Aller au contenu
Warhammer Forum
  • advertisement_alt
  • advertisement_alt
  • advertisement_alt

Oberon

Membres
  • Compteur de contenus

    86
  • Inscription

  • Dernière visite

Messages posté(e)s par Oberon

  1. Le truc marrant, quand on a une connexion internet de merde, c'est que l'on peut passer à côté de bonnes nouvelles durant des mois. Et le retour d'un vieux copaing d'écriture sur ce forum en est une. Mieux encore, tu écris toujours sur ce bon Vieux Monde, dont les acheteurs compulsifs GW n'ont déjà plus rien à battre, mais que les vieux fans apprécient encore et toujours. Double initiative louable. Me reste plus qu'à découvrir tout ce que tu nous a déjà écrit de beau ^^


    PS : juste un truc barbant, j'avais en tête une longue nouvelle intitulée "Les (bidule) de Nuln", je sais pas encore si je vais garder le même titre ou me sentir obligé de changer. Bah, rien ne presse, le temps d'achever le récit, dix années se seront bien écoulées ; )

  2. Merci pour vos retours ! ^^

     

    Après une absence prolongée, du fait de soucis personnels, voici la suite et la fin de ce récit.

     


    CHAPITRE 9

     

     

    « Hugo !!! »

     

    C’était un cri de désespoir. La hampe ploya et se brisa nette. Déséquilibré, Bertrand trébucha, un maigre tronçon de bois entre ses mains. La bête ne lui laissa pas le temps de réaliser : elle lui porta un formidable coup de boutoir qui le projeta sur plusieurs mètres, jusqu’à heurter lourdement la base d’un chêne. Sonné, mais encore conscient, Bertrand entrevit le sanglier sur le point de charger et leva instinctivement les avant-bras pour se protéger. Il hurla quand la bête fut sur lui. 

     

    A quelques mètres de là, Hugo s'était figé, telle une statue. Au premier cri de son frère, il était parvenu à surmonter sa peur et était sorti de sa cachette, pour se retrouver tétanisé devant la masse formidable de la créature, géant à côté duquel Bertrand faisait figure de lilliputien. Le monde d’Hugo s’écroulait en même temps que son frère, frêle silhouette secouée en tous sens, se perdait en tentatives désespérés pour repousser le sanglier. Celui-ci le dominait, l’écrasait, lui assénait des coups de boutoir, s’acharnait de ses défenses aiguisées comme la lame d’un poignard, quand il ne cherchait pas à broyer les doigts ensanglantés entre ses mâchoires. 

     

    Les hurlements de douleur poussés par Bertrand finirent par arracher Hugo à sa paralysie. Il cria pour détourner attention de la bête, laisser un peu de répit à son frère, lui donner une chance de fuir. En vain. Le sanglier s’acharnait, sans prêter attention au petit humain qui le défiait. Hugo cria plus fort, jusqu'à s'en rompre les cordes vocales, sans plus d’effet.

     

    Les larmes aux yeux, il réunit le peu de courage qu’il lui restait et courut droit sur le sanglier en brandissant son épieu. Oubliant tout ce qu’il avait appris, il visa la bête au-dessus de l’épaule. La pointe de l’arme rebondit lamentablement sur le cuir épais. Alors que les cris de Bertrand avaient laissé place à des gémissements de sinistre augure, Hugo, au désespoir, visa cette fois le cou de l’animal. Il ne parvint pas même à en entamer la peau. Cependant, la pointe de l’épieu, en glissant sur la boue recouvrant les soies de l’animal, atteignit son oeil et s'y enfonça profondément.

     

    La bête poussa un grognement de douleur suraigu et se détourna de sa proie, entraînant avec elle un paquet d’entrailles fumantes accrochées à ses défenses. La pointe acérée toujours fichée dans son orbite, elle se rua vers les fourrés, arrachant l’épieu des mains d’Hugo. Ses grommellements furieux s’estompèrent à mesure que l’animal meurtri s’enfonçait au coeur de la forêt.

     

    Hugo se laissa tomber à genoux et rampa vers son frère. Adossé contre l’arbre, visage livide, Bertrand agonisait. Son souffle ténu allait en s’amenuisant dans l’air glacial.

     

    « Bertrand ? »

     

    Hugo n'obtint qu'un vague murmure inintelligible en guise de réponse. Il se rapprocha, s'efforçant d'ignorer la plaie béante qui avait remplacé le ventre de son frère. 

     

    « Bertrand ? »

     

    Pas de réponse. Les grands yeux de Bertrand demeuraient ouverts et tournés vers la cime des arbres morts. Ces grands yeux vides qui ne verraient jamais plus.

     

    Hugo se rapprocha, se blottit tout contre son frère et s’efforça de le réchauffer en le serrant dans ses bras. Il resta là, immobile, sans plus prêter attention au froid qui engourdissait ses membres et l'envahissait d'une douce torpeur. Hugo ferma les yeux. De gros flocons de neige tourbillonnaient dans l'air grisâtre et venaient se déposer en un manteau duveteux sur les deux frères.

     

     


    CHAPITRE 10

     

     

    La hutte s’effondra sous les coups de pied réjouis de Dorval. Ses hommes le regardaient faire sans rien dire. Ils avaient appris à encaisser la cruauté du ministérial, aussi bien que ses accès de colère. Ils avaient aussi compris depuis longtemps qu’il valait mieux se trouver de son côté, même si cette soumission leur pesait comme un joug et les dégoûtait d'eux-mêmes. Dorval piétinait maintenant les débris de la hutte, s'acharnait dessus, tout en brandissant des dépouilles animales, un sourire triomphal aux lèvres. 

     

    « Vous voyez ? Je vous l’avais bien dit ! Les sales petits braconniers ! Il me tarde de mettre la main dessus. »

     

    L’un de ses adjoints, circonspect, remua les cendres du feu de camp, recouvertes de neige.

     

    « Cela fait un moment qu’ils ne sont plus ici. A quoi bon...
    — Peu importe. C'est une question de principe. Ces deux-là ne m’échapperont pas longtemps. »

     

    Alors qu’ils s’apprêtaient à quitter la clairière, un appel rauque et lointain résonna dans l’air. Levant les yeux vers le ciel, tous aperçurent le nuage noir, tournoyant sur lui-même, à une lieue de là environ. Des corbeaux. Les patrouilleurs dévisagèrent leur chef. Sous leurs regards conjugués, Dorval perdit en partie son assurance, soudain mal à l’aise. Il n'aimait pas ces regards. Il y manquait la crainte et la servilité.

     

    « Ce n’est rien » fit-il.

     

     Quelqu’un murmura, dans un souffle :

     

    « Allons voir. »

     

    Une procession silencieuse s’engagea dans la forêt enneigée, d’une pureté virginale. Le ministérial, rétif à avancer, moins escorté que prisonnier des siens, prenait conscience que quelque chose d’anormal était en train de se produire, qu’il était en train de perdre son ascendant sur ses hommes. Il émanait d'eux une hostilité latente.

     

    Là, derrière un arbre, ils surprirent un amas de plumes noires et de becs voraces. A leur approche, il s’envola et s’éparpilla dans un concert de battements d’ailes et de croassements moqueurs. Ce qu’il abandonnait sur place n’arracha ni lamentations, ni soupirs, ni larmes. Seulement un silence consterné, plus assourdissant pour le ministérial qu'un hurlement.

     

    « Regardez, lui dit l’un des hommes. Regardez bien. »

     

    Dorval jeta un oeil, se détourna. Dans une autre vie, il se souvenait avoir été le chef de ces brutes qui l’encerclaient à présent, sans plus se donner la peine de masquer leur dégoût et leur haine.

     

    D’une voix blanche, se voulant forte, autoritaire, il ordonna :

     

    « Enterrez ça vite fait, qu’on n’en parle plus. Et pas un mot au village. »

     

    Mais les hommes ne se détournèrent pas. Tout au contraire, ils se rapprochaient. Et, comme le cercle des patrouilleurs se refermait sur lui, Dorval se sentit telle une bête traquée, piégée par la meute, quand vient l’heure de la curée.

     

     


    FIN
     


  3. CHAPITRE 8

     

     

    La neige était constellée d’empreintes fraîches, dessinant une piste nette. Bertrand se redressa. Se tournant vers Hugo, il vit que ce dernier, regard implorant, tremblait comme une feuille. 

     

    Il s’approcha tout prêt de son oreille et murmura :

     

    « Trop tard pour jouer les trouillards : on est tout prêt de la bauge. Tant que le vent lui masque notre odeur, la bête ne sait pas qu’on est là. Contente-toi de suivre le plan : je passe par les fourrés, tu avances de ton côté en restant planqué derrière les arbres. Je donne l’assaut en premier pour surprendre le sanglier et quand je crie, tu te précipites pour m’aider. Rappelle-toi ce que je t’ai dit : ne vise à aucun prix son dos, tu ne lui ferais même pas une égratignure. Vise son ventre ou son cou : ce sont les parties les plus tendres, les plus vulnérables. Si tu fais tout comme je t’ai dit, on devrait s’en sortir sans trop de mal. »

     

    Bertrand s’écarta et se faufila jusqu’aux proches buissons, à l’intérieur desquels il eut tôt fait de disparaître. Livré à lui-même, Hugo se força à avancer vers un premier arbre, puis au suivant, et se colla à son écorce, terrifié à l’idée d’écraser la moindre brindille susceptible de donner l’alerte. Son frère avait beau lui avoir désigné l’emplacement approximatif de la bauge, il ne voyait rien qui y ressemble. Et s’il allait trop vite ? Pire, s’il tombait face à la bête ?  Cette simple pensée suffit à le tétaniser. Hugo avait beau se dire et se répéter que son frère avait besoin de lui, qu’il fallait suivre les consignes, qu’il fallait avancer, il ne pouvait plus faire le moindre pas. 

     

    Silence dans la forêt. Progressant par lentes reptations au milieu des fourrés, Bertrand redoubla d’attention pour ne pas alerter la bête.  Tendant le cou, il finit par repérer son gîte fangeux, à moins de cinq mètres. Au même moment, le sanglier quitta sa bauge et se mit à renifler l’air environnant. Bertrand se figea. Ce n’était pas possible. Elle aurait dû dormir à ce moment de la journée. Elle aurait dû être vulnérable. Ce n’était pas possible. Et elle était si grosse... si monstrueuse. Pendant quelques secondes, Bertrand faillit renoncer. Puis il pensa à Dorval et cela décida du reste.

     

    Et merde, tant pis pour l’effet de surprise !

     

    Alors que le sanglier passait juste à sa hauteur, Bertrand se tendit et jaillit hors des fourrés, épieu en avant, hurlant « Maintenant ! » 

     

    Joignant le geste au cri, il plongea la pointe de l’arme vers le ventre du sanglier. Rompant la résistance de la peau, elle s’y enfonça sur une dizaine de centimètres. Le sanglier grogna de douleur et tenta aussitôt de se dégager, poussant des grommellements furieux. Surpris par la vivacité de sa réaction, peinant à conserver ses appuis au sol, Bertrand affermit sa prise sur l’épieu.

     

    Saloperie… Elle m’a finir par me foutre à terre si je n’arrive pas… Hugo… où est Hugo ?!

     

    Comme si ce dernier avait pu ne pas l’entendre la première fois, Bertrand hurla à nouveau « Maintenant ! » d’une voix tremblante. La bête forçait toujours plus pour se retourner, faisait ployer l’épieu de toute sa masse, ignorant la douleur dans ses entrailles, prête à massacrer son tourmenteur, ses grommellements retentissant comme les rugissements d’un fauve. 

     

    Toute idée de vengeance s’était évanouie chez Bertrand. Il ne voyait plus que la bête, elle prenait de l’ampleur à chaque seconde, jusqu’à occulter tout son champ de vision, déployant une force inimaginable pour se défaire de l’étreinte de l’épieu et écraser celui qui lui avait causé une telle douleur. Alors que ses pieds glissaient sur la terre gelée, il comprit qu’il était en train de perdre une bataille qu’il n’avait jamais eu la moindre chance de remporter. Le vaillant chasseur redevenait ce qu’il n’avait jamais cessé d’être : un enfant qui avait voulu se prendre pour un homme et se rendait compte, trop tard, qu’il n’en n’avait pas la carrure.
     


  4. CHAPITRE 7

     


    L’aube. Hugo était sorti de la hutte, étonné de ne pas y voir son frère encore allongé. Il le vit devant le feu, occupé à tailler des branches dénudées. Hugo s’approcha, heureux de le voir sur pied, et se figea en découvrant l’expression étrange sur son visage.

     

    « Bertrand… Comment ça va ?
    — Ça va mieux, frérot, ça va mieux. Je dirais même que cela fait un sacré bout de temps que je ne me suis pas senti aussi bien.
    — Ah… »

     

    Il aurait dû se sentir soulagé. Mais il émanait de Bertrand quelque chose… d’inhabituel.

     

    « Et… qu’est-ce que tu es en train de faire ?
    — Des épieux. Pendant que tu dormais, j’en ai fabriqué deux et j’en ai durci les pointes au feu de bois.
    — C’est pour quoi ?
    — C’est pour la chasse, répondit Bertrand, laconique. Aujourd’hui, tu vas venir chasser avec moi.
    — Hein ? »

     

    Hugo ouvrait de grands yeux étonnés.

     

    « Mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir attraper avec ces trucs ? Les oiseaux et les lapins sont bien trop rapides pour… 
    — On va chasser le sanglier, coupa Bertrand.
    — Quoi ?! Mais on peut pas !
    — Si, on peut. Ça nous fera de la viande pour des semaines, voire des mois si on la fume comme il faut.
    — Mais c’est trop dangereux ! Si jamais les hommes du Comte nous prennent…
    — Alors ce sera à moi qu’on coupera la main. A moi, pas à toi. »

     

    Bertrand le fixait à présent d’un regard fiévreux, mettant Hugo mal à l’aise.

     

    « Ecoute-moi bien. Tu vas venir chasser avec moi et, surtout, tu vas la boucler. J’aurais pu vivre ma vie au village au lieu de supporter tes jérémiades à longueur de journée et te torcher le cul à ta place. J’aurais pu te laisser crever. Au lieu de ça j’ai veillé sur toi, je me suis occupé de toi. Je t’ai fabriqué un endroit pour vivre, je t’ai donné de quoi bouffer, j’ai même été jusqu’à chercher le guérisseur lorsque tu étais malade… Alors pour une fois, une seule fois, c’est toi qui va faire quelque chose pour moi. Pour une fois, tu vas te rendre utile. Et tu vas voir, ce n’est pas si terrible que ça, que de tuer un sanglier, si on sait comment s’y prendre. »

     

    A cette dernière phrase, Hugo crut que son frère avait perdu la raison. En un sens, c’était le cas. Le désespoir l'avait conduit à prendre ses rêves pour des injonctions. Il avait beau ne connaître Dorval qu’en surface, il avait compris une chose importante le concernant : derrière sa cruauté manifeste, le ministérial n’avait qu’une seule crainte, celle de se voir ravalé au simple rang de serf. 

     

    Restait à trouver le moyen de provoquer sa déchéance, et c’est là que le rêve avait éclairé Bertrand. Le ministérial était responsable de la surveillance des chasses seigneuriales. Que dirait le Comte si jamais un gibier noble, rare et précieux en ces temps de disette, était tué par d’autres que lui sur ses terres ? Qui blâmerait-il en découvrant, juste devant les portes de son château, la carcasse d’un grand sanglier ?


    ***

     

    Dans la forêt enneigée, les chasseurs progressaient en silence.

     

    Terré dans sa bauge, le sanglier attendait.

     

    Le soleil s’était levé depuis peu. De retour de son viandis, sa terre nourricière, où elle avait déterré de son puissant butoir quelques racines pour se nourrir, la bête était aux aguets. Son instinct de survivant le lui avait dicté. Comme il l’avait fait, autrefois, quand des veneurs l’avaient débusqué dans son antre. Elle était alors à son apogée, et rien n’aurait pu l’arrêter, pas même une dizaine de molosses recouverts de mailles métalliques. 

     

    Attaquant de concert, la moitié de la meute avait été balayée au premier assaut, les chiens projetés dans les airs, ou bien écrasés à terre. De ses puissantes défenses, la bête avait déchiré le mantelet de mailles et éventré le chef de la meute sur toute sa longueur. Les autres chiens, rendus fous par l’odeur du sang et des entrailles brûlantes déversées, s’étaient alors précipités sur leur congénère agonisant, laissant au grand sanglier le temps de prendre le large. La bête avait parcouru plusieurs lieues dans la forêt avant de se trouver un nouvel habitat. Elle avait repris son existence solitaire, à l’abri de tous. Jusqu’à aujourd’hui.

     

    Elle était plus qu'un animal. Depuis ce jour où, dans une clairière, elle avait traversé un cercle fait d'étranges pierres, au dessus desquelles l'air-même semblait vibrer, elle n'était plus la même. Quelque chose en elle avait été profondément et durablement affecté, et cette métamorphose avait gagné jusqu'à sa chair. Son cuir s'était fait plus épais. Ses défenses s'étaient allongées et étaient désormais ornées de piquants, comme ceux d'une ronce. Et par dessus-tout, dans ce qui lui tenait lieu de cervelle, les mutations avaient induit une forme d'intelligence perverse. La bête ne craignait plus l'homme mais le considérait comme une proie.
     

  5. Merci  :)

     

     

    CHAPITRE 5


    Alors que l’acier froid était sur le point de mordre la peau, son geste fut interrompu par un bruit de pas dans les taillis, précédant le retour d’un patrouilleur. 

     

    « Qu’est-ce que tu fous ici ? cracha Dorval. Je vous ai ordonné de poursuivre les recherches ! »

     

    L’homme ne répondit rien mais gardait les yeux braqués sur la lame, luisante dans la pénombre du sous-bois.

     

    « Chef… » murmura-t-il en s’approchant un peu plus près du ministérial et de l’enfant, jusqu’à faire mine de s’interposer. « Chef, on n’a pas trouvé de collets. On n’a rien trouvé. Y a rien à reprocher au gamin. Peut-être qu’il a braconné, mais on en sait rien. Vous devriez pas… »

     

    Dorval se redressa, sa dague pointée vers le patrouilleur et le fixa droit dans les yeux. Une veine palpitait à son front.

     

    « Je ne devrais pas quoi ? »

     

    Le patrouilleur recula prudemment, les mains levées à hauteur de poitrine. 

     

    « Ce que j’en dis, chef, c'est qu'il y a des lois à respecter. Même pour vous... »

     

    Le visage de Dorval se décrispa un peu. 

     

    « Ça va, j'ai compris, tais-toi. »

     

     Il rengaina sa dague. Se penchant sur Bertrand, il l’agrippa par les cheveux et cracha sur son visage tuméfié.

     

    « Estime-toi heureux que je ne te coupe pas la main, là, tout de suite. Que je te reprenne encore une fois à rôder autour du village — je dis bien une seule fois — et tu y auras droit ! »

     

    Dorval le repoussa à terre. Meurtri, Bertrand demeura immobile tandis que le ministérial criait après ses hommes pour les rassembler et les traitaient d'incapables. Tous étaient partis depuis un long moment, avant qu’il ne puisse faire le moindre geste, terrassé qu’il était par la douleur et l’humiliation. Au moment de se relever, Bertrand ressentit un élancement dans tout son corps et grimaça tant chacun de ses membres le faisait souffrir. Il prit appui contre un arbre, pleura longuement et, lorsqu’il n’eut plus de larmes à verser,  regagna péniblement la clairière. 

     

    Assis à côté de la hutte, Hugo commençait à s’inquiéter. Le jour tombait et son frère n’était pas là. Lui-même avait repris des forces maintenant que la fièvre s’en était allée. Des journées qu’il avait passées à délirer sur sa paillasse, il n’avait pas gardé de souvenir précis. Tout ce qu’il savait c’était que Bertrand avait pris soin de lui. Aussi, lorsqu’il vit son frère chancelant et trébuchant, Hugo se précipita à sa rencontre.

     

    « Qu’est ce qui t’est arrivé ? Qu’est ce qui s’est passé ? »

     

    Sans un mot, Bertrand l’écarta et alla s’allonger dans la hutte où il demeura prostré.

     

     


    CHAPITRE 6

     

     

    Les jours suivants, il les vécut dans une torpeur profonde, à se remémorer la violence du ministérial. La menace de se voir amputé lui donnait des cauchemars, dans lesquels il voyait Dorval brandir sa main tranchée tout en glapissant joyeusement. Il ne prêtait plus la moindre attention à Hugo. Ce dernier était devenu comme une ombre à ses yeux et devait se débrouiller par lui-même. Tout le ramenait à Dorval. L’homme et sa cruauté s’étaient mués en obsession. 

     

    Tandis que son corps se remettait lentement des blessures infligées, Bertrand compris qu’une seule chose lui permettrait vraiment d'aller mieux : il lui fallait se venger de cet homme. Trouver un moyen de l’atteindre, de lui rendre la monnaie de sa pièce. S’il n’avait d’autre choix, il irait jusqu’à tuer Dorval de ses propres mains, quitte à finir au bout d’une corde. Tout valait mieux que continuer à vivre ainsi.

     

    Ses rêves n’avaient fait que le tourmenter des nuits durant, mais l’un d’eux lui fit l’effet d’une révélation. Dorval était encore là, dans les bois, sauf qu’au lieu de brandir sa main tranchée, il répétait en une inquiétante litanie « Tu veux me renvoyer dans ma bauge… Tu veux me renvoyer dans ma bauge… » 

     

    A chaque répétition, le visage de Dorval se métamorphosait, enflait, se couvrait d’une soie dure et noire, tandis que sa bouche se déchirait en une immense gueule rougeâtre, d’où jaillissaient grès et défenses ruisselants de bave. Le nouveau faciès du ministérial était celui d’un sanglier monstrueux, et ses hurlements de colère s'étaient mués en grommellements grotesques. La mutation achevée, l’homme-bête s’avançait sur Bertrand pour le massacrer. Alors il sombrait dans les ténèbres. 

     

    Il y aurait eu de quoi le faire s'éveiller en hurlant, mais le rêve se poursuivait obstinément. Bertrand se trouvait à présent dans la cour du château de Montigny. L’homme-bête était là, lui aussi, mais il ne représentait plus une menace. Son cadavre ensanglanté gisait sur le pavage en damier, transpercé d’une demi-douzaine de piques. De cette vision, Bertrand tirait une joie mauvaise, au point d'ignorer le raclement de sabots derrière lui. 

     

    Un hennissement lui fit faire volte-face. Perché sur sa monture, le  seigneur Estienne de Montigny était là, tout de noir vêtu, penché sur lui, le jaugeant du regard. Son grand visage sec, en lame de couteau, transpirait la sévérité. Ses yeux vifs, rusés, semblaient le scruter, le sonder jusqu’au plus profond de son âme. C’était le maître du domaine, doté du pouvoir de vie et de mort, et Bertrand le craignait presque autant qu’il avait craint l’homme-bête. Le Comte détacha son attention de l’enfant et la reporta sur la dépouille. Son oeil devint flamboyant de colère.

     

    « Qui s'est permis de tuer un sanglier jusque dans ma propre cour ! Qui ose s’en prendre à mon gibier, à mes bêtes et se moque de moi ! Que fait cette charogne en ma demeure ? »

     

    Bertrand s’éveilla à cet instant. Il faisait encore nuit et les dernières paroles du Comte résonnaient dans son esprit.

     

    ...Que fait cette charogne en ma demeure ?...

     

    Un sourire froid se dessina lentement sur ses lèvres. Il savait ce qu’il lui restait à faire.

     

  6. CHAPITRE 4

     

    Le lièvre affolé était pris au piège. A chaque battement de ses pattes postérieures, le collet se resserrait un peu plus ; l’animal redoublait alors d’ardeur à se débattre pour rien.


    Bertrand le regarda faire un moment, imaginant ce que cela pourrait faire pour un humain que de tomber victime d’un tel piège. Il ferma les yeux. Sentit son coeur battre dans sa poitrine, comme celui du lièvre devait battre la chamade. Sentit la peur, le désespoir... Il rouvrit les yeux. Finalement, tout cela sonnait familier. Trop familier. Il attrapa le lièvre et lui tordit le cou pour abréger ses souffrances.

     

    Bertrand cheminait en direction de la hutte, lorsqu’il entendit les cris d’hommes s’interpellant entre eux. Des patrouilleurs. Proches, tous proches. Bertrand réagit aussitôt en jetant dans le premier buisson venu sa prise et ses collets, puis courut droit devant lui, ne songeant qu’à mettre le plus de distance possible avec son larcin. Les branches lui fouettaient le visage, les ronces lui lacéraient les jambes, mais il n’en ralentit pas pour autant son allure, craignant de voir surgir à chaque instant un forestier. A bout de souffle, il osa enfin risquer un regard en arrière. Personne. Il s’était peut-être fait des idées, peut-être les hommes du ministérial ne l’avaient-ils pas repéré…

     

    Bertrand se retourna pour heurter de plein fouet une silhouette massive. Le choc fut si brutal qu’il tomba à la renverse. Une main épaisse se referma sur son bras et le força à se relever. Dorval arborait son éternel rictus.

     

    « Tiens, tiens… Qu’est-ce que nous avons là ? »

     

    Le ministérial força Bertrand à se retourner et lui asséna un violent coup de pied au derrière qui l’envoya se vautrer dans la neige. Alors que l’enfant se relevait, il vit plusieurs patrouilleurs approcher de tous côtés. 

     

    « Vous avez trouvé ? » les interrogea Dorval. Devant le signe de tête négatif de ses hommes, son visage s’empourpra de colère.

     

    « Cherchez mieux ! Ce petit bâtard a forcément posé ses collets à proximité. Trouvez-les ! »

     

    Tandis que les patrouilleurs se dispersaient, Dorval s’avança sur Bertrand, les yeux flamboyants.

     

    « Sale petit merdeux… Tu te crois malin ? Je vais t’apprendre, moi, à voler sur les terres du maître !
    — J’ai rien volé ! »

     

    Dorval l’envoya de nouveau à terre d’un coup de poing en pleine figure. Le choc du gantelet de maille résonna dans l’air glacial.

     

    « Menteur, comme ton père. Comme tous ceux de ta race ! »

     

    Une grêle de coups de pieds et de poings s’abattit sur l’enfant. Il se recroquevilla sur lui-même, encaissant tant bien que mal, sans pouvoir se relever ni s’échapper. Et plus Dorval frappait, plus il mettait de la force dans ses coups.

     

    « Je sais que tu es revenu au village. Tu cherchais quoi, au juste ? A me nuire ? A me faire du tort auprès de mon seigneur ? C’est bien ça que tu voulais : que l’on me renvoie dans ma bauge ? »

     

    Les coups reprirent de plus belle, jusqu’à ce que Bertrand soit sur le point de s’évanouir. Alors Dorval se figea et regarda autour de lui pour s'assurer qu'il était seul. Puis il abaissa à nouveau les yeux sur l’enfant, le fixant sans ciller.

     

    « Après tout, je sais ce que tu as fait. Ça me suffit. Pas besoin de preuve. » 

     

    Dorval tira la dague de son fourreau et saisit la main droite de l'enfant. 
     

  7.  

    Pas mal de références intéressantes citées dans ce topic, faudrait que j'aille voir tout ça de plus près...

     

    Le 14/10/2019 à 14:30, Inquisiteur Thorstein a dit :

    C'est quoi des bouquins matures du coup ?

    Perso j'ai un faible pour les Princes d'Ambre, de Zelazny, ma petite saga favorite.

     

     

    Evidemment, les Princes d'Ambre, une belle réussite ! Le cycle de Corwin est parfait de bout en bout. Celui de Merlin commence très fort, cependant les tous derniers bouquins m'ont laissé une impression mitigée, comme si Zelazny improvisait son récit, sans trop savoir comment le conclure. Reste que c'est dans l'ensemble très bon !


  8. CHAPITRE 3

     

     

    Le village était comme endormi sous la neige. Bertrand n’en n’avançait pas moins avec appréhension, demeurant dans l’ombre des bâtiments, craignant à chaque instant de  faire une mauvaise rencontre. Il se faufilait tel un renard en quête de nourriture, inconscient que des mois de vie dans la forêt l’avaient déjà en partie déshumanisé. L’enfant s’arrêta en reconnaissant sa chaumière. Force de l’habitude, ses pas l’avaient conduit jusqu’à la maison où, jadis, il y avait eu une famille. Il eut un serrement de coeur en réalisant qu’elle avait été laissée à l’abandon. Ce n’était plus qu’une ruine au toit affaissé sous un amas de neige. Le ministérial s’était-il moqué de lui en revendiquant la masure pour le compte du seigneur de Montigny ? Certainement. Mais à quoi bon ressasser le passé ?  L’enfant poursuivit son chemin solitaire, sans plus se retourner sur ce qui avait été son foyer.

     

    Cloitré en sa demeure, Hilaire le guérisseur dormait. Son sommeil était lourd, un puits sans fond, obscur, dépourvu de songes, et c’était aussi bien. Ses rêves lui apportaient trop souvent des visions sinistres : les visages de tous ceux qu’il n’avait pu sauver. Des faciès morts, certains en décomposition, tous débordant de haine à son encontre. Ce n’était pourtant pas de sa faute s’il s’était montré impuissant à contrer l’épidémie de suette. Le mal était réputé virulent et dans la majorité des cas recensés, la pestilence ne cessait que lorsqu’il ne restait plus personne de vivant à infecter dans les environs. Mais cela, comment aurait-il pu le dire aux villageois ?  Depuis ce temps, la culpabilité le rongeait, entretenue par les regards de travers de ceux qui, autrefois, lui avaient confié leur vie en toute confiance. Si les villageois devaient toujours faire appel à ses services, il savait désormais que l'on murmurait dans son dos et que la méfiance régnait à son égard.

     

    Hilaire fut tiré de sa torpeur en entendant gratter doucement à la porte. Le vieil homme se leva péniblement, traina son grand corps voûté. Reconnaissant sur le seuil Bertrand, amaigri et fatigué, proche de l’évanouissement, il le fit aussitôt entrer, sans poser de questions. Il attisa le feu mourant et prépara à manger. Tandis que l’enfant, assis au coin du feu, reprenait des forces en engloutissant un bol de soupe, Hilaire ressassait ce qu’il venait de lui raconter. Il fallait se rendre au chevet du malade le plus tôt possible, quitte à enfreindre les ordres insensés du ministérial. Il ne connaissait que trop les hommes de son genre, savait ce dont ils étaient capables, tantôt par calcul, tantôt par simple goût pour la cruauté. Dorval lui rappelait l’époque pénible où il avait été recruté de force dans l’armée seigneuriale, lorsqu’Estienne de Montigny avait participé à la défense du duché contre les appétits féroces du Duc d'Aquitanie. L’armée était un ramassis de petits sergents à la Dorval : il était bien regrettable que celui-là ne s'en soit pas allé crever sur un champ de bataille…

     

    ***

     

    Les deux heures de marche nécessaires pour gagner le campement l’avaient laissé éreinté ; cependant, dès qu’il vit Hugo, le guérisseur sut qu’il fallait faire vite. Toux incessante, inflammation à la gorge, front brûlant, état délirant : les symptômes habituels d’une fièvre catarrhale. Hilaire laissa courir un regard désabusé sur les branchages de la hutte laissant passer le vent, sur les peaux de bêtes accrochées et les petits tas d’ossements animaux jonchant le sol. Avec de telles conditions de vie, rien d’étonnant à ce que l’enfant tombe malade.

     

    « Depuis quand est-il dans cet état ?
    — Deux jours. Est-ce que c’est grave ?
    — Oui. Nous avons déjà perdu un temps précieux. Je ne sais pas si je peux le tirer d'affaire. »

     

    Veillant durant toute la nuit, Hilaire prodigua à l’enfant les soins qu’il savait être les plus efficaces : décoction pectorale et onguent pour calmer la toux. S’ensuivirent de longues heures d’incertitude. Au petit matin, la sueur abondante du malade lui paraissait être bon signe, mais il s’abstint de le dire à Bertrand. 

     

    « Il faut attendre et voir. Le quatrième et le septième jour sont des tournants cruciaux pour le malade. Je vais t’apprendre à préparer la décoction à partir de quelques simples. Je te laisse aussi le pot d’onguent, fais-en bon usage… »

     

    Hilaire semblait hésitant, mal à l’aise.

     

     « Je ne peux pas rester plus longtemps. Je ne tiens pas à ce que là-bas on me pose trop de questions sur mon absence. Occupe-toi de notre jeune malade, en suivant toutes mes recommandations. »

     

    Les jours suivants furent éprouvants, teintés d’espoirs et de doutes. Tantôt, la fièvre s’arrêtait pendant quelques heures, tantôt elle prenait de nouvelles forces et tourmentait l’enfant plus cruellement. Bertrand se sentait alors plus coupable que jamais d’avoir pu vouloir du mal à son frère, comme si ses remords auraient pu l’aider à guérir. S’il n’en était rien, les remèdes appliqués faisaient, eux, effet : au bout d’une semaine la santé d’Hugo commença à se rétablir. Soulagé, Bertrand remercia en esprit le guérisseur. Il ignorait que l’absence de ce dernier avait été remarquée au village. 

     

    Dorval était d'une humeur massacrante. Le seigneur Estienne l’avait encore convoqué pour lui faire des remontrances sur sa façon de gérer les terres, de récolter la taille, et surtout d’empêcher le braconnage. Ses veneurs trouvaient de moins en moins de proies dignes d’être chassées par leur maître et en rejetaient la faute sur le ministérial ; à les croire,  ce dernier ne châtiait pas assez durement les voleurs. C’était mal connaître Dorval. Mais à quoi bon protester ? Les veneurs formaient une caste à part, recevant l’attention toute particulière du Comte. Ils ne se remplaçaient pas au pied levé, alors qu’il était beaucoup plus simple de nommer un nouveau ministérial parmi la horde des serfs — la plupart étant prêts à vendre père et mère pour s’extraire de leur misérable condition, du moins c’était ainsi que Dorval voyait les choses. 

     

    Non, il ne pouvait perdre son temps à contester les dires des veneurs. Il lui fallait démontrer la preuve de sa loyauté : plus que des patrouilles sillonnant la forêt sans le moindre résultat, il fallait faire un exemple… Il savait lequel serait à même de frapper les esprits. Certes, il s’agissait d’enfants et il y aurait sans doute quelques bonnes âmes pour pousser des cris d’orfraies. Pas de quoi l’arrêter pour autant, pas même de quoi lui donner l’once d’une hésitation. A ses yeux, les enfants n’étaient pas plus innocents que les adultes et devaient être punis de façon identique lorsqu’ils avaient fauté, que ce soit en braconnant ou en violant une peine de bannissement. 

     

    Pauvre Hilaire… Pauvre couard ! Le guérisseur avait blêmi en découvrant le ministérial sur le seuil de sa demeure et il n’avait pas tardé à se confesser, vieillard balbutiant, entrevoyant déjà les pires châtiments s’abattre sur sa personne. Dorval n’avait que faire de cette loque humaine : le ministérial avait un autre gibier en tête. D’ici peu, il comptait bien mettre la main dessus…

  9. Et dire que j'étais passé à côté de ce petit bijou... Je n'ai pas encore eu le temps de tout lire, mais de ce que j'en ai vu, ce supplément est LA référence francophone sur l'Arabie. Un travail de titan sur lequel tu n'as pas dû compter tes heures. Toutes mes félicitations ! 

     

    Respect tout de même pour Les Royaumes du Désert. Le supplément n’est pas exempt de reproches — c’est vrai qu’il colle assez mal avec le fluff officiel sur l’Arabie — mais j’ai toujours apprécié le travail de Stéphane Guyon autour du jeu de rôles Warhammer, à un moment où il n’y avait pas des masses de matos sur le JDR en circulation sur le Net.

     

    Au passage, c'est toujours bon de voir des adeptes du "vieux" Warhammer maintenir la flamme : entre cette excellente initiative de Le Passant et l'incontournable Verrah Rubicon, je me sens un peu moins seul...

     

    Et si tu es toujours ouvert aux suggestions pour un projet ultérieur, je vote des deux mains (et des deux pieds, pendant qu’on y est) pour un supplément sur la Lustrie.
     

  10. CHAPITRE 2

     

    Cheminant dans la campagne, Hugo pendu à ses basques, Bertrand réfléchissait. Tout dépendait de lui, maintenant. Il fallait commencer par chercher un endroit où s’établir, suffisamment à l’écart du village pour éviter de se heurter au ministérial, tout en demeurant assez proche pour pouvoir y retourner en cas d’urgence. Et puis, il n'osait se l'avouer, mais Bertrand gardait une mince lueur d'espoir que les choses finissent par s'arranger et leur exil prendre fin. Aussi chassa-t-il de son esprit les idées noires qui s’y étaient accumulées depuis le départ du village. Bientôt, il se remémora une petite clairière inhabitée, située à deux lieux de distance. C’était un peu loin pour Hugo, mais une fois sur place ils pourraient y établir leur campement et assembler une hutte de fortune avant la tombée de la nuit.

     

    La vie dans la forêt s’organisa peu à peu. C’était encore la belle saison et la nourriture était abondante des racines jusqu’au sommet des arbres. Bertrand avait chargé Hugo de la cueillette dans les environs du camp. Il lui avait donné des indications sommaires sur ce qu’il devait ramasser, ou bien laisser de côté, tandis que lui-même s’occupait de trouver une nourriture plus consistante. Il posait des collets un peu partout aux alentours, en se cachant des hommes du ministérial qui patrouillaient inlassablement dans la forêt. De son père, Bertrand avait retenu qu’il ne fallait jamais être surpris en train de poser ou de relever des pièges. Plus d’un pris sur le fait en avait payé le prix fort : une main coupée, quand ce n’était pas la pendaison pour l’exemple. Aussi avait-il dû renoncer à se fabriquer un arc : avoir une telle arme sur soi valait tous les aveux.

     

    Le soir venu, les deux frères se réunissaient autour du feu et faisaient le tri de la cueillette. Invariablement, Bertrand se mettait en colère : les deux tiers de ce qu’Hugo rapportait consistaient en plantes et champignons vénéneux.

     

     « Bon sang, tu veux nous faire crever ou quoi ? T’es même pas fichu de distinguer un cèpe d’une amanite ! »

     

    Comme les jours passaient, Bertrand réalisa qu’il échouait à enseigner à Hugo les choses que son père lui avait apprises. Là où ce dernier avait fait preuve de patience à son égard, lui s’irritait à la moindre erreur commise par son frère, sans pour autant lui dire comment la corriger. Bertrand pressentait, tout au fond de lui-même, qu'il n'avait pas et n'aurait jamais le talent de son père pour expliquer ou convaincre. Ses maigres efforts en la matière n'avaient abouti qu'à une suite d'échecs, d'abord avec le ministérial,  maintenant avec son propre frère.

     

    *** 

     

    Puis ce fut l’automne, prélude à la morte-saison. La forêt se fit plus avare, les bêtes plus discrètes. Bertrand dut s’aventurer bien au-delà des terrains qui lui étaient familiers pour trouver quelques proies. Au cours de l’une de ces expéditions, il tomba sur des traces inhabituelles, marquant profondément la terre : les empreintes d’un sanglier. En suivant la piste durant quelques minutes, il s’aperçut qu’elle menait droit vers la bauge de l’animal. Bertrand eut un bref instant de panique à l’idée que la bête puisse se trouver dans son antre et le surprenne désarmé. Vu la dimension des empreintes, c'était manifestement une bête d'une taille peu commune. Mieux valait ne pas s’attarder davantage. Reprenant le chemin de la clairière, il jeta un dernier regard en direction de la bauge afin d’en mémoriser l’emplacement. Il faudrait prévenir Hugo de ne jamais s’aventurer de ce côté-ci de la forêt. Les sangliers avaient tendance à fuir l’homme, mais dès qu’ils se sentaient menacés, ils pouvaient se montrer particulièrement dangereux. Mieux valait alors éviter de se trouver sur leur chemin.

     

    ***

     

    Vint l’hiver et son cortège de misères. Dans la hutte, blottis l'un contre l'autre, les deux frères grelottaient de froid. A chaque aube nouvelle, Bertrand se sentait sur le point de craquer, désespéré à la perspective de ne jamais regagner le village. Expirant un souffle ténu, il se prenait désormais à rêver de la vie d’apprenti qu’il aurait pu mener auprès du tanneur, un rêve comparé au cauchemar qu’il vivait quotidiennement. Jamais il n’avait pris à ce point conscience que son frère et lui n’avaient aucune chance de survie durable dans les bois. Tout était perdu, joué d’avance. 

     

    Le désespoir avait laissé la porte ouverte aux idées noires qui firent un retour en force. Bertrand maudissait sa mère de lui avoir donné le jour. Il maudissait son père de les avoir abandonné. Et par-dessus tout, il maudissait son frère, cause de son exil. Son esprit épuisé lui soufflait que, sans ce dernier, tout aurait été autrement. Que sans lui, tout irait mieux. Dans ces moments-là, il se sentait prêt à commettre l’irréparable. Alors il s’éloignait de son frère, se glissait de l’autre côté de la hutte et murmurait des prières à Shallya la miséricordieuse pour qu'elle lui donne la force de tenir. Et lorsqu’il regagnait un peu de lucidité, il repoussait au loin les horribles visions fratricides. Bertrand s’inquiétait alors plus que jamais pour Hugo, si fragile, si vulnérable. Hugo... ce frère qu’il s'était pris à rêver d'étrangler.

     

    Peut-être la nature sait-elle exaucer à sa manière les rêves les plus sombres... Hugo tomba malade. Une fièvre que rien ne semblait pouvoir apaiser. Ce n’était pas la suette, de cela Bertrand était certain, mais il était impuissant à agir. Il n’avait qu'une connaissance limitée des simples et craignait (mais le craignait-il vraiment ?) d’empoisonner son frère s’il se hasardait à préparer lui-même une décoction. Alors que son frère gémissait sur sa paillasse, Bertrand songeait à l'avenir. Après tout, la vie pourrait devenir tellement plus simple, tellement plus agréable. D’autant qu’il n’avait rien à faire. Ce n’était pas vraiment un meurtre. Tout au plus, il n’avait qu’à détourner les yeux, pendant quelques jours... et ce serait fini. Il serait délivré. 

     

    Le regard perdu dans le néant, Bertrand demeura immobile des heures durant, jusqu’à perdre la notion du temps. Peut-être il y eut-il une prise de conscience de sa part, peut-être Shallya lui souffla-t-elle de ne pas abandonner son frère, toujours est-il qu'il prit enfin une décision. Il lui fallait demander l’aide du guérisseur, ce qui impliquait de retourner au village. S'emmitouflant dans des peaux de bêtes, Bertrand s’élança dans la forêt glaciale, traçant un chemin solitaire dans la neige, ses empreintes bientôt effacées par le vent chargé de flocons.
     

  11. Un sortilège de résurrection et pouf ! les nouvelles reprennent. Pour commencer, un joli conte de Noël se déroulant sur les belles terres de Bretonnie.

     

     

    LES ENFANTS ET LA BÊTE

     


    Duché de Quenelles, An 927 du Calendrier Impérial

     

     

    CHAPITRE 1

     

    Dans la forêt enneigée, les chasseurs progressaient en silence. L’aîné, Bertrand, ouvrait la marche d’un pas décidé. Entre ses mains, un épieu de fortune qu’il brandissait parfois en mimant le geste de frapper une proie invisible. 

     

    Son visage juvénile était couvert de bleus et d'ecchymoses.

     

    Derrière, suivait le cadet, Hugo, chétif d’apparence et de caractère. Il devait sans cesse courir pour rester dans les pas de son grand frère, et était plus handicapé qu’autre chose par son propre épieu qu’il tenait sans conviction, trop occupé qu’il était à jeter des regards craintifs aux alentours, en murmurant sans cesse la même litanie.


    « Je t’en prie... rentrons à la hutte. C’est trop dangereux. »


    Bertrand s’arrêta, fit volte-face, inclinant de grands yeux verts emplis d’une colère froide.


    « La ferme ! Je t’ai dit mille fois de la boucler. A cause de toi, la bête va finir par nous entendre. Et si jamais elle fiche le camp… je te jure que tu vas le sentir passer. 
    — Mais on n’a pas le droit de la chasser ! C’est toi-même qui m’as dit que je ne devais… » 


    Hugo n’eut pas le temps d’achever qu’une main s’abattit sur son visage à toute volée. L’enfant vacilla sur lui-même. Jetant son épieu sur le côté, Bertrand l’agrippa aux épaules et le secoua avec rudesse.

     

    « Ferme-la ! Tu m’as compris cette fois ou t’en veux une autre ?
    — J’ai compris, j’ai compris ! S’il te plait, arrête… »


    Hugo reniflait et retenait ses pleurs à grand ’peine, figé dans la crainte de recevoir d’autres coups. 


    Bertrand ramassa son épieu et se remit en marche.


    « Dire que je pourrais me trouver loin d’ici, bien au chaud, plutôt que de crever de faim et de froid, tout ça par ta faute ! »

     

     Son petit frère, pleurant et reniflant, le suivait à distance, essuyant ses yeux humides du revers de sa manche, l’air plus abattu que jamais. Bertrand avait revêtu un visage fermé et déterminé, comme pour masquer la culpabilité qui le submergeait.

     

    Imbécile... plutôt que de t’en prendre à plus faible que toi, tu ferais mieux de garder à l’esprit le visage de ton ennemi. Ne l’oublie pas, ne le perds jamais de vue. C’est LUI qui t’a piégé, LUI et personne d’autre. Rappelle-toi que tout est de sa faute. Rappelle-toi…

     

    ***

     

    Il y avait eu une autre vie avant celle dans  la forêt. Une vie entre les murs protecteurs d’une chaumière, dans la quiétude d’un village. Une vie simple, rude, heureuse malgré tout. Bertrand n’avait alors aucune décision à prendre, aucun choix à faire autre que ceux dictés par les jeux d’enfant. Ses parents étaient là pour veiller sur lui et le protéger. Son père, en particulier. Il l’aimait, le craignait et le respectait ; il lui avait appris tout ce qu’il savait concernant la nature, les animaux, les hommes. L’avait instruit sur l’importance vitale de la proche forêt, la réserve, où il y avait tant à prendre... et tant à perdre aussi. 

     

    C'était une époque bénie des Dieux. Les raids en provenance du massif d'Orquemont s'étaient faits rares au cours des dernières années et les anciens disaient qu'il fallait profiter de ce répit avant que les peaux-vertes ne se trouvent un nouveau chef. Mais si les gobelinoïdes s'étaient fait discrets, la nature, elle, pouvait toujours se charger de vous jouer un mauvais tour...

     

    Il y avait eu une autre vie. Elle vola en éclat lorsque le village fut frappé d’une épidémie de suette. D’abord quelques cas isolés, hommes et femmes retrouvés allongés dans leur lit, cadavres languissants, suant leur sang. Le temps que le guérisseur ne prenne la mesure du mal, la fièvre s’était étendue, dévorait les vivants, décimait des familles entières, laissant derrière elle des demeures peuplées de cadavres. Vision d’horreur. 

     

    Lors des nombreuses nuits où le sommeil se refusait à venir, Bertrand se disait souvent qu’il aurait mieux valu, pour lui et Hugo, qu’ils fassent partie des disparus. Ils n’auraient pas eu à endurer la perte de leurs parents, ne se seraient pas retrouvés seuls... et par-dessus tout, n’auraient jamais eu à connaître la malveillance de Dorval. 


    Mais ils avaient survécu, laissés à l’abandon par le reste du village, chacun trop occupé à enterrer ses morts pour être encore capable du moindre geste de charité. Livrés à eux-mêmes, les enfants erraient dans la chaumière vide, sans plus personne pour prendre soin d’eux. Le monde avait perdu tout son sens. 

     

    Lorsque des coups retentirent à la porte, une mince lueur d’espoir leur revint, aussitôt anéantie quand elle s’ouvrit pour laisser passer Dorval, le ministérial du seigneur de Montigny. Il n’y avait nul secours à attendre de cet homme-là. Bertrand savait de lui qu’il avait jadis jalousé son père, convoité en vain sa mère et n’avait jamais digéré d’être repoussé. Serf parvenu bien au-delà de sa condition, Dorval était haït et craint de tous, lui qui n’avait de cesse de tourmenter la population, d’alourdir les corvées, d’augmenter arbitrairement la taille. Quel sort réserverait-il aux enfants de ses ennemis, maintenant que ces derniers n’étaient plus ? 

     

    L’ombre sur le seuil avisa Bertrand.

     

    « Toi, le plus grand. Viens dehors, j’ai à te parler. »

     

    En franchissant le pas de la porte, Bertrand s’aperçut que la place du village s'était vidée. Les villageois s’étaient claquemurés chez eux et guettaient probablement la scène, à l'abri derrière les volets et portes closes. Dans la froide lumière matinale, se dressait le ministérial, enserré dans un vieux pourpoint élimé, rouge sanglant. L'habit faisait ressortir son long faciès inquiétant, dénué de toute compassion. L’homme affichait un horrible sourire, celui d’un bouffon de cour s’apprêtant à jouer un mauvais tour et en savourant les effets par avance.

     

    « Ton père est mort sans avoir acquitté la taille. Sais-tu ce que cela veut dire ? »

     

    Bertrand demeura muet, persuadé que n'importe quelle réponse le desservirait. Dorval le fixait intensément, son rictus malsain toujours rivé à ses lèvres, comme s’il ne devait jamais s’en défaire.

     

    « Tu as la bouche cousue, ou quoi ?! »

     

    Le ministérial attrapa Bertrand par l’épaule et le  secoua rudement. 

     

    « Réponds, quand je te parle ! »

     

    D’un geste sec, l’enfant se dégagea, une lueur de défi dans les yeux. Mais, comme Dorval s’avançait sur lui, il recula instinctivement, pas à pas, jusqu’à se retrouver dos au mur.

     

    « On joue les fiérauds, c’est bien ça ? Soit, puisque tu te prends pour une grande personne, assume jusqu’au bout : la taille, verse-là sur le champ avec les intérêts, ou fiche le camp d’ici ! Ce sont là les ordres du seigneur de Montigny. »

     

    L’éclat dans l’oeil de Bertrand s’atténua. La colère ne mènerait à rien avec cet homme. Il lui fallait faire comme son père quand il se trouvait en pareille situation : plaider sa cause, trouver les mots justes, ceux à même de convaincre l’interlocuteur le plus agressif qui soit. Quitte à se rabaisser.

     

    « Que le Comte nous pardonne, à moi comme à mon petit frère, et qu’il daigne nous prendre en sa protection. Nous n’avons pas d’argent : nos parents étaient pauvres et ne nous ont rien laissé… 
    — Comme c'est regrettable. Puisque tu n’es pas en mesure de régler tes dettes — car ce sont tes dettes à présent — la chaumière que toi et ton frère occupez revient de droit dans le domaine du Comte, en guise de compensation. Il va falloir vous trouver un autre endroit pour vivre… »

     

    Dorval fit mine de réfléchir.

     

    « Voyons... tu m’as tout l’air d’avoir le bon âge pour devenir apprenti. Le tanneur a perdu son fils : tu iras vivre chez lui pour y apprendre le métier. 
    — Et mon frère, que va-t-il devenir ?
    — Trop âgé pour l’asile des religieuses, trop jeune pour être bon à quoi que ce soit, hormis garder les bêtes — et il y a déjà bien assez de gosses dans le village pour cela. Je crains que ton petit frère n’ait guère de chance : personne ne veut de lui ici. Il ira vivre dans les bois. »

     

    Bertrand blêmit, incapable de répondre quoi que ce soit au ministérial. Ce dernier jubilait.

     

    « Alors, tu l’acceptes, mon offre ? Tu aurais tout intérêt. A toi de voir : le tanneur... ou la forêt. »

     

    Livide, Bertrand murmura dans un filet de voix :

     

    « … peux pas… »

     

    Dorval fit une grimace et porta la main à son oreille.

     

    « Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? J’ai rien entendu. Parle plus fort. 
    — Je dis que je peux pas. Je peux pas l’abandonner. Sans moi, il va mourir. Il est trop petit pour se débrouiller seul…
    — Soit, tu as fait ton choix. Je veux que vous ayez vidé les lieux et quitté le village avant la fin de la journée. Allez donc vivre dans la forêt, comme les petits boisilleux que vous êtes désormais. Que vous y surviviez ou que vous y creviez m’indiffère. Une seule chose compte à mes yeux : je ne veux plus jamais vous revoir dans le village. Compris ? »

     

    La tête basse, Bertrand acquiesça en silence. Il se retournait vers le seuil de la chaumière, quand le ministérial l’interpella.

     

    « Encore une chose. Tous les deux, vous avez le droit d’usage de la forêt, dans les limites que cela suppose : en clair, pas de braconnage. Je t’aurais à l'oeil là-dessus et pour le reste… Tiens-le toi pour dit. »

     

    Le soleil était à son zénith lorsque les deux frères quittèrent le hameau, emportant comme tout bagage un baluchon et quelques maigres provisions. Ils étaient seuls au moment de franchir l’enceinte. Il n'y avait pas eu le moindre adieu et aucun villageois n'était venu leur souhaiter bonne chance. Pour Bertrand, il n’y avait pas de doute possible : tous approuvaient leur bannissement. Il ravala ses larmes et son dégoût, les garda tout au fond de lui, inconscient que ce poison réprimé finirait forcément par rejaillir au grand jour. Ce n’était qu’une question de temps. 

     

    (A Suivre)
     


  12. Sympa de te revoir par ici : le service du Grand Capital te laisse encore un peu de temps libre pour souffler ? ^^

     

    Rien de telle qu’une gentille fable écolo pour remettre le pied à l’étrier. La chute en est pour le moins surprenante. Si le récit avait été écrit au premier degré, je dirais qu’elle induit un changement de ton pas forcément raccord avec le reste du texte. C’est l’intention qui compte. :wink:

     

    Bon courage à toi si tu souhaites te lancer dans une nouvelle fresque fantasy. Au premier coup d’œil, tu auras sans doute saisi que la section est encore plus amorphe qu’auparavant, limite proche des soins palliatifs. Enfin, si tu te lances, cela me donnera peut-être envie de sortir des cartons quelques histoires se déroulant dans l’univers de feu Warhammer. Pour les quelques amateurs que cela peut encore intéresser…
     

  13. (Comme la mauvaise herbe, je reviens toujours au printemps ^^)



    Puisque les aventures de Malekith sur les terres du Chaos sont arrivées à leur terme...

    Je soulignerais en premier lieu le gros point fort de ton histoire : le style. Ici et là on peut déplorer la présence de quelques clichés, il n'en reste pas moins que le travail conjugué au talent placent sans peine les Royaumes du Chaos sur le podium des meilleurs récits du forum. Et pour preuve que la forme importe autant que le fond, je mets ton histoire devant les Exilés, dont la trame me parle davantage mais qui est bourré de fautes jusqu'à l'indigestion — le comble pour un texte qui a bénéficié du soutien d'un correcteur extérieur à l'auteur !

    La technique du récit : comprendre instantanément qui fait quoi n'est pas aussi évident qu'il y paraît. Là encore tu t’en tires très bien. Je me souviens avoir relevé quelques petites incohérences — notamment le nom d'un navire qui change entre le moment où il lève l'ancre et celui où il arrive à bon port. Parfois aussi un petit abus de background sur les druchiis. Rien de bien gênant ni d'irréparable.

    Le travail sur les personnages : on sent un attachement, un réel sérieux à leur conception, qu'ils soient fluffiques ou inédits (Sarosnar, Endar, Chyres...). J'ai particulièrement apprécié ta réécriture de Malekith, plus complexe que la caricature trotrodark officielle de GW. L'évolution des persos secondaires tels que Tazdief vaut le détour aussi, avec un bon sens de la caractérisation.

    Le déroulement de l'intrigue et la conduite du fil rouge : là je vais avoir la dent dure. Enfin pas trop, j’espère. A plusieurs reprises, tu tends à l’extrême le fil rouge de l'histoire, au risque de le rompre. Je te concède que tu t’es lancé dans une entreprise ambitieuse, d’autant plus méritante, celle du récit croisé. En ce sens, le développement du complot de Naggaroth parallèle au parcours de Malekith à travers les Royaumes du Chaos est une initiative courageuse. On en retient des passages brillants, et d’autres… où l’on se sent un brin paumé, à l’instar d’Inxi-Huinzi :

    [quote]Il s'en sort mais ça a pas été de tout repos ! En tout cas je lisais et je me posais la question de savoir où en était la trame principale. Parce que du coup il est coincé mais on sait plus trop ce qu'il se passe dans la réalité ! Ca serait cool qu'on le sache ![/quote]

    Je n’ai pu m’empêcher d’effectuer aussi une parenté avec les Exilés en ce sens où j'ai eu l'impression que tu tenais les grandes lignes de ton histoire, mais as cédé au péché mignon du roman feuilleton — à savoir le besoin de rajouter des trames secondaires au fur et à mesure. Le point positif, c'est que la majorité de ces greffons valent le détour. Des One Shots rattachés à l'ensemble de façon pour le moins cohérente. Le mauvais point, bah c'est justement que l'on [i]sent[/i] la greffe : tu me répondras peut-être qu'il n'en n'est rien, que tout était prévu d'avance, n'empêche que c'est l'impression ressortant d'une lecture d'ensemble. Parlons notamment de la séquence introduisant Chyres : un personnage intéressant, mais présenté bien trop tard ! Du coup, il semble tombé de nulle part, tel un Deus Ex Machina des familles. Puisque tu parais déterminé à réécrire le récit, introduit-le bien en amont dans ta nouvelle version.

    Au final, je garde une excellente impression d’ensemble des Royaumes du Chaos. Pour son ambiance, je le rapprocherai des Chroniques de Maudits, en plus dense et plus maîtrisé : des persos dark mais pas trop, des péripéties originales, de l’émotion juste ce qu’il faut. Du très bon boulot.

    Il me tarde de te voir à l'œuvre sur un autre récit, tout en reprenant l'avertissement adressé par tes soins à Inxi-Huinzi : créer son propre univers de fantasy est casse-gueule, sans même parler de l’intertextualité inhérente au genre. On peut reprocher plein de choses à Warhammer, à commencer par son côté bric-à-brac, mais c’est justement ce qui en fait l’attrait : dans un tel fourre-tout, chacun peut bricoler le récit qui lui convient. Vous voulez de la High Fantasy ? Y en a. Votre came ce serait pas plutôt la Dark Fantasy ? Ça tombe bien, y en a aussi. De l'épopée arthurienne ? Par ici mon brave. Une préférence pour le Steampunk ? On a ça en réserve… Si Warhammer était un restaurant, il proposerait pizza, couscous et cassoulet au même menu : à condition de faire son tri dans l'assiette, chacun peut y trouver son compte :wink:
  14. LA CHOSE



    Duché de Bastogne, 2248 CI

    Sur le chemin de poussière qui n’en finissait pas, nous progressions en silence. La longue colonne d’hommes et de chevaux se traînait, misérable. Nous étions sales, harassés de fatigue, baissant la tête et titubant sous le fardeau de notre propre poids. Le soleil exerçait son joug implacable : sur la vaste plaine desséchée, pas le moindre coin d’ombre où s’abriter et échapper, ne serait-ce qu’un instant, à cette chaleur abrutissante.

    A nous voir ainsi, dans ce triste état, je me serais presque cru revenu en terre étrangère, alors que nous cherchions en vain nos adversaires arabiens. Et pourtant, nous étions en Bretonnie. Nous étions de retour chez nous. Ce paysage aride était le notre. La canicule qui nous asséchait à petit feu, nous laissant la langue craquelée par la soif, nous était tout autant familière. Et évocatrice de souvenirs pénibles.

    Tout était de la faute de ce maudit duc ! Le misérable… Emporté par sa dévotion pour la Dame, il avait entrepris cette croisade insensée. Nous, ses vassaux, n’avions eu d’autre choix que de suivre le mouvement ; les quatre manoirs de notre baronnie nous avaient, une fois de plus, engagés à guerroyer à ses côtés : là-bas, j'ai plus d'une fois souhaité qu'ils soient réduits en cendres jusqu’à leurs fondations.

    Dans le sillage de notre suzerain, nous étions partis, prêts à appareiller pour l’Arabie. Mon père et moi, avec une centaine d’hommes, avions rejoint une plus vaste armée de milliers de combattants, tous bouffis d’orgueil et débordants d’un enthousiasme aussi contagieux que déraisonnable. Nous étions loin, si loin d'envisager ce qui nous attendait... Durant quelques mois, l’idéal des croisades avait été ressuscité, par delà le duché de Bastogne, gagnant l’ensemble du royaume — l’on disait même que le roi était prêt à joindre son ost à nos côtés ! Nous n’allions plus seulement nous débarrasser des pirates barbaresques infestant le Grand Océan, nous étions désormais prêts à nous rendre jusqu’à Antoch pour la libérer du siège des arabiens !

    De toutes ces belles résolutions, il n’était pas resté grand-chose. Et lorsque nous débarquâmes en Arabie, dans le Califat de Kufra, les ennuis débutèrent. Mon père, commençant à accuser son âge, attrapa une mauvaise fièvre peu après la traversée, et il fallut le rapatrier au pays, me laissant seul à la tête de nos troupes. Je me sentais à la hauteur de la tâche, me voyais alors plus fort que je n'étais, porté par les plus purs idéaux, persuadé de servir la volonté de la Dame tout autant que de perpétuer la lutte contre les infidèles.

    Mais dans les faits, que de désillusions... Pendant plus de trois années, nous nous sommes livrés à un ridicule jeu de cache-cache avec les arabiens, nous cherchant sans vraiment vouloir nous trouver, esquivant l’affrontement à tour de rôle, et la bataille rangée qui aurait dû sceller le conflit n'avait de cesse d'être repoussée. A force de stagner en bordure du Grand Désert, notre volonté s’était peu à peu effritée et je compris, au bout du compte, que jamais nous n’entreprendrions le périlleux voyage pour porter secours à Antoch, tant nous étions déjà nous-mêmes des sinistrés, sans plus aucun idéal. Nous étions venus pour rien, et le temps que nous primes conscience de notre échec, plusieurs mois encore s’étaient écoulés. Premier responsable de ce fiasco, le duc s’était illustré en tant que commandant d’une parfaite incompétence ; son seul exploit fut de mourir de la dysenterie, trépas qui signa la fin de notre "croisade".

    La retraite entamée sous le soleil d’Arabie se poursuivit en Bretonnie. Les années passées à courir en vain après la poussière du Grand Désert nous avaient laissés ruinés, sans aucun trésor de guerre. Nous étions revenus amers et dégoûtés de tout, à commencer par nous-mêmes : comment dire à mon père que, loin d’avoir libéré Antoch, rongés de dépit, nous nous étions laissé aller à rançonner et piller sur le chemin du retour, nous en prenant aussi bien à nos alliés de Kufra qu’aux villages bretonniens ayant le malheur de se trouver sur notre route ? C’était une honte, une infamie. Nous nous étions comportés comme des chiens enragés et la violence aveugle de ces dernières semaines nous incitait à encore plus de violence. Le moindre prétexte nous suffisait.

    C’est alors qu’elle apparut sur le chemin, silhouette vague, encore lointaine, revêtue de haillons noirs. Une ombre funeste se détachant sur la plaine aride et lumineuse. La chose errait et titubait, se rapprochait peu à peu ; intriguante, tant ses mouvements manquaient singulièrement de coordination : des sortes de grands moulinets des bras, comme ceux d’un homme ivre peinant à maintenir son équilibre.

    Plus elle s'approchait de la colonne, et plus sa silhouette noire, agitée de contractions et de soubresauts, prenait un aspect inquiétant. On eut dit que, sous ses haillons, d’autres choses vivaient et se mouvaient indépendamment. Un frisson parcourut mon échine. La colonne toute entière s’arrêta, sans aucune concertation. La chose se tordant sur elle-même était le plus éloquent des messagers. Nous la laissions venir, sans trop savoir pourquoi, ni quelle conduite tenir. Il y avait en elle le rappel instinctif à des terreurs ataviques, se faisant de plus en plus explicites à mesure qu’elle se faisait plus proche.

    De là où nous venions, il y avait toutes sortes de maux. La dysenterie et le typhus étaient les plus fréquents, faisant des ravages et décimant les armées plus sûrement encore que les batailles. Mais il y avait d’autres maladies, d’autres infections. Et l’une d’entre elles nous renvoyait à cette chose errante sur la route. La peur d’être rejeté de tous, la peur d’être condamné à pourrir vivant s'était incarnée dans cet habit noir.

    Elle n’avait pas sa crécelle pour nous avertir et se permettait d'errer librement sur le chemin. Créature loqueteuse, dont le faciès même était recouvert d’un voile pudique, masquant en partie les séquelles de son horrible mal, punition divine pour quelque crime assurément abject. Mesel. Ladre. Lépreux. Les termes ne manquaient pas pour désigner pareille monstruosité.

    Lorsqu’ils comprirent à quoi ils avaient affaire, mes hommes passèrent de la crainte sourde à la colère brute. Eux qui ne cherchaient qu'à laisser libre cours à leur violence, ne pouvaient tolérer qu’un lépreux puisse errer ainsi, en violation de toutes les règles lui commandant de se soustraire de lui-même au commerce des vivants. Le ladre était un mort en sursis, rien de plus : sa place était dans un tombeau, à tout le moins une maladrerie. Sa présence sur cette route était une offense faite à des hommes de bien, partis en terre étrangère animés des meilleures intentions et revenus pires que des bêtes. Et voici, devant eux, cette chose aux grands gestes démesurés, imbéciles, poussant des cris rauques et inintelligibles comme les aboiements d’un chien.

    « VrooOhissss, GrrreeEgroiii ? » « VrooOhissss, GrrreeEgroiii ? »

    Les mains se crispaient sur les armes. Les visages harassés de fatigue reprenaient une vigueur mauvaise. Et ces regards… ces regards éteints redevenaient flamboyants, comme au temps d’affronter les arabiens… Peut-être, cette fois-ci, l’adversaire serait-il à leur portée ?

    Les premiers rangs s’écartèrent devant le lépreux, le laissèrent passer, et se refermèrent autour de lui, tout en évitant de trop s’approcher, comme on encerclerait une bête fauve. La chose semblait n’avoir pas pris conscience de la présence des soldats autour d’elle. Elle s’avançait comme si le chemin lui appartenait, était sien, comme si elle nous ignorait. Encore un peu et elle m’atteindrait bientôt.

    Au retour d’Arabie, j’avais perdu de mon pouvoir sur mes hommes. N’avais pas été à même de les défendre de la morsure du soleil, pas plus que des épidémies. M’étais montré un piètre commandant, aussi. Mais je restais malgré tout leur chef. Un chef s’efforçant de garder une vague contenance face à cette être horrible qui n’avait de cesse d’avancer, encore et encore. J’en arrivais à distinguer plus nettement son faciès hideux, dévoré par le mal, suintant d’ichor. La chose en noire aboya de nouveau d’obscures obscénités derrière le voile masquant sa bouche, comme une plainte ou une menace. Un raclement de gorge qui ne rimait à rien et revenait pourtant sans cesse, tel une monstrueuse litanie.

    « VrooOhissss, GrrreeEgroiii ? » « VrooOhissss, GrrreeEgroiii ? »

    Les hommes intervinrent sans que j’eusse à esquisser le moindre geste. De leurs lances, ils barrèrent la progression du lépreux et le firent reculer avec force, jusqu’à le faire trébucher ; la chose misérable s’empêtra dans ses loques et tomba à terre, poussant de nouveaux jappements et hurlements. Sa capuche, ce faisant, s’était rabattue en arrière et, quand bien même la majeure partie de son visage restait dissimulée derrière le voile, j’en vis assez pour peupler des milliers de nuits cauchemardesques : d’affreux petits yeux noirs et secs presque réduits à l’état de billes ; en guise de front et de chevelure, une carapace de pus durcie, rouge orangée, qui lui donnait des allures de crustacé démentiel, tout droit sorti de quelque abysse infernal, au point que je m’attendais presque à voir jaillir de ses manches des pinces prêtes à déchirer, cisailler, découper la chair saine, tendre et fragile.

    La chose-crustacé voulut se relever, prit appui sur une main : il y eu une sorte de craquement sec, presque inaudible, comme un bruit de biscuit écrasé et, lorsqu’elle se redressa péniblement, deux de ses doigts étaient restés à terre. Le lépreux ne s’était pas rendu compte de ce qu’il lui était arrivé et pointait à présent son moignon de main suintant vers moi. En jurant, un garde le repoussa aussitôt de son bouclier. Il tomba de nouveau à terre et, résigné, demeura immobile. Mais il me tendait toujours son moignon mutilé et m’interpellait de sa plainte désespérée, gargouillante.

    « VrooOhissss...»

    Et de voir cette chose ainsi me viser, moi, de ses imprécations et de toute sa laideur, acheva de me mettre en fureur autant que mes hommes. Plongeant un regard implacable sur elle, je murmurais d’une voix glaciale :
    « Pour l’amour de la Dame, débarrassez moi de cette vermine avant qu’elle n’ait eu le temps d’infecter qui que ce soit : brûlez-la ! »
    Je n’eus pas à me répéter. Les hommes traînèrent le lépreux sur le bas côté du chemin, en évitant le contact de sa peau délabrée. Ils le frappèrent de leurs lances, le foulèrent de leurs bottes. Et plus ils s’acharnaient, et plus son horrible plainte stridente montait au ciel et nous vrillait les tympans, achevant de nous rendre fous. On déversa sur la pauvre chose le contenu d’un barillet, un mélange incendiaire. Une torche inclinée l’embrasa, tel un éblouissant feu grégeois qui nous surprit de son ardeur. La chose hurla alors de plus belle et se perdit en gesticulations frénétiques. L'on disait que les ladres devenaient insensibles à la douleur : il était manifeste que celui-là était pleinement et douloureusement conscient de ce qui lui arrivait.

    Nous ne nous attardâmes point sur notre œuvre. Nous avions repris la route que la chose achevait de brûler tranquillement, comme un bon feu de bois. C’était étrange, mais cet holocauste improvisé nous avait d’une certaine façon libérés du poids qui nous oppressait. Nous avancions désormais le cœur plus léger. Peut-être la Dame réclamait-t-elle ce sacrifice ? Peut-être.

    Quant au lépreux… à qui manquerait-il ?

    * * *

    A mesure que nous nous rapprochions du domaine familial, la colonne s’effilochait, chacun des fantassins regagnant son hameau, heureux de retrouver sa famille. La lance, l’arc et l’épée avaient servi à ces hommes pour toute une vie : c’étaient des paysans pour la plupart, de braves serfs qui n’avaient certes pas mérité de traverser toutes ces terribles épreuves. Je priais la Dame de leur accorder tout ce dont ils avaient besoin ; je pensais aussi à mon père, qui avait toujours eu soin de les préserver, de ne jamais abuser d’eux ni de leur faiblesse.

    Le soleil se faisait moins ardent, à mesure qu’il descendait doucement vers l’horizon. Nous n’étions plus qu’une dizaine, moi et ceux de ma garde rapprochée. Nous traversâmes nos champs, quelques pâturages. Au loin, des paysans nous regardaient en silence, sans s’approcher pour rendre hommage à leur seigneur. Je ne me sentais ni le cœur ni l’énergie d’aller les réprimander. Nous étions tous fatigués et empressés de rentrer.

    * * *

    Ce fut lorsque nous traversâmes le village jouxtant le premier de nos manoirs, que je pris conscience que quelque chose n'allait pas. Hormis la poignée de paysans entr'aperçus plus tôt, il n’y avait personne en vue. Personne. Comme si les habitants de la baronnie s’étaient d’un seul coup évaporés. Et, alors que nous touchions au but de notre voyage, cette impression funeste, loin de s’atténuer, s’amplifia plus encore. Une fois franchies les murailles encerclant notre demeure, elle devint certitude.

    La cour était vide. Il n’y avait pas âme qui vive autour du manoir, pas plus dans les dépendances alentours. Je mis pied à terre et me rapprochais du logis principal ; la grande bâtisse grise, avec ses étroites fenêtres noires, ressemblait à un vieillard momifié, recroquevillé sur lui-même. Je n’étais plus qu’à quelques pas de l’huis, le cœur plein d’appréhension, quand un cri retentit.

    « N’allez pas plus loin ! »

    Je me retournais vers l'enceinte. Il me fallut quelques instants pour reconnaître le prêtre de Shallya, officiant pour la plèbe. Je ne me rappelais plus son nom, n’ayant jamais eu grande estime pour les gens de son espèce. Il avait pris du poids depuis la dernière fois que je l’avais vu, quatre années auparavant, et me faisait de grands signes pour que je m'approche, tandis qu’il restait lui-même à distance. Son visage gras était blême. Comme j’allais à sa rencontre, le prêtre me scrutait de la tête aux pieds, comme s’il craignait… je ne sais quoi. 

    « Que diable s’est-il donc passé ici, mon père ? Où sont les gens de ma maison ? 
    — Le diable, oui… vous faites bien de l’évoquer. C’est diablerie que le malheur tombé sur ces terres depuis votre départ…. La plupart de ceux qui vivaient ici ont fui. Quant à votre famille… ce qu’il reste d’elle a été mis à l’écart du monde des vivants pour ne plus y revenir. 
    — Quoi ?
    — Ils ont contracté la malemort. Ils sont tous ladres à présent, et si vous vous avisez de les approcher de trop près, vous serez souillé de leur infamie. »

    J’étais pétrifié. Ne pouvais croire à ce que je venais d'entendre, ne pouvais en accepter la réalité ; je regardais à nouveau le manoir et les dépendances vides qui attendaient, en vain, le retour de leurs occupants. Et qui n’étaient plus, à présent, que des pièges recelant un mal invisible entre leurs murs, prêt à saisir l’imprudent.

    Le prêtre perçut mon trouble et baissa les yeux, comme s’il avait honte d’avoir à m’annoncer la vérité. 

    « Il y a eu ce premier infecté… Que Shallya lui pardonne, il a voulu garder secrète sa maladie, à moins qu’il ne soit mépris sur sa nature. De telle sorte que la pourriture s’est installée en lui et autour de lui, et a fait son nid dans la demeure. Le temps que son mal n'apparaisse aux yeux de tous, il était trop tard pour ceux qui l’entouraient. Beaucoup trop tard. Votre mère, vos frères et sœurs… tous ont dû être mis à l’écart, envoyés à la maladrerie de Saint Beaumont. On leur fait parvenir de la nourriture à travers la palissade fermant les lieux. Rien d’autre ne doit y entrer. Rien d’autre ne doit en sortir…
    « Mais lui… lui par qui tout est arrivé, il a brisé l’interdit, a fui. Peut-être ne pouvait-il supporter de voir les siens atteint de son mal… Peut-être voulait-il seulement vous prévenir, vous avertir avant que vous n’entriez dans le manoir et ne soyez à votre tour atteint… »

    Le prêtre n'avait pas fini de parler qu'une vision, devenue indécente, s'imposait à mon esprit torturé : celle d'une silhouette noire, une chose misérable devenue la proie des flammes, une chose désespérée et implorante... Dans un ultime déni, je murmurais :

    « Nous avons bien croisé un lépreux… Mais je ne saurais dire… »

    Le prêtre prit un air surpris et indigné.

    « Allons ! Sa maladie a beau l’avoir défiguré, je m’étonne que vous n’ayez pas reconnu votre propre père ! »

     

     

    FIN

  15. Heureux de constater un regain de motivation pour ce récit ^^

    Pas mal, cette suite. J'aime bien le style d'écriture, sobre, direct, à base de phrases courtes.

    [quote]du clinquement des armes[/quote]

    Celui-là, tu pourrais le chercher longtemps dans le dictionnaire... Soit on parle d'une armure clinquante (genre brillante ou tape à l'oeil), ou bien, et c'est le cas ici, du cliquetis des armes.

    Les descriptions sont imagées, avec juste ce qu'il faut d'excessif pour évoquer Monty Python Sacré Graal, tout en restant du Warhammer.

    Attention toutefois à ne pas verser dans l'hénaurme, comme c'est le cas du passage suivant :

    [quote]
    Couinant de peur de l’autre côté de la grille, le geôlier regarda frénétiquement aussi bien l’officier que le soldat qui s’avançait vers lui. Puis, trop effrayé, il se mit à fuir, à se traîner.

    -Il ne court pas bien vite.
    -Alors tu devrais en avoir vite fini.
    -Combien en désirez-vous ?
    -Comme à ton habitude.
    -Alors va pour trois.

    Trois doigts. De préférence, le majeur, l’auriculaire et l’index de la main droite. Mais comme le geôlier avait ouvert les cellules de la main gauche, il y aurait une exception. [/quote]

    Je trouve que ce type de scène a un côté gratuit qui la rend invraisemblable et fait décoller le lecteur de ton texte.

    Les dialogues me semblent un peu plus crédibles qu'auparavant, avec moins d'insultes balancées à tort et à travers. C'est bien. En revanche, la séance d'interrogatoire (qui est quand même censée être le débriefing d'un allié !) est encore une fois excessive, joue un peu trop la carte du sadisme-marrant-ah-qu'est-ce-qu'on-rigole-tiens-arrache-lui-donc-encore-un-oeil

    A toi de voir, si tu tiens à persister dans les réactions outrées pour tes personnages : après tout, cette approche plait à certains. Pas à moi et je te le signale, non pas pour t'embêter, mais parce que j'aime bien ton histoire et voudrais juste t'encourager à la faire progresser dans la bonne direction. ^_^
  16. [quote]Il en avait vu et été, des choses, en ses jeunes années ![/quote]

    Tournure maladroite.

    Un texte intriguant : il y a d'un certain côté une maîtrise dans la technique du récit, du style et de la narration, avec de bien belles scènes, très cinématographiques, et de l'autre, des maladresses de débutant.

    Comme ce gros point faible, relevé par plusieurs autres membres du forum : la chonologie des événements prête à confusion. Des indications temporelles en début de chapitre auraient aidé le lecteur à s'y retrouver. En lieu de quoi, tu te reposes sur ce même lecteur pour combler les vides et assembler les pièces du puzzle. Pas cool.

    Au-delà des critiques, reste à saluer une histoire complète et une intrigue pensée en amont, avant que les épisodes n'en soit postés. Ouf, un auteur qui ne se repose pas sur les réactions des lecteurs pour se motiver à écrire son histoire, alleluia, ça existe encore. Cas assez rare pour être souligné et, en l'occurence, mériter une remontée. B-)
  17. Un point sur la forme : pas d'écriture en italique intégrale. Cette variation sert avant tout à mettre en valeur certains mots ou groupes de mots, des expressions, ou les pensées d'un personnage.

    Sur le style, pratiquement pas de fautes. Tu te débrouilles adroitement avec le fluff et les clichés des Druchiis

    La narration est efficace. C'est du bon travail, clair et dégagé. L'entrée en scène des différentes races et factions est plutôt bien amenée, même s'il faudrait parfois resserrer.

    Le récit n'échappe pas toujours au syndrome rapport de Bataille, ce qui est en soit normal, étant donné qu'il s'agit d'un contexte narratif pour un scénar de Warhammer Battle.

    [quote]surveillant les ouvertures qui se succédaient de part et d’autres à intervalle irrégulier[/quote]

    Pour une cité médiévale, c'est bien le genre de description qui ne colle pas : faute de norme de construction imposée, c'est le bordel, le royaume de l'empiètement et du lacis. Et pour une cité comme Mousillon, c'est encore pire.

    [quote]Mais il n’y avait pas de quoi crier victoire, car quelque chose l’avait lié à Maergwenn. Il ne pouvait le définir.[/quote]

    La volonté de l'auteur, peut-être ? :whistling: Le revirement est modérément plausible. Alors oui, on peut invoquer le syndrome de Stockholm ou les origines troubles du personnage de Maergwenn. La transition entre captive et complice aurait toutefois gagné à être plus développée.
  18. [quote]si je suis qu'en infraction par rapport à un obscur article casus-belliesque d'août 1983, je devrais m'en remmettre.[/quote]

    Déjà moins deux points sur ta copie pour manque de respect à tes aînés. Ca commence mal. :devil:

    [quote]dont une mine d’électrum[/quote]

    Tu es sûr que tu es encore dans le bon jeu, là ? :blink:

    Bon, je suis un brin méchant, mais c'est du background perso correct. Pour le reste, je rejoins Inxi : de la nature même du projet, il n'y a pas d'intrigue à espérer, ce qui est toujours un frein pour vraiment accrocher.
  19. Suis un brin dubitatif sur le rite d'admission. Etant donnée la tournure du récit, très premier degré jusqu'ici, et sa qualité, ce serait dommage de céder à une certaine forme de facilité, de sombrer dans le "too much". Essaie de retrouver la veine initiale. Pour cela, prends ton temps avant de poster. Le temps de relire. Et surtout le temps de réfléchir.
  20. Pas mal d'efficacité et d'idées dans la narration des affrontements, mais décidément trop de fautes dans de nombreux registres : coquilles, répétitions, orthographe, grammaire... j'en passe et des meilleures.

    Arrête le décompte millimétré des troupes : trop de précisions, alors que nous ne sommes pas dans un rapport de bataille mais dans une histoire. Je peux comprendre que l'évolution précise des effectifs romains au fil du récit te tienne à coeur, mais pour être honnête, les plâtrées d'informations qui en résultent sont une purge pour le lecteur. Limite toi aux grands détails.

    Les ingérences du narrateur dans l'histoire -- commentaires à la Jacques le Fataliste -- sont curieuses, mais bon, je trouve qu'elles collent plutôt bien à l'ambiance que tu cherches à retranscrire.

    Bien que perfectible, il me semble que ta technique d'écriture s'améliore petit à petit, au fil des différents posts. Relis-toi davantage, prends plus de temps pour poster et tu ne pourras qu'aller en progressant.
  21. [quote]Dès cet instant, les mouches marines se jettent toutes comme une nuée et l'eau grouille de leurs battements d'ailes, réguliers, mécaniques qu'on appelle Crawl, si je ne m'abuse.[/quote]

    Le "si je ne m'abuse" est inapproprié, nous lui disons donc [i]au revoir[/i].

    [quote]Tout va bien, n'ai pas peur[/quote]

    n'aie

    Hormis les habituels problèmes de concordance des temps, que du bien à formuler sur ton style. Concernant cette fichue concordance : c'est bien simple, si tu n'es pas sûr de toi, utilise le truc du Passé-Composé-Marque-d'Action-Révolue, ça fonctionne dans la plupart des cas (sauf ceux que je m'empresserai de pointer du bout de ma baguette sadique, gniark....)

    L'intensité de la course jusqu'à la survenance du premier rebondissement est bien rendue : bon point pour la narration.

    Après, nous basculons dans un remake des "Choses de la vie", basé sur une accumulation de petites anecdotes, comme autant de jalons pour un parcours rétrospectif. Bonne technique du récit dans l'ensemble, sans excès dans les scénettes, touchantes pour la plupart.

    Toutefois, et parce qu'il me prend l'envie de jouer les vieux cons aigris, je pointerai de ma baguette fascisante une certaine tendance au politiquement correct :

    [quote]Non, je n'ai point rencontré de Martin Luther King ou de Malcolm X, dévastés du haut de leur sphère par la tournure du monde.[/quote]

    [quote]Cet ayatollah que j'avais jugé autrefois si détraqué ( il caressait un chat mort ! ) m'apparut tellement admirable que j'en eus pleuré[/quote]

    [quote]un vieux maghrébin (...) le dos légèrement voûté par une vie de chantier. « Merci », lui dis-je ému, tout simplement.[/quote]

    Malcom X est (enfin non, "était") un gars formidable. Les Ayatollahs sont des gens formidables. Et les vieux maghrébins sont tous de braves types au dos voûté par une vie de chantier : c'est bon ça, coco, c'est vendeur ; continue et tu iras loin dans le business... ;)

    Fin de l'aparté vieux con aigri, revenons aux choses sérieuses : une fois la rétrospective achevée, tu choisis de relancer ton histoire en donnant à ton narrateur le pouvoir de réécrire ses échecs passés. Et c'est là que ça se gâte, malgré le soin pris à faire monter la sauce :

    [quote]Une porte demeurait cependant verrouillée. Je prenais soin de l'éviter, bien que son souffle puissant ne cessa de la rappeler à moi.[/quote]

    [quote]Je craignais une chose plus que tout. Derrière cette porte, je la retrouverai. Je céderai aux sirènes et chercherai à modifier notre destinée, corriger ce qui n'avait pas fonctionné.[/quote]

    Le problème est le suivant : il est difficile d'accrocher à l'histoire avec Hélène, en partie parce qu'elle n'est pas assez développée (rends toi compte, tout de même, que tu voudrais nous faire avaler en un paragraphe l'intrigue complète d'"Un jour sans fin" !) et surtout parce qu'elle étire un peu trop ton fil rouge en dehors de sa trame initiale, au risque de le rompre.

    Au fait, quel est ce fil conducteur ? Le passage d'un défunt vers l'au-delà avec tous ses regrets sur sa vie passée, ou le pouvoir accordé de réécrire ledit passé ? Dans le cadre d'un roman, tu pourrais tenter d'associer les deux. Dans les limites d'une nouvelle de moins de quatre mille mots, il te faut faire un choix, camarade.

    Ce qui ne t'empêche pas, au final, de retomber sur tes pieds avec une jolie conclusion sur le thème de l'amour "solide" opposé à l'amour passionnel.
  22. [quote]Cela eut pour but de déstabiliser l'elfe.[/quote]

    J'imagine que tu voulais écrire "pour effet"

    [quote]L'ont dit même qu'elles ne céssèrent de le tourmenter.[/quote]

    « Qu'elles n'ont cessé », puisque c'est encore le cas au moment du récit.
    La remarque est valable pour le paragraphe suivant : dès lors qu’une action antérieure au temps du récit se prolonge jusqu’à celui-ci, il faut employer un autre temps que le passé simple. Le passé simple correspond à des actions achevées, terminées une fois pour toutes ; c’est précisément pour cette raison qu’il est employé comme temps de narration dans les histoires. Le passé composé est plus souple dans son usage, puisqu’il peut aussi bien faire référence à des actions révolues qu’à des actions se poursuivant dans le temps du récit. Le Bescherelle désigne cette faculté sous le nom (compliqué) de « marque d’aspect accompli. »

    A part ça, comme toujours, de bonnes idées associées à une bonne technique d’écriture ^^
×
×
  • Créer...

Information importante

By using this site, you agree to our Conditions d’utilisation.