu pire.

-A demain matin, donc. »

Le nain lui tendit la torche, puis referma la vieille porte en bois vermoulu, qui grinça sur ses gonds sous l’effort. Le rôdeur se tourna vers le mur opposé, d’où leur parvenait un fin rayon de lumière. Une fente pratiquée dans la roche s’ouvrait à mi-pente, révélant une bonne partie de la plaine désertique à l’Est. L’astre solaire s’était couché depuis longtemps, mais les étoiles éclairaient le ciel nocturne, et la lune montait vers les immensités du firmament, comme une autre lanterne. Une forme ailée se détacha devant le globe d’argent. Ce n’était pas lasilhouette efflanquée d’un gyps géant. Lamenoire se demanda si les nains entretenaient des faucons, mais il secoua la tête : la créature avait uen envergure beaucoup trop grande. Quoi que ce fut, cela ne représentait pas une menace pour eux, abrités qu’ils l’étaient par une muraille de pierre. Mylnar déposa ses paquetages et jeta son dévolu sur l’une des deux couches rudimentaires, où il se laissa tomber. Lamenoire se dirigea donc vers l’autre, titubant. La douleur le reprenait au crâne, lancinante. Assis sur le matelas troué, il éteignit le flambeau en passant sa main dessus, en forme de serre, par trois fois. Les flammes hoquetèrent, indisciplinées, puis succombèrent et s’étiolèrent.

Une musique monta à travers la roche, douce et apaisante. La chose avait recommencé son chant. Cette fois-ci, les notes évoquaient des paroles calmes et amicales. Elles incitaient au repos, au sommeil, à la quiétude. Les sons dansaient devant les yeux du rôdeur, amplifiés par la pièce exigüe. Ses oreilles bourdonnaient, ses paupières s’alourdirent. Toute souffrance avait quitté son corps, et c’est l’esprit apaisé qu’il sombra dans l’inconscience.

Modifié par Shas'o Benoît
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  • 3 mois après...

Comme à leur habitude, les gyps aux grandes ailes noires survolaient la plaine désertique, à la recherche d’une proie facile. Leurs yeux acérés survolaient les vastes étendues, déjà brûlantes sous les rayons du soleil naissant. Mais malgré toute la témérité dont ils pouvaient faire preuve, ils se rendaient bien compte que les silhouettes au pied du promontoire de basalte ne seraient pas faciles à prendre en chasse.

Mylnar avait passé dans sa ceinture une petite hache de lancer que les gardiens lui avaient offerte, car mieux valait être armé si on voulait survivre dans ces régions. Lamenoire rajusta les sangles de sa besace en peau de varan, tout en écoutant les derniers conseils du vieux longuebarbe :

« -Cela doit représenter de quoi tenir jusqu’à la fin du désert, assura t-il. Après trois jours maximum, vous arriverez dans une région plus hospitalière, si toutefois vous ne deviez pas de votre route : il vous faudra marcher plein sud, en suivant les méandres du fleuve.

-Merci encore pour tout, capitaine.

-C’était la moindre des choses. Et prenez garde, après la prairie vient la forêt. Si vous pouvez la contourner, faites-le. Vous pourriez même passer par les montagnes, où nos frères vous accueilleraient à bras ouverts.

-D’autant plus que nous leur apporterons la nouvelle de la mort de Tarvrasove.

-Oui, cette vieille fripouille a eu la fin qu’elle méritait. Mais ils le savent déjà.

-Mais comment… ? s’étonna Mylnar.

-La musique porte loin, répondit Ghulïn. Allez, que l’or ne vous manque jamais ! Adieu ! »

Les deux voyageurs saluèrent les nains puis s’en retournèrent vers leur but incertain. Au bout de peu de temps, les murmures des orgues de pierre montaient dans leur dos, accompagnant leurs premières heures de marche comme une égérie invisible. Les notes se mêlaient au souffle chaud du vent, soulageant quelque peu leurs cœurs lourds.

Ils firent bientôt une pause, avant que le soleil n’arrive au zénith. Les guetteurs nains leur avaient judicieusement conseillé d’éviter de marcher en pleine chaleur ; aussi s’arrêtèrent-ils entre les dunes de sable grossier, qui s’étalaient autour du Fleuve Vert. Ce-dernier ne ressemblait plus désormais qu’à un long serpent se frayant un passage entre les berges encaissées. Des centaines de moustiques survolaient la surface de l’onde fraîche, cherchant à se poser pour étancher leur soif. Mais le cours était encore assez rapide. Mylnar alla remplir leurs gourdes, puis regretta bientôt de s’être approché de cet enfer. Les insectes ne le lâchaient plus et voltigeaient autour de lui, cherchant à passer la barrière de sa fourrure.

Les berges escarpées représentaient le seul abri à l’ombre, à midi. Ils s’y réfugièrent, sous la protection des mottes de terre et des blocs de roche affleurant. Avec la torpeur, les moucherons se faisaient plus agressifs. La seule protection efficace s’avéra être une couche de glaise et de boue. Les deux infortunés en recouvrirent leurs visages, leurs bras et leurs jambes, et s’aspergèrent de poussière. La gangue sécha rapidement, constituant une carapace efficace contre leurs agresseurs miniatures.

Leur premier repas fut frugal ; des galettes de mauvaise farine, quelques fruits indéfinissables et fripés, le tout arrosé par l’eau du fleuve, bien trop chaude et au goût amer. Ils restèrent un long moment, assis en silence, trop fatigués pour parler, et somnolèrent plusieurs heures dans le bourdonnement des insectes. Au milieu de l’après-midi les rayons se firent moins ardents, et ils reprirent leur marche. Ils avaient confectionné des voiles de fortune avec le peu de tissu qu’il leur restait, et s’en étaient coiffés pour garder la tête à l’ombre, mais la chaleur n’en était pas moins écrasante. Le piton rocheux était loin derrière eux, tremblotant dans l’air bouillant. Quittant le lit de la rivière, ils continuèrent à suivre son cours, arrivant bientôt en vue d’une autre hauteur rocheuse.

Elle ressemblait beaucoup à celle qu’ils venaient de quitter. Une masse noire, droit sortie du sable, comme l’éperon d’un trident gigantesque enfoui dans le sol. Plus ils s’en rapprochaient, et plus le piton leur paraissait lugubre. Les premiers détails des arêtes rocheuses apparaissaient. Ils passèrent le reste de la journée à se traîner aussi loin que possible. Le soleil perdait peu à peu de sa superbe, à mesure qu’un léger vent d’ouest se levait. Des tourbillons de sable leur fouettaient les jambes. Rompus par la fatigue, ils se laissèrent tomber à nouveau dans les remblais le long du fleuve. Impassible le large cours d’eau se défilait devant eux. Des nuées de lucioles dansaient au-dessus des rares roseaux accrochés aux rochers.

« -La nuit tombe, remarqua Mylnar, et le froid revient avec elle.

-Ce pays est assez hostile, grogna Lamenoire. Allume t-on un feu ?

-Je pense que oui, si nous ne voulons pas mourir gelés.

-Encore faudra t-il trouver du combustible.

-Et supporter les insectes nocturnes qui ne manqueront pas de venir.

-Finalement, je me passerai bien de feu cette nuit ! »

Une petite grotte perçait la berge, à courte distance. Ils décidèrent d’un commun accord d’y passer la nuit. Comme ils s’en approchaient, Gandacier observa les formes curieuses des rochers épars. Il se rendit compte, avec effroi, qu’il ne s’agissait pas de pierres !

Le squelette d’un géant s’étalait devant eux. Les os blanchis, lavés par d’innombrables saisons et les becs affamés des vautours, dépassait à moitié du limon grossier. De son vivant, cette créature devait être un combattant formidable, du haut de ses dix ou quinze mètres de haut. Quelle qu’ai pu être la raison de son trépas, cela montrait clairement que nul n’en était à l’abri, pas mêmes les plus grandes créatures à fouler le sol.

Quelques heures s’écoulèrent, rythmées par les bourdonnements des insectes voraces, voletant d’un bord à l’autre du fleuve. Le froid s’était raffermi, la température descendit rapidement, hâtée par la morsure du vent violent. N’y tenant plus, les deux voyageurs se résolurent à allumer tout ce qu’ils pourraient trouver comme combustible. Les articulations craquant, le regard fébrile, ils cherchèrent, sans rien trouver d’autre que quelques plantes rêches au bord de l’eau. Faisant un tas avec les fougères et cactus arrachés à mains nues, Mylnar attendit que son compagnon d’infortune ait rassemblé ses souvenirs.

Lamenoire s’était servi des formules peu de temps avant, mais la bataille et son expérience rêveuse lui avaient brouillé la mémoire. Des images d’un passé lointain revenaient à sa conscience, tandis que des détails plus récents s’effilochaient. En outre, la situation ne se prêtait pas à sa manipulation. Il dut procéder trois fois à une pronation, paume tendue vers le sol, puis remontant par un mouvement de rotation vers le ciel, pour invoquer assez des énergies magiques latentes. Enfin, une petite étincelle apparut dans le creux de sa dextre, et d’un Mot de Pouvoir prononcé avec douceur, mais détermination, il l’aviva en une flammèche dansante, qui tomba comme une pluie sur les plantes entassées. Les feuilles faisaient plus de fumée que de flammes, mais le peu de chaleur gagnée suffit à leur rendre espoir. Dans un paysage aussi sec, il n’y avait pas de risques d’incendie, aussi se laissèrent-ils tomber de chaque côté du petit foyer, abrités des rafales par les rochers alentours. A quelques mètres de là, les orbites vides du géant les veillaient.

Lamenoire se réveilla en sursaut, les sens en éveil. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais une sorte de voix intérieure le mettait en garde. Dégainant lentement son sabre, il posa une main sur l’épaule de l’homme-chat et posa un doigt sur sa bouche. Mylnar se retourna, surpris, mais voyant l’expression inquiète de son camarade, il garda le silence. Le petit feu s’était éteint depuis longtemps, ne laissant plus que des herbes fumantes, qu’ils recouvrirent de sable. Le vent soufflait encore, plus fort que jamais, et la terre noire reflétait les ombres du ciel nocturne. Pas la moindre silhouette de vautour ne vint intercepter la lueur des étoiles. Remontant la pente de la rive, ils observèrent la plaine désolée.

Mylnar huma l’air, le poil balayé par les bourrasques. Il tira sa hache de sa ceinture, essayant de distinguer les formes mouvantes devant eux.

« -Il y en a cinq, peut-être six. Deux à droite, à vingt mètre, derrière les rochers, et les autres juste devant, rampant sur le sol. »

Lamenoire l’observait, intrigué. Comment pouvait-il être si précis ? Il remarqua alors les pupilles dilatées de l’homme-chat, et opina.

« -Je ne sais pas ce que c’est, chuchota encore Mylnar. Mais je n’aime pas l’accent de leurs voix. Ils sifflent. »

Le rôdeur, lui, n’entendait rien, assourdi qu’il l’était par la tourmente.

« -Que fais t-on ?

-Aucune idée, grogna l’homme-chat. On peu aller les saluer.

-Et s’ils avaient des arcs ?

-Ils tireraient par cette nuit d’orage ?

-Ils peuvent voir dans le noir tout aussi bien que toi.

-Alors attendons », conclut t-il en haussant les épaules.

Les formes se rapprochaient, plaquées au sol. A peine discernait-on l’éclat du tranchant de leurs armes. Les deux voyageurs restaient immobiles, guettant les mystérieux nouveaux-venus. Finalement, n’y tenant plus, Gandacier décida d’agir. L’urgence de la situation, le peu de repos qu’ils avaient pris et l’adrénaline avaient réveillé une partie de ses cours de magie enfouis au plus profond de sa mémoire. Il ferma les yeux pour mieux se concentrer.

Le trait d’énergie psychique, semblable à un filet gluant impalpable, fusa droit sur l’agresseur le plus proche. Telle une araignée attendant sa proie, la phrase fatidique patientait, attendant l’instant propice. La flamme de l’esprit de la créature brûlait dans l’obscurité comme un flambeau, et le rôdeur ne voyait plus rien d’autre, obnubilé qu’il l’était par son opération. Sa volonté s’abattit sur sa cible d’un seul coup, figeant sur place sa proie. Et la question silencieuse résonnait :

« -Qui êtes-vous ?

-Dezz Anguipèèèdes ! »

L’étranger avait prononcé cette phrase d’une voix forte, en se relevant. Ses congénères, surpris et furieux qu’il ait gâché leur approche, sifflèrent de dépit. L’effet de surprise étant manifestement perdu, ils se redressèrent tous, se déplaçant avec une vitesse incroyable. Les reflets des étoiles luisaient sur les longs tranchants des rapières et les rebords des casques grossiers en fer. Lamenoire s’interposa devant les deux premiers combattants, dont il ne percevait que les contours diffus. Mais son esprit acéré l’aidait à situer ses adversaires, en lui révélant les positions de leurs esprits.

Les lames se croisèrent, dérapèrent, frôlèrent les vêtements. Les guerriers se mouvaient avec grâce et dans un mutisme effrayant. Seuls des sifflements menaçants sortaient de leurs lèvres pincées. Ce n’étaient pas des humains, et probablement pas des représentants de l’une des dix races, Lamenoire en était certain.

Quelque chose de froid et d’écailleux s’enroula autour de sa jambe gauche, un des sabres lui égratignant le bras droit avant qu’il ne parvienne à effectuer de larges moulinets pour repousser ses adversaires. Le tentacule tira brusquement, le faisant tomber dans un cri. Parant les nouveaux coups de son mieux, il se demanda comment Mylnar s’en sortait.

L’homme-chat venait d’abattre un de ses opposants d’un coup de hache en plein dans la nuque, et sautait en arrière pour éviter la charge du suivant. La lame recourbée passa à quelques centimètres de son cou, sifflant dans l’air. Mylnar éleva sa hachette, qui rencontra la rapière dans un grand bruit métallique. Le fer de la machette se brisa net, mais la créature ne se laissa pas démonter, et une forte détente, elle atterrit sur l’homme-chat et le renversa sur le dos. Un tentacule couvert de mailles en acier s’enroula peu à peu autour du bras droit de celui-ci, immobilisant le membre. Mylnar mordait et griffait, bien décidé à vendre chèrement sa peau.

Gandacier parvint enfin à taillader l’appendice sinueux qui écrasait sa cheville dans ses anneaux. La corde vivante se retira en tremblant, et son adversaire piailla de douleur. Un grand revers du sabre noir trancha son ventre et l’expédia sur le sol poussiéreux. Le rôdeur se releva pour constater que les autres agresseurs étaient morts, étalés sur le sol.

« -Par le ciel, je ne me rappelai pas les avoir déjà tous tués !

-Moi non plus, reconnut son camarade qui secouait son bras endolori. C’est bizarre…

-On y verra plus clair au petit matin, supposa notre héros, en se laissant tomber sur la terre meuble. Je suis fourbu.

-L’aube ne va pas tarder. La brise s’apaise.

-On devrait peut-être se remettre en marche avant qu’il ne fasse trop chaud.

-Certes, mais…

-… Il faut en savoir plus sur ces créatures. Je suis bien d’accord. »

Le soleil éclaira le lieu du combat, révélant à leurs yeux fatigués l’identité de leurs ennemis défunts : cinq anguipèdes, des êtres dont la race remontait aux premiers jours du monde. D’apparence humaine jusqu’à la taille, leur corps se terminait par de longues queues serpentines. Ils portaient des casques primitifs, quelques hardes boueuses, et des sabres dentelés. Deux d’entre eux gisaient sur le sol, renversés, le dos transpercé d’une flèche. Les deux voyageurs s’entre-regardèrent, se renvoyant leur surprise…

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Pourquoi tu m'as pas mail Shao pour me dire que tu avais posté une suite ? Moralité j'en ai raté une et tu as dû te décourager :wink: Mais je l'ai sûrement raté pour X raison mais, ca vaut pour tout le monde, quand vous voyez que j'ai raté un texte, prévenez moi ^^

Malzar, d u temps de sa splendeur. Les parois lisses et sombres grandissaient dans la nuit, telsdes boucliers de géants
et rabattitune longue planche en bois. Elle dissimulait
n’était pas lasilhouette efflanquée d’un gyps géant. Lamenoire se demanda si les nains entretenaient des faucons, mais il secoua la tête : la créature avait uen envergure

Problème avec les espaces :-x

survolaient la plaine désertique, à la recherche d’une proie facile. Leurs yeux acérés survolaient

Répét

Quelle qu’ai pu être la raison de

verbe être

l’homme-chat. On peu aller les saluer.

peut

Bon et bien la suite :D Je me demande qui est l'ange gardien qui veille sur eux même s'il y a des chances qu'ils soient plusieurs :D La balade dans le désert était monotone et j'espère que tu vas pas trop les faire trainer dedans meme si une nouvelle énigme se présente ^^ Les nains étaient sympas aussi, on en attendait pas moins ! Pas mal leur camouflage, on se demande où tu vas chercher tout ça ^_^

@+

-= Inxi =-

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Bonjour Bonjour.

Alors, je viens de tout lire, c'est super mais qu'est-ce que c'est long !

Franchement, j'aime bien, le récit est bien écrit. Les descriptions sont assez claires mais pas trop lourdes.

Bon par contre les défauts: tu pars un peu dans tous les sens, du coq à l'âne. Tu nous intercale une légende de plusieurs pages au beau milieu de ton récit, ça nous fait un peu perdre le rythme. On a aussi l'impression de ne pas suivre une véritable histoire mais une présentation de ton monde. Des créatures apparaissent au fur et à mesure mais ça n'avance pas vraiment. Pour l'instant, ton héros se ballade et on ne voit pas trop où il veut en venir. On n'entend presque plus parler de la menace du nécromancien alors qu'on avait l'impression au début qu'il menacait le monde. Tu veux tout nous dire, essaye de te concentrer sur le scénario, pas nous faire découvrir de nouveau peuples, coutumes, personnages. Les amis du héros ont aussi une fâcheuse tendance à mourir ou à disparaître, on perd un peu le fil. J'apprécierai aussi plus de proximité avec Lamenoire, ses sentiments, ses reflexions. On n'a pas non plus tellement d'infos sur le faucon, cet ordre n'est presque pas abordé, on a presque rien sur lui.

Bon sur ce j'attends la suite.

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Il semblerait que j'aies aussi loupé un bout de ton histoire :good:

Fichtre, diantre, bigre! C'est un fourbe!

Bon mis à part cela, nous avons peut-être beau être irréductible ( :-x ), mais pour ma part, le manque de régularité de la postation (gné! c'est quoi ce mot?) de tes chapitres nous (me) fait largement perdre le fil de l'histoire, un petit résumé en début de chapitre (qu'on te demande souvent je crois :wink: ) serait des plus agréables :D .

ensuite, pour les deux chapitres en eux-mêmes, ben voilà quoi, je débarque malheureusement pratiquement en touriste (je ne me souviens de plus grand chose des derniers événements... je dois le reconnaitre ^_^ ), mais bon heureusement, ça m'est revenu au cours de la lecture. Donc, beeen, voilà quoi, sont un peu bizarres les nains, tout comme les anguipèdes (à quand nous aura donc tu fais la sortie complète de toutes tes races, lol :D ) et pis on attend la suite.... vu qu'il n'y a pas grand chose d'autre à dire B) ...

Allez zou, la suite!(en attendant que je réussisse à trouver de l'inspiration pour un texte :P )

@+

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Tout d'abord merci à vous tous pour vous accrocher coute que coute... Des lecteurs comme vous, on en voit pas souvent !

Je m'excuse pour mes irrégularités, et j'ai une mauvaise nouvelle : j'arrive en période de concours, ce qui signifie que je ne risque plus de poster un texte avant quelques mois... Au plus tôt d'ici mai-juin.

C'est vrai que "l'explosion" de l'histoire est un lourd défaut : à force de trop inventer, on s'y perd. Quant au récapitulatif des races, je peux bien en faire un, mais ce ne sera qu'un bref aperçu. J'ai déjà parlé d'un wargame que j'ai inventé et qui est sensé représenter les combats dans mon univers : j'en suis à une cinquantaine de codex manuscrits ( et seulement quelques uns sur word ). Vous voyez l'ampleur de la tâche !

Je vais tâcher d'éditer le premier post de ce sujet pour faire la liste des principaux peuples ( au moins ceux apparaissant dans ce récit ).

Encore un raccord :

« -De toute façon, il faut se remettre en route, déclara Lamenoire.

-Je suppose, oui. Mais puisque nous ne sommes plus seuls, restons sur nos gardes. »

Ils firent de leur mieux pour ne pas laisser plus de traces de leur passage : rejetant du sable sur les morts, ils s’assurèrent que tout ait été recouvert avant de prendre du large. Il aurait été inutile de s’attarder : déjà plusieurs gyps virevoltaient en piaffant, le bac ouvert. Leurs grandes ailes déplumées fouettaient l’air avec avidité, manquant de les assomer. Moitié rampant, moitié courant, les deux voyageurs s’éloignèrent à la hâte, laissant les charognards faire leur boulot. Mylnar jeta un regard par-dessus son épaule, pour voir les vautours désensabler leurs proies par de grands coups de tête ou de griffes, tout en se battant pour savoir qui profiterait des meilleurs morceaux…

Lamenoire observa un scorpion dressé en haut d’une dune, le dard levé ; la créature recueillait ainsi la moindre goutte de rosée, et les laissait couler jusqu’à sa bouche assoiffée. Mais l’arachnide s’écarta à leurs passages, faisant claquer ses mandibules dans un sifflement imperceptible. Il ne mesurait pas plus de quarante centimètres de long, mais il ne faisait aucun doute que son venin aurait pu compenser sa relative petite taille.

Ils tournèrent la tête, contemplant les rayons réchauffer la carapace déchiquetée du pilone de pierre fondue, qui transperçait la surface stérile du désert. A cette distance, de longues fissures percées dans les falaises apparaissaient au grand jour. Un silence de mort planait sur les lieux lugubres. Les rares nuages effilochés s’étiraient doucement derrière la masse impressionnante, comme pour mieux découper sa forme rugueuse sur le ciel épuré.

Mylnar repensait à la colline rocheuse précédente, et se demanda combien d’excroissances géantes de ce genre restaient encore debout dans la région. Il était prêt à parier qu’elles abritaient toutes des garnisons de nains, au temps de leur grandeur. Peut-être y en avait t-il toujours à résider dans ce nouveau poste.

Lamenoire observait avec attention ce qui ressemblait à des simples flétrissures pour un œil non averti, mais qui à n’en point douter consistait en un réseau habilement tracé de meurtrières. Le peu de perception des Vents Magiques dont il était capable suffit à le mettre mal à l’aise. Peut-être cela voulait t-il simplement signifier que ce lieu ne recelait aucuns courants. Ou bien peut-être trop d’entre eux y convergeaient. Ou bien la menace latente était bien réelle, et ça gêne serait alors une appréhension justifiée. Il secoua la tête, chassant toutes ces mauvaises pensées. Pourtant il continuait à s’interroger. Une aura, presque invisible pour ses yeux non exercés, errait sur ce lieu sinistre.

« -Nous devrions aller y jeter un coup d’œil, murmura t-il.

-Tu penses que c’est habité ?

-Je ne sais pas, mais je suis curieux de nature.

-Cela paraît en moins bon état que le dernier que nous avons visité.

-S’il s’y trouve des nains, je les interrogerais sur Yrranie.

-Ah oui… Ce que Ratirk t’as dit dans son dernier souffle. Mais qu’est-ce au juste ?

-Je n’en suis pas encore bien sûr. Mais c’est mon seul indice. »

Pas le seul en fait, se rappela t-il. Il savait que des nains avaient longtemps cherché le Donomâr, à commencer par Ratirk. Mais la pierre d’Espoir était l’œuvre des nains des Monts de Mort : ceux des autres karaks en auraient-ils entendu parler plus qu’eux ? Il y avait aussi cette étrange vision cauchemardesque, où il avait cru faire corps avec un monstre à double esprit. Il avait vu le tombeau d’un seigneur nain, dans un village isolé. Furik ! Furik Altiforge, c’était son sanctuaire. Mais tout cela ne semblait pas l’aider.

Ils arrivaient déjà au pied de la montagne : les dunes recouvraient partiellement les premiers contreforts, et bien que les pentes ne soient pas en encore trop escarpées, ils suaient déjà à grosses gouttes : la chaleur reprenait déjà ses droits, et seules quelques vieilles pousses d’arbres secs apportaient de l’ombre.

Lamenoire vacilla, soudain souffrant. Une douleur lui vrillait les tempes, à mesure que sa plaie se réveillait. Puis la blessure à son flanc s’enflamma à son tour, le pliant en deux. Mylnar vint aussitôt le soutenir, et le laissa s’asseoir sur une roche brisée :

« -Dites voir, Messire Gandacier, vous allez tenir ?

-Il faudra bien… Oui, cela ira.

-Je ne comprends pas ce qui vous arrive. Je vais vous faire de nouveaux cataplasmes.

-Pas ici. Mettons-nous à l’ombre avant… Avant que le soleil soit trop haut.

-Alors, trouvons l’entrée. »

Le rôdeur se releva en réprimant un gémissement. Sa main plaquée sur son front n’était pas maculée de sang, mais poisseuse de sueur. La fièvre montait, et il était presque persuadé d’être aveuglé par son sang suintant. Etait-ce là les symptômes de la lèpre ? In n’en savait rien, mais cela était désagréable au possible.

Ils firent deux fois le tour de la base de la colline, examinant chaque recoin, sans jamais apercevoir le moindre passage possible, la moindre cachette. La chaleur, entre les grands blocs de basalte, devenait étouffante. Lamenoire titubait, harassé, laissant l’homme-chat grimper sur les asperités pour contempler les versants voisins. Le malaise était renforcé par cette inquiétude sourde qu’il avait ressentie à l’approche de la montagne, et qui n’avait cessé de grandir. Il en était presque certain, i ly avait en ce lieu quelque malignité.

« -Hourra ! J’ai trouvé, compagnon ! »

Mylnar le soutint pour arriver jusqu’à une grande dalle à peu près lisse, cachée par deux grands rochers de deux mètres de haut. Derrière cette porte rocailleuse, qui coulissait sans un bruit, commençait une volée de marche se perdant dans les ombres des grottes.

« -Dépêchons-nous d’entrer avant de rôtir sur place ! »

L’intérieur du couloir était étroit, mais humide et froid. Mylnar repoussa le battant avant que le vent brûlant n’ait chassé la fraicheur. Lamenoire s’appuya au mur, reconnaissant. Il allait un peu mieux, bien que la douleur restât opiniâtrement.

« -On n’y voit goutte, reconnut Lamenoire, mais au moins nous sommes à l’abri.

-Pas des serpents de roche, ironisa le rôdeur.

-Cela existe ? s’étonna l’homme-chat.

-Je n’en sais rien et je préfère ne pas le savoir. Qu’y a t-il en vue ? »

Sa vue se troublait, à présent. De toute façon, il n’aurait pas reconnu grand chose. Mais les taches intermittentes de lumière qui dansaient devant ses yeux le fatiguaient. Au moins pouvait-il s’appuyer sur l’excellente acuité visuelle de son ami.

« -L’escalier monte sec, commenta celui-ci. Pas de torche en vue, ma foi. Il va falloir avancer dans le noir.

-A la grace d’Addim. »

Les marches étaient hautes et mouillées par les gouttelettes tombées du plafond. Des plaques de mousse épaisse pendaient des murs à droite et à gauche. L’ensemble semblait ne pas avoir été utilisé depuis des lustres. Ce qui était évidemment faux, en témoignait le cadavre d’anguipèdes gisant en travers du passage, quelques volées plus haut.

« -Ah, la sale bête ! » grogna Mylnar.

La sale bête en question avait déjà eu plus que son compte. Elle gisait désarticulée, le cou brisé, le corps zébré de coups. Les deux voyageurs l’enjambèrent sans trop s’apitoyer sur son sort. Il ne faisait aucun doute que les hommes-serpents avaient assailli la place. Les marches étaient maintenant teintées d’un sang qui n’avait pas encore séché dans ces caves humides. D’autres dépouilles trainaient dans l’escalier, autant d’obstacles à la progression. Lamenoire buttait sur chacun d’eux, accusant chaque fois un peu plus de fatigue.

Une lumière diffuse, presque irréelle, apparut au bout du long corridor. Presque rassurés, ils s’en approchèrent aussi vite qu’ils purent, l’un soutenant l’autre. Les derniers volées de marches dansaient encore dans l’esprit de Lamenoire quand ils s’arrêtèrent dans l’embrasure de la sortie, haletants.

Modifié par Shas'o Benoît
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  • 4 semaines après...

Quatre torches accrochées aux murs décrépis achevaient de se consumer, éclairant les longs troncs d’une douzaine de cierges éteints. La voûte s’élevait presque instantanément, révélant un plafond sculpté avec soin. Les coups de ciseau et les traits gravés dans la pierre resortaient encore malgré l’humidité et la fatigue de nombreux siècles.

Une longue table de chêne massif trônait au centre de la pièce, sculptée d’une seule pièce. Comment avait-elle pu échouer en pareil endroit ? Des dizaines de couverts renversés y étaient déposés, sens dessus dessous. Des mixtures nauséabondes tâchaient les planches de bois, les couteaux et cuillers gisaient pêle-mêle dans la poussière. Des verres brisés contenaient encore de l’eau croupie, et des cruches ébréchées traînaient au pied des chaises renversées.

Autour de la table, six anguipèdes se tenaient vautrés sur les sièges culbutés, leurs queues immobiles enroulées autour des pieds des meubles. Dès l’arrivée des deux intrus, ils s’étaient arrêtés dans leurs agapes. Tournant leurs yeux en amande vers les importuns, ils se mirent à siffler en cadence. Le plus proche d’entre eux dégaina sa rapière.

« -Dans quel pétrin sommes-nous tombés… » soupira Mylnar.

Les hommes-serpents se mouvaient à une vitesse confondante, leurs odieux sifflements moqueurs résonnant avec force. Les deux voyageurs surent déjà que la partie s’annonçait bien mal : avec de pareils cris, ils auraient tôt fait d’ameuter toutes les autres vermines qui pouvaient se trouver en ces lieux.

Lamenoire sortit de son fourreau le sabre qui lui avait donné son nom, et amputa d’un bras le premier adversaire qui se présentait à lui. Mylnar avait lancé sa hache droit sur le deuxième, l’atteignant dans le cou. Il se battait maintenant avec un tabouret dans chaque main, feulant de colère. Les protestations des pillards redoublèrent. Lamenoire esquiva avec peine les coups suivants, puis parvint à blesser à mort la créature qu’il avait déjà atteinte. Deux autres s’en prenaient déjà à lui. Et la douleur persistait…

Soudain, à travers la cohue de l’échauffourée, les murmures de paroles lointaines parvinrent à son esprit gourd. C’était comme si quelqu’un dirigeait tout cela, la souffrance, la bataille, les combattants.

Il ne se laisserait pas faire aussi facilement. Il était temps d’user de ce précieux savoir que lui avait transmis Ytuzîr, une nouvelle fois.

Mylzar cligna des yeux, à moitié aveuglé. Tout autour d’eux, de petites particules d’énergie scintillaient, se dissociant des grains de poussière flottants. Les lucioles se rassemblèrent, formant des nuages de lumière condensée, et tous ces rayons lumineux convergaient vers Lamenoire qui se tenait immobile, face à deux de ses opposants. Le halo de lumière se resserra encore, à mesure que toute la lueur se rassemblait autour de lui, collant à sa peau. Les reflets des rais incandescents s’enflammèrent brusquement, dardant des langues de feu sans pour autant l’incommoder. Avançant d’un pas ferme et résolu, il effleura les hommes-serpents qui tombèrent à terre, enroulés par des rideaux de flammes. Tordus de douleur, grésillant de rage, ils se traînaient pitoyablement.

Une nouvelle bande d’anguipèdes arriva par un escalier au fond de la salle, qui disparaissait dans la roche, les yeux injectés de sang. Lamenoire se tourna vers eux et hâta le pas, élevant son bras droit à l’horizontale. La lumière virevolta en crépitant, jusqu’à ce qu’une série d’éclairs incandescents sillonnent le fer du sabre et se prolonge à travers la salle pour frapper les rangs des nouveaux arrivants. L’odeur de sang et de chair brûlée était omniprésente. Effrayé mais néanmoins ragaillardi par la nouvelle tournure des événements, Mylnar ramassa sa hache d’abordage et suivit son compagnon, qui pourchassait maintenant les hommes-serpents. Ceux-ci reffluaient en désordre, glissant les uns sur les autres en essayant de remonter les marches.

Lamenoire redevint peu à peu maître de lui, pour découvrir l’ampleur du carnage. Le nimbe de flammes qu il’auréolait s’étiola rapidement, révélant à lui les nombreux corps carbonisés qui gisaient sur le sol dallé. Ils étaient arrivés dans une vaste salle au mur disparaissant dans l’obscurité. Quelques étroites fenètres projetaient de pâles rayons sur la scène de désolation. A l’autre bout du vaste hall, qui devait autrefois faire office de salle d’audience, était placé un trône en bois massif, décoré de plaques de métal et incrusté de plusieurs pierres semi-précieuses, reflétant les tremblements des cierges placés de part et d’autre.

Sur le trône était assis une créature terrifiante, que le rôdeur compara dans so nesprit aux trolls des armées de Nommiard. C’était une bête serpentine, au corps large comme le tronc d’un chêne, mais semblant pourtant souple et élancé. I les terminait apr une longue queue sinueuse décorée d’anneaux d’or et d’argent, sur lesquels des sigles cabalistiques s’enroulaient. La peau écailleuse miroitait dans la lumièe vacillante des flambeaux, révélant des muscles puissants sous l’épiderme rugueux. Le monstre, dressé sur sa queue, pouvait bien atteindre quatre ou cinq mètres de haut. Il avait des épaules larges et bosselées, de longs bras athlétiques eux-aussi décorés de bracelets précieux, un cou digne d’un taureau, uncrâne énorme, carré, deux machoires prohéminentes bardées de crocs luisants, dépassant de ses lèvres fermées dans un sourire malveillant, un front osseux couronné par des excroissances en forme de cornes, tout autour des tempes, composant une sorte de diadème naturel et barbare, surmontant deux yeux en fente d’un jaune maladif. Dévoilant une longue langue fourchue, la bête s’étira en baillant et persiffla :

« -Par ma foi, deux-jambes, que me vaut votre visite ?

-Qu’avez-vous fait des nains qui résidaient ici ? demanda Lamenoire, en essayant de déglutir avec peine. Où sont-ils ? »

Le monstre cligna des yeux, se lécha les babines et demanda à brûle-pourpoint :

« -Tu sembles t’y connaître e magie, deux-jambes ?

-Peut-être, mais qu’est-ce que cela a à y voir ?

-Mais cela fait toute la différence ! C’est donc toi cette conscience que j’ai repérée tantôt, et qui a osé me défier ?

-Tout ce que je sais, c’est que vous ne me faites pas peur.

-Tu devrais, deux jambes. »

Lamenoire vacilla, un goût de cendre envahissant sa gorge en feu. La bête se redressa sur son trône et déclara avec emphase :

« -Je suis un cécrops, cela mérite un tant soit peu de crainte, ne crois-tu pas ?

-Répondez à ma question.

-Tu as un homme-chat avec toi. Je ressens beaucoup de morts dans son passé. Il a une vie bien chargée, décréta l’homme-serpent géant.

-Sans blague ? demanda Mylnar, méfiant mais intéressé. En quoi cela vous regarde ?

-Je ne rencontre pas souvent des voyageurs intéressants. Ces derneirs temps, je me serai bien amusé, ricana le cécrops. Cela a été une chance que de tomber sur cette colline. Oh, les nains ? Les plus tendres ont fait un repas convenable, ma foi. Les autres ont été servis aux corbeaux et vautours.

-C’est ignoble !

-C’est la loi du désert, siffla le cécrops. Bien, et maintenant que vais-je faire de vous ?

-Pas grand chose, j’en ai peur, répondit Gandacier. Malgré vos grands aiurs, je ne pense pas qu’il vous reste beaucoup d’esclaves à envoyer nous prendre. »

Le monstre claqua de la langue, puis siffla longuement, comme contrarié. Se clanat mieux dans l’opulent fauteuil, il répliqua :

« -Il doit bien en rester une dizaine ou deux qui traînent dans les couloirs, apeurés, ou bien qui dorment ou pillent dans quelque crypte. J’en ai aussi quelques dizaines qui vagabondent dans les environs de la colline, et que je pourrais rappeler d’une seule pensée.

-Essayez toujours, riposta Mylnar en montrant les crocs, quand ils arriveront, il sera trop tard pour vous. »

Le cécrops hocha de la tête, visiblement satisfait, puis émit un glapissement de joie :

« -Vraiment, je me serai bien amusé ; oui, je crois que je vais vous laisser la vie sauve.

-Qui vous dit que nous ne vous terrasserons pas ? cracha Lamenoire.

-Vous êtes vraiment décidés à venger ces creuseurs de tunnels à barbe ?

-Et pourquoi pas ?

-Parce qu’ils ne valent pas mieux que nous ? ironisa l’homme-serpent. Depuis des générations sans nombre, notre peuplea survécu dans ces contrées austères. Il y a bien logntemps, les dix races ont vu le jour, et se sont arrogé la terre. Pourquoi ne pourrions-nous plus être les maîtres des sables où gisent les os blanchis par les millénaires de nos aïeux ?

-Tout cela ne nous regardepas. Vous avez essayé de nous tuer, s’entêta Lamenoire.

-Parole, tu cherches la mort, deux-jambes ! Vous n’avez aucune chance contre moi, eussiez-vous été dix fois plus nombreux et moi transpercé de flèches ! D’ailleurs, si tu tiens à mourir… »

Il reniffla bruyemment, dilatant ses narines écaillées, et grogna de plaisir :

« -La mort est sur tes pas, deux-jambes. Tu as la lèpre, j’en mettrais ma main au feu, et si cela ne suffit pas, et bien… Je vois par-delà la trame de ton destin, un ennemi qui serait bien capable de surpasser la lèpre pour ce qui est de l’efficacité à mettre à mort. Maintenant partez, tous les deux, ou bien restez, auquel cas je me ferai une joie de balancer vos carcasses aux charognards. Pouah, je ne mangerai pas de vous, même pour le prix de ma tête ! »

Il se leva, prêt à bondir, mais une flèche siffla, fendant l’air avec grâce, et transperça son gosier pour achever sa course dans le dossier du trône. Cloué à son siège, le cécrops n’eut pas même le temps de réagir, quand deux autres traits se fichèrent dans se syeux injectés de sang. Sifflant de rage, il passa une main dans son dos et brisa le bois de la première, se libérant du meuble massif. Il grogna, le deux-jambe lépreux était devant lui, il sentait son haleine, et même son reflet dans les Vents de Magie.

« -Vous voilà percé de flèches, dirait-on, ricana Lamenoire. Voyons s’il sera nécessaire que nous soyons dix fois plus. »

Le cécrops leva sa main droite, en forme de serre géante acérée, mais une hache de lancer vola et lui brisa le poignet ; au même instant, une flèche le frappait au côté avec tant de violence que la pointe atteignit son cœur, et un sabre noir s’enfonçait dans sa gueule pour lacérer sa gorge. La bête s’effondra de tout son long, expirante.

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