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Warhammer Forum

Le Canyon


Kayalias

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Avant que vous ne lisiez, vous devez savoir que j'ai pondu cette nouvelle hier soir, suite à une sorte de frénésie d'écriture ; que la différence de ton et de tournure reflète l'évolution de mon état d'esprit pendant que j'écrivais. Par conséquent, j'ai décidé de ne pas harmoniser le style, mais bien de le laisser tel quel. Enfin, même si cette nouvelle peut paraître légèrement barrée, elle a été pour moi un excellent petit labo d'expérience. Bonne lecture :)



[center][size="5"][b]Le Canyon[/b][/size][/center]





Je me souviendrai toujours de cette nuit. Celle ou je l'ai vu pour la première fois. Il ou elle ? Tout cela n'a que peu d'importance. Tout ce que je sais, c'est qu'il a définitivement changé notre vie, à tous les quatre.

La première personne que j'ai rencontré, c'est Manu. Il a été mon voisin pendant prés de dix ans et mon meilleur ami autant de temps. Lui et moi avons beaucoup de divergences mais c'est quelqu'un de droit. Quelqu'un sur qui on peut compter, quelqu'un qui sait se mouiller. Il m'a sauvé la mise plusieurs fois, notamment au cours de cette journée de tous les diables. Manu était grand et plus vieux que moi d'un an. Il aimait s'imposer et commander. Lorsque nous avons rencontré Brice et Valentin, son autorité naturelle s'est imposée au groupe comme une évidence. Avant d'être mon chef, il restait cependant mon ami. L'inverse était vrai. Aussi nous nous estimions plus qu'égaux, presque frères.

Lui et moi, on a fait les 400 cents coups quand on était gamins. On crapahutait tout le temps, rentrions au coucher du soleil, nous attirant la foudre des parents. Je ne compte plus les trempes, les interdictions, les punitions. Mais à chaque fois, la liberté prenait le dessus. On escaladait les arbres sans protection. Quand j'y repense, on aurait vraiment pu se tuer. Mais il y avait un truc qu'on aimait plus que tout. Le dimanche après-midi, on ouvrait à la tenaille le grillage qui retenait les poules de monsieur Neniche, juste pour voir le vieux courir comme un fou après ses volailles. Le spectacle était génial. Pauvre vieux, je crois qu'il a chopé Alzheimer. Je suis sur qu'on n'y est pas pour rien... Ah les petits cons que nous étions...

Oui, j'ai oublié de vous dire, je m'appelle Antoine. Une femme un peu bizarre du village m'a dit un jour que ce nom venait du latin Antonius qui veut dire inestimable. Riez, à chaque fois que je raconte cette histoire, c'est la même ritournelle. Il n'empêche que j'ai su me rendre utile dans [i]la mêlée[/i].

Comme je le disais, Brice et Valentin nous ont rejoint plus tard, vers l'âge de 10 ans. Brice était petit et trapu, étonnamment poilu pour son âge. Je ne vous raconte pas aujourd'hui. Le fait est que Brice aimait la musique. Il jouait du piano comme un vrai petit péteux, mais son talent ne s'arrêtait pas là. Il a toujours su être créatif et de son imagination débordante naissait souvent quelques projets improbables. Aujourd'hui, il est ingénieur. Avec le recul, je ne l'aurai pas imaginé faire autre chose de sa vie.

Valentin était grand et maigre. Sa physionomie ne reflétait pas le guerrier qui sommeille en lui. Son corps est frêle, mais son cœur est plein de courage. Nous lui devons beaucoup. Le bougre a sacrifié une part de lui même pour nous protéger. Aujourd'hui, sa pension d'invalidité ne reflète pas la dette que nous avons envers lui.

A l'âge de 12 ans, notre bande découvrit la parité. Lorraine et Émilie nous rejoignirent. Ensemble, nous traînions dans le village et passions le plus clair de notre temps en forêt. Elle était notre repaire, notre bouffée d'oxygène ; notre terre de liberté et de création. Comme beaucoup de gamins, nous adorions construire des cabanes. Toute la journée, nous taillions, arrachions, clouions pour le bien de nos édifices. Brice concevait les plans, Valentin coupait le bois et Manu assemblait. Qu'est-ce que je faisais moi ? Oh, c'est simple, je passais mon temps avec Lorraine, lui vantant le futur confort de notre cabane, cabane dont je ne participais aucunement à la conception. Cette explication serait sans doute celle que vous donnerait Manu. C'est à cette époque qu'une rivalité est née entre nous deux, la seule que je puisse énumérer. Le jardin était vaste, mais nous souhaitions cueillir la même fleur.

Nous ne faisions pas que bâtir des cabanes et courir les champs. A cette époque, la guerre faisait rage dans le village. Nous étions opposés à d'autres gamins du même âge que nous. Ils formaient une petite bande de 7 abrutis. Les frères Marcelo, Jimmy, Maxime, Lucas Alain et Baptiste, le meneur. A vrai dire, je ne sais pas ce qui nous opposait véritablement, si ce n'est l'inimitié. Quoiqu'il en soit, ces gars là nous menaient la vie dure. A sept contre quatre et si l'on considère Brice, court sur patte et Valentin, taillé comme une allumette, les confrontations physiques étaient loin d'être en notre faveur. De plus, ces types lorgnaient sur Émilie et Lorraine et ça, ça m'était insupportable.

Pour tenir la lutte, il nous a fallu redoubler de créativité et de roublardise. Nous fabriquions des lance-pierres, des arcs et des arbalètes brevetés par notre fidèle ingénieur en herbe : Brice. La baliste n'était sortie qu'en cas de péril important. Dans ce cas, nous tirions des projectiles d'environ 1m20 de long directement dans les rayons des vélos de la faction ennemie. Je me souviens encore du soleil réalisé par le frère aîné Marcelo qui a tété le bitume avec gourmandise. Oh certes, ce n'était pas du goût des parents mais peu importait : une guerre est une guerre. Ils avaient l'avantage du nombre tandis que nous jouissions d'une supériorité technique.

Les cabanes esthétiques et douillettes avaient cédé place à des forteresses fortifiées, couvertes d'épieux taillés des journées durant et munies de barbelés volés aux paysans d'à côté. Quelques accidents arrivaient parfois dans les deux camps. Une flèche qui aurait traversé le mollet. Une pierre reçue sur l'arcade, juste au dessus de l'oeil. Ou un marteau tombé du premier étage de la cabane sur une tête malencontreuse. Tout cela faisait parti du métier et nous y dépensions toute notre énergie, au grand dam de nos parents et professeurs. Cette violence n'était que le prémisse d'un conflit dans l'ampleur allait nous emporter tel le roulis implacable du plus furieux des océans.

Le 1er août, au lendemain de mes 13 ans, j'ai entendu son appel, plus discret qu'une brise d'été. [i]Il[/i] s'est assis à côté de moi, a posé sa main sur mon thorax. Je dormais sans dormir. Tout mouvement m'était impossible. Et pourtant, [i]il[/i] s'est adressé à moi distinctement, comme [i]il[/i] s'est adressé aux autres :

« Dans 1 mois jour pour jour, se tiendra une bataille vous opposant aux hommes de Baptiste. Cette bataille se jouera en forêt, à l'endroit que vous appelez le « canyon ». Vous devrez tuer. Tous les coups seront permis. Je récompenserai l'équipe survivante de trésors inimaginables. Les perdants n'auront que le goût âcre de la terre en bouche. Chacun de vous est au maintenant averti. Tuer ou être tué. Aux armes ».

La voix s'est évaporée en même temps que sa silhouette. Pourtant je jurerais avoir entendu le nom de Lorraine, égaré quelque part dans le vent.

Au petit matin, aucun des gars de ma bande ne sonna chez l'un ou chez l'autre. Je restai persuadé d'avoir rêvé, bien que la silhouette m'apparut si intense, si réelle. Elle nous avait appelé « hommes », mais nous n'étions que des enfants. Aujourd'hui, je donnerais cher pour revoir son visage.

La situation dura quelques jours, alors que mes parents s'inquiétaient de ne pas me voir " prendre le large " comme ils disaient si bien. Le temps était magnifique. Cela renforçait leur sentiment de méfiance à mon égard. Ils n'avaient pas l'habitude de me voir cloitré à la maison, surtout lorsqu'un si beau soleil pointait au dehors. Ce fut finalement Valentin qui brisa cette chaîne tacite du silence . Valentin a parfois le mérite d'être profondément bête et de mettre les pieds dans le plat, mais cette fois-ci, sa bêtise nous a sauvé. Il est venu sonner à chacune de nos portes, nous expliquant qu'il voulait absolument nous parler [i]d'un truc[/i]. Tous, nous savions, mais aucun n'eut le courage de se l'avouer. Et certainement pas moi. Ce petit conseil improvisé nous révéla ce que nous devinions déjà. Tous les membres de notre groupe avaient fait le même rêve, ou du moins ce que nous appelions comme tel pour ne pas nous effrayer d'avantage. Voyant l'imminence du chaos, Manu prit la parole et tous l'écoutèrent :

- Si nous avons tous fait ce rêve, ce n'est pas un hasard. La question reste de savoir si nos ennemis l'ont aux aussi fait.
- Mais quand [i]la chose[/i] parlait de tuer... C'était du bluff hein ? s'enquit Brice.
- Je ne sais pas.
- Je me vois mal tuer qui que ce soit.
- Et moi donc. Je te vois mal tuer qui que ce soit.

Tous ricanèrent mais la peur était présente dans nos cœurs. Valentin n'était pas venu seul sonner à notre porte. Il avait emporté le doute. Plus noir qu'un ciel sans étoile, il menaçait de nous aspirer dans son immensité. La décision fut donc prise d'évaluer la position de nos adversaires. Ceux-là se firent extrêmement discrets dans le village. Nous avons du attendre et espionner plusieurs jours durant leur lotissement, lorsqu'au 11e jour après mon rêve, je croisais Baptiste, pressé. Il n'y avait jamais eu de rancoeur entre nous, Baptiste et moi étions amis par le passé mais les ennemis de nos amis ont fait de nous des ennemis. De tous ceux de sa bande, il était de loin le plus malin. Qu'est-ce qu'il pouvait bien faire avec des demeurés ?

Nous nous sommes salués et adressés la parole. Cela fut bref. Si la nature ne m'a pas doté de la force et du charisme de Manu, du savoir faire de Brice ou de la fougue de Valentin, je savais lire dans les âmes. Je perçus le même trouble dans celle de Baptiste que dans la mienne. J'ai su que lui aussi avait rêvé. Rêvé d'une bataille qui aurait maintenant lieu dans moins de trois semaines. Une bataille où nous devrions tuer. [i]Tuer ou être tué[/i]. Cette idée semblait le terroriser autant que moi. Nous parlions un langage silencieux. Lorsqu'il m'avertit rejoindre ses acolytes pour se préparer, je compris qu'ils avaient pris ce rêve collectif au sérieux. Leur avance était certaine mais loin d'être décisive. Je prévins Manu sans attendre qui donna les consignes à suivre.

- Dorénavant, la menace est sérieuse. Antoine m'a averti que les ennemis préparaient en ce moment une réunion secrète. Je ne sais pas qui est l'instigateur, ni pourquoi ce rêve nous a tous frappés. Tout ce que je sais est que s'il se réalise, il faudra être prêt. A partir d'aujourd'hui, il nous reste trois semaines pour nous préparer. Nous avons pris du retard, mais rien n'est joué. Allons au Canyon, à partir de maintenant, c'est notre nouvelle maison !

Tous l'acclamèrent. Manu avait grandi avec nous mais il semblait déjà être un homme. Nous obtempérâmes sans sourciller. Arrivés au Canyon, tous contemplèrent la géographie du terrain. Un ruisseau parsemé de galets glissants séparait la première berge de la seconde. Cette dernière s'élevait pour former un promontoire naturel entouré d'arbre, d'où l'appellation « Canyon ». Il ne fallait pas être ingénieur pour deviner que ce terrain constituerait l'endroit idéal pour bâtir une cabane. Brice donna tout de même de la voix :

- Si nous souhaitons défendre la position, je pense que ce terrain est parfait.
- Très bien. Nous aurons tous besoin de tes talents. Je ne veux pas que tu bâtisses une simple cabane, mais une forteresse défensive. Ne me déçois pas.

Brice resta muet comme une carpe avachie par le poids des responsabilités. Il se mit toutefois à l'oeuvre, analysa le positionnement des arbres, la dureté du sol et surtout l'arrière du surplomb qui constituait le point faible du futur bastion. L'ennemi pouvait très bien contourner le Ruisseau et prendre la forteresse à revers, là où la pente du Canyon est douce. Il allait travailler tout çà.

Manu demanda à Valentin de l'aider pour collecter les palettes et plus généralement tous les morceaux de bois environnants qui serviraient à l'élaboration de la forteresse. Avant de remplir sa mission, le chef de notre groupe s'adressa tout particulièrement à moi, me demanda si je pouvais m'occuper de la préparation des armes et des munitions. Tâche que j'acceptai avec un honneur surprenant. Toute la journée, la forêt résonnait des coups de marteau. Ceux-là parvenaient à masquer les coups que nous infligeaient les mots de la silhouette. [i]Tuer ou être tué[/i]. Cette phrase entêtante nous hantait tout le jour, pendant les repas et chaque nuit, quand nous nous endormions, le corps couvert de bleus, de plaies et de boutons d'orties.

Il ne restait plus que deux semaines avant la date fatidique. Personne ne l'oubliait. Nous ignorions ce que faisaient nos ennemis. Cela renforçait l'inquiétude de chacun, mais Manu parvenait systématiquement à nous faire entendre raison, quitte à élever la voix. La cabane ou plutôt la forteresse avançait bien. Nous avions élaboré un système de poulie qui permettait de remonter sans grand effort les palettes en aval du Canyon. Brice disposait les planches de manière à renforcer l'armature du fortin. Il commença par solidifier l'arrière, la partie la plus vulnérable. Il utilisa les meilleurs renforts et les plus hautes palettes pour édifier un mur de bois d'environ 2m50 de haut. Sur les flancs qui n'étaient pas couverts par le ruisseau, Brice s'inspira de ses bouquins sur le moyen-âge et décida de constituer un second étage qui permettrait de verser de l'huile bouillante directement sur nos assaillants. Le rez de chaussée serait percé de trous suffisamment grands pour frapper avec nos lances, tout en étant à l'abri des murailles.

Les lances, c'est moi qui les confectionnais. Je réunissais le bois le plus dur que je trouvais, du chêne bien souvent, puis taillais la branche avec soin. A la fin du processus, je chauffais la pointe au feu pour la durcir d'avantage. A l'aide de planches fines, je formais de solides boucliers, ni trop lourds, ni trop légers. J'en assemblais toujours un ou deux en réserve, au cas où. Mon rôle était aussi de fabriquer des arcs de qualité et de nous approvisionner en munitions. Comme le disait si bien Manu :

« Rien de pire en temps de guerre de position que manquer de munitions ».

Je fabriquais de nombreuses flèches en bois léger mais solide, que j'équilibrais à l'aide des plumes de canards sauvages retrouvées aux abords du ruisseau. Je mis prés d'une semaine supplémentaire pour concevoir les arbalètes dont Brice a le secret. Ses plans illisibles ralentissaient mon travail mais nous garantissaient qu'aucune de ses inventions ne tombe jamais entre les mains de l'ennemi.

Il ne nous restait plus qu'une semaine.

Valentin était exténué d'avoir transporté la majeure partie du bois nécessaire aux préparatifs de combat. Il prit deux jours de repos amplement mérités mais pendant ce temps, nous avons du redoubler de vigueur pour combler la force de travail manquante. L'oeuvre qu'il nous restait à accomplir restait considérable. Nos parents se demandaient sans cesse ce que nous fabriquions mais nous filions à l'anglaise dès que l'occasion se présentait. Lorsque Brice eut terminé les trappes qui permettaient de lancer des rochers sur quiconque tenterait d'escalader le canyon à l'avant du fortin, Manu prit le risque de lui demander le plus improbable des paris.

- Brice, il ne nous reste plus que cinq jours en comprenant le dernier qui sera jour de repos pour tout le monde. Je veux que tu confectionnes la plus fantastique des armes de guerre, que tu ne te focalises que là dessus jusqu'à la bataille. Est-ce que tu m'as bien compris ?

Brice sut qu'il n'avait pas le choix. Il accepta de bonne grâce et travailla d'arrache-pied toute la période restante. Quant à moi ? Je riais des plaisanteries de Valentin qui trouvait toujours le moyen de se blesser bêtement. Tandis que je creusais la terre humide et confectionnais quelques pièges recouverts d'un tapis de feuille, j'étais terrorisé à l'idée que le combat ait véritablement lieu. Nous n'avions toujours pas de nouvelle de nos ennemis ce qui rendait l'attente plus insupportable encore. Manu qui plantait un nombre incommensurable de pieux autour de la forteresse lut en moi l'angoisse rampante. Il s'installa à mes côtés et me présenta l'arme qu'il s'était confectionné. Il s'agissait d'une lame d'acier emprunté à la jointure de parquets. Il l'avait taillé et aiguisé à l'aide de la meule de son père. Enfin, il lui avait confectionné un pommeau de bois et y avait même gravé son nom à l'opinel : Durendal, comme l'épée de Roland.

- Tu la trouve belle ? me demanda-t-il.

Je ris.

- Bien sur. J'éspère qu'elle est aussi belle que mortelle.
- Ca nous le verrons dans quelques jours...

Cette remarque glaça un peu plus nos cœurs.

- Tout ira bien, tu verras.

Il se leva avec la force d'un héros de roman qui, par la seule volonté de mots apparemment vides de sens, sait remplir de force l'âme des enfants et des hommes.

La veille de la bataille, Lorraine peupla mes cauchemars de sa présence apaisante. Je me demandais ce qu'elle devenait depuis le temps. Cela faisait un mois pile que je n'avais plus de nouvelle. Suite au rêve, toute la bande lui avait demandé de rester à l'écart. Il en était de même pour Émilie. Lorsque je me suis levé ce dimanche à 8h du matin, [i]la voix[/i] sinistre de la silhouette murmura « Tuez ou être tués ». Je m'habillais, expliquant à mes parents que je ne rentrais pas manger. Je me demandais si je rentrerais manger un jour.

- Amuse toi bien. dirent-ils comme l'on dit à un enfant dont on ne sait pas qu'il va mourir.

Quand je suis arrivé au canyon, Manu faisait déjà le pied de grue, attendant ses troupes. Valentin nous rejoint. Son sourire me mit mal à l'aise mais il ne sembla pas le remarquer.

- Que fais Brice ?
- Je ne sais pas.
- Antoine, tu as des nouvelles ?
- Aucune. Tu ne lui avais pas demandé de concevoir une arme ?...

Une détonation sourde retentit dans la forêt, provoquant l'envol précipité des canards apeurés. Quelques minutes plus tard, Brice grimpa en sueur la pente qui le menait au fortin. Il semblait porter une sorte de cylindre sur son dos, cylindre duquel émanait de la fumée. On lui ouvrit la trappe centrale.

- Désolé les gars pour le retard...
- Il n'y pas de quoi, qu'est ce que tu portes sur ton dos ? demanda Manu l'air circonspect.
- Ah ça, c'est l'aboutissement de quatre jours de recherche intensive. C'est notre arme de destruction massive.
- Allons donc, tu l'as testé au moins ?
- Hum oui. Une fois. A l'instant.
- Nous courrons à la catastrophe, chuchota Valentin.
- Puisque je vous dis que cette arme est sure. D'ailleurs je lui ai donné un petit nom : [i]le Patator[/i] puisque l'unique test que je viens de réaliser a été fait en prenant une patate comme projectile.
- Tu comptes blesser nos ennemis avec des pommes de terre ? s'enquit Valentin consterné.
- Non idiot. J'ai dans mon sac un condensé de gravier, de verre et de pierres aiguisées. Il suffira de remplacer la patate par cette mitraille et BOUM !

La simplicité de la démonstration n'avait convaincu personne. Brice se perdit en explications sur le fonctionnement, l'allumage de la chambre de combustion chargée en laque pour cheveux, le canon percé de trous et huilé pour un meilleur départ de projectile. Valentin voulut le faire taire à coup de gourdin mais son bras fut stoppé par Manu au dernier moment. L'on entendit plusieurs craquements dans la forêt, comme si plusieurs personnes s'y promenaient ou venaient y faire la guerre...

Chacun de nous se tut. Je lançai un regard à Manu qu'il ne me rendit pas. [i]Allume les casseroles d'huile[/i], me dit-il sommairement. Nos ennemis approchaient. Le combat aurait donc bien lieu. Dans cette forêt, des gens allaient mourir. A mesure que la troupe marchait vers le Canyon, nos cœurs se crispèrent. Mes doigts se refermèrent sur la lance, tandis que ma main gauche plaquait le bouclier fort contre ma poitrine. Valentin faisait de même, affichant un sourire sarcastique sur le visage, tandis que les doigts de Brice virevoltaient sur le manche de son arbalète comme sur les touches d'un piano. Était-il avec nous ou perdu dans les notes ? Peut-être se donnait-il simplement du courage.

Baptiste fut le premier homme que j'aperçus. Il tenait dans sa main deux marteaux. Je vis ensuite à sa gauche le gros Alain qui tenait une pioche aussi grande que lui, ainsi que Lucas armé lui aussi d'une pioche. Ou étaient donc les frères Marcelo, Maxime et Jimmy ? Manu leva la main pour nous dire de rester calme. Je croisai longuement le regard de Baptiste. Je vis de la détresse dans ses yeux et crus qu'il voulait me dire quelque chose mais une pierre me prit pour cible, frôlant mon crâne. Le gros Alain venait de la lancer en proférant des insultes à mon encontre. Manu abaissa la main d'un geste sec, comme pour lancer la riposte. D'un geste mécanique, je lançai alors mon propre javelot en prenant soin de viser tout homme autre que Baptiste. Brice fit de même avec son arbalète mais nous manquâmes tous deux nos cibles qui prirent soin de s'abriter derrière les chênes.

Un sifflement aigu se fit alors entendre dans la clairière. Dès lors, une pluie de pierres nous prit pour cible de tous côtés, nous forçant à nous abriter accroupi derrière nos murailles. Les frères Marcelo s'étaient planqués pour nous prendre à revers, tandis que Lucas profitait de la couverture que lui offrait ses comparses pour foncer sur notre flanc. Ils tentaient de nous prendre de vitesse afin de gagner au plus vite les murs du fortin. Peut-être n'étaient-ils pas si bête après-tout. Les pierres renversèrent les casseroles d'huile bouillante. Quelques gouttes touchèrent la cuisse de valentin qui poussa un hurlement de douleur. Considérant le péril, Manu donna ses ordres et tous le suivirent comme si sa volonté avait été décuplée au cœur de la bataille. Brice rechargea son arbalète dont la pointe des projectiles était spécifiquement faite de clou. Il toucha Lucas à l'abdomen. Celui-ci hurla à son tour et se plia de douleur.

Manu saisit alors son arc et visa l'un des Marcelo, mais la flèche était de piètre qualité et sa stabilité trop hasardeuse ne lui permit pas de toucher sa cible. Je maudis mon propre travail mais n'eus pas le temps de m'apitoyer. Baptiste avait traversé le ruisseau avec agilité et tentait maintenant d'escalader le Canyon sous la couverture efficace des jets de pierre d'Alain. Lorsque Baptiste fut à mi-hauteur, j'ouvris les trappe et projetai deux rochers massifs qui dévalèrent la pente. Le chef de nos ennemis fut surpris et n'eut pas le temps d'éviter l'un des rochers. Il fut heurté de plein fouet et chuta de plusieurs mètres en aval, la nuque baignant dans le ruisseau. Je n'avais pas eu le choix. Alain redoubla d'insultes à mon égard.


Pendant ce temps, Valentin tentait de viser les frères Marcelo à l'aide de son arbalète, mais le tir n'avait jamais été son point fort. Il manqua sa cible. Maxime et Jimmy se détachèrent des deux frères et rejoignirent le flanc pour aider Lucas. Il l'aidèrent à se relever mais Brice ajusta sa visée et tira une seconde fois. Le carreau atteint la gorge, sectionnant la carotide. Une grande quantité de sang commença à se répandre sur les feuilles de la forêt. Du sang d'enfant. Lucas gargouilla quelque chose d'incompréhensible et ses yeux roulèrent dans leurs orbites. En quelques minutes, il était mort. La bataille marqua dès cet instant un tournant. Personne ne réalisa l'ampleur de la blessure. Brice sembla ignorer lui même qu'il venait de donner la mort. Tuer ou être tué. Tout prenait son sens. Les esprits se focalisèrent un instant sur le défunt et marquèrent une pause surnaturelle au milieu la violence. Cela ne dura que quelques instants avant que la sauvagerie ne reprenne. Une pierre m'atteint cette fois à la tempe. Tout chavira. J'entendis des cris avec de m'effondrer au sol.

Manu me plaquait au sol pour qu'un second projectile ne m'atteigne pas. Valentin quant à lui, frappait de grands coups de lance à l'arrière du fortin pour repousser les frères Marcelo qui essayaient de briser les pieux afin d'accéder librement au mur. Sur le flanc, Brice tremblait de tous ses membres, ne semblait pas réaliser que Maxime et Jimmy venaient d'abandonner le corps de leur ami et donnaient à présent de furieux coups de pioche et de masse qui perçaient de profondes crevasses dans la charpente. Je repris soudain mes esprits. Je saignais abondamment du front et mon esprit peinait à trouver l'équilibre. Baptiste s'était relevé. Il saignait lui aussi et boitait. Fort de son expérience, il décida de contourner le bastion et de rejoindre Maxime.

Devant l'inertie de Brice, Manu empoigna son épée et frappa d'estoc à travers la meurtrière. Son épée entailla l'épaule de Maxime. Brice en profita pour reprendre ses esprits et se mit à recharger la chambre de combustion de son canon. Valentin tentait toujours de repousser les frères Marcelo mais l'un d'eux saisit sa lance et la brisa net, en l'écrasant avec son pied. Ils frappaient désormais la palissade à grands coups de hache. Celle-ci menaçait de s'effondrer. Je rechargeai alors mon arbalète et la glissa par la meurtrière, puis tira à l'aveugle. Au cri retentissant, je devinai avoir blessé l'un des frères, ce qui les força à reculer sur le moment.

Pendant ce temps, Brice enfermé dans une sorte de frénésie sanglait le fut du canon à l'armature du fortin. Il le chargea de bouts de verre et de pierres fines et coupantes, puis attendit la main tremblante, prêt à faire feu. Manu quant à lui s'occupait du flanc, par lequel trois ennemis tentaient un assaut. Alain venait de dépasser Baptiste qui boitait toujours tandis que Maxime et Jimmy menaçaient de faire s'effondrer le flanc moins solide de la forteresse à l'aide de leur pioche. Notre chef attendit le bon moment.

Maxime était corpulent. Lorsqu'il marcha vers le flanc avec pesanteur, le piège céda sous sa masse. Il s'enfonça à hauteur de l'abdomen dans la terre et chuta en avant, emporté par sa masse. Là, une multitude de pieux taillés l'entaillèrent en de nombreux endroits. Il laissa tomber sa pioche et poussa un hurlement déchirant. C'est ce que Manu attendait, il hurla :

- Sortie ! 

Dès lors, il ouvrit la trappe et profita de l'effet de surprise pour frapper Maxime qui eut le dos tourné vers son comparse immobilisé en arrière. Manu écrasa Durendal sur son crâne et Maxime s'effondra sans un cri, couvert de sang. Je regardais la scène sans savoir si je devais sortir et couvrir Manu, ou s'il fallait rester en retrait le temps d'éliminer les frères Marcelo qui menaçaient notre dos. Dans le doute, j'armai une fois encore mon arbalète, emprunta un carreau à Brice et me positionna au mieux pour ajuster ma visée.

Manu se battait comme un beau diable. Jimmy n'eut le temps de parer qu'une seule fois. Sa masse pesante ne lui octroyait que peu de liberté d'action et notre chef en profita. D'un puissant coup de pied, il propulsa Jimmy sur le sol et lui planta son épée dans l'abdomen. Le visage stupéfait du garçon peinait à réaliser que dans quelques minutes, la lumière du jour l'abandonnerait.

La violence de cette scène semblait sans limite. Focalisé sur le regard implorant du mourant, je n'eus pas le temps de voir que Baptiste s'était approché, qu'il s'était saisi de la pioche de Maxime et menaçait maintenant notre chef.

- Attention ! criai-je à l'intention de notre meneur.

Celui-ci se retourna et put tout juste esquiver la pioche qui siffla lors de son moulinet. Mais le sol était couvert de feuilles et de sang poisseux. Dans son esquive, Manu glissa et chuta. Le dénivelé m'empêchait d'ajuster ma visée avec précision. Je risquai à tout moment de planter un carreau dans le dos de mon allié. Je fus simple spectateur de la scène et je revois encore Baptiste écraser la pioche de toutes ses forces sur le torse de notre chef. L'on entendit un bruit sec, puis un crachat. Manu tint de ses mains le manche de la pioche, puis tourna la tête sur le côté. Un filet de sang dégoulinait le long des lèvres de mon meilleur ami.

Le sol sembla se dérober sous mes pieds, tant la scène paraissait surnaturelle. Les rires diaboliques du gros Alain, toujours bloqué à hauteur des hanches semblaient accroître l'irréel de cette bataille. Au même instant, un bruit sec de bois brisé m'indiqua que la palissade dans mon dos venait de céder. J'entendis un hurlement de Valentin, puis fut assourdi par une détonation terrifiante. La fumée envahissait la forteresse, désormais en piteux état. Les rires d'Alain redoublèrent mais je n'avais plus qu'une idée en tête. Lorsque Baptiste se releva après l'explosion, je croisai son regard une seconde qui sembla en durer cent. Ses yeux apparaissaient toujours aussi désolé que d'habitude.

Je fis feu.

Le carreau se logea dans sa poitrine. Il fut pris de convulsion. Un flot d'écume couvrit sa bouche, puis tout fut terminé. Dans la cabane, j'entendis un second hurlement de Valentin. Un hurlement qui devint une très longue plainte, comme celle d'un animal blessé. Je me précipitai dans l'enceinte des murs avant de réaliser qu'il manquait un bras à Valentin. Il était livide et saignait abondamment. J'eus un haut le cœur irrépressible et le besoin de m'effondrer sur le sol. Par chance, Brice ne tremblait plus. Il tentait d'immobiliser Valentin afin de lui faire un garrot avec un pan de sa chemise. Je compris alors que si la palissade avait cédé, les frères Marcelo pouvaient pénétrer dans le fortin à tout moment. Je ramassai alors la première lance que je vis, puis me faufila dans la brèche de notre palissade. Là, je vis les deux frères dans un triste état. La mitraille avait ravagé leur corps. Le carnage fut trop horrible pour être décrit. Je fus pris d'une nouvelle nausée.

Un autre cri m'avertit de la présence du gros Alain, toujours embourbé dans la terre et le sang. Mon cerveau ne pensait plus que par images. Je l'avais oublié lui aussi. Depuis son trou, il voyait que le chef de sa bande avait péri. Ses insultes et ses rires déments n'en finissaient plus. Il était temps d'en finir avec ce porc. Je quittai le fortin, passais devant le corps sans vie de Baptiste et de Manu. Je ne pus retenir une larme en voyant la pioche profondément enfoncée dans le thorax de mon ami. A ses pieds reposait Durendal. D'une main ferme, je la saisis et frappai si fort mon ennemi, que le pommeau de bois finit par voler en éclat entre mes doigts couvert de sang. Dès cet instant, les rires du gros Alain se turent pour toujours.




[center]***[/center]




Lorsque nous sommes rentrés couverts de sang, nos parents ont immédiatement appelé le Samu. Que pouvaient-ils bien faire d'autre ? Les urgences ne se sont bien sur pas arrêtées là. La police nous a interrogés. Nous avons répondu toute la vérité. Je ne compte plus les auditions, les entretiens avec le procureur, les audiences devant le juge des tutelles. Les parents de Valentin et Brice ont plaidé la légitime défense. J'ai été accusé de meurtre aggravé d'actes de torture. Étant mineur au moment des faits, j'ai fini dans un centre éducatif fermé pendant plus de 7 ans. La silhouette n'est plus jamais reparue. Hallucination collective. Voilà ce qu'en ont dit les psy'. Hallucination ou non, qu'importe, je n'ai jamais vu la couleur des trésors promis. Elle ne m'a pas seulement volé mes années, mais la vie de mon meilleur ami. Il n'y a pas un jour ou je ne repense à lui, où qu'il soit. Tuer ou être tué. Tout ça pour quoi ? Je n'ai plus revu ni Brice, ni Valentin depuis ce jour. Seule Lorraine m'a pardonné et vint me rendre visite en prison.

Elle et moi sommes mariés aujourd'hui. Elle attend notre enfant pour le mois prochain. Modifié par Kayalias
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Wow. Félicitations. J'ai tout lu d'une traite et je suis encore sous le choc. On passe sans s'en rendre compte de l'enfantin à l'horreur, de l’innocence à la boucherie... Le style est efficace, soigné, pas de ralentissements ou de longueurs, magnifique. Et terriblement dérangeant et implicite à la fois.

C'est malsain, mais très réussis. je me sens tout minable avec mes 2-3 nouvelles à la con si, en une seule soirée, tu arrives à pondre des trucs comme ça...
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  • 2 semaines après...
[quote]Pauvre vieux, je crois qu'il a chopé Alzheimer[/quote]

"BEEEP !"

Soit il s'agit là d'un bel anachronisme, soit tu as posté ton texte dans la mauvaise section.

(Une lecture plus tard : Ah ben non, c'est juste le récit qui est complètement barré.)

[quote]La baliste n'était sortie qu'en cas de péril important. Dans ce cas, nous tirions des projectiles d'environ 1m20 de long directement dans les rayons des vélos de la faction ennemie.[/quote]

Houlà, qu'est ce que t'as encore pris en écrivant ? Du Pschittt Citron ? Espèce de drogué, va...

[quote]Le carreau atteint la gorge, sectionnant la carotide. Une grande quantité de sang commença à se répandre sur les feuilles de la forêt. Du sang d'enfant.[/quote]

Et en plus d'être un drogué, notre Kayalias est un sadique. Ah ben c'est du propre !


A la lecture de ton récit, on a parfois l'impression de se trouver devant un essai libre du genre : "réécrivez votre propre version de la Guerre des Boutons."

Marrant. Trash. Touchant. Ton texte est un peu tout cela à la fois : pas mal, pour un premier jet !
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  • 2 mois après...
Allez, je vais faire semblant d'encore participer au forum, même si ça doit faire un an que je ne me suis pas connectée! Et je tombe sur ton texte Kayalias, particulièrement dérangeant. Le passage de l'enfance à la violence est tellement brutal que j'en suis toute secouée xD C'est vrai que nos parents ne savent jamais ce qu'on fait vraiment mais là ça dégénère carrément. Bien écrit en tout cas, on sent que tu l'as fait d'une traite (ou du moins dans le même élan) mais l'évolution de l'écriture convient bien à l'histoire. Continue comme ça :)
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  • 4 semaines après...
  • 4 mois après...
C'est le premier texte que j'ai lu de toi et je l'ai trouvé extraordinaire ! Tu a définitivement un talent pour écrire alors je t'encourage à continuer ! Sans doute une personne sensible et créative se cache derrière ce texte.. Il me tarde de lire tes autres écrits !
Good job ! [img]http://www.warhammer-forum.com/public/style_emoticons/default/wink3.gif[/img]
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